« Emplois francs » : que faut-il en attendre ?

par Paul Bauchet et Pierre Madec

Dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron figurait une mesure visant à baisser le coût du travail pour les entreprises embauchant, en CDI ou en CDD, un habitant des quartiers dits prioritaires : « Lorsqu’une entreprise, où qu’elle soit située, embauchera un habitant des quartiers prioritaires de la politique de la ville en CDI, elle bénéficiera d’une prime de 15 000 euros, étalée sur les trois premières années : ce sera comme si elle ne payait plus de charges. En CDD, la prime sera de 5 000 euros sur les deux premières années ». L’objectif affiché de la mesure est de 150 000 contrats signés pour un budget prévu de 1 milliard d’euros par an.

Bien que les contours de la mesure ne soient pas tout à fait identiques, le dispositif « d’emplois francs » a pour la première fois été mis en place sous le mandat de François Hollande. Le diagnostic posé sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville est en effet ancien. Avec une population plus pauvre, plus jeune, moins diplômée et plus enclavée, ces quartiers sont davantage exposés au chômage. Avant la réforme du zonage de la politique de la ville menée en 2014, les quartiers prioritaires, alors nommés Zones Urbaines Sensibles (ZUS), enregistraient un taux de chômage deux fois et demi supérieur au taux national et un taux de pauvreté trois fois supérieur (ONZUS, 2014). Malgré leur population plus jeune, le chômage de longue durée y était sur-représenté (+9,4 points de pourcentage de plus que la moyenne nationale hors ZUS)) (graphique 1).

graph 1

Si ces quartiers bénéficient, depuis leur entrée dans le zonage prioritaire, des crédits de la politique de la ville, les « emplois francs » mis en place par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault ont constitué l’une des premières politiques d’emploi visant à discriminer positivement les habitants de ces quartiers.

« Emplois francs » : une expérience peu concluante

Le dispositif, mis en place en 2013, expérimental et initialement prévu pour une durée de 3 ans, consistait au versement en deux fois d’une aide financière d’un montant de 5 000 euros versé (2 500 € à la fin de la période d’essai et 2 500 € après 10 mois de CDI)[1]. Cette aide devait être distribuée à toute entreprise embauchant, en CDI, un « jeune » (entre 15 et 30 ans), résidant en ZUS depuis plus de 6 mois et cumulant plus de 12 mois de chômage au cours des 18 derniers mois. L’objectif affiché était la signature de 2 000 contrats en 2013[2] et de 10 000 sur les 3 ans, mais ce dernier n’a pas été atteint. En octobre 2014, date de fin prématurée du dispositif, seul 280 contrats avaient été signés.

L’une des explications est à chercher dans les caractéristiques d’une population-cible très restreinte. Selon l’enquête Emploi en continu de l’INSEE, au quatrième trimestre de 2014, 38 000 jeunes étaient éligibles au dispositif sur les 366 000 chômeurs des ZUS. Si ce recensement ne rend compte que du nombre d’éligibles au moment de l’enquête, c’est-à-dire au quatrième trimestre 2014, et non de l’ensemble des personnes potentiellement en position d’éligibilité au cours de l’année, il informe sur le caractère extrêmement restreint de la population ciblée. D’autre part, le dispositif « Emplois francs », tel que proposé par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, s’est avéré être en concurrence avec de nombreux dispositifs d’emplois aidés, non spécifiquement ciblés sur la géographie prioritaire mais plus avantageux et non cumulables entre eux (tableau).

tab 1

Les nouveaux « Emplois francs » : que faut-il en attendre ?

