France-Allemagne : le grand écart démographique

par Gérard Cornilleau

Les trajectoires démographiques divergentes de l’Allemagne et de la France vont avoir des conséquences majeures et différenciées sur les dépenses sociales, les marchés du travail, les capacités productives et sur la soutenabilité des dettes publiques. Elles expliquent notamment les craintes allemandes face à la montée de leur propre dette. Les divergences démographiques vont nécessiter la mise en œuvre de politiques publiques hétérogènes de part et d’autre du Rhin. Le « one-size-fits-all » n’est pas encore pour demain.

Les trajectoires  démographiques de la France et de l’Allemagne sont le produit des guerres européennes et de l’Histoire. La superposition des pyramides des âges (graphique 1) est à cet égard instructive : en Allemagne les générations les plus nombreuses sont celles qui sont nées au cours de la période nazi, jusqu’en  1946 ; ensuite viennent les générations nées au milieu des années soixante (les enfants des générations nées pendant le nazisme).  En France les générations des années trente sont à l’inverse peu nombreuses. En conséquence le baby-boom qui, comme on peut  facilement le comprendre, démarre avant celui de l’Allemagne (dès 1945 au moment où l’on observe un baby krach en Allemagne qui ne prendra fin qu’au début des années cinquante ; le baby-boom allemand culminant tardivement au cours des années soixante) est d’une ampleur limitée car les générations en âge d’avoir des enfants sont peu nombreuses. En revanche le ralentissement de la natalité est nettement plus faible en France après la crise des années soixante-dix et surtout la fécondité augmente de  nouveau depuis le début des années quatre-vingt-dix. Si bien qu’avec un taux de fécondité qui reste proche de 2 enfants par femme en âge de procréer, les générations sont de taille pratiquement constante de 1947 à aujourd’hui.  En Allemagne la réunification entraîne un effondrement de la fécondité dans l’ex-RDA qui converge vers le taux de l’Ouest  au milieu des années 2000 (graphique 2). Au total, depuis la guerre, la fécondité française est toujours restée supérieure à la fécondité allemande et depuis le début des années 2000 l’écart se creuse. Si bien que le nombre de naissances en France excède aujourd’hui  de beaucoup celui qui est observé en Allemagne : en 2011, 828 000 contre 678 000 soit 22 % de naissances en plus en France.

 

Du point de vue démographique, la France et l’Allemagne sont donc dans des situations radicalement différentes. Alors que la France a pu conserver un taux de fécondité satisfaisant, pratiquement suffisant pour garantir la stabilité à long terme de la population, la dénatalité allemande va entraîner une baisse  rapide et importante de la population et un vieillissement nettement plus prononcé qu’en France (graphiques 3 et 4)

D’après les projections démographiques retenues par la Commission européenne[1], l’Allemagne devrait perdre plus de 15 millions d’habitants d’ici 2060 et la France en gagner un peu moins de 9. Vers 2045 les deux pays devraient avoir des populations identiques (un peu moins de 73 millions d’habitants) et en 2060 la France compterait environ 7 millions d’habitants de plus que l’Allemagne (73 millions contre 66).

Dans les deux pays les migrations contribuent à la croissance de la population mais de manière modérée. Les migrations nettes ont été faibles en Allemagne au cours de la période la plus récente avec un taux de 1,87 ‰ entre 2000 et 2005 et 1,34‰ entre 2005 et 2010 contre respectivement 2,55 ‰ et 1,62‰ en France[2]. La Commission européenne retient pour l’avenir  des taux de migration nets proches pour la France et l’Allemagne, contribuant à l’horizon de 2060 à augmenter la population de l’ordre de 6 % dans chaque pays[3]. L’ONU[4] envisage une hypothèse similaire, la contribution des migrations étant de plus en plus faible dans l’ensemble des pays du fait du ralentissement général des migrations internationales dues à la hausse des revenus dans les pays d’origine. Dans ce contexte, l’Allemagne ne semble pas disposer d’un réservoir important de main-d’œuvre externe alors qu’elle a peu de liens historiques avec les principales zones d’émigration.

L’inversion des poids démographiques semble donc inéluctable et elle s’accompagnera d’une divergence de l’âge moyen de la population, l’Allemagne étant nettement plus âgée que la France (graphique 4). En 2060, la part des plus de 65 ans atteindra presque le tiers de la population en Allemagne contre un peu moins de  27 % en France.

En conséquence, et compte tenu des réformes engagées dans les deux pays, la part des dépenses publiques de retraites dans le PIB augmenterait peu en France et beaucoup en Allemagne. D’après les travaux de la Commission européenne (op. cit.) elle passerait en France, entre 2010 et 2060, de 14,6 à 15,1 %, soit une hausse de +0,5 point, alors qu’elle augmenterait de  2,6 points en Allemagne passant de 10,8 à 13,4 % du PIB. Ceci bien que la réforme allemande du système de retraite prévoie un report à 67 ans de l’âge de la retraite et la réforme française un report à seulement  62 ans.

La démographie a également des conséquences sur les marchés du travail qui vont être soumis à des contraintes différentes. Entre 2000 et 2011, les populations actives française et allemande ont augmenté du même ordre de grandeur –  +7,1 % en Allemagne et + 10,2 % en France –,  mais alors qu’en Allemagne les deux tiers de cette hausse résulte de celle des taux d’activité, en France la démographie en explique 85 %. Dans un avenir proche, l’Allemagne va buter sur la difficulté d’accroître davantage ses taux d’activité. Sa politique familiale comprend aujourd’hui des dispositions, comme le congé parental, qui visent à inciter le travail féminin par une meilleure conciliation entre le travail et la vie de famille, mais les taux d’activité féminins sont déjà élevés et la question est plutôt celle de l’augmentation de la fécondité que de l’offre de travail. La France qui part d’un niveau plus faible de taux d’activité, surtout à cause des seniors qui sortent du marché du travail nettement plus tôt qu’en Allemagne, dispose de plus de réserves de hausse. Depuis quelques années la disparition des préretraites et l’allongement des durées de travail requises pour obtenir une retraite à taux plein ont commencé à produire leurs effets et le taux d’emploi des seniors progresse nettement, même pendant la crise[5]. Dans le même temps l’emploi des seniors progresse également en Allemagne, mais il ne pourra pas augmenter fortement indéfiniment et l’hypothèse d’une convergence à long terme des taux d’emploi entre la France et l’Allemagne est la plus vraisemblable. Au total, selon les projections de la Commission européenne[6], le taux d’activité allemand pourrait augmenter de 1,7 point entre 2010 et 2020 (passant de 76,7 à 78,4 %) alors que le taux français augmenterait de 2,7 points (de 70,4 à 73,1 %). A l’horizon de 2060 le taux d’activité français augmenterait deux fois plus que le taux allemand (+4,2 points contre +2,2). Mais le taux français serait encore inférieur au taux allemand (74,7 contre 78,9) si bien que la France disposerait encore d’une réserve de hausse.

La conséquence de cette divergence démographique  entre les deux pays est lourde  en termes de croissance potentielle à moyen long terme. Toujours selon les projections de la Commission européenne (qui repose sur l’hypothèse de la convergence de la productivité du travail en Europe autour d’un rythme de croissance annuelle de 1,5 %), la croissance potentielle française sera à long terme le double de la croissance potentielle allemande : +1,7 % par an d’ici 2060 contre +0,8. La différence resterait relativement faible jusqu’en 2015 (1,4 en France et 1,1 en Allemagne) mais elle se creusera ensuite rapidement : 1,9 en France en 2020, contre 1 en Allemagne.

