Taxer les contrats courts : pourquoi et comment ?

Par Bruno Coquet

Le marché du travail français est fortement appuyé sur l’assurance chômage, pour de nombreuses raisons : le chômage est élevé, les salariés paient très cher leur assurance, mais aussi parce que la réglementation couvrant bien les salariés titulaires de contrats précaires, certains employeurs sont incités à reporter sur l’assurance chômage les coûts de la flexibilité contractuelle, qui devraient être facturés aux clients ou imputés aux actionnaires.

L’intervention de l’assurance chômage doit donc être ajustée afin de ne pas susciter de telles incitations, qui lui coûtent cher et accroissent le coût du travail. Pour ce faire c’est le coût du travail associé aux comportements coûteux pour l’assureur qui doit être augmenté, cependant que les taxes facturées aux employeurs faisant un usage raisonné des contrats courts devraient baisser.

Après avoir examiné les moyens que l’assureur doit mettre en regard de ces objectifs, nous proposons une formule de modulation des cotisations d’assurance chômage. Celle-ci tire les leçons de la sur-taxation en vigueur depuis 2013 ; plus générale, notre formule peut modifier de manière significative le coût des contrats très courts, tout en ayant des effets agrégés très modestes (et en particulier nuls sur le coût du travail agrégé) ; son éventuel effet négatif sur les embauches, en particulier dans les TPE/PME peut aisément être contrôlé

1 – Définir précisément l’objectif

1.1 – Règle générale : ne pas taxer, ni plus ni moins

Si l’on veut créer des emplois il est de bon sens de ne pas les taxer, ou plus exactement de minimiser les taxes qui pèsent sur le travail. Cela vaut dès la première heure de travail, quels que soient le niveau de salaire et les caractéristiques du contrat de travail (CDI, CDD, intérim, etc.).

Mais les modalités d’emploi peuvent cependant engendrer des effets indésirables, des transferts de coûts sur d’autres acteurs que les parties au contrat, des « externalités » qui peuvent justifier de prélever des taxes sur le travail : le financement des accidents du travail en constitue un bon exemple, mais aussi l’assurance chômage, la formation professionnelle, etc. Symétriquement le coût de certaines politiques publiques ne devrait pas être déporté vers des ressources qui n’ont rien à voir avec elles : la politique culturelle, dont le régime des intermittents du spectacle est un pilier, constitue un exemple emblématique d’un alourdissement indésirable du coût du travail.

Les systèmes mutualisés qui financent certaines politiques publiques, en particulier les assurances qui s’appuient sur la solidarité interprofessionnelle, ne devraient pas effectuer de la redistribution monétaire ou donner des subventions croisées en différenciant la tarification des assurés : le risque étant aléatoire, la règle est que chacun a l’obligation de s’affilier et paie des contributions identiques pour financer l’indemnisation de ceux pour lesquels le risque se réalise.

Par conséquent il n’existe pas de raison de taxer l’emploi quand il n’engendre pas d’externalités coûteuses, et il serait inique et inefficace de surtaxer certains assurés ou d’en exonérer d’autres.

1.2 – Règle de bonne gestion : décourager ce qui coûte cher

En revanche, dès lors que le comportement des assurés influence la probabilité de survenance des sinistres, ou le montant de l’indemnisation qui s’ensuit, l’assureur doit impérativement contrôler ces comportements qui accroissent ses dépenses (ce qui manifeste l’externalité).

Pour faire face à cette « sélection adverse » l’assureur peut, à court terme, choisir d’augmenter la taxe de droit commun facturée à tous les assurés. Mais cette option n’est pas tenable à long terme car elle encourage de plus en plus d’assurés à adopter les comportements coûteux pour l’assureur, en même temps qu’elle accroît les coûts de ceux dont le comportement est vertueux, car ce sont eux qui financent le surcroît de dépenses.

C’est en particulier le cas pour l’assurance chômage. Le chômage ne résulte pas seulement de causes macroéconomiques, cycles d’activité, ruptures technologiques, saisons, chocs exogènes, etc. Il relève également de choix productifs : ainsi une entreprise peut choisir de répondre à une demande saisonnière en stockant ses produits au fil des mois qui précèdent, quand sa concurrente augmentera sa production au dernier moment grâce à des contrats courts ; une autre peut choisir de répercuter dans son prix de vente le surcoût de l’embauche d’intérimaires pour répondre à une commande sporadique alors que sa concurrente rognera son taux marge pour bénéficier d’un chiffre d’affaires et d’un profit total accrus. Ainsi sur des marchés concurrentiels ce sont in fine les actionnaires ou les clients qui supportent les coûts associés aux choix productifs.

La présence d’une assurance chômage peut modifier ces choix : les entreprises utilisant les technologies de production flexibles qui externalisent le mieux les coûts de production vers le régime d’assurance sont avantagées, soit que leurs marges sont plus élevées, soit que leurs prix de vente plus faibles augmentent leur compétitivité et leur activité. Mais derrière le régime d’assurance chômage, qui paye pour le revenu ces chômeurs ? Une majorité d’entreprises qui n’ont rien à voir avec ces choix, ou – de manière plus problématique – des concurrentes plus vertueuses en termes de stabilité de l’emploi. En aucun cas il n’est optimal que ce soit l’assurance chômage, donc l’ensemble des assurés[1] qui supportent de tels coûts : cela signifie que l’assureur perturbe la concurrence sur le marché des biens dans un sens opposé à ce qu’est sa mission, puisque ce faisant il augmente le chômage et ses propres coûts.

Bien sûr le choix technologique et économique qui fait préférer à l’employeur l’usage de contrats courts ne résulte pas seulement de l’existence d’une assurance chômage. Cependant si l’assureur n’y prend pas garde ces comportements qui augmentent ses dépenses peuvent entraîner sa faillite, surtout si par mégarde il les encourage avec ses propres règles d’affiliation et d’indemnisation, comme c’est le cas de l’Unedic avec les contrats courts.

Une gestion rigoureuse de l’assurance chômage ne doit donc pas exclusivement s’intéresser au contrôle des dépenses. La tarification est un instrument à part entière, indispensable pour contrôler les comportements qui influencent la sinistralité.

2 – Définir précisément l’instrument

Taxer par principe, sans considération du problème que vise à résoudre la taxe, est un risque, pas une solution. La taxe vise à limiter soit le problème, soit ses conséquences, soit les deux.

2.1 – La taxe américaine a pour vocation de contrôler des problèmes américains

Une sur-taxation des entreprises faisant un recours excessif à l’assurance chômage est pratiquée aux Etats-Unis. Cette réglementation est souvent citée en exemple. Mais ce système est spécifique à plusieurs titres, ce qui rend sa transposition aléatoire :

  • Son objectif. Cette formule a été conçue dès la création du régime américain en 1935 pour prémunir l’assureur, et donc la collectivité des assurés[2], contre un danger précis : le recours disproportionné à des suppressions d’emploi temporaires (« licenciements temporaires »), très proches du chômage partiel. C’est d’autant plus nécessaire que le régime d’assurance américain a été construit pour indemniser ce type de fluctuations[3], ce qui exige d’éviter une mutualisation inter-sectorielle excessive (qui implique que les secteurs très cycliques sont financés par ceux qui sont peu cycliques) ainsi qu’une mutualisation intra-sectorielle disproportionnée (les entreprises qui utilisent beaucoup l’assurance chômage sont financées par leurs concurrentes qui l’utilisent peu) ;
  • Son champ d’application. La taxation sous forme d’experience rating est d’autant plus dissuasive qu’elle s’applique à l’ensemble de la masse salariale de l’entreprise dont le compte chez l’assureur est plus déficitaire que la norme établie[4];
  • Ses modalités administratives. Adapté à l’objectif visé cette modulation fonctionne mal car les comptes individuels des entreprises, outre qu’ils engendrent une lourde bureaucratie, nécessitent d’établir des formules de calcul complexes et peu lisibles, au détriment de leur caractère incitatif ;
  • Ses restrictions. L’assiette du salaire assurable sur laquelle porte la taxe est en général trop faible[5] pour que la sanction en termes de coût du travail n’incite à la vertu. En outre si l’expérience rating était « complet », c’est-à-dire que chaque employeur paie la totalité des coûts qu’il engendre pour l’assureur, la mutualisation serait nulle et l’assurance inutile du point de vue des employeurs.

