Que nous apprennent les données macro-sectorielles sur les premiers effets du CICE ? Evaluation pour la période 2014-2015t2

Par Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Mathieu Plane

A la suite de la remise du Rapport Gallois sur le Pacte de compétitivité pour l’industrie française, le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE) a été instauré par la loi du 29 décembre 2012. Il s’agit d’un crédit d’impôt qui permet à une entreprise de déduire de son impôt sur les bénéfices une somme égale à 6 % des salaires bruts (hors cotisations sociales patronales) versés aux salariés dont la rémunération est inférieure ou égale à 2,5 fois le SMIC.

Dans une étude que nous venons de publier (Document de travail OFCE, n° 2015-29), nous utilisons l’information contenue dans les comptes nationaux trimestriels jusqu’au deuxième trimestre 2015 pour 16 branches de l’économie française afin d’obtenir une première analyse des effets du CICE sur l’économie.

Les premiers résultats indiquent que le CICE contribuerait depuis sa mise en place à deux effets significatifs concernant les salaires et l’emploi. Les branches ayant reçu le plus de CICE ont vu une augmentation relative de leurs salaires et davantage de créations ou de sauvegardes d’emplois. Nous trouvons également un effet relatif négatif sur les prix de valeur ajoutée (effet compétitivité-coût) mais cet effet nous semble plus fragile à ce stade, car il nécessite pour être significatif d’exclure trois branches de l’estimation (secteur non marchand, services à la personne, services immobiliers).

Ainsi, selon les résultats de nos estimations sur les 16 branches, pour un montant de CICE équivalent à 1% de la masse salariale, l’emploi d’une branche relativement aux autres branches augmenterait de 0,5% et les salaires augmenteraient de 0,7%. Enfin, à partir des résultats des estimations réalisées simultanément, nous pouvons quantifier ces effets relatifs interbranches, qui seraient de 1,1% pour les salaires et de 120 000 pour l’emploi (création ou sauvegarde).

Mais attention, ces effets relatifs ne doivent pas être interprétés comme un impact macroéconomique global du CICE. Plus précisément, la méthode d’évaluation ne permet ni de déterminer les effets macroéconomiques à moyen et long terme du CICE, ni de donner une répartition précise de son affectation entre hausse des salaires et de l’emploi, baisse des prix et restauration des marges des entreprises. En effet, cette méthode ne prend pas en compte l’ensemble des canaux de diffusion du CICE sur l’économie. Or ceux-ci sont de plusieurs ordres : la baisse des prix de valeur ajoutée dans une branche peut se répercuter sur d’autres branches utilisatrices ; les effets positifs du CICE à attendre sur l’activité peuvent se traduire par un surcroît d’emplois et de salaires non mesuré ici (effet de bouclage macroéconomique) ; à contrario, les effets négatifs du financement du CICE via une hausse des impôts et une moindre progression de la dépense publique peuvent peser sur l’activité, l’emploi, les salaires et les prix (effet de financement de la mesure). Plus généralement, l’ensemble des travaux portant sur des données par branche ou microéconomiques ne sera pas à même d’évaluer les effets macroéconomiques du CICE.

Une prochaine étape consistera à intégrer ces élasticités estimées par branche dans des simulations réalisées à l’aide d’un modèle macro-sectoriel de façon à prendre en compte les effets du bouclage macroéconomique, des interdépendances sectorielles et du financement de la mesure. En utilisant le modèle multisectoriel d’équilibre général dynamique ThreeME développé à l’OFCE, et qui intègre notamment des effets tels que ceux du commerce extérieur ou les relations interbranches, il sera possible de présenter les effets macroéconomiques ex post du CICE sur l’emploi, les salaires et les prix, mais aussi sur l’activité économique, les taux de marge, l’investissement et le commerce extérieur.

 

 




Des faubourgs de Londres à l’embrasement mondial : une brève histoire des émissions

Par Aurélien Saussay

Une nouvelle carte interactive des émissions mondiales de CO2 de 1750 à 2010 permet de mieux comprendre les responsabilités historiques des différentes régions du globe dans la crise climatique.

La COP 21 s’est conclue le 12 décembre 2015 sur un accord historique. Alors que 195 pays viennent de s’accorder sur la nécessité de limiter le réchauffement de la planète à 2 degrés à la fin du siècle, c’est le moment de revenir en arrière sur l’histoire des émissions de CO2 depuis le début de la révolution industrielle. Jusqu’à la fin des négociations, la question de la responsabilité historique des différents pays est restée l’un des principaux obstacles sur le chemin d’un accord mondial sur le climat. Les pays émergents, d’industrialisation récente, et les pays en voie de développement qui entament tout juste leur décollage économique refusent avec raison de fournir des efforts comparables aux pays développés.

Ce sentiment est validé par une nouvelle carte interactive retraçant 260 années d’émissions de CO2 issues de la combustion d’énergie fossile et de la production de ciment à la surface de la planète[1]. Cette carte permet d’explorer les émissions de chaque pays et leur répartition dans l’espace au cours des deux derniers siècles de façon interactive, tant dans leur totalité que par habitant. Elle permet également de suivre l’évolution des émissions mondiales et la consommation progressive du budget carbone permettant de limiter le réchauffement en deçà de 2 degrés.

 

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En combinant des données historiques d’émissions par pays issues du CDIAC  (de 1750 à 2010) avec des données de densité de population décennales produites par le projet européen HYDE (de 1750 à 2010 également), il est possible d’estimer la répartition des émissions dans l’espace et dans le temps à la surface du globe – sur une grille d’une résolution de 5’ d’arc (5’ étant égal à 1/12e de degré, soit environ 10 km par 10 km à l’équateur).

Cette carte interactive illustre les contributions de chacune des régions du globe depuis le milieu du XVIIIe siècle – et offre du même coup un récit saisissant de la diffusion progressive de la révolution industrielle au cours des deux derniers siècles.

Ces données illustrent de nombreux points clés pour mieux comprendre le débat sur les responsabilités historiques différenciées :

– Jusqu’au milieu du 20e siècle, seuls l’Europe et les États-Unis (et, dans une moindre mesure, le Japon) contribuent de manière significative aux émissions globales.
– Ce n’est que ces 30 dernières années que le reste du monde s’est « allumé », Chine en tête.
– A la faveur de l’accélération de la croissance économique dans les pays émergents, les émissions se sont emballées ces quinze dernières années.
– Pondérées par la distribution de la population mondiale, les émissions apparaissent très concentrées dans l’espace. Des données plus fines encore, utilisant notamment la localisation des centrales thermiques et des usines de production les plus énergivores (ciment, aluminium, papier par exemple) renforceraient encore ce constat.

