Sortir de l’euro ?

par Christophe Blot, Jérôme Creel, Bruno Ducoudré, Paul Hubert, Xavier Ragot, Raul Sampognaro, Francesco Saraceno, et Xavier Timbeau

L’évaluation des effets de la sortie de la France de la zone euro (Frexit) est un exercice des plus délicats tant les voies en sont multiples et les effets incertains. Cependant, cette proposition étant avancée dans un débat plus général sur les coûts et bénéfices de l’appartenance à l’Union européenne et à l’euro, il est utile de discuter et estimer les mécanismes en jeu.

La question de l’appartenance à l’euro s’ancre sur plusieurs points de diagnostic peu consensuels. D’une part, les bénéfices liés à la monnaie unique 18 ans après sa création ne sont pas perçus comme flagrants ; d’autre part l’hétérogénéité de la zone monétaire ne s’est pas réduite de façon évidente et, ce qui peut être lié, les déséquilibres de balance courante qui se sont accumulés dans la première décennie de la zone euro et qui ont été amplifiés ensuite par les conséquences de la crise financière globale de 2008 contraignent les politiques économiques.

La dissolution de l’union monétaire européenne serait un événement inédit, non seulement pour les pays membres mais aussi du point de vue de l’histoire des unions monétaires. Non pas que des expériences de dissolution n’aient jamais eu lieu – Rose (2007) comptabilisait déjà 69 cas de sortie d’union monétaire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – mais, à de nombreux égards, ces expériences offrent peu d’éléments de comparaison (Blot & Saraceno, 2014) et ne permettent pas de mettre en évidence des régularités empiriques qui pourraient nous informer sur les possibles infortunes ou chances de succès d’un éclatement de la zone euro.

Pour autant, la référence aux épisodes passés n’est pas le seul outil par lequel l’économiste peut produire une analyse de l’éclatement de la zone euro. Il est en effet possible de mettre en lumière les mécanismes qui seraient à l’œuvre si l’on devait mettre un terme au projet d’union monétaire en Europe. Les chemins possibles en cas d’éclatement de la zone euro sont nombreux et toute analyse en termes de coûts et de bénéfices doit être interprétée avec la plus grande prudence dans la mesure où, à l’incertitude portant sur l’évaluation quantitative des mécanismes à l’œuvre, s’ajoute celle du scénario qui se dessinerait en cas de sortie. Dans ces conditions, la sortie de la zone euro ne peut pas forcément s’appréhender que du point de vue de son impact sur le taux de change ou de ses effets financiers. Il est en effet fort probable que la sortie s’accompagnerait de la mise en œuvre de politiques économiques alternatives. L’analyse effectuée ici n’engage pas ce débat et se borne à expliciter les mécanismes macroéconomiques à l’œuvre en cas d’éclatement de la zone euro sans détailler les réactions de politiques économiques et des effets de second tour.

L’hypothèse centrale que nous retenons ici est celle d’un éclatement complet de l’union monétaire et non celle où la France seule en sortirait. En effet, si la France, deuxième économie de la zone euro venait à en sortir, l’existence même de cette zone monétaire serait remise en question. La dévaluation du franc par rapport aux pays du sud de l’Europe restés dans la zone euro déstabiliserait leur économie et les pousserait hors de la zone euro amputée. Nous ne traitons pas ici l’ensemble des éléments techniques en lien avec l’organisation de la dissolution[1] – mise en circulation des nouvelles monnaies, liquidation de la BCE et arrêt du système TARGET, etc. – mais nous nous concentrons sur l’analyse des effets macroéconomiques[2]. Deux types d’effets seraient alors à l’œuvre. D’une part, la dissolution de l’union monétaire européenne entraînerait de facto un retour aux monnaies nationales et donc à une dévaluation ou une réévaluation des monnaies des pays de la zone euro vis-à-vis des partenaires de la zone euro mais aussi vis-à-vis des pays hors zone euro. D’autre part, la redénomination des actifs et des passifs aujourd’hui libellés en euros et la perspective de mouvements de change auraient des effets financiers que nous analysons au prisme des crises financières passées. Nous retenons donc un scénario de crise contenue.

La sortie unilatérale de la France de la zone euro et l’éclatement de la zone euro qui s’en suivrait interdisent un scénario de type monnaie commune où une coopération forte entre les anciens Etats membres permettrait de maintenir une grande stabilité des changes et de préserver de fait un statu quo économique. Un tel scénario a une faible vraisemblance puisqu’il conduirait à ne pas utiliser les marges de manœuvre ouvertes par la sortie et à maintenir le carcan supposé et dénoncé. La crise est contenue dans le sens où les effets les plus violents seraient cependant réduits par des politiques coordonnées. Cela conduit donc à des mouvements de change rapides, importants, mais qui se stabilisent à un horizon de quelques trimestres[3]. Nous supposons en revanche que chaque pays poursuit son intérêt propre sans coopération particulière.

I  – Un résumé des  mécanismes économiques en jeu

Les gains attendus de la sortie de la zone euro

En premier lieu, la sortie de la zone euro conduirait à ce que les taux de change entre les monnaies des pays qui la composent puissent à nouveau varier les uns par rapport aux autres. Dans ces conditions, se pose la question de la valeur du taux de change vers laquelle ces monnaies vont converger. Les gains attendus seraient d’une part une amélioration de la compétitivité du fait de la dévaluation du franc. Une telle dévaluation génèrerait de l’inflation importée à court terme, avant d’accroître le pouvoir d’achat et la croissance. Le second gain concerne la possibilité de définir une politique monétaire et budgétaire différenciée par pays et donc plus appropriée à la conjoncture française.

La sortie de la zone euro permettrait par ailleurs de mettre des tarifs douaniers défavorables aux importations des autres pays et donc favorables aux producteurs sur le territoire national mais qui se répercuteraient aussi sur les prix à la consommation et donc sur le pouvoir d’achat des ménages[4].

Les coûts de la sortie de la zone euro

 Une sortie de la France de la zone euro entraînerait une sortie d’autre pays qui verraient leur monnaie se déprécier par rapport au franc, notamment les pays du sud de l’Europe. L’effet net sur la compétitivité peut s’avérer ambigu.

Un Frexit entraînerait des mouvements de change, ce qui se traduirait par un retour des coûts de transaction sur les échanges monétaires entre les pays de la zone euro. Par ailleurs, l’éclatement de la zone euro provoquerait également une redénomination des actifs et des dettes en monnaie nationale. Au-delà des aspects juridiques, ces effets de bilan appauvriront les agents qui détiennent des actifs re-dénominés en monnaie se dépréciant et des dettes re-dénominées en une monnaie s’appréciant (et inversement pour l’enrichissement). Les incertitudes sur les effets de bilan, notamment pour les intermédiaires financiers et les banques, devraient conduire à une période de fort ralentissement du crédit.

