Pourquoi les pays développés doivent renoncer à leur AAA

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Par essence, les Etats à monnaie souveraine devraient renoncer à leur AAA : en effet, quelle logique y-a-t-il à voir des agences de notation noter un Etat dont le défaut est rendu impossible par sa capacité à créer sa propre monnaie ? Pour éviter la dépendance envers ces agences de notation et mettre fin à la crise qui sévit en Europe, les Etats membres de la zone euro doivent retrouver leur souveraineté monétaire par la garantie conjointe quasi-intégrale des dettes publiques. 

Depuis 1945, aucun pays développé n’a fait défaut sur sa dette publique. Celle-ci était sans risque, puisque les Etats s’endettaient dans leur propre monnaie et pouvaient toujours se financer auprès de leur banque centrale. Les pays développés jouissaient de la « souveraineté monétaire ». C’est toujours le cas aujourd’hui pour le Japon (qui s’endette à 10 ans à 1% malgré une dette de 210% du PIB), les Etats-Unis (qui s’endettent à 2% avec une dette de 98% du PIB), le Royaume-Uni (qui s’endette à 2,5% pour une dette de 86% du PIB).

Les banques et les assurances ne peuvent fonctionner si elles ne disposent pas d’un actif sans risque et si elles doivent se garantir contre la faillite de leur propre État, ce qui est bien sûr impossible : les montants en jeu sont énormes et les titres publics servent de garantie aux activités bancaires et d’assurances. Les banques et les assurances ne peuvent accumuler suffisamment de fonds propres pour résister à la faillite de leur pays ou de plusieurs pays de la zone euro. Cette exigence, on le voit aujourd’hui, avec la crise des dettes publiques de la zone euro, mène à la paralysie générale du système bancaire.

Il est foncièrement absurde que les agences de notation notent un État à souveraineté monétaire, comme si son défaut était une possibilité à envisager. Les États à monnaie souveraine devraient renoncer à leur AAA : par essence, leur dette est sans risque puisqu’elle est garantie par le pouvoir de création monétaire de leur banque centrale.

Les pays de la zone euro ont perdu leur « souveraineté monétaire » : selon le Traité de l’Union européenne, la BCE n’a pas le droit de financer les États ; les États membres ne sont pas solidaires. Les marchés financiers s’en sont aperçus à la mi-2009. Du coup, une spéculation incontrôlable s’est déclenchée sur les pays les plus fragiles de la zone : Grèce, Portugal, Irlande, ceux qui avaient connu la plus forte croissance avant la crise, mais qui vont devoir changer leur modèle de croissance ; puis, par effet de domino, sur l’Italie, l’Espagne et même la Belgique. Aujourd’hui, la Belgique doit payer un taux d’intérêt de 3,8 %, l’Espagne de 5,2 % et l’Italie de 5,6 % contre 2,6% pour la France, et même 1,8% pour l’Allemagne. La Grèce, l’Irlande, le Portugal sont ramenés dans la situation des pays en développement de jadis : leurs dettes sont devenues des actifs risqués qui subissent d’importantes primes de risque ; ils doivent passer sous les fourches caudines du FMI.

Ce jeu des marchés financiers risque de paralyser complètement la politique budgétaire. Lorsqu’un pays dispose de la souveraineté monétaire, en période de récession, la banque centrale peut diminuer au maximum son taux d’intérêt et s’engager, si nécessaire, à le maintenir durablement bas ; l’Etat augmente son déficit mais le bas niveau des taux d’intérêt évite que la dette publique ne fasse boule de neige ; il provoque une baisse du taux de change, qui soutient l’activité. La garantie des dettes par la création monétaire fait qu’il n’y a pas de risque de faillite, donc pas de raison de devoir en permanence rassurer les marchés. La banque centrale, en maintenant les taux longs à de bas niveaux en période de récession, garantit l’efficacité de la politique budgétaire. La politique budgétaire n’a pas à se soucier des marchés. C’est toujours la stratégie des États-Unis.

En zone euro, le risque est que demain un pays ne puisse plus augmenter son déficit de crainte que les agences ne dégradent sa notation et que ses taux d’intérêt ne s’envolent. Les pays sont donc condamnés à des concours de vertu pour apparaître aussi sages que l’Allemagne aux yeux des marchés. Ceci rend leur politique budgétaire impuissante, et donc leur conjoncture incontrôlable (voir, par exemple, L’impossible programme des candidats à l’élection présidentielle). La dette publique devient un facteur permanent de risque puisque les États sont à la merci des esprits animaux des marchés. Toute politique économique devrait être évaluée en tenant compte de l’opinion des marchés. Or ceux-ci n’ont pas de compétence macroéconomique particulière. Ils imposent des politiques d’austérité en période de récession, puis se plaignent du manque de croissance. C’est ce qu’ils font aujourd’hui, pour la zone euro en général, pour l’Italie et la Grèce en particulier. Ils favorisent les réformes libérales comme la réduction de la protection sociale ou celle du nombre d’enseignants. Pour que les pays conservent la capacité de réguler leur activité économique, le risque de faillite doit être nul.

