Réglementation des activités financières des banques européennes : un quatrième pilier pour l’Union bancaire

par Céline Antonin, Henri Sterdyniak et Vincent Touzé

Sous l’impulsion du Commissaire européen Michel Barnier, la Commission européenne a proposé le 29 janvier 2014 un nouveau règlement visant à limiter et encadrer la pratique d’activités de marché pour les banques de taille systémique, c’est-à-dire les fameuses “too big to fail“.

Réglementer les activités pour compte propre : un besoin né de la crise

En raison de la responsabilité particulière des banques dans la crise économique et financière de 2008, de nombreuses voix se sont élevées pour exiger une réglementation plus stricte des activités financières des banques. Cette exigence a donné naissance à deux approches, l’interdiction ou la séparation.

Aux Etats-Unis, la “Volker rule“, adoptée fin 2013, interdit aux banques toutes les activités de marché pour compte propre ainsi que les prises de participation supérieures à 3% dans les hedge funds. Cependant, les banques peuvent maintenir leurs activités de tenue de marché et  de couverture. Bien évidemment, cette règle n’interdit pas aux banques d’investir leurs fonds propres dans des actifs financiers (actions, obligations publiques et privées). L’objectif de la règle est d’éviter que la banque ne spécule contre ses clients et de limiter au maximum l’utilisation des effets de levier qui ont coûté très cher au système financier (la banque utilisant l’argent de ses clients pour spéculer pour son compte propre).

L’approche européenne est basée sur le Rapport Vickers (2011) pour le Royaume-Uni et le Rapport Liikanen (2012) pour l’Union européenne. Ces rapports préconisent une certaine séparation entre l’activité bancaire classique pour compte de tiers (gestion de l’épargne, offre de crédits, opérations simples de couverture) et les activités de marché pour compte propre ou comportant des risques importants, mais les activités peuvent être maintenues dans un holding commun. Le Rapport Vickers propose d’isoler les activités de banque classique dans une structure séparée. Au contraire, selon le Rapport Liikanen, ce sont  les activités pour compte propre et les activités financières importantes qui doivent être isolées dans une entité juridique distincte.

L’idée de séparer les activités bancaires n’est pas nouvelle. Par le passé, de nombreux pays ont eu recours à des lois de séparation entre banques de dépôt et banques d’affaires (Glass Steagall Act en 1933 aux États-Unis, loi bancaire de 1945 en France) avant de les supprimer dans les années 1980, convaincus de la supériorité du modèle de « banque universelle », qui permet à une même banque d’offrir toute la gamme des services financiers aux particuliers (crédits, dépôts, placements financiers simples ou complexes) et surtout aux entreprises (crédits, couvertures, émissions de titres, tenues du marché des titres). La crise a montré deux défauts du modèle : les pertes réalisées par le banquier sur ses activités en compte propre ou sur ses activités du marché lui font perdre des fonds propres, remettent en cause ses activités de crédit et obligent les Etats à venir à son secours pour éviter un asséchement du crédit bancaire. La banque universelle, assurée d’être secourue par l’Etat, assise sur une masse de dépôts, manque de vigilance sur ses activités pour compte propre (comme l’ont montré les affaires Kerviel, Picano-Nacci, Dexia).

Un projet de règlement européen ambitieux

Ce projet de réforme bancaire intervient dans une situation déjà compliquée pour plusieurs raisons :

1)      La réglementation Bâle 3, en cours d’adoption, impose déjà des règles très strictes sur la qualité des contreparties des fonds propres. Les activités spéculatives doivent être couvertes par des fonds propres importants.

2)      L’Union bancaire, en cours d’élaboration, prévoit qu’en cas de crise, les créanciers et les titulaires de dépôts importants pourraient être mis à contribution pour sauver la banque (principe de bail in) en cas de faillite, de sorte que les contribuables ne seraient pas mis à contribution (fin du bail out). Mais des doutes existent sur la crédibilité de ce mécanisme qui risque d’entraîner un effet domino en cas de faillite d’une banque systémique.

3)      Certains pays européens ont devancé la réforme en adoptant dès 2013 soit une loi de séparation (en France et en Allemagne), soit une loi d’interdiction (Belgique). Au Royaume-Uni, une loi de séparation inspirée du Rapport Vickers (2011) devrait être adoptée au Parlement début 2014.

Le projet de règlement présenté le 29 janvier dernier est plus exigeant que le Rapport Liikanen. Comme la « Volker rule » américaine, il interdit la spéculation pour compte propre via l’achat d’instruments financiers et de matières premières, ainsi que l’investissement dans les hedge funds (ce qui permet d’empêcher les banques de contourner la régulation en prêtant aux hedge funds tout en détenant des parts importantes de ces hedge funds, profitant ainsi de leur effet de levier).

Par ailleurs, en sus de cette interdiction, le législateur européen se donne la possibilité d’imposer une séparation dans une filiale autonome pour les opérations qui seraient jugées trop risquées, c’est-à-dire qui entraîneraient des prises de position trop importantes. Le but est de remédier à la porosité de la frontière entre trading pour compte propre et compte de tiers, les banquiers pouvant prendre des risques pour eux-mêmes en ne couvrant pas les positions demandées par leurs clients. Avec ce nouveau règlement, le législateur espère alors qu’en cas de crise bancaire, le soutien public apporté aux banques ne se fera qu’au profit des déposants, et non des banquiers, et par conséquent avec un coût global plus réduit.

Par rapport à la règlementation française, ce projet de règlement est plus contraignant que la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013. En effet, la loi française prévoit seulement le cantonnement juridique de certaines activités en compte propre et des activités à fort effet de levier dans une filiale financée de manière autonome ; l’interdiction stricte ne concerne que les activités de trading haute fréquence et la spéculation sur les dérivés de matières premières agricoles. La loi française permet de nombreuses exceptions : fourniture de services aux clients, activité de tenue de marché, gestion de trésorerie, opérations d’investissement ou de couverture par l’établissement de ses propres risques. Dans le projet de règlement, en revanche, l’interdiction est plus large puisqu’elle concerne tout le trading en compte propre. De plus, le projet de règlement interdit l’investissement dans les hedge funds, alors que la loi française l’autorise à condition que ces activités soient cantonnées.