Transposer la formule américaine n’a donc pas de sens car cette modalité est indissociable du système d’assurance de ce pays, structurellement très différent du nôtre, par ses objectifs, ses règles et la manière dont il est financé.

2.2 – Une taxe française doit viser des problèmes français

En France le comportement qui pose problème en ce qu’il coûte cher à l’assurance chômage est la récurrence emploi/chômage associée à l’usage disproportionné des contrats courts.

La durée réduite des contrats de travail engendre des besoins d’indemnisation, qui interfèrent avec la gestion de l’assureur dont l’un des objectifs est de bien sécuriser les titulaires de contrats précaires[6]. L’existence des contrats courts peut évidemment refléter des fluctuations d’activité temporaires – comme aux Etats-Unis –, mais ce qui est problématique en France c’est d’une part leur utilisation structurelle, récurrente, pour couvrir des besoins de production permanents, d’autre part le fait que l’assurance chômage soit instrumentée comme un complément de salaire par des employeurs et/ou des salariés qui maîtrisent bien les règles d’éligibilité et d’indemnisation. Face à cela l’Unedic pourrait moins bien indemniser les chômeurs, mais ce n’est qu’un moyen indirect d’agir sur les causes originelles des dépenses.

En France l’assureur doit donc essayer d’influencer la durée des contrats de travail. La taxe sur les contrats courts ne doit pas être nulle, mais fixée à un niveau optimal pour être dissuasive, sans être excessive ni punitive :

  • Il ne s’agit pas de « taxer les CDD », ou d’exonérer tel ou tel statut, mais de viser la durée effective des contrats : en effet l’assureur observe que 30% des CDI durent moins d’un an, que les ruptures durant la période d’essai représentent près de 2 fois plus d’entrées au chômage que les licenciements économiques, que les contrats d’intérim sont à la fois très courts et très récurrents en indemnisation, etc. Il apparaît donc préférable que l’assureur reste neutre envers le choix du contrat de travail, pour se focaliser sur la conséquence commune des différents statuts possibles, qui est la forte récurrence en indemnisation ;
  • La taxe n’a aucune raison d’être punitive : elle s’applique aux salaires correspondant à des contrats de courte durée, pas à l’ensemble des employeurs qui en font un usage excessif (ce qui serait le cas si la taxe américaine était transposée telle quelle) ;
  • Le but n’est pas de créer une taxe qui finance le « déficit » des contrats courts[7]. Un tel objectif serait en contradiction avec la nature même d’une assurance chômage mutualisée, qui a vocation à financer les prestations versées aux agents qui subissent des risques élevés (contrats précaires) par des contributions sur les agents dont l’exposition au risque est moindre (contrats stables). Dès lors que ces risques ne sont pas « maîtrisés » par les agents, la mutualisation réalisée par l’assurance est un transfert souhaitable, et l’assureur ne doit pas chercher à faire payer aux utilisateurs de contrats courts 100% du coût d’indemnisation qu’ils engendrent, ce qui serait la négation même du principe d’assurance mutualisée.

Une taxe sur les CDD, réduite pour les CDD d’usage, a bien été mise en place en 2013 par l’Unedic[8] (graphique 1). Mais en visant des statuts plutôt que la durée, dotée d’un champ d’application bien plus restreint que celui de ses exceptions, elle ne pouvait évidemment ambitionner d’infléchir l’usage des contrats courts. En outre, en créant des effets de seuil, elle offre à la marge des possibilités d’échapper à la surtaxe. De manière caractéristique on peut observer que cette taxe visant une mauvaise cible (le statut du contrat de travail, en l’occurrence les CDD, mais pas l’intérim et très peu les CDD d’usage) il n’est guère étonnant qu’elle n’ait pas modifié les comportements.

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2.3 – Taxer les contrats courts sans dissuader la création d‘emplois

Trois solutions existent pour taxer le travail : au début du contrat, en cours de contrat, ou à la fin de celui-ci :

  • Taxer l’embauche est évidemment contre-intuitif, mais c’est surtout inapproprié par rapport à l’objectif visé ici par l’assureur, car dans bien des cas le statut du contrat ne permet pas de juger de sa durée effective, ni du destin de la relation employeur/salarié (donc sa durée effective) qui peut se poursuivre bien plus longtemps et sans interruption que ne peut le laisser supposer la durée initiale du contrat ;
  • Taxer à la fin du contrat n’est pas souhaitable dans la mesure où l’employeur est taxé au moment où il doit se séparer du salarié, c’est-à-dire au moment où ses moyens financiers se réduisent ; c’est en outre aléatoire car s’il fait faillite la taxe n’est jamais recouvrée ; cette solution est enfin fortement combattue au motif que les coûts de sortie de l’emploi dissuadent l’embauche ;
  • Taxer en cours de contrat reste donc la meilleure solution. Ce que vise une taxe déportée vers les durées courtes de contrat, c’est de limiter les hautes fréquences de ruptures injustifiées[9].

L’objectif étant de taxer les durées effectivement courtes, en évitant les effets de seuil, une taxe d’autant moins importante que le contrat s’inscrit dans la durée apparaît adaptée au besoin.

Il reste qu’une entreprise jeune et/ou en période de forte expansion de ses effectifs est par nature surexposée à une taxe sur les contrats récemment signés, car ceux-ci représentent une fraction transitoirement élevée de sa masse salariale. Dans ce cas, le coût du travail est effectivement élevé, même si cela est parfaitement compatible avec la fonction de l’assurance chômage[10].

Pour qu’une taxe sur les CDD devienne une taxe à l’embauche il faudrait néanmoins que ces contrats représentent une très forte proportion de la masse salariale de l’entreprise. En moyenne la masse salariale des contrats à « durée limitée » représente environ 11,2% de la masse salariale totale soumise à cotisations Unedic[11]. On peut l’illustrer avec les exemples chiffrés dans les tableaux 1 et 2. Une entreprise ayant une masse salariale de CDD comprise entre 0% et 13,5% de sa masse salariale totale gagnerait à un nouveau barème de cotisation tel que celui proposé dans le graphique 1 : une entreprise de 10 salariés (120 mois ETP par an) qui conclurait dans l’année 15 contrats de 1 mois, taxés au taux le plus élevé ne verrait pas son coût du travail accru par rapport au barème actuel, puisque le taux moyen de cotisation à l’assurance chômage baisserait de 4,33% ex-ante à 4,26% ex-post (tableau 1).

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Ce n’est qu’au-delà de 13,5% que ce nouveau barème commence à être coûteux. Mais même si un employeur utilise des contrats courts dans des proportions très importantes (50% dans les exemples du tableau 2, soit plus de 4 fois le taux moyen observé) l’augmentation du taux de cotisation à l’assurance chômage reste relativement modérée (+1,05% si tous les contrats courts durent 1 mois, +1,6% s’ils ont une durée de 3 mois, et 1,25% s’il s’agit de contrats de 12 mois).

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Différentes solutions peuvent être imaginées pour atténuer l’effet de « taxe à l’embauche » d’une telle modulation des contributions. Par exemple :

  • Offrir un abattement à la base de x euros par entreprise sur les cotisations d’assurance chômage : ainsi l’assureur établit un plancher à la sur-taxation pour les employeurs qui font un usage limité des contrats courts, et comme le montant de l’abattement est défini par entreprise, ce sont les plus petites qui sont les plus favorisées. Un abattement à la base de 400 euros par an et par entreprise permettrait ainsi de neutraliser la plupart des effets d’une surtaxe des contrats courts pour une entreprise en forte croissance ayant les caractéristiques simulées dans le tableau 2 ;
  • Offrir une exonération de la surtaxe pour les x premiers emplois créés chaque année (ou depuis la création de l’entreprise, ou à partir de la date du premier emploi créé), quelle que soit leur durée, ce qui a des effets très proches de la mesure ci-dessus mais en limite le champ aux nouveaux emplois, ce qui est moins coûteux ;
  • Offrir à chaque employeur le choix entre le barème dégressif en fonction de la durée du contrat et une taxation uniforme de toute la masse salariale, comme aujourd’hui. Ce taux uniforme devrait être suffisamment élevé pour ne jamais coûter à l’assureur, ce qui aurait l’avantage de faire ressentir à tous les employeurs concernés combien la taxation uniforme actuelle (4%) peut apparaître élevée à l’immense majorité des employeurs qui n’utilisent pas les contrats courts de manière excessive.