Il en résultera que, comme pour la population, la hiérarchie des PIB français et allemand devrait s’inverser aux alentours de 2040 (graphique 5).

Les contextes démographiques de la France et de l’Allemagne expliquent donc logiquement que les perspectives des dépenses sociales liées à l’âge soient plus préoccupantes en Allemagne qu’en France. Ceci devrait conduire à nuancer les analyses relatives aux dettes publiques : à niveau identique du ratio dette/Pib en 2012, la dette française est plus soutenable à long terme que la dette allemande.


[1] Cf. “The 2012 ageing report”, European Economy 2/1012.

[2] Cf. United Nations, Department of Economic and Social Affairs, Population Division (2011). World Population Prospects: The 2010 Revision, CD-ROM Edition.

[3] Le solde migratoire net serait un peu plus élevé en Allemagne qu’en France atteignant 130 000 par an aux alentours de 2025-2030, alors qu’il resterait inférieur à 100 000 en France. Mais au total la différence serait très faible : en 2060 le cumul des migrations nettes entre 2010 et 2060 augmenterait la population de 6,2 % en Allemagne et 6 % en France (en pourcentage de la population de 2010)

[4] Op. cit.

[5] Voir le bilan de l’évolution de la population active en 2011 par l’Insee : http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1415/ip1415.pdf

[6] Op. cit.

 




Les projets fiscaux de François Hollande

par Henri Sterdyniak

 

La réforme fiscale est un des thèmes importants du programme de François Hollande. L’objectif affiché est d’aller vers une fiscalité plus juste, pesant plus sur les grandes entreprises, le système financier et les ménages aisés, moins sur les PME et les classes moyennes, en revenant sur les réductions d’impôt que le Président Sarkozy (et même le Président Chirac) ont effectuées depuis 10 ans, en particulier sur la loi TEPA. En même temps, il s’agit d’augmenter le taux de prélèvements obligatoires (TPO) pour réduire le déficit public, en limitant la pression sur les dépenses publiques (puisque François Hollande reprend les objectifs du précédent gouvernement en matière de réduction du déficit). Augmenter les impôts sur les plus riches, les banques, les grandes entreprises devrait permettre de limiter l’impact de cette réduction du déficit public sur la demande. 

Cependant, si le gouvernement Fillon a effectivement réduit les prélèvements obligatoires de 2007 à 2010, il les a fortement augmentés en 2011 et 2012 (tableau 1), en particulier sur les revenus du capital (tableau 2). Il va être difficile d’aller au-delà. D’ailleurs, le Rapport préparatoire au débat d’orientation des finances publiques de juillet 2012 ne prévoit qu’une hausse de 44,8 % à 46,5 % durant le quinquennat (soit 1,7 point de PIB, environ 35 milliards d’euros), sachant que la Loi de finances rectificative (LFR) de juillet 2012 comporte déjà des hausses à hauteur de 19 milliards d’euros (en année pleine). Le gouvernement doit marcher sur une crête étroite entre les préoccupations de justice sociale et celles de préservation de la demande des ménages, celles de compétitivité des entreprises et de santé financière des banques et le risque d’évasion à l’étranger des plus riches.

 

Les mesures de hausses d’impôt déjà prises ou annoncées par le nouveau gouvernement représentent 20 milliards d’euros en année pleine (voir tableau 3). Elles ont permis de rendre notre système fiscal plus juste, en augmentant la taxation des revenus du capital, en supprimant des niches fiscales ou sociales injustifiées, en luttant contre l’optimisation fiscale, en augmentant la taxation des successions. Seule la suppression des exonérations des heures supplémentaires touche les classes populaires et moyennes et risque d’avoir un effet important sur la consommation, mais ces exonérations constituaient une niche fiscale et sociale économiquement contestable et brisaient l’universalité de la CSG.

Toutefois, le rétablissement du barème antérieur de l’ISF, mais sans bouclier fiscal, aboutit à des prélèvements importants sur certains ménages que le Conseil constitutionnel n’a accepté qu’à titre temporaire : l’ISF devra être repensé. Du point de vue de l’équité fiscale, il  serait souhaitable qu’il frappe ceux qui échappent à l’IR : les propriétaires de l’appartement qu’ils habitent et  les bénéficiaires de plus-values non-réalisées.

Le taux de l’IR à 45 % est élevé ; s’appliquant à des revenus salariaux qui ont déjà été soumis à la CSG et aux cotisations maladie et famille, la taxation globale s’élève à 60 %, niveau qui n’existe qu’en Belgique et en Suède. Le taux de 75% est lui exorbitant par rapport aux taux étrangers. Il marque une volonté politique de lutter contre l’étirement de la hiérarchie salariale et contre des salaires jugés exorbitants comme ceux de certains chefs d’entreprise et de traders. Une réforme alternative serait de sanctionner, par une taxe spécifique, les entreprises qui distribuent des revenus supérieurs à un certain niveau (20 fois le salaire minimum dans leur entreprise) et de demander que ces revenus soient explicitement autorisés par l’assemblée des actionnaires. Ceci serait cohérent avec la décision déjà prise par le gouvernement de plafonner à ce niveau (environ 450 000 euros par an) le salaire des dirigeants des entreprises publiques. L’objectif n’est pas tant de rapporter de l’argent aux finances publiques que de décourager fortement les entreprises de verser des rémunérations excessives.

Reste une quinzaine de milliards d’euros à trouver pour satisfaire aux objectifs fiscaux du quinquennat, parmi un ensemble de mesures envisageables qui pourrait rapporter jusqu’à 40 milliards d’euros, frappant surtout les ménages.

Ces mesures poseront toutes des questions d’acceptabilité par les personnes concernées, que ce soit les retraités, les fonctionnaires, les non-salariés. Leur impact sur la consommation risque d’être important. Imposer à la CSG-CRDS les loyers fictifs des propriétaires-occupants pourrait rapporter plus de 10 milliards d’euros mais serait très impopulaire. Remettre en cause certaines avantages fiscaux des revenus du capital (exonération des PEA et de l’assurance-vie, l’abattement forfaitaire sur les dividendes) pourrait rapporter 2 milliards d’euros. La remise en cause de la TVA à taux réduit des hôtels, cafés, restaurants rapporterait à elle seule 5 milliards d’euros. Faut-il procéder par petites touches, au risque d’accumuler les mécontentements ? Faut-il une grande réforme abolissant toutes les niches fiscales afin de revoir à la baisse les taux du barème ?

En ce qui concerne les entreprises, le gouvernement a renoncé à remettre en cause le crédit impôt-recherche ou les exonérations de cotisations sociales employeurs. La hausse de la taxation des plus-values à long terme sur les titres de participation, une remise en cause de la déductibilité des charges d’intérêt à l’IS et la lutte contre l’optimisation fiscale pourraient rapporter 5 milliards d’euros, prélevés surtout sur les grandes entreprises.

Faut-il ajouter à l’objectif de réduire le déficit public celui de donner un choc de compétitivité aux entreprises, soit 40 milliards d’euros de réduction de cotisations employeurs, qu’il faudrait là aussi prélever sur les ménages par une hausse de 3,5 points de la CSG, au risque de peser lourdement sur la consommation ? La stratégie la plus prudente serait sans doute de retarder l’objectif de réduction du déficit et de consacrer certains des  gains obtenus par l’alourdissement de la fiscalité sur les ménages aisés à la réduction des cotisations employeurs.

