Une plus grande cohésion dans un monde de plus en plus fracturé : où en est le projet européen ?

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

« Une plus grande cohésion dans un monde de plus en plus
fracturé : où en est le projet européen ? ». Tel était le thème
du 16e Colloque EUROFRAME
sur les questions de politique économique dans l’Union européenne, qui s’est
tenu le 7 juin 2019 à Dublin[1].
Cette note fournit un résumé des travaux présentés et discutés lors du colloque.




Comme le souligne le titre du colloque, l’année 2019 est marquée
par les risques de fractures de l’économie mondiale. Donald Trump a lancé une
guerre commerciale contre la Chine et l’Europe. Il met en cause l’accord de
Paris sur la lutte contre le changement climatique. L’Union européenne (UE) est
sous la menace du Brexit alors que les questions migratoires comme les
questions de fonctionnement démocratique opposent les pays de l’Ouest à ceux de
l’Est de l’Europe. Les accords commerciaux bilatéraux peuvent être considérés
comme un progrès ; en même temps, ils mettent en cause l’utilité de l’Organisation
mondiale du commerce (OMC). Les négociations sur la fiscalité des entreprises
multinationales ont été engagées, mais piétinent du fait des intérêts
nationaux. Dans ce contexte, la zone euro a fait des progrès institutionnels,
mais ceux-ci, difficiles à mettre en place, sont restés limités. L’Europe a un
rôle crucial à jouer pour mettre en place les instruments indispensables de
gestion de la mondialisation, en matière écologique, commerciale, fiscale,
financière mais cela demanderait une unité et une impulsion politique qui font
défaut aujourd’hui. Comment relancer le projet européen ?

La présentation introductive de Karl Wheelan portait sur les
problèmes spécifiques de l’euro. La monnaie unique apparaît comme un succès
puisqu’elle a survécu, qu’elle bénéficie du soutien des peuples, qu’elle a
assuré la stabilité des prix, mis fin à l’instabilité des taux de change entre
pays membres, que l’union bancaire est en voie d’être achevée. La politique
monétaire a pu être réactive. Mais les déséquilibres se sont creusés entre
États membres, le risque de défaut sur les dettes publiques est apparu, les
risques de faillite bancaire se sont accrus. Des progrès restent à faire :
repenser les règles de politique budgétaire, créer une capacité d’intervention
budgétaire à l’échelle de la zone, prévoir un mécanisme de restructuration des
dettes publiques, inciter les banques à détenir moins de dette publique de leur
pays en la considérant comme risquée, créer un mécanisme européen d’assurance
des dépôts, préciser la fonction de prêteur en dernier ressort de la BCE
vis-à-vis des banques et des États. L’exemple du Brexit montre que la construction
européenne reste à la merci des mouvements nationalistes.

Marek Dabrowski dresse un panorama de l’histoire de l’euro depuis
20 ans. L’auteur se félicite du succès de la monnaie unique, mais s’inquiète
toutefois des réticences de certains pays à achever les réformes nécessaires.
Il propose d’approfondir l’intégration politique, d’augmenter la taille du
budget européen pour financer des projets communs, de renforcer la discipline
de marché pour contrôler les politiques budgétaires, de simplifier et de
renforcer l’application des règles budgétaires. Il estime que les pays d’Europe
centrale et orientale membres de l’UE mais qui n’ont pas adopté l’euro
devraient se donner l’objectif de le faire dans un futur proche, ce qui
permettrait de simplifier l’architecture institutionnelle de l’UE.

Dans la discussion, plusieurs points de vue ont été exprimés. Selon
Klaus-Jürgen Gern, l’UE doit choisir entre deux paradigmes. L’Union budgétaire,
avec plus d’harmonisation, de coordination et de partage des risques,
nécessiterait, selon l’auteur, la restriction budgétaire dans beaucoup de pays,
la stricte application de règles budgétaires, des réformes structurelles des
marchés des biens et du travail, qui devraient être prises en charge au niveau
de chaque pays. Maastricht 2.0 reposerait sur la diversité, la concurrence et
la responsabilité de chaque pays. La clause de non-assistance devrait être
renforcée ; elle serait rendue crédible en renforçant l’Union bancaire par
un filet de protection européen, en brisant le lien entre les banques et la
dette de leur pays d’origine ; en créant un mécanisme de restructuration
des dette publiques.

Pour notre part, nous nous sommes inquiétés de projets qui
fragiliseraient les politiques économiques des États membres, décidées
démocratiquement, au profit d‘institutions européennes technocratiques,
éloignées des réalités nationales. Nous avons rappelé l’exemple des politiques
budgétaires inappropriées imposées après la crise financière. Il nous semble
dangereux d’affaiblir la capacité des États à se financer et de compter sur les
marchés financiers pour imposer la bonne politique budgétaire. Certains ont
estimé que tout projet doit tenir compte des disparités et des divergences
politiques et économiques entre les pays de l’UE.

Le Brexit

Mathieu et Sterdyniak présentent un survol des questions posées par le Brexit. Ils analysent les positions des institutions européennes et celles des forces politiques au Royaume-Uni, entre les partisans de rester dans l’UE, les partisans d’un partenariat étroit et les partisans d’une franche rupture, éventuellement sans accord, positions qui ont conduit à une impasse. Jusqu’à présent, les résultats du referendum n’ont pas entrainé la récession annoncée, mais un léger ralentissement de la croissance. L’article présente les différents travaux macroéconomiques qui évaluent l’impact à long terme du Brexit sur l’économie britannique. L’impact serait très négatif si le Brexit se traduit par une fermeture du Royaume-Uni qui aurait des effets durables sur la croissance de la productivité du travail.