L’avantage d’une exonération forfaitaire par entreprise (et non par emploi) est qu’il est inutile de créer un seuil destiné à la plafonner pour les entreprises les plus grosses dont les moyens sont plus élevés et qui ne sont pas exposées à l’effet de taxe à l’embauche.

L’incitation à l’allongement des contrats que constitue une taxe modulée en fonction de leur durée effective ne doit cependant pas être totalement annulée : entre des TPE concurrentes il n’y a aucune raison que l’assurance chômage favorise celles qui minimisent leurs propres risques en recrutant sur des contrats très courts. L’assureur a tout intérêt à « récompenser » les employeurs qui endosse un risque accru en facturant un coût du travail moindre.

Ces aménagements pourraient être financés par la suppression de l’exonération temporaire de cotisation d’assurance chômage ciblée sur les jeunes embauchés en CDI, instaurée en 2013. Cette disposition s’accompagne d’effets d’aubaine particulièrement élevés et, dans la mesure où elle ne s’adresse pas seulement à des jeunes indemnisés, elle relève d’une politique publique, utile dans la mesure où ces emplois s’avèreraient (très) durables, mais qui n’est pas dans la mission première de l’assureur. En revanche trouver les moyens de réduire l’usage disproportionné des contrats courts sans pour autant nuire à la création d’emploi est parfaitement en adéquation avec l’intérêt et avec la mission de l’assureur.

 

 

[1] Il faut toujours avoir à l’esprit que « les assurés » sont à la fois les entreprises (qui sont ainsi couvertes contre l’externalité que représente le coût du chômage qu’elles pourraient engendrer), et les salariés, qui sont couverts contre la perte de leur revenu.

[2] Aux Etats-Unis seules les entreprises paient des cotisations d’assurance chômage ; les salariés n’y cotisent que dans deux Etats.

[3] Ou tout au plus des fluctuations conjoncturelles courtes comme l’indique la durée maximale des droits (6 mois). Le chômage issu de chocs économiques plus importants (conjoncturels ou structurels) est pris en charge par des dispositifs d’extension de droits financés sur crédits budgétaires des Etats ou de l’Etat fédéral.

[4] Prestations servies excédant de manière importante les contributions payées.

[5] Le minimum légal est de 7000 US$ par an.

[6] A la différence des Etats-Unis les salariés français cotisent à l’Unedic, à hauteur de 37,5% de ses ressources.

[7] 8,77 Md€ par an (Unedic, 2016, Dossier de référence de la Négociation).

[8] Cette mesure a été décidée dans le cadre de l’accord interprofessionnel de janvier 2013 et non dans celui d’une renégociation de la convention d’assurance chômage.

[9] Injustifiées non au regard d’un jugement de valeur, mais en raison du fait que ces surcoûts relèvent de choix productifs qui sur des marchés concurrentiels peuvent et doivent être imputés dans les prix de vente (clients) ou les taux de marge (actionnaires) (cf. ci-dessus).

[10] La théorie montre que la présence d’une assurance chômage favorise la croissance économique entre autres parce qu’elle permet à des entreprises nouvelles d’offrir des emplois risqués, que les salariés acceptent d’autant plus volontiers qu’ils sont bien assurés. Voir par exemple Albrecht & Axell (1984) « An equilibrium model of search unemployment », Journal of Political Economy, Vol.92 n°5. Axell & Lang (1990) « The effect of unemployment compensation in a general equilibrium with search unemployment » Scandinavian Journal of Economics, Vol. 92 n°4.

[11] Calcul sur données Unedic (Unedic, 2016, Dossier de référence de la Négociation).




Le meilleur du contre-choc pétrolier est à venir !

par Eric Heyer et Paul Hubert

Après avoir connu une forte baisse au cours des 2 dernières années, le prix du baril de pétrole est reparti à la hausse depuis le début de l’année. Alors qu’il se situait aux alentours des 110 dollars début 2014,  puis à 31 dollars début 2016, il frôle actuellement les 50 dollars.

Cette remontée du prix du pétrole va-t-elle remettre en cause le schéma de reprise graduelle qui semblait s’enclencher en France en 2016 ?

Dans une étude récente, nous avons tenté de répondre à trois questions autour de l’impact du prix du pétrole sur la croissance française : son impact est-il immédiat ou existe-t-il un décalage temporel entre les variations du prix du pétrole et son incidence sur le PIB ? Les effets des variations du prix du pétrole sont-ils asymétriques entre hausses et baisses ? Ces effets dépendent-ils du cycle conjoncturel ?Les principaux résultats de notre étude peuvent être résumés de la manière suivante :

  1. Il existe un décalage de l’impact d’une variation du prix du pétrole sur le PIB français. Ce décalage serait en moyenne, sur la période 1985-2015, de 4 trimestres ;
  2. L’effet, à la baisse comme la hausse, n’est significatif que pour des variations des prix du pétrole supérieures à 1 écart-type ;
  3. L’effet asymétrique est extrêmement faible : l’élasticité de l’activité au prix du pétrole est identique dans le cas d’une hausse ou d’une baisse de ce dernier. Seule la vitesse de diffusion diffère (3 trimestres dans le cas d’une hausse contre 4 dans celui d’une baisse) ;
  4. Enfin, l’effet des variations du prix du pétrole sur l’activité dépend de la phase du cycle conjoncturel : l’élasticité n’est pas significativement différente de zéro dans des états de « crise » et de « haute conjoncture ». En revanche l’élasticité est très largement supérieure en valeur absolue lorsque l’économie se situe en croissance modérée (basse conjoncture).

Appliquons maintenant ces résultats à la situation observée depuis 2012. Entre le premier trimestre 2012 et le premier trimestre 2016, le prix du baril de Brent est passé de 118 dollars à 34 dollars, soit une baisse de 84 dollars en 4 ans. Si on tient compte du taux de change euro-dollar et des évolutions du prix de consommation en France, cette baisse équivaut à une réduction de 49 euros au cours de cette période (graphique 1).

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Nous avons évalué l’incidence d’une telle baisse sur le PIB trimestriel français en tenant compte du retard, de l’asymétrie et de la phase du cycle conjoncturel mis en avant précédemment.

Les résultats de ces variantes indiquent que l’effet du contre-choc pétrolier n’est finalement pas très visible en 2015. Comme l’illustre le graphique 2, l’effet devrait se faire sentir à partir du premier trimestre 2016 et ce quelles que soient les hypothèses retenues. L’effet positif du contre-choc pétrolier est donc à venir !

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Chômage : ça va (un peu) mieux

Département Analyse et prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois d’avril 2016 publiés par Pôle Emploi font apparaître, après la baisse exceptionnelle enregistrée au mois de mars (–60000), une nouvelle baisse du nombre de demandeurs d’emploi n’exerçant aucune activité (catégorie A) de 19 900 personnes en France métropolitaine[1]. Ces deux mois de baisse consécutifs interviennent après une séquence d’alternance de baisses et de hausses mensuelles depuis le mois d’août 2015. Les statistiques mensuelles des demandeurs d’emplois sont habituellement volatiles, mais il n’en reste pas moins que l’inflexion de la trajectoire est perceptible. En 3 mois cette baisse est de 41 500. Elle se monte à 22 500 sur un an, soit la première baisse observée depuis le mois de septembre 2008, mois de la faillite de la banque Lehman Brothers (cf. graphique).