 

 

 




La stratégie européenne de réduction rapide des déficits publics est-elle la bonne ? *

Par Eric Heyer

Dans l’absolu et au regard de la situation conjoncturelle, la réponse est clairement non ! Pourquoi ? Parce que de la même manière qu’un Plan de relance doit être mis en place lorsque la conjoncture se dégrade, pour lui venir en aide, la soutenir, une politique d’austérité doit être mise en place au moment où l’économie est sortie de la crise.

Or, tout nous laisse à penser, au regard des derniers chiffres économiques (croissance nulle au cours des trois derniers trimestres en France, hausse du chômage, …) que nous ne sommes pas encore sortis de cette crise économique et que donc la politique d’austérité arrive trop tôt, qu’elle risque de rogner le peu de croissance qui reste et que donc elle retarde de quelques années la date de sortie de crise de notre économie.

Finalement cette politique d’austérité que beaucoup considèrent comme sérieuse serait également très partielle et partiale et conduirait à un déséquilibre, à un déficit encore plus grave que le déficit public en démocratie, je veux parler d’un déficit d’emploi qui induit un chômage de masse. Nous sommes donc en droit de nous demander si la priorité dans un pays aussi riche que la France est réellement de réduire les dépenses publiques au risque d’aggraver le sort des plus fragiles et de rendre encore plus difficile l’accès au marché du travail.

Si cette politique n’est pas adaptée, pourquoi donc le gouvernement français s’obstine-t-il  dans cette voie ? Parce qu’il n’a malheureusement pas le choix et qu’il est pris au piège des marchés financiers et de l’orthodoxie de la Commission européenne.

La stratégie adoptée par Bruxelles en 2010 impose à l’ensemble des Etats membres de revenir coûte que coûte et très rapidement à l’équilibre budgétaire. Et la France s’est engagée à respecter cette forte contrainte.

Dans ces conditions, être le seul pays à ne pas respecter son engagement aurait des conséquences dramatiques pour l’économie française qui se traduiraient en autres choses par une hausse des taux d’intérêt sur la dette publique française et rendrait notre endettement encore moins soutenable.

D’où vient alors cette obsession de Bruxelles à réclamer des plans de rigueur ? Celle-ci est nourrie par l’idée que les dépenses publiques, quelle que soit la conjoncture, sont inefficaces et qu’il faut réduire à son stricte minimum le poids de l’Etat dans l’économie.

Elle vient aussi de ce que les dettes sont vues comme la conséquence d’un laxisme budgétaire, alors qu’elles sont en réalité la conséquence de la crise. Les caisses des Etats ont en effet été fortement mises à contribution depuis 2008 : il a d’abord fallu sauver le système financier en renflouant les banques, puis on lui a demandé de soutenir l’économie parce que les défaillances de la finance avaient sapé la croissance et réduit les rentrées fiscales à peau de chagrin.

Une solution existe, elle se situe au niveau européen et cela depuis le début du déclenchement de la crise financière : en tant que puissance politique et économique, l’Union dispose des outils pour contrer les attaques des spéculateurs et empêcher que ne s’enclenche cette spirale récessive.

Ces outils sont :

  • Premièrement, une action monétaire commune, qui permettrait à la Banque centrale européenne (BCE) de racheter la dette des Etats attaqués** ;
  • Deuxièmement, une action budgétaire commune, c’est-à-dire la capacité des Etats membres à emprunter ensemble, autrement dit à la création d’eurobonds

Mais malheureusement la Constitution européenne en interdit explicitement l’usage, rendant inefficaces à terme les différentes tentatives européennes pour sortir de cette crise.

La seule solution viable passera par une révision de la constitution européenne, avec la création d’un gouvernement européen, d’eurobonds et d’un budget européen conséquent dont les ressources seraient assurées notamment par une taxe sur les transactions financières.

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* Ce texte est issu d’une série de chroniques réalisées par Eric Heyer sur France Culture dans « Les carnets de l’économie ». Il est possible de réécouter ces chroniques sur France Culture

** Depuis cette chronique, la BCE s’est engagée à racheter sans limite la dette à court terme des Etats fragiles de la zone euro. Pour plus de détails sur ce programme de rachat de dette (OMT), le  lecteur pourra se référer à ce post.




Les privilèges fiscaux des retraités ?

par Henri Sterdyniak

Selon le rapport de la Cour des Comptes publié vendredi 14 septembre, les retraités bénéficient d’avantages fiscaux de l’ordre de 12 milliards d’euros, dont la mise en cause permettrait de réduire le déficit de la Sécurité sociale. Dans la Revue de l’OFCE d’octobre 2010,  nous avions déjà montré que les avantages fiscaux dont bénéficient les retraités (12,5 milliards d’euros, soit 1 375 euros par ménage) sont équivalents, ramenés à la population concernée, aux avantages dont bénéficient les actifs  (25,7 milliards, soit 1 600 euros par ménage).

L’État pourrait certes gagner 1,8 milliard d’euros en faisant passer le taux de CSG sur les retraites à 7,5 % et en imposant les avantages familiaux des retraités. Mais, l’équité imposerait de réindexer en même temps les retraites sur les salaires (ce qui coûterait 10,4 milliards d’euros). De même, le remise en cause de l’abattement pour frais professionnels des retraités (gain : 2,7 milliards) devrait s’accompagner d’une baisse de 10 à 3% de l’abattement des salariés (gain : 6,9 milliards) et d’un meilleur contrôle des frais professionnels des non-salariés.




L’école maternelle à la dérive

Par Hélène Périvier

En 2000 plus de 35% des enfants de 2 ans étaient scolarisés, à la rentrée 2011 seuls 11% l’étaient, un niveau proche de celui que la France connaissait dans les années 1960 (graphique). L’Etat n’ayant pas l’obligation légale de scolariser les enfants avant 6 ans[1], les contraintes budgétaires que connaît l’Education nationale pèsent davantage sur l’école préélémentaire : l’école maternelle est le parent pauvre de l’Education nationale. Ce constat soulève trois questions :

(1)   La première concerne le principe d’égalité d’accès à l’éducation. En effet, l’âge auquel les enfants entrent dans le système scolaire dépend davantage de leur lieu d’habitation et de leur mois de naissance que de leur développement cognitif ou encore du désir de leurs parents de les scolariser[2]. C’est donc une question de justice qui se pose ici.

(2)   La deuxième concerne les finances publiques et la transparence dans l’attribution des compétences dévolues à l’Etat, aux collectivités locales et à la branche famille de la Sécurité sociale. L’école maternelle relève de la responsabilité du ministère de l’Education nationale et pour partie des collectivités locales (accueil périscolaire et cantine) ; la garde des jeunes enfants est, quant à elle, pilotée par le ministère de la Famille via la branche famille de la Sécurité sociale (précisément la Caisse nationale des allocations familiales). Cette césure institutionnelle soulève un problème de gouvernance de l’accueil des jeunes enfants. En effet, la perte de vitesse de la scolarisation des moins de 3 ans accroît la pénurie de places d’accueil des jeunes enfants. Ainsi, malgré les efforts d’investissements réalisés par la branche famille et par les collectivités locales pour créer de nouvelles places d’accueil collectif, en 15 ans la capacité d’accueil dans des établissements d’accueil collectif du jeune enfant, (EAJE, du type crèche, halte-garderie, …) des moins de 3 ans  a diminué de 30 000 places. Le développement de l’accueil individuel, issu de la mobilisation du réseau d’assistantes maternelles, a permis une augmentation nette du nombre de places totales (voir note longue sur le sujet) mais dans des conditions très différentes de celles d’un accueil collectif. Ainsi, la moindre scolarisation des enfants de 2 ans modifie les types de financement du secteur de la petite enfance. Les modes de garde collectifs ou individuels sont financés par la CNAF (66% hors participation des familles), 22% par les communes, 12% par l’Etat, alors que l’école maternelle est financée par l’Etat (54%) et les communes (46%). En se dégageant de l’école maternelle, l’Etat fait porter sur les autres acteurs, essentiellement la CNAF, le poids de la prise en charge des enfants de moins de 3 ans.