Cette brève histoire des émissions de CO2 à travers le globe nous rappelle la responsabilité particulière des pays occidentaux dans la lutte contre le réchauffement climatique. La précocité de la révolution industrielle y a certes permis un décollage économique bien antérieur au reste du monde, mais a également conduit à émettre une part disproportionnée du budget total d’émissions auquel nous avions droit pour ne pas dépasser l’objectif d’un réchauffement limité à deux degrés.

Reconnue par l’Accord de Paris, cette responsabilité historique différenciée impose aux pays occidentaux un effort particulier dans la lutte contre le réchauffement climatique. Cette responsabilité doit se traduire par un effort accru en matière de transferts financiers et technologiques pour s’assurer que l’émergence des pays en voie de développement limite au maximum le recours aux énergies fossiles, sans pour autant entraver leur décollage économique.

 


[1] Ces émissions n’incluent pas les émissions issues des modifications d’utilisation des sols (LUCLUF) ou de l’utilisation des engrais. Il est malheureusement très difficile de reconstituer ces émissions sur l’ensemble de la période considérée.




Plan Juncker : donnez-moi un levier et je soulèverai le monde

par Aurélien Saussay

Dans son récent rapport annuel sur la croissance en Europe, l’Annual Growth Survey 2016, la Commission européenne se félicite des avancées réalisées au cours de l’année écoulée dans la mise en place du Plan Juncker. Lancé au premier semestre 2015, ce plan vise à mobiliser 315 milliards d’euros de 2015 à 2017 afin de compenser le déficit d’investissements privés comme publics dont souffre l’Union européenne depuis la crise de 2008. Le plan Juncker est le troisième pilier de la stratégie européenne (avec les réformes structurelles et la discipline budgétaire), et l’atout maître de la « commission de la dernière chance » selon l’expression du Président Juncker.

Les premières annonces avaient suscité l’espoir que les projets financés dans le cadre du Plan pourraient faire exception à la discipline budgétaire européenne – discipline en partie responsable de l’effondrement de l’investissement en Europe depuis la crise des dettes souveraines. Il n’en est rien : ces investissements ne découleront pas de l’application d’une règle d’or des finances publiques dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance appelée par beaucoup. En réalité, seuls 21 milliards sont mobilisés conjointement par le budget européen – donc les pays membres – et la Banque européenne d’investissements (BEI). C’est l’effet de levier qui doit ensuite venir multiplier cette mise de départ pour remplir les objectifs du Plan. D’après les projections de la Commission, les 21 milliards initiaux donneront lieu à 63 milliards de prêts (x 3), qui devraient à leur tour entraîner le secteur privé à réaliser les 315 milliards d’investissements annoncés (x 5, soit au total x 15).

Les investissements seront réalisés par le Fonds européen pour les investissements stratégique (FEIS), nouvelle structure portée par la BEI, en lien avec son Fonds européen pour l’investissement (FEI). En définitive, le Plan Juncker s’apparente à une recapitalisation de la BEI, comme cela s’était déjà produit en 2009 (67 Mds€) et 2012 (60 Mds€). La première de ces opérations avait conduit à une augmentation sensible du volume de prêts octroyés – mais celle-ci fut de courte durée : dès 2012, la BEI avait retrouvé son rythme moyen d’opérations d’avant-crise. Quant à la seconde recapitalisation, elle a certes permis de porter l’activité de la BEI au-delà des 60 milliards d’euros annuels en 2013 et 2014, mais au prix d’une augmentation de la part des lignes de crédits dans l’activité totale, au détriment du financement de projets – objectif central du plan Juncker.

Le succès du plan suppose que la BEI parvienne à débourser plus de 60 milliards d’euros supplémentaires en 3 ans. Mais surtout, il repose de manière cruciale sur l’hypothèse d’un effet de levier agrégé de 15 pour 1. L’analyse détaillée de l’ensemble des projets financés par la BEI entre 2000 et 2014, publiée dans le chapitre 1 de l’iAGS 2016, révèle combien cette hypothèse est optimiste. Alors que son activité s’est accrue de plus de 50 % au cours de cette période, l’effet de levier moyen sur les projets financés par la BEI est passé de 3,8 avant la crise à 3,2 en 2013-2014. Ce chiffre est à comparer au levier de 5 pour 1 avancé par la Commission pour le Plan Juncker ; levier qui sera difficile à réaliser.

Par ailleurs, à ce jour, de l’aveu même de la BEI, seuls 1,4 milliard d’euros ont été déboursés par le FEIS depuis sa création en juillet 2015. A ce rythme, 12,6 milliards d’euros seraient financés sur une période de trois ans – loin des 63 milliards annoncés dans les projections de la Commission. Sur la base du levier historique moyen, le plan Juncker pourrait au final ne conduire qu’à 40 milliards d’investissements, au lieu des 315 milliards annoncés.

Il est encore trop tôt pour juger de la réussite ou de l’échec du Plan Juncker. Mais les premiers signes observés, ainsi que l’historique de l’utilisation de la BEI comme vecteur d’intervention contra-cyclique par la Commission européenne conduisent à la prudence. Pour que le Plan Juncker soit une réussite, il serait nécessaire d’accélérer sensiblement le rythme de déboursement des fonds octroyés au FEIS et d’obtenir un levier moyen sur l’ensemble de ces fonds nettement supérieur à ce qui a pu être observé au cours des quinze dernières années. Deux conditions qui ne semblent pas remplies à ce jour.




Après l’Accord de Paris, sortir de l’incohérence climatique

Par Eloi Laurent

S’il fallait résumer d’une formule la teneur des 32 pages de l’Accord de Paris (et des décisions afférentes) adopté le 12 décembre 2015 par la COP 21, on pourrait dire que jamais l’ambition n’a été aussi forte mais que jamais la contrainte n’a été aussi faible. C’est l’arbitrage fondamental du texte et sans doute était-ce la condition de son adoption par tous les Etats de la planète. On pensait que l’enjeu, à Paris, serait d’étendre aux pays émergents, à commencer par la Chine et l’Inde, les engagements contraignants acceptés à Kyoto voilà dix-huit ans par les pays développés. C’est exactement l’inverse qui s’est produit : sous l’impulsion du gouvernement américain, qui aura dominé de bout en bout et jusqu’à la dernière minute ce cycle de négociations (dont l’UE a été cruellement absente), tous les pays se trouvent désormais de fait hors de l’Annexe 1 du Protocole de Kyoto, libérés de toute contrainte juridique quant à la nature de leurs engagements dans la lutte contre le changement climatique, qui se résument à  des contributions volontaires qu’ils déterminent seuls et sans référence à un objectif commun.