Exception faite de leur ciblage sur les quartiers prioritaires, les nouveaux « Emplois francs » proposés par Emmanuel Macron s’écartent du dispositif précédent. Le champ de l’aide s’étendrait à l’ensemble de la population de ces quartiers faisant passer la population éligible de 38 000 à 467 000 chômeurs selon l’EEC de l’INSEE de 2015, soit une population-cible multipliée par 12. La critique portée quant au nombre très (trop) restreint de demandeurs d’emploi éligibles semble donc dans cette nouvelle mouture écartée puisque ce dispositif devrait concerner l’ensemble des demandeurs d’emploi des quartiers prioritaires et non plus les jeunes demandeurs d’emploi de longue durée. Il en est d’ailleurs de même concernant celle portant sur l’existence d’une trop forte concurrence entre les différents dispositifs d’aide puisqu’il existe à l’heure actuelle un certain flou quant à la persistance des autres dispositifs d’emplois aidés, bien que la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, se soit prononcée en faveur d’une continuité « dans la politique de gestion des emplois aidés ».

Concernant la territorialisation de cette politique, les quartiers visés diffèrent légèrement de ceux émanant de la géographie des ZUS. En effet, la réforme du zonage de la politique de la ville intervenue début 2014 a visé à clarifier la multitude de critères d’éligibilité au zonage prioritaire. En lieu et place, la Loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 s’est fixée pour objectif de mieux identifier les quartiers les plus en difficulté à travers la mise en place d’un zonage plus simple et plus objectif reposant sur un critère unique : le revenu médian des habitants. Selon l’Insee, cet indicateur résume bien les différentes dimensions urbaines, démographiques et sociales de l’ancienne géographie de la politique de la ville. Autrement dit, l’ensemble des caractéristiques utilisées pour construire l’ancienne géographie sont captées par ce nouvel indicateur, ce qui expliquerait la relative stabilité entre l’ancienne et la nouvelle géographie. Néanmoins, ces nouveaux quartiers de la politique de ville concentrent en leur sein des ménages en plus grande difficulté que les anciennes ZUS (Madec et Rifflart, 2015). Les demandeurs d’emploi y sont ainsi plus nombreux et, semble-t-il, encore plus éloignés du marché du travail (graphique 2).

Il est enfin à noter que contrairement au dispositif précédent qui visait à sortir du chômage les jeunes les plus éloignés du marché du travail, les détails programmatiques des « emplois francs » d’Emmanuel Macron sont à chercher dans le volet « Compétitivité » du programme présidentiel au sein de l’objectif « Un travail moins cher pour l’employeur ». Si le périmètre territorial de ce nouveau type de contrat est donc proche de celui utilisé en 2013, le constat opéré par les équipes du nouveau chef de l’Etat semble, lui, différer de celui avancé par François Hollande. Ce n’est ainsi plus tant la discrimination territoriale dont seraient victimes les habitants des quartiers prioritaires qui serait visée mais le caractère moins « productif » de cette population qui nécessiterait une forte baisse du coût du travail : 15 000 euros sur 3 ans pour la signature d’un CDI et 5 000 euros sur 2 ans pour la signature d’un CDD, soit une baisse équivalente, selon les équipes du candidat, à une suppression complète des cotisations patronales. Dans les faits, le montant d’aide devrait dépasser le montant total de cotisations patronales au niveau du SMIC qui s’établit à l’heure actuelle à environ 2 000 euros par an et par salarié.

graph 2

Les difficultés mentionnées (voir supra) dues aux spécificités de la population-cible des « emplois francs » semblent demeurer dans cette nouvelle version. De plus, si la réforme de la géographie prioritaire a permis de relativement bien homogénéiser les caractéristiques socio-économiques des quartiers de la politique de ville, des hétérogénéités importantes persistent tant en termes de dynamisme de l’emploi au sein des quartiers qu’en termes d’écart relatif aux zones d’emploi qui les englobent. Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, la part des demandeurs d’emploi de catégorie A dans la population âgée de 16 à 60 ans[3] varie de 7,8 % à 54,5 %. De même, la part des emplois « précaires » (contrat d’apprentissage, intérim, Emplois-jeunes, CES, contrats de qualification, stagiaires rémunérés, autres CDD) varie elle de 8,5 % à 48,3 %.