(3)    Enfin, outre les problèmes liés à la gouvernance du secteur de la petite enfance, on constate la baisse de la scolarisation des enfants de deux ans. Cette dérive soulève une question de redistribution entre différents type de ménages. Les dépenses de l’Etat et des collectivités locales sont financées par l’ensemble des ménages, avec ou sans enfant, à travers l’impôt. En revanche, l’accueil des jeunes enfants est financé essentiellement par la CNAF, donc par les cotisations assises sur le travail. Enfin la participation financière directe des parents diffère entre école maternelle et accueil du jeune enfant : certes l’école maternelle n’est pas « gratuite » puisque les parents paient les frais de cantine et l’accueil périscolaire, mais cette participation est plus faible en moyenne que celle qu’ils paient pour l’accueil de leur enfant (les familles paient environ 20% du coût total d’une place en EAJE, et seulement 7% pour l’accueil à école et dans le système périscolaire)[3]. La réduction de la scolarisation des enfants de 2 ans a donc des conséquences redistributives entre les ménages qui mériteraient plus de transparence.

Construire un véritable service public de la petite enfance exige de repenser le lien entre l’école préélémentaire et l’accueil des plus jeunes enfants. L’école maternelle fait partie des atouts du système français de prise en charge des jeunes enfants et du système éducatif. Un objectif pourrait être de retrouver le niveau de scolarisation des moins de 3 ans que la France connaissait en 2000, ce qui impliquerait d’accueillir 182 000 enfants supplémentaire à l’école, à démographie inchangée. Associée à la création de 218 000 places d’accueil collectif supplémentaires, cette orientation permettrait de résorber la pénurie de places d’accueil des moins de 3 ans estimée à environ 400 000  places. Répartie sur 10 ans, l’effort reposerait sur une dépense annuelle de 940 millions d’euros dont 30% consacrés à la scolarisation. Finalement l’ouverture progressive de ces places conduirait à une dépense annuelle de fonctionnement de 475 millions d’euros qui monterait en charge progressivement pour atteindre 4,75 milliards d’euros par an au bout de 10 ans.

Ce choix permettrait de rationaliser la dépense publique en proposant des parcours explicites de prise en charge des jeunes enfants et de clarifier les compétences des différents acteurs dans ce secteur. Il exige la création de postes d’enseignants et d’assistants, il permet de dynamiser et de sécuriser les parcours professionnels des mères (et non des pères, qui le plus souvent n’adaptent pas leur parcours professionnel lors de l’arrivée d’un enfant), encore trop souvent contraintes d’interrompre leur carrière faute de ne pouvoir trouver un accueil de qualité pour leurs enfants. Un service public de la petite enfance est porteur d’égalité et de justice mais aussi de dynamisme économique.


[1] « Tout enfant doit pouvoir être accueilli, à l’âge de trois ans, dans une école maternelle ou une classe enfantine le plus près possible de son domicile, si sa famille en fait la demande », Article L 113-1 du Code de l’Education. Cet article a été modifié par la loi no 2005-380 du 23 avril 2005 : l’accueil des enfants de 2 ans est étendu en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, quelle que soit la zone géographique (Observatoire de la petite enfance, 2010).

[2] Les règles appliquées en matière de scolarisation évoluent en fonction de la capacité d’accueil des écoles, et varient sensiblement sur le territoire. Le taux de scolarisation à 2 ans varie de 4% dans le Haut-Rhin à 66% dans le Morbihan (Blanpain, 2006). Dans certaines zones, les enfants nés en début d’année ne sont scolarisés qu’à l’âge de 3 ans et demi alors que les enfants nés en fin d’année civile sont scolarisés avant l’âge de 3 ans.

[3] Selon l’Observatoire national de la petite enfance, les familles paient environ 388 euros sur un coût total de 5 374 euros pour un enfant scolarisé. Selon le HCF, les familles paient environ 1,65 euros par heure sur un coût total de 7,76 euros/heure pour un enfant accueilli en EAJE.




Faut-il choisir entre sauver la planète et sortir de la crise?

par Xavier Timbeau

Il incombe à notre génération et aux suivantes de trouver un moyen de faire vivre décemment 10 milliards d’habitants sur une planète aux ressources et aux capacités finies de façon durable. Comme un niveau de vie décent suppose un mode de consommation plus proche de celui de nos sociétés occidentales que du dénuement d’une grande partie des habitants du monde, la tâche est  immense et l’échec  inacceptable. Tout cela impose de freiner le changement climatique, d’anticiper les chutes de rendements agricoles, de se préparer aux conséquences de la montée des mers, de s’adapter et de mettre un terme aux destructions de la biomasse et de la biodiversité ou de prendre en compte l’épuisement des ressources naturelles, qu’elles soient renouvelables ou non. La liste des contraintes est longue et ne s’arrête malheureusement pas à ces quelques exemples (le lecteur intéressé pourra d’ailleurs lire avec profit des travaux antérieurs de l’OFCE sur ce sujet). 

Pourtant, on oppose souvent la crise qui frappe les pays développés (la Grande Récession) à l’urgence environnementale, suggérant que la préoccupation éthique d’insérer la société humaine dans les limites imposées par son environnement est un luxe que l’on ne peut plus se permettre. Comme il nous faut espérer le retour de la croissance ou préparer la liquidation de nos économies, la décroissance par souci de la nature serait un doux rêve, une option que seuls les plus idéalistes, donc dégagés des contraintes du réel, peuvent considérer « sérieusement ». Comment des sociétés qui connaissent des taux de chômage records, qui devraient réduire leurs dettes publiques comme privées, qui doivent se remettre au travail pour éponger  les excès d’hier ( !), menacées qui plus est par des puissances émergentes qui précipiteront dans le déclin ceux qui ne se plient pas aux règles du nouveau monde, pourraient-elles s’enticher de sauvegarder la planète ?

Ces deux priorités (sortir de la crise, sauver la planète) qu’il faudrait hiérarchiser (l’une réaliste, l’autre idéaliste) est une bien mauvaise façon d’aborder le problème de notre temps. Elle ne peut conduire qu’à de mauvaises stratégies, augmenter le coût futur du nécessaire réalisme environnemental et prolonger la crise économique que nous traversons encore et encore. Trois arguments sont souvent avancés qui aboutissent à négliger les questions environnementales au profit des questions d’ordre économique. Ces arguments sont particulièrement discutables.