La zone euro doit donc choisir entre se dissoudre ou se réformer de façon à garantir les dettes publiques des États membres, qui retrouveraient leur « souveraineté monétaire ». Les dettes publiques européennes doivent redevenir des actifs sans risques, faiblement rémunérés mais totalement garantis (par la solidarité européenne et fondamentalement par la BCE). C’est le seul moyen de maintenir l’autonomie des politiques budgétaires, qui est nécessaire compte tenu des disparités en Europe et de la perte pour chaque pays de l’instrument monétaire et de celui du taux de change.

Le fonctionnement de la zone euro n’a pas été réfléchi au moment de sa création, en particulier l’arbitrage « autonomie des politiques budgétaires/monnaie unique/souveraineté monétaire ». La garantie conjointe crée un problème d’aléa moral puisque chaque pays peut augmenter sa dette sans limite, mais une absence de garantie laisse le champ libre au jeu des marchés financiers, qui seront en permanence à l’affût. La garantie ne peut être réservée aux pays qui respectent les règles automatiques, injustifiables sur le plan économique et non respectables du Pacte de stabilité. Elle doit être automatique et totale. Pour éviter l’aléa moral, le Traité européen doit comporter un dispositif prévoyant le cas extrême où un pays pratiquerait effectivement une politique budgétaire insoutenable ; dans ce cas, la nouvelle dette de ce  pays ne serait plus garantie ; mais ceci ne doit jamais survenir.

N’ayant plus la nécessité de rassurer les marchés, les pays de la zone euro pourraient pratiquer des politiques budgétaires différenciées mais coordonnées, se donnant comme objectif principal le retour à un niveau d’emploi satisfaisant, compatible avec une inflation modérée.




L’économie de l’enseignement supérieur : de la nécessité de marcher sur deux jambes

par Jean-Luc Gaffard

Pour tenir son rang dans l’économie de la connaissance, la France a décidé de transformer l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche (cf. note longue). En faisant le choix de l’autonomie de ses universités et s’engageant sur la voie d’une concurrence fondée sur une évaluation indépendante de leurs performances, elle a privilégié le soutien d’une recherche de haut niveau au motif que davantage investir dans ce domaine apporterait des points supplémentaires de croissance. Ce faisant, le développement des formations d’enseignement supérieur destinées à pourvoir un nombre grandissant d’emplois hautement qualifiés a été assez largement négligé, alors même que la croissance en dépend sans doute plus que de l’intensité de la recherche en elle même. Aussi faudrait-il ne pas se limiter à promouvoir un petit nombre de grandes universités renommées pour la qualité de leurs recherches à l’échelle internationale. Comme cela a été souligné dans une conférence tenue à l’UNESCO, « [Les classements] poussent nos décideurs à copier Harvard. (…) [Le problème] n’est pas que nous ne pouvons pas avoir partout des Harvard. Il est que nous n’en avons pas besoin et que nous n’en voulons pas » (New York Times, 30 mai 2011). Le choix de développer l’enseignement supérieur pour pourvoir des emplois de plus en plus qualifiés devrait conduire à une réelle diversification des critères d’excellence et des établissements ; cela garantirait l’existence d’un tissu universitaire dense et diversifié, remplissant avec efficacité la double mission de recherche et d’enseignement.

Le mode de gouvernance des universités, les conditions de recrutement et de rémunération des universitaires et les conditions de financement, en bref le modèle économique de fonctionnement des universités, seront déterminants du chemin qui sera suivi.




Faut-il revenir sur la défiscalisation des heures supplémentaires ?

par Eric Heyer

Parmi les mesures du plan d’économies annoncé le 24 août 2011 par le Premier ministre François Fillon, figure une modification du dispositif  de défiscalisation des heures supplémentaires et son exonération de cotisations sociales[1] en vigueur en France depuis le 1er octobre 2007. A cette occasion il nous semble intéressant de revenir sur les principales conclusions de différents travaux effectués à l’OFCE sur ce dispositif.

1 – Dans un article à paraître dans l’Oxford Review of Economic Policy[2], il est montré que ce dispositif aurait un impact différent sur l’économie selon la conjoncture en vigueur au moment de son application.