Le gain de l’autonomie de la politique monétaire est incertain dans la période actuelle. En effet, il est difficile de concevoir une politique monétaire beaucoup plus expansionniste que la politique de taux négatifs de la BCE et de rachat de titres[5]. La Banque de France pourrait certes racheter la dette publique nationale en créant de la monnaie, mais il n’est pas évident que le gain soit important face à la faiblesse des taux d’intérêt actuel sur la dette publique française[6]. Notons que la persistance d’une balance courante déficitaire nécessiterait de la financer par une épargne extérieure et que cette contrainte extérieure pourrait affecter la politique monétaire, obligeant par exemple à une hausse des taux d’intérêt courts et longs qui pourrait imposer un contrôle des capitaux par le gouvernement.

Enfin, la mise en place d’un protectionnisme commercial entraînerait de toute évidence des mesures de rétorsion des partenaires lésés qui nuiraient aux exportations françaises. L’effet net serait globalement négatif sur le commerce mondial, sans gain sur le plan national.

II – Les effets sur le change et la compétitivité

Un Frexit ne conduirait pas à de forts gains de compétitivité. En effet, nous avons simulé l’effet d’un Frexit de la manière suivante :

  1. Nous faisons l’hypothèse qu’un Frexit conduirait à un délitement rapide de la zone euro ;
  2. Dès lors nous utilisons nos estimations de taux de change d’équilibre de long terme, présentées dans le chapitre 4 du Rapport iAGS 2017. Il apparaît que la parité d’équilibre pour le nouveau franc correspondrait à une dévaluation effective réelle de 3,6 % par rapport au niveau actuel de l’euro. Il s’agit d’une variation réelle, c’est-à-dire une fois corrigée des effets de l’inflation et effective, c’est-à-dire qui tient compte des variations de change par rapport aux différents partenaires commerciaux, possiblement de sens contraire. Le nouveau franc serait dévalué par rapport à la monnaie allemande, mais s’apprécierait par rapport à la monnaie espagnole ;
  3. Utilisant les estimations empiriques des ajustements du taux de change (Cavallo et al., 2005), nous déterminons une trajectoire de court terme des taux de change. Notre estimation est une dépréciation du taux de change effectif de la France de 13,7% vis-à-vis des autres pays de la zone euro, et une appréciation de 8,6% vis-à-vis des pays qui n’appartiennent pas à la zone euro.

A partir de simulations du modèle emod.fr, nous évaluons un gain modeste de compétitivité. L’effet sur le PIB serait proche de 0 la première année et de 0,4% au bout de trois ans. Ces chiffres sont faibles et sont en référence à un scénario sans réajustement à l’intérieur de la zone euro. En ouvrant la possibilité d’un tel ajustement graduel à l’intérieur de la zone euro (selon des mécanismes par exemple évoqués dans l’iAGS 2016) le gain potentiel serait encore plus faible. Encore une fois, il est possible d’envisager que la politique monétaire conduite par la Banque de France cherche à dévaluer plus fortement la monnaie française par rapport à celle de ses concurrents. Mais, dans un tel schéma, il est fort probable que ces derniers souhaitent à leur tour préserver leur compétitivité et s’engager dans des politiques de dévaluations compétitives.

III – Les effets financiers : les effets des crises bancaires

La dissolution de la zone euro et le retour aux monnaies nationales auraient d’importantes répercussions sur les systèmes bancaires et financiers nationaux de par leur activité internationale et provoqueraient le retour de l’exposition au risque de change à l’intérieur de la zone euro. Nous évaluons dans un premier temps les risques que font peser l’éclatement de la zone euro sur le système bancaire. Les mécanismes à l’œuvre sont de nature à provoquer une crise bancaire dont les coûts en termes d’activité peuvent être élevés.

Le retour aux monnaies nationales dans un espace financièrement intégré engendrerait forcément un bouleversement important pour le système financier. Ces effets ne sont pas comparables à ceux qui ont été observés au moment de l’adoption de l’euro. En effet, comme l’ont montré Villemot et Durand (2017), les effets de bilan seraient potentiellement importants pour un scénario de faible coordination.

Les effets de bilan pourraient être réduits dans le cas d’une coordination internationale lors de la sortie de l’euro. Une telle coordination permettrait de répartir de manière cohérente les actifs et passifs de la BCE, notamment dans le cadre de Target 2. Une coordination importante lors de la sortie de la zone euro semble cependant une hypothèse difficile à retenir. Il est illusoire de croire que les difficultés de coordination se réduiraient. Elles devraient, au contraire, s’accroître dans un climat d’instabilité au lieu de celui d’un destin partagé. De ce fait, nous excluons dans le scenario de sortie de la zone euro la mise en place d’une architecture financière ou monétaire nouvelle.

Le risque de crise bancaire ou financière est central pour comprendre les impacts qu’aurait l’éclatement de la zone euro. Ils passeraient par trois canaux principaux. Le premier est la fuite des dépôts, de l’épargne et la liquidation de détresse d’actifs financiers. Le second tient aux effets de désalignement de change sur les bilans bancaires et des assureurs. Le troisième concerne le risque souverain qui porterait soit sur la dette publique et son financement, soit en cas de monétisation non contrôlée de cette dette, du retour d’une contrainte extérieure dure. La littérature économique nous offre des développements récents (notamment Rogoff et Reinhart, Borio, Schularik, le FMI) qui tentent d’évaluer des crises bancaires ou financières. Précisons d’emblée que cette littérature ne traite pas des dissolutions des unions monétaires. Dans les différentes crises bancaires répertoriées depuis les années 1970 par Laeven et Valencia (2010 et 2012), il n’est pas fait mention de crises liées à des dissolutions d’union monétaire. Néanmoins, les effets financiers à l’œuvre en cas d’éclatement de la zone euro sont, comme évoqué précédemment, des facteurs de risque de crise bancaire ou financière.

Par ailleurs, la littérature économique sur les crises de change a pointé le lien avec les crises bancaires (Kaminsky et Reinhart, 1999). L’éclatement d’une union monétaire traduit de fait une situation de crise du régime de change qui entraîne des réévaluations et des dévaluations avec sur-ajustement des taux de change, comme nous le soulignons dans la partie précédente. Dès lors, la référence au coût des crises bancaires permet d’illustrer les effets potentiellement négatifs d’une sortie de la zone euro. Il faut cependant bien rappeler que ces coûts correspondent à une évaluation globale des crises bancaires qui ne permettent pas d’identifier précisément les mécanismes par lesquels le choc financier se propage vers l’économie réelle. Une telle évaluation consistant à identifier l’impact qui serait lié à la hausse des différentes primes de risque, à des effets de rationnement du crédit ou à l’incertitude est bien plus délicate à réaliser. Une analyse menée par Bricongne et al. (2010) sur les différents canaux de transmission de la crise financière de 2007-2008 suggère que la part de l’inexpliqué est importante. Aussi à défaut d’une analyse plus fine, nous faisons l’hypothèse que les expériences historiques de crise bancaire sont le principal élément quantitatif permettant d’approcher l’éventuel impact négatif – via les effets financiers – d’un éclatement de la zone euro.