Ce faisant, l’Accord de Paris fait apparaître une nouvelle variable climatique, dont on pourra suivre avec précision l’évolution au cours des prochaines années : le facteur d’incohérence, qui met en rapport objectifs et moyens. Au terme de la COP 21, ce ratio situe dans une fourchette qui va de 1,35 à 2 (la cible climatique choisie, indiquée à l’Article 2, est comprise entre 1,5 et 2 degrés tandis que la somme des contributions nationales volontaires visant à l’atteindre conduit à un réchauffement de 2,7 à 3 degrés). La question qui s’impose aujourd’hui est donc la suivante : comment sortir de l’incohérence climatique en alignant les moyens déployés sur les ambitions déclarées (et ramener le facteur d’incohérence climatique à 1) ?

Les réponses à cette question ont à vrai dire été formulées lors des deux semaines de la COP 21 mais elles n’ont pas survécu aux tractations entre Etats et ne figurent donc pas dans le texte final sous une forme opérationnelle. Elles sont au nombre de trois : la justice climatique, le prix du carbone et la mobilisation des territoires.

La justice climatique, dont l’importance décisive a été soulignée à juste titre notamment par le Président français dès son discours d’ouverture (« C’est au nom de la justice climatique que je m’exprime aujourd’hui devant vous »), fait l’objet d’un contresens dans le texte de l’Accord : alors qu’il ne mentionne qu’une fois le terme « justice », celui-ci dispose que les parties reconnaissent « l’importance pour certains de la notion de justice climatique ». Tout le point de la justice climatique est précisément qu’elle ne concerne pas certaines nations mais toutes, ensemble. Tout reste donc à faire sur ce terrain, et notamment sur la question de la répartition des efforts d’atténuation et d’adaptation.

La nécessité de donner un prix au carbone (et donc de lui conférer une valeur sociale), dont l’affirmation croissante aura été mise en lumière dès l’inauguration de la COP 21 sous l’égide d’Angela Merkel et du nouveau gouvernement canadien, figurait encore dans l’avant-dernière version du texte. Elle a disparu de la dernière mouture (sous la pression combinée de l’Arabie Saoudite et du Venezuela). Il ne fait pourtant pas de doute que c’est en internalisant le prix du carbone que l’on mettra le système économique au service de la transition climatique. Mais il semble à ce stade que les Etats aient choisi d’externaliser cette fonction d’internalisation au secteur privé. Il leur faudra vite reprendre la main, au plan interne et mondial.

Enfin, le rôle essentiel des territoires, à la fois pour compenser les insuffisances des Etats et pour constituer des laboratoires de l’économie bas-carbone, est trop rapidement et vaguement mentionné dans l’Accord. Le sommet organisé par la Mairie de Paris le 4 décembre a pourtant bien montré que les villes, les métropoles et les régions sont devenues des acteurs à part entière de la lutte contre le changement climatique, renouant avec l’esprit du sommet de Rio de 1992. Il faudra mettre en place, au plus vite, une véritable instance de coopération entre les territoires et les Etats nations, en France et ailleurs, pour faire vivre l’Accord de Paris.

On le voit bien à la lumière de ces trois enjeux déterminants, la critique la plus sévère que l’on peut adresser à un accord d’architecture, qui est un programme d’intentions plutôt qu’un véritable plan d’action, est de n’être pas assez évolutif et dynamique et de ne pas davantage anticiper ses propres insuffisances et son dépassement futur en ouvrant la voie à de nouveaux principes, de nouveaux instruments et de nouveaux acteurs. En outre, comment comprendre qu’il faille patienter jusqu’en 2020 pour sa mise en œuvre, alors que les signes du dérèglement climatique sont partout visibles ?

Le desserrement de cette contrainte temporelle viendra peut-être du grand pays qui s’est montré le plus constructif avant et pendant la COP 21 : la Chine. C’est de Chine qu’est venue, cinq jours avant la conclusion de l’Accord, la meilleure nouvelle climatique depuis l’annonce du ralentissement de la déforestation amazonienne au cours de la décennie 2000 : les émissions mondiales de CO2, après avoir connu une quasi-stabilisation en 2014, devraient légèrement diminuer en 2015. Cette atténuation tient à leur fléchissement en Chine sous l’effet combiné de la décélération économique (la sortie choisie de l’hyper-croissance) et de la dé-carbonisation de la croissance (liée à la moindre consommation de charbon). Cette baisse elle-même s’explique par la pression de plus en plus forte des Chinois sur leur gouvernement, car ils ont compris que le développement économique de leur pays est en train de détruire le développement humain de leurs enfants. On peut donc espérer que la Chine contienne les émissions mondiales dans les cinq années qui nous séparent de 2020 et rende l’attente de l’Accord de Paris plus supportable. A condition de la mettre à profit pour sortir de l’incohérence climatique.




La loi SRU et les quotas de logements sociaux : 15 ans après, quel bilan ?

par Sandrine Levasseur

Le 13 décembre 2015, la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains, dite loi SRU, fête ses 15 ans. Son article le plus connu, l’article 55, est aussi le plus important et le plus ambitieux puisqu’il enjoint les « grandes » communes d’accueillir au moins 20 % de logements sociaux sur leur territoire à l’horizon de 2022. Cet article de loi, plutôt controversé, a fait l’objet de multiples tentatives de détricotage durant les années 2000. Il a finalement été renforcé dans le cadre de la loi ALUR, à la fois dans ses objectifs (les quotas ayant été portés à 25 %  à l’horizon 2025 dans un certain nombre de villes) et dans ses moyens (les communes contrevenantes perdant une partie de leurs prérogatives qui reviennent au préfet). Quinze ans plus tard, quel bilan peut-on tirer de la loi SRU et de ses quotas de logements sociaux ? La Note de l’OFCE (n° 54 du 14 décembre 2015) dresse un bilan mitigé de l’article 55 de la loi SRU.

En termes quantitatifs, un nombre important de communes concernées par la loi SRU n’a toujours pas atteint le quota de 20 % de logements sociaux : cela concerne 1 021 communes sur un total de 1 911 (soit 53 %). En outre, au rythme de construction de logements sociaux observé lors des quinze dernières années, il est évident que l’objectif de 20 % n’aurait pu être atteint à l’horizon de 2022 pour un certain nombre de ces communes. A titre d’exemple, en Île-de-France, l’objectif de 20 % n’aurait été atteint, en moyenne, qu’en 2032, soit avec dix ans de retard ! Dans ce contexte, atteindre l’objectif de 25 % de logement sociaux à l’horizon de 2025 ressemble à une gageure…

Les communes concernées par la loi SRU font face à diverses difficultés en vue de combler leur retard en termes de construction de logements sociaux. Certaines difficultés sont clairement objectives (e.g. rareté du foncier sur le territoire communal, contraintes géographiques) mais d’autres sont aussi construites ou fantasmées. Ainsi, dans certaines communes, il peut être difficile de distinguer ce qui relève du refus de la population locale d’accueillir des logements sociaux de ce qui relève de la peur du maire de perdre son électorat au cas où il accueillerait des logements sociaux. La conséquence de ces difficultés, objectives ou non, est le versement d’un prélèvement pour les communes n’engageant pas suffisamment de dépenses en faveur du logement social[1]. Dans les communes pour lesquelles un constat de carence a été dressé faute d’avoir satisfait l’objectif intermédiaire de construction de logements sociaux, nos calculs montrent que le prélèvement (brut) moyen est d’environ 170 000 euros annuels, soit l’équivalent de 144 euros par habitant chaque année. Puisque le prélèvement est modulé de façon à tenir compte des difficultés objectives à construire du logement social, son montant suggère qu’il a un caractère très peu incitatif dans certaines communes. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer les mesures coercitives prises à l’encontre de 36 communes en octobre 2015. Ces mesures consistent peu ou prou en une mise sous tutelle préfectorale puisque, entre autre chose, le préfet se substitue au maire pour l’octroi des permis de construire et voit son droit de préemption étendu aux logements en sus des terrains.

