L’économie européenne 2019

par Jérôme Creel

L’ouvrage L’économie européenne 2019 dresse le bilan de l’Union européenne (UE) vingt ans après la naissance de l’euro et à quelques semaines de la nouvelle date-butoir du 12 avril 2019 supposée clarifier le scénario, impensable il y a encore quelques années, d’une sortie d’un État membre de l’UE, en l’occurrence le Royaume-Uni. Fêter l’anniversaire de l’euro dans ces conditions n’est donc pas chose aisée, tant les sujets de discorde et d’inquiétude sont nombreux.

L’euro aura vécu une enfance et une adolescence difficile : frappé à moins de dix ans par une crise financière mondiale sans précédent, il a montré très tôt sa résilience grâce aux efforts coordonnés de ses États membres. Les divergences financières entre pays créanciers et débiteurs replongent cependant bien vite la zone euro dans la crise dont elle sort après une surenchère de politiques monétaires expansionnistes et dotée de nouveaux instruments de gouvernance. Ceux-ci restent en cours d’achèvement (l’union bancaire) ou en phase d’extension de leurs prérogatives (le mécanisme européen de stabilité).

Vingt ans après, la zone euro et la gestion de l’euro en particulier ne ressemblent plus vraiment au projet initial et aux prévisions. L’ouvrage revient ainsi sur l’évolution du projet de monnaie unique, rapport officiel après rapport officiel depuis les années 1960 et sur l’influence allemande, notamment dans le domaine monétaire. Ainsi l’euro, largement approuvé par les citoyens européens est-il devenu une monnaie stable qui, en contribuant globalement à la stabilité des prix, a protégé le pouvoir d’achat des Européens. Ce n’est pas une mince réussite.

Cette réussite ne doit pas pour autant masquer les difficultés à faire émerger des convergences dans de nombreux domaines : structures des marchés du travail, dynamiques industrielles, politiques migratoires, systèmes de retraite, fiscalité des entreprises et adaptation aux défis numériques pour ne citer que ceux auxquels un chapitre est consacré. En l’absence de convergences structurelles entre ses États membres, la protection et le dynamisme attendus de l’appartenance à l’UE et à la zone euro ne semblent pas faire le poids face aux turbulences économiques et financières de l’économie mondiale. Les divergences nourrissent le ressentiment à l’égard du projet d’intégration européenne.

La persistance de spécificités nationales ou régionales rend difficile le renouveau du projet d’UE, dans une phase longue et ardue de sortie de crise économique. L’énergie qu’a dû déployer l’UE pour négocier et préparer le Brexit n’est sans doute pas étrangère au fait que le projet européen semble marquer le pas. Dépasser les divergences économiques et sociales à l’œuvre requerrait des instruments de politique publique plus performants ou nouveaux ; in fine, il y faudrait une volonté politique partagée qui fait aujourd’hui cruellement défaut.

 

L’économie européenne 2019, sous la direction de Jérôme Creel, Repères La Découverte

Disponible sous cairn (abonnés): https://www.cairn.info/economie-europeenne-2019–9782348041822.htm

Sommaire :

Introduction, par Jérôme Creel

I/ La genèse de l’euro : retour aux sources, par Sandrine Levasseur.

II/ La Banque centrale européenne au prisme de l’ordolibéralisme, par Marc Deschamps et Fabien Labondance.

III/ Les vingt ans de l’euro : bilan et enjeux futurs, par Christophe Blot, Jérôme Creel et Xavier Ragot.

IV/ Marché(s) du travail : à la recherche du modèle européen, par Eric Heyer et Pierre Madec.

V/ Dynamique et synchronisation des industries manufacturières de l’Union européenne, par Mattia Guerini, Mauro Napoletano et Lionel Nesta.

VI/ Brexit : une sortie impossible ?, par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak.

VII/ Quelle imposition des multinationales en Europe ?, par Guillaume Allègre et Julien Pellefigue.

VIII/ L’Europe des retraites : des réformes sous la pression de populations vieillissantes, par Frédéric Gannon, Gilles Le Garrec et Vincent Touzé

IX/ L’Europe au défi de la nouvelle immigration, par Grégory Verdugo

X/ L’Europe face aux défis numériques, par Cyrielle Gaglio et Sarah Guillou.




2019–2020 : les retraités mieux traités ?

par Pierre Madec

Dans un billet paru à l’automne 2018, nous étudiions l’impact des mesures des budgets 2018 et 2019 sur les ménages retraités. Depuis, de nouvelles mesures ont été annoncées pour l’année 2019, les prévisions d’inflation ont été revues à la baisse et les mesures issues du Grand Débat pourraient, elles aussi, modifier les résultats mis en lumière il y a quelques mois. Nous nous proposons ici une nouvelle analyse de l’impact des mesures votées dans le cadre des lois de finances pour 2019. Nous discuterons également les éléments à disposition pour 2020.

