Politique budgétaire et stabilité macroéconomique en union économique et monétaire : le cas de l’UEMOA

par Mamadou DIOP et Adama DIAW

L’idée selon laquelle la politique budgétaire est un outil efficace de la politique économique pour stimuler l’activité réelle n’est pas confirmée au plan empirique et ne fait pas l’unanimité au sein des économistes. L’article publié dans La Revue de l’OFCE (n°137-2014) soulève deux écueils majeurs de la politique des gouvernements de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) : le délai de mise en œuvre des mesures budgétaires et l’irréversibilité de certaines dépenses de consommation publique. Il s’agit, en effet, de la capacité à annuler certaines dépenses lorsqu’elles ne seront plus nécessaires pour la stabilisation de l’activité économique. Cette réversibilité de la politique budgétaire est, aujourd’hui, une condition nécessaire pour préserver la soutenabilité des finances publiques à moyen terme. Pour stabiliser la conjoncture d’un pays à partir de la politique budgétaire, il est important d’identifier parmi les dépenses publiques, celles qui affectent sensiblement l’activité économique, tout en tenant compte de leur délai de réaction. Tel est l’objet de cet article qui se propose d’évaluer l’impact des chocs budgétaires sur l’activité économique des Etats de l’UEMOA et de faire ressortir ainsi les canaux de transmission de leur politique budgétaire.




Fiscalité des ménages et des entreprises : à la recherche d’un consensus

par Henri Sterdyniak et Vincent Touzé

De 2010 à 2013, les prélèvements obligatoires en France ont augmenté de 60 milliards d’euros (soit de 3 % du PIB). La France se place au deuxième rang mondial pour le taux de prélèvements obligatoires. Un consensus semble exister pour estimer que la fiscalité française est non seulement lourde mais aussi injuste, compliquée et opaque. À la suite des mouvements de protestation liés à la mise en place de l’écotaxe, et plus généralement, de la hausse d’un sentiment de ras-le-bol fiscal, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a annoncé, le 19 novembre 2013 qu’il mettait en chantier une grande réforme fiscale. En 2014, le gouvernement a organisé des Assises de la fiscalité des entreprises et a mis en place un groupe de travail sur la fiscalité des ménages. Des mesures de baisses d’impôts ou de cotisations sociales ont été annoncées, sans pour autant prendre la forme d’une grande réforme fiscale, leur contrepartie étant des baisses de dépenses publiques non précisées.

Quels devraient être les contours d’une grande réforme de la fiscalité française ? Peut-on dégager des consensus entre économistes ? Peut-on faire la part de choix politiques qui appartiennent aux citoyens (comme le degré de progressivité de l’impôt, son caractère familial ou individuel), de choix de stratégie macroéconomique (la politique de l’offre versus celle de la demande), de débats plus techniques (Existe-t-il un double dividende ecologie/emploi ? Faut-il privilégier l’impôt unique ou maintenir de nombreux impôts incitatifs ?) ?

L’ensemble de ces questions fait débat au sein de la société mais aussi entre économistes. Aussi, dans le cadre de sa mission d’animation du débat public en économie, l’OFCE a-t-il organisé le 20 mai 2014 une conférence de consensus pour faire dialoguer économistes et fiscalistes et chercher à dégager des points d’accords et expliciter les désaccords. La Note de l’OFCE (n°45 du 26 septembre 2014) publie le compte-rendu des débats de  cette journée. Le premier a porté sur la fiscalité des entreprises, qu’il faut sans doute rendre moins  lourde et moins compliquée. Le deuxième sur la fiscalité écologique, qui doit impérativement monter en puissance. Le troisième sur la fiscalité des ménages dont la complexité actuelle masque l’importante redistributivité, de sorte qu‘une réforme simplificatrice serait utile, même si elle ne peut se traduire par des changements importants dans le degré de progressivité de l’impôt. Enfin, le dernier débat a exploré les enjeux de la fiscalité des revenus du capital  dont le rôle redistributif limite fortement les possibilités d’ajustement.