  • Dans un contexte économique favorable, la hausse de la durée du travail incitée par la baisse du coût du travail et la suppression des charges salariales semble appropriée. Certes celle-ci n’est pas financée (dégradation du déficit public) et son financement par une hausse des prélèvements en change radicalement la nature mais sans remettre toutefois en cause l’impact positif sur l’emploi et le chômage.
  • En revanche, cette mesure est mal adaptée à une situation conjoncturelle dégradée comme celle que connaît actuellement de l’économie française. Dans une telle conjoncture de chômage de masse, une augmentation de 1% de  la durée du travail a une incidence négative sur l’emploi (-58 000 à 5 ans et -87 000 à 10 ans). Le taux de chômage augmente légèrement (0,2 point à 5 ans, 0,3 point à 10 ans). Cette mesure a un impact faible sur la croissance (0,2 point à 5 ans et 0,3 point à 10 ans) et n’est pas financé : le déficit se dégraderait de 0,5 point à 5 ans (0,4 point à 10 ans).

2 – Cela corrobore les résultats d’une étude récente publiée dans Economie et Statistique[3]. Menée sur des données regroupant 35 secteurs de l’économie française, les auteurs estiment qu’une hausse de 1 % des heures supplémentaires détruirait près de 6 500 emplois salariés du secteur marchand (soit 0,04 % des salariés marchand) dont les ¾ seraient des emplois intérimaires.

Ainsi, dans un contexte de grave crise économique, il semblerait que l’incitation à travailler plus ait nui à l’emploi, et notamment à l’emploi intérimaire.

————————————————————–

[1] Le gouvernement a décidé de réintégrer les heures supplémentaires dans le barème des allégements généraux de charges en maintenant les avantages fiscaux et sociaux spécifiques. Concrètement, cette mesure ne changera rien pour les salariés : la rémunération nette ne sera pas réduite et l’imposition ne sera pas alourdie. Quant aux employeurs, ils continueront à bénéficier des exonérations de charges au titre des heures supplémentaires déclarées mais verront leurs allégements de charges rabotés sur les bas salaires. Elle entrera en vigueur le 1er janvier prochain et générera d’après le gouvernement 600 millions d’euros de recettes de cotisations supplémentaires.

[2] Heyer É. (2011), « The effectiveness of economic policy and position in the cycle : the case of taxe reductions on overtime in France », Oxford Review of Economic Policy, à paraître.

[3] Cochard M., G. Cornilleau et É. Heyer (2011) : « Les marchés du travail dans la crise », Economie et Statistiques, n°438-440, juin.




Des contrats courts pour les allocataires du RSA

par Hélène Périvier

Faut-il instaurer une obligation de travail minimum pour les allocataires du RSA ? Ce travail doit-il être non rémunéré comme le suggérait Laurent Wauquiez en mai 2011, ou rémunéré comme le propose la « mission présidentielle sur l’amélioration du RSA et le renforcement de son volet insertion » présentée par Marc-Philippe Daubresse le 14 septembre 2011 ? La note qui suit ainsi qu’une note plus longue visent à éclairer le débat.

Ce dernier propose un nouveau type de contrat aidé : un contrat d’insertion de 7 heures par semaine ciblé sur les allocataires du RSA sans emploi. Ceux-ci se verraient dans l’obligation de l’accepter sous peine de voir leur droit à l’allocation suspendu, comme le prévoit la loi. Contrairement à la proposition de Laurent Wauquiez, il s’agit bien d’un contrat conforme au droit du travail, rémunéré au SMIC, assorti d’un temps de travail très court : « un travail d’utilité sociale ». Ces travailleurs percevront le RSA-activité qui complètera de façon pérenne leur salaire. Que dire de ce nouveau dispositif ?

L’ancien contrat d’avenir proposait des emplois subventionnés de 20 heures par semaine aux allocataires de minima sociaux. Mais le rapport précise à propos de ces contrats aidés qu’ils ne sont pas « accessibles d’emblée pour certains bénéficiaires du RSA, des étapes préalables pouvant être nécessaires. » Le pari est pris qu’en abaissant le niveau de la première marche de « l’escalier » qui mène à l’emploi stable à temps plein, c’est-à-dire en divisant par 3 la durée hebdomadaire de travail, on facilitera  l’accès aux autres formes d’emploi. Or, la marche suivante correspond aux emplois aidés traditionnels, dont on sait déjà qu’ils ne permettent pas de sortir de la précarité. La durée du nouveau contrat est au minimum de six mois et ne peut excéder deux ans. Ainsi en deux ans maximum et en travaillant 1 journée par semaine, le dispositif doit remettre le pied à l’étrier des allocataires du RSA jusque-là sans emploi. On peut s’interroger sur l’efficacité de ces propositions qui cherchent à adosser la solidarité nationale sur la valeur travail au moment même où le taux de chômage est de plus de 9 %, et où le chômage de longue durée ne cesse d’augmenter sous l’effet de la crise économique.  Il ne faut donc pas trop attendre un résultat miracle de ce côté-là.