2019 : des retraités toujours largement mis à contribution

Après avoir accusé une hausse de la CSG de 1,7 point en 2018, les foyers fiscaux composés d’un ou plusieurs retraités et ayant un revenu fiscal de référence annuel inférieur à 22 580 euros[1] ont vu cette hausse annulée en 2019. Cette même année, les retraités verront leurs pensions de retraite revalorisées de 0,3% alors que l’indice des prix à la consommation s’établissait en février 2019 à 1,3% sur un an.

Par ailleurs, les ménages retraités devraient bénéficier d’une partie de l’exonération de la taxe d’habitation ou encore, pour les plus modestes d’entre eux, de la forte revalorisation du minimum vieillesse (ASPA). Au final, quel est l’effet à attendre de l’ensemble de ces mesures ? L’utilisation du modèle de micro simulation Ines, développé conjointement par l’Insee et la Drees, permet de répondre en partie à ces questions[2].

En 2019, la majorité (56%) des ménages comptant au moins un retraité devrait gagner à la mise en place des mesures socio-fiscales par rapport à 2018 (tableau 1). Ces ménages bénéficieront pleinement de l’annulation de la hausse de la CSG (+ 300 euros sur l’année) et la baisse de la taxe d’habitation devrait compenser la désindexation des pensions de retraite qui amputera en moyenne de 200 euros le revenu disponible des ménages gagnants.

A contrario, plus de 4,8 millions de ménages « retraités » devraient perdre à la mise en place des mesures socio-fiscales. Ces derniers sont ceux bénéficiant peu de la baisse de la taxe d’habitation et n’étant pas touchés par l’annulation de la hausse de la CSG. En moyenne, leur perte devrait s’établir à environ 300 euros pour l’année 2019.

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Les ménages perdants sont largement sur-représentés à la fois en bas et en haut de la distribution des niveaux de vie (graphique 1). En effet, les ménages les plus modestes n’ayant pas subi la hausse de la CSG en 2018 et étant pour partie déjà exonérés de taxe d’habitation en 2017 seront uniquement impactés par la désindexation des pensions de retraite. Il en est de même des retraités les plus aisés, non éligibles à l’exonération de la taxe d’habitation et dont le revenu fiscal de référence dépasse le seuil fixé pour bénéficier de l’annulation de la hausse de la CSG.

Au final, plus de la moitié des ménages perdants appartiennent au 40% des retraités les plus modestes. Les 10% de ménages retraités les plus aisés comptent quant à eux 17% des ménages perdants.

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Incertitudes pour 2020

S’il paraît peu probable que de nouvelles mesures en faveur des retraités soient annoncées en 2019, des incertitudes entourent l’année 2020.

En effet, si les lois de finances pour 2019 actent une nouvelle sous-indexation des pensions de retraite (et plus globalement de nombreuses prestations sociales) en 2020, les discussions entourant le Grand Débat laissent planer un doute sur la mise en œuvre de ce nouvel effort demandé aux retraités.

Si cette nouvelle sous-indexation venait à être mise en place, le nombre de ménages perdants croîtrait de près de 700 000 malgré la nouvelle hausse de l’ASPA et la fin de la montée en charge de la baisse de la taxe d’habitation (tableau 2). De façon similaire, la part des perdants par décile croîtrait quel que soit le niveau de vie considéré et plus de 70% des 30% de ménages retraités les plus modestes pourraient perdre à la mise en place des mesures socio-fiscales à la fin de l’année 2020 (graphique 2).

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Graphe2_post27-03Les discussions en cours et les mesures annoncées à la suite du Grand Débat pourraient modifier significativement ces résultats. En effet, parmi les nombreuses propositions émises, la réindexation des pensions pour une partie des retraités semble en bonne place. Dès lors, la question se pose du seuil de revenu en deçà duquel un ménage pourrait être éligible à cette réindexation.

À titre d’illustration, nous avons modélisé les effets d’une réindexation pour l’ensemble des ménages dont le revenu fiscal de référence est inférieur à 22 580 euros (seuil utilisé pour l’annulation de la hausse de la CSG) (graphique 3). Cette mesure amputerait les économies budgétaires de l’ordre de 1,5 milliard d’euros pour les ménages considérés en 2020. Le gain à attendre s’établirait à 50 euros par an pour les 10% de ménages retraités les plus modestes et les plus aisés soit respectivement 0,4% et 0,1% de leur niveau de vie. Ce gain atteindrait 250 euros (0,9%) pour les ménages retraités du 6e décile[3].