Caractère très peu incitatif dans certaines communes, rythme de construction insuffisamment soutenu dans d’autres pour atteindre le quota de 20 % : l’article 55 de la loi SRU aurait donc failli ? Répondre par l’affirmative, ce serait oublier son effet pédagogique auprès de nombreux élus et de leurs électeurs ; ce serait oublier la prise de conscience qu’il a suscité autour de la nécessité de construire du logement social. Même dans les communes les plus récalcitrantes à l’accueil de logements sociaux, la nécessité de construire du logement social fait son chemin, certes souvent à grand renfort de médiatisation. Dans ces communes, la mise sous tutelle préfectorale va probablement constituer une étape supplémentaire dans la prise de conscience de la nécessité de participer à la mixité sociale.

 


[1] Pour atteindre l’objectif de 20 % de logements sociaux à l’horizon de 2022 (dorénavant 25 % à l’horizon 2025), chaque commune concernée par l’obligation de rattrapage se voit assigner un objectif triennal intermédiaire de construction de logements sociaux. A l’issue des trois ans, un bilan est dressé, un prélèvement brut (tenant compte du nombre de logements sociaux manquants et de la richesse de la commune) est calculé. En outre, dans les communes n’ayant pas atteint l’objectif triennal, un constat de carence peut être dressé et le prélèvement peut être majoré. Voir la Note de l’OFCE, n°54 du 14 décembre 2015 pour plus de détails.




Notre maison brûle, et nous ne regardons que Paris

par Paul Malliet

Alors que la 21e Conférence des Parties, la COP 21, a débuté la semaine dernière, tous les regards sont braqués sur Paris dans l’attente d’un accord  global ambitieux qui permettrait de limiter la hausse de la température moyenne mondiale à 2°C et de mener les Etats  à s’orienter très rapidement sur le chemin d’une décarbonisation rapide de leurs économies. Toutefois il est une autre bataille qui se mène actuellement et qui est passée sous silence alors que ses conséquences sont d’une ampleur catastrophique.

Les forêts primaires et les tourbières d’Indonésie, principalement localisées sur les îles de Sumatra et de Kalimantan (et considérées comme l’un des trois poumons verts de la planète) ont été ravagées par le feu pendant plusieurs mois, conséquence d’une saison sèche plus longue que prévue, elle-même alimentée par le phénomène El Niño d’une ampleur rarement observée[1], mais également et surtout par la poursuite des pratiques de culture sur brûlis, pourtant illégales, afin de déboiser des terres nécessaires à l’extension de la culture de l’huile de palme.

Ce sont ainsi 1,62 Gigatonnes de CO2 qui ont été relâchées dans l’atmosphère en l’espace de quelques semaines, triplant les émissions annuelles de l’Indonésie et faisant passer ce pays du 6e au 4e plus gros émetteur mondial derrière la Chine, les Etats-Unis, l’Inde et devant la Russie[2]. A titre de comparaison, cela représente près de 5 % des émissions mondiales pour l’année 2015.

Pourtant la question de la déforestation était centrale dans la contribution de l’Indonésie à l’effort global de réduction des émissions de gaz à effet de serre, puisque elle représente plus de 80 % de l’effort consenti[3] jusqu’à présent. De surcroît, dans le cadre du mécanisme onusien REDD+ (Reduction Emissions from Deforestation and Forest Degradation) lancé en 2008, l’Indonésie bénéficiait d’un financement international depuis 2011 de 1 milliard de dollars pour lutter justement contre la déforestation et pour promouvoir une gestion durable des forêts.

Or, faute d’une réponse rapide et significative qui aurait sans doute pu limiter les incendies, c’est cet effort qui est littéralement parti en fumée ces derniers mois. Trois éléments d’explication peuvent être avancés à ce stade. Le premier relève des capacités matérielles propres à l’Indonésie lui permettant de répondre à une telle catastrophe. Les autorités ne disposaient à titre d’exemple que de 14 avions, et s’appuyaient principalement sur les populations locales pour lutter contre l’extension des feux de forêts en construisant des bassins de rétention. Le deuxième élément relève de questions géopolitiques régionales. Plusieurs tensions diplomatiques émaillent les relations que l’Indonésie entretient avec ses voisins et il a fallu plusieurs semaines d’incendies avant que le gouvernement ne consente à accepter l’aide internationale. Enfin, une culture de la corruption telle qu’elle existe à plusieurs échelons de l’administration a favorisé des années de déforestation, fragilisant encore plus les écosystèmes au risque d’incendie.

Pourtant, il est désormais indéniable que les débats autour des réponses et des moyens à apporter aux situations de catastrophes climatiques sont à l’heure actuelle totalement absents des discussions dans le cadre de la COP 21. Il est aujourd’hui plus qu’urgent que la communauté internationale soit en mesure de fournir un cadre et des moyens d’intervention en réponse à ce type d’événement, qui malheureusement devrait être de plus en plus fréquent, et dont les conséquences seraient sources de profonds déséquilibres régionaux. Le renforcement des financements destinés à la lutte contre la déforestation est évidemment primordiale, surtout que le coût de la tonne de CO2 évité est dans ce cas très faible ; mais c’est principalement au niveau des pratiques que de nombreux progrès restent à faire, que ce soit  par l’introduction de plus de transparence dans la gestion des fonds ou une intégration plus forte des  populations locales et des ONG dans la mise en œuvre de nouvelles pratiques.

François Hollande déclarait lors de son discours d’ouverture de la COP 21 que « ce qui est en cause avec cette conférence sur le climat, c’est la paix ». Effectivement, les conditions de la paix risquent de plus en plus de dépendre des capacités d’adaptation des sociétés face au risque climatique. Le désastre de la Seconde Guerre mondiale a conduit la communauté internationale à créer le corps des casques bleus dont le mandat est « le maintien ou le rétablissement de la paix et de la sécurité internationale ». Combien de désastres écologiques seront-ils nécessaires pour voir apparaître des casques verts ?