Le projet de règlement ne concerne toutefois que les banques de taille systémique, soit une trentaine sur les 8 000 que compte l’Union européenne, représentant 65 % des actifs bancaires européens. Il ne sera pas discuté avant l’élection du nouveau Parlement et la mise en place d’une nouvelle Commission.

Une réforme qui ne fait pas consensus

La réforme proposée par Michel Barnier a déjà suscité de fortes critiques de certains pays membres et des milieux bancaires. Certaines expriment le reproche d’intervenir dans un domaine où il n’est pas compétent, ce qui montre bien la complexité actuelle de la législation du système bancaire européen.

La France, l’Allemagne, la Belgique peuvent lui dire : « De quoi vous mêlez-vous ? Nous avons déjà fait notre réforme bancaire ». Mais la logique de l’Union bancaire est que les mêmes lois s’appliquent partout. Ces pays ont choisi de faire une réforme bancaire a minima pour préempter le contenu de la loi européenne. Ce n’est guère un comportement acceptable au niveau européen. Reste cependant le cas du Royaume-Uni (auquel le projet Barnier ouvre une porte de sortie : le règlement ne s’appliquerait pas aux pays dont la législation serait plus contraignante).

L’Union bancaire prévoit que c’est la BCE qui supervise les grandes banques européennes et que c’est l’Agence Bancaire Européenne qui fixe les réglementations et les règles de la supervision. On peut donc reprocher à la Commission d’intervenir dans un domaine qui n’est plus le sien. En sens inverse, la crise a bien montré que les affaires bancaires ne concernaient pas que les banques. Il est légitime que les instances politiques (Commission, Conseil, Parlement) interviennent en la matière.

Le projet rencontre deux reproches contradictoires. L’un est de ne pas organiser une véritable séparation des banques de détail et des banques de marché. Dans cette optique, les banques de détail se seraient vues confier des missions précises (collecte et gestion des dépôts, gestion de l’épargne liquide et de l’épargne sans risque, crédits aux collectivités locales, aux ménages et aux entreprises) ; elles n’auraient pas eu le droit de se livrer à des activités spéculatives ou à des activités de marché et de prêter aux spéculateurs (fonds spéculatifs, montage d’opération LBO). Ces banques auraient totalement bénéficié de la garantie publique. En revanche, des banques de marché ou des banques d’affaires se seraient livrées sans garantie publique aux interventions sur les marchés et aux opérations de haut-de-bilan. Comme ces opérations sont risquées, l’absence de garantie publique les aurait conduites à devoir immobiliser beaucoup de fonds propres, à supporter un coût élevé pour attirer des capitaux. Ceci aurait réduit la rentabilité et donc le développement des activités de couverture comme des activités spéculatives. Une entreprise qui aurait eu besoin d’une opération de couverture aurait dû la faire effectuer par une banque de marché et non par sa banque ordinaire, donc à un coût plus élevé. En sens inverse, ceci aurait réduit le risque que les banques entraînent leurs clients (banques ou entreprises) dans des placements ou des opérations risquées. Cette réforme aurait fortement accru la transparence des activités financières, au prix d’une réduction de l’importance des banques et des marchés financiers. Michel Barnier n’a pas osé aller jusqu’au bout de la logique de séparation. Il reste dans la logique des banques universelles qui utilisent leur taille massive en tant que banques de dépôt pour fournir des services d’intermédiaires financiers à leurs clients (émission de titres, couverture de risques, placement sur les marchés, …), pour intervenir sur les marchés (tenue des marchés de changes, de titres publics ou privés), pour garantir des activités spéculatives.

A contrario, la réforme se heurte à une vive opposition des milieux bancaires qui auraient préféré le statu quo. Ainsi, Christian Noyer, membre du Conseil des gouverneurs de la BCE, a-t-il jugé ces propositions « irresponsables », comme si la BCE avait fait preuve de responsabilité avant 2007 en ne mettant pas en garde contre le développement incontrôlé des activités financières des banques.

La Fédération bancaire européenne (FBE) comme la Fédération bancaire française (FBF) demandent à ce que le modèle de banque universelle soit préservé. Les banques critiquent l’obligation de filialiser les opérations de tenue de marché (y compris pour les dettes des entreprises). Selon la FBF, ce règlement « conduirait à un renchérissement considérable de cette opération », ce « qui aurait un impact négatif sur le coût de financement des dettes des entreprises et des services de couvertures de leurs risques ». Toutefois, cette obligation pourrait être levée si les banques prouvent que leurs interventions sur les marchés ne leur font prendre aucun risque. Ainsi, les banques pourraient continuer à jouer un rôle de teneur de marché à condition de se fixer des limites strictes quant à leurs positions propres ; elles pourraient fournir des opérations de couverture simples, en se couvrant elles-mêmes.

Un quatrième pilier pour l’Union bancaire ?

Certes, les banques européennes ont raison de faire remarquer que cette réforme s’ajoute à la mise en place du MSU (Mécanisme de surveillance unique), du MRU (Mécanisme de résolution unique), de l’opération d’évaluation des banques par la BCE (lancée en novembre 2013). L’ensemble manque de cohésion ; un calendrier raisonné aurait dû être mis en place.

Cependant, la séparation préconisée par le projet Barnier crédibilise l’Union bancaire et ses trois piliers (MSU, MRU et garantie des dépôts). Ainsi, ce projet contribue-t-il à la convergence réglementaire bancaire, tant d’un point de vue fonctionnel que prudentiel. La mise en place d’un cadre homogène simplifie le contrôle du superviseur européen dans le cadre du MSU (la BCE devra contrôler les activités normales des banques et veiller à ce que les activités spéculatives ne les perturbent pas). La séparation préconisée par le projet Barnier crédibilise le MRU ; il n’y aura plus de banque trop grosse pour être mise en faillite, les pertes des banques de marché ne se répercuteront pas sur les activités de crédit des banques de dépôt et ne seront pas prises en charge par le contribuable. En réduisant les risques de faillite des banques de dépôt, il diminue le risque de mise en œuvre d’un plan de sauvetage coûteux pour les épargnants (bail-in) comme celui de l’activation de la garantie des dépôts. En ce sens, ce projet de règlement apparaît comme le quatrième pilier de l’Union bancaire.