Laeven et Valencia (2012) ont analysé 147 crises bancaires dans les pays développés et émergents au cours des dernières décennies (1970-2011). Ils calculent les pertes de production comme le cumul sur trois ans de la perte relative de PIB réel par rapport à sa tendance[7]. Pour les pays développés, la perte cumulée de croissance est en moyenne de 33 points de PIB. Durant ces 3 ans de crise, la dette publique augmente en moyenne de 21 points de PIB (en partie à cause des recapitalisations bancaires), l’augmentation du bilan de la banque centrale est de 8 points de PIB, et le taux de prêts non-performants augmente de 4 points de pourcentage. Il faut noter qu’il y a une forte hétérogénéité du coût des crises selon les crises considérées et selon le pays considéré. Ainsi, l’évaluation que font les auteurs du coût de la crise bancaire de 2008 en termes de croissance à la suite de la faillite de Lehman Brothers se chiffre à 31 points de PIB pour les Etats-Unis et 23 points de PIB pour la zone euro dans son ensemble. Hoggarth, Reis et Saporta (2002) ont mené une étude similaire et cherchent à fournir des évaluations robustes à la mesure de la tendance du PIB. Ils constatent des pertes cumulatives de production pendant les périodes de crise allant de 13 à 20 points de PIB selon l’indicateur retenu. Ces estimations du coût des crises bancaires sont cependant à considérer avec prudence car elles reposent sur de nombreuses hypothèses et notamment sur la trajectoire qu’auraient suivie les pays en l’absence de crise.

IV – Les gains de l’autonomie monétaire

Les gains d’une politique monétaire alternative dépendront de l’orientation nouvelle de la politique monétaire qui reste à préciser, et qui déterminera les conditions de financement de l’économie. Une telle politique sera probablement ultra-accommodante du fait de l’instabilité financière et bancaire générée par les effets de bilan.

Les évaluations de la contribution des conditions financières en France de 2014 à 2018 suggèrent cependant que celles-ci ne sont pas le facteur le plus important pour expliquer la faiblesse de l’activité.  Sur cette période, les conditions financières et monétaires contribuent à la croissance du PIB entre -0,1 à 0,2 point[8]. Ainsi, il y a peu de gain à attendre d’une nouvelle politique monétaire ultra-accommodante (indépendamment des effets sur le change discutés en première partie ou de l’impact de la contrainte extérieure).

Conclusion

Ce texte a pour but de brosser les conséquences possibles d’un Frexit, sans entrer dans une quantification trop détaillée et donc périlleuse.

  1. Contrairement à ce qui est parfois avancé, il y a peu à attendre en termes de compétitivité ou en marges de manœuvre de la politique monétaire à court terme ;
  2. Le coût principal proviendrait de la crise bancaire ou financière induite par les effets de bilans, notamment dans le cadre d’une sortie non ordonnée.

A ce stade de l’analyse, il est difficile d’identifier les effets économiques positifs potentiels d’un Frexit alors que les risques d’un impact négatif en raison des effets financiers semblent très importants.

 

Références

 

Blot C. et Saraceno F., 2014, « Que sait-on de la fin des unions monétaires ? », OFCE Le Blog, 11 juin.

Bordo, M., Eichengreen, B., Klingebiel, D., et Martinez-Peria, M. S., 2001, « Is the crisis problem growing more severe?  » Economic Policy, 32, 51-82.

Bricongne J-C., Fournier J-M., Lapègue V., et Monso O., 2010, « De la crise financière à la crise économique. L’impact des perturbations financières de 2007 et 2008 sur la croissance de sept pays industrialisés », Economie et Statistique,  n° 438-440, 47-77.

Capital Economics. 2012. Leaving the euro: A practical guide.

Cavallo Michelle, Kate Kisselev, Fabrizio Perri, Nouriel Roubini, 2005, « Exchange rate overshooting and the costs of floating »,  Federal Reserve Bank of San Francisco Working Paper Series.

Demirguc-Kunt, A., et Detragiache, E., 1998, « The determinants of banking crises in developed and developing countries », IMF Staff Papers 45, 81–109.

Destais C., 2017, « Lex monetae : de quoi parle-t-on ?  », CEPII le blog, 14 mars.

Diamond, D. W., et Dybvig, P. H., 1983, « Bank runs, deposit insurance, and liquidity »,

Journal of political economy, 91(3), 401-419.

Furceri, D., et Mourougane A., 2012, « The effect of financial crises on potential output: New empirical evidence from OECD countries », Journal of Macroeconomics, 34, 822-832.

Gorton, G., 1988, « Banking panics and business cycles », Oxford Economic Papers, 40, 751-781.

Hoggarth, G., Reis R., et Saporta V., 2002, « Costs of banking system instability: some empirical evidence », Journal of Banking & Finance, 26(5), 825-855.

Honkapohja S., 2009, « The 1990’s financial crises in Nordic countries », Bank of Finland Discussion Paper, 5.

Jordà, Ò., Schularick M., et Taylor A., 2013, « When Credit Bites Back, Journal of Money  », Credit and Banking, 45(s2), 3-28.

Kaminsky, G. L., Reinhart, C. M., 1999, « The twin crises: The cause of banking and balance of payment problems », American Economic Review, 89, 473-500.

Laeven, L., et Valencia F., 2010, « Resolution of banking crises: the good, the bad and the ugly »,  IMF Working Paper, n° 10/44.

Laeven, L., et F., Valencia., 2012, « Systemic Banking Crises Database: An Update », IMF Working Paper, n° 12/163.

Reinhart, C. M., & Rogoff. K. S., 2009, « The Aftermath of Financial Crises », American Economic Review, 99(2), 466-72.

Rose A., 2007, « Checking out: exits from currency unions », Journal of Financial Transformation, 19, 121-128.

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[1] Ces points sont en grande partie discutés dans Capital Economics (2012).

[2] Il est difficile de bâtir un scénario contrefactuel de long terme dans le cas de la sortie de l’euro. Nous nous concentrons donc sur les effets de court et de moyen terme des transitions éventuelles.

[3] Nous évacuons implicitement le scénario d’une guerre des monnaies où chaque pays tenterait de gagner en compétitivité par des dévaluations qui nous écarteraient durablement d’une convergence vers un taux de change d’équilibre réel.

