Quelle gouvernance pour l’assurance chômage ?

par Bruno Coquet

La gouvernance est souvent présentée comme une cause essentielle de la persistance des problèmes que rencontre l’assurance chômage. Cela vise la difficulté des partenaires sociaux à s’accorder pour rétablir la situation financière de l’Unedic. En découle, comme une évidence, que seul un renforcement de l’État, réputé plus avisé et plus réactif, serait à même de sauver le régime. Tout paraît donc simple. Mais quels sont les faits, leurs causes, les causalités qui expliquent l’accumulation des problèmes, et la capacité d’un changement de gouvernance à les résoudre ?

Dans une publication récente (Policy Brief de l’OFCE, n° 57 du 13 juin 2019) un bilan factuel de la gouvernance de l’assurance chômage française telle qu’elle est organisée depuis 35 ans est élaboré . Nous partons du constat qu’il n’existe pas un modèle de gouvernance faisant autorité dans les pays comparables à la France, qui aurait pu être aisément dupliqué. Il apparaît ensuite qu’il faut tenir compte du fait que le système d’indemnisation du chômage, dont l’Unedic n’est qu’un compartiment, s’est profondément transformé depuis 1984.

Au-delà des apparences, le régime d’assurance, qui était à l’origine marginal dans l’ensemble du système d’indemnisation, est parvenu à absorber les chocs immenses qu’ont constitué la disparition des préretraites, l’attrition du régime de Solidarité, les profondes transformations du marché du travail, l’utilisation croissante des ressources de l’assurance chômage pour financer certaines politiques publiques. Ce faisant, l’assurance chômage se retrouve aujourd’hui au cœur du système.

Tous ces aspects institutionnels et factuels doivent être pris en considération pour apprécier l’efficacité de la gouvernance et ses lacunes. Replacée dans ce contexte, la gouvernance paritaire n’apparaît pas avoir été excessivement inerte, conservatrice ou indocile, car le régime a été souvent et profondément adapté, alors même que la porosité budgétaire avec l’État compliquait considérablement la tâche. Cette gouvernance n’est pas exempte de critiques, mais bien plus efficace et moins discutable que celle mise en œuvre par l’État pour le Fonds de Solidarité. Ces expériences sont riches d’enseignements.

Un système incomplet ou bancal ne peut pas être bien gouverné : refonder l’assurance chômage sur des bases saines est donc un préalable nécessaire à sa bonne gouvernance. Nous faisons cinq propositions en ce sens : rétablir des principes et des objectifs clairs, une gestion opérationnelle rigoureuse, une gouvernance paritaire sous la houlette de l’État, obéissant à des procédures strictes, instrumentées, transparentes.




Chômer plus pour gagner plus?

Par Bruno Coquet

Le diagnostic selon lequel les règles de l’assurance chômage permettent de gagner plus au cours d’un mois de chômage qu’au cours d’un mois de travail n’est pas nouveau[1]. Remis sur le devant de la scène après l’échec de la négociation des partenaires sociaux ce constat élémentaire –car comptable– est fortement contesté.

Pôle Emploi et l’Unedic viennent de publier leurs lectures respectives des faits[2], et elles sont très différentes. Pôle Emploi confirme que pour « 20% des ouvertures de droit à l’assurance chômage, le montant mensuel net de l’allocation auquel a droit l’indemnisé est supérieur au salaire mensuel net moyen qu’il a perçu au cours de la période d’affiliation ». L’Unedic indiquant pour sa part que « 4 % des allocataires ont travaillé́ moins de 25 % de l’année précédant leur ouverture de droit et […] ont gagné́ 220 € par mois en moyenne. Leur indemnisation nette sur les 12 mois qui ont suivi était de 290 € en moyenne par mois ».

Cela illustre une nouvelle fois combien l’absence de diagnostic partagé sur l’assurance chômage, fait obstacle à sa bonne gouvernance, et aux réformes. Dans le cas présent, la polémique se concentre sur la question du « salaire journalier de référence », mais ce sont en réalité deux ensembles de règles qui sont en cause, car le taux de remplacement pose lui aussi problème. L’issue n’est pas forcément dans une purge, car il existe des solutions équilibrées, qui amélioreraient le fonctionnement de l’assurance.