 

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La baisse importante du nombre de demandeurs d’emploi inscrits depuis plus d’un an (–11 900 sur trois mois), ainsi que celle du nombre de demandeurs d’emploi de plus de 50 ans (-3 100 sur 3 mois) sont autant de signes positifs de l’amélioration en cours sur le marché du travail. Là encore, de telles baisses n’ont pas été observées depuis 2008 pour ces publics les plus éloignés de l’emploi.

Ces évolutions sont la suite logique de l’accélération de la croissance de l’économie française observée depuis l’année 2015 (+1,2% en moyenne annuelle en 2015) et de la montée en puissance des politiques de baisse du coût du travail (CICE et Pacte de responsabilité et prime à l’embauche). Cette année-là a ainsi vu une accélération des créations d’emplois totales tirée par le secteur marchand (+122 000), avec en parallèle un moindre dynamisme des créations d’emplois aidés dans le secteur non-marchand. De fait, contrairement aux années précédentes, les créations d’emplois ne sont plus soutenues par les contrats aidés dans le secteur non-marchand.

Perspectives : la baisse devrait s’amplifier

Cette dynamique positive devrait se poursuivre en 2016 et 2017, années pour lesquelles nous prévoyons une croissance de 1,6% de l’activité. Ce retour de la croissance permettrait une accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand (177 000 en 2016 et 134 000 en 2017 en glissement annuel). De plus, la montée en charge du plan de formations[2] dans les prochains mois devrait renforcer la baisse du chômage observée depuis la fin de l’année 2015 [3]. Ainsi, le taux de chômage au sens du BIT devrait baisser de 0,5 point en deux ans, pour atteindre 9,5% de la population active fin 2017 et la baisse des inscrits en catégorie A devrait se poursuivre.

Ce rythme d’amélioration restera toutefois insuffisant pour effacer rapidement les stigmates de la crise. Rappelons qu’en 2008, le taux de chômage au sens du BIT s’élevait en France métropolitaine à 7,1%. Au rythme actuel, Il faudrait encore une dizaine d’années pour retrouver le niveau de chômage d’avant-crise.

 

[1] Cette baisse est toutefois marquée par une hausse anormale des cessations d’inscription pour défaut d’actualisation (+50 700 par rapport à la moyenne observée sur les trois premiers mois de l’année), qui semblerait concerner principalement les demandeurs d’emploi inscrits en catégories B et C. Cela n’invaliderait donc pas la baisse observée des inscrits en catégorie A.

[2] Le gouvernement a annoncé 500 000 formations supplémentaires pour 2016 dans le cadre du Plan d’urgence pour l’emploi

[3] La hausse du nombre de demandeurs d’emploi en formation devrait se traduire par un transfert essentiellement des demandeurs d’emploi de la catégorie A (demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi, sans emploi) vers la catégorie D (demandeurs d’emploi non tenus de rechercher un emploi (en raison d’une formation, d’une maladie…) y compris les demandeurs d’emploi en contrat de sécurisation professionnelle (CSP), sans emploi).




L’emploi reprend du service

Par Bruno Ducoudré

La lente amélioration constatée en 2015 sur le front de l’emploi se confirme en 2016. Selon l’Insee, le taux de chômage au sens du BIT [1] s’élève à 9,9% au premier trimestre 2016 en France métropolitaine (10,2% en France hors Mayotte). Il diminue de 0,1 point sur un an, tandis que le taux d’emploi progresse de 0,2 point sur le trimestre et de 0,5 point sur un an. Les dernières statistiques de l’Insee portant sur l’emploi marchand indiquent ainsi 24 400 créations d’emplois salariés dans les secteurs principalement marchands au premier trimestre 2016, et 105 000 en cumul sur les quatre derniers trimestres (cf. graphique 1). Les enquêtes auprès des entreprises signalent également une poursuite de l’amélioration des intentions d’embauches, le secteur des services marchands restant le principal pourvoyeur d’emplois nouveaux (cf. graphique 2).

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Notre analyse du marché du travail à l’horizon 2017, détaillée dans le dernier exercice de prévisions de l’OFCE d’avril 2016, indique que le secteur marchand continuerait à créer des emplois d’ici la fin d’année 2016 (+0,3% au deuxième trimestre, puis +0,2% aux troisième et quatrième trimestres). Ce rythme de créations d’emplois serait suffisant pour envisager une baisse du taux de chômage d’ici la fin de l’année. Compte tenu de notre prévision pour le taux de croissance du PIB (+0,5 % au deuxième trimestre et de +0,4 % aux troisième et quatrième trimestres 2016), le taux de chômage atteindrait 9,7% fin 2016 en France métropolitaine (9,5% y compris effet du Plan de formation). Avec une croissance du PIB de 1,6 %, l’année 2016 serait ainsi marquée par une accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand, permettant une lente baisse du taux de chômage en 2016, baisse qui se poursuivrait jusqu’à la fin de l’année 2017.

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2012-2014 : l’emploi marchand aux abonnés absents

La période 2012-2014 est marquée par une très faible croissance de l’activité économique qui a lourdement pesé sur l’emploi dans le secteur marchand (-77 000 emplois entre le début d’année 2012 et la fin 2014, cf. tableau). La vigueur de l’emploi dans le secteur non marchand, soutenue par la montée en charge des contrats aidés (emplois d’avenir et contrats uniques d’insertion non marchands) a permis de compenser ces destructions d’emplois marchands, l’emploi total progressant de 158 000 sur la même période, ce qui a freiné la progression du taux de chômage au sens du BIT : celui-ci est passé de 9% de la population active fin 2011 à 10,1% fin 2014 en France métropolitaine, soit +1,1 point d’augmentation.

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2015-2017 : le redémarrage

L’année 2015 a vu une accélération des créations d’emplois tirée par la reprise des créations d’emplois dans le secteur marchand (+122 000). Elle marque ainsi une transition, avec en parallèle un moindre dynamisme des créations d’emplois dans le non marchand. Sur l’ensemble de l’année, l’accélération de la croissance (+1,2% en moyenne annuelle en 2015 mais 1,4 % en glissement annuel) et la montée en puissance des politiques de baisse du coût du travail (CICE et Pacte de responsabilité) ont soutenu les créations d’emplois. Les effets cumulés du CICE et du Pacte de responsabilité, une fois pris en compte l’effet du financement, auraient ainsi permis de créer ou de sauvegarder 45 000 emplois en 2015. Toutefois, les créations d’emplois ont été freinées par la présence de sureffectifs dans les entreprises[2] : en période d’accélération de l’activité économique, les entreprises absorbent généralement la main-d’œuvre sous-utilisée avant d’augmenter le volume d’emploi.

Du côté du secteur non marchand, la politique de l’emploi a continué de soutenir le marché du travail en 2015, via la hausse du nombre de contrats aidés. L’augmentation est cependant bien moins rapide que les années précédentes, le nombre d’emplois d’avenir (près de 90 000) atteignant un plafond fin 2015. Finalement, l’emploi total a progressé de 166 000 en 2015. Le nombre d’emplois créés étant supérieur à l’évolution de la population active, le nombre de chômeurs a diminué (-53 000 personnes), portant le taux de chômage au sens du BIT en France métropolitaine à 10,0 % de la population active au quatrième trimestre 2015, contre 10,1 % fin 2014.

Pour 2016 et 2017, le retour de la croissance (1,6 % par an) permettrait une fermeture du cycle de productivité [3] et une accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand, favorisée par les politiques de baisse du coût du travail (CICE, Pacte de responsabilité et Prime à l’embauche) qui enrichissent la croissance en emplois. Les créations d’emplois s’élèveraient, en glissement annuel, à 177 000 en 2016 et 134 000 en 2017 pour le seul secteur marchand. A partir de 2016, la politique de l’emploi, hors mesures fiscales, ne soutiendrait plus les créations d’emplois (-9 000 emplois aidés en 2016). Concernant l’année 2017, nous avons retenu l’hypothèse d’une stabilisation du stock de contrats aidés non-marchands. En revanche, le plan de formations (500 000 formations supplémentaires annoncées pour 2016 dans le cadre du Plan d’urgence pour l’emploi) monterait en charge au cours de l’année 2016, ce qui freinerait temporairement la hausse de la population active, en transférant une partie des chômeurs de longue durée vers l’inactivité, et accélèrerait de 0,2 point la baisse du chômage en 2016. Au total, l’accélération des créations d’emplois et les entrées en formation poursuivront la baisse du taux de chômage enclenchée fin 2015. Celui-ci atteindrait 9,5 % de la population active fin 2016 en France métropolitaine et se stabiliserait à ce niveau en 2017, ce qui le ramènerait à son niveau observé au deuxième semestre 2012.