 


[1] D’après l’OMM (Organisation météorologique mondiale), le phénomène El Niño 2015-2016 s’inscrit comme étant l’un des trois plus puissants jamais enregistrés depuis que les données sont répertoriées, en 1950,  et les prochaines décennies sont susceptibles de voir une accélération d’épisodes extrêmes sous l’effet du changement climatique.

[2] World Resources Institute, With Latest Fires Crisis, Indonesia Surpasses Russia as World’s Fourth-Largest Emitter, 29 octobre 2015.

[3] L’Indonésie s’était engagée en 2009 à réduire de 29 %, voire 41% (avec un support international), ses émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport à un scénario de référence (Source : National Action Plan for Greenhouse Gas Emissions Reduction (RAN-GRK)).




PLF 2016 : la longue route vers les 3 %

par Raul Sampognaro

Le Projet de loi de Finances 2016 (PLF 2016) poursuit l’ajustement budgétaire entamé en 2010. Cet ajustement a permis notamment de réduire le déficit public de 3,3 points de PIB en l’espace de cinq ans, passant de 7,2 points de PIB en 2009 à 3,9 points en 2014, alors même que les conditions conjoncturelles ont pesé sur les finances publiques[1]. La baisse du déficit devrait se poursuivre au cours de la période 2015-2017. Notre dernière prévision table sur un déficit à 3,7 % en 2015 puis à 3,2 % en 2016 et 2,7 % en 2017, année où le déficit passerait en-dessous de la « barre des 3 % ». Cette trajectoire est légèrement plus favorable à celle retenue par le gouvernement[2] dans le PLF 2016 en raison d’une reprise de l’activité que nous attendons un peu plus dynamique. Au final, il se sera écoulé dix ans entre le moment où la France a franchi le seuil des 3 % et le moment où elle serait revenue en-dessous.

Ce nouveau PLF 2016 s’inscrit dans la continuité de la stratégie budgétaire mise en œuvre depuis 2014 : l’effort structurel est réalisé essentiellement sur la dépense publique et cet effort permet la réduction des déficits et de la fiscalité des entreprises.

Depuis 2014 un effort conséquent est réalisé sur la dépense publique. Au cours l’année 2014, la dépense publique hors crédits d’impôts[3] a connu sa progression la plus faible depuis 1959[4] (graphique 1), c’est-à-dire l’année du début des comptes des administrations publiques publiés par l’Insee. Cette stratégie a été renforcée lors du vote de la Loi de programmation des finances publiques (LPFP) de 2015, qui prévoyait la mise en œuvre d’un plan de 50 milliards d’euros d’économies de dépenses publiques au cours de la période 2015-2017. Le PLF 2016 concrétise cet effort : l’Etat et ses opérateurs réaliseront une économie de 5,1 milliards, les concours financiers de l’Etat envers les collectivités territoriales seraient réduits de 3,5 milliards d’euros et le système de protection sociale devrait contribuer à hauteur de 7,4 milliards d’euros, soit un total d’économies pour l’année 2016 qui s’élève à 16 milliards d’euros. Hors crédits d’impôts, en valeur, la dépense publique devrait augmenter de +1,3 % en 2015, en 2016 et en 2017 (entre 2000 et 2007, elle a augmenté de 4,0 % par an en moyenne). L’effort, mesuré en volume, est encore plus marqué : après la quasi stabilisation attendue pour 2015 (+0,1 %), la dépense publique devrait accélérer progressivement à partir de 2016 (+0,3 % puis +0,6 % en 2017), des rythmes de progression qui restent historiquement faibles. Cette progression de la dépense publique, bien inférieure à la croissance potentielle française marquerait un vrai effort de baisse à long terme du ratio des dépenses publiques sur le PIB.

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En ce qui concerne la fiscalité, les nouvelles mesures mises en œuvre devraient faire reculer les prélèvements obligatoires (PO) de 0,1 point de PIB (soit une baisse de –2,4 milliards d’euros ou de −4,4 milliards si l’effet de la suppression de la prime pour l’emploi est neutralisé[5]). La baisse globale des PO de 2016 resterait proche de celle de 2015 et serait ciblée sur les entreprises, qui bénéficieront toujours de la montée en charge du CICE, du plan investissement et du plan TPE/PME, et des nouvelles mesures du Pacte de responsabilité[6] (tableau 1). En revanche, les nouvelles mesures pesant sur les ménages feraient augmenter leurs prélèvements de 2,1 milliards d’euros[7], en dépit de la baisse de l’IRPP inscrite dans le PLF 2016 car elle serait compensée par des mesures préalablement votées. Enfin, les mesures discrétionnaires connues pour 2017, qui incluent notamment la montée en charge du CICE et les dernières mesures du Pacte de responsabilité, restent ciblées sur les entreprises.

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La stratégie budgétaire décrite ci-dessus cherchant à réduire simultanément les déficits publics structurels et la fiscalité des entreprises, financée par la maîtrise de la dépense publique et la hausse des prélèvements sur les ménages pèsera sur la croissance. L’ajustement structurel est estimé, selon nos calculs, à 0,5 point de PIB pour l’année 2015 et à 0,3 point pour les années 2016 et 2017. Cet ajustement pénalise d’autant plus la croissance que les politiques d’offre n’auront un impact positif qu’à moyen et à long terme. Leur effet sera modeste à court terme, alors que la baisse des dépenses publiques et la hausse des prélèvements sur les ménages ont un impact plus rapide sur le PIB et plutôt élevé à court terme, notamment dans un contexte où l’activité reste morose[8]. Ainsi, au total, la politique budgétaire amputerait la croissance du PIB de 0,4 point en 2016 et en 2017 (tableau 2).

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Notre prévision a été finalisée fin-septembre avant les attentats du 13 novembre et du discours de F. Hollande devant le Parlement réuni en Congrès, où il a prononcé « le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité ». Sur la base de notre prévision et des annonces réalisées depuis le 13 novembre, il apparaît a priori que les cibles de déficit nominal seraient toujours conformes aux engagements européens de la France. En outre, les nouvelles dépenses liées à la réponse faite aux attentats de novembre seraient exclues du calcul de déficit dans le cadre de la procédure de déficit excessif. Pour rappel, les augmentations de dépenses liées à des événements extraordinaires, non contrôlés par le gouvernement, rentrent dans le cadre des flexibilités existantes dans l’application des règles du Pacte de stabilité et de croissance. Dans ce contexte, la France devrait sortir de la procédure de déficit excessif à l’horizon 2017, conformément à la recommandation du Conseil du 10 mars 2015.

 


[1] La réduction du déficit structurel est en fait plus marquée, de 4,3 points de PIB.

[2] Selon le gouvernement ; le déficit public baisserait de 0,1 point de PIB en 2015 (3,8 % du PIB), de 0,5 point en 2016 (3,3 %) et de 0,6 point en 2017.