La croissance de la zone euro dépend-elle vraiment d’une hypothétique relance budgétaire allemande ?

par Christophe Blot et Jérôme Creel

Le débat sur les politiques économiques en Europe a été relancé cet été par Mario Draghi, lors du désormais traditionnel symposium de Jackson Hole, qui réunit notamment les principaux banquiers centraux de la planète. Malgré cela, il semble que les uns (Wolfgang Schaüble, Ministre allemand des finances) et les autres (Christine Lagarde, directrice du FMI) continuent de camper sur leurs positions : discipline budgétaire et réformes structurelles, d’un côté ; relance de la demande et réformes structurelles, de l’autre. La différence est certes ténue, mais elle a ouvert la voie à ce que Mme Lagarde a dénommé « des marges de manœuvre budgétaires pour soutenir la reprise européenne ». Elle vise en particulier l’Allemagne, mais a-t-elle effectivement raison ?

Dans l’interview accordée au quotidien Les Echos, Christine Lagarde déclarait que l’Allemagne « dispose très probablement de marges de manœuvre budgétaires pour soutenir la reprise européenne ». Force est de constater que la zone euro est toujours en panne de croissance (au deuxième trimestre 2014, le PIB est encore inférieur de 2,4 % à son niveau d’avant-crise, au premier trimestre 2008). Malgré les baisses de taux d’intérêt décidées par la BCE et les mesures exceptionnelles qu’elle continue de prendre, le moteur de la croissance européenne reste entravé par l’insuffisance de la demande à court terme, résultant principalement de politiques budgétaires globalement restrictives à l’échelle de la zone euro. Dans le contexte actuel, le soutien de la croissance par des politiques budgétaires plus expansionnistes se heurte aux contraintes budgétaires et à la volonté politique de poursuivre la réduction des déficits. Les contraintes budgétaires peuvent être réelles pour les pays très fortement endettés et ayant perdu l’accès au marché, telle la Grèce. Elles sont plutôt de nature institutionnelle pour les pays capables d’émettre des titres de dette publique à des taux historiquement très faibles, telle la France. Selon Mme Lagarde, l’Allemagne disposerait de marges de manœuvre faisant de cette économie le seul moteur potentiel de la reprise européenne. Une analyse plus fine des effets – internes et de débordement vers les partenaires européens – de la politique budgétaire invite toutefois à tempérer cet optimisme.

Les mécanismes qui fondent l’hypothèse d’une croissance tirée par l’Allemagne sont assez simples. Une politique budgétaire expansionniste outre-Rhin stimulerait la demande intérieure allemande, ce qui accroîtrait les importations et créerait des débouchés supplémentaires pour les entreprises des autres pays de la zone euro. En contrepartie, cependant, un tel effet pourrait être tempéré par une politique monétaire légèrement moins expansionniste : selon Martin Wolf, Mario Draghi n’a-t-il pas assuré que la BCE ferait tout ce qui est en son pouvoir pour assurer la stabilité des prix à moyen terme ?