[4] La mise en place de tels tarifs demande la sortie de l’Union européenne. Sans développer ces analyses ici, il est très probable que la sortie de la zone euro entraînerait une sortie de l’union européenne. Il existe des évaluations de la contribution de l’UE au commerce et à la croissance intra-européenne que nous n’utilisons pas ici dans notre approche de court terme.

[5] Par son programme d’assouplissement quantitatif, la BCE achète essentiellement des titres de dette publique incluant donc des titres de dette française. En février 2017 l’encours de titres détenus par la BCE dans le cadre de ce programme (PSPP) s’élevait à 1 457,6 milliards d’euros. La répartition des achats se faisant selon la part du capital de la BCE souscrit par les banques centrales des Etats-membres, la fraction de titres de dette française dépasserait 200 milliards d’euros.

[6] S’affranchir de la contrainte du Pacte de stabilité et de croissance peut permettre un gain en soi. Cela suppose que la contrainte du PSC va au-delà de ce que la soutenabilité de la dette publique demande.

[7] Ces évaluations montrent cependant qu’il y a une forte hétérogénéité dans les coûts évalués selon les pays considérés.

[8] https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/documents/prev/prev1016/france.pdf




Le bâtiment a fière allure …

par Pierre Madec

Les chiffres du premier trimestre 2017 publiés le 28 avril par l’INSEE ont confirmé le redressement du secteur de la construction à l’œuvre depuis maintenant plusieurs trimestres : le nombre de logements mis en chantier a atteint 379 000 unités, dépassant ainsi sa moyenne observée depuis 2000 (375 000). Dans le même temps, le nombre de logements autorisés à la construction frôle la barre symbolique des 450 000.

Très dégradée depuis 2012, la confiance des professionnels du secteur poursuit également son redressement. Au premier trimestre 2017, les perspectives de mises en chantier et la demande de logements neufs sont proches de leur moyenne de long terme et les perspectives de mises en chantier de logements sociaux affichent, elles, des valeurs proches de celles observées en 2009 lors du plan de soutien au secteur social entrepris par Nicolas Sarkozy.

Si les premières estimations des comptes trimestriels publiées le 28 avril 2017 sont décevantes avec un taux de croissance du PIB de 0,3%  au premier trimestre 2017, l’amélioration de la situation conjoncturelle du secteur du bâtiment a contribué fortement à cette faible croissance. En effet, au premier trimestre 2017, l’investissement des ménages – pour grande partie (82%) en logement – a cru, comme au dernier trimestre 2016, de 0,9%, portant l’acquis de croissance de la FBCF ménages à 2,1% pour l’année 2017.

Compte tenu de l’évolution des facteurs structurels explicatifs de l’investissement des ménages, il est à prévoir que ce redressement du secteur du bâtiment devrait, sauf annonces post-présidentielle importantes, se poursuivre et se traduire par une amélioration significative de l’emploi salarié sectoriel, encore largement dégradé à l’heure actuelle.

 




La réduction du bilan de la Réserve fédérale : quand, à quel rythme et quel impact ?

par Paul Hubert

La politique monétaire américaine a commencé de se resserrer en décembre 2015, le taux directeur de la Fed passant d’une fourchette cible de 0 – 0,25% à 0,75 – 1% en 15 mois. Un élément complémentaire de sa politique monétaire concerne la gestion de la taille de son bilan, conséquence des programmes d’achat de titres financiers  (aussi appelés programmes d’assouplissement quantitatif ou QE). Le bilan de la Fed pèse aujourd’hui 4 400 milliards de dollars (soit 26% du PIB), contre 900 milliards de dollars en août 2008 (6% du PIB). L’amélioration de la situation conjoncturelle aux Etats-Unis  et les potentiels risques associés au QE posent les questions du calendrier, du rythme et des conséquences de la normalisation de cet outil non-conventionnel.

Les procès-verbaux de la réunion du comité de politique monétaire (FOMC) du 14 et 15 mars 2017 fournissent certains éléments de réponse : la procédure de réduction du bilan de la Fed devrait se faire par le non-réinvestissement du produit des titres arrivant à échéance. Aujourd’hui, alors que les programmes de QE ne sont plus actifs depuis octobre 2014 et que la Fed ne crée plus de monnaie pour acheter des titres, elle continue de maintenir la taille de son bilan constante en réinvestissant  les montants des titres arrivant à terme. Le FOMC devrait stopper cette politique de réinvestissement « plus tard cette année » [1] et par conséquent commencer la réduction de la taille de son bilan. Conformément aux principes de normalisation de ses politiques publiés en septembre 2014 et décembre 2015, la Fed ne vendra pas les titres qu’elle détient, ainsi elle ne modifiera pas sur les marchés financiers la situation d’équilibre sur les stocks mais uniquement sur les flux. L’incertitude demeure quant au rythme auquel le non-réinvestissement sera réalisé, en fonction des titres concernés par le non-réinvestissement, et quant à la taille finale souhaitée du bilan de la Fed.

La lecture du procès-verbal de la réunion de mars indique aussi que « les membres préfèrent généralement l’option consistant à stopper les réinvestissements des titres du Trésor et des MBS ». Des économistes de la Fed ont publié en janvier 2017 dans une FEDS Notes une simulation de la taille du bilan de la Fed sur la base des hypothèses énoncées ci-dessus. En supposant que le non-réinvestissement commence en octobre 2017 et à l’aide de leurs données sur le portefeuille d’actifs détenus par la Fed, le graphique suivant a été élaboré.

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Source: Federal Reserve Board.

Ces projections montrent qu’une politique de non-réinvestissement implique que le bilan diminue d’environ 600 milliards de dollars par année jusqu’en octobre 2019, de 400 milliards de dollars la troisième année et de 300 milliards de dollars la quatrième année. Les avoirs du Trésor diminuent de 1 200 milliards de dollars tandis que les détentions de MBS diminuent de 600 milliards[2]. Selon ces hypothèses, le montant des réserves sera de 100 milliards de dollars en octobre 2021, soit leur niveau d’avant-crise, tandis que la Fed aura à cette date des quantités de dette du Trésor et de MBS d’un montant équivalent (environ 1 100 milliards chacune). Se pose la question de savoir à quelle taille de bilan la banque centrale souhaite revenir : le montant nominal d’avant-crise, le montant exprimé en part du PIB d’avant-crise ou un niveau plus élevé (la détention de titres pouvant servir ses objectifs de stabilisation macroéconomique et de stabilité financière [3]) ? En ne répondant pas explicitement à cette question, la Fed se laisse la possibilité d’ajuster son objectif en fonction de la réaction du marché et le temps de décider quelle taille viser si elle souhaite utiliser cet instrument de façon pérenne.