[3] Les crédits d’impôts restituables – essentiellement le CICE et le CIR – sont comptabilisés en dépenses publiques par la base 2010 des comptes nationaux. Afin, de rester plus proches des concepts économiques, les dépenses publiques seront analysées hors crédits d’impôts ; ces derniers seront analysés comme une composante de la fiscalité.

[4] Elle a augmenté de 0,9 % en valeur et de seulement 0,3 % en volume (déflaté par les prix du PIB).

[5] La fusion de la PPE et du RSA se traduit par une hausse de l’IR de 2 milliards (hausse des PO), compensée à l’identique par une hausse de la prime d’activité qui, elle, est comptabilisée en dépenses. Cette mesure est donc neutre sur le revenu des ménages.

[6] Avec notamment l’extension de la baisse des cotisations sociales employeurs, la poursuite de la baisse de la C3S  et l’élimination de la contribution exceptionnelle sur l’impôt sur les sociétés.

[7] Ce chiffre neutralise l’impact de la fusion de la PPE et du RSA.

[8] Voir Creel, Heyer et Plane (2011), « Petit précis de politique budgétaire par tous les temps. Les multiplicateurs budgétaires au cours du cycle », Revue de l’OFCE, n° 116, janvier 2011.




Semestre européen : évaluer l’orientation agrégée de la politique budgétaire c’est bien, débattre de son impact économique c’est encore mieux

par Raul Sampognaro

Le 26 novembre, la Commission européenne a lancé le Semestre Européen avec la publication du Rapport Annuel sur la Croissance (2016 AGS selon son acronyme en anglais) et de la recommandation de politique économique pour l’ensemble de la zone euro. La Commission juge, en raison des externalités générées par la politique budgétaire entre les Etats membres et des contraintes pesant actuellement sur la politique monétaire, qu’il est nécessaire de renforcer l’attention portée sur l’orientation agrégée de la politique budgétaire dans la zone euro. Le jugement porté sur cette orientation doit tenir compte notamment des facteurs cycliques, mettant ainsi en avant le rôle de stabilisation macroéconomique de la politique budgétaire. Les services de la Commission considèrent qu’une politique globalement neutre est appropriée au contexte actuel, en raison des risques qui pèsent sur la reprise et du niveau toujours élevé du taux de chômage.

L’ouverture du débat sur la politique budgétaire d’ensemble de la zone euro constitue indéniablement un pas dans la bonne direction pour améliorer le cadre d’élaboration de la politique macroéconomique dans la zone euro. La crise de la zone euro, déclenchée en 2012, s’explique en grande partie par les fragilités dans la construction de l’Union monétaire. L’inadaptation du cadre de coordination des politiques macroéconomiques a été l’une des principales failles dévoilées par la crise. Avant-crise, la BCE devait gérer seule les chocs communs à l’ensemble de l’Union alors que les politiques budgétaires nationales étaient censées contrecarrer les chocs asymétriques. En outre, la politique budgétaire devait aussi assurer la soutenabilité de la dette publique afin d’éviter la montée des taux d’intérêt et le risque de contagion. Le respect de ce double objectif pour la politique budgétaire était supposé garanti par le respect des règles du Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Ce cadre a échoué pendant la crise. D’une part, les règles du PSC se concentrent quasi-exclusivement sur un seul des objectifs assignés à la politique budgétaire : la réduction de la dette publique. D’autre part, la décentralisation du processus de décision concernant la politique budgétaire a eu pour conséquence un résultat d’ensemble inadéquat. Ainsi, les règles du PSC ont généré un ajustement structurel très fort et mal calibré dans les pays ayant subi plus fortement la crise de la zone euro alors que les pays disposant de marges fiscales ne les ont pas mobilisées pour soutenir la croissance.

Dans la gouvernance européenne, l’indicateur préféré pour mesurer l’orientation de la politique budgétaire est la variation du solde structurel. Ainsi, l’orientation d’ensemble de la politique budgétaire est calculée en faisant la somme pondérée (par le poids du PIB en valeur) des variations du solde structurel de chacun des Etats membres. Cet indicateur permet d’évaluer les évolutions du déficit à long terme, une fois les effets du cycle conjoncturel purgés. Si cet indicateur est attrayant théoriquement, il est largement tributaire des hypothèses faites sur la croissance potentielle et le PIB potentiel : même en partant d’hypothèses de finances publiques identiques, l’évolution du solde structurel sera différente (voir les lignes 2 et 3 du tableau 1). Sur la base de cet indicateur et en utilisant les hypothèses de finances publiques réalisées par la Commission européenne, la politique budgétaire serait globalement neutre, voire légèrement expansionniste, dans la zone euro en 2015 et en 2016, jugement qui est partagé par le rapport iAGS 2016. Suivant les annonces des gouvernements dans les Programmes de stabilité du mois de mai, l’équipe iAGS prévoit le retour de la consolidation budgétaire en 2017. Ce résultat diffère de celui de la Commission européenne, qui tient compte exclusivement des mesures pour lesquelles les mesures législatives sont déjà mises en œuvre.

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Dans le rapport iAGS 2016, nous proposons une nouvelle façon de calculer l’orientation agrégée de la politique budgétaire, d’une façon qui tienne compte des avancées de la théorie économique. Selon la littérature, le multiplicateur des dépenses publiques – qui pèsent dans la plupart des principales économies de la zone euro – est supérieur, au moins à court terme, à celui associé aux mesures fiscales qui sont orientées à la baisse et devraient soutenir l’activité. Ceci est particulièrement vrai en période où l’activité est sensiblement inférieure à son niveau potentiel. L’indicateur proposé pondère l’impact macroéconomique des politiques budgétaires nationales[1].

Une fois que la composition et la localisation des impulsions budgétaires sont prises en compte, l’évaluation de la politique budgétaire mise en place dans la zone euro est modifiée. Selon nos calculs, la politique budgétaire pèsera légèrement sur la croissance du PIB en 2016 (-0,1 point de PIB, tableau 2) malgré la dégradation anticipée du solde structurel. Ce paradoxe peut s’expliquer à la fois par la localisation de l’impulsion – elle aura peu d’impact sur le PIB car elle sera largement concentrée en Allemagne (où les multiplicateurs sont bas car l’output gap est quasiment fermé), et par sa composition en Italie et en Espagne (où l’impulsion est faite à partir des baisses d’impôts avec un faible impact expansionniste à court terme, et partiellement compensée par des économies en dépenses à fort multiplicateur).