Compte-tenu de l’actualité et du lieu de la conférence, trois interventions ont porté sur l’impact du Brexit sur l’Irlande. Martina Lawless analyse en détail les secteurs économiques et les comtés qui seraient frappés par le Brexit, en particulier par un Brexit sans accord. Le commerce entre les deux parties de l’île est intense et de type local, plutôt qu’international. Ce sont les petites entreprises et le secteur agricole (produits laitiers, viande) qui courent le plus grand risque. La baisse du commerce ne pourrait être compensée par une hausse des investissements directs étrangers (IDE). Globalement, le choc pourrait être une baisse du PIB de 4 à 6% pour la République d’Irlande.

L’étude d’Arriola et al. souligne que la République d’Irlande est le pays de l’UE qui a le plus de liens économiques avec le Royaume-Uni ; en particulier, le secteur agricole exporte beaucoup vers le Royaume-Uni ; beaucoup de biens intermédiaires utilisés par les entreprises irlandaises proviennent du Royaume-Uni, de sorte que les chaines de production devront être restructurées ; l’effet de relocalisation des IDE serait positif, mais faible. Au total, l’effet à long terme ne serait qu’une baisse du PIB de 2,3%.

Adele
Bergin et al. comparent 3 scénarios :
la sortie avec accord, la sortie ordonnée sans accord et la sortie désordonnée
sans accord. Dans les 3 cas, l’effet négatif sur le commerce est un peu
compensé par un effet positif via les IDE. Au total, l’effet à 10 ans sur le
PIB de la République d’Irlande serait de -2,6 ; -4,8 ou -5%, selon le scénario.

Questions
monétaires   

Rachel Slaymaker et al.analysent les arriérés de paiements sur
les crédits au logement en Irlande. Ils montrent que ceux-ci dépendent du
revenu du ménage, du montant de leur dette, mais qu’ils sont plus importants
pour les crédits à taux variable et à la suite d’une hausse des taux d’intérêt,
ce qui posera problème quand la période de bas taux d’intérêt prendra fin. 

Roberto Pancrazi et Luca Zavalloni montrentqu’un pays en difficulté peut se trouver en face de taux d’intérêt
trop élevés qui l’incitent à faire faillite au détriment de ses créanciers.
Cela peut justifier une intervention publique (ou une aide internationale) pour
réduire le coût de son nouvel endettement. L’article montre que cette politique
peut être Pareto-améliorante, ce qui justifie l’intervention du Fonds monétaire
international (FMI), du mécanisme européen de stabilité (MES), ou l’émission de
titres seniors.

Jérôme Creel et Mehdi El Herradi analysent avec un modèle VAR le
lien entre la politique monétaire et les inégalités de revenu. Ils estiment
qu’une politique monétaire restrictive tend à augmenter les inégalités de
revenu, l’effet étant surtout sensible pour les pays périphériques (Espagne,
Grèce, Italie, Portugal).

Économie bancaire

Ray
Barrell et Dilruba Karim analysent les déterminants des crises financières. Deux
variables jouent un rôle central : le déficit du solde courant et la
croissance des prix de l’immobilier ; deux variables jouent un rôle
stabilisateur : le capital des banques et leur liquidité. Par contre, le
rôle de la croissance du crédit bancaire n’est pas mis en évidence. Par
ailleurs, certaines crises demeurent inexpliquées. Les auteurs estiment que des
exigences en termes de ratio de capital sont le meilleur outil de politique
macroprudentielle, ainsi que le contrôle de la qualité du crédit, plutôt que de
sa quantité.

Hiona Balfoussia, Dellas et Papageorgiou analysent la relation entre le risque de défaut de l’Etat et le risque
de défaut des banques. La fragilité des finances publiques renforce, par le
canal du crédit, l’impact des chocs économiques. Cette fragilité peut être
évitée si les exigences de fonds propres des banques sont ajustées de façon
optimale. Appliquée à l’Union bancaire, l’analyse montre que les pays fragiles
peuvent avoir intérêt à l’union, tandis que les pays avec des finances
publiques en bonne santé peuvent en pâtir.

José
Carrasco-Gallego utilise un modèle DSGE pour comparer les propriétés
stabilisatrices de deux instruments de la politique macroprudentielle, le ratio
prêts/valeur (LTV) ou le ratio contracyclique de fonds propres (CCB). Il montre
que chacun de ces ratios peut amener, pour certains types de chocs à des
réactions inappropriées et que leurs indications peuvent être contradictoires.

Elizabeth Jane Casabianca et
al.
comparent deux méthodes pour prévoir les crises bancaires, soit un
modèle logit économétrique, soit un algorithme d’apprentissage machine. Il
apparait que les variables pertinentes sont le poids de la dette extérieure, le
ratio crédit/PIB, l’inflation, le taux américain à 10 ans. Une forte croissance
mondiale augmente le risque de crise bancaire. Le ratio dette publique/PIB n’a
pas de valeur prédictive. Pour les pays développés, l’algorithme prévoit 53
crises sur 128 et donne 40 fausses alertes sur 785 situations. En 2006, le
risque de crise dépassait 50 % pour 25 pays ; en 2017, il atteint 40 %
pour 9 pays (dont le Royaume-Uni, l’Italie, les Pays-Bas et la Suisse).

Finance

Amat Adarov met en évidence des cycles financiers dans 20 pays européens de
1960 à 2015. Ces cycles se caractérisent par des périodes d’expansion où des déséquilibres
se constituent, suivis de contractions brutales. Ces cycles sont
particulièrement importants et synchronisés pour les pays du cœur de la zone
euro. Ils doivent être pris en compte pour analyser les cycles économiques et
la dynamique de la dette publique, mais aussi dans l’organisation de l’Union
bancaire, de l’Union des marchés de capitaux et dans les objectifs de la politique monétaire.