L’objectif de l’assurance chômage : stabiliser la consommation

L’assurance chômage a vocation à stabiliser la consommation du chômeur jusqu’à ce qu’il retrouve un emploi conforme à ses compétences. Faute de pouvoir agir directement sur la consommation, l’assureur remplace une partie du salaire qui est son principal déterminant. Il s’agit donc de remplacer un revenu habituel, moyen, pour permettre au chômeur de maintenir son niveau de consommation courante. L’allocation n’a pas à remplacer des revenus exceptionnels ou épisodiques, ni financer des dépenses de consommation exceptionnelles, ou de l’épargne. Ainsi calibrée, l’allocation chômage préserve l’incitation à l’emploi, car celui-ci est toujours plus rémunérateur que le chômage.

Le fait : le calcul des droits ne pose pas un problème, mais deux.

Le calcul des droits repose sur deux vieilles règles obsolètes, inadaptées au marché du travail contemporain (l’une a plus de 60 ans, l’autre plus de 40 ans). De plus ces deux règles se renforcent l’une l’autre, de sorte que le niveau d’allocation peut devenir bien plus élevé que ce que requiert l’objectif de l’assureur, engendrant des incitations indésirables et coûteuses :

  1. Le mode de calcul des allocations. Pôle Emploi retient le salaire moyen des jours travaillés (Salaire Journalier de Référence, SJR), auquel il applique le taux de remplacement brut : il en résulte une Allocation Journalière. Jusqu’à ce qu’il retrouve un emploi, le chômeur peut percevoir son allocation journalière jusqu’à 31 jours par mois, pendant toute la durée des droits (elle-même fonction du nombre de jours travaillés). Avec la banalisation des contrats courts et des trajectoires fragmentées[3], de nombreux chômeurs ne travaillent pas 100% des jours durant la période au cours de laquelle ils acquièrent leurs droits ; 24% ont travaillé qu’un jour sur deux ou moins (Graphique 1). Pour deux chômeurs ayant le même nombre de jours travaillés, et donc le même nombre de jours indemnisables, l’allocation journalière, et donc l’allocation mensuelle, sont indépendantes du rythme auquel ont été acquis les jours d’affiliation et donc du salaire mensuel moyen antérieur. Ces chômeurs percevront tous les deux le même montant d’allocation pour chaque mois complet au chômage, ce qui ne permet pas de stabiliser leur consommation de manière identique.
  2. Le taux de remplacement : la cible étant la consommation du chômeur, c’est toujours le salaire et l’allocation « nets » qui comptent. Or le taux de remplacement affiché par l’Unedic et auquel le public se réfère généralement est un taux de remplacement « brut », qui est compris entre 75% au maximum pour les petits salaires, et 57% pour les salaires au-delà de 2200 €. Mais les cotisations sociales sont plus élevées sur les salaires que sur les allocations, et croissants avec le niveau de celles-ci, si bien que le taux de remplacement « net » varie entre 95% et 62% de l’ancien salaire, la moyenne se situant à 72%[4] (Graphique 2). Le taux de remplacement taux optimal, qui permet de stabiliser la consommation, dépend de l’épargne de précaution constituée par ailleurs par les chômeurs, et des aides sociales qui leur sont destinées : en France le coût extrêmement élevé de l’assurance –pour l’essentiel prélevé sur les salaires– ne laisse pas de marge pour une épargne de précaution en cas de chômage (et il n’y en a pas besoin tant que les chômeurs peuvent s’appuyer sur une assurance de bon niveau), et aucune aide sociale n’est destinée aux chômeurs. Le taux de remplacement optimal de l’assurance chômage est donc beaucoup plus élevé que ce qui se pratique dans les pays où les cotisations sont faibles et les aides sociales importantes pour les chômeurs. Néanmoins les valeurs les plus élevées du taux de remplacement net sont clairement excessives.

Le droit ainsi calculé reste potentiel. Il ne sera pas perçu dans tous les cas, car la situation du chômeur va souvent évoluer au cours de l’épisode de chômage. En effet :

  • Un salarié ayant alterné emploi et non-emploi poursuit souvent cette alternance une fois au chômage indemnisé, si bien qu’il consommera rarement chaque mois le maximum de ses allocations mensuelles.
  • Peu de chômeurs consomment l’ensemble de la durée potentielle de leurs droits[5].

1 – Répartition des allocataires selon le temps passé sous contrat 12 mois avant l’ouverture du droit

BC_Graphique1

Source : Unedic

2 – Taux de remplacement brut et net de l’assurance chômage, en fonction de l’ancien salaire

BC_Graphique2

Source : réglementation Unedic, calculs de l’auteur

La polémique : combien de chômeurs sont concernés ?