Dans un document de travail récent de l’OFCE, nous avons tenté de capter ces différents effets, commerciaux et de politique monétaire, dans une maquette dynamique de la zone euro. Il en ressort qu’une impulsion budgétaire positive de 1 point de PIB en Allemagne pendant trois années consécutives (soit un plan de 27,5 milliards d’euros par an[1]), augmenterait la croissance de la zone euro de 0,2 point la première année. Cet effet n’est certes pas négligeable. Pour autant,  il résulte exclusivement de la stimulation dont bénéficierait la croissance allemande et non des effets de débordement vers les partenaires européens de l’Allemagne. En effet, et à titre d’exemple, l’augmentation de la croissance espagnole serait dérisoire (0,03 point de croissance seulement la première année). La faiblesse des effets de débordement s’explique simplement par la valeur modérée du multiplicateur budgétaire[2] en Allemagne. En effet, la littérature récente sur les multiplicateurs suggère que ceux-ci sont d’autant plus élevés que l’économie est en situation de basse conjoncture. Or selon les estimations d’écart de croissance retenues dans notre modèle, l’Allemagne ne serait pas dans ce cas si bien que la valeur du multiplicateur tomberait à 0,5 selon la calibration des effets multiplicateurs retenus pour nos simulations. Ainsi la croissance allemande augmentant de 0,5 point, l’effet de stimulation pour le reste de la zone euro est faible et dépend ensuite de la part de l’Allemagne dans les exportations de l’Espagne et du poids des exportations espagnoles dans le PIB espagnol. In fine, une relance allemande serait sans aucun doute une bonne nouvelle pour l’Allemagne mais les autres pays de la zone euro risquent d’être déçus comme ils le seront sans doute de la mise en œuvre du salaire minimum ainsi que le suggéraient Odile Chagny et Sabine Le Bayon dans un post récent, au moins à court terme. On peut certainement supposer qu’à plus long terme, la relance allemande contribuerait à augmenter les prix outre-Rhin, y dégradant la compétitivité et offrant ainsi un canal supplémentaire par lequel les autres pays de la zone euro pourraient bénéficier d’une plus forte croissance.

Et si le même montant d’impulsion budgétaire n’était pas utilisé en Allemagne, mais plutôt en Espagne où l’écart de croissance est plus important, qu’adviendrait-il ? De fait, la simulation d’un choc budgétaire équivalent (27,5 milliards par an pendant trois ans, soit 2,6 points de PIB espagnol) en Espagne aurait des effets bien plus bénéfiques, pour l’Espagne mais aussi pour la zone euro. Alors que dans le cas d’une relance allemande, la croissance de la zone euro augmenterait de 0,2 point les trois premières années, celle-ci augmenterait en moyenne de 0,5 point par an pendant trois ans dans l’éventualité d’une relance effectuée en Espagne. Ces simulations suggèrent que s’il faut relancer la croissance dans la zone euro, autant le faire dans les pays où le retard de croissance est le plus important. Il est plus efficace de dépenser des fonds publics en Espagne qu’en Allemagne.

A défaut de relâcher les contraintes budgétaires espagnoles, un plan de relance financé par un emprunt européen, et dont les principaux bénéficiaires seraient les pays les plus fortement touchés par la crise, serait sans aucun doute la meilleure solution pour que la zone euro s’engage enfin sur une trajectoire de reprise dynamique et pérenne. Les discussions françaises et allemandes autour d’une initiative pour l’investissement seront donc bienvenues. Espérons qu’elles puissent conduire à l’adoption d’un plan ambitieux pour relancer la croissance européenne.

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[1] La mesure est ensuite compensée de manière strictement équivalente de telle sorte que le choc correspond à un choc budgétaire transitoire.

[2] On rappelle que le multiplicateur budgétaire traduit l’impact de la politique budgétaire sur l’activité. Ainsi, pour un point de PIB de mesures budgétaires expansionnistes (respectivement restrictives), le niveau d’activité augmente (respectivement baisse) de k point.




Après la décision du Conseil constitutionnel, l’impossible fusion RSA-PPE

Par Henri Sterdyniak

En juin 2014, le gouvernement avait fait voter par le parlement une nouvelle disposition prévoyant la dégressivité des cotisations sociales salariés, afin d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés à bas salaires. Ainsi, un salarié payé au SMIC aurait bénéficié d’une réduction de 3 points de cotisations, soit un gain de 43 euros par mois, correspondant à une hausse de 4% de son salaire net. La ristourne devait ensuite diminuer avec le niveau de salaire horaire pour s’annuler à 1,3 fois le SMIC. Le 6 août 2014, le Conseil constitutionnel a décidé de censurer cette disposition. Cette censure est bienvenue pour trois raisons.

