Retraites : garantir le système social

par Gérard Cornilleau et Henri Sterdyniak

La Commission européenne recommande à la France de mettre en œuvre une nouvelle réforme des retraites, or cela ne devrait pas être une priorité pour la France à l’heure actuelle. Voici pourquoi.

[Ce texte est initialement paru sur le site Lemonde.fr, rubrique Idées, vendredi 24 mai 2013]

Le système public de retraite doit assurer aux retraités un niveau de vie équivalent à celui des actifs, à partir d’un âge socialement déterminé. Ainsi, les salariés n’ont-ils pas à faire d’effort d’épargne-retraite, à se préoccuper de l’évolution des marchés financiers ou de leur durée de vie. Ce système doit être contributif (la retraite dépend des cotisations versées), mais aussi rétributif (la retraite rémunère la contribution à la production, mais aussi l’élevage d’enfants ; ceux qui ont connu chômage ou maladie ne doivent pas être pénalisés) et redistributif (la société doit assurer un niveau de vie satisfaisant à toutes les personnes âgés). Il doit être socialement géré : l’âge de fin d’activité doit tenir compte de la situation de l’emploi comme du comportement des entreprises. Ses règles doivent être adaptées en permanence à l’évolution économique et sociale.

Le système français est l’un des plus généreux du monde ; les retraités ont le même niveau de vie que les actifs. Le premier objectif doit être de garantir sa pérennité. Les jeunes générations doivent être convaincues que la dette sociale qu’elles acquièrent en fournissant une retraite satisfaisante à leurs parents leur sera remboursée sous la même  forme ; elle est plus solide qu’un placement financier. Ceci est d’autant plus crédible que le ratio entre actifs et retraités restera un des plus favorables du fait d’une fécondité française satisfaisante (2 enfants par femme).

Il n’existe pas de réforme miracle qui assurerait automatiquement l’équilibre du système. Certains préconisent un système par point où la valeur du point (donc, le niveau des retraites) servirait de variable d’ajustement. D’autres, un système de « comptes notionnels » où chacun devrait arbitrer entre le niveau de sa retraite et son âge de départ, sans tenir compte des différences d’espérance de vie et de capacité à se maintenir en emploi après 60 ans, selon la profession, cet arbitrage se dégradant au fil des années.

Il est déplorable que le système de retraite ne soit pas unifié, mais il n’est pas possible d’instaurer brutalement un régime unique, ce qui impliquerait de recalculer les droits acquis dans les actuels régimes disparates ; le nouveau régime devrait remplacer progressivement les anciens, avec le risque d’instaurer en douceur, comme en Italie, un système beaucoup moins généreux pour les jeunes. Dans l’immédiat, le système serait compliqué puisque que le nouveau régime s’ajouterait aux anciens. Faire converger les régimes, les inscrire dans un pilotage commun est la voie la plus réaliste, qui peut, elle, être mise en œuvre rapidement. Il faudrait surtout rouvrir le dossier de la pénibilité pour permettre un départ précoce aux salariés du privé soumis à des conditions de travail difficiles.

L’objectif de stabiliser le ratio pension/retraite à un niveau satisfaisant doit être clairement affiché. L’Etat et les syndicats doivent s’engager sur des niveaux cibles de taux de remplacement net : 85 % au niveau du SMIC ; 75 % pour la part des salaires en dessous du plafond ; 50 % de 1 à 2 plafonds. Ces taux serviraient d’objectif pour la convergence des régimes. Enfin les pensions liquidées doivent être  indexées sur les salaires nets.

A court terme, le déséquilibre des régimes de retraites induit par la crise doit être accepté. Il faut éviter une baisse des retraites par une désindexation progressive, qui  diminuerait la fiabilité du système et enfoncerait dans la crise en pesant sur la consommation. C’est une croissance plus vigoureuse qui doit permettre de réduire les déficits sociaux. La priorité en 2013 n’est pas de réduire les retraites ou les allocations familiales, mais de remettre en cause les politiques suicidaires d’austérité qu’impose l’Europe et de lancer une politique industrielle préparant la transition écologique.

Malgré la crise, le taux d’emploi des seniors a nettement progressé, malheureusement, au détriment de l’emploi des jeunes. Il faut aller jusqu’au bout de la logique de la réforme de 2003, une durée de cotisations requise de 42 ans, qui permettra à ceux qui commencent à travailler à 18 ans de partir à 60 ans et demandera aux cadres, qui commencent à 23 ans, d’aller jusqu’à 65 ans. Quand la France se rapprochera du plein-emploi, il faudra relancer les négociations dans les entreprises pour améliorer les conditions de travail et repenser les carrières pour que chacun puisse aller jusqu’à l’âge requis. Se posera ensuite un choix social : faudra-t-il continuer à allonger la durée des carrières ou ne sera-t-il pas préférable d’utiliser les gains de productivité pour maintenir une retraite précoce ?

Ni l’Europe, ni les marchés financiers ne doivent se préoccuper de l’équilibre futur de notre système de retraite : celui-ci sera géré, compte-tenu de la situation économique, par des choix sociaux qui seront faits en temps voulus. Le gouvernement et les syndicats doivent annoncer clairement que c’est par la hausse des cotisations que le système sera équilibré, si nécessaire, une fois effectués les efforts souhaitables en matière d’emplois des seniors.