Si ces écarts peuvent s’expliquer en partie par les disparités importantes de dynamisme de l’emploi entre les zones d’emploi, l’analyse, une fois contrôlée de l’appartenance à une zone d’emploi, apporte des conclusions similaires. Au sein d’une même zone d’emploi, les parts de demandeurs d’emploi varient, selon les quartiers prioritaires, de 14,9 % à 31,2 %. La part d’emplois précaires dans les quartiers prioritaires peut, elle, osciller entre 11,3 % et 36,1 %. Ainsi, à zone d’emploi donnée, il existe une grande hétérogénéité dans les caractéristiques des quartiers prioritaires[4].

Ne sont illustrées ici que les données relatives à la part des demandeurs d’emplois inscrits en catégorie A (graphique 3) et la part des emplois « précaires » dans l’emploi total (graphique 4) comparativement au taux de chômage de la zone d’emploi des quartiers, c’est-à-dire à zone d’emploi donnée. Malgré tout, l’ensemble des données permettant de comparer les quartiers prioritaires à la zone d’emploi à laquelle ils appartiennent indiquent de fortes disparités intra zone d’emploi et une décorrélation importante entre les caractéristiques de la zone d’emploi et celles des quartiers qu’elle contient. Autrement dit, les différences analysées précédemment entre quartiers prioritaires ne semblent pas être expliquées par des différences inhérentes aux zones d’emplois dans lesquelles ils sont contenus.

graph 3

grazph 4

Si la mesure proposée par Emmanuel Macron dans le cadre de la campagne présidentielle élargit le champ d’éligibilité des « emplois francs » de 2014 et permet, du fait d’une augmentation significative du montant d’aide versée, de répondre à certaines critiques adressées à l’endroit du dispositif précédent, elle ne permet pas de capter de façon homogène les territoires les plus en difficulté. Si l’objectif est de dynamiser les territoires les plus en difficulté, l’implantation des entreprises au sein des quartiers pourrait constituer une condition supplémentaire d’éligibilité au dispositif, à l’image des zones franches urbaines par exemple. De même, l’échelle géographique de la zone d’emploi pourrait être privilégiée afin de mieux capter les disparités importantes dans les dynamiques de l’emploi à l’œuvre sur les territoires, le zonage de la politique de la ville n’ayant pas pour vocation lors de sa création d’identifier les territoires aux marchés du travail les moins dynamiques[5].

En termes de création d’emplois, du fait de l’existence d’effets d’aubaine importants inhérents à ce type de dispositif à destination du secteur privé[6], en retenant un coefficient d’emploi de 0,15, de l’ordre de celui mesuré pour les contrats uniques d’insertion de type Contrat Initiative-Emploi (CUI-CIE), il ressortirait de la mise en place du dispositif un effet net sur les créations d’emplois de l’ordre de 22 500 pour un objectif de 150 000 contrats signés. Sous cette l’hypothèse, dont la réalisation semble au vu des éléments précités largement compromise, si 80 % des contrats signés sont des CDD de 2 ans, le coût budgétaire de la mesure devrait s’établir à 450 millions d’euros la première année et à 1 milliard d’euro par an à l’horizon de trois ans.

 

[1] Les 2 500 premiers euros devant être remboursés si l’individu n’atteignait pas le 10e mois de CDI.

[2] Le 3 août 2013, le Président de la République relevait cet objectif à 5 000 « emplois francs » pour la seule année 2013.

[3] Les données à disposition pour les quartiers prioritaires ne permettent pas de reconstituer la population active ou en âge de travailler (15-64 ans) de ces territoires.

[4] Une partie de l’hétérogénéité observée au sein d’une même zone d’emploi pourrait également provenir de comportements d’inscription à Pôle Emploi différents, ces différences étant liées aux comportements d’activité mais également à l’âge, les jeunes ayant par exemple moins intérêt à s’inscrire à Pole Emploi.

[5] L’objectif de ce zonage était lors de sa création d’identifier précisément les « poches de pauvreté » sur le territoire national.

[6] « Les contrats aidés : quels objectifs, quel bilan ? », Dares, Analyses, n°21, mars 2017 et « Rapport d’information sur l’enquête de la Cour des comptes portant sur les contrats aidés », Sénat, n°255, 2007.