Pôle Emploi et l’Unedic ont chacun leur évaluation du phénomène. Sans que cela soit explicite, Pôle Emploi concentre son analyse sur le droit potentiel, l’Unedic semblant plutôt pencher du côté du droit réellement consommé (mais cela n’est pas explicite). Cette lecture permet de comprendre une partie des différences entre les deux estimations[6] :

  • Pour Pôle Emploi environ 20% des chômeurs ont un droit à allocation qui implique un taux de remplacement net supérieur à 100%, si l’allocation est perçue tous les jours du mois. Ce calcul est prudent car les mois où aucun salaire n’a été perçu sont exclus des estimations, sans quoi ce sont plus de 25% des chômeurs qui seraient concernés[7]. Pôle Emploi ne précise pas si les intermittents du spectacle sont inclus ou non, ce qui est doublement important : d’une part cette population est particulièrement concernée par le problème mesuré, mais d’autre part ces règles seraient exclues d’une solution qui ne modifierait que les règles de droit commun.
  • Pour l’Unedic seulement 4% des chômeurs ont une allocation nette supérieure à leur ancien salaire (dans le régime général). On ne comprend cependant pas clairement si l’allocation est le droit, ou le montant effectivement versé (cumul salaire / allocation déduit, etc.). En outre l’Unedic estime le salaire sur les 12 mois précédant l’ouverture de droits et l’allocation sur les 12 mois suivants, quelles que soient les durées d’affiliation permettant d’ouvrir les droits et la durée de ceux-ci (ce qui est doublement discutable). On peut de ce fait déduire des données présentées[8] que les 20% d’allocataires ayant un droit potentiel de 6 mois auraient une allocation (700 €)[9] supérieure à leur ancien salaire (500 €) si le total des allocations était divisé par la durée maximale du droit (6 mois), et non par 12 : au total 24% des chômeurs percevraient alors potentiellement plus au chômage qu’en emploi, soit un ordre de grandeur voisin de celui calculé par Pôle Emploi.

Une lecture positive consiste à voir ces deux chiffrages comme complémentaires, leurs divergences résultant simplement de ce que chacun interprète les questions, et traite les données, à sa manière. A cet égard le document de Pôle Emploi est net et circonscrit, tandis que les concepts utilisés dans le document de l’Unedic sont présentés ici pour la première fois, sans que la méthode pour les construire soit explicite, et sans que des conclusions détaillées en soient tirées.

Ni Pôle Emploi, ni l’Unedic ne cherchent à distinguer ce qui dans leurs résultats respectifs provient du taux de remplacement d’une part ou du mode de calcul de l’allocation d’autre part, ce qui dénote une vue incomplète du problème posé. De plus, ces évaluations portent sur des effectifs, mais les coûts induits ne sont pas chiffrés.

Une solution optimale ne peut donc pas être déduite de ces seules analyses, a fortiori sur la base d’une seule d’entre elles.

L’analyse : large, pour un diagnostic précis

Le rythme de consommation du capital de droits, donc la durée effective sur laquelle celui-ci est consommé, doit être bien maitrisé par l’assureur pour régler le problème posé ici.

L’analyse devrait s’étendre au-delà du strict périmètre de l’assurance chômage : les chômeurs concernés par le problème soulevé ici avaient par définition un petit salaire, donc une forte probabilité de percevoir des compléments de salaires et aides sociales lorsqu’ils étaient en emploi. Actuellement, l’assurance chômage rapproche les chômeurs indemnisés du plafond de ressources des aides publiques (voire porte leur revenu au-delà de ces plafonds). Cela revient pour l’assureur à se substituer à l’Etat lorsque le salarié devient chômeur, en remplaçant des aides comme si elles avaient été des salaires ; dit autrement, il n’est pas très logique de reprocher à une partie de l’allocation chômage de compléter les salaires des chômeurs qui retravaillent, alors qu’elle ne fait que remplacer les aides sociales, qui font la même chose pour les salariés non-indemnisables. L’assurance chômage n’est pas dans son rôle, mais elle permet cependant à l’Etat de faire des économies budgétaires.