Robert Unger revient sur le lien entre croissance et
développement. Selon une analyse empirique basée sur 34 pays développés de 1995
à 2014, c’est l’endettement des ménages, plutôt que celui des entreprises, qui
joue un rôle crucial, favorisant d’abord la croissance, puis lui étant nuisible
au-delà d’un certain seuil. L’étude ne met pas en évidence de différence entre
le financement par crédit bancaire ou par les marchés financiers.

Politique
budgétaire

Beau Soederhuizen et al.
utilisent un modèle VAR pour évaluer le multiplicateur budgétaire selon l’état
du cycle financier. Le multiplicateur des dépenses d’investissement serait
négatif en période de hausse des tensions financières et positif, supérieur à
1, en période de décrue. En prenant en compte le cycle conjoncturel, il
apparait que ces effets sont amplifiés en période de récession et affaiblis en
période d’expansion. Le multiplicateur des dépenses de consommation serait plus
faible et dépendrait moins du cycle financier.

Pedro Gomes et Felix Wellschmied analysent le fonctionnement du
marché du travail des secteurs publics et privés aux États-Unis, Royaume-Uni,
France et Espagne. Les travailleurs font des choix différents d’emploi entre
les deux secteurs au cours du cycle de vie selon leur aversion pour le risque,
selon leur patrimoine et selon l’importance qu’ils attribuent à la sécurité de
l’emploi et au différentiel de pensions de retraite.

Harris Dellas et al. construisent
un modèle d’équilibre général calculable de l’économie grecque, qui incorpore
un secteur informel dont la taille varie selon les taux d’imposition et le
contrôle des flux financiers. Ils montrent que les politiques de restrictions
budgétaires se sont traduites par une augmentation de 50% du secteur informel,
de sorte que le PIB officiel a baissé de 26% (au lieu des 18% initialement envisagés),
mais qu’en fait la production n’a baissé que de 17%.

Salvador Barrios et al. proposent
d’analyser les mesures de politique fiscale en utilisant une base de données
sur les réformes de l’impôt sur le revenu. Celles-ci sont décrites finement dans
un modèle de microsimulation ; leur impact macroéconomique est évalué à
l’aide d’un modèle VAR dont les résultats sont incorporés dans un modèle
macroéconomique. Il apparait que les réductions de l’impôt sur le revenu ont
bien un effet positif sur la production et l’emploi, mais les hausses de
recettes publiques sont insuffisantes pour inverser l’impact négatif de la
baisse de l’impôt sur le solde public.

Sebastian Weiske et Mustafa Yeter comparent différents mécanismes
de transferts budgétaires entre Etats membres. Ceux-ci devraient permettre de
stabiliser les économies des pays membres, sans induire des transferts
permanents, sans induire d’accumulation de dette, sans encourager des
comportements d’hasard moral. Il faut réaliser un arbitrage délicat entre
stabilisation et accumulation de dettes. Les auteurs proposent d’instaurer un
plafond sur les transferts nets reçus (ou versés) par chaque pays.

Commerce et
solde extérieur

Kieran McQuinn et Petros Varthalitis
montrent que la croissance de l’économie irlandaise, d’abord portée par le
secteur exportateur, a été impulsée de 2004 à 2007 par une bulle immobilière. La
crise financière a permis de rééquilibrer l’économie en faveur du secteur
industriel. La reprise de l’économie irlandaise ne s’explique pas par des
réformes structurelles, mais par le développement des exportations.

Cian Allen analyse empiriquement, de 1995 à 2015, pour les pays du
G20, l’impact sur les fluctuations du solde courant des fluctuations du solde
public, du solde des ménages, des entreprises et du secteur financier. Il
montre que ce sont les fluctuations du solde public et du solde des entreprises
(plutôt que celles du solde des ménages) qui jouent un rôle crucial.

Pascal Jacquinot et al. analysent,
dans un modèle dynamique d’équilibre général, avec des frictions sur le marché
de travail, l’impact de mesures protectionnistes. Celles-ci nuisent à l’emploi
dans le pays qui les entreprend, comme dans le pays qui en est victime ;
les pays tiers peuvent bénéficier d’un léger effet positif. Par contre, des
mesures frappant un des pays de la zone euro ont des effets récessifs sur
l’ensemble de la zone.

John
Lewis et Matt Swannell utilisent un modèle de gravité pour analyser les flux
migratoires. Ils mettent en évidence l’impact des variables de distance, de
liens historiques, de langue commune, du nombre de migrants déjà installés,
mais aussi de variables macroéconomiques, comme la croissance anticipée tant
dans le pays d’origine (avec un impact négatif) que dans le pays destination
(avec un impact positif) et la flexibilité du marché du travail.

Tatiana
Cesaroni et al. expliquent l’évolution
des inégalités dans les pays européens en séparant les pays du cœur et ceux de
la périphérie. La hausse du chômage contribue à la hausse des inégalités dans
les deux zones. La croissance du PIB par tête réduit les inégalités dans les
pays du cœur, l’augmente dans les pays de la périphérie. L’intégration
commerciale et financière, la fiscalité réduisent les inégalités dans les pays
périphériques. Elles ont peu d’impact dans les pays du cœur. Les auteurs en
concluent que les politiques redistributives doivent être pensées au niveau
national.

Angelos
Angelopoulos et al. analysent
l’impact de la recherche de rentes sur l’activité économique et la croissance.
La recherche de rentes peut être un stimulant pour accumuler de la richesse et
pour se protéger des chocs de revenu ; cependant, elle détourne de
l’activité productive, elle immobilise des capitaux et finalement elle induit
une hausse des inégalités de revenu.