 

 

 

 




Climat : Trump souffle le chaud et l’effroi

Par Aurélien Saussay

Donald Trump a donc une nouvelle fois respecté une de ses promesses de campagne. Le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris ne semblait pourtant pas acquis.

Des personnalités centrales du lobby pétrolier américain comme le Secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, ancien patron d’Exxon-Mobil, son actuel PDG, Darren Woods, ou encore le gouverneur du Texas, principal Etat producteur de pétrole aux Etats-Unis, conseillaient au président de maintenir les Etats-Unis au sein de l’accord – ne serait-ce que pour en influencer l’application.

Ce retrait n’est assurément pas une bonne nouvelle. Il n’en constitue pas pour autant la catastrophe que l’on pourrait redouter.

Sur le plan international, la Chine a tout de suite renouvelé son engagement en remplaçant l’ancien axe sino-américain par une nouvelle alliance climatique sino-européenne.

Malgré l’importance du charbon dans son mix énergétique, la Chine est en effet devenue la première puissance mondiale en matière d’énergie solaire, tant en puissance installée qu’en capacité de production de cellules photovoltaïques. Les dirigeants chinois n’ont aucune intention de tourner le dos à ce virage technologique, qui place leur pays dans une position enviable de leadership technologique et industriel.

Par ailleurs, au-delà de la problématique globale du changement climatique, la réduction de la consommation de charbon est d’abord pour la Chine un enjeu majeur de politique locale.

Les émissions de particules fines générées par ses centrales électriques étouffent ses villes et dégradent très sensiblement la qualité de vie de ses habitants. L’exigence environnementale allant croissant au sein de la population chinoise, il serait impensable de renoncer à poursuivre les efforts visant à réduire la consommation de charbon.

Le leadership combiné de la Chine et de l’Europe devrait suffire à isoler la position de Trump sur la scène internationale, et ne pas remettre en cause la participation des autres principaux pays émetteurs à l’accord. Reste que les Etats-Unis représentent encore à eux seuls 15% des émissions mondiales (contre 30% pour la Chine et 9% pour l’Union Européenne).

Un renoncement complet à toute politique climatique sur le plan domestique aurait des conséquences importantes sur les trajectoires futures d’émissions.

L’annonce, par les gouverneurs des Etats de Californie, New York et Washington de la création d’une Alliance pour le Climat au lendemain même du retrait américain est à cet égard riche d’enseignements.

Tout d’abord il vient confirmer qu’une large part de la politique climatique américaine se décide à l’échelon local (Etat, voire municipalité).

Il révèle ensuite la grande divergence entre Etats face au changement climatique : d’autres Etats côtiers très engagés dans la transition énergétique comme le Massachussetts ou l’Oregon pourraient rejoindre cette Alliance, qui totalisent déjà plus du tiers du PIB américain.

Enfin, il souligne la division profonde du pays sur ce sujet : une enquête récente du Pew Research Center indique que près de 60% des américains souhaitaient un maintien de leur pays au sein de l’Accord de Paris. Trump est en réalité presque aussi isolé à l’intérieur des Etats-Unis qu’à l’international.

Le retrait de l’Accord de Paris est avant tout une décision de politique intérieure pour Trump. Son discours d’annonce, focalisé sur l’industrie du charbon, est destiné principalement à ses électeurs des mines des Appalaches, qui croient leur survie menacée par la transition énergétique.

C’est pourtant bien plus la concurrence du gaz de schistes qui menace à brève échéance l’industrie charbonnière américaine.

La compétitivité nouvelle des énergies renouvelables, même sans subventions, la condamne à plus long terme : le premier producteur d’énergie éolienne aux Etats-Unis est ainsi le Texas, pourtant peu suspect de sympathies environnementalistes.

Donald Trump a donc pris le risque de briser la dynamique internationale de l’Accord de Paris pour tenter de relancer une industrie moribonde – sans grand espoir de succès. Heureusement, son isolement international et domestique devrait limiter la portée de sa décision.