L’impact économique et sur les marchés financiers d’une telle baisse de la taille du bilan pourrait être limité. Alors que les anticipations privées de ces changements dans la taille et la composition du bilan de la Fed devraient jouer sur les conditions financières, en modifiant les équilibres d’offre ou de demande de titres financiers, les différentes annonces liées à cette normalisation de la politique monétaire n’ont pas eu d’effet pour le moment. Après la publication des procès-verbaux des dernières réunions du FOMC ou de la FEDS Notes décrivant cette politique de réduction, ni les taux d’intérêt, ni le taux de change du dollar, ni les marchés boursiers n’ont réagi. Soit les marchés financiers n’ont pas incorporé cette information (parce qu’elle est passée inaperçue ou qu’elle n’est pas crédible), soit elle était déjà incorporée dans les prix d’actifs et dans leurs anticipations futures.

Autrement dit, il ne semble pas que la réduction de la taille du bilan à venir, si elle se fait sur la base des modalités communiquées, vienne resserrer davantage les conditions monétaires et financières au-delà des hausses à venir des taux d’intérêt, l’instrument conventionnel de la politique monétaire[4]. Si tel était le cas, la normalisation porterait bien son nom. Appliquée à la zone euro, elle tendrait à montrer qu’une politique monétaire ultra-expansionniste n’est pas irréversible.

 

 

[1] Plus précisément : « À condition que l’économie continue de croître comme prévu, la plupart des membres (…) jugent qu’une modification de la politique de réinvestissement deviendra appropriée plus tard cette année ».

[2] Sous l’hypothèse que les besoins nets de financement du gouvernement américain seront d’environ 300 milliards de dollars par an sur ces 4 années, la diminution de la demande de titres publics par la Réserve fédérale sera d’un ordre de grandeur similaire.

[3] Cette question est abondamment débattue dans la littérature académique depuis la mise en place des programmes de QE, voir parmi d’autres Curdia et Woodford (2011), Bernanke (2016), Reis (2017).

[4] Alors que la réduction du bilan devrait en théorie jouer principalement sur les taux d’intérêt à long terme, l’absence de réponse couplée aux récentes hausses du taux d’intérêt à court terme pourrait avoir pour conséquence d’aplatir la courbe des taux aux Etats-Unis et ainsi réduire la marge d’intermédiation des banques.




Chômage : fin de quinquennat chahutée

Département Analyse et Prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois de mars 2017, publiés par Pôle Emploi, font apparaître une hausse du nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) en catégorie A (+43 700 personnes en France métropolitaine) qui fait suite à deux mois de relative stabilité. Si l’on ajoute aux inscrits en catégorie A[1] ceux ayant réalisé une activité réduite au cours du mois (catégories B et C), l’évolution mensuelle de mars indique une baisse de 11 400 personnes.

Cette publication, la dernière avant le deuxième tour de l’élection présidentielle, permet de dresser un bilan quasi-exhaustif du quinquennat de François Hollande quant à l’évolution des demandeurs d’emploi depuis mai 2012.

Sur l’ensemble du quinquennat, le nombre de DEFM a fortement augmenté : les inscriptions toutes catégories confondues ont progressé de 1,31 million, dont 606 000 pour la seule catégorie A, soit un rythme d’augmentation annuel moyen de respectivement 270 000 personnes toutes catégories confondues et 125 000 personnes en catégorie A (cf. Tableau).

Le quinquennat a toutefois été marqué par deux sous-périodes. La première, allant de mai 2012 à octobre 2015, se caractérise par une hausse forte et continue des inscrits en catégorie A (+682 000 personnes). L’absence de croissance jusqu’à la fin 2014 a conduit à des destructions d’emplois salariés qui, couplées à l’augmentation de la population active, ont conduit à un accroissement net du chômage, et ce malgré des créations d’emplois dans le secteur non marchand. Durant cette période, la montée en charge des emplois d’avenir a toutefois permis de contenir la montée du chômage des jeunes (le nombre de DEFM de moins de 25 ans s’accroît de 5,5% contre 22,5% toutes classes d’âge confondues).

La deuxième période, débutée en octobre 2015, marque le début du fléchissement du chômage, avec une baisse de 76 000 DEFM inscrits en catégorie A. L’accélération de la croissance à partir de 2015 (1,2% de croissance du PIB en 2015, 1,1% en 2016), combinée à la montée en puissance des politiques d’enrichissement de la croissance en emplois (CICE, Pacte de responsabilité, prime à l’embauche), a permis au secteur marchand de renouer avec les créations d’emplois (+134 000 emplois salariés et non-salariés en 2015, puis +190 000 emplois en 2016), contribuant à la baisse, bien que timide, du nombre d’inscrits en catégorie A.

Au sein des inscrits en catégorie A, les hommes ont plus bénéficié que les femmes de la baisse du chômage à partir de la fin 2015, mais ils avaient aussi été plus durement touchés auparavant. De même, les évolutions diffèrent selon les catégories d’âge considérées. Alors que les moins de 50 ans ont profité de l’amélioration du marché du travail, les seniors connaissent toujours une situation très dégradée. La progression pour cette catégorie a malgré tout très fortement ralenti par rapport à la période allant de mai 2012 à octobre 2015. Par ailleurs, une partie de la hausse des DEFM de 50 ans et plus s’explique par la suppression de la Dispense de Recherche d’Emploi (DRE)[2] à partir de 2009 mais dont les effets se sont fait sentir jusque récemment.

En intégrant aux inscrits en catégorie A ceux ayant réalisé une activité réduite au cours du mois (catégories B et C), le nombre d’inscrits continue d’augmenter après octobre 2015 (+62 000 personnes) mais à un rythme annuel moyen sensiblement plus lent. La reprise du marché du travail s’est d’abord traduite par une reprise de l’emploi précaire (intérim, CDD, temps partiel subi, …). Ainsi, le nombre d’inscrits en catégorie C a fortement progressé depuis octobre 2015 (+136 000 personnes). Cette précarité rend floue la frontière entre emploi et chômage et retarde de fait la sortie définitive des inscrits des listes de Pôle emploi.

L’inversion de la courbe du chômage, à partir d’octobre 2015, pour les DEFM en catégorie A, B, C a concerné ceux inscrits depuis plus d’un an et moins de trois ans. Ceux-ci ont pu bénéficier de la montée en charge du plan « 500 000 formations », qui s’est traduit par une forte progression du nombre d’inscrits en catégorie D (+65 400 personnes en 2016 ; +32 000 personnes depuis octobre 2015). En revanche les DEFM en catégories A, B, C inscrits depuis moins d’un an ont poursuivi leur hausse, et ce malgré la baisse des catégories A, du fait de l’augmentation de l’activité réduite. Enfin, la relative amélioration de la situation économique ne bénéficie pas encore aux DEFM inscrits depuis plus de trois ans.

Au final, l’amélioration constatée depuis la fin 2015 n’a pas permis pour le moment d’effacer la dégradation enregistrée lors des trois premières années du quinquennat du Président Hollande.