Le rapport propose la création de 10 000 contrats de ce type dans la phase expérimentale, et 150 000 par la suite. Ce sont autant de personnes en moins qui pouvaient potentiellement venir grossir les chiffres du chômage. Mais 150 000 emplois à 1 journée de travail par semaine ne représentent que 30 000 emplois à temps plein. Le coût total (aide à l’employeur et RSA-activité compris) pour l’Etat s’élèverait, d’après le rapport, à 420 millions d’euros, auxquels il convient d’ajouter la participation des départements de 294 millions d’euros pas an, soit au total 714 millions d’euros pour une réduction non négligeable des chiffres du chômage. Ce calcul ne tient pas compte du coût de l’accompagnement spécifique qu’il conviendrait d’adosser à ces emplois pour permettre aux bénéficiaires de gravir les marches du fameux escalier, le rapport affirme d’ailleurs que « l’activité est mobilisatrice et que, bien accompagnée, elle est le premier pas dans un parcours d’insertion, qui peut être long mais l’essentiel est qu’il soit engagé ».

En créant 150 000 « petits boulots » de 7 heures par semaine, on fait d’une pierre deux coups : on contient les statistiques du chômage et on remet la logique de la contrepartie au cœur de l’aide sociale.




L’économie française sur le fil du rasoir

par Hervé Péléraux

L’indicateur avancé pour l’économie française

Le climat général des affaires s’est fortement dégradé en septembre en France, plombé par la détérioration des indices de confiance dans tous les secteurs productifs sans exception. L’indice de confiance des ménages étant lui aussi en recul en septembre, il ne reste guère d’espoir pour un rebond de la croissance, après le chiffre déjà mauvais du deuxième trimestre au cours duquel le PIB a stagné. C’est ce que suggère l’indicateur avancé de l’OFCE qui exploite l’information contenue dans les enquêtes de conjoncture réalisées par l’INSEE. Au troisième trimestre, le PIB français devrait de nouveau stagner, et se replier de 0,2 % au quatrième trimestre.

L’anticipation d’un recul du PIB au quatrième trimestre est inquiétante, car elle préfigure une entrée en récession de l’économie française. Mais elle n’est pas acquise car la prévision est tributaire de l’extrapolation de certaines composantes qui interviennent sans décalage dans l’indicateur et pour lesquelles aucune information n’est à l’heure actuelle disponible (les données d’enquêtes ne le sont que jusqu’en septembre). Cette extrapolation repose sur la prolongation de leur dynamique passée, négative ces derniers mois, ce qui conduit à anticiper un nouveau recul des climats de confiance, et corrélativement, la formation d’un taux de croissance négatif au quatrième trimestre.

Cette méthode a fait ses preuves : elle table sur la persistance, à un horizon court, des mouvements passés des climats de confiance et permet d’alimenter les prévisions de manière vraisemblable quand l’information est incomplète à l’horizon d’un trimestre. Mais l’expérience montre aussi que cette procédure tend à sous-estimer l’ampleur des mouvements conjoncturels du PIB. Si tel est présentement le cas, l’indicateur envoie un signal pertinent de récession, mais en sous-estime l’ampleur comme ce fut le cas lors de la récession de 2008/09. La baisse de 0,2 % du PIB attendue pour le quatrième trimestre pourrait alors être en dessous de la réalité.

Seul un rebond des climats de confiance pourrait amener à revoir cette prévision. Mais étant donné l’aggravation de la crise des dettes souveraines cet été, la mise en place de politiques budgétaires restrictives en Europe comme à l’extérieur, et l’effondrement des bourses (le CAC40, qui est une composante de l’indicateur, a une contribution à la prévision du quatrième trimestre plus négative qu’au plus fort de la récession de 2008/09), cette embellie paraît peu probable.

Entre les deux cas polaires précédents, une hypothèse intermédiaire consisterait à supposer que les climats de confiance cessent simplement de se dégrader, c’est-à-dire qu’ils soient prolongés jusqu’en décembre en leur attribuant chaque mois la valeur de septembre. Dans ce cas, la prévision de croissance du PIB ne serait pour autant positive, puisque ce dernier stagnerait à nouveau. Force est de constater que l’économie française est bien sur le fil du rasoir…

Archives et séries historiques




Le double mandat, la Fed et la BCE

par Jérôme Creel et Francesco Saraceno

La Réserve fédérale américaine a lancé depuis le 21 septembre 2011 l’opération Twist de réallocation de son bilan pour  réduire les taux d’intérêt de long terme. Cet activisme américain contraste une nouvelle fois avec la prudence affichée par la Banque centrale européenne. Le 7 septembre 2011, un banquier central américain déclarait qu’un taux de chômage de 9% aux Etats-Unis était aussi grave que le serait un taux d’inflation de 5%. Il en concluait que la politique monétaire américaine devait lutter en priorité contre le chômage. Nous pensons que ceci devrait être encore plus vrai pour l’économie de la zone euro et nous amener à réfléchir au mandat de la BCE.