Comme le fait remarquer le Conseil constitutionnel, les cotisations salariés financent des prestations de retraites ou de remplacement, d’assurances sociales, réservées aux personnes ayant cotisé, et qui dépendent des cotisations versées. La mesure aurait brisé la logique contributive du système puisque des salariés auraient ainsi eu la possibilité de percevoir des droits sans avoir pleinement cotisé[1]. Le Conseil constitutionnel souligne la spécificité des cotisations sociales contributives et rappelle ainsi un principe sain de notre système de sécurité sociale. Il faut cependant remarquer que le Conseil constitutionnel ne s’était pas opposé aux mesures d’exonérations de cotisations sociales employeurs portant sur les cotisations retraite dont la logique est également contributive. Par contre, les exonérations de cotisations maladie ou famille sont plus légitimes puisque ces cotisations n’ouvrent pas de droits individuels. Mais, il n’est jamais trop tard pour corriger ses oublis.

La nouvelle mesure prévue par le gouvernement aboutissait une nouvelle fois à réduire les ressources propres de la Sécurité sociale. Les exonérations de cotisations sociales sont devenues la plus grande arme contre le chômage au détriment de l’objet même des cotisations : financer la Sécurité sociale. Certes, l’Etat aurait compensé ces exonérations, mais la Sécurité sociale aurait dépendu encore plus de transferts publics d’autant que cette mesure s’ajoutait, pour les seules années 2013 et 2014, à l’extension des réductions de cotisations sociales employeurs et aux transferts des ressources issues de la fiscalisation des majorations familiales de retraite et de la baisse du quotient familial.

Enfin, cette exonération aurait introduit une nouvelle complication pour les fiches de paie. Celles-ci comportent déjà une vingtaine de lignes de cotisations. De plus, les employeurs doivent calculer des exonérations de cotisations employeurs dégressives de 28 points au niveau du SMIC jusqu’à 1,6 fois celui-ci, auxquelles s’ajoute le Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) de 6 % pour les salaires inférieurs à 2,5 fois le SMIC. A partir de 2016, les cotisations familiales seront abaissées de 1,8 point pour les salaires inférieurs à 3,5 fois le SMIC. Fallait-il rajouter une nouvelle dégressivité, avec un nouveau plafond, de 1,3 fois le SMIC ?

Malgré cette censure, le gouvernement ne renonce pas à son objectif. Ainsi, dans un article du Monde daté du 21 août 2014, le Président François Hollande a-t-il annoncé une réforme « qui fusionnera la Prime pour l’emploi (PPE) et le Revenu de solidarité active (RSA) pour favoriser la reprise du travail et améliorer la situation des travailleurs précaires ». Une telle réforme permettrait-elle de remplir l’objectif du président ? Pour répondre à cette question, il est utile de revenir sur les dispositifs existants.

L’état des lieux

La France a mis en place un système particulièrement compliqué qui vise deux objectifs en partie contradictoires : aider les familles pauvres et inciter les travailleurs non-qualifiés à travailler.

L’aide aux ménages les plus pauvres comprend le RSA (un revenu minimum familialisé), la PPE (une allocation individualisée visant à inciter à l’emploi), les allocations-logement (une allocation familialisée) et des prestations familiales sous conditions de ressources (complément familial, allocation de rentrée scolaire). Malgré les efforts de Martin Hirsch, son promoteur, le RSA n’englobe pas la PPE et les allocations-logement. Il se compose d’une allocation de base : le RSA-socle (un revenu minimum, qui dépend de la composition familiale), qui est réduit de 38  euros pour 100 euros de revenu d’activité. Le RSA est versé mensuellement sur la base d’une déclaration trimestrielle de revenu. La PPE est, elle, versée automatiquement sur la base de la déclaration d’impôt sur le revenu, avec un an de décalage. Le RSA s’impute sur la PPE, de sorte qu’un ménage qui ne demande pas le RSA touche automatiquement la PPE.