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[1] – catégorie A : demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi, sans emploi ;

– catégorie B : demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi, ayant exercé une activité réduite courte (de 78 heures ou moins dans le mois) ;

– catégorie C : demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi, ayant exercé une activité réduite longue (de plus de 78 heures au cours du mois) ;

– catégorie D : demandeurs d’emploi non tenus de rechercher un emploi (en raison d’une formation, d’une maladie, …) y compris les demandeurs d’emploi en contrat de sécurisation professionnelle (CSP), sans emploi ;

– catégorie E : demandeurs d’emploi non tenus de rechercher un emploi, en emploi (par exemple : bénéficiaires de contrats aidés, créateurs d’entreprise).

[2] Jusqu’en 2008, les plus de 50 ans pouvaient en effet être dispensés de recherche d’emploi. Cette dispense leur évitait d’avoir à actualiser mensuellement leur inscription à l’ANPE (puis à Pôle emploi) lorsqu’ils étaient, en pratique, en attente de leur départ en retraite. La possibilité d’être dispensé de recherche d’emploi a toutefois été supprimée au motif de ce qu’elle pouvait être incitative à la sortie prématurée de l’activité.




Présidentielle : le logement est-il bien loti ?

par Pierre Madec

La publication du rapport de la Fondation Abbé Pierre en janvier 2017 n’a pas fait exception : le mal-logement continue de progresser en France. Les prix immobiliers sont repartis à la hausse ces derniers trimestres et la publication des premiers résultats de l’Enquête nationale logement de l’INSEE de 2013 font apparaître une dégradation de la situation financière des ménages[1]. Malgré tous ces éléments, la thématique du logement est apparue relativement tardivement dans les débats entourant l’élection présidentielle. Nous tentons ici d’esquisser un panorama des propositions émanant des principaux candidats à l’élection présidentielle sur ce sujet.

François Fillon : allocation sociale unique et aides à l’investissement privé

En ce qui concerne les aides à la personne, le candidat LR reprend à son compte une proposition dans le débat depuis maintenant quelques années : la fusion des aides personnelles avec l’ensemble des minima sociaux.

L’objectif des aides personnelles est, depuis leur création, non pas de verser une prestation sociale aux bas revenus ni même d’influer sur la reprise d’activité mais de solvabiliser les ménages dans leurs dépenses en logement. A travers son mode de calcul, l’aide varie selon les ressources et la composition du ménage, à l’image d’une prestation sociale « classique » mais également, tout du moins théoriquement[2], de la dépense effective en logement et de la localisation géographique. En extrayant la dépense effective en logement du calcul de l’aide « fusionnée », cette « fusion » mettrait de facto fin aux aides personnelles au logement. A ressources et composition familiale équivalentes, un locataire du parc privé francilien présent depuis plus de dix ans dans son logement se verrait verser un montant d’aide identique à celui perçu par un locataire nouvellement emménagé alors que leurs loyers peuvent diverger de près de 40%. De même, aucune distinction ne sera faite entre locataires du parc privé et du parc social aux taux d’effort très différents. Enfin, la possibilité de versement en tiers-payant serait là encore abandonnée. Les conséquences d’une telle mesure pourraient s’avérer néfastes pour les ménages les plus modestes. Comme le souligne un rapport du Haut conseil à la famille datant de 2012 (HCF, 2012), l’entrée en vigueur d’une telle mesure pourrait inciter les ménages les plus modestes à arbitrer entre leurs dépenses en logement et d’autres dépenses de consommation, au risque de détériorer leurs conditions de logement. Elle serait de plus contraire aux préconisations du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées qui soulignait en 2005 l’importance du caractère affecté des aides personnelles. Pour les bailleurs, les aides constituent une sécurité quant au paiement du loyer. Pour les locataires, en plus de la solvabilisation qu’elles procurent, leur caractère affecté et les conditions de décence auxquelles elles sont attachées, les protègent de l’arbitrage entre dépenses de logement et autres dépenses de consommation (HCLPD, 2005).

Outre cette proposition, François Fillon prône une « accélération des procédures d’expulsion locative », la « fin de l’encadrement des loyers », la « remise en cause de la loi SRU » et la « reconduction des dispositifs ‘qui marchent’ tels que le Pinel et le PTZ ».

L’ensemble de ces propositions ont le mérite de la cohérence puisqu’elles visent toutes à inciter à l’investissement privé au travers d’une part l’accession à la propriété, mantra des politiques publiques depuis 30 ans alors même que l’on connaît en France une crise de la mobilité résidentielle (particulièrement faible chez les propriétaires), et d’autre part de l’investissement locatif privé alors que les évaluations des dispositifs d’incitation laissent mettent en exergue non seulement un impact inflationniste important mais également une incapacité du marché privé à produire des logements abordables pour les ménages les plus modestes.

Benoît Hamon : réforme fiscale et revenu universel

Le volet « Logement » présenté par le candidat socialiste présente des caractéristiques inverses de celle du candidat LR. Benoît Hamon veut faire croître les aides à la pierre à l’adresse des bailleurs sociaux jusqu’à 1 milliard, souhaite imposer une loi SRU renforcée dans le « cœur des métropoles » avec des objectifs pouvant aller jusqu’à 30% ou encore « adapter » les dispositifs d’incitation à l’investissement locatif sans pour autant apporter plus de précision. Le candidat souhaite également l’adoption d’un plan « Zéro bidonville » à l’issue du quinquennat.

Deux mesures du programme de Benoît Hamon, allant plus loin que la seule thématique du logement posent tout de même question. C’est le cas du revenu universel d’une part et de l’imposition unique sur le patrimoine d’autre part.

La première mesure, annoncée à la fin de l’été 2016 et depuis largement révisée, vise dans sa première étape la revalorisation du RSA, son élargissement aux jeunes de 18-25 ans et une refonte relativement large de l’actuelle Prime d’activité. Si le candidat s’est engagé à ne pas « toucher » aux aides personnelles au logement, l’adéquation future entre les deux dispositifs reste floue. Deux solutions s’offrent en effet aux techniciens chargés de la mise en place du revenu universel.

La première consiste à prendre en compte dans les ressources de l’allocataire d’aides personnelles, le montant reçu au titre du revenu universel. Autrement dit, le revenu universel serait versé avant tout calcul de prestations sociales. Une personne seule, sans ressource actuellement, verrait son revenu augmenté de 600 euros par mois. Alors qu’elle percevait jusqu’alors un montant proche de 275 euros d’aides au logement, ces dernières seraient réduites de 60 euros pour atteindre environ 216 euros. Au total, cela procurerait donc à l’individu en question 816 euros de ressources mensuelles (hors les autres prestations).