La Réserve fédérale américaine a lancé depuis le 21 septembre 2011 l’opération Twist d’échange d’obligations publiques à court terme contre des obligations publiques à long terme pour un montant de 400 milliards de dollars. Cette stratégie de réallocation du bilan de la Fed vise à réduire les taux d’intérêt de long terme. Cette décision est conforme, dans son esprit, aux récents propos du Président de la Fed de Chicago.

Le discours de Charles Evans, le 7 septembre dernier, est en effet digne de notre attention, pour au moins deux raisons. La première est qu’il signale qu’aujourd’hui, en dépit de l’enlisement des Etats-Unis dans la crise, avec la persistance du chômage et la menace d’une nouvelle phase de récession, l’attention est encore excessivement portée sur l’inflation et les déficits publics plutôt que sur toute forme d’action qui permettrait de contrecarrer la crise en menant une politique économique proportionnelle à son ampleur. Charles Evans explique, en utilisant une fonction-objectif de la Fed et une loi d’Okun, qu’un taux de chômage de 9% de la population active aux Etats-Unis est tout aussi inquiétant qu’un taux d’inflation de 5% : l’écart de 3 points à chacune des deux cibles – un taux de chômage « naturel » de 6 % (qu’il qualifie d’hypothèse conservatrice, le taux de chômage devrait descendre en deçà si les Etats-Unis récupéraient les 8 points de croissance perdus pendant la crise) ou un taux d’inflation de 2% (là aussi, une hypothèse conservatrice) – est tout à fait comparable dans un pays, les Etats-Unis, qui n’impose pas de hiérarchie entre les deux objectifs d’inflation et de croissance (plus précisément d’inflation et du nombre d’emplois maximum, voir ici). Charles Evans poursuit en rappelant que le taux de chômage aux Etats-Unis a effectivement atteint un écart de 3 points à sa cible, mais pas l’inflation… Et d’affirmer : « So, if 5% inflation would have our hair on fire, so should 9% unemployment ». Ceci porte Evans à considérer que l’objectif d’inflation, légitime à moyen terme, n’est pas prioritaire ; il convient donc d’accentuer le caractère expansionniste de la politique monétaire par des moyens conventionnels ou pas, même au prix d’une flambée des prix à court terme (qui reste peu vraisemblable dans une économie en crise).

La deuxième raison qui nous pousse à nous intéresser à ce discours est le rapprochement, ou plutôt le grand écart, avec les politiques européennes. En effet, en lisant ce discours et en observant les actions de la Fed, le contraste avec le discours et les actions de la BCE est saisissant. Les difficultés de la BCE à mener une politique appropriée à l’état de la zone euro découlent d’une approche par trop orthodoxe de la politique monétaire, n’en déplaise à certains membres démissionnaires de la BCE, qui trouve sa justification fondamentale dans le Traité sur l’Union Européenne, où la priorité est donnée à l’inflation plutôt qu’à la croissance (les articles 119 par. 2 et 127 par. 1). Ceci porte la BCE à négliger l’objectif de croissance, à le minimiser ou, quand les circonstances le requièrent inévitablement (en phase de récession ou de croissance molle) à le poursuivre de façon non transparente, donc inefficace. Nous en voulons pour preuve la nouvelle initiative conjointe entre, notamment, la Réserve fédérale et la BCE en faveur de la liquidité bancaire en dollars, sans modification du taux d’intérêt directeur. Les atermoiements de la politique monétaire européenne entre 2007 et 2008, au chevet des banques privées, certes, mais n’impulsant pas, à cause de la hausse des prix des matières premières sur laquelle la BCE n’a aucune prise, une politique monétaire active pour soutenir une activité qui se détériorait, ne devraient pourtant pas se reproduire dans les circonstances actuelles. L’inflation sur les prix à la consommation dans la zone euro en juillet 2011 est proche de la cible de moyen terme que s’est imposée la BCE (2,5%), et cette inflation est tirée à la hausse par les prix des matières premières (énergie, café, thé, cacao), par leur répercussion sur les prix de certains services (transport), et par des produits servant d’assiette à des taxes que les gouvernements ont coutume d’augmenter pour tenter de rétablir un semblant d’équilibre de leurs finances publiques (tabac). In fine, le taux d’inflation hors énergie et produits alimentaires transformés s’établissait en juillet 2011 à 1,5%. Le taux de chômage dans la zone euro est, pour sa part, de l’ordre de 10% de la population active. Pour paraphraser Charles Evans, on peut affirmer qu’une inflation de 5% ferait certainement se dresser les cheveux sur la tête des banquiers centraux européens, et nous en sommes loin, fort heureusement, mais tel devrait être aussi le cas lorsque le taux de chômage atteint 10% de la population active !