Si l’horizon parait se dégager pour les perspectives d’emploi et de chômage, le rythme d’amélioration restera toutefois insuffisant pour effacer rapidement les stigmates de la crise. Rappelons que le taux de chômage s’élevait à 7,1% en moyenne en 2008 en France métropolitaine. Avec une baisse de 0,25 point du taux de chômage en moyenne chaque année, il faudrait dès lors attendre l’année 2027 pour retrouver le niveau d’avant-crise. Un retour plus rapide du chômage à ce niveau nécessitera de retrouver des taux de croissance plus élevés à l’avenir, via l’enclenchement d’une dynamique durable et auto-entretenue entre la consommation et l’investissement.

 

 

[1] Selon l’enquête emploi, une personne est considérée comme « chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) » si elle satisfait aux trois conditions suivantes :

  • être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant la semaine de référence de l’enquête ;
  • être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;
  • avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent l’enquête ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

[2] La présence de sureffectifs dans les entreprises provient de l’écart de la productivité du travail à sa tendance de long terme, appelé cycle de productivité. Ce dernier est le résultat du délai d’ajustement de l’emploi à l’activité. Voir Ducoudré et Plane, 2015, « Les demandes de facteurs de production en France », Revue de l’OFCE, n°142.

[3] Il subsisterait 70 000 personnes en sureffectif dans les entreprises fin 2015.




Ce que révèle le programme économique de Donald Trump

par Xavier Ragot

Les élections américaines sont un grand révélateur, au sens photographique du terme, des clichés économiques. Trois perspectives différentes sur ces élections livrent trois éclairages sur l’état de l’économie américaine tout d’abord, sur l’état de la pensée des économistes ensuite, et sur la nature de la relation entre les économistes et les politiques enfin.

Les primaires américaines ont été marquées par la « résistible ascension » de Donald Trump, et l’émergence de Bernie Sanders qui a bousculé Hilary Clinton sur sa gauche sans parvenir à s’imposer.

Le succès de Donald Trump, qui a contourné le parti républicain, repose sur des ressorts politiques qui utilisent une certaine paranoïa quant à la perte d’identité des Etats-Unis face aux concessions économiques faites à la Chine, politiques à l’Iran, militaires en Irak. Le thème du déclassement américain est réel aux Etats-Unis. Le succès de ce thème provient aussi de la réalité de la situation économique des classes moyennes et populaires aux Etats-Unis. Les cicatrices sociales induites par les inégalités aux Etats-Unis, magnifiquement étudiées par Thomas Piketty, se voient dans la rue, tant l’inégalité d’accès au système de santé est réelle (et incompréhensible pour un Européen). Si ce thème des inégalités est l’axe central de la campagne de Bernie Sanders, la colère populaire s’est aussi exprimée dans le camp républicain.

Le programme économique de Donald Trump a le charme poétique et inquiétant d’un inventaire à la Prévert. Il est difficile de l’identifier de droite, d’extrême droite ou de gauche, selon les critères européens. Le programme fiscal formel est ici, mais des interventions médiatiques l’ont considérablement « enrichi ». Donald Trump est en faveur de l’investissement dans les infrastructures et dans les dépenses militaires, pour la réduction des impôts, pour une hausse du salaire minimum, pour la fin de l’Obamacare et une totale privatisation de la santé, pour la taxation des riches, pour la réduction de l’immigration notamment provenant du Mexique (construction d’un mur entre les Etats-Unis et le Mexique), pour une agressivité commerciale envers la Chine accusée de dumping et, plus récemment, pour un défaut partiel sur les dettes publiques américaines. Ce dernier point fait des remous assez profonds chez les républicains. Les Etats-Unis étant un des rares pays au monde à n’avoir jamais fait défaut sur leurs dettes publiques, que le candidat républicain évoque publiquement cette possibilité est un choc.

Sur ce dernier point, l’auteur de ces lignes pense que le défaut sur les dettes publiques est une très mauvaise idée. Cela revient à une taxe non-assumée politiquement et non-maîtrisée avec un effet d’instabilité bancaire additionnelle. Autant assumer une taxe après un débat démocratique. Par ailleurs, pour soulager les dettes publiques, il est toujours possible de faire baisser les taux réels sur les dettes publiques pendant de nombreuses années, ce qui est possible avec une politique monétaire accommodante et sans répression financière (voir ce texte de Blanchard et co-auteurs).

Peu d’économistes défendent ce programme, même sur sa partie la plus strictement économique. Récemment une interprétation assez positive du programme de Donald Trump a été remarquée car émanant d’un économiste reconnu et respecté, Narayana Kocherlakota. Le texte est ici. Avant de préciser les raisons d’un soutien (très relatif) à Trump, il faut revenir sur la trajectoire de Narayana Kocherlakota, afin de penser comment la crise change la pensée des économistes. Kocherlakota est un économiste formé à l’Université de Chicago, et on lui doit des contributions fondamentales et très techniques en théorie financière, théorie monétaire, et en théorie dynamique des finances publiques, qui reposent sur l’application des outils de la théorie des contrats intertemporels. Du très sérieux académique! Kocherlakota a écrit un texte sur l’état de la pensée macroéconomique après la crise qui est très intéressant car reposant sur une vision large d’un chercheur qui ne reconnaît pas sa discipline dans les manuels d’économie (pour ne pas parler des livres grands publics). Kocherlakota est devenu président de la Réserve fédéral de Minneapolis en 2009 (pour quitter ce poste le premier janvier 2016). La FED de Minneapolis est connu comme étant un noyau dur et actif intellectuellement de la pensée « anti-keynésienne », pour aller vite. A ce poste Kocherlakota a vécu une profonde évolution intellectuelle et il a réalisé un tournant keynésien assez radical (Voir ici une contribution théorique originale), qui a entraîné des conflits avec ses collègues. Qu’est-ce qui manquait aux productions académiques de Kocherlakota? Quels sont les faits économiques qui l’ont à ce point déstabilisé?

La réponse à ces questions est évidemment difficile. Cependant, on peut avancer l’idée que ses propres travaux ne permettaient pas de penser l’efficacité des politiques monétaires non-conventionnelles et l’effet des plans de stimulation budgétaire d’Obama. En effet, le gouvernement américain a mené une politique monétaire et budgétaire très keynésienne (baisse d’impôt et création monétaire massive), qui a eu des effets positifs que les modèles de la Fed de Minneapolis ne permettaient pas de penser. L’ingrédient important qui manquait était les rigidités nominales qui donnent un rôle potentiellement important à la demande agrégée. La question des rigidités nominales en macroéconomie n’est pas un détail. J’ai écrit un texte sur le retour de la pensée keynésienne autour de la question des rigidités nominales.