Une solution trop radicale à ce problème bien réel du niveau excessif des droits mensuels[10], rapprocherait un grand nombre d’allocations du RSA. Les chômeurs pourraient alors préférer percevoir ce dernier, dès lors qu’ils satisfont aux conditions de ressources : les devoirs sont moins contraignants, les règles de cumul du RSA avec un salaire sont nettement plus favorables que celle en vigueur dans le cadre de l’assurance, les droits au RSA sont infiniment « rechargeables », il ouvre des droits connexes, etc. A court terme l’appauvrissement des chômeurs ne créerait pas d’emploi, mais pourrait fortement peser sur le budget de l’Etat.

Cette confusion entre assurance et solidarité, pratiquée au Royaume-Uni depuis plusieurs décennies, a privé ce pays de tous les avantages découlant d’une assurance chômage (largement démontrés par la littérature économique), sans rien apporter de probant en regard.

La solution : plusieurs leviers pour une solution équilibrée

Une solution simple consisterait à établir un salaire mensuel de référence sur l’ensemble de la période, entre le premier et le dernier jour travaillés qui servent à ouvrir les droits à l’assurance. Très attractive car extrêmement économique –bien au-delà de l’ambition fixée par le document de cadrage de la négociation– cette solution simple aurait d’importants effets pervers (fin de la contributivité des droits[11], interférences avec le RSA, appauvrissement des chômeurs en emploi précaire, etc.) si elle n’était pas finement articulée avec d’autres modifications des règles.

Des solutions plus équilibrées peuvent être trouvées, mais elles nécessitent un travail qui n’a pas été réalisé, et sûrement une négociation sur ces points précis :

  • Au vu de l’ampleur des effets probables, il est préférable d’ajuster graduellement les règles. Au point d’arrivée, les nouvelles règles (notamment salaire de référence et taux de remplacement) doivent garantir le maintien de la consommation du chômeur[12], sans plus.
  • Un partage allocations / aide sociales des chômeurs, calqué sur le partage salaire / aides sociales des salariés. L’assurance n’a pas à être pourvoyeuse d’aides sociales ou à se substituer à l’Etat pour ce faire. Ce n’est pas le bon instrument, et il n’est pas financé de la bonne manière pour remplir efficacement de tels objectifs.
  • Maîtriser la durée de consommation des droits. D’une part, afin de préserver la contributivité, c’est-à-dire, comme actuellement, que de mêmes quantités de travail et de contributions ouvrent la même quantité de droits. D’autre part, la durée pourrait être automatiquement liée au taux de chômage, longue quand celui-ci est élevé, plus courte sinon.
  • Les règles de cumul allocation / salaire et de « rechargement » des droits. Si les allocations chômage venaient à baisser, leur niveau se rapprocherait de celui du RSA dans un certain nombre de cas. Du coup la règle de cumul des allocations avec un salaire apparaîtrait moins généreuse pour l’assurance que pour le RSA ; ce serait la même chose pour la règle de rechargement des droits si celle-ci venait à être durcie, le droit au RSA étant imprescriptible, donc infiniment « rechargeable ».
  • Une maîtrise du rythme de consommation des droits. Aujourd’hui, en théorie, l’alternance emploi / chômage indemnisé peut être infinie, sans choc de revenu dès lors que le chômeur retravaille toujours au même salaire. La formule de calcul des droits devrait être révisée afin de permettre une attrition progressive des droits.

Une solution équilibrée n’est pas simple, et demande beaucoup de travail pour ne pas risquer d’introduire des effets pervers bien plus fâcheux que ceux que l’on cherche à réduire.

La transparence : indispensable, avant et après.

L’ébullition provoquée ces dernières semaines par un chiffre-choc que personne n’aurait dû découvrir à cette occasion, montre combien la transparence manque à cette politique qui engage 40 Md€ par an[13]., avec des conséquences désormais bien connues : faute de faits précisément établis, discutés et raffinés de manière ouverte et contradictoire, il n’existe pas de diagnostic partagé sur l’état de l’assurance chômage, et sur les réformes qu’il serait souhaitable d’accomplir. Quel que soit le sujet des réformes et une gouvernance efficaces de l’assurance chômage passent forcément par une information abondante, transparente, un débat public et un diagnostic partagé.

[1] B. Coquet (2013) L’assurance chômage, une politique malmenée, Editions de l’Harmattan, Paris. (p.184 et suivantes).