Le premier argument est qu’il faut reporter la solution à la question environnementale, or on ne le peut pas. En effet, et à titre d’exemple, on a dépassé depuis longtemps la capacité d’absorption de l’écosystème mondial en gaz carbonique. Continuer à émettre du carbone parce que les hydrocarbures sont moins chers que les autres sources d’énergie[1] sous prétexte que l’on n’a pas d’autres choix est une impasse. Chaque fois que l’on construit une centrale au gaz (de schiste ou pas), elle devra fonctionner (pour être rentable) au moins 50 ans. Or, après 10 ans, on s’effrayera du niveau des émissions de carbone et on prendra conscience que le changement climatique ne menace pas notre confort mais la survie de l’espèce humaine, et réduire les émissions de CO2 deviendra une évidence. Aux nouveaux investissements pour modifier notre mode de consommation de l’énergie, il faudra ajouter la mise au rebus de cette centrale au gaz non rentabilisée. Reporter le respect de la contrainte ne fait pas gagner de l’argent, il accroît au contraire le coût de s’y soumettre, tout simplement  parce qu’on ne peut pas reporter la contrainte environnementale. C’est aujourd’hui le diagnostic, par exemple, de l’Agence Internationale de l’Energie, peu suspecte de verser dans l’écologie profonde. Pour que le climat global n’augmente pas de plus de 2°C (par rapport à l’ère préindustrielle), il faut s’engager tout de suite sur la trajectoire d’une réduction des émissions de CO2 autour de 2t de CO2 par an par habitant (soit 5 à 10 fois moins des émissions actuelles des habitants des pays développés). Ne pas le faire, c’est investir aujourd’hui dans de mauvaises solutions, les déclasser avant qu’elles ne soient rentabilisées et se résigner à ne pouvoir limiter la hausse de la température globale qu’à 3°C ou plus. C’est donc payer plus cher une stabilisation du climat à un niveau plus dégradé qui coûtera plus en adaptation. Faire passer la réduction de la dette publique au premier plan au nom des générations futures est parfaitement hypocrite si cela est fait au détriment des générations futures. Autrement dit, s’ils sont bien conduits, les investissements de décarbonation de l’économie ont une rentabilité sociale future très supérieure au taux d’intérêt sur la dette publique. Ne pas les réaliser revient à appauvrir les générations futures. Ne pas le faire parce que la contrainte de trésorerie nous l’interdit est un renoncement que nous ne pourrons pas justifier auprès des générations futures.

Le deuxième argument avancé est que nous ne serions pas assez riches pour nous permettre de sauver la planète. Se plier aux nécessités environnementales et mettre en œuvre les solutions pour réduire notre impact sur l’environnement nous appauvriront, à quelques exceptions près, en tout cas dans un premier temps[2]. Ce qui était bon marché (par exemple produire de l’énergie avec les réserves accumulées pendant des millions d’années dans  le sous-sol) devra se faire avec plus de travail, plus d’infrastructures ou de capital (et donc plus de travail pour produire ce capital) et donc en étant globalement moins efficace. Concevoir des produits qui pourront être intégralement recyclés, les produire et les recycler, pour que les matières qui les composent soit indéfiniment réutilisées pour ne pas puiser dans le stock fini des ressources de la planète demandera plus de travail, plus d’énergie (et donc plus de travail) et plus de capital (et donc plus de travail). Choisir la trajectoire de respect de l’environnement signifie donc moins de consommation (finale, ou si l’on préfère de services tirés de la consommation ou une baisse du flux de bien-être matériel que l’on tire de la consommation). Mais cela ne signifie pas pour autant une baisse de la production et encore moins la baisse de la production nationale. Plus de souci de l’environnement impliquera une baisse de la productivité, du niveau de vie mais également des créations d’emploi (cela en est le simple corollaire). Or que se passe-t-il lorsqu’on créé des emplois en abaissant la productivité dans une situation de sous-emploi massif ? On peut, sans que cela soit assuré, réduire les inégalités et abaisser le chômage. L’effet revenu, négatif et global, peut être compensé pour une partie de la population par l’effet inégalité. Comme échapper aux raretés  des ressources (celle par exemple des hydrocarbures) réduira (à l’extrême fera disparaître) les rentes associées à ces raretés, la réduction des inégalités s’associera précisément à la primauté du travail sur la propriété. C’est ainsi que l’on peut concilier la réduction des inégalités et la transition environnementale. Moins de richesses consommées, mais moins de chômage à condition que l’on profite de l’occasion ouverte par la transition environnementale pour réduire les inégalités, et ce pas simplement par des tarifs sociaux mais également par des créations de nouvelles productions.

Troisième argument souvent avancé, la contrainte de la concurrence internationale. Puisque nos concurrents ne font pas le choix de respecter l’environnement, leurs coûts restent bas. Si nous nous échinons à pénaliser nos entreprises par des surcoûts environnementaux (taxes, quotas, normes, marchés de droit à polluer), non seulement nous perdrons en compétitivité et donc nous détruirons des activités économiques et de l’emploi, mais en plus, puisque ces activités seront relocalisées dans des espaces où la pollution ou les émissions de CO2 sont « autorisées », ces dégradations environnementales ne se produiront plus sur notre territoire mais sur d’autres et au final augmenteront. Bref, l’idéal environnemental n’est pas compatible avec les dures lois de la mondialisation. C’est pourtant cet argument qui est profondément naïf et maladroit et non l’injonction environnementale. Il existe deux types de réponses possibles, parfaitement compatibles avec la mondialisation telle qu’elle est [peu] régulée. La première est la coopération par l’application des mêmes règles sur des espaces de plus en plus larges. L’Union européenne et son marché carbone en est un exemple. Cet espace peut être étendu, comme l’a essayé le protocole de Kyoto ou comme le prouve la récente coopération entre l’Union européenne et l’Australie. Mais la coopération ne pourra pas s’imposer de façon stable s’il n’y a pas une possibilité de coercition. La seconde réponse possible est donc la taxe environnementale à l’importation, qui est légitime dans le cadre des accords de l’OMC (la protection de l’environnement fait partie des rares motifs pour déroger au principe de libre circulation sans taxe). Notons, pour qu’il n’y ait aucun doute sur le motif environnemental, que le produit de ces taxes à l’importation devrait être au moins en partie redistribué aux pays d’où viennent ces importations, quitte à ce qu’elles soient réservées aux investissements environnementaux. Cela lèverait le soupçon d’une recette fiscale protectionniste, permettrait de faire avancer la question environnementale dans les pays en développement, apporterait une réponse concrète à la notion de dette écologique du Nord vis-à-vis du Sud et serait neutre lors de la mise en place d’une taxation environnementale ou d’un marché de droit à émettre dans les pays concernés. Cela permettrait également de conserver la possibilité d’une division internationale du travail (et des flux de commerce qui vont avec) qui est une source de productivité, de meilleure allocation du capital toujours nécessaire pour faire face à toutes les contraintes que nous devons respecter.

Ainsi, la question environnementale et la sortie de la crise sont deux questions convergentes et non pas opposées. La première ne peut être reportée sans coût majeur ou dommages irréversibles. Les leviers pour agir sur l’environnement doivent être ceux qui participeront à la sortie de la crise, en particulier en ce qu’ils réduisent les inégalités et accroissent l’emploi. Reste la question de la dette publique et de la capacité à disposer de marges de manœuvre pour le futur. Se soumettre à une contrainte de trésorerie (il faut que je rembourse aujourd’hui mes dettes sinon je vais m’effondrer) est la réaction de panique d’un lapin face aux phares de la voiture qui va l’écraser. Or c’est précisément la stratégie budgétaire que l’on s’acharne à suivre. C’est cela qui est contradictoire avec le souci des générations futures et de l’environnement.


[1] Tout comme chercher à gagner un peu de compétitivité en exploitant du gaz de schiste parce qu’il est deux fois moins cher que l’hydrocarbure pétrole moyen, alors qu’au final, et malgré son ratio énergie produite sur carbone émis plus avantageux, il conduit à plus d’émissions.