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Ce paradoxe entre une politique budgétaire légèrement expansionniste avec des effets récessifs montre que le débat ne doit pas se focaliser exclusivement sur l’orientation de la politique budgétaire mais doit inclure les modalités de sa déclinaison. Ainsi, deux nouveaux sujets semblent importants dans les débats européens : celui de l’utilisation des marges budgétaires – l’expansion budgétaire pourrait être plus importante dans les pays non contraints – et celui du besoin de flexibilité dans l’application du PSC – les règles budgétaires doivent tenir compte de la taille des multiplicateurs et concentrer la relance dans les pays où celle-ci sera plus efficace. L’analyse précise de la position de chaque pays vis-à-vis du PSC montre que très peu de pays auraient de l’espace fiscal dans le cadre actuel de la gouvernance européenne. Selon l’analyse des Projets de Lois de Finances (DBP, selon son acronyme en anglais) réalisé par la Commission européenne, seule l’Allemagne disposerait des marges de manœuvre pouvant influencer la croissance dans l’ensemble de l’Union monétaire. Toutefois, on peut questionner l’efficacité d’une relance budgétaire en Allemagne, surtout au regard d’un objectif de fermeture de l’output gap et de baisse du chômage dans la zone euro. Ceci soulève une nouvelle question si on veut réaliser une politique budgétaire contra-cyclique sans dégrader la soutenabilité des dettes publiques des Etats membres plus affectés par la crise. Ainsi, il faut se questionner sur la nécessité d’un budget fédéral consacré à la stabilisation macroéconomique surtout quand la politique monétaire est contrainte – comme dans une situation de déflation et de trappe à liquidité. Cette réflexion aurait motivé la mise en place du Plan Juncker, cherchant à augmenter le niveau de l’investissement dans la zone euro. Toutefois, l’efficacité de ce plan peut être remise en question. Ce plan repose sur des hypothèses irréalistes sur les effets de levier du financement public ; et la modalité de sélection des projets, suivant leur rentabilité économique, peut engendrer un biais pro-cyclique, le contraire de ce qui devrait être recherché. Ainsi, le Plan Juncker, qui d’ailleurs n’a pas vocation à être pérennisé, peut s’avérer insuffisant pour générer le choc de demande dont a besoin la zone euro pour sortir de la trappe à liquidité dans laquelle elle est embourbée.

Tout compte fait, l’impulsion fiscale prévue pour 2016 (+0,1 point de PIB selon la mesure plus optimiste) ne sera pas à la hauteur de la situation. Une hausse coordonnée de l’investissement public dans les pays de la zone euro, concentrée sur les objectifs fixés par la stratégie Europe 2020, constituerait indéniablement une meilleure politique à celle qui est actuellement proposée. Elle serait plus équilibrée et permettrait de satisfaire à la fois les objectifs de court terme (baisse du chômage) et de long terme (hausse de l’investissement en R&D, lutte contre le réchauffement climatique, amélioration des infrastructures). L’introduction d’une règle d’or dans la gouvernance budgétaire européenne, permettant d’exclure du calcul du déficit les projets d’investissement public jugés utiles pour l’ensemble de la zone euro, permettrait de réaliser ce stimulus dans le respect des règles de la bonne gestion budgétaire et en préservant la soutenabilité des dettes publiques.

 


[1] Un indicateur construit sur le même principe est publié trimestriellement aux Etats-Unis par la Brookings Institution http://www.brookings.edu/research/interactives/2014/fiscal-barometer




La fin du pétrole et du charbon

par Xavier Timbeau

L’idée qu’il faut mettre fin à l’usage du pétrole et du charbon n’est pas nouvelle. Elle est portée par des ONG depuis longtemps, comme 350.org et sa campagne gofossilfree. Ce qui est plus frappant c’est que le candidat démocrate à la primaire, le sénateur Bernie Sanders, en ait fait la proposition à mette au cœur du débat de la présidentielle américaine. Des investisseurs institutionnels ou des détenteurs de grands fonds ont également annoncé leur intention de limiter ou cesser leurs investissements dans le charbon (Allianz, ING par exemple) et dans le pétrole (le fonds de pension néerlandais ABP). Quelques grandes villes penchent dans cette direction pour l’orientation de leurs politiques d’aménagement urbain. Interrogée sur cette option, la directrice de l’Agence environnementale américaine (EPA), Gina McCarthy, a déclaré (prudemment) que cette option n’était pas irrationnelle.

Figure : Scénarios d’émission de CO2

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Source : Graphique SMP 11, AR5, IPCC, p. 21.

Ceci dit, le graphique SPM 11 du 5e rapport du GIEC ne dit pas autre chose. Pour limiter le réchauffement climatique à 2 degrés, nous disposons d’un budget carbone de 2 900±250 GtCO2e depuis 1870 ; nous en avons consommé autour de 1 900 GtCO2e à ce jour. Il nous reste ainsi, pour faire moins que +2°C (par rapport à l’époque préindustrielle) avec une probabilité de 66 %, à peu près 1 000 GtCO2e. Compte tenu d’un flux d’émissions annuelles de l’ordre de 50 GtCO2e, une simple règle de trois nous donnerait 40 années d’émissions décroissantes linéairement. La prise en compte des puits de carbone, des inerties du climat et des forçages radiatifs  négatifs sur le climat étend l’horizon temporel à 2090±10 années, mais la prudence demanderait d’aboutir à l’objectif zéro émission plus tôt. Pour mémoire, il reste dans le sol des réserves exploitables de l’ordre de 5 000 ±1 400 GtCO2en charbon seul, soit de quoi dépasser largement notre actuel budget carbone. Notons que l’arrêt de l’utilisation des combustibles fossiles ne règle pas tout. Une part des émissions actuelles de gaz à effet de serre (du CO2, mais aussi du méthane ou d’autres gaz) n’est pas liée aux fossiles mais à l’agriculture, la déforestation ou aux processus industriels. Dans le cas d’un système énergétique renouvelable à presque 100 %, le gaz serait nécessaire lors des pointes de consommation. Ces émissions non fossiles peuvent être réduites mais pas complètement. Il est possible d’avoir des émissions négatives, mais la seule « technologie » aujourd’hui disponible est celle de la reforestation et ne peut contribuer à abaisser les émissions que de 2 GtCO2 par an. La capture du carbone et son stockage sont également un moyen de conserver l’usage des fossiles à la condition qu’elle fonctionne et que l’on dispose de suffisamment de capacité de stockage (une fois la capacité de stockage épuisée, le problème subsiste).

Le principe de « responsabilité commune mais différenciée » conduirait les pays développés à s’appliquer la contrainte plus rapidement (disons aux alentours de 2050). Certains voient dans cette perspective l’explication de la baisse du prix du pétrole. Puisque toutes les ressources fossiles ne seront pas brulées, seules celles qui le seront d’ici à 2050 valent quelque chose et ce prix est inférieur à celui qui découle d’une demande toujours croissante. L’Arabie saoudite a donc intérêt à produire davantage plutôt que de garder des réserves sans valeur. Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre et président du Conseil de la stabilité financière a ainsi évoqué les « stranded reserves », de la même façon qu’une centrale au charbon est un « stranded asset », soit un actif bloqué que l’on est obligé de déprécier prématurément.