Le grand écart entre la volonté expansionniste d’un responsable de la Fed et la politique prudente de la BCE, dans des circonstances économiques comparables (les écarts des taux d’inflation et de chômage à leurs cibles respectives sont peu ou prou les mêmes), trouve un parallèle lui aussi saisissant dans les discours et les actions de politique budgétaire de part et d’autre de l’Atlantique. Alors que les débats européens portent quasi inéluctablement vers l’imposition de contraintes additionnelles sur les politiques budgétaires des pays de la zone euro (adoption de « règles d’or » en Allemagne, en Espagne, litanie de plans d’austérité budgétaire, le dernier en date en Italie), la nécessité de pouvoir compter dans la zone euro sur un instrument fort de politique économique repose exclusivement sur la BCE. Tel n’est d’ailleurs pas forcément le cas aux Etats-Unis où le gouvernement fédéral propose un nouveau plan de relance de l’économie à court terme, assorti d’un redressement des finances publiques à un horizon de 10 ans. Le discours de Charles Evans devrait être celui de Jean-Claude Trichet, mais nous en sommes loin. A camper sur le caractère impeccable de l’action passée de la BCE (voir la critique toute en nuances de Paul Krugman), le Président de la BCE, lorsqu’il s’exprime, ne semble pas prendre la mesure de sa responsabilité sur les performances futures de la politique qu’il mène aujourd’hui. S’il ne parvient pas à aller de l’avant pour soutenir l’activité, dans une phase d’inflation basse, il faudra revoir la gouvernance de l’euro. Deux choix cruciaux pour l’avenir sont possibles. L’euro pourrait disparaître, ce qui n’est pas sans poser de graves difficultés (voir le billet de Jean Pisani-Ferry à propos de la Grèce, dont les conclusions peuvent être élargies à tous les pays de la zone euro, l’Allemagne compris) et doit donc être fermement écarté. Le statut du système européen des banques centrales de la zone euro pourrait être modifié pour donner égale dignité aux objectifs de croissance économique et d’inflation, sur le modèle de la Fed. Les performances de celle-ci autorisent à minimiser les craintes d’une explosion inflationniste.




Carburant cher : un mal nécessaire ?

par Céline Antonin

Avec un litre de gazole à 1,33 € et un litre de super sans plomb à 1,50 € en moyenne sur les huit premiers mois de 2011, les niveaux de 2008 (respectivement 1,26 € et 1,35 €) sont allègrement dépassés. A qui la faute ? Que doit faire l’Etat ?

A qui la faute ? Parmi les principaux coupables, citons  la crise au Moyen Orient et l’effondrement de la production libyenne qui ont pesé sur les cours mondiaux du pétrole, ou encore la dépréciation de l’euro par rapport au dollar. La mauvaise nouvelle, c’est que malgré la normalisation de la situation au Moyen Orient et la reprise progressive de la production libyenne à partir de 2012, l’accalmie devrait être de courte durée : en effet, selon les experts (voir, par exemple, ceux du FMI), les prix du pétrole sont structurellement orientés à la hausse ; les prix du carburant devraient donc rester durablement élevés.

Que doit faire l’Etat face à cette situation ? Dans une Lettre parue cet été, nous expliquions qu’une baisse généralisée des prix du carburant via une baisse des taxes était coûteuse économiquement et écologiquement et que la nécessité de concilier équité, efficacité et impératif écologique plaidait plutôt pour des mesures transitoires comme la mise en place de « chèques transport », spécifiquement ciblées vers les ménages périurbains et ruraux.




Mettre fin à la crise, dès 2008

par Jean-Paul Fitoussi

Dans une interview accordée au quotidien Libération fin septembre 2008, Jean-Paul Fitoussi préconisait déjà de procéder à une nationalisation temporaire des banques, à l’instar de la Corée après les crises survenues en 1997-1998. Trois ans plus tard, l’intervention de l’Etat reste une nécessité.