[2] Ensuite, les contraintes environnementales stimuleront le progrès technique qui pourra au final augmenter à nouveau notre productivité globale.




Amis des acronymes, voici venu l’OMT

par Jérôme Creel et Xavier Timbeau

Il y avait eu OMD, et son Orchestral Manœuvre in the Dark, nous voici maintenant avec Orchestral Manœuvre in the [liquidity] Trap, ou, plus précisément « Outright Monetary Transactions » ce qui, sans conteste, est plus clair. L’OMT est un dispositif potentiellement efficace qui donne à la BCE le moyen d’intervenir massivement sur la crise des dettes dans la zone euro pour limiter les écarts de taux d’intérêt sur les obligations publiques dans la zone euro. La possibilité d’une sortie de la zone euro d’un pays qui serait en opposition avec ses pairs est toujours possible, mais dans le cas où la volonté de préserver l’euro est partagée, la BCE peut intervenir et jouer un rôle comparable aux banques centrales des autres grands Etats. Beaucoup d’espoirs sont donc autorisés par cette porte ouverte vers une sortie de la crise des dettes souveraines en zone euro. Pour autant, certains éléments, comme la conditionnalité, pourraient vite poser problème.

OMT est tout simplement un programme de rachat de titres publics par la Banque centrale européenne, comme le SMP 1.0 (Securities Markets Programme) qu’il remplace, mais limité aux Etats qui seront sous programme du FESF/MES (Fonds européen de stabilité financière/Mécanisme européen de stabilité), bénéficiant donc d’une aide conditionnelle européenne. Ainsi, pour que la BCE intervienne, le pays concerné devra, d’une part, négocier un plan d’ajustement macroéconomique avec la Commission européenne et le Conseil Européen et l’appliquer. La BCE, potentiellement des membres du Parlement européen, ou le FMI peuvent être de la partie (ces institutions – Commission, BCE et FMI – forment la Troïka des hommes en noir, célèbres et redoutés en Grèce). D’autre part, et surtout, ledit pays sera sous surveillance de la Troïka par la suite.

Aussi, si l’Italie et l’Espagne veulent bénéficier du rachat de leurs titres publics par la BCE, leurs gouvernements devront se soumettre à un plan d’ajustement du FESF ou du MES. Ceci n’impliquera pas nécessairement que le plan imposé sera plus drastique en termes d’austérité que celui que ces gouvernements avaient d’ores et déjà imaginé ou instauré (la pensée unique en matière de gestion des finances publiques est très contagieuse en Europe), mais obligera l’Italie et l’Espagne à se soumettre ex ante à un droit de regard extérieur sur le plan d’ajustement élaboré et ex post au contrôle de la Commission et du Conseil. Si les pays sous surveillance venaient à dévier ex post de l’application du plan d’ajustement, ils pourraient se soustraire au programme, certes, mais leurs obligations souveraines ne seraient plus absorbées dans le programme OMT. Ils perdraient le soutien de leurs pairs et devraient affronter les marchés financiers dans des conditions incertaines. Ce serait probablement le premier pas vers un défaut ou une sortie de l’euro.

Par ailleurs, la BCE ne s’est pas engagée à absorber toutes les obligations émises et dispose donc d’une réelle capacité de menace : si le pays fronde, il peut être obligé de faire face à des taux plus élevés. L’OMT introduit donc une carotte (faire baisser les taux) et un bâton (les laisser monter, vendre les obligations détenues en portefeuille par la BCE et donc pousser les taux à la hausse), et ce à chaque nouvelle émission. L’OMT s’apparente donc à une mise sous contrôle direct (la conditionnalité), avec sanction progressive et menace ultime (la sortie du programme).

La BCE indique que ses interventions couvriront principalement des titres à moyen terme (maturité entre 1 et 3 ans), sans pour autant exclure des maturités plus longues, et sans limite quantitative. Notons que les émissions de court/moyen terme représentent habituellement une proportion faible des émissions totales, qui se font plutôt à 10 ans. Cependant, en cas de crise, l’intervention sur des maturités courtes constitue une bouffée d’oxygène, d’autant que les titres à 10 ans arrivant à échéance peuvent être refinancés par des titres à 3 ans. Cela donne des moyens de pression supplémentaires à la Troïka en termes de conditionnalité : l’engagement de l’OMT sur les titres n’est que de 3 ans et doit être éventuellement renouvelé au bout de 3 ans. Le soulagement financier pour les pays sous programme peut être appréciable à court terme. A titre d’exemple, l’Espagne, qui n’a pas encore franchi ce pas, aura émis en 2012 autour de 180 milliards d’euros de dette. Si l’OMT lui avait permis de réduire tout au long de l’année 2012 les taux souverains auxquels elle emprunte, le gain aurait été entre 7 et 9 milliards pour l’année 2012 (et aurait pu se répéter en 2013 et 2014 au moins). Ceci parce qu’au lieu d’emprunter à 10 ans au taux de 7%, l’Espagne aurait pu bénéficier des 2% auxquels la France emprunte à 10 ans ou, au lieu de 4,3% à 3 ans, l’Espagne aurait emprunté à 0,3% (le taux souverain de la France à 3 ans). C’est le gain maximal que l’on peut espérer de ce programme, mais il est conséquent : c’est approximativement l’équivalent de l’impact budgétaire de la récente hausse de TVA en Espagne (soit un peu moins d’un point de PIB espagnol). Cela ne changerait pas définitivement la situation budgétaire de l’Espagne mais cela mettrait fin à une absurdité complète qui conduit les Espagnols à devoir payer beaucoup plus cher leur dette pour compenser leurs créanciers d’un défaut qu’ils s’échinent à ne pas déclencher.

On peut même espérer (ce qui apparaît dans la détente des taux souverains espagnols de presqu’un point qui a suivi  l’annonce de la BCE jeudi 6 septembre 2012, ou de celle de presque un demi point pour les taux italiens) que l’existence du dispositif, même si l’Espagne ou l’Italie n’y recourent pas (et ne se soumettent donc pas au contrôle) suffira à rassurer les marchés, à les convaincre qu’il n’y aura ni défaut ni sortie de l’euro et que rien ne justifie donc une prime de risque.

La BCE a annoncé qu’elle allait mettre fin à son statut de créancier privilégié sur les titres publics. Cette disposition, censée réduire le risque pesant sur la BCE, conduisait à dégrader la qualité des titres détenus en dehors de la BCE et donc à réduire l’impact des interventions de la BCE sur les taux. En acquérant une obligation publique, la BCE reportait le risque sur les obligations détenues par le secteur privé, puisqu’en cas de défaut, elle était un créancier prioritaire passant avant les détenteurs privés d’obligations du même type.