Tryfon Christou et al.
estiment que dans des pays où les institutions sont de mauvaise qualité, les
individus consacrent une partie de leur temps de travail à s’emparer de rentes.
En distinguant les pays selon la qualité de leurs institutions, ils concluent
que les pays qui ont des institutions de meilleure qualité ont moins souffert
de la crise et que celle-ci a entrainé une détérioration de la qualité de leurs
institutions.

Interventions :

Karl Wheelan (University College
Dublin) : The Euro at 20: Successes,
Problems, Progress and Threat
s.

Marek Dabrowski (CASE, Varsovie):
The Economic and Monetary Union: Past, present and future

Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak (OFCE) :  Brexit: Why, how, and when?

Martina Lawless (ESRI) : Brexit and trade on the island of Ireland.

Christine Arriola, Caitlyn Carrico, David
Haugh, Nigel Pain, Elena Rusticelli, Donal Smith, Frank van Tongeren et
Ben Westmore (OCDE) : The potential macroeconomic and sectoral consequences of Brexit on
Ireland.

Adele Bergin (ESRI), Philip Economides
(ESRI), Abian Garcia-Rodriguez (ESRI et Trinity College) et Gavin Murphy
(Department of Finance, Ireland) : Ireland
and Brexit: Modelling the impact of deal and no-deal scenarios.

Rachel Slaymaker, Conor O’Toole, Kieran
McQuinn (ESRI) et Mike Fahy, (Trinity College Dublin): Policy normalisation and mortgage arrears in a recovering economy: The
case of the Irish residential market.

Roberto Pancrazi (Université de Warwick)
et Luca Zavalloni (Banque centrale d’Irlande) : Interest overhang: a rationale
for the existence of sovereign lending mechanisms.

Jérôme Creel (OFCE et ESCP Europe) et
Mehdi El Herradi (Université de Bordeaux-LAREFI) : Shocking aspects of monetary policy on income
inequality in the Euro Area.

Ray Barrell et Dilruba Karim (LSE et
Brunel University, Londres) : Bank
capital, excess credit and crisis incidence.

Hiona Balfoussia (Banque de Grèce), Harris
Dellas (Université de Berne et CEPR) et Dimitris
Papageorgiou (Banque de Grèce) : Fiscal distress and banking performance: The role of
macroprudential regulation
.

José A. Carrasco-Gallego (King Juan Carlos
University, Madrid) : Effectiveness of
new macrofinancial policies.

Elizabeth Jane Casabianca (Prometeia
Associazione et Université Polytechnique des Marches, Michele Catalano
(Prometeia Associazione), Lorenzo Forni (Prometeia Associazione et Université
de Padoue), Elena Giarda (Prometeia Associazione et Université de Modène et
d’Émilie) et Simone Passeri (Prometeia Associazione) : An early warning system for banking crises: From regression-based
analysis to machine learning techniques

Amat Adarov (Vienna
Institute for International Economic Studies) : Financial cycles in Europe: Dynamics, synchronicity and implications
for business cycles and macroeconomic imbalances.

Robert Unger (Deutsche Bundesbank) : Revisiting the finance and growth nexus – A
deeper look at sectors and instruments.

Beau Soederhuizen, Rutger Teulings et Rob
Luginbuhl (CPB) :  Estimating the impact of the financial cycle on fiscal policy.

Pedro Gomes (Birkbeck et University of
London) et Felix Wellschmied (University Carlos III Madrid) :  Public-sector
employment over the life

Harris Dellas (Université de Berne), Dimitris Malliaropulos
(Banque de Grèce et Université du Pirée), Dimitris Papageorgiou (Banque de
Grèce) et Evangelia Vourvachaki (Banque de Grèce) : Fiscal multipliers with an informal sector.

Salvador Barrios (Commission européenne, Centre Commun de
Recherche), Adriana Reut, (Commission européenne, DG ECFIN), Sara Riscado
(Commission européenne, Centre Commun de Recherche et Ministère des finances
portugais) et Wouter van der Wielen (Commission européenne, Centre Commun de
Recherche) :  Dynamic
scoring of tax reforms in real time

Sebastian Weiske et Mustafa Yeter (Conseil allemand des experts
économiques) : An evaluation of
different proposals for a European fiscal capacit.y

Kieran McQuinn
et Petros Varthalitis (ESRI et Trinity College Dublin) : How openness to
trade rescued the Irish economy.

Cian Allen (Trinity College Dublin) : Revisiting external imbalances: Insights
from sectoral accounts.

Pascal Jacquinot (Banque centrale européenne), Matija Losej
(Banque Centrale d’Irlande) et Massimiliano Pisani (Banque d’Italie) : Nobody wins: Protectionism and
(un)employment in a model-based analysis.

John Lewis et Matt Swannell (Banque
d’Angleterre): The macroeconomic determinants of migration.

Tatiana
Cesaroni (Ministère de l’économie et des finances italien, MEF-DT), Enrico
D’Elia (Ministère de l’économie et des finances italien, MEF-DF) et Roberta De
Santis (Istat et LUISS) : Inequality
in EMU: is there a core periphery dualism?

Angelos
Angelopoulos Angelos (Université d’Athènes d’Économie et de Gestion et
Université ouverte de Grèce), Konstantinos Angelopoulos (Université de Glasgow et CESifo),
Spyridon Lazarakis (Université de Glasgow), Apostolis Philippopoulos (Université d’Athènes d’Économie et de
Gestion et CESifo) : Rent seeking worsens economic outcomes and
increases wealth inequality.