L’emprunt forcé : l’arme de destruction massive de la politique budgétaire

par Jean-Paul Fitoussi, Gabriele Galateri di Genola et Philippe Weil

Il est grand temps, pour rappeler les marchés à la réalité, de ressortir l’emprunt forcé de l’arsenal budgétaire/ Time is ripe for governments to take out of their fiscal armoury the weapon that has served them so well in war and peace alike: forced borrowing

Financial Times – 15 September 2011

http://www.ft.com/cms/s/0/b6850d0c-dec1-11e0-a228-00144feabdc0.html

Forced borrowing: the WMD of fiscal policy

By Jean-Paul Fitoussi, Gabriele Galateri di Genola and Philippe Weil

 

 

A spectre is haunting Europe – the spectre of sovereign default. All the powers of old Europe have entered into a holy alliance to exorcise this spectre: Brussels and Frankfurt, Angela Merkel and Nicolas Sarkozy, French socialists and German Christian Democrats. Churchillian doctors, they prescribe blood, sweat and tears – fiscal consolidation, tax increases and spending cuts. They swear, for the umpteenth time, that they will never surrender: Greece will be saved, Italy and Spain will not be abandoned and the rating of France will not be downgraded. In the face of adversity, they assure us that what cannot be achieved by austerity can be achieved by more austerity. An epidemic of holier-than-thou fiscal virtue is spreading throughout Europe and is fast transforming a series of uncoordinated fiscal retrenchments into a euro-wide contraction with dire implications for growth and employment.

To be sure, eurozone policymakers are in a maddening situation. The threat to monetise public debt, which in the old days could be waved by each country to remind investors it need not ever default outright, has been removed from national arsenals. No one knows for sure whether it will ever be brandished from Frankfurt or if European treaties even allow it. Eurobonds would have every economic merit but they hurt Germany which, having been left on its own to finance reunification, is understandably cold towards die Transfer-Union. Creating separate northern and southern euro areas would probably precipitate the end of the single market – and where would France fit? Wide-ranging fiscal reform designed to increase tax revenue equitably, while sorely needed, is a pipe dream: it requires elusive European co-ordination in an area in which the temptation to compete is strong and it is best done at its own pace – not under the pressure of fickle market sentiment or rising sovereign spreads.

Add to this powerlessness the terrifying failure of the old engine of European policymaking (putting the cart before the horse in the hope that the cart will conjure up the horse) and you will understand the ghoulish visions gripping our leaders. Monetary union has not begotten the expected fiscal union. Imposing, as a substitute, austerity plans from Brussels or Frankfurt, or racing to be first to impose “golden rule” constitutional strictures on parliaments that should remain sovereign in fiscal matters is stoking the fire of civil unrest. The English Civil War and American Revolution were ignited by much less. It would be wise to recall, as John Hampden did in contesting the Ship Money tax levied by Charles I, that what leaders have no right to demand, a citizen has a right to refuse.

Yet Europe’s fate is not sealed. The spectre of sovereign default and rising spreads in Italy, Spain, Belgium and other countries can be chased away in one fell swoop and the panic of contractionary fiscal policies can be stopped. National governments must simply take out of their fiscal armoury the weapon that has served them so well in war and peace alike: forced borrowing.

It consists in coercing taxpayers to lend to their government. California did this in 2009 when it added a premium to the income tax withheld from paychecks, to be repaid the following year. In France, the first Mitterand government forced rich taxpayers to fund a two-year bond issue – and both the US and UK have used moral suasion in patriotic sales of war bonds. Compulsory lending is an unconventional weapon but it is high time it be used, even on a small scale, to remind investors that sovereigns are not private borrowers: they need never default because they can always force-feed debt issues to their own residents.

Central banks have been bold and dared resort to unconventional policies to respond to the exceptional circumstances of this crisis. Large sovereign borrowers should be as defiant and intrepid. The invaluable asset of fiscal sovereignty guarantees that their public debt is completely risk-free in nominal terms. Investors who buy sovereign credit default swaps against the spectre of French or Italian default are wasting their money. Policymakers rushing to austerity should wake up from their nightmare and save growth and employment before it is too late.

Jean-Paul Fitoussi is former president and Philippe Weil is president of OFCE, the Observatoire français des conjonctures économiques in Paris. Gabriele Galateri di Genola is president of Generali. The views expressed are their own.

Copyright The Financial Times Limited 2011

 




L’impossible programme des candidats à l’élection présidentielle

par Henri Sterdyniak

Tous les candidats devront présenter en 2012 un programme de politique économique pour 5 ans. Seront-ils raisonnables, au prix d’une forte montée du chômage, d’un optimisme aveugle, en minimisant les effets de la politique budgétaire sur l’activité, ou aventureux ? Et auront-ils le choix ?

Tous les candidats devront présenter en 2012 un programme de politique économique pour 5 ans. En 2012, le déficit public français devrait être de l’ordre de 5% du PIB.

Les candidats doivent faire deux choix : le premier, politique, est l’objectif de réduction du déficit public ; le deuxième, économique, est l’hypothèse sur la croissance spontanée de la France, avant la mise en œuvre du programme, sachant que la croissance pourrait être forte (puisque l’on est en période de sortie de crise), mais qu’elle peut être affaiblie par les politiques budgétaires restrictives des autres pays.