Trois dispositifs visent spécifiquement à inciter à l’emploi les travailleurs à bas-salaires : les exonérations de cotisations employeurs qui diminuent le coût du travail au niveau du SMIC ; la PPE et le RSA qui augmentent le gain à l’emploi des travailleurs non-qualifiés.

Un célibataire payé au SMIC a droit à la PPE, mais pas au RSA (tableau 1). Il coûte 1 671 euros à son entreprise (pour 35 heures de travail) ; son salaire supporte 540 euros de cotisations, chômage ou retraite, représentant des salaires différés ; il reçoit un transfert net de 140 euros (PPE + allocation logement – CSG-CRDS –  cotisations maladie et famille) ; son revenu disponible est de 1 271 euros. Il ne supporte donc aucune charge fiscale nette ; son assurance maladie lui est offerte. Les exonérations de cotisations employeurs sont supérieures aux cotisations non-contributives. En jouant de l’ensemble des dispositifs existants, il est possible de dissocier le niveau de vie assuré aux travailleurs au SMIC du coût de leur travail.

Par contre, une famille mono-active (tableau 2) bénéficie du RSA tant que les revenus salariaux du ménage ne dépassent pas 1,65 fois le SMIC (tableau 2). Le RSA augmente les revenus des ménages les plus pauvres, il accroît les gains à l’emploi du premier actif, mais réduit un peu celui du deuxième (tableau 3). La PPE bénéficie à des familles bi-actives qui sont au-delà du seuil de pauvreté (défini comme 60 % du revenu médian).

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Les limites du système actuel

L’allègement des cotisations employeurs ; la PPE et le RSA créent une catégorie de salariés mal payés, dont les hausses de salaires sont très coûteuses pour l’employeur et peu rentables pour le salarié. Une hausse de 10 % du salaire d’un travailleur au SMIC (145 euros) coûte 242 euros à l’entreprise et rapporte 53 euros au salarié. Les entreprises sont incitées à créer des emplois non-qualifiés spécifiques, sans possibilité d’évolution pour les salariés, coincés dans une trappe à bas salaires. La réduction des cotisations sur les bas salaires ne favorise pas l’emploi de travailleurs qualifiés qui connaissent eux aussi un certain chômage. Les emplois créés ne correspondent pas à la qualification croissante des jeunes. Il serait donc nécessaire de revoir la cohérence de l’ensemble du dispositif. Pour autant, la persistance d’une masse importante de travailleurs non-qualifiés et la volonté de ne pas faire baisser le niveau de vie des travailleurs pauvres ne permettent guère actuellement de prendre le risque de supprimer les dispositifs existants.

Le calcul de la PPE est compliqué ; son versement intervient avec une année de retard, de sorte que son effet incitatif est sans doute très faible. Cette prime bénéficie à des salariés au-delà du seuil de pauvreté plutôt qu’aux familles les plus pauvres. En même temps, sa suppression diminuerait de 6% le niveau de vie des smicards, ce qui n’est pas envisageable.

Le taux de non-recours du RSA-activité est très important (de l’ordre de 68 %)[2]. Les travailleurs à bas salaires refusent d’être soumis à un suivi permanent pour toucher une prestation d’un montant relativement réduit. En raison de l’effet de stigmatisation dont sont victimes les titulaires du RSA, ils ne veulent pas être confondus avec des bénéficiaires du RSA-socle.

Le RSA fournit une allocation de l’ordre de 110 euros par enfant aux familles avec 1 ou 2 enfants au niveau du SMIC, allocation qui comble un manque de notre système, qui était peu généreux pour les familles de travailleurs pauvres. Mais cette allocation n’est pas versée aux familles de chômeurs. Il faudrait verser ces 110 euros sous forme d’un complément familial à toutes les familles pauvres avec 1 ou 2 enfants (celles à 3 enfants et plus ayant déjà un complément familial et des allocations plus généreuses) quelle que soit l’origine des revenus.

Le RSA n’est pas versé aux jeunes de moins de 25 ans alors que ceux-ci ont des difficultés particulières d’insertion.