L’autre cas de figure est celui dans lequel la conditionnalité de ressources portant sur le versement du revenu universel intègrerait les aides personnelles. Autrement dit, aux yeux du mode des aides personnelles, l’individu en question aurait toujours des ressources nulles et percevrait donc un montant d’aide identique et celui actuellement perçu (275€/mois). Par contre, son revenu universel serait lui diminué d’une part des aides personnelles. Compte tenu des objectifs annoncés et de la formulation de la proposition au moment où nous écrivons ces lignes, la part d’aides personnelles déduite devrait être aux alentours de 30%, soit environ 80 euros. Si ces montants individuels mensuels peuvent paraître dérisoires il n’en est rien compte tenu de la multitude de situations diverses et du nombre important d’allocataires d’aides personnelles (6,2 millions). L’impact sur les finances publiques comme sur le niveau de vie des ménages les plus modestes des futures modalités de calcul est donc potentiellement important, de l’ordre de 1,5 milliard d’euros si l’on s’en tient au rapide calcul présenté précédemment.

La seconde mesure, pour le moment non encore totalement arrêtée, est celle visant à une refonte globale de la fiscalité immobilière et la création d’un impôt unique assis sur le patrimoine net. Cette réforme va dans le sens d’une meilleure lisibilité de la fiscalité immobilière. Elle va également dans le sens de la prise en compte d’une meilleure distinction entre accédant à la propriété et non accédant. Elle pose tout de même question du fait de son assise non pas sur les valeurs locatives cadastrales, comme c’est actuellement le cas de la taxe foncière, mais sur la valeur vénale des biens immobiliers. La valorisation monétaire est d’une part bien plus complexe à établir et d’autre part bien plus volatile que les loyers[3]. Une imposition assise sur la valeur vénale est de plus critiquable puisqu’elle soumettrait le contribuable aux « aléas » du marché immobilier. Notons enfin que la réforme de la fiscalité immobilière ne pourra se faire sans une meilleure prise en compte de l’occupation des logements mais également des terrains. Si l’outil choisi peut permettre à terme de refonder une fiscalité incitant massivement à la libération de foncier et de bâti ce n’est pour le moment pas encore le cas.

Marine Le Pen : préférence nationale et pouvoir d’achat

Au travers son programme « Logement », le Front National se fixe pour objectif de redonner du pouvoir d’achat aux ménages. La baisse proposée de la taxe d’habitation vise à s’attaquer aux hausses récentes de la fiscalité locale. Poursuivant le même objectif, la baisse de 10% des droits de mutation vise à faciliter les mobilités résidentielles. L’une des premières critiques à opposer à ces propositions réside en partie dans leur faisabilité. En effet, les taux de ces deux taxes sont de l’autorité des collectivités locales et les recettes fiscales qu’elles produisent leur sont en grande partie reversées. Si d’une part les pertes fiscales induites par la mise en place de ces propositions devront être compensées par l’Etat, leur mise en place même reste très conditionnelle.

Concernant les aides à la personne, la candidate du Front National propose la mise en place d’une « Protection-Logement-Jeunes » construite d’une part sur la hausse de la construction de logements pour les étudiants et d’autre part sur la revalorisation de 25% des aides personnelles pour les jeunes de moins 27 ans. L’effort supplémentaire souhaité pour la construction de logements étudiant ne peut être que salué. La hausse ciblée des aides personnelles pose elle question. Si l’on ne peut que partager l’idée selon laquelle les aides personnelles souffrent en majorité d’une sous-indexation massive, les études visant à mettre en exergue l’effet inflationniste des fortes revalorisations d’aides ont été pour nombre d’entre elles réalisées au cours de périodes où justement des populations spécifiques devenaient éligibles aux aides (Fack, 2005 ou encore  Laferrère et Le Blanc , 2002) On peut anticiper que les logements de petite surface dans les zones les plus tendues verront dans les mois qui suivent la revalorisation des loyers, sauf en cas de renforcement de l’encadrement des loyers dans lesdites zones. Une autre interrogation est à mettre sur le terrain de la justice sociale. Quid des individus le jour de leur 27e anniversaire ? Verront-ils leurs aides au logement diminuer d’un quart ? De plus, si urgence existe à mieux prendre en compte la hausse des taux d’effort des ménages les plus modestes, en quoi la catégorie spécifique des jeunes de moins de 27 ans présente-t-elle une urgence plus importante que les ménages du premier quartile de revenu qui ont subi des hausses de taux d’effort extrêmement importantes depuis le début des années 2000[4].

En ce qui concerne le parc locatif social, si la loi SRU est absente du programme du Front National, le parti propose de « réserver prioritairement aux Français l’attribution du logement social, sans effet rétroactif, et le mobiliser vers les publics qui en ont le plus besoin » et réaffirme son souhait « d’appliquer réellement l’obligation de jouissance paisible sous peine de déchéance du bail ». Il est à noter que d’une part le droit au maintien dans les lieux existe dans le parc social et que sauf à vouloir mettre fin aux surloyers de solidarité, la proposition ne fait que réaffirmer un principe inscrit dans la législation actuelle. Concernant l’attribution des logements sociaux, il est intéressant de rappeler que 83% des demandes de logement social sont attribuées à des ménages français, que 88% des locataires du parc social sont de nationalité française et que la nationalité ne figure nullement actuellement dans les critères d’attribution.

Enfin, le Front National propose que « 1% du parc locatif social » soit vendu chaque année, soit 50 000 logements par an. Rappelons que l’objectif de 1% du parc vendu chaque année avait été fixé sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. En moyenne, pas plus 10 000 logements sociaux ont été écoulés au cours des 10 dernières années.

Emmanuel Macron : continuité et flexibilité

Le candidat d’En Marche propose une exonération de la taxe d’habitation pour près de 80% des ménages français et le maintien de l’encadrement de loyer dans l’attente de son évaluation. Il propose également le développement de l’intermédiation locative ainsi que le doublement des pensions de famille, réclamé par la Fondation Abbé Pierre.

En ce qui concerne les objectifs de construction, Emmanuel Macron acte le fait que la fixation d’un objectif national n’a que peu de sens et souhaite donc diriger les efforts de construction vers les zones les plus tendues.

Ces propositions relativement consensuelles ne sont que peu sujettes à débat. Si elles ne s’attaquent nullement aux causes de la crise du logement cher en France, elles apportent des solutions de court terme à ses conséquences.