Tryfon Christou (Université d’Athènes d’Économie et de Gestion),
Apostolis Philippopoulos, (Université d’Athènes d’Économie et de
Gestion et CESifo) et Vanghelis Vassilatos (Université d’Athènes
d’Économie et de Gestion) : Modeling
rent seeking activities: quality of institutions, macroeconomic
performance.


[1]
EUROFRAME est un
réseau d’instituts économiques européens qui regroupe : DIW Berlin et IfW Kiel
(Allemagne), WIFO (Autriche), ETLA (Finlande), OFCE (France), ESRI (Irlande),
PROMETEIA (Italie), CPB (Pays-Bas), CASE (Pologne) et NIESR (Royaume-Uni).
Depuis 2004, EUROFRAME organise chaque année un colloque sur un sujet important
pour les économies européennes. Cette année, 27 contributions de chercheurs ont
été présentées, dont la plupart sont disponibles sur la page web
du colloque.




L’origine financière de la blessure budgétaire de la zone euro

Par Alberto
Caruso, Lucrezia Reichlin, Giovanni Ricco

Nous constatons que la situation conjointe du déficit public et de la dette
publique des pays de la zone euro de 2008 à 2013, caractérisée par une dette
publique élevée et persistante malgré un assainissement budgétaire sévère
depuis 2009, ne peut pas être expliquée par l’effondrement sans précédent du
PIB, compte tenu des relations historiques entre les variables
macroéconomiques, fiscales et financières. Elle reflète plutôt les
caractéristiques spécifiques des années de crise et surtout l’importance et la
nature de l’aide publique au secteur financier.



L’un des ouvrages écrit juste après la crise financière de 2008 les plus cités s’intitule « Cette fois, c’est différent » (Rogoff et Reinhart, 2009) et documente les caractéristiques particulières des récessions associées aux crises financières dans le temps et d’un pays à l’autre. Dans Caruso, Reichlin et Ricco (2019), nous posons la question de savoir si la situation conjointe du déficit public et de la dette publique dans les pays de la zone euro a été « différente » au cours de la période 2008-2013, qui inclut à la fois la grande récession financière et la crise souveraine de la dette.

Les doubles crises de la zone euro, associées à la grande
récession mondiale et à la crise de la dette souveraine, ont laissé en héritage
des niveaux d’endettement sans précédent, tant au niveau national qu’agrégé. La
dette publique projetée pour l’ensemble de la zone euro en 2019 s’élève à 85,8%
du PIB, soit une baisse par rapport au sommet historique de 94,4% atteint en
2014, mais elle reste néanmoins supérieure d’environ 20 points au niveau
d’avant la crise de 2007. Cette dette publique anormale – élevée et persistante
– fut associée à un effort d’assainissement budgétaire sans précédent, qui a
entraîné une diminution rapide du déficit public à partir de la mi-2009.

Dans la figure 1, les graphiques indiquent les
trajectoires de la dette (quadrant gauche) et du ratio déficit/PIB pour trois
récessions de la zone euro commençant respectivement en 1980, 1991 et 2008.
Pour chaque épisode, les variables dette et déficit sont égales à 100 au début
de la récession. L’axe horizontal indique les trimestres après cette date.

Après chaque récession, le ratio déficit/PIB augmente en
raison de la baisse du PIB (le dénominateur), de la baisse des recettes
fiscales et de l’effet des stabilisateurs budgétaires sur les dépenses
publiques. La récession de 2008 est toutefois d’un autre ordre de grandeur :
en raison de la chute spectaculaire du PIB, le ratio déficit/PIB a augmenté au
cours des cinq premiers trimestres et a atteint un maximum au deuxième
trimestre de 2009 lorsque la consolidation a eu lieu.

Les raisons potentielles pour lesquelles la dette
publique n’a pas diminué plus rapidement sont nombreuses. Parmi ces raisons
l’ampleur inhabituelle du choc macroéconomique négatif initial qui a frappé la
zone euro, la réaction des impôts et des stabilisateurs automatiques qui, de
par leur conception, est plus forte dans une récession profonde, mais aussi,
potentiellement, la nature financière de la crise qui affecte les primes de
risque et les dépenses publiques en raison du sauvetage des institutions
financières défaillantes.

Dans Caruso, Reichlin et Ricco (2019), nous évaluons
l’importance quantitative de ces différentes explications potentielles. Nous
procédons à une analyse contrefactuelle basée sur un modèle de vecteur
autorégressif (VAR) pour la zone euro. Notre modèle intègre des variables
budgétaires détaillées – dépenses, impôts, transferts, investissement public et
paiements d’intérêts –, des indicateurs macroéconomiques et financiers, les prix
et taux d’intérêt à différentes échéances ainsi que des variables de dette
privée.

Notre proposition consiste à se demander ce qu’un
observateur qui aurait collecté des données sur les précédentes récessions dans
la zone euro et qui connaîtrait avec certitude la trajectoire de la production
et des prix au cours des crises jumelles de 2008 et 2012 aurait pu prédire pour
la dette et le déficit publics en particulier, et pour toutes les autres
variables incluses dans le modèle.

À cette fin, nous estimons le modèle pour la période
allant du premier trimestre de 1981 au premier trimestre de 2008 et calculons
les attentes fondées sur le modèle pour toutes les variables, en fonction de
l’évolution réelle de la production et des prix au deuxième trimestre de 2008
et du quatrième trimestre de 2008. Cet exercice peut être interprété comme un
test de l’affirmation « cette fois, c’est différent ». En effet, une
différence significative entre la trajectoire observée et la médiane de la trajectoire
simulée (anticipation conditionnelle) suggérerait que la baisse exceptionnelle
du PIB (et de l’inflation réalisée) ne peut à elle seule expliquer ce que nous
avons observé, compte tenu de la structure historique des récessions
conjoncturelles.