Ainsi, l’indulgence de Kocherlakota pour le programme de Trump n’est pas celle d’un libéral dur, mais au contraire celle d’un keynésien converti, dont la foi semble un peu extrême. Kocherlakota vente la relance keynésienne de Trump par les dépenses publiques, par la baisse des impôts. La seule inquiétude de Kocherlakota est qu’il voudrait être sûr que Trump accepte une inflation plus élevée de l’ordre de 4% plutôt que 2%…

Ainsi, le programme de Trump contribue à brouiller les repères entre politique économique de gauche et de droite. Le thème des inégalités et de l’appauvrissement domine les débats dans les classes moyennes et populaires. Le problème mondial de manque de demande et de sous-emploi préoccupe les économistes sous le nom de stagnation séculaire. L’émergence de Bernie Sanders, le boubiboulga du programme économique de Trump (la violence de ses propos sur l’immigration n’est pas l’objet de ce texte), et à une autre échelle, l’évolution de Kocherlakota, révèlent la difficulté de l’émergence d’un paradigme économique cohérent et assis sur une base sociale large. Le politique (du côté républicain ou démocrate) cherche à tâtons une articulation différente entre l’Etat et le marché, un retour cohérent et efficace de la politique économique (monétaire et budgétaire) pour stabiliser les économies de marché et réduire les inégalités. Ce débat sera identique, mais avec une forme différente du fait de la question européenne, dans les élections présidentielles en France.




Croître et durer

par Hervé Péléraux

Un environnement macroéconomique toujours favorable à une reprise

La publication, le 29 avril dernier, d’une croissance de l’économie française de 0,5 % au premier trimestre 2016, en ligne avec nos dernières prévisions, est un signal conjoncturel encourageant. Elle confirme d’abord le changement du régime de croissance engagé à partir de la seconde moitié de 2014, passé de 0,1 % par trimestre en moyenne entre le deuxième trimestre 2011 et le deuxième trimestre 2014 à 0,3 % depuis (graphique). Elle semble ensuite indiquer que la capacité de croissance de l’économie française ne s’est pas éteinte après les crises à répétition survenues depuis 2008 et que l’appareil productif est à même de pouvoir répondre aux sollicitations de la demande intérieure à court terme, notamment en services. Enfin, en atteignant 2,2 % en rythme annualisé, la croissance du premier trimestre 2016 s’est élevée, comme aux deux trimestres précédents (respectivement 1,5 et 1,4 %), au-delà de la croissance potentielle évaluée à 1,3 % l’an selon nos estimations, ce qui pourrait signer une entrée de l’économie française dans une phase de reprise si le rythme d’expansion se maintenait durablement au-dessus de ce seuil.

Sous cet angle, l’expérience récente a montré que les signaux de reprise lancés par les comptes trimestriels pouvaient être trompeurs : les derniers épisodes de croissance forte au deuxième trimestre 2013 et au premier trimestre 2015 sont en effet restés sans suite, avec une retombée immédiate du taux de croissance le trimestre suivant. Ces précédents pourraient laisser craindre le renouvellement d’un tel scénario dans la première moitié de 2016, mais l’accumulation de signaux positifs, contrairement à début 2015, diminue le risque de cette éventualité à l’heure actuelle.

D’abord, le contre-choc pétrolier engagé à la mi-2014 semble n’avoir pas encore développé en totalité ses effets favorables sur l’économie, le décalage entre les fluctuations du prix du pétrole et de l’activité pouvant être estimé à 4 trimestres (voir sur ce point « Trois questions autour de l’impact à court terme des variations du prix du pétrole sur la croissance française »). Ce décalage, peu apparent dans les variantes traditionnelles issues du modèle e-mod.fr, constitue un aléa à la hausse sur notre prévision d’avril. L’élévation du taux de marge des sociétés non financières en 2015, renforcée par la montée en charge du CICE et du Pacte de responsabilité, et celle du taux d’épargne des ménages, en sont le signe. L’accumulation de ces capacités financières nouvelles devrait continuer à soutenir la consommation et l’investissement en 2016, après des hausses respectives au premier trimestre de 1,2 et 1,6 % (et de 2,6 % pour la FBCF  en produits manufacturés).

Les deux gros points noirs qui subsistaient en 2015, le secteur du bâtiment et l’investissement des administrations publiques, devraient s’atténuer en 2016. D’un côté, le redressement des résultats des enquêtes de conjoncture dans la construction témoigne de l’amélioration graduelle du secteur, et, de l’autre, l’amélioration des comptes publics permettra une sortie progressive de la politique d’austérité qui se traduira par une contribution deux fois moins négative de l’investissement des administrations en 2016 qu’en 2015. Enfin, l’environnement extérieur de la France devrait rester favorable, avec un pétrole bon marché, un euro faible et des taux d’intérêt historiquement faibles.

Climats de reprise

Cette nouvelle donne macroéconomique au début de 2016 est appuyée par les signaux favorables émanant des enquêtes de conjoncture qui témoignent de l’amélioration déclarée par les chefs d’entreprise de leur activité. Délivrant une information qualitative résumant les soldes d’opinions relatifs aux différentes questions posées sur l’activité des entreprises, les indicateurs de confiance peuvent être convertis en une information quantitative au moyen d’une équation économétrique reliant le taux de croissance trimestriel du PIB et les climats. Au vu de leur significativité, ne sont sélectionnés que les climats des affaires dans l’industrie, les services et la construction (tableau). Les autres séries, notamment l’indicateur de confiance des consommateurs, ne sont pas significatives et n’apportent pas, économétriquement, d’information supplémentaire pour retracer la trajectoire du taux de croissance du PIB.

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L’indicateur ne doit pas être considéré comme un prédicteur exact de la croissance du PIB (graphique). En revanche, d’un point de vue qualitatif, il parvient à délimiter assez correctement les phases durant lesquelles la croissance est supérieure ou inférieure à la croissance moyenne ou de long terme (la constante de la régression estimée à 0,4 % par trimestre), proche de la notion de croissance potentielle[1]. Sous cet angle, l’indicateur peut être vu comme un indicateur de retournement du cycle économique. Depuis le deuxième trimestre 2011, aucun franchissement du taux de croissance de long terme n’avait été envisagé par l’indicateur, malgré les faux signaux lancés à deux reprises par les chiffres trimestriels du PIB, au deuxième trimestre 2013 et au premier trimestre 2015. Sur la base des données d’enquêtes disponibles jusqu’en avril 2016, la croissance escomptée par l’indicateur serait de 0,4 % au deuxième trimestre 2016, rythme équivalent à celui de la croissance de long terme. Une telle prévision, si elle se réalisait, porterait l’acquis de croissance à 1,3 % à la mi-2016, rapprochant un peu plus l’économie française d’une croissance de 1,6 % pour l’ensemble de l’année, comme nous l’escomptons dans notre prévision d’avril. Il est toutefois à noter qu’à ce stade de l’information conjoncturelle en provenance des enquêtes, seul le mois d’avril est connu pour le deuxième trimestre. Les climats de confiance étant extrapolés sur les mois manquants, mai et juin, ces prévisions de croissance sont plus incertaines qu’à un stade plus avancé de l’information.

Mais il n’en demeure pas moins qu’à la différence de l’année dernière à la même époque, l’amélioration de l’environnement macroéconomique s’accompagne désormais de signaux qualitatifs de reprise émanant du bloc « enquêtes ». Ce qui accroît maintenant très fortement la probabilité de l’enclenchement d’une phase de réelle reprise en 2016.

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[1] La croissance de long terme considérée ici n’est pas la croissance potentielle estimée par ses déterminants structurels au moyen une fonction de production, mais la moyenne du taux de croissance du PIB telle qu’elle ressort de l’estimation de l’indicateur.




Plan de formation : un effet transitoire sur le chômage en 2016-2017

par Bruno Ducoudré

Lors des vœux présidentiels, François Hollande a annoncé un plan massif de 500 000 formations supplémentaires en 2016 pour les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi (DEFM). Ce sont en fait 350 000 formations supplémentaires qui s’ajoutent au 150 000 déjà annoncées en octobre 2015 lors de la Conférence sociale. Ce Plan s’inscrit dans le Plan d’urgence pour l’emploi, qui comprend notamment une prime à l’embauche pour les entreprises de moins de 250 salariés et des mesures pour l’apprentissage. Dans ce billet, on s’intéresse à l’effet de ce plan de formation sur le chômage au sens du BIT à l’horizon 2017, et non sur les demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) inscrits à Pôle emploi[1].