Que faire ?

La France ayant déjà un grand nombre d’allocations et de prélèvements, il est possible de cibler précisément la mesure selon l’objectif visé. Plusieurs mesures sont envisageables :

Augmenter les prestations familiales

Si l’objectif est d’augmenter le pouvoir d’achat des familles pauvres, le plus simple est d’augmenter nettement les prestations familiales et l’allocation logement. Au contraire, le gouvernement a décidé de suspendre leur indexation en 2014 ou en 2015, leur infligeant ainsi des pertes de pouvoir d’achat, heureusement limitées par la faiblesse de l’inflation. Mais, la doctrine dominante aujourd’hui est qu’il faut inciter à l’emploi, donc augmenter les salaires nets plutôt que les prestations.

Baisser l’impôt sur le revenu

Les familles pauvres ne payant pas d’impôt sur le revenu, une baisse de celui-ci ne peut les concerner.

Rendre la CSG progressive

Comme le montre le tableau 1, un travailleur au SMIC paie 114 euros de CSG-CRDS et reçoit 79 euros de PPE. Ne pourrait-on compenser la suppression de la PPE en rendant la CSG progressive, ce qui permettrait d’exonérer les travailleurs au SMIC et d’augmenter le salaire perçu chaque mois par les smicards ? Avec justesse, le Conseil constitutionnel considère que tout impôt progressif doit être familialisé et doit prendre en compte l’ensemble des revenus de la famille. Une vraie progressivité de la CSG est donc pratiquement impossible à mettre en œuvre puisque les employeurs et organismes financiers devraient connaître la situation familiale de leurs salariés ou clients et l’ensemble de leurs revenus, donc refaire chacun le travail du fisc. Cela n’aurait de sens que dans le cadre d’une fusion CSG-IR, qui n’est pas envisageable à court terme.

Aussi, ne peut-on envisager qu’une progressivité réduite. Chacun aurait droit à un abattement de l’ordre de 1 445 euros par mois sur le montant de revenu soumis à la CSG-CRDS ; le conjoint sans ressources propres pourrait transmettre son droit à abattement à l’autre conjoint ; les enfants à charge donneraient droit à un abattement de moitié. En contrepartie, la PPE serait supprimée ; les retraités et les chômeurs pourraient être soumis à la même CSG que les salariés. Mais le coût de l’abattement serait énorme et il faudrait en contrepartie faire passer à 15% le taux de la CSG sur les revenus supérieurs à l’abattement. Il faut donc abandonner cette piste.

La fusion de la PPE et du RSA

La fusion de la PPE et du RSA est la piste proposée par le Président de la République. Mais, le diable est dans les détails : comment réaliser cette fusion ?

En 2013, le rapport du député Christophe Sirugue avait proposé une réforme consistant à créer une Prime d’activité qui remplacerait le RSA-activité et la PPE (voir l’analyse critique de Guillaume Allègre : Faut-il remplacer le RSA-activité et la PPE par une Prime d’activité ? Réflexions autour du rapport Sirugue, 2013) Mais, comme le RSA-socle persisterait, les familles à très bas salaires devraient solliciter deux allocations : le RSA-socle et la Prime d’activité. Le système serait compliqué pour elles. Le barème de la prime d’activité prévu dans le rapport Sirugue était arbitraire, avec des pentes et un pic à 0,7 SMIC qui n’avaient aucune justification. Le système était ainsi plus compliqué et plus arbitraire que celui du RSA et n’apportait pas d’améliorations fortes par rapport au système existant. La mesure proposée était coûteuse pour les familles mono-actives (certaines perdaient 10% de revenus). Le risque était que la prime d’activité souffre du même taux de non-recours que la PPA et que certaines familles perdent la PPE sans vouloir recourir à la Prime d’activité[3].