[2] Unedic (2019) « L’assurance chômage. Situation avant et après le début de l’indemnisation chômage » Repères, n°3, et Pôle Emploi http://www.pole-emploi.org/statistiques-analyses/en-savoir/taux-de-remplacement-mensuel-net.html?type=article

[3] B. Coquet & E. Heyer (2018) Pour une régulation économique des contrats courts sans contraindre les entreprises, en préservant l’assurance chômage, Rapport au Sénat.

[4] L’Unedic donne ce chiffre sans que l’on sache (ni que l’on puisse calculer) si cette moyenne est théorique, ou effective en fonction des allocations effectivement reçues une fois pris en compte le cumul allocation / salaire des chômeurs qui retravaillent.

[5] Les chômeurs indemnisables consomment en moyenne de 60% de leurs droits potentiels.

[6] Ces déductions sont à prendre avec la plus grande prudence, car la méthode et les hypothèses de travail retenues dans la note Unedic ne sont pour l’essentiel pas explicitées.

[7] Cet ordre de grandeur peut se déduire des 2 dernière colonnes du tableau p.3, qui montrent que le chiffrage est sous-estimé d’environ 30% du fait du choix retenu pour l’estimation du salaire de référence.

[8] Tableau p.3. de la note Unedic.

[9] 700=350*12/6

[10] On le terme « excessif » est employé ici par commodité pour désigner les allocations dont le taux de remplacement est supérieur à 100%, du salaire. Le niveau optimal du taux de remplacement mérite une discussion approfondie.

[11] Pour un nombre de jour travaillé identique, si l’allocation mensuelle est plus faible et que la durée potentielle des droits n’est pas allongée, le capital de droit sera plus faible lorsque les périodes d’emploi sont fragmentées sur une longue période que si elles sont contiguës.

[12] Donc pendant toute la durée de l’épisode de chômage, qui est le plus souvent inférieur à la durée des droits.

[13] La Cour des Comptes a récemment ajouté sa voix au constat depuis longtemps dressé selon lequel « un accès insuffisant aux données limite la capacité d’évaluation des dispositifs d’assurance chômage » (référé du 13 mars 2019)/




Pour une régulation économique des contrats courts sans contraindre les entreprises, en préservant l’assurance chômage

par Bruno Coquet et Eric Heyer

L’OFCE et la Délégation du Sénat pour les entreprises ont récemment publié un rapport ayant trait à l’opportunité et aux moyens de réguler l’usage des contrats courts. La première partie dessine le cadre économique et dresse un bilan du développement des contrats courts en France au cours des trente dernières années, puis met en évidence les déterminants de leur usage croissant. La seconde partie tire les conséquences de cette segmentation du marché du travail du point de vue de l’assurance chômage, et montre qu’il est nécessaire de réguler l’usage des contrats courts avec des instruments économiques, respectueux des mécanismes de marché. Ces travaux éclairent les nouvelles négociations des règles de l’assurance chômage engagées par les partenaires sociaux, à la demande du gouvernement.

Contrats courts : nécessaires, mais pas à n’importe-quel prix

Le recours aux contrats courts a fortement progressé : aujourd’hui près de 40 millions de CDD de moins de 1 mois et de missions d’intérim sont conclus chaque année dans notre pays, deux fois plus qu’en 2000, et des contrats plus en plus courts. Et ce phénomène transcende les statuts juridiques car il concerne aussi les CDI souvent rompus très vite et même le secteur public.

Les contrats courts sont pour les employeurs un moyen de réduire l’incertitude inhérente à l’activité économique. Ils favorisent donc le bon fonctionnement de l’économie de marché, dans la limite où ils ne permettent pas de s’affranchir de certains principes essentiels : l’agent qui supporte un risque doit être rémunéré en conséquence, les coûts de production doivent être facturés aux clients et la compétitivité ne peut pas structurellement reposer sur la détérioration des conditions sociales. L’usage des contrats courts doit aussi créer de la valeur, de l’emploi et des revenus, car il ne serait sinon qu’un moyen de saupoudrer la quantité existante de travail sur un nombre accru d’actifs, donc un partage du travail d’un genre particulier, sans compensation salariale mais avec des exonérations de charges, et de plus en plus de salariés gagnant trop peu pour vivre de leur travail.

L’usage des contrats courts stimulé par la baisse du coût du travail

Notre analyse économétrique confirme l’usage contra-cyclique des contrats courts, leur sensibilité à l’environnement juridique et met en évidence un lien étroit entre l’essor des contrats courts et les politiques de baisse des cotisations sociales ciblées sur les bas salaires. En revanche, à l’aune de nos résultats, la formule de taxation des contrats courts mise en place de 2013 à 2017 serait restée sans effet.