Pour nous concentrer sur les effets budgétaires de la
crise, nous calculons la dette publique sous forme de somme cumulée du déficit
public et la comparons à la dette publique réalisée, qui inclut également les
effets de valorisation et les éléments liés à l’intervention publique en faveur
du système financier, telles que les garanties publiques qui sont
comptabilisées en dette mais non en déficit (la somme cumulée de cette
composante pour la période 2008-2011 représente à peine plus de 6% du PIB –
voir tableau).

Nos résultats mettent en évidence les faits suivants :

  1. La hausse du ratio déficit/PIB observée en 2009-2010 à la suite de la crise est statistiquement significativement différente et supérieure à celle de la trajectoire contre-factuelle. Cependant, elle atteint des niveaux qui ne sont pas significativement différents de la trajectoire simulée d’ici la fin de 2010 grâce à un assainissement budgétaire exceptionnel. Cela indique que la dynamique anormale des déficits disparaît d’ici la fin de la période sous l’effet de l’effort budgétaire (voir le quadrant gauche de la figure 2).
  • L’augmentation initiale « anormale » du déficit
    est principalement due à l’action des stabilisateurs budgétaires au cours d’une
    profonde récession qui a entraîné une forte augmentation des dépenses et une
    forte réduction des impôts. La figure 3 montre l’écart budgétaire qui s’est
    ouvert dans les budgets des gouvernements. Notre analyse détaillée des
    composantes budgétaires montre que si l’agrégat budgétaire donne d’importantes
    réactions pendant la crise, celles-ci se situent généralement à la marge des
    régularités historiques, étant donné l’ampleur de la crise, même si l’effet
    cumulé est bien supérieur à la prévision conditionnelle. Il est intéressant de
    noter que la consolidation s’obtient par un aplatissement des dépenses,
    accompagné d’une augmentation des revenus selon la tendance historique,
    renversant ainsi l’effet des stabilisateurs automatiques sur le revenu.
  • Fait important, la dette observée est bien en dehors des intervalles
    projetés des régularités historiques. Inversement, la mesure de la dette publique
    obtenue en tant que somme du déficit est relativement élevée par rapport au
    scénario contrefactuel, mais revient dans les intervalles de régularités
    historiques vers la fin de la période (quadrant de gauche du graphique 2). Ce
    fait souligne le caractère financier unique de la crise. Le tableau 1 montre
    les écarts entre le déficit et l’évolution de la dette – ce qu’on appelle les
    ajustements des stocks – au cours des années de crise. Ces ajustements prennent
    en compte la plupart des mesures spéciales en faveur du système financier qui,
    selon les règles comptables, sont comptabilisées en dette mais non en déficit.
    La figure 4 présente à la fois le déficit et la première différence de dette publique,
    illustrant l’intérêt des variations exceptionnelles de la dette publique en
    2008 et en 2010.
  • En ce qui concerne les taux d’intérêt, nous constatons
    que les paiements de taux d’intérêt, bien qu’en dessous de la trajectoire
    contrefactuelle dans la première phase de la crise, dépassent la limite
    supérieure de la région de confiance à 90% depuis 2011, parallèlement à la
    crise souveraine dans la zone euro. Comme on peut le voir sur la figure 5, il
    est intéressant de noter que cela n’est pas dû à un taux d’intérêt moyen à long
    terme exceptionnellement élevé au cours de cette période, mais à un écart
    anormalement élevé entre le noyau et la périphérie, que nous prenons ici comme
    différence entre taux des obligations d’État allemandes et italiennes à dix
    ans.
  • D’autres résultats intéressants de notre analyse
    indiquent que la dynamique des variables macroéconomiques – telles que le
    chômage, la consommation et le compte courant – est généralement bien captée
    par les régularités historiques. L’effondrement important et persistant de
    l’investissement privé est une exception importante. Les résultats sur la
    consommation et l’investissement privé sont rapportés à la figure 6. Les autres
    résultats figurent dans l’article.

Pris ensemble, ces faits suggèrent que l’effort de
consolidation a été déséquilibré en raison d’importants transferts vers le
secteur financier. Toutefois, la consommation a relativement bien résisté,
tandis que l’investissement privé a été plus touché que lors des récessions
précédentes. Cela peut être un facteur important pour expliquer le changement
de tendance de la croissance après la crise.

Références

Caruso, A., Reichlin, L., &
Ricco, G., 2019, « Financial and Fiscal Interaction in the Euro Area Crisis:
This Time was Different », European
Economic Review
, volume 119, pages 333-355.

Reinhart, C. M., & Rogoff, K.
S., 2009, This Time is Different: Eight
Centuries of Financial Folly
, Princeton University press.




Fiscalité du patrimoine : un débat capital

par Sandrine Levasseur

La fiscalité du
patrimoine constitue un élément important de notre politique socio-fiscale.
Elle contribue de façon non négligeable au financement des dépenses publiques :
les revenus fiscaux sur la détention, les revenus et la transmission du
patrimoine représentent en France environ 70 milliards d’euros, soit
l’équivalent de 3,5 % du PIB ou de 7 % des recettes fiscales.

Pour autant, la
fiscalité du patrimoine n’a pas qu’une dimension économique et financière. Au
travers de sa transmission, le patrimoine a une forte composante familiale, ce
qui va le doter d’une valeur symbolique. La fiscalité du patrimoine a aussi une
forte composante sociétale car tous les individus ne sont pas en mesure
d’épargner alors que l’épargne est souvent un préalable à la constitution d’un
capital. De même, tous les individus n’héritent pas. D’où un patrimoine qui,
d’une part, est source d’inégalités entre les ménages et d’autre part, peut
être considéré comme n’ayant pas la même légitimité selon qu’il est reçu ou
acquis. Sujet sensible, très médiatisé, émotionnel même[1], la
fiscalité du patrimoine nécessite une approche pluridisciplinaire afin d’en
aborder ses différentes facettes et oblige très souvent à convoquer des
éléments de sociologie, d’histoire en plus de ceux de l’économie.