La proposition du candidat d’En Marche la plus discutée est celle du « Bail mobilité ». Critique vis-à-vis de la loi ALUR, le candidat prend acte que les ménages les plus précaires, du fait de leur condition de travail ou de leur âge, sont exclus du marché locatif privé « classique » et propose donc d’établir, pour ces ménages, un bail plus court et plus flexible, que certains auront vite dénommé « Bail précarité » mais que le candidat nomme « Bail mobilité ». Si les contours de ce bail ne semblent pas encore tout à fait arrêtés, il est important de rappeler que si les baux usuels sont d’une durée d’au moins 3 ans, il existe dans la législation française des baux d’une durée plus courte dont les bailleurs ne se privent aucunement d’user (ou d’abuser) :

  • Le bail d’occupation précaire permet, sous certaines conditions et en accord des deux parties de ne s’engager sous aucune durée de bail ;
  • Le bail de location meublée, soumis au droit commun, largement utilisé notamment au cours de la période de mise en place du décret d’encadrement des loyers, les meublés n’étant pas soumis au décret, est un bail d’une durée de 1 an renouvelable et le bail meublé « étudiant » s’étend lui sur une durée de 9 mois.

Si les modalités précises de mise en place de ce nouveau bail ne sont pas encore arrêtées, il est indispensable d’alerter sur la potentielle dangerosité que pourrait engendrer la mise à disposition d’un bail court sans garde-fous suffisants.

En ce qui concerne la proposition d’exonération de la taxe d’habitation, promise à 80% des ménages, il faut rappeler qu’une exonération, totale ou partielle, existe d’ores et déjà pour les ménages les plus modestes. Ainsi, les titulaires de l’allocation supplémentaire d’invalidité ou de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, les contribuables âgés de plus de 60 ans dont le revenu de référence de l’année précédente est inférieur à un certain plafond et qui ne sont pas soumis à l’ISF, les personnes veuves dont le revenu fiscal de référence de l’année précédente est inférieur à un certain plafond et qui ne sont pas soumises à l’ISF ou encore les contribuables atteints d’une infirmité ou d’une invalidité les empêchant de subvenir seuls aux nécessités de l’existence dont le revenu de référence de l’année précédente est inférieur à un certain plafond, sont à l’heure actuelle exonérés totalement de taxe d’habitation. De même, sous condition de ressources, certains ménages bénéficient d’un dégrèvement partiel de la taxe d’habitation. Si la mesure a vocation à étendre ces dispositions aux ménages des classes moyennes et donc à impacter positivement le pouvoir d’achat de ces derniers, le coût de la mesure (10 milliards d’euros) est important et pose donc la question de son financement.

Jean Luc Mélenchon : plus de social et moins de spéculation

Ces dernières années, de nombreux professionnels du secteur de l’immobilier et de la construction ont pointé du doigt l’impact négatif important qu’avaient pu avoir les discussions (plus que la mise en œuvre) qui ont entouré la loi ALUR au cours de l’année 2014. Si les données – exceptées celles de conjonctures réalisées auprès des professionnels – n’ont pas été en capacité de mesurer la véracité de ces affirmations, il apparaît malgré tout que la présentation du volet « Logement » du programme du candidat de la France Insoumise a dû faire plus d’un mécontent.

Alors que la garantie universelle des loyers, dispositif permettant sur le papier d’assurer correctement les deux parties signataires du bail, a été abandonnée au cours du quinquennat de François Hollande, le candidat de la France Insoumise propose non seulement sa réalisation mais son extension autour d’une « Sécurité sociale du logement » aux contours encore peu clairs.

Il propose également d’aller plus loin dans l’objectif de financement du nombre de logements sociaux en portant l’objectif annuel à 200 000. A l’image des objectifs affichés de production de logements neufs, il est important de s’extraire de chiffres globaux et de rentrer quelque peu dans le détail. En ce qui concerne les objectifs globaux de construction, leur réalisation n’a de sens qu’une fois extrait de ces derniers le nombre de résidences principales nouvellement construites. En moyenne, au cours des 20 dernières années, les résidences principales représentent moins de 80% de la production de logements nouveaux en France. En 2014, derniers résultats connus, cette part s’élevait à 60%, soit un record historiquement bas.

En ce qui concerne le parc social, la réalité est identique. Outre la définition de ce qu’est (ou doit être) un logement social en termes de loyers de sortie ou de populations accueillies, il est indispensable pour les acteurs politiques de préciser la nature de leurs objectifs. Quand Jean-Luc Mélenchon avance l’objectif de 200 000 logements sociaux supplémentaires, de quoi s’agit-il ? S’agit-il de logements sociaux construits ? Les dernières données disponibles font état de 63 356 logements sociaux construits en 2014, soit un niveau record depuis 1998 … S’agit-il de logements sociaux financés ? Ils ont été 109 000 à l’être en 2015. Parle-t-on de logements supplémentaires c’est-à-dire en tenant compte des démolitions ou de nombres « bruts » ?

Si l’objectif de donner plus de place au parc social est louable, la clarté du propos est indispensable afin de permettre à tous de juger et d’évaluer les propositions faites.

Il en est de même de l’une des propositions phares du candidat de la France Insoumise qui vise à « briser la spéculation » en taxant les plus-values immobilières. A l’heure actuelle, la taxation des plus-values immobilières ne pèse que trop peu dans la fiscalité du logement (environ 600 millions d’euros par an). Du fait, là encore, de l’existence de mécanismes d’évitement incitant fortement à la détention (exonération de taxation au-delà d’une certaine durée de détention), les ménages n’ont que peu d’intérêt à se libérer de leur foncier ou de leur bâti. Sans suppression de ces mécanismes et sans mise en place d’une fiscalité des plus-values (réalisée ou latente) plus progressive, aucune réforme de l’imposition ne serait à même de répondre aux problématiques soulevées.

* * *

Si les principaux candidats à l’élection présidentielle semblent partager le constat d’un coût du logement au sens large trop élevé et d’un besoin en construction important, les solutions envisagées pour résoudre la « crise du logement » que traverse la France divergent. Alors que certains se fixent pour objectif d’offrir plus de flexibilité aux investisseurs et aux bailleurs privés (fin de l’encadrement des loyers, bail mobilité, développement des dispositifs d’incitation à l’investissement locatif,  accélération des procédures d’expulsion locative, remise en cause de la loi SRU, …), d’autres portent leurs priorités sur le développement d’une offre de logement social plus importante, une protection des ménages les plus modestes et un accroissement de leur pouvoir d’achat. S’il n’existe pas de solution miracle à court terme, le chemin à prendre semble se trouver, à l’image des choix économiques globaux, dans un entre deux trop souvent oublié.

 

[1] Entre 2006 et 2013, le taux d’effort net moyen a augmenté en France de 1 point passant de 14,7% à 15,7%.

[2] Du fait de la sous-indexation massive des barèmes des aides, les aides personnelles sont devenues forfaitaires pour près de neuf locataires du parc privé sur dix.

[3] Notons que les valeurs locatives utilisées actuellement résultent d’estimations datant des années 1970. Une réévaluation de ces dernières est donc indispensable.

[4] Entre 2001 et 2013, les ménages du 1er quartile de revenu ont vu leur taux d’effort net moyen augmenter de 7,4 points passant de 24,9% à 31,3% (Enquêtes nationales Logement, INSEE).