Pour en savoir plus :

Antonin C. et V .Touzé V. (2013), Loi de séparation bancaire : symbole politique ou nouveau paradigme économique ?, Blog de l’OFCE, 22 février 2013.

Avaro M. et H. Sterdyniak H. (2012), L’union bancaire : une solution à la crise de l’euro ?, Blog de l’OFCE, 12 septembre 2012.

Gaffard J.-L. et J.-P. Pollin (2013), La séparation des activités bancaires est-elle inutile?, Blog de l’OFCE, 19 novembre 2013.

 




Procédure de déficit excessif : que doit faire la Croatie ?

par Sandrine Levasseur

Que faire pour assainir les finances publiques lorsque tout (ou presque tout) semble déjà avoir été fait en matière de baisses des dépenses et de hausses d’impôts? Depuis la mi-novembre 2013, c’est ce problème délicat que le gouvernement de la Croatie tente de résoudre après qu’une procédure pour déficit excessif (PDE) a été lancée contre le pays. En quelques mots : la PDE signifie que le déficit public de la Croatie dépasse aujourd’hui les 3% du PIB, que le dépassement n’est ni exceptionnel ni temporaire et que, de ce fait, le gouvernement croate se doit de prendre des mesures afin de respecter à terme la fameuse norme des « 3 % ».

Le 28 Janvier 2014 constitue une nouvelle étape pour le gouvernement croate puisque le Conseil de l’UE lui proposera un délai afin de faire repasser son déficit en dessous des 3% du PIB ainsi que des montants annuels moyens de réduction du déficit sur la période. En outre, le Conseil de l’UE invitera officiellement le gouvernement croate à proposer des mesures concrètes afin de réduire son déficit public à moins de 3 % du PIB.

Le problème auquel est confronté le gouvernement croate n’est pas simple car les mesures proposées ne doivent pas davantage mettre à mal l’économie du pays. Actuellement, la reprise en Croatie est timide et encore très incertaine. Le taux de chômage se situe à un niveau élevé (16,5% de la population active). Le pays est l’un des membres les plus pauvres de l’UE : son PIB par tête équivaut à 62 % de celui de l’UE-28.

Le Briefing Paper n°6 présente une liste de mesures qu’un pays de l’UE sous PDE peut envisager lorsqu’il se trouve dans la nécessité d’assainir ses finances publiques. Pour chaque mesure, nous présentons tout d’abord, dans des termes généraux, les principaux arguments en faveur  et contre. Puis, nous discutons de la pertinence de chaque mesure pour la Croatie. Cette liste de mesures est appropriée pour tout type de pays de l’UE, qu’il soit avancé dans son processus de développement ou moins avancé. Plus généralement, cette liste peut être utilisée pour tout pays confronté à un problème de finances publiques et dans la nécessité d’y apporter une solution.

Dans le cas de la Croatie, trois mesures (sur sept) nous semblent particulièrement pertinentes :

– les concessions de services publics;

– la privatisation de certaines entreprises publiques ;

– une meilleure collecte de l’impôt.

A l’opposé, des mesures telles que la baisse des salaires dans le secteur public ou celle des taux d’imposition sur les sociétés ne nous semblent pas appropriées pour assainir les finances publiques de la Croatie.

Revenons sur les mesures que nous préconisons. Les deux premières mesures sont liées à la nécessité de restructurer les entreprises publiques, celles dont la gestion est inefficace[1]. Notamment, les entreprises publiques qui ne sont ni des monopoles naturels, ni d’une importance stratégique (par exemple dans les secteurs du tourisme et de l’agriculture) pourraient être privatisées. La privatisation des autres entreprises publiques devrait être envisagée avec davantage de prudence, mais pas exclue. La Croatie est le premier pays à adhérer à l’UE avec une part d’entreprises publiques aussi élevée (25%). A long terme, les privatisations stimuleront la croissance économique du pays. A court terme, cependant, des coûts en termes de licenciements ne peuvent être exclus du processus de restructurations.

Les concessions de services publics sont une autre façon de restructurer les entreprises publiques inefficaces. L’impact sur les finances publiques en est, toutefois, très différent. Les contrats de concession de services constituent une source régulière de revenus pour le gouvernement (par le biais des redevances de concessions) et/ou d’économies (par la baisse des subventions gouvernementales). En revanche, les privatisations procurent des fonds disponibles immédiatement, et potentiellement, d’un montant important.

Recommander une restructuration des entreprises publiques en Croatie n’est pas une nouveauté. A plusieurs reprises, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et la Commission européenne ont déclaré que le processus des privatisations ou des concessions de services devrait être accéléré. Actuellement, le gouvernement croate participe activement à l’accélération du processus, en particulier pour les concessions de services. Parmi les concessions récentes, citons l’aéroport de Zagreb et le port de Rijeka tandis que le gouvernement a ouvert la procédure d’appels d’offre pour les autoroutes croates et l’île de Brijuni.

Les citoyens croates sont loin d’être tous favorables au processus de restructuration. Sans aucun doute, la communication auprès du grand public doit être améliorée. Notamment, les autorités budgétaires doivent expliquer ce qu’elles font, pourquoi elles le font, et quels seront à long terme les avantages de leurs actions. Sinon, les privatisations et concessions de services continueront d’être perçues comme des cadeaux au secteur privé. Enfin, le processus de restructuration doit impérativement être contrôlé pour éviter des abus et conflits d’intérêts. Cela signifie donc aussi qu’une lutte active contre la corruption soit menée[2].

Une meilleure collecte de l’impôt est la troisième mesure que nous préconisons en vue de réduire le déficit public de la Croatie. Selon l’Institut des finances publiques, les recettes fiscales non perçues en Croatie s’élèvent (en cumul) à 40 milliards de kunas (ou 5,2 milliards d’euros), ce qui représente plus de deux fois le déficit public prévu pour 2014 (19,3 milliards de kunas). Si le gouvernement pouvait en collecter ne serait-ce qu’une partie, cela aiderait à renflouer les finances publiques… En Croatie, améliorer la collecte de l’impôt signifie plusieurs choses étroitement liées: lutter contre l’économie souterraine (puisque les revenus non déclarés sont des revenus non taxés), poursuivre judiciairement la fraude fiscale (sinon, les lois et procédures ne sont d’aucune utilité). Là encore, améliorer la collecte de l’impôt signifie lutter contre la corruption.