La fiscalité
n’est pas un objet consensuel. De façon assez récurrente dans l’histoire, des
mouvements émergent afin de contester certains aménagements de la politique fiscale[2]. Ne
serait-ce qu’au cours des dix dernières années, la politique fiscale a connu
plusieurs basculements au gré des alternances politiques mais aussi, certaines
fois, en cours de mandat présidentiel afin de mieux tenir compte des réalités
économiques et sociales. Ainsi, afin de permettre de nouvelles recettes
budgétaires, la fiscalité sur le capital a-t-elle été augmentée à partir de
2010 sous la présidence Sarkozy tandis que le principe de taxation équivalente
des revenus du capital et du travail a été consacré sous la présidence
Hollande. Sous la présidence Macron, plusieurs chantiers liés à la fiscalité
ont été ouverts ; certains ont déjà été achevés tels que la mise en place d’une
flat tax sur les revenus du capital
et le remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par l’impôt
sur la fortune immobilière (IFI). La suppression de la taxe d’habitation, à
l’horizon de 2023, devrait conduire
à une réflexion sur une réforme de la taxe foncière dans les prochaines années.

Le numéro
161 de La Revue de l’OFCE

est consacré à la fiscalité du patrimoine[3]. Son
objectif est de fournir des éléments de réflexion que citoyens, politiques et
chercheurs pourront s’approprier de façon à éclairer et nourrir le débat sur la
fiscalité en général, et celle du patrimoine en particulier. Il s’inscrit en
complément d’un numéro de La Revue de l’OFCE paru en 2015 et dédié à
la « Fiscalité des ménages etdes
entreprises »[4].

Ce nouvel opus
est articulé autour de sept questions auxquelles sept articles apportent des
éléments de réponse, sinon de réflexion :

1. Où en est-on du
consentement à l’impôt en France ?

2. Quelles sont les
caractéristiques des inégalités patrimoniales ?

3. Comment a évolué
la fiscalisation des différents types d’actifs depuis 2018 ?

4. Comment ont
évolué les transmissions patrimoniales et leur fiscalisation dans le temps long
?

5. Faut-il
individualiser le patrimoine des ménages ?

6. Comment rénover
la fiscalité foncière ?

7. Comment financer
nos économies vieillissantes ?

Les auteurs (et experts reconnus dans
leur champ de recherche et discipline) des articles publiés dans ce numéro sont :
Céline Antonin, Luc Arrondel, Guillaume
Bérard, Kevin Bernard, Jérôme Coffinet, Clément Dherbécourt, Nicolas Frémeaux,
Marion Leturcq, André Masson, Alexis Spire, Vincent Touzé et Alain Trannoy.

La présentation
générale
, par Sandrine Levasseur, introduit et synthétise les sept
articles contenus de ce nouveau numéro de La Revue de
l’OFCE
.


[1]
L’héritage de
Johnny Halliday est très emblématique de l’émotion que suscitent les questions
d’héritage au sein des familles.

[2] Signalons, sans exhaustivité, trois mouvements
observés en France depuis le début de la décennie : ceux des « pigeons » et des
« bonnets rouges » en 2013 et, plus récemment, celui des « gilets
jaunes ».

[3] Ce numéro de La Revue de l’OFCE est constitué en partie de contributions ayant
été présentées lors de deux journées d’études, organisées conjointement avec
France Stratégie, en juin et décembre 2017 sur le thème « Fiscalité &
Patrimoine ».

[4] Revue de
l’OFCE n° 139 (2015),
numéro coordonné par Henri
Sterdyniak et Vincent Touzé.




Les effets redistributifs de la politique monétaire de la BCE

par Jérôme Creel et Mehdi El Herradi

À quelques semaines de la présidence de la Banque centrale européenne
(BCE) par Christine Lagarde, il peut être utile de s’interroger sur le bilan de
ses prédécesseurs, non pas seulement sur les questions macroéconomiques et
financières mais aussi sur les inégalités. Depuis quelques années en effet, la
problématique des effets redistributifs des politiques monétaires occupe un
espace important, autant sur le plan académique qu’au niveau des discussions de
politique économique.



L’intérêt pour ce sujet s’est développé
dans un contexte marqué par la conjonction de deux facteurs. D’abord, un niveau persistant
des inégalités de revenus et de patrimoine
qui peinent à se
résorber. Ensuite, l’action volontariste des banques centrales dans les
économies avancées après la crise de 2008 pour soutenir la croissance,
notamment à travers la mise en place de mesures dites « non-conventionnelles »[1].
Ces dernières, qui se manifestent principalement par des programmes de Quantitative Easing, sont soupçonnées
d’avoir augmenté les prix des actifs financiers et, de ce fait, favorisé les
ménages les plus aisés. En parallèle, la politique des taux bas se traduirait
par une réduction des revenus d’intérêt sur les actifs à rendement fixe,
détenus en majorité par les ménages à faible revenu. À l’inverse, les effets réels de la politique monétaire,
notamment sur l’évolution du taux de chômage, pourrait favoriser le maintien en
emploi des ménages à faible revenu. Ce débat qui a initialement fait irruption
aux États-Unis, s’est aussitôt invité au niveau de la zone
euro
, après que la BCE ait entamé son programme de QE.