La BCE prépare l’avenir

Par Christophe Blot et Paul Hubert

Lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE du jeudi 8 juin, Mario Draghi a annoncé la stabilité des taux directeurs de la politique monétaire (soit 0 % pour le taux des opérations principales de refinancement, -0,40 % pour le taux des facilités de dépôts et 0,25 % pour le taux des facilités de prêt). Il a surtout donné de précieuses indications sur l’orientation future de la politique monétaire menée dans la zone euro en modifiant sa communication. Alors qu’il déclarait systématiquement que les taux pourraient être diminués (« at lower levels »), il a déclaré que ceux-ci serait maintenus au niveau actuel (« at present level »), ceci pendant une « période prolongée » et « bien au-delà de la fin du programme d’achat de titres ».

En annonçant qu’il n’y aurait pas de baisse supplémentaire des taux, la BCE juge que l’orientation actuelle de la politique monétaire devrait lui permettre d’atteindre ses objectifs et fait le premier pas vers un resserrement futur des conditions monétaires. On peut toutefois noter que dans le même temps, la BCE n’anticipe pas un retour de l’inflation à sa cible de 2 % d’ici 2019. Les nouvelles projections macroéconomiques de l’Eurosystème publiées pendant la conférence de presse prévoient une inflation à 1,5 % en 2017, 1,3 % en 2018 et 1,6 % en 2019[1]. Certes la reprise se confirme mais l’inflation resterait inférieure à sa cible sur un horizon d’au moins 3 ans, de quoi justifier le maintien d’une politique monétaire expansionniste. En précisant que les taux ne remonteraient pas aussitôt les achats de titres terminés[2], la BCE entend bien continuer à soutenir l’activité.

Vient alors la question de la date de fin du programme d’achats de titres. Selon le discours actuel, les achats se poursuivront jusqu’en décembre 2017 mais ils pourraient se prolonger si la BCE le juge nécessaire. Quelle stratégie adoptera la BCE après cette date ? Il est possible que les achats de titres diminuent progressivement à l’image de ce qu’avait fait la Réserve fédérale en 2014[3]. Dans ce cas, la fin de l’assouplissement quantitatif prendrait encore quelques mois. C’est aujourd’hui l’option la plus probable ce qui repousserait la hausse des taux à la fin de l’année 2018. On peut cependant envisager que des annonces de réduction des achats se fassent d’ici la fin de l’année, ce qui pourrait conduire à mettre un terme au QE dès le début de l’année 2018. Quelle que soit l’option choisie, la BCE prendra très certainement soin de communiquer sa stratégie afin d’orienter progressivement les anticipations sur la première hausse des taux.

Pour autant, s’il s’agit d’un élément important de la stratégie de normalisation de la politique monétaire en zone euro, celle-ci ne se cantonne pas à la question de la remontée des taux. La BCE doit également apporter des éléments sur ses intentions relatives à sa politique de taux négatifs ou encore sur le moment où elle décidera de ne plus satisfaire l’intégralité des demandes de refinancement à taux fixe comme elle le fait depuis octobre 2008. Enfin, elle devra également indiquer à quel rythme, elle envisage ensuite de réduire la taille de son bilan comme a commencé à le faire récemment la Réserve fédérale (voir ici). Sur ces points, la BCE devra également faire preuve de transparence.

[1] Ces anticipations ont même été revues à la baisse depuis mars 2017.

[2] Depuis avril 2017, les achats de titres s’élèvent à 60 milliards par mois contre 80 milliards les mois précédents.

[3] La Réserve fédérale avait étalé la réduction de ces achats de titres entre janvier et octobre.