Les contrats courts coûtent cher à tous les agents, exceptés aux employeurs qui les utilisent et leurs clients. Si leur usage ne doit pas être bridé par principe, la théorie économique ne justifie pas qu’il soit débridé, en particulier si ces contrats courts sont toujours plus courts, dans des activités pérennes où la demande est stable, voire en expansion régulière et soutenue, si bien que les employeurs qui n’utilisent pas ces contrats sont moins compétitifs.

L’assurance chômage confrontée aux contrats courts

Les contrats courts ont modifié la nature de l’emploi et du chômage, exposant l’assurance à une forte récurrence en indemnisation, en particulier sous forme de réembauches. Même si l’État doit agir en ajustant ses propres instruments lorsqu’il stimule les contrats courts, la bonne gestion commande à l’assureur d’adopter une tarification servant ses propres objectifs, plutôt que d’attendre des mesures imposées de l’extérieur, qui embrasseraient probablement d’autres objectifs que l’optimalité de l’assurance chômage.

Dans une assurance mutualisée, il est normal et sain que les chômeurs issus d’emplois instables soient surreprésentés et génèrent un déficit d’exploitation, compensé par un excédent des contrats stables : cela montre que les risques effectifs sont bien couverts. Mais le risque de chômage n’est assurable que s’il ne résulte pas de la volonté des assurés. Assurer du chômage temporaire, c’est-à-dire compléter les revenus du travail de contrats courts choisis, et assurer le chômage involontaire sont donc deux objectifs bien différents que l’assureur devrait traiter avec deux caisses dédiées, car leurs logiques de financement sont différentes. En France, l’assureur poursuit ces deux objectifs avec une seule caisse et un ensemble unique de règles : le prix de l’assurance est donc le seul levier qu’il peut moduler pour réguler les comportements indésirables. Cela n’a rien d’hérétique : il s’agit simplement d’inciter les employeurs à internaliser le coût du chômage temporaire engendré par la technologie et l’organisation de la production. Si l’assureur ne le fait pas, il devra restreindre les droits communs qui sont sa raison d’être, pour financer du chômage temporaire, ce qui peut précipiter sa faillite.

Une régulation économique raisonnée

Jusqu’à présent la France a sans succès privilégié une régulation juridique des contrats courts, qui laisse accroire à de fortes rigidités de leur usage, alors que celui-ci est en réalité très flexible. Or, le ressort fondamental des contrats courts n’est pas juridique mais économique : les employeurs y ont recours non pas parce que le Code du travail le prévoit, mais parce qu’ils en tirent un avantage économique. Du point de vue de la théorie économique et du bon fonctionnement de l’économie de marché, ce levier de contrôle économique est inexplicablement sous-utilisé. Le contexte actuel plaide sans ambiguïté pour un rééquilibrage en faveur de cette régulation économique, en l’occurrence une tarification comportementale des employeurs.

Il ne s’agit pas de taxer, mais de tarifer, de fixer un prix d’équilibre du contrat d’assurance, qui minimise son coût et maximise son efficacité. Cette tarification doit, autant que possible, être contemporaine du comportement qui la justifie, simple, lisible, ni excessive ni symbolique, inciter et non punir. Elle ne doit pas viser à financer le « déficit » des contrats courts, ni renflouer l’Unedic, mais supprimer les subventions croisées payées par les employeurs de salariés en contrats longs qui bénéficient aux employeurs de salariés précaires, pour réguler les comportements de certains employeurs dans certains secteurs.

Nous préconisons une troïka d’instruments qui vont en ce sens :

– Une tarification dégressive avec l’ancienneté dans le contrat de travail. Indépendante du statut, laissant l’employeur libre de ses choix, contemporaine du comportement coûteux, elle diminue le coût du travail d’une immense majorité d’employeurs ;

– Un système de franchise, peu coûteux, permettant d’épargner les petites entreprises et les entreprises en forte croissance, et celles utilisant peu les contrats courts ;

– Une contribution forfaitaire, car la rotation très rapide de contrats très courts suggère que le coût de transaction n’est pas dissuasif pour l’employeur.

La nature et l’ampleur du problème des contrats courts, dont les bénéfices sont aujourd’hui localisés sur un nombre réduit d’agents tandis que les coûts sont supportés par une majorité, impliquent que de telles solutions feraient plus de gagnants que de perdants.