Dans une étude
récente
, en se focalisant sur 10 pays de la zone euro entre 2000 et
2015, nous avons analysé l’impact des mesures de politique monétaire de la BCE –
à la fois conventionnelles et non-conventionnelles – sur les inégalités de
revenus. Pour cela, nous avons mobilisé trois indicateurs clés : le coefficient
de Gini avant et après redistribution ainsi qu’un rapport interdécile (le ratio
entre les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres).

Trois résultats principaux ressortent
de notre étude. D’une part, une politique monétaire restrictive produit un
impact modeste sur les inégalités de revenus, peu importe l’indicateur d’inégalité
retenu. D’autre part, cet effet est principalement tiré par les pays de l’Europe
du sud, particulièrement en période de politique monétaire conventionnelle.
Enfin, nous constatons que les effets redistributifs des politiques monétaires
conventionnelles et non-conventionnelles ne sont pas significativement
différents.

Ces résultats suggèrent donc que les
politiques monétaires menées par la BCE depuis la crise ont eu probablement un
impact insignifiant, voire éventuellement favorable sur les inégalités de
revenus. La normalisation à venir de la politique monétaire de la zone euro
pourrait au contraire augmenter les inégalités. Bien que cette augmentation
puisse être limitée, il est important que les décideurs l’anticipent.


[1]
Pour une analyse des effets attendus des politiques non conventionnelles de la
BCE, voir Blot et al. (2015).




Taux d’intérêt négatifs : un défi ou une opportunité pour les banques européennes ?

Par Whelsy Boungou

Cela fait maintenant cinq ans que
les banques commerciales, notamment celles de la zone euro, font face à un
nouveau défi, celui de continuer à générer du profit en environnement de taux
d’intérêt négatifs.

A l’aube de la crise financière
mondiale de 2007-2008, plusieurs banques centrales ont implémenté de nouvelles
politiques monétaires dites « non-conventionnelles ». Ces dernières,
majoritairement les programmes d’achats massifs d’actifs (communément appelé Quantitative Easing, QE) et l’orientation
prospective sur les taux d’intérêt (Forward
guidance
), visent à sortir les économies de la crise en favorisant une
amélioration de la croissance économique tout en évitant un niveau d’inflation
trop faible (voire déflationniste). Depuis 2012, six banques centrales en
Europe (Bulgarie, Danemark, Hongrie, Suède, Suisse et Zone euro) et la Banque
du Japon ont progressivement introduit des taux d’intérêts négatifs sur les dépôts
et les réserves des banques, en complément aux mesures non-conventionnelles
déjà en vigueur. Par exemple, le taux des facilités de dépôts de la Banque
centrale européenne est désormais à -0.40% (voir graphique 1). En effet, comme
indiqué par Benoît Cœuré [1] l’implémentation des taux négatifs visent à taxer
les réserves excédentaires des banques afin que celles-ci les utilisent pour
augmenter l’offre de crédit.



Cependant, l’implémentation des taux négatifs a suscité au moins deux inquiétudes quant à ses effets potentiels sur la rentabilité et sur la prise de risques des banques. Premièrement, l’introduction de taux négatifs pourrait entraver la transmission de la politique monétaire s’ils réduisent les marges d’intérêt des banques et donc leur rentabilité. En outre, La baisse des taux de crédit pour les nouveaux prêts et la réévaluation de l’encours des prêts (principalement à taux variable) compriment la marge d’intérêt nette des banques lorsque le taux de dépôt ne peut être inférieur à zéro (Zero Lower Bound). Deuxièmement, en réponse aux effets sur les marges, les banques pourraient soit réduire la part des prêts non productifs dans leur bilan, soit rechercher d’autres actifs plus rentables que le crédit bancaire (“Search-for-yield“).  Dans un article récent [2], à l’aide de données de panel de 2442 banques des 28 pays membres de l’Union européenne sur la période 2011-2017, nous analysons les effets des taux négatifs sur le comportement des banques en termes de profitabilité et de prise de risque. Plus précisément, nous nous sommes posé trois questions : (i) Quels sont les effets des taux négatifs sur la profitabilité des banques ? (ii) Les taux négatifs encourageraient-ils les banques à prendre plus de risques ? (iii) La pression imposée aux marges nette d’intérêt par les taux négatifs inciterait-elle les banques à prendre plus de risque?

Au terme de notre analyse,  nous mettons en évidence la présence d’un
effet de seuil quand les taux d’intérêt passent en dessous de la barre de zéro.
Comme nous pouvons le voir sur le graphique 2, une réduction du taux de dépôts
des banques centrales (positif et négatif) de 1% a réduit les marges nettes
d’intérêt des banques de 0.429% lorsque les taux sont positifs, et de 1.023%
lorsqu’ils sont négatifs. Ainsi, les taux négatifs ont des effets plus grands
sur les marges nettes d’intérêt des banques comparé aux taux positifs. Ce
résultat justifie, en effet, la présence d’un effet de seuil à zéro. De plus, en
réponse à cet effet négatif sur les marges (et afin de compenser les pertes),
les banques ont réagi en augmentant leurs activités non liées aux taux
d’intérêt (frais de gestion de comptes, commissions, etc.). Par conséquent, sur
le court et le moyen terme rien ne justifiait le recours à des positions plus
risquées de la part des banques. Cependant, la question de la prise de risque
pourrait éventuellement se poser si les taux négatifs le restent pendant une
longue période et que les banques continuent à enregistrer des pertes sur les
marges nettes d’intérêt.

 

[1] Coeuré 
B.,  (2016).  Assessing 
the  implication  of 
negative  interest  rate. 
Speech  at  the 
Yale  Financial  Crisis Forum in New Haven. July 28, 2016.

[2] Boungou W., (2019). Negative Interest Rates, Bank Profitability and Risk-taking. Sciences Po OFCE Working Paper n° 10/2019.