 

 




Evolution des taux d’activité en Europe pendant la Grande Récession : le rôle de la démographie et de la polarisation de l’emploi

par Guillaume Allègre et Gregory Verdugo

En Europe comme aux Etats-Unis l’emploi a considérablement reculé pendant la Grande Récession. De plus, au cours des dernières décennies, les forces de l’automatisation et de la mondialisation ont bouleversé les marchés du travail dans les deux régions. Cependant, la réponse des taux d’activités à ces changements a varié d’un pays à l’autre. L’un des événements les plus importants sur le marché du travail aux Etats-Unis au cours de la dernière décennie a été le déclin de la population active. De 2004 à 2013, le taux d’activité des 25 à 54 ans a diminué de 2,6 points de pourcentage (passant de 83,8% à 81,1%) et cette baisse a persisté bien au-delà de la fin de la Grande Récession. A l’inverse, dans l’UE 15, le taux d’activité pour cette catégorie d’âge a augmenté de 2 points au cours de la même période (de 83,7% à 85,6%), malgré la faible croissance et la persistance d’un niveau élevé de chômage.

Qu’est ce qui explique ces différences des deux côtés de l’Atlantique ? Pour répondre à cette question, nous étudions ici les déterminants de l’évolution de la population active au cours des deux dernières décennies dans douze pays européens que nous comparons aux Etats-Unis.

Conformément aux travaux antérieurs sur les Etats-Unis, nous constatons que les changements démographiques récents expliquent une part substantielle des différences entre les pays. La part des baby-boomers à la retraite a augmenté plus rapidement aux Etats-Unis, et y a donc déclenché une baisse plus importante des taux d’activité qu’en Europe. Au cours de la dernière décennie, l’Europe a également été caractérisée par une augmentation du nombre de diplômés du supérieur deux fois plus élevée qu’aux Etats-Unis, et ce notamment en Europe du Sud et en particulier pour les femmes. Les femmes ayant des niveaux d’éducation plus élevés sont plus susceptibles de rejoindre la population active et elles ont ainsi contribué de manière spectaculaire à l’augmentation de la population active en Europe.

Cependant, ces changements n’expliquent pas tout. Pour la population ayant un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat, les taux d’activité des hommes ont diminué dans tous les pays. Pour les femmes, ils ont augmenté rapidement, en particulier dans les pays les plus touchés par le chômage. En Espagne, en Grèce et en Italie, les taux d’activité des femmes ayant un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat ont augmenté de respectivement 12, 5,5 et 2 points entre 2007 et 2013 alors que ces économies étaient plongées dans une récession profonde.

Pour expliquer ces faits, nous étudions le rôle des changements de demande de travail au cours des dernières décennies et en particulier lors de la Grande Récession. Nous montrons que, comme aux Etats-Unis, la polarisation de l’emploi (qui désigne la réaffectation de l’emploi vers les professions les moins et les plus rémunérées au détriment des professions intermédiaires) s’est accélérée en Europe lors de la Grande Récession (graphique 1). En raison d’une plus grande destruction d’emplois dans les professions intermédiaires, la polarisation récente a été largement plus intense en Europe.

graph 1

Autre différence importante par rapport aux Etats-Unis, la ségrégation professionnelle entre les hommes et les femmes est plus marquée en Europe. Les emplois intermédiaires qui disparaissent rapidement sont ainsi bien plus susceptibles d’employer des travailleurs masculins en Europe alors que l’expansion des professions peu qualifiées bénéficie au contraire de manière disproportionnée aux femmes (graphique 2). En conséquence, en Europe plus qu’aux Etats-Unis, la polarisation de l’emploi et la destruction des emplois intermédiaires ont entraîné un déclin spectaculaire des opportunités sur le marché du travail pour les hommes par rapport aux possibilités offertes aux femmes. Nous trouvons que ces chocs de demande asymétriques entre hommes et femmes expliquent la plus grande part de la hausse des taux d’activité des femmes les moins diplômées durant la Grande Récession.