La fin du pétrole et du charbon n’est plus seulement une lubie de quelques activistes verts. Cela rejoint d’ailleurs les appels persistants et presque convergents de nombreux économistes à un prix du carbone. Un prix élevé et croissant du carbone obligerait en effet les agents économiques à désinvestir dans le capital qui émet du carbone, voire à déprécier prématurément celui qui est installé. Lorsqu’un prix du carbone élevé est réclamé (disons entre 50 et 100€/tCO2, le prix du carbone augmentant dans le temps et au fur à mesure que le budget carbone s’épuise), c’est pour qu’il envoie un fort signal-prix aux agents économiques et que la conséquence d’un tel prix soit la réduction des émissions jusqu’au point compatible avec un climat restant en deçà de +2°C par rapport à l’époque préindustrielle.  C’est donc, de leur point de vue, équivalent de dire « le prix du carbone doit être de 50€/tCO2 et plus » que de dire « il faut tout faire pour que l’on cesse d’utiliser le charbon et le pétrole dans le prochain demi-siècle ». Le prix du carbone nous donne d’ailleurs une précieuse information sur le coût de cette transition. Il sera de l’ordre de (quelques) 1 000 milliards d’euros par an (à l’échelle de l’économie mondiale). Proposer un prix c’est également proposer le principe pollueur-payeur (les émetteurs de carbone doivent payer), bien qu’il ne soit pas clair de savoir à qui les pollueurs doivent payer. C’est tout le débat sur le fonds vert et la justice climatique qui est au centre de la COP21.

Il serait dommage de se focaliser sur le prix du carbone et d’en faire l’enjeu central de la COP21. L’économie zéro carbone est notre avenir et nous n’aurons pas d’excuse si nous continuons à brûler les combustibles fossiles. Oscar Wilde ne disait-il pas : « Aujourd’hui les gens connaissent le prix de tout et la valeur de rien » ?

 

 




Quels sont les risques d’une extension du QE ?

par Christophe Blot, Paul Hubert et Fabien Labondance

A l’issue de la dernière réunion du Conseil des gouverneurs du 22 octobre, Mario Draghi a indiqué que la BCE réexaminerait, ce jeudi 3 décembre, l’orientation de sa politique monétaire à l’aune des développements économiques et financiers et des nouvelles prévisions du staff de l’Eurosystème qui seront divulguées à cette occasion. Le principal enjeu de cette réunion est de savoir si la BCE mettra en œuvre de nouvelles mesures de soutien à l’activité. Elle pourrait par exemple annoncer une nouvelle baisse du taux des facilités de dépôts ou une  extension du programme d’assouplissement quantitatif (QE). La BCE a jusqu’ici pris soin de montrer sa détermination à remplir son objectif premier de stabilité des prix, quitte à essuyer en retour certaines critiques arguant que ces vagues d’expansion monétaire n’ont que peu d’effet sur l’inflation mais alimentent des bulles de prix d’actifs.

Avec un taux d’inflation de 0,1 % en octobre, la BCE est loin de satisfaire son objectif d’inflation à moyen terme, proche mais inférieur à 2 %. Si la faiblesse de l’inflation en zone euro s’explique en partie par la baisse du prix du pétrole, il n’en demeure pas moins que même corrigée des composantes énergie et alimentaire, l’inflation – dite sous-jacente – ne dépasse pas 1 % depuis septembre 2013, ce qui reflète bien une situation persistante de faible inflation. Notons que le chiffre du mois d’octobre correspond à la dernière valeur observée de l’inflation et ne renseigne qu’imparfaitement de son évolution à moyen terme. C’est pourquoi, les banques centrales sont particulièrement attentives aux évolutions anticipées de l’inflation. Or, les indicateurs de marché indiquent un nouveau repli des anticipations d’inflation à long terme alors qu’elles avaient augmenté en janvier après l’annonce du QE (voir graphique). Ainsi, alors que la reprise ne se confirme que très doucement dans la zone euro, les craintes d’une situation déflationniste ne sont pas écartées, ce qui devrait pousser la BCE à amplifier son soutien. Dans une analyse précédente, partant des expériences d’assouplissement quantitatif menées par la Réserve fédérale américaine ou la Banque d’Angleterre, nous soulignions les effets positifs attendus du QE dans la zone euro. La dynamique du taux de change de l’euro observée après l’annonce de la BCE en janvier 2015 et lors de la réunion d’octobre suggère un effet via le canal du taux de change.

Au-delà de ces canaux se pose la question de l’effet du QE sur les prix d’actifs. Plusieurs travaux montrent qu’une politique monétaire expansionniste via des achats d’actifs soutient les conditions financières et entraîne une hausse des prix d’actifs. Néanmoins, certains s’inquiètent aussi des risques associés à ces opérations annonçant qu’elles alimenteraient des bulles de prix d’actifs, c’est-à-dire une augmentation des prix non justifiée par les fondamentaux de l’économie. Pourtant, ce genre d’analyse s’appuie uniquement sur la montée des cours boursiers pour avancer de tels arguments. Dans une étude publiée récemment, (Revue de l’OFCE, n°144, novembre 2015)  nous nous intéressons aux effets de la politique monétaire sur 3 prix d’actifs dans la zone euro : les cours boursier, obligataire et immobilier. Notre analyse suggère que les décisions de politique monétaire n’auraient pas d’impact sur la composante des prix d’actifs non-expliquée par les fondamentaux. Ainsi, une baisse des taux d’intérêt ne semble pas alimenter les bulles, de même qu’un durcissement de politique monétaire ne conduit pas à une baisse au-delà ce qu’indiquent les déterminants usuels des prix d’actifs. Alors que le canal du prix des actifs[1] semble bien à l’œuvre, la politique monétaire n’a pas d’effets additionnels sur la composante des prix d’actifs non-expliquée par les fondamentaux.

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[1]  Ce canal peut-être décomposé en deux : le canal du Q de Tobin et le canal des effets de richesse. Le premier suggère qu’une baisse des taux d’intérêt est susceptible d’avoir un effet favorable sur les cours des actions dans la mesure où le prix d’une action correspond à la valeur actualisée des dividendes futurs. Cette augmentation du prix des actions diminue le coût des fonds propres pour les entreprises et soutient leurs investissements (à l’instar du capital traditionnel mais via un mécanisme différent, la hausse des cours boursiers rendant les émissions d’actions plus attractives). Le second suggère que la consommation des ménages peut aussi tirer profit d’une baisse des taux d’intérêt : l’augmentation du prix des actifs financiers ou immobiliers résultant d’une baisse des taux d’intérêt augmente la valeur de leur patrimoine et soutient leur consommation. Dans un modèle où les ménages cherchent à lisser leur consommation sur le cycle de vie, ils dépensent davantage lorsque leur richesse augmente.