Considérons d’abord un candidat raisonnable. Les contraintes européennes, la surveillance des agences de notation et des marchés financiers le contraignent à présenter un programme aboutissant à l’équilibre en 5 ans, soit en 2017. Le candidat fait l’hypothèse raisonnable, conforme à l’opinion de la plupart des économistes et des institutions internationales, que la croissance avec politique budgétaire neutre serait de 2%. Raisonnable, il estime que le multiplicateur budgétaire est de 1 (une baisse des dépenses publiques  ou une hausse des impôts de 1% du PIB induit une baisse de 1% du PIB). Il doit alors présenter le programme raisonnable de la première colonne du tableau ci-dessous. Une politique budgétaire restrictive de 1% du PIB par an (de façon à gagner 5 points en 5 ans) ne suffit pas, car celle-ci réduit la croissance économique, ce qui réduit les rentrées fiscales. Il faut donc être encore plus restrictif. A la fin, l’effort budgétaire doit être de 2 points de PIB par an et la croissance ex post est nulle. Le taux de chômage atteint 14,5%. Le programme raisonnable aboutit à la catastrophe économique. De plus, le candidat raisonnable doit annoncer une hausse des impôts de 20 milliards par an et faire passer le taux de croissance des dépenses publiques à 0% (au lieu d’une croissance tendancielle de 2% par an). Sera-t-il possible de maintenir, pendant 5 ans, une  croissance nulle des dépenses publiques, compte tenu de la hausse des dépenses de santé, de retraites et de chômage (en raison de la stagnation de l’activité) ?

Comment échapper à cette catastrophe ? La méthode  mise en œuvre par le Programme de stabilité présenté par la France à Bruxelles en avril 2011 consiste à nier l’impact des politiques budgétaires restrictives sur l’activité, à prétendre que le multiplicateur budgétaire est nul. Mais comment la restriction budgétaire ne se traduirait pas par une baisse de la demande, dans une situation où les taux d’intérêt ne peuvent guère diminuer, où la France ne peut compter sur une baisse de son taux de change ? Il faut prétendre que les ménages diminueraient fortement leur taux d’épargne alors que la politique mise en œuvre se traduirait par une hausse du chômage, des impôts et une baisse des dépenses sociales. Comment justifier qu’une politique budgétaire expansionniste était nécessaire en 2009 pour soutenir l’activité et qu’une politique restrictive n’aurait pas d’effet dépressif en 2012-2017 ? Est-ce un hasard si les documents du ministère de l’Economie ne présentent plus d’évaluation chiffrée, à l’aide d’un modèle macroéconomique, de l’impact de la politique budgétaire envisagée  sur la croissance ? Comment prétendre que la croissance spontanée de la France serait de l’ordre de 2,5% dans une zone euro où tous les pays mettraient en œuvre de fortes politiques d’austérité ? Avec ce déni de la réalité, une croissance ex ante de 2,5 % par an permet d’aboutir à une croissance ex post de 2,5%, malgré un effort budgétaire de 0,75 point de PIB par an. Il suffit alors de trouver 0,25% de PIB d’impôts supplémentaires par an (25 milliards en 5 ans) et de réduire la croissance des dépenses publiques à 1% par an (ce qui, par ailleurs, n’est pas acquis).

On le voit, avec une contrainte de solde public nul ex post, la politique possible dépend fortement des hypothèses économiques. Donner à un « Comité indépendant de politique budgétaire » le pouvoir de fixer les hypothèses de croissance, en s’astreignant à vérifier les contraintes européennes, comme le proposent certains économistes, revient à lui donner le droit d’imposer la politique raisonnable, celle qui conduit à la catastrophe.

Le programme aventureux consiste à oublier l’objectif de solde public, tant que la France n’est pas revenue à un niveau d’emploi satisfaisant. Ne pas viser à réduire le déficit par des politiques d’austérité, mais par le soutien à la croissance, obtenu en augmentant les impôts des plus riches pour financer des dépenses à fort impact sur la demande (prestations sociales) ou sur le potentiel de croissance (soutien aux industries vertes par exemple). Créer un système financier public pour financer un vaste programme d’adaptation à la croissance durable.

Avec une hypothèse optimiste de croissance ex ante de 3%, le déficit serait réduit à 2,5% en 2017, ce qui est suffisant pour stabiliser la dette. Cette hypothèse n’est pas si optimiste qu’il pourrait sembler : en 2012, le PIB devrait être inférieur d’environ 8% au niveau qu’il aurait atteint sans la crise financière : il s’agit de combler 5 de ces 8 points. Aucun effort budgétaire n’est requis. Reste à convaincre les marchés financiers, les agences de notation, nos partenaires européens et les institutions européennes de la crédibilité de cette stratégie, qui sera d’autant plus forte que plus de pays en Europe l’adopteront. Les candidats ont donc le choix entre la raison qui amène à la stagnation économique ; l’optimisme aveugle ou une politique aventureuse.