Selon l’enquête emploi, une personne est considérée comme « chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) » si elle satisfait aux trois conditions suivantes :

  • être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant la semaine de référence de l’enquête ;
  • être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;
  • avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent l’enquête ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

Des effets attendus incertains

Le plan de formation peut avoir un effet sur le taux de chômage par deux canaux : un basculement des chômeurs vers l’inactivité et une variation de l’emploi total si les chômeurs formés prennent un emploi vacant.

Les entrées supplémentaires en formation peuvent se traduire par une baisse transitoire du chômage au sens du BIT, les chômeurs en formation étant possiblement temporairement indisponibles pour reprendre un emploi au moment de l’enquête. Ces personnes entrées en formation sont alors considérées comme inactives au sens du BIT. L’effet sur les emplois vacants paraît négligeable à court terme dès lors que les chômeurs qui ne suivent pas de formation sont substituables à ceux en formation.

Par ailleurs, ces formations ciblées sur les demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés et de longue durée pourraient avoir un effet positif sur l’emploi total si elles se traduisaient à terme par une baisse des emplois vacants : les taux de retour à l’emploi à 6 mois sont ainsi les plus élevés pour les formations courtes de type « préalables à l’embauche[2] » – Action de Formation Préalable au Recrutement (AFPR) et Préparation Opérationnelle à l’Emploi Individuelle (POEI). A contrario, ces retours à l’emploi plus rapides pourraient se traduire par un retour à l’emploi retardé pour les chômeurs ne bénéficiant pas du dispositif. Plusieurs études sur les trajectoires des personnes sans emploi passées par un dispositif de formation trouvent d’ailleurs peu d’effet de ce passage en formation sur les taux de transition du chômage vers l’emploi[3]. Dans ce cas, l’effet net sur l’emploi total serait nul.

Un impact transitoire et limité sur le chômage

Lorsqu’une personne suit ou a suivi récemment une formation, elle peut être considérée comme inactive au sens du BIT (formation non achevée), comme chômeur (formation en cours d’achèvement et conditions remplies pour être considéré comme chômeur) ou en emploi (la formation s’est achevée et la personne est en emploi). A partir de l’Enquête Emploi en Continu, on peut calculer la probabilité d’être inactif sachant que la personne a déclaré avoir suivi une formation[4] au cours des 3 derniers mois. Parmi les personnes inactives ou au chômage de moins de 50 ans, cette probabilité s’élève à près de 50%[5]. Autrement dit, parmi les chômeurs et les inactifs, 50% de ceux déclarant avoir suivi une formation au cours des trois derniers mois sont considérés comme inactifs au sens du BIT. Si on prend en compte les personnes en emploi, cette probabilité diminue et s’élève à 10% : parmi les personnes inactives, au chômage ou en emploi de moins de 50 ans ayant déclaré avoir suivi une formation proposée par Pôle emploi ou un autre organisme d’aide à la recherche d’emploi au cours des 3 derniers mois jusqu’à la semaine de référence de l’enquête, 10% sont considérées comme inactives au sens du BIT. Ces proportions donnent ainsi des ordres de grandeur pour l’effet attendu du passage en formation sur l’inactivité et le chômage.

Lors de notre dernier exercice de prévision, nous avons retenu une montée en charge progressive du dispositif à partir du deuxième trimestre 2016, avec 300 000 formations supplémentaires en 2016 et 200 000 en 2017, compte tenu du délai de mise en place des nouvelles formations. La durée des formations est fixée à 2,4 mois, ce qui correspond à la durée moyenne des formations du « Plan 100 000 » en 2014. Une durée moyenne plus élevée se traduirait par une hausse plus marquée du stock de chômeurs en formation, avec un effet plus important sur l’évolution de la population active.

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Nous avons considéré que l’effet du plan de formation sur les emplois vacants serait nul. Si la formation dispensée aux chômeurs de longue durée accroît individuellement leur probabilité de retour à l’emploi, il est à ce stade difficile d’évaluer son impact sur l’emploi macroéconomique car cela suppose de quantifier les emplois non pourvus qui seraient pourvus grâce au plan de formation. Or, compte tenu de la situation générale de l’économie française caractérisée par un output gap négatif et donc un déficit de demande, l’emploi total ne peut augmenter à court terme du simple fait de la formation des chômeurs. L’effort de formation en leur faveur aurait surtout pour conséquence de modifier à court terme leur place dans la file d’attente de l’emploi. Toutefois, un effet négatif se traduirait par une baisse du stock d’emplois vacants et accentuerait la baisse du chômage inscrite en prévision.

Les chômeurs de longue durée entrés en formation en 2016 sortiraient donc provisoirement de la population active pour y être à nouveau comptabilisés en 2017. Compte tenu de ces hypothèses, le nombre de chômeurs en formation passerait ainsi de 257 000 fin 2015 à 363 000 fin 2016 (graphique 1), ce qui correspondrait à une baisse de la population active comprise entre 16 000 et 55 000 personnes en 2016 selon l’impact retenu. Une plus forte concentration des formations sur l’année 2016 se traduirait par une baisse plus rapide du chômage. A contrario, si une partie des formations se substituait aux formations hors « Plan 500 000 », cela réduirait le total des entrées en formation en 2016-2017, et l’effet attendu sur le chômage.

 

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L’effet du Plan de formation sur le taux de chômage atteindrait son maximum au quatrième trimestre 2016, le taux de chômage baissant de 0,05 à 0,15 point. Si l’ensemble des entrées en formation se traduisait par une comptabilisation des personnes en inactivité, l’effet maximum serait porté à –0,5 point de taux de chômage. La fin progressive du Plan de formation ainsi que le retour des personnes en formation au sein de la population active se traduisent par un effet nul du plan de formation sur le chômage dès la fin d’année 2017. Mécaniquement, une montée en charge différente des entrées en formation modifierait le profil de l’impact du Plan de formation sur le taux de chômage, sans pour autant modifier les créations d’emplois.

[1] La hausse du nombre de demandeurs d’emploi en formation devrait se traduire par un transfert essentiellement des demandeurs d’emploi de la catégorie A (demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi, sans emploi) vers la catégorie D (demandeurs d’emploi non tenus de rechercher un emploi (en raison d’une formation, d’une maladie, …) y compris les demandeurs d’emploi en contrat de sécurisation professionnelle (CSP), sans emploi).

[2] D’une durée maximale de 400 heures, ces formations préalables à l’embauche sont financées par Pôle emploi. Elles permettent au demandeur d’emploi d’acquérir des compétences nécessaires pour occuper un emploi correspondant à une offre déposée par une entreprise à Pôle emploi. Cf. Enquête « sortants de formation prioritaire 2014, » Pôle Emploi, Éclairages et Synthèses, n°17, septembre 2015.

[3] Crépon Bruno, Marc Ferracci, et Denis Fougère, “Training the Unemployed in France: How Does It Affect Unemployment Duration and Recurrence?”. Annals of Economics and Statistics 107/108 (2012): 175–199.

[4] Formation non formelle hors cours de sport et cours liés à des activités culturelles ou de loisirs.

[5] Il apparaît aussi que parmi les inactifs ayant suivi, au cours des 3 derniers mois jusqu’à la semaine de référence de l’enquête, une formation proposée par Pôle emploi ou un autre organisme d’aide à la recherche d’emploi, environ 50% déclarent être indisponibles au motif qu’ils achèvent leur formation.




Le recul industriel trouve-t-il son explication dans la dynamique des services ?

Sarah Guillou

Le vendredi 8 avril 2016, l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques a ouvert une série de séminaires trimestriels relatifs à l’analyse du tissu productif. Sa vocation est d’être un lieu de rencontre entre chercheurs et de débat sur l’état, la diversité et l’hétérogénéité des entreprises de l’appareil productif français. Ce débat est aujourd’hui éclairé par l’usage croissant des données d’entreprises. Ce faisant, nous souhaitons enrichir le diagnostic sur les faiblesses et les atouts de la production française dans l’optique de guider l’élaboration de politiques publiques désireuses de renforcer l’appareil productif français.[1]

Le premier séminaire s’est  intéressé au rôle des services dans la désindustrialisation mesurée par le recul de l’emploi industriel dans l’emploi total. En France depuis 2000, l’industrie manufacturière a perdu plus du quart de sa force de travail, soit plus de 900 000 emplois. Une note récente de l’INSEE (Insee Première, No 1592) souligne que le poids de celle-ci dans l’économie a été divisé par deux de 1970 à aujourd’hui. Bien qu’ayant suscité une plus forte attention en France qu’ailleurs, sans doute en raison de la tradition interventionniste française et des difficultés du marché de l’emploi, la désindustrialisation est à l’œuvre dans toutes les économies développées. Ce qui alors interroge sur les tendances structurelles sous-jacentes communes à tous les pays.

