Pouvoir d’achat : quel impact de l’évolution à venir des loyers ?

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par Pierre Madec

L’indice de référence des loyers (IRL) défini par l’Insee sert de base à la révision des loyers des logements vides ou meublés. Calculé à partir de l’évolution sur les 12 derniers mois, de la moyenne trimestrielle des prix à la consommation hors tabac et hors loyers, il fixe le plafond des augmentations annuelles des loyers que peuvent exiger les propriétaires lors du renouvellement de bail ou en cours de bail. Dans 28 agglomérations françaises l’évolution des loyers est également encadrée lors du changement de locataire et celle-ci ne peut, hors conditions exceptionnelles, être supérieure à l’évolution de l’IRL[1]. Entre le premier trimestre 2021 et le premier trimestre 2022, l’IRL a augmenté de 2,5%. Selon nos prévisions, l’indice de référence des loyers se situerait au quatrième trimestre 2022 à un niveau 5% supérieur à celui observé à la fin de l’année 2021.

Quel impact d’une revalorisation « normale » des loyers ?

Selon les comptes du logement du ministère de la Transition écologique, les loyers s’élevaient en 2020 à 52 milliards dans le parc privé et à 25 milliards d’euros dans le parc social. Dès lors, une augmentation de 5% des loyers dans le parc privé augmenterait, toutes choses égales par ailleurs, de 370 euros en moyenne la dépense annuelle en logement des ménages locataires et entraînerait un gain de revenu de l’ordre de 600 euros pour les propriétaires (il y a 3,5 millions de multipropriétaires). Dans le parc social, une hausse de 5% des loyers augmenterait en moyenne de 230 euros la dépense annuelle en logement des ménages locataires. À l’inverse, un gel des loyers représenterait un manque à gagner de 1,2 milliard d’euros pour les bailleurs sociaux.

Notons que ces estimations reposent sur des hypothèses fortes puisque d’une part tous les propriétaires ne revalorisent pas les loyers en fonction de l’IRL. Par exemple, selon l’Observatoire des loyers en agglomération parisienne (OLAP), l’indexation sur l’IRL reste la règle à Paris et, dans une moindre mesure, en petite couronne pour les baux en cours ou lors du renouvellement de bail ; en revanche en grande couronne, le loyer reste majoritairement inchangé pour les locataires qui restent en place (80% des logements du parc locatif privé). D’autre part, ces estimations ne tiennent compte ni des dates d’anniversaire des baux en cours (certains loyers ne seront revalorisés qu’en 2023), ni des changements possibles de locataires au sein des mêmes logements (changement de bail).

Quel impact redistributif d’une revalorisation « normale » des loyers dans le parc privé ?

Sur la base de ces mêmes hypothèses et des données du modèle de micro-simulation Ines, il est possible d’estimer l’impact redistributif d’une revalorisation globale de 5% des loyers du parc privé selon les déciles de niveau de vie. Sans surprise, l’impact est négatif négatif dans le bas de la distribution où les locataires du parc privé sont davantage présents que les propriétaires. Dans le haut de la distribution, où les bailleurs sont sur-représentés et les locataires du parc privé peu présents, l’impact est largement positif (Graphique). Si, une fois encore, les résultats de ces simulations sont à prendre avec précaution[2], ils illustrent l’enjeu redistributif de l’arbitrage politique concernant les revalorisations de loyers.

Quelle(s) réponse(s) à l’augmentation attendue des loyers ?

Face à la hausse attendue des loyers en fin d’année (et en début d’année prochaine), la ministre en charge du logement a déclaré : « Face à l’inflation, nous protégeons les Français avec le ‘bouclier loyers’ qui plafonne pendant un an leur augmentation maximum à 3,5 % contre plus de 5 % d’ici à la fin de l’année si nous n’agissons pas. Dans le même temps, nous revalorisons dès juillet les APL de 3,5% ». Cette réponse est-elle suffisante ?

En théorie, la réponse apportée par le gouvernement permettrait de protéger les locataires les plus modestes tout en évitant de trop pénaliser les bailleurs. Les locataires non bénéficiaires des aides au logement verraient certes leur loyer augmenter mais moins qu’anticipé. Dans les faits, du fait de l’importante déconnexion entre les loyers pris en compte pour le calcul des aides personnelles au logement et les loyers réellement acquittés par les locataires, après versement des aides, la revalorisation des plafonds de 3,5% ne compense pas intégralement les potentielles augmentations de loyers à venir, même plafonnées.

Selon nos estimations, une augmentation de 3,5% du loyer des allocataires d’aides personnelles au logement représenterait une augmentation de l’ordre 1,2 milliard d’euros du total des loyers versés dont seuls 810 millions seraient couverts par l’augmentation du plafond des APL. Néanmoins, la mesure d’augmentation des APL, très ciblée sur les ménages les plus modestes, permettrait de protéger ces ménages des augmentations de loyers à venir (Graphique 2a et 2b).

Au total, selon nos estimations, la « sous-revalorisation des loyers » se traduirait par un manque à gagner de l’ordre de 1,1 milliard d’euros pour l’ensemble des bailleurs (privé et sociaux). L’augmentation de 3,5% pèserait elle pour 2,6 milliards d’euros sur le reste à vivre des ménages locataires, cette baisse du reste à vivre étant compensée partiellement par l’État à travers l’augmentation de 810 millions d’euros des aides personnelles au logement.


[1] Le Bayon Sabine, Pierre Madec et Christine Rifflart, « L’encadrement des loyers : quels effets en attendre ? », Revue de l’OFCE, vol. 1, n° 8, 2012, pp. 103-124.

[2] Ils ne constituent pas une prévision de l’impact redistributif d’une indexation des loyers sur l’IRL, du fait notamment des hypothèses explicitées précédemment.