Plus de détails peuvent être trouvés à l’adresse: http://www.ofce.sciences-po.fr/en/publications-en/briefing.php

 


[1] On pourra consulter Cuckovic, Jurlin et Vuckovic (2011) pour une évaluation des services publics croates.

[2] La corruption est, de fait, un problème endémique en Croatie. Voir Antonin et Levasseur (2012).




Fusionner RSA-activité et PPE ?

par Guillaume Allègre

Suite à la remise du rapport d’évaluation de la mise en œuvre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, le premier ministre a réaffirmé la volonté du gouvernement de fusionner RSA-activité et PPE.

Comme les auteurs du rapport le rappellent, en 2014, les dépenses publiques consacrées à ces deux mesures vont diminuer pour la quatrième année consécutive pour atteindre 3,9 milliards d’euros (contre 4,5 en 2009). Ceci est dû au gel de la PPE. Au départ, celui-ci était justifié par la mise en place du RSA-activité : le financement de la lutte contre la pauvreté laborieuse a bien pesé de façon disproportionnée sur les classes populaires, bénéficiaires de la PPE, comme nous le dénoncions dès 2008 (« Faut-il sacrifier la prime pour l’emploi sur l’autel du revenu de solidarité active ? ») puis de nouveau en 2011 ( «Les échecs du RSA » ). Dans un deuxième temps, le gel de la PPE a pu être justifié par celui, simultané, de l’impôt sur le revenu (IR) : il n’est pas illégitime que toutes les catégories participent, selon leurs moyens, à la réduction des déficits publics. Toutefois, sous fond de discours sur le « ras-le-bol fiscal », le gouvernement a renoncé au gel du barème de l’IR sans toucher à celui de la PPE, qui pourtant est un crédit venant se déduire de l’IR. Ceci pourrait être lié à la volonté de diminuer le nombre de perdants faisant suite à une réforme visant à fusionner RSA-activité et PPE.

En effet, comme le souligne la note de l’OFCE n°33 parue en septembre 2013, RSA-activité et PPE sont des dispositifs très différents (le RSA-activité est une prestation sociale familialisée tandis que la PPE est un crédit d’impôt individualisé), s’adressant à des publics différents. Une fusion à crédits constants ferait nécessairement des perdants pour un avantage très incertain, la prime d’activité proposée dans le rapport Sirugue ne répondant pas aux principales critiques adressées au RSA-activité et à la PPE.

Une autre stratégie est possible. Concernant la PPE, elle consiste à supprimer cet instrument, à augmenter le Smic d’autant et à réduire les cotisations patronales de façon à ne pas augmenter le coût du travail. Le bénéfice serait alors directement sous forme de salaire et non, avec un délai d’un an, sous forme de crédit d’impôt comme aujourd’hui.

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Pour en savoir plus : Faut-il remplacer le RSA-activité et la PPE par une Prime d’activité ? Réflexions autour du rapport Sirugue

Pour contacter l’auteur : guillaume.allegre@sciencespo.fr

Pour suivre l’auteur sur Twitter : @g_allegre

 




L’instabilité financière nuit-elle réellement aux performances économiques ?

par Jérôme Creel, Paul Hubert et Fabien Labondance

Quel lien pouvons-nous établir entre le degré de financiarisation des économies (entendu comme le ratio des crédits accordés aux agents privés sur le PIB), l’instabilité financière et les performances économiques (généralement le PIB par habitant) dans l’Union européenne (UE) ? C’est à cette question que nous entendons apporter des éléments de réponse à travers les résultats tirés d’un récent document de travail[1].

Dans la littérature économique, deux grandes visions s’affrontent. D’un côté, une optique héritée de Schumpeter rappelle la nécessité pour les entrepreneurs d’accéder à des sources de crédit afin de financer leurs innovations. Le secteur financier est dès lors perçu comme un préalable à l’activité innovatrice et comme un facilitateur des performances économiques. D’un autre côté, le développement financier est vu comme le résultat ou la conséquence du développement économique. Ce dernier implique une demande accrue de services financiers de la part des ménages et des entreprises. Il existe donc une source d’endogénéité dans les liens entre développement financier et économique puisque l’un est susceptible d’entraîner l’autre, et vice versa.

Jusqu’à récemment, les analyses tentant de départager et de quantifier ces causalités montraient un lien positif et significatif allant du degré de financiarisation des économies aux performances économiques (Ang, 2008). La crise financière internationale est cependant venue relativiser ces conclusions. En particulier, Arcand et al. (2012) montrent que les effets d’une financiarisation accrue deviennent négatifs au-delà d’un certain seuil[2]. La relation entre financiarisation et performance économique peut être représentée par une courbe en cloche : positive au début puis, à partir de seuils oscillant entre 80 et 100% du ratio crédits/PIB, progressivement nulle voire négative.

Contrairement à d’autres travaux qui incluent des pays avancés et des pays émergents, voire en développement, notre étude se focalise sur les Etats membres de l’UE de 1998 à 2011. L’intérêt de cet échantillon est que nous incluons uniquement des économies dont les systèmes financiers sont développés, ou pour le moins, avancés dans leur niveau de développement[3]. Par ailleurs, il s’agit d’un espace politique relativement homogène qui autorise la mise en place de régulations financières communes. Nous reprenons la méthodologie de Beck & Levine (2004) qui, à l’aide d’un panel et de variables instrumentales, permet de résoudre les problèmes d’endogénéité évoqués précédemment. Les performances économiques sont expliquées par les variables usuelles de la théorie de la croissance endogène, à savoir le PIB par tête initial, l’accumulation du capital humain à travers la moyenne des années d’enseignement, les dépenses publiques, l’ouverture commerciale et l’inflation. De plus, nous incluons les variables de financiarisation précédemment évoquées. Nous montrons ainsi que, contrairement aux résultats usuels de la littérature, le degré de financiarisation des économies n’a pas d’effets positifs sur les performances économiques mesurées par le PIB par tête, la consommation des ménages, l’investissement des entreprises ou encore le revenu disponible. Dans la plupart des cas, l’effet de la financiarisation n’est pas différent de zéro, et quand il l’est, le coefficient a un signe négatif. Difficile alors de prétendre que développement financier et économique vont de pair dans ces économies !