Or le recul de l’emploi industriel s’accompagne de créations nettes d’emplois dans les services. On observe par ailleurs que la dynamique des services est en partie gouvernée par des changements des modes de production dans l’industrie. Les produits incorporent un contenu en services de plus en plus important et les entreprises augmentent leur portefeuille de produits de services. La fragmentation des processus de production – accentuée par les opportunités de la globalisation – isole les unités de fabrication à moindre valeur ajoutée des unités « serviciels » à forte valeur ajoutée.

Ces changements des modes de production méritent d’être analysés pour comprendre l’ampleur du phénomène. Il semble que les changements qui s’opèrent au sein de l’industrie soient tout autant les moteurs du déclin industriel que de la montée des services dans l’emploi. Autrement dit, on peut se demander dans quelle mesure la désindustrialisation ne trouve pas son image – sinon son explication – dans la dynamique des services.

Trois contributions ont permis d’apporter des éléments de réponses autour des interrogations suivantes : quelles entreprises manufacturières produisent des services  et avec quel impact sur leur performance ? Quel est le rôle des services dans l’évolution des chaînes de valeurs mondiales ? Les flux internationaux de services se substituent-ils aux flux de marchandises ? On retiendra trois principaux enseignements.

1 – « Servitisation » et recul des emplois manufacturiers sont clairement corrélés

Les produits manufacturés incorporent en effet une quantité de plus en plus importante de services. Cela peut s’observer à la fois par la plus grande part des entreprises qui produisent des services (Crozet et Millet, 2015) et en exportent (Castor et al., 2016) et par la croissance du contenu en services des exportations (Miroudot, 2016)[2].

La croissance de la valeur ajoutée « services » des entreprises peut ainsi faire basculer tout leur emploi dans les secteurs de services, y compris les emplois proprement manufacturiers, si la valeur ajoutée service devient dominante. Aujourd’hui 40% en moyenne de l’emploi manufacturier correspond à des activités de services. Par ailleurs, on observe une accentuation de la fragmentation du processus de production et de la répartition à l’échelle mondiale des activités ainsi externalisées en fonction des avantages comparatifs des localisations. Si l’entreprise garde un ancrage domestique, elle ne conserve le plus souvent sur le marché domestique que les emplois à plus forte valeur ajoutée, en cohérence avec le coût du travail relatif et les qualifications, emplois qui relèvent souvent des services.

Il faut reconnaître que ces changements des modes de production reflètent bien une moindre importance des fonctions de fabrication dans la valeur ajoutée d’un produit, ce qui est en soit un recul du manufacturier parmi les sources de la richesse des nations. Mais il importe de ne pas sous-estimer l’effet de la fragmentation des unités de production. Ainsi, des emplois relevant de fonction de services, autrefois attribués au secteur manufacturier, sont requalifiés en emplois de service alors que la tâche productive sous-jacente n’a pas changé et ceci indépendamment de la localisation à l’étranger.

Toutefois, cette requalification est d’autant plus probable que la « servitisation » s’accélère et s’impose aux entreprises comme un facteur de compétitivité.

2 – La « servitisation » du manufacturier est un facteur de compétitivité

Associé à l’amélioration qualitative des produits et plus généralement à la création de valeur dans le manufacturier, la « servitisation » est un levier de la compétitivité.

Comme le montre Crozet et Millet (2015), la production de services des entreprises manufacturières est un élément qui augmente leurs performances. Les entreprises manufacturières françaises qui produisent des services sont en fait très nombreuses puisque 70% de celles-ci en produisent pour des tiers (chiffres 2007). La décision de produire des services est une rupture importante qui augmente clairement les performances. Ainsi les estimations des auteurs montrent que cette décision augmente la profitabilité, l’emploi, les ventes totales et les ventes de biens. Bien que des variantes sectorielles s’observent, l’effet positif sur les performances est constaté quels que soient les secteurs industriels.

Au niveau agrégé, la part des services importés dans les exportations de biens est également en croissance. Dans les exportations françaises, selon les secteurs, la part des services a atteint entre 30% et 50%. La fragmentation des processus de production conduit à l’externalisation de certaines fonctions de services et à l’approvisionnement en services importés. Cette dynamique va de pair avec l’insertion des économies dans les échanges internationaux, avec le bénéfice des opportunités de la globalisation et au final avec la compétitivité des économies (voir De Backer et Miroudot, 2013).

3 – Les exportations directes ou indirectes de services vont continuer de contribuer positivement au solde commercial

Les évolutions précédentes impactent directement le commerce de services. C’est en effet de plus en plus les services qui alimentent le commerce de produits intermédiaires, ce dernier étant estimé à près de 80% du commerce mondial. La digitalisation, tout comme la différenciation par les services,  entraînent une fragmentation de la production incluant de plus en plus de services.

Le commerce de services en France n’a pas accusé de recul depuis la crise de 2007. Bien que le solde des services décroisse légèrement depuis 2012, il est positif depuis le début du 21e siècle et la croissance des exportations de services est plus dynamique que celle des biens. Troisième exportateur mondial de services – notamment en raison du tourisme – la France va connaître une augmentation du poids des exportations des services dans sa balance commerciale. Certes, pour le moment, le volume des services exportés ne compense pas le solde négatif des biens, mais le développement des échanges intra-firmes en services et des services intermédiaires finira par renverser les poids respectifs.

Le commerce de services est encore plus concentré que le commerce de biens. Il est principalement le fait des entreprises multinationales françaises ou étrangères qui réalisent plus de 90% de ce commerce. Un peu plus de la moitié des échanges se font avec l’Union européenne (UE) mais celui-ci est déficitaire, alors qu’il est excédentaire en dehors de l’UE. Il est intéressant de noter que si le solde est positif quand les entreprises appartiennent à un groupe français, il est déficitaire pour les entreprises qui appartiennent à un groupe étranger (Castor et al., 2016).

En conclusion

Il apparaît que la dichotomie entre industrie et services devient de plus en plus inapte pour décrire la dynamique de l’emploi et la spécialisation productive des économies. Une approche en termes de fonctions productives qui déclinerait l’emploi selon qu’il relève des activités proprement de fabrication des autres activités comme les services de transport ou de logistique, les services administratifs de support ou encore les services de R&D, permettrait une meilleure appréhension des qualifications et des avantages comparatifs d’une nation.

Plus généralement, le dynamisme des services et leur prégnance croissante dans la production et les exportations leur confèrent une place de plus en plus centrale dans la croissance de l’économie. Le renforcement des statistiques relatives à la production et aux exportations de services ainsi qu’une amélioration de l’appréciation de la productivité dans les services sont des préalables à une meilleure compréhension du rôle des services dans la croissance et des leviers à activer.

 

[1] L’organisation du séminaire OFCE sur l’Analyse du Tissu Productif s’appuie sur un comité scientifique composé de : V. Aussilloux (France Stratégie), C. Cahn (BdF), V. Charlet (La Fabrique de l’Industrie), M. Crozet (Univ. Paris I, CEPII), S. Guillou (OFCE), E. Kremp (INSEE), F. Magnien (DGE), F. Mayneris (Univ. Louvain), L. Nesta (OFCE), X. Ragot (OFCE), R. Sampognaro (OFCE), et V. Touzé (OFCE).

[2] Miroudot S. (à paraître 2016), “Global Value Chains and Trade in Value-Added: An Initial Assessment of the Impact on Jobs and Productivity”, OECD Trade Policy Papers, n° 190, OECD Publishing.