Politique monétaire et boom immobilier : comment gérer l’hétérogénéité dans la zone euro ?

par Christophe Blot et Fabien Labondance

La transmission de la politique monétaire à l’activité économique et à l’inflation repose sur différents canaux dont le rôle et l’importance dépendent crucialement des caractéristiques structurelles des économies. La dynamique du crédit et des prix immobiliers est au cœur de ce processus. Dans la zone euro, les sources d’hétérogénéité entre pays sont multiplées, ce qui pose la question de l’efficacité de la politique monétaire mais aussi celle des moyens à mettre en œuvre pour atténuer cette hétérogénéité.

Les sources d’hétérogénéité entre les pays peuvent résulter du degré de concentration des systèmes bancaires (i.e. plus ou moins de banques et donc plus ou moins de concurrence), du mode de financement (i.e. à taux fixe ou à taux variable), de la maturité des prêts aux ménages, de leur niveau d’endettement, de la proportion de ménages locataires ainsi que des coûts de transaction sur le marché immobilier. La part des prêts effectués à taux variable reflète parfaitement ces hétérogénéités puisqu’elle s’élève à 91 % en Espagne, 67 % en Irlande et à 15 % en Allemagne. Dans ces conditions, la politique monétaire commune menée par la Banque centrale européenne (BCE) a des effets asymétriques sur les pays de la zone euro, comme en témoigne l’évolution divergente des prix de l’immobilier dans ces pays. Ces asymétries se répercutent ensuite sur l’évolution du PIB, un phénomène que l’on a observé aussi bien « avant » que « depuis » la crise. Ces questions font l’objet d’un article que nous avons publié dans le volume Ville et Logement de la Revue de l’OFCE. Nous évaluons l’hétérogénéité de la transmission de la politique monétaire vers les prix immobiliers dans la zone euro en distinguant explicitement deux étapes du canal de transmission, chaque étape pouvant refléter différentes sources d’hétérogénéité. La première permet de décrire la répercussion du taux d’intérêt contrôlé par la BCE sur les taux appliqués par les banques de chaque pays de la zone euro aux crédits immobiliers. La deuxième étape illustre les effets différenciés de ces taux bancaires sur les prix immobiliers.

Nos résultats confirment l’existence d’une transmission hétérogène de la politique monétaire dans la zone euro. Ainsi, pour un taux directeur constant fixé par la BCE à 2 %, comme cela était le cas entre 2003 et 2005, les estimations réalisées sur la période précédant la crise suggèrent que le taux d’équilibre de long terme appliqué respectivement par les banques espagnoles et irlandaises serait de 3,2 % et 3,3 %. Comparativement, le taux équivalent en Allemagne serait de 4,3 %. En outre, l’inflation plus élevée en Espagne et en Irlande amplifierait cet écart de taux nominal. Nous montrons ensuite que la répercussion des variations du taux directeur de la BCE sur les taux bancaires est, avant la crise, plus forte en Espagne ou en Irlande qu’elle ne l’est en Allemagne (graphique), ce qui renvoie aux différences observées sur la part des prêts effectués à taux variable dans ces différents pays Il faut noter qu’avec la crise, la transmission de la politique monétaire a été fortement perturbée. Les banques n’ont pas forcément ajusté l’offre et la demande de crédit en modifiant les taux mais en durcissant les conditions d’octroi des crédits[1]. Par ailleurs, les estimations portant sur la relation entre les taux appliqués par les banques et les prix immobiliers suggèrent une forte hétérogénéité à l’intérieur de la zone euro. Ces différents résultats permettent donc de comprendre, au moins partiellement, les divergences observées sur les prix immobiliers dans la zone euro. La période au cours de laquelle le taux fixé par la BCE était bas aurait contribué au boom immobilier en Espagne et en Irlande. Puis, le durcissement de la politique monétaire, décidé après 2005, expliquerait également l’ajustement plus rapide des prix immobiliers observé dans ces deux pays. Nos estimations suggèrent également que les prix immobiliers dans ces deux pays sont aussi très sensibles aux évolutions de la croissance économique et démographique. Les cycles immobiliers ne peuvent donc pas se réduire à l’effet de la politique monétaire.

Dans la mesure où la crise récente trouve sa source dans les déséquilibres macroéconomiques qui se sont développés dans la zone euro, il est essentiel pour le bon fonctionnement de l’Union européenne de réduire les sources d’hétérogénéités entre les Etats membres. Pour autant, ceci n’est pas forcément du ressort de la politique monétaire. D’une part, il n’est pas certain que l’instrument de politique monétaire, le taux d’intérêt de court terme, soit l’outil adapté pour freiner le développement de bulles financières. D’autre part, la BCE conduit la politique monétaire pour l’ensemble de la zone euro en fixant un taux d’intérêt unique, ce qui ne lui permet pas de tenir compte des hétérogénéités qui caractérisent l’Union. Il  faut plutôt encourager la convergence des systèmes bancaire et financier. A cet égard, bien qu’elle soulève encore de nombreux problèmes (voir Maylis Avaro et Henri Sterdyniak), le projet d’union bancaire peut contribuer à réduire l’hétérogénéité. Un autre moyen efficace de réduire l’asymétrie de la transmission de la politique monétaire réside dans la mise en œuvre d’une politique prudentielle centralisée dont la BCE pourrait être en charge. De cette façon, il serait possible de renforcer la résilience du système financier en adoptant notamment une régulation du crédit bancaire qui pourrait tenir compte de la situation prévalant dans chaque pays afin d’éviter le développement de bulles qui font peser une menace pour les pays et pour la stabilité de l’union monétaire (voir le rapport du CAE n°96 pour plus de détails).


[1] Kremp et Sevestre (2012) mettent en avant le fait que la réduction des volumes de prêts ne provient pas uniquement d’un rationnement de l’offre de crédit mais que le climat récessif a également entraîné une baisse de la demande.