La BCE précise que ses opérations dans le cadre de l’OMT seront intégralement stérilisées (l’impact sur la liquidité en circulation sera neutre), ce qui impliquerait, si cela était pris au mot, que d’autres types d’opérations (achats de titres privés, crédits aux banques) en soient réduits d’autant. Qu’en sera-t-il ? L’exemple du SMP 1.0 peut être mobilisé à ce sujet. Le SMP 1.0 était en effet lui aussi assorti d’une stérilisation. Cette stérilisation passait par des dépôts à court terme (1 semaine, au passif de la BCE), alloués pour un montant égal aux sommes engagées dans le SMP (209 milliards d’euros à ce jour, à l’actif de la BCE). Chaque semaine, la BCE collecte donc des dépôts à terme fixe mais court pour 209 milliards d’euros. Il s’agit donc d’une partie des dépôts des banques que la BCE affecte à l’instrument de stérilisation, sans que pour autant il y ait stérilisation  stricto sensu (parce que cela n’empêche ni la hausse de la taille du bilan de la BCE ni ne réduit en soi la liquidité potentielle en circulation). La mention de la stérilisation dans l’OMT apparaît comme un effort de présentation pour tenter de convaincre certains Etats, tels l’Allemagne, que la politique monétaire ne sera pas inflationniste, et donc contraire au mandat que le Traité d’Union européenne lui a imposé. Actuellement, et parce que la crise reste entière, les banques privées ont des dépôts importants auprès de la BCE (par peur de confier ces dépôts à d’autres institutions financières), ce qui lui confère une marge de manœuvre appréciable pour éviter que la stérilisation annoncée modifie la liquidité en circulation (il y a un peu plus de 300 milliards d’euros de dépôts auprès de la BCE qui ne sont pas mobilisés pour la stérilisation). Ensuite, la BCE peut probablement utiliser les comptes courants (en les bloquant pour une semaine), ce qui ne pose pas de difficulté puisque la BCE prête aux banques à guichet ouvert par le LTRO, sa politique de refinancement des banques à long terme. Au pire, la BCE perdrait de l’argent dans l’opération de stérilisation en cas d’écart de rémunération entre les dépôts à terme et les prêts consentis aux banques. La stérilisation pourrait donc conduire à cette comptabilité absurde, mais n’avoir, dans une situation de crise monétaire et financière aucune incidence sur la liquidité. En revanche, si la situation se normalise, la contrainte de stérilisation pèsera plus lourdement. Nous n’en sommes pas encore là mais quand nous y serons, la BCE devra limiter les crédits à l’économie ou accepter une hausse de la liquidité si l’OMT continue d’être mis en œuvre pour certains Etats membres de la zone euro.

Le marché qui est maintenant sur la table place aujourd’hui les pays de la zone euro dans un dilemme redoutable. D’un côté, l’acceptation du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de la zone euro (TSCG) conditionne l’éligibilité au FESF et au MES[1] et elle conditionne donc désormais l’éligibilité au programme OMT. Refuser de signer le traité budgétaire, c’est refuser par avance l’intervention potentielle de la BCE et donc accepter que la crise se prolonge jusqu’à l’éclatement de la zone euro ou jusqu’à un défaut dévastateur sur une dette souveraine. D’un autre côté, signer le traité, c’est accepter le principe d’une stratégie budgétaire restrictive sans discernement (la règle de réduction de la dette publique inscrite dans le TSCG sera dévastatrice) qui va enclencher en zone euro une récession en 2012 et peut-être en 2013.

Signer le traité, c’est aussi relâcher la pression des marchés, mais pour s’en remettre uniquement à la Troïka et à la conviction infondée que les multiplicateurs budgétaires sont faibles, que les ménages européens sont ricardiens ou que la dette publique pèse toujours sur la croissance. Or, abaisser les taux d’intérêt souverains, et en particulier ceux de l’Italie ou de l’Espagne, procure une relative bulle d’oxygène. Mais le gain principal à abaisser ces taux consisterait à étaler la consolidation budgétaire sur une période de temps plus grande. Les taux d’intérêt donnent une valeur au temps et les baisser, c’est se donner plus de temps. Les dettes contractées à des taux réels négatifs ne sont pas des dettes ordinaires et ne sont pas les fardeaux que sont des dettes émises à des taux prohibitifs.

Trouver une nouvelle marge de manœuvre (l’OMT) pour se lier immédiatement les mains (le TSCG et l’aveuglement de la Troïka sur la stratégie budgétaire) serait un gâchis formidable. Seul un revirement dans la stratégie budgétaire permettrait d’exploiter la porte ouverte par la BCE. Bref, sauver l’euro ne servira à rien si on ne sauve pas d’abord l’Union européenne des conséquences sociales désastreuses de l’aveuglement budgétaire.


[1] Le paragraphe 5 du préambule au traité instituant le Mécanisme européen de stabilité précise : « Le présent traité et le TSCG sont complémentaires dans la promotion de la responsabilité budgétaire et de la solidarité au sein de l’Union économique et monétaire. Il est reconnu et convenu que l’octroi d’une assistance financière dans le cadre des nouveaux programmes en vertu du MES sera conditionné, à partir du 1er mars 2013, par la ratification du TSCG par l’État membre concerné et, à l’expiration de la période de transition visée à l’article 3, paragraphe 2, du TSCG, par le respect des exigences dudit article. »




Crise de l’automobile: les défaillances stratégiques ne doivent pas occulter les conséquences de l’austérité budgétaire

Par Jean-Luc Gaffard

La crise de l’automobile, qu’illustre la fermeture du site PSA d’Aulnay, révèle des difficultés structurelles en même temps que des erreurs stratégiques commises en matière d’organisation industrielle et de positionnement de gamme de la part des constructeurs. La nécessité des restructurations à laquelle l’industrie est confrontée ne saurait, cependant, occulter la dimension proprement macroéconomique et à très court terme de cette crise.

Les immatriculations de voitures neuves en France ont chuté de 15,5% en juillet en données corrigées des jours ouvrables et en rythme annuel. Sur les sept premiers mois de l’année, la baisse du marché automobile s’établit à 13,5% en données brutes et à 14,1% en données corrigées. Le groupe PSA a perdu 9,9% en juillet en données brutes. Le groupe Renault a vu pour sa part ses immatriculations reculer de 11,2% avec une chute de 26,6% pour la marque au losange mais un quasi-doublement des immatriculations de la marque à bas coût Dacia. Toujours en juillet, les ventes de voitures neuves en Espagne ont accentué leur chute, avec un repli de 17,2 %. En Italie, les immatriculations de voitures neuves ont plongé de 21,4 %. Enfin, si la production allemande a augmenté de 5% grâce aux exportations, les immatriculations de voitures neuves en Allemagne ont reculé de 5%.

Ces chiffres catastrophiques sont en tout premier lieu la conséquence de l’affaissement de la demande globale dans les pays de l’Union européenne qui résulte de la chute des revenus combinée à un creusement des inégalités de répartition. La classe moyenne maintient ou accroît son taux d’épargne et reporte ses achats dans le temps ou sur des produits à moindres coûts au premier rang desquels les automobiles quand, dans le même temps le creusement des inégalités rend le marché des véhicules haut de gamme particulièrement porteur en Europe comme en Chine.

Il n’est pas étonnant, dans ce contexte, que PSA positionné en milieu de gamme enregistre une chute de ses ventes et que Renault ne limite la casse que grâce aux ventes de sa marque à bas coût. Il n’est pas davantage étonnant de constater la nette progression des marques asiatiques, notamment coréennes, également positionnées sur ce segment du marché. Il n’est pas étonnant, enfin, que les groupes allemands enregistrent des résultats exceptionnels en étant fortement positionnés sur le haut de gamme : BMW, Audi et Porsche ont enregistré une augmentation de leurs ventes au premier semestre respectivement de 8%, 22,5% et 12,3%.

Cet état de fait ne saurait naturellement exonérer les constructeurs de leurs responsabilités stratégiques, mais il devrait conduire le gouvernement à hiérarchiser les causes et, plus encore, à prendre la mesure de ce qui est nécessaire à court terme en même temps qu’il s’engage dans un soutien à long terme de la filière.