 

graph 2

Pour en savoir plus : Gregory Verdugo, Guillaume Allègre, « Labour Force Participation and Job Polarization: Evidence from Europe during the Great Recession », Sciences Po OFCE Working Paper, n°16, 2017-05-10




Quels facteurs expliquent la récente hausse des taux d’intérêt longs ?

par Christophe Blot, Jérôme Creel, Paul Hubert et Fabien Labondance

Depuis l’éclatement de la crise financière, l’évolution des taux d’intérêt souverains à long terme dans la zone euro a connu de larges fluctuations ainsi que des périodes de forte divergence entre les États membres, notamment entre 2010 et 2013 (graphique 1). Une forte réduction des taux à long terme a débuté après juillet 2012 et le célèbre « Whatever it takes » de Mario Draghi. Malgré la mise en œuvre et l’extension du programme d’achat de titres publics (PSPP) en 2015 et bien qu’ils restent à des niveaux historiquement bas, les taux d’intérêt souverains à long terme ont récemment augmenté.

graph 1

La hausse récente des taux d’intérêt souverains à long terme de la zone euro peut avoir plusieurs interprétations. Il se peut que, compte tenu de la situation économique et financière actuelle, la hausse des taux d’intérêt à long terme reflète la croissance et les anticipations de croissance future orientées à la hausse dans la zone euro. Un autre facteur pourrait être que les marchés obligataires de la zone euro suivent les marchés américains : les taux européens augmenteraient à la suite de la hausse des taux américains malgré les divergences entre l’orientation des politiques de la BCE et celle de la Fed. L’impact de la politique monétaire de la Fed sur les taux d’intérêt de la zone euro serait ainsi plus fort que celui de la politique de la BCE. On peut aussi imaginer que la récente hausse n’est pas en ligne avec les fondamentaux de la zone, ce qui, par conséquent, compromettrait la sortie de crise en rendant plus difficile le désendettement alors que les dettes publiques et privées restent élevées.

Dans une récente étude, nous calculons les contributions des différents déterminants des taux d’intérêt à long terme et mettons en évidence les plus importants. Les taux d’intérêt à long terme peuvent réagir aux anticipations privées de croissance et d’inflation, aux fondamentaux économiques ainsi qu’aux politiques monétaires et budgétaires, tant domestiques (en zone euro) qu’étrangères (aux Etats-Unis par exemple). Ils peuvent aussi réagir aux perceptions de différents risques, financiers, politiques ou économiques[1]. Le graphique 2 présente les principaux facteurs qui influent positivement et négativement sur les taux d’intérêt à long terme de la zone euro sur trois périodes différentes.

Entre septembre 2013 et avril 2015, le taux d’intérêt à long terme de la zone euro a diminué de 2,3 points de pourcentage. Au cours de cette période, seules les anticipations de croissance du PIB ont eu une incidence positive sur les taux d’intérêt alors que tous les autres facteurs les ont poussés à la baisse. En particulier, le taux d’intérêt à long terme des États-Unis, les anticipations d’inflation, la réduction du risque souverain et les politiques non-conventionnelles de la BCE ont contribué à la baisse des taux d’intérêt de la zone euro. Entre juin 2015 et août 2016, la nouvelle baisse d’environ 1 point de pourcentage s’explique principalement par deux facteurs : le taux d’intérêt à long terme et les anticipations de croissance du PIB aux États-Unis.

Entre août 2016 et février 2017, les taux d’intérêt à long terme ont progressé de 0,7 point de pourcentage. Alors que le programme d’achat d’actifs de la BCE a contribué à réduire le taux d’intérêt, deux facteurs ont contribué à son accroissement. Le premier est l’augmentation des taux d’intérêt à long terme aux États-Unis après le resserrement de la politique monétaire de la Fed. Le second facteur découle des tensions politiques en France, en Italie ou en Espagne qui ont généré une perception du risque politique et du risque souverain plus élevée. Alors que le premier facteur pourrait continuer de pousser à la hausse les taux d’intérêt de la zone euro, le second devrait les faire reculer avec les résultats des élections présidentielles françaises.

graph 2

 

[1] L’estimation de l’équation de détermination des taux longs est réalisée sur la période janvier 1999 – février 2017 et explique 96% de la variation des taux longs sur cette période. Pour plus de détails sur les variables utilisées ou les paramètres estimés, voir l’étude.