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Au final, à l’image des mesures déjà actées, cette mesure ciblerait clairement les « classes moyennes » des retraités et peu le bas de la distribution. Elle permettrait tout de même de réduire de 1,3 million le nombre de ménages retraités perdants à la mise en place des mesures de 2020 et engendrerait un gain moyen de l’ordre de 150 euros pour les ménages retraités.

 

 

[1] Ceux ayant un revenu fiscal de référence inférieur à 14 548 euros par part fiscale n’ont pas subi la hausse de la CSG en 2018.

[2] L’ensemble des mesures socio-fiscales prises en compte dans cette étude sont décrites en détail dans  Pierre Madec, Mathieu Plane, Raul Sampognaro, « Budget 2019 : du pouvoir d’achat mais du déficit », Sciences Po OFCE Working Paper, n°02, 2019. Les mesures touchant les actifs (heures supplémentaires, prime d’activité, …) n’ayant pas d’effet sur les pensions, elles ne sont pas présentées ici. De même, les mesures de 2018 ne sont pas ici considérées (bascule cotisations/CSG, première tranche de taxe d’habitation, ISF, PFU, …).

[3] Le concept de « niveau de vie », ici utilisé pour mesurer les effets redistributifs, diffère du concept de « revenu fiscal de référence » utilisé pour calibrer la mesure. De fait, il peut exister des « gagnants » à la réindexation dans le haut de la distribution des niveaux de vie malgré le ciblage de la mesure sur les revenus fiscaux les plus faibles.




Le patrimoine et l’endettement des ménages français en 2015

par Luc Arrondel et Jérôme Coffinet

La crise financière de 2008 a modifié les comportements des épargnants, ces derniers privilégiant la prudence dans leur portefeuille. Les comparaisons spatio-temporelles de la distribution du patrimoine et sa composition apparaissent donc essentielles pour analyser ces questions de politique publique.

En moyenne, les ménages français déclarent posséder 268 000 euros de patrimoine brut. La moitié est endettée, en moyenne à hauteur de 37 000 euros. Le décile des Français les plus riches détient environ 46 % de la richesse totale, le centile le plus aisé, environ 15 %. La hausse de l’endettement concerne davantage les ménages aisés, disposant de capacités de remboursement plus importantes ou de patrimoines substantiels. La situation des ménages ne semble donc pas faire porter de risque majeur à la stabilité financière en France.

Dans un article de la Revue de l’OFCE (n° 161-2019, accessible ici) nous analysons les résultats de l’enquête européenne Household Finance and Consumption Survey réalisée fin 2014-début 2015 qui montrent que la concentration des actifs financiers et professionnels des ménages français est plus importante que celle des biens immobiliers. L’épargne risquée et de long terme est davantage détenue par les plus riches mais la détention d’actions stagne à des niveaux relativement faibles. Ces données permettent de comprendre les comportements d’épargne et d’endettement des ménages, d’évaluer les vulnérabilités financières et les effets de la politique monétaire.

 

 




Individualisation du patrimoine au sein des couples : quels enjeux pour la fiscalité ?

par Nicolas Frémeaux et Marion Leturcq

De 1998 à 2010, la manière dont le patrimoine est détenu au sein des couples a profondément changé. La généralisation de la cohabitation hors mariage, l’essor du pacs et le recours plus fréquent au régime de la séparation de biens pour les couples mariés ont conduit à une individualisation du patrimoine. Cette individualisation a eu pour conséquence une augmentation des inégalités de patrimoine entre conjoints. Cette transformation du mode de détention du patrimoine n’a toutefois pas été prise en compte dans la fiscalité du patrimoine en France, celle-ci tendant à faire l’hypothèse d’une mise en commun des ressources au sein du couple. De ce point de vue, la fiscalité actuelle fait preuve d’incohérences dans le traitement fiscal des couples. L’objectif de notre article paru dans la Revue de l’OFCE (n°161-2019 accessible ici) est de proposer un questionnement sur les principes de justice qui sous-tendent l’imposition du patrimoine des couples, que ce soit à travers les revenus, la détention ou la transmission des patrimoines.




L’investissement des entreprises pénalisé par le Brexit

par Magali Dauvin

À l’heure où les perspectives de commerce mondial demeurent orientées à la baisse[1], la demande intérieure britannique peine à rester dynamique : la consommation des ménages s’est essoufflée en fin d’année tandis que l’investissement chute de 0,2 % en 2018.