Personne ne peut douter de la pertinence et de l’efficacité de la stratégie des entreprises allemandes basée sur la fragmentation internationale de leur production, la conservation et le développement sur le territoire national de leur capacité technologique et une meilleure analyse des attentes du marché dans les pays émergents au premier rang desquels la Chine. Cette stratégie s’est avérée d’autant plus gagnante que les dévaluations compétitives étaient devenues impossibles avec l’avènement de la monnaie unique et que cette impossibilité a fini par mettre à nu les erreurs de positionnement de leurs concurrents français, notamment de PSA, face à la réalité des marchés mondiaux. La rivalité accrue entre entreprises, du fait de l’affaiblissement progressif et récemment accéléré de la demande intérieure européenne, ne pouvait que conduire à creuser les écarts de performance en termes de volumes vendus, de parts de marché et finalement de marges bénéficiaires.

Il n’est certes pas discutable que l’avenir de l’industrie automobile française passe par un effort substantiel d’innovation organisationnelle et technologique couplant internationalisation de l’activité de production et renforcement des relations productives locales, ainsi que par la recherche de niches rendant la concurrence moins sensible aux prix. Les mesures publiques destinées à renforcer le tissu productif grâce à une politique de site et un soutien de la sous-traitance répondent à ce défi stratégique. L’accent mis sur le développement des véhicules électriques et hybrides est, en revanche, discutable. Le marché des véhicules électriques pourrait bien rester marginal et ce n’est pas un prix fortement subventionné permettant de doper les ventes auprès d’un public urbain spécifique qui changera la donne. Quant au marché des véhicules hybrides, encore limité en volume, c’est un marché où la concurrence étrangère (japonaise) existe déjà fortement. Ne faudrait-il pas s’interroger sur le devenir des véhicules de gamme moyenne, qui subissent à l’évidence le contrecoup de la crise en Europe, mais dont le marché pourrait redevenir florissant au sortir de la crise en Europe et se développer dans les pays émergents à mesure que s’y constitue une véritable classe moyenne. En d’autres termes, le redressement productif dans le secteur de l’automobile, s’il doit passer par des améliorations de qualité, reste une affaire de demande, une demande qui doit se concevoir à l’échelle du monde et commander en conséquence les choix stratégiques d’implantation et de segmentation des activités de production.

En toute hypothèse, un redressement productif dans une direction ou dans une autre demandera du temps, et ce temps risque fort de manquer si, à court terme, il n’y a pas de redressement de la demande. En d’autres termes, le problème immédiat est autant, sinon plus, macroéconomique que microéconomique. Le plus sûr moyen d’enterrer l’industrie automobile française, de perdre ainsi un important capital humain accumulé, est de poursuivre une austérité budgétaire qui ne fait que déprimer la demande sans pour autant résoudre la question des dettes souveraines.

 




La situation sur le marché du travail en France*

Par Eric Heyer

 

L’économie française fait face à de nombreux déséquilibres dont les deux principaux sont :

– le déficit public qui devrait s’établir fin 2012 à près de 4,5 points de PIB, soit près de 100 milliards d’euros ;

– le déficit d’emplois qui induit un chômage de masse.

Si le premier fait l’objet de toutes les attentions, s’il fut et reste la préoccupation principale pour ne pas dire unique de tous les sommets européens depuis 3 ans et s’inscrit au cœur de la stratégie européenne de sortie de crise, force est malheureusement de reconnaître qu’il n’en est pas de même pour le second. Or, on est en droit de se demander si la priorité dans un pays aussi riche que la France est réellement de réduire les déficits publics coûte que coûte au risque d’aggraver le sort des plus fragiles et de rendre encore plus difficile l’accès au marché du travail.

Car depuis le début de la crise qui a débuté en début d’année 2008, l’économie française a détruit plus de 300 000 emplois et le nombre de chômeurs a augmenté de 755 000 au sens du Bureau International du Travail, touchant plus de 2 millions 700 mille Français soit 9,6 % de la population active.

Et ce chiffre sous-estime sans aucun doute la réalité : actuellement l’économie française ne crée que des mini jobs à temps partiel et de durée très faible : au cours du dernier trimestre, 4,5 millions de contrats ont été signés : 3 sur 4 sont des contrats de moins de 1 mois (essentiellement de 1 jour à 1 semaine). Ainsi donc, une personne ayant signé ce type de contrat au cours du mois et étant à la recherche d’un emploi à la fin du même mois n’est pas considérée comme chômeur. Leur prise en compte alourdirait le bilan et enfoncerait un peu plus l’économie française dans un chômage de masse.

Par ailleurs, et cela est plus inquiétant, ces chômeurs vieillissent au chômage – le nombre de chômeurs de longue durée continue à exploser – et ce faisant perdent à la fois en termes de compétence mais aussi en termes financier en sortant de l’indemnisation chômage et en tombant dans les minima sociaux ; dans une étude que nous avons effectué à l’OFCE pour l’Observatoire national sur la pauvreté et l’exclusion sociale, nous avons estimé qu’en France, 100 chômeurs supplémentaires au cours de cette crise entraîneraient une augmentation de 45 pauvres en 2012. Ainsi, même une stabilisation du chômage ne serait pas le signe de l’arrêt de la dégradation de la situation des Français, bien au contraire.

Il est donc urgent d’inverser la tendance sur le front de l’emploi et du chômage.

La façon la plus sûre d’y arriver est de remettre l’économie française sur un sentier de croissance dynamique : rappelons qu’une croissance positive mais faible ne suffit pas pour que l’économie française recommence à créer des emplois : compte tenu des gains de productivité, l’activité dans l’hexagone doit progresser de plus de 1% pour  que s’enclenche la spirale des créations d’emplois. Par ailleurs, eu égard à une démographie toujours dynamique et au report de l’âge légal de la retraite, la population active progresse de 150 000 personnes chaque année. Il faut donc créer plus de 150 000 emplois pour que le chômage commence à baisser en France, ce qui correspond à une croissance supérieure à 1,5 %.

Or compte tenu des politiques d’austérité mises en place en France et chez nos partenaires européens, une telle croissance semble inenvisageable en 2012 et en 2013.

Comment alors empêcher le chômage d’exploser à cet horizon ?

La première solution est de changer la stratégie européenne en définissant, entre autres choses, une austérité « plus tempérée ».

La deuxième solution est d’adopter la stratégie allemande au cours de la crise, c’est-à-dire réduire le temps de travail en recourant massivement au travail à temps partiel et aux dispositifs de chômage partiel. Rappelons que 35 % des salariés allemands sont embauchés à temps partiels contre 17 % en France et qu’au cours de la crise 1,6 million d’Allemands sont passés dans un dispositif de chômage partiels contre 235 000 en France, ce qui leur a permis de continuer à réduire le chômage pendant la crise.

La dernière solution vise à recourir au traitement social du chômage. Le secteur privé continuant à détruire des emplois, le secteur public compenserait une partie de ces destructions avec la création d’emplois aidés.

Le gouvernement semble s’engager dans cette dernière voie : 100 000 emplois d’avenir devraient voir le jour en 2013 et 50 000 en 2014.

A court terme, et compte tenu de la conjoncture, cette stratégie semble être la plus efficace et la moins onéreuse. Cependant, à moyen terme, elle ne pourra pas remplacer une politique de croissance.

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* Ce texte est issu d’une série de chroniques réalisées par Eric Heyer sur France Culture dans « Les carnets de l’économie ». Il est possible de réécouter ces chroniques sur France Culture.