De plus, nous avons inclus dans ces estimations différentes variables quantifiant l’instabilité financière afin de vérifier si les résultats précédemment évoqués ne provenaient pas uniquement des effets de la crise. Ces variables d’instabilité financière (Z-score[4], CISS[5], taux de créances douteuses, volatilité des indices boursiers et un indice reflétant les caractéristiques microéconomiques des banques européennes) apparaissent la plupart du temps comme ayant un impact significatif et négatif sur les performances économiques. Parallèlement, les variables mesurant le degré de financiarisation des économies n’ont pas d’effets manifestes sur les performances.

Ces différents résultats suggèrent qu’il est certainement illusoire d’attendre un impact positif d’un accroissement supplémentaire du degré de financiarisation des économies européennes. Il est vraisemblable que les systèmes bancaires et financiers européens ont atteint une taille critique au-delà de laquelle aucune amélioration des performances économiques ne saurait être attendue. Au contraire, des effets négatifs sont susceptibles de se faire sentir du fait d’un excès d’instabilité financière que participerait à engendrer un secteur financier devenu trop grand et dont les innovations sont insuffisamment ou mal réglementées.

Les conclusions de cette étude suggèrent plusieurs recommandations de politique économique. L‘argument des lobbys bancaires selon lequel réglementer leur taille aurait un impact négatif sur la croissance n’est absolument pas étayé par nos résultats, bien au contraire. De plus, nous montrons que l’instabilité financière est coûteuse. Il est important de la prévenir. Cela passe très certainement par une meilleure définition des normes micro- et macroprudentielles et une supervision effective des banques européennes. L’union bancaire, en cours d’avènement, le permettra-t-elle ? Nombreux sont ceux qui en doutent, tels des économistes de Bruegel, du Financial Times ou de l’OFCE.

 

 

 


[1] Creel Jérôme, Paul Hubert et Fabien Labondance, Financial stability and economic performance, Document de travail de l’OFCE, 2013-24. Cette étude a bénéficié d’un financement au titre du 7e PCRD de l’Union européenne (2007-2013) n°266800 (FESSUD).

[2] Nous évoquions ce travail dans un précédent post.

[3] Au-delà du ratio des crédits accordés aux agents privés sur le PIB, le degré de financiarisation est également appréhendé par le turnover ratio qui permet de mesurer le degré de liquidité des marchés financiers. Il s’agit du rapport de la valeur totale des actions échangées sur la capitalisation totale.

[4] Indice mesurant la stabilité des banques via leur profitabilité, le ratio de capital et la volatilité de leur résultat net.

[5] Indice de risque systémique calculé par la BCE et englobant cinq composantes des systèmes financiers: le secteur bancaire, celui des institutions financières non bancaires, les marchés monétaires, les marchés des titres (actions et obligations) et les marchés des changes.




Ce que cache la baisse du taux de chômage américain

par Christine Rifflart

Malgré la nouvelle décrue du taux de chômage en décembre, les données du Bureau of Labor Statistics publiées la semaine dernière confirment paradoxalement la mauvaise santé du marché du travail américain. Le taux de chômage américain a baissé de 0,3 point par rapport à novembre (-1,2 point par rapport à décembre 2012) pour terminer l’année à 6,7 %. Il a ainsi perdu 3,3 points depuis son plus haut historique d’octobre 2009 et se rapproche de plus en plus du taux de chômage non inflationniste défini par l’OCDE à 6,1 % depuis 2010. Pourtant ces résultats sont loin de refléter un raffermissement de l’emploi. Ils masquent plutôt une nouvelle dégradation de la situation.

Si le taux de chômage est l’indicateur standard pour synthétiser le degré de tensions sur le marché du travail, l’analyse peut également s’appréhender au travers de deux autres indicateurs que sont le taux d’emploi et le taux d’activité de la population et qui, dans le cas américain, donnent une toute autre vision de la situation sur le marché du travail (graphique).

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Ainsi, après avoir baissé de près de 5 points en 2008 et 2009, le taux d’emploi reste constant depuis 4 ans, au niveau du début des années 1980 (soit 58,6 % après un maximum à 63,4 % à la fin 2006). Dès lors, la baisse du taux de chômage reflète la décrue du taux d’activité et les chiffres du mois de décembre confirment cette tendance. Sur la période 2010-2013, ce dernier a perdu un peu plus de 2 points pour revenir fin décembre à son plus bas niveau depuis 1978 (62,8 % après un maximum à 66,4 % à la fin 2006).

Ces mauvaises performances s’expliquent par l’insuffisance des créations d’emplois dont l’effet est triple. Malgré une croissance positive du PIB – qui tranche avec la récession de la zone euro –, la demande est loin d’être suffisante pour rassurer les entreprises et redynamiser le marché du travail. Après quatre années de reprise, l’emploi n’a toujours pas retrouvé à la fin 2013 son niveau d’avant-crise. Les créations nettes d’emplois salariés dans le secteur privé sont même insuffisantes pour absorber l’augmentation démographique de la population en âge de travailler. Résultat : le taux d’emploi ne se redresse pas, il reste à son niveau plancher.

Par ailleurs, la difficulté à trouver un emploi favorise la sortie, ou retarde l’entrée ou le retour d’une partie de cette population en âge de travailler sur le marché du travail. Cet effet, connu en économie, est qualifié d’effet de flexion : les jeunes sont incités à étudier plus longtemps, les femmes à rester à leur domicile après avoir élevé leurs enfants, et des chômeurs découragés cessent de chercher un emploi. Or, malgré la reprise de la croissance économique et des créations d’emploi, cet effet de flexion a continué de jouer à plein en 2013. Car si la baisse du taux d’activité s’était infléchie en 2011 et 2012 – la croissance de la population active était redevenue positive mais restait inférieure à celle de la population en âge de travailler –, elle s’est accélérée en 2013 avec le repli de la population active. Durant le second semestre 2013, 885 000 personnes se sont en effet détournées du marché du travail, en raison notamment du durcissement du contexte économique et social.