Une fusion qui aboutirait à une prestation familialisée versée par la CAF ferait courir le risque d’un taux élevé de non-recours et ferait des perdants parmi les ménages bi-actifs avec enfants. Une fusion qui aboutirait à une allocation versée sur la fiche de paie ne prendrait pas en compte les enfants et le conjoint, nuirait aux travailleurs à temps partiel et poserait des questions de cohérence avec le RSA socle.

Bref, la fusion est une piste délicate (sinon impossible) à mettre en œuvre.

Augmenter le SMIC[4]

Si l’objectif est d’augmenter le niveau de vie des salariés à bas salaires, la mesure évidente est d’augmenter le SMIC. Une hausse d’environ 10% permettrait de supprimer la PPE et de fournir aux smicards une hausse de revenu équivalente à celle qu’aurait procurée la mesure censurée par le Conseil constitutionnel. Certes, on renoncerait à aider spécifiquement les emplois à temps partiel, comme le fait la PPE, mais cette aide spécifique est trop compliquée pour avoir le moindre effet incitatif. Une hausse du salaire net est sans doute préférable.

Il faut cependant souligner qu’une augmentation du SMIC ne bénéficierait pas assez aux familles pauvres avec un ou deux enfants, en particulier aux familles de chômeurs, Il faudrait alors aider spécifiquement les familles de travailleurs pauvres (entre le RSA-socle et 2 fois le SMIC), en introduisant un complément familial de l’ordre de 80 euros pour un enfant, de 160 euros pour deux enfants

Le RSA-activité doit être maintenu, puisqu’il permet que toute activité se traduise effectivement par une hausse du revenu disponible mais son rôle serait réduit et, grâce à l’extension du complément familial, le non-recours aurait moins de conséquences pour les familles avec enfants.

Par ailleurs, il  faudrait créer une allocation d’insertion, du montant du RSA, pour les jeunes à la recherche d’un emploi, n’ayant pas de droit à l’indemnité chômage, allocation soumise à des cotisations retraites.

Reste que, dans la situation actuelle, où la baisse du coût du travail est un des axes majeurs de la politique gouvernementale, on ne peut augmenter le coût du travail non-qualifié, de sorte que deux modalités sont possibles.

Soit, la compensation pour les employeurs se fait par une hausse des exonérations de cotisations sur les bas-salaires (qui devraient passer de 28 à 34,6%), ce qui n’introduit pas un dispositif supplémentaire. Mais, les exonérations de cotisations employeurs porteront sur des cotisations contributives, ce qui pourrait susciter l’ire du Conseil constitutionnel.

Soit, la hausse du SMIC se fait par une PPE figurant sur la fiche de paie, celle-ci étant explicitement reconnue comme prime, ce qui implique que le taux de prélèvement obligatoire augmentera, mais aussi que le Conseil constitutionnel ne pourra s’y opposer, avec l’inconvénient que la prime sera dégressive avec le niveau du salaire horaire, donc représentera une charge administrative supplémentaire pour les entreprises.

On le voit, il n’y a pas de solutions simples.

 

 


[1] Le Conseil écrit :  «  un même régime de sécurité sociale continuerait, en application des dispositions contestées, à financer, pour l’ensemble de ses assurés, les mêmes prestations malgré l’absence de versement, par près d’un tiers de ceux-ci, de la totalité des cotisations salariales ouvrant droit aux prestations servies par ce régime ; que, dès lors, le législateur a institué une différence de traitement, qui ne repose pas sur une différence de situation entre les assurés d’un même régime de sécurité sociale, sans rapport avec l’objet des cotisations salariales de sécurité sociale ».

[2] Selon P.  Domingo et M. Pucci, 2012, « Le non-recours au revenu de solidarité active et ses motifs », annexe n° 1 du rapport du Comité national d’évaluation du Rsa.

[3] Le Rapport sur la fiscalité des ménages de François Auvigne et Dominique Lefebvre, 2014, pointe lui-aussi les déficiences du projet.

[4] C’est déjà la stratégie préconisée par Allègre (2014).