Cette dernière baisse est à imputer en quasi-totalité à l’investissement des entreprises non financières[2] (55% de la FBCF en volume) qui a baissé consécutivement durant les quatre trimestres de l’année (graphique 1) : atteignant -2,6 % en 2018.

L’investissement peut être expliqué par un modèle à correction d’erreur[3]. Celui utilisé à l’OFCE pour les prévisions de l’investissement des entreprises non financières au Royaume-Uni bénéficie d’un ajustement pouvant être considéré comme « correct » au regard de son pouvoir explicatif (le coefficient de détermination est de 85%) sur la période pré-referendum (1987T2 – 2016T2). Si nous simulons la trajectoire de l’investissement après le référendum de 2016 (en bleu clair), on remarque que celle-ci dévie des données d’investissement reportées par l’ONS (bleu foncé) de façon systématique[4].

Ce résultat est conforme à ceux que l’on peut trouver dans la littérature récente montrant également que les modèles tendent systématiquement à surévaluer le taux d’investissement des entreprises britanniques depuis 2016[5]. De 0,5 point de PIB en 2017, l’écart n’a cessé de progresser en 2018 pour atteindre un peu plus d’un point de PIB au dernier trimestre.

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Comment expliquer ce décrochage ? Nous interprétons cette déviation comme l’effet de l’incertitude liée au Brexit, en particulier celle sur les modalités commerciales futures entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Près de la moitié des échanges extérieurs britanniques sont en provenance ou à destination du marché unique. Bien que l’inclusion d’un indicateur d’incertitude (EPU, voir Bloom et al., 2007) dans l’équation d’investissement n’ait pas permis de l’identifier clairement, plusieurs études sur des données d’entreprises britanniques vont dans ce sens. Tout d’abord, les périodes d’incertitude accrue se caractérisent par un investissement significativement plus bas depuis la crise de 2008 (Smietbanka, Bloom et Mizen, 2018). Par rapport à un scénario sans référendum (i.e. sans Brexit), le passage à un régime avec des tarifs douaniers renégociés aurait eu pour effet :

– de diminuer le nombre d’entreprises britanniques entrant sur le marché européen et d’en avoir poussé davantage vers la sortie (Crowley, Exton et Han, 2019) ;

– de peser sur l’investissement des entreprises du fait de perspectives de tarifs douaniers similaires à ceux prévalant sous les règles de l’OMC (Gornicka, 2018).

La baisse de l’investissement « a coûté » 0,3 points de PIB en 2018[6] et ce coût pourrait augmenter à mesure que sont pris en compte les effets de second tour (ce n’est pas notre cas ici). Si les incertitudes ne se lèvent pas, le « Brexeternity » – expression employée pour caractériser la longue période de négociation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne – risquerait d’avoir un effet bien plus déprimant sur la croissance future britannique et le niveau de vie de ses citoyens.

 

[1] L’indicateur composite de l’OMC demeure en-dessous (96,3) de sa tendance de long-terme (100) depuis la mi-2018.

[2] Reporté par l’ONS (Office for National Statistics) comme du « Business Investment ». Les entreprises non financières détenues en partie ou en totalité par l’État sont inclues dans ce champ, mais elles représentent moins de 4% du total. Cette mesure de l’investissement ne tient pas compte des dépenses en logement, terrains, bâtiments existants ainsi que les coûts liés au transfert de propriété d’actifs non produits.

[3] Voir l’article de Ducoudré, Plane et Villemot (2015) dans la Revue de l’OFCE, n° 138, pour plus de détails sur la stratégie adoptée.

[4] Un léger décrochage est constaté à partir de 2015, au moment où la loi sur le référendum a été adoptée.

[5] En particulier les travaux de Gornicka (2018).

[6] Il s’agit de la contribution de l’investissement des entreprises non financières au PIB en 2018.

 

Bibliographie

Bloom N., Bond S. et Van Reenen J., 2007, « Uncertainty and investment dynamics », The review of economic studies, vol. 74, n° 2, 391-415.

Crowley M., Exton O. & Han L. (2019). « Renegotiation of Trade Agreements and Firm Exporting Decisions: Evidence from the Impact of Brexit on UK Exports », CEPR Discussion Paper, 13446.

Ducoudré B., Plane M., & Villemot S., 2015, « Équations d’investissement », Revue de l’OFCE, n° 138, 205-221.

Gornicka L., 2018, « Brexit Referendum and Business Investment in the UK », IMF Working Paper 18/247.

Smietanka P., Bloom N., & Mizen P., 2018, « Business investment, cash holding and uncertainty since the Great Financial Crisis », Bank Of England, Staff Working Paper, 753.