La réticence des entreprises à réembaucher s’inscrit dans un contexte économique particulièrement tendu. Le choc fiscal du début de l’année 2013 a pesé sur l’activité : la croissance du PIB est passée de 2,8 % en 2012 à 1,8 % environ attendu pour 2013. Cet ajustement budgétaire va encore se durcir en 2014. Au-delà des coupes drastiques (liées aux séquestrations[1]) dans les dépenses de l’Etat, un certain nombre de mesures exceptionnelles mises en place depuis 2008-2009, destinées aux ménages les plus pauvres et aux chômeurs de longue durée (3,9 millions sur 10,4 millions de chômeurs) arrivent à leur terme et ne sont pas reconduites. Selon les estimations du CPBB, 1,3 million de chômeurs, qui avaient épuisé leur droit aux allocations de base (sur 26 semaines) et qui bénéficiaient d’une extension exceptionnelle, se trouvent sans ressources depuis le 1er janvier 2014 du fait du non renouvellement de la mesure, et presque 5 millions de chômeurs devraient être concernés d’ici à la fin de l’année.

Dès lors, le risque est que cette situation place un nombre croissant de personnes en situation de pauvreté. Selon le Census Bureau, le taux de pauvreté se situe depuis 2010 à 15 %. Or, toujours selon le CBPP, les allocations chômage auraient évité à 1,7 million de personnes de sombrer dans la pauvreté. La fragilisation de la situation des chômeurs de long terme et le désengagement d’une partie de la population du marché du travail sont bien les conséquences directes d’un marché du travail atone, ce que ne reflète pas la baisse ininterrompue du taux de chômage.

 


[1] Voir Le casse-tête budgétaire américain du 9 décembre 2013.




Important changement de cap à l’Elysée. La priorité n’est plus accordée à l’austérité

par Xavier Timbeau, compte Twitter : @XTimbeau

(paru dans Le Monde daté du jeudi 16 janvier 2014, p. 17)

Dès son élection, François Hollande avait fait de la discipline budgétaire son objectif principal. La crise de 2008 n’avait pas fini de manifester ses conséquences sur les économies développées que se mettait en place en Europe, sur fond de crise des dettes souveraines, une austérité qui devait provoquer une seconde récession, un ” double dip ” pour employer la langue des économistes. Par exemple, lorsque François Hollande arrivait au pouvoir, la situation de la France paraissait désastreuse : déficit public à 5,2 %, plus de 600 milliards de dette publique en plus depuis 2008 mais également une hausse de 2 points du chômage (à 9,6 % de la population active). La pression était forte et, après la Grèce, le Portugal ou l’Irlande, le domino des Etats de la zone euro risquait d’entraîner l’Espagne ou l’Italie. Dans ce contexte, seule la discipline budgétaire semblait pouvoir aider l’Allemagne à soutenir une zone euro chancelante.

Pourtant le pire était à venir. En sous-estimant l’ampleur des multiplicateurs budgétaires (l’impact de la politique budgétaire sur l’activité), comme ont fini par le reconnaître le Fonds monétaire international (FMI) ou la Commission européenne, et comme nous le pointions en juillet 2012, on s’est mépris sur les conséquences d’un effort budgétaire sans précédent généralisé à toute l’Union européenne.

Ce qui devait, pour François Hollande, n’être qu’un redressement dans la douleur avant un rebond ouvrant à nouveau le champ des possibles, s’est révélé être un enlisement où la hausse du chômage faisait écho aux mauvaises nouvelles budgétaires. Lorsque le multiplicateur budgétaire est élevé, rien n’y fait. Les efforts budgétaires pèsent lourdement sur l’activité et les déficits publics ne se résorbent pas vraiment. Si ce fameux multiplicateur avait été faible, la stratégie de François Hollande – et celle de la zone euro – aurait fonctionné. Mais un multiplicateur ne se commande pas; il résulte d’une situation économique dans laquelle les bilans des agents sont dégradés, les banques étouffées et les anticipations délétères.

La seconde partie du quinquennat de François Hollande, que la conférence du 14 janvier 2014 pourrait avoir ouverte, est un exercice autrement plus compliqué que prévu. Au lieu de finances publiques rétablies, la dette est à peine stabilisée au prix d’un effort démesuré. Au lieu d’une reprise vigoureuse, on a, suivant la litote même de l’Insee, une ” reprise poussive “ qui se trouve être une récession qui continue : le chômage augmente encore et encore. Nos entreprises sont exsangues, et pour essayer de restaurer leurs marges, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), inspiré du rapport Gallois, ne parvient pas à nous sortir de l’impasse.

Pour baisser le coût du travail sans accroître le déficit public, il faut à nouveau ponctionner des ménages à bout de souffle. Le multiplicateur budgétaire est toujours élevé et la croissance comme l’inversion de la courbe du chômage sont remises à plus tard. Pire, les engagements de réduction de déficit public, pris auprès de Bruxelles (0,8 point d’effort structurel jusqu’à la fin du quinquennat, 50 milliards au total) reportaient la baisse du chômage à après 2017. Le malade risque bien de mourir guéri et, au mieux, c’est le successeur d’une élection en 2017 déjà perdue qui pourrait espérer tirer les fruits de cette politique qui a privilégié la baisse du déficit au plus mauvais moment.

Le pacte de responsabilité proposé par François Hollande dessine une voie différente, un autre choix. Au lieu de l’austérité, c’est une baisse du coût du travail financée non plus par l’impôt mais par la dépense fiscale, pour 1 point de PIB. Le pari est que la croissance ainsi stimulée apportera les recettes supplémentaires pour tenir les engagements de déficit public. Trente milliards d’euro de baisse de charges sont annoncés, se substituant à l’actuel CICE (20 milliards). Ce sont 10 milliards de plus qui peuvent être obtenus par les entreprises qui se lanceront dans les négociations collectives surveillées par l’observatoire des contreparties. Si cela ne simplifie pas le complexe CICE, cela poussera au dialogue social.

D’autre part, François Hollande a confirmé que l’objectif de baisse des dépenses publiques reste de 16 milliards d’euros en 2015, 18 en 2016 et 2017, soit 50 milliards d’euros au total, et n’est pas augmenté par rapport aux annonces précédentes. Le CICE a été partiellement financé par la hausse de la TVA (6 milliards d’euros à partir de 2014) et les taxes environnementales (4 milliards d’euros). En remplaçant le CICE par des baisses de cotisations sociales, il s’ajoute une finesse : si les entreprises profitent de la baisse du coût du travail pour accroître leurs bénéfices, alors la taxation de ces bénéfices réduira la facture pour l’Etat de 10 milliards d’euros (1/3 de 30 milliards). Si en revanche, elles accroissent l’emploi et les salaires, baissent leurs prix ou investissent, alors il y aura plus d’activité et le financement passera par la croissance.

Par rapport aux engagements budgétaires de la France notifiés à Bruxelles (0,8 point de réduction du déficit structurel par an), ce sont 20 milliards de stimulation budgétaire qui sont engagés sur la baisse du coût du travail d’ici à 2017. Ce point de PIB pourrait induire la création de 250 000 emplois d’ici à 2017 et permettre une baisse d’un point du chômage. C’est un changement de cap important par rapport à la priorité donnée jusqu’à maintenant à la réduction des déficits. Le choix a été fait de privilégier les entreprises en les poussant à la création d’activité ou d’emploi par un pacte. C’est un pas significatif mais il en reste d’autres à faire pour en finir avec l’austérité, en réparer les dommages sociaux et s’atteler radicalement à la réduction du chômage.




Guerre des taxis contre les VTC : chacun a ses raisons

par Guillaume Allègre

 « Le plus terrible dans ce monde c’est que chacun a ses raisons »

 Jean Renoir, La Règle du jeu

Dans la guerre entre taxis et voitures de tourisme avec chauffeur (VTC), chacun a ses raisons. Nous avons souligné dans un précédent billet que le discours sur l’innovation masquait un conflit classique de répartition entre producteurs, qui veulent défendre leurs revenus, et consommateurs, qui veulent un service de taxi peu coûteux et disponible rapidement, y compris aux heures de pointe. Ceci se double d’un non moins classique conflit entre les détenteurs d’une licence ayant une valeur de rareté et les nouveaux entrants, défenseurs de l’ouverture du marché.  

Dans ce conflit, la régulation actuelle est absurde. La limitation du nombre de licences de taxis avait pour objectif de soutenir le revenu des taxis indépendants et d’éviter qu’ils travaillent trop d’heures par jour pour atteindre un revenu décent. Toutefois les autorités ont commis deux erreurs. Tout d’abord, en permettant de céder les licences, ils ont transféré l’avantage du contingentement des chauffeurs de taxis aux propriétaires des licences : aujourd’hui un chauffeur de taxi doit soit louer sa licence soit l’acheter à un prix reflétant sa valeur de rareté (230 000 euros à Paris en 2012) ! La situation actuelle est d’autant plus aberrante que les nouvelles licences sont cédées gratuitement (sur liste d’attente) : si le préfet attribue gratuitement 1 000 nouvelles licences, c’est 230 millions d’euros au prix du marché qui seront transférés aux heureux gagnants (qui pourront par la suite louer ces licences) !

Ensuite, deuxième erreur, les pouvoirs publics ont laissé gonfler la bulle sur les licences de taxi. Le prix élevé des licences reflète à l’évidence une offre trop faible par rapport à la demande. Mais il serait maintenant injuste de spolier ceux qui viennent de dépenser une fortune pour acquérir une licence, par exemple, en augmentant massivement le nombre de licences : pourquoi les acquéreurs récents devraient payer pour les atermoiements du régulateur ?

Quelle solution ?

Il serait préférable de sortir d’un système où l’on doit se préoccuper continuellement de la valeur patrimoniale de licences attribuées gratuitement. Racheter toutes les licences à leur prix de marché serait coûteux et aurait pour conséquence un enrichissement sans cause de ceux ayant reçu une licence à titre gratuit.

Une solution, proposée dans le précédent billet, consiste à racheter les licences actuelles au fil de l’eau (lorsque les chauffeurs de taxis prennent leur retraite), non à leur valeur de marché mais à leur valeur d’acquisition majorée d’intérêts et à attribuer de nouvelles licences gratuites mais non cessibles. Ce système permettrait d’indemniser les acquéreurs récents, sans contribuer à l’enrichissement sans cause de ceux qui ont obtenu une licence gratuitement ou à un prix très faible. Il permettrait la transition d’un système de licences cessibles à un système de licences non cessibles dans lequel le nombre de licences en circulation et la répartition du marché entre VTC et taxis dépendraient de la demande de services et non du pouvoir de nuisance des uns et des autres. Certes, ce système est complexe mais il permettrait de détricoter les erreurs du passé de façon la plus équitable.

Pour en savoir plus : Taxis vs VTC : la victoire du lobby contre l’innovation ?

Pour contacter l’auteur : guillaume.allegre@sciencespo.fr

Pour suivre l’auteur sur Twitter : @g_allegre




Au royaume des aveugles, les Irlandais sont-ils les rois ?

par Christophe Blot

Le 15 décembre 2013, l’Irlande est sortie du plan d’aide de 85 milliards d’euros accordé en novembre 2010 par le FMI et l’Union européenne. Cette annonce a deux conséquences directes. D’une part, le gouvernement irlandais, ne recevant plus de financement de ces deux institutions, devra couvrir l’intégralité de ses besoins de financement sur les marchés financiers. La baisse significative des taux d’intérêt souverains, en particulier au regard des taux en vigueur sur les dettes portugaises, espagnoles ou italiennes (graphique 1), montre que cette sortie du plan de sauvetage se fera sans surcoût. En effet, le taux de marché est aujourd’hui équivalent à celui payé par le gouvernement en contrepartie des 85 milliards d’euros d’aide reçue. Le gouvernement irlandais n’avait d’ailleurs pas attendu la fin de l’aide internationale pour réaliser, avec succès, des émissions obligataires. D’autre part, le gouvernement sort de la tutelle de la troïka (UE, BCE et FMI) et retrouve ainsi des marges de manœuvre en matière budgétaire. Toutes les contraintes ne seront pas levées pour autant puisque l’Irlande est toujours tenue de respecter les règles budgétaires en vigueur dans l’Union européenne. La dette publique, qui dépasse 120% du PIB, devra être ramenée à 60% en 20 ans et le déficit budgétaire réduit à 3% d’ici 2015. L’austérité devra donc se poursuivre en 2014, 2015 et sans doute bien au-delà.

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Dans ces conditions, l’annonce sera finalement assez neutre du point de vue économique et social. Il reste que certains pourraient être tentés de voir dans l’exemple irlandais que le plan d’aide et surtout la cure d’austérité qui l’a accompagné peuvent être couronnés de succès. L’austérité aurait donc porté ses fruits chez l’ancien « tigre celtique », ce qui doit encourager la Grèce et le Portugal à poursuivre leurs efforts. Qu’en est-il réellement ? Il faut d’emblée souligner le caractère fallacieux de l’argument qui s’appuie uniquement sur un critère de performance économique indéniablement meilleure pour l’Irlande. Le taux de chômage, en baisse de 2 points depuis 2012, s’élève aujourd’hui à 12,9% contre 15,6% au Portugal et plus de 25% en Grèce ou en Espagne. Depuis la fin de l’année 2010, le PIB irlandais a progressé de 2,3% alors qu’il a reculé de 5,6% au Portugal et de 3% en Espagne.

L’efficacité d’une stratégie de politique économique peut être évaluée de deux manières, soit en la comparant à une stratégie alternative d’absence d’austérité ou de moindre austérité, soit en tentant d’évaluer les effets de cette politique « toutes choses égales par ailleurs », soit ici à politique monétaire inchangée, à niveau de compétitivité donnée, … L’économiste recourt alors généralement à une analyse économétrique. Une telle évaluation va bien au-delà de l’objectif que l’on peut attribuer à ce billet mais il n’en demeure pas moins que l’on peut tenter de préciser quelques éléments.

Sur le plan empirique, les analyses récentes montrent que l’effet de l’austérité sur l’activité économique est indubitablement négatif. Le multiplicateur, mesurant l’impact sur l’activité d’un point d’effort budgétaire[1], est surtout plus fort lorsque le niveau de chômage est élevé[2], lorsque la politique monétaire est contrainte par le niveau plancher au-delà duquel elle ne peut plus baisser les taux d’intérêt de court terme, et lorsque le système financier se trouve en situation de crise. Le niveau du chômage, la crise financière qui a secoué l’Irlande après l’éclatement de la bulle immobilière et les imperfections de la transmission de la politique monétaire unique sur les taux d’intérêt des pays de la zone euro en crise sont autant de facteurs qui semblent indiquer que l’effet multiplicateur des restrictions budgétaires mises en œuvre par le gouvernement irlandais est certainement élevé. S’il n’existe pas d’évaluation économétrique de l’austérité irlandaise, le graphique 2 montre qu’il y a bien une corrélation entre l’impulsion budgétaire cumulée de l’Irlande entre 2008 et 2013 et l’écart de production. Ce dernier, qui mesure la distance entre le niveau observé du PIB et son potentiel est estimé à plus de 9 points par l’OCDE pour l’année 2013. Si la politique budgétaire ne peut être tenue seule responsable de cette situation, l’austérité aura contribué à creuser cet écart de production depuis 2011. Comparativement à la Grèce, au Portugal ou à l’Espagne, il se pourrait que les conséquences soient moins fortes en Irlande. La meilleure position de l’économie irlandaise en termes de compétitivité, en particulier de compétitivité hors-prix, la fiscalité avantageuse pour les entreprises multinationales ou la moindre exposition relative de l’Irlande aux autres pays de la zone euro peuvent contribuer à expliquer cette situation. La crédibilité du gouvernement irlandais aux yeux des marchés a par ailleurs sans doute été plus forte comme en témoigne la moindre envolée des taux. D’une part, le déficit budgétaire irlandais résulte plus de la crise bancaire et immobilière, qui a provoqué une forte récession, que de l’inefficacité du système fiscal ou d’une mauvaise gestion des dépenses publiques. L’Irlande dégageait d’ailleurs des excédents budgétaires avant la crise. D’autre part, l’Irlande a déjà fait l’expérience d’un épisode de consolidation budgétaire au cours des années 1980, ce qui a pu convaincre les marchés de la crédibilité du gouvernement à stabiliser ses finances publiques. Pour autant ces arguments n’indiquent pas que l’épisode de consolidation aurait eu un effet positif ou même nul. De fait, l’Irlande a bien connu une nouvelle récession en fin d’année 2012.

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Par ailleurs, l’analyse, réalisée dans le second rapport iAGS (independant Annual Growth Survey), en variante d’une stratégie alternative d’austérité budgétaire, montre que l’Irlande gagnerait (ou aurait gagné) en moyenne 1,2 point de croissance par an entre 2011 et 2015 si le gouvernement avait choisi d’étaler l’austérité dès 2011, c’est-à-dire de limiter les impulsions budgétaires à 0,5 % du PIB. Dans ces conditions, l’Irlande aurait évité une deuxième récession. Il est donc indéniable que la stratégie d’austérité budgétaire, telle qu’elle a été mise en œuvre en Irlande, a été coûteuse en termes de croissance. Il faut toutefois souligner que dans un scénario alternatif d’étalement de l’austérité dès 2011, la dette publique n’aurait pas atteint le seuil de 60% en 2032, date à laquelle les dettes publiques devraient converger puisque les règles budgétaires soulignent la nécessité de converger vers ce seuil de 60 % du PIB au rythme de 1/20e par an. Il y a donc bien un arbitrage entre les objectifs de consolidation et l’objectif de croissance et de plein-emploi.

Certes, l’Irlande s’en sort mieux que d’autres pays de la zone euro. Mais, il faudrait sans doute être aveugle pour considérer que la sortie du plan d’aide témoigne du succès de la politique d’austérité budgétaire. Les perspectives de croissance sont plus favorables en Irlande qu’elles ne le sont au Portugal, en Grèce ou même en Espagne et en Italie (voir ici les prévisions de l’OFCE pour la zone euro). Pour autant, cet argument ne doit pas faire oublier que le PIB par tête de l’Irlande est aujourd’hui inférieur de 12 % à ce qu’il était avant la crise. Le taux de chômage dépasse 12 % et les inégalités se creusent.

 


[1] Voir Heyer (ici) pour une synthèse de cette littérature.

[2] Un niveau élevé de chômage accroît les contraintes de liquidité des ménages.