Cette troïka doit évidemment aller de pair avec des lois applicables et appliquées, notamment pour les CDD d’usage. Une révision des conditions d’indemnisation qui peuvent de leur côté favoriser l’usage de l’assurance aux fins d’indemniser du chômage temporaire (salaire de référence servant à calculer l’allocation et taux de remplacement) doit également être conduite en cohérence avec la tarification des contrats courts.




Une (ré) assurance chômage européenne

par Léo Aparisi de Lannoy et Xavier Ragot

Le retour de la croissance ne peut faire oublier la mauvaise gestion de la crise au niveau européen sous son aspect économique, mais aussi social et politique. Les divergences des taux de chômage, des balances courantes et des dettes publiques entre les pays de la zone euro sont inédites depuis des décennies. Les évolutions de la gouvernance européenne doivent viser la plus grande efficacité économique pour la réduction du chômage et des inégalités tout en explicitant et en justifiant leurs enjeux financiers et politiques afin de les rendre compatibles avec des choix politiques nationaux. La constitution d’une assurance chômage européenne remplit ces critères.

L’idée d’un mécanisme européen d’indemnisation des chômeurs est une vielle idée dont les premières traces remontent au moins à 1975. Cette idée est aujourd’hui très débattue en Europe avec des propositions émanant d’économistes ou d’administrations italiennes, françaises, des études menées par des instituts allemands, dont le dernier Policy Brief de l’OFCE propose une synthèse. Cette possibilité est même évoquée dans des communications de la Commission européenne. Cette note présente les débats européens, ainsi que le système en place aux États-Unis.

Le mécanisme de réassurance chômage européen présenté dans cette note vise à financer les indemnités chômage des pays en cas de récession sévère et s’inspire pour cela de l’expérience des États-Unis. Ce mécanisme constitue un second niveau européen en plus de niveaux nationaux d’assurance chômage différents. Il permet de soutenir les chômeurs dans les pays touchés par une récession importante, ce qui contribue à soutenir la demande agrégée et l’activité tout en réduisant les inégalités dans les pays bénéficiaires, et est compatible avec une réduction des dettes publiques. Ce mécanisme n’engendre ni transferts permanents vers les pays qui ne se réformeraient pas, ni de distorsions de concurrence, ni le transfert de pouvoirs politiques relevant aujourd’hui de la subsidiarité. Il est en effet, comme c’est le cas aux États-Unis, compatible avec une hétérogénéité de systèmes nationaux.

Pour donner des ordres de grandeur, un système de réassurance, équilibré sur le cycle économique européen et sans transferts permanents entre les pays, aurait augmenté la croissance de 1,6% du PIB en Espagne au cœur de la crise, et l’Allemagne aurait reçu une aide européenne de 1996 à 1998 et de 2003 à 2005. La France aurait connu une augmentation du PIB de 0,8% en 2013 grâce à un tel système, comme le montrent des simulations présentées par des équipes européennes.

Pour accéder à l’étude complète, consulter ici le Policy Brief de l’OFCE, n°28 du 30 novembre 2017.




Assurance chômage des démissionnaires : un pari pascalien

par Bruno Coquet, Chercheur affilié à l’OFCE

Le projet d’indemnisation des salariés démissionnaires par l’assurance chômage vise à favoriser la mobilité pour améliorer le fonctionnement du marché du travail, stimuler l’emploi et la croissance. Cette réforme fait le pari que l’indemnisation des démissionnaires peut lever des contraintes d’offre qui pèsent sur l’emploi. Si elle n’y parvient pas, qu’elle n’attire pas de candidats, son coût sera nul. Si elle y parvient, ce projet serait rentable pour l’Unedic.

Aujourd’hui déjà, beaucoup de salariés démissionnaires sont indemnisés par l’Unedic. Ceux qui ont démissionné pour un motif jugé « légitime » par l’Unedic, mais aussi ceux qui ayant démissionné pour réaliser un projet qui n’a pas abouti se sont alors inscrits à Pôle Emploi, ont recherché un emploi sans succès et sont de ce fait chômeurs involontaires.

Ce projet d’extension des motifs légitimes d’indemnisation des salariés démissionnaires se situe donc aux marges de l’assurance chômage. Toutefois, notre travail montre que les craintes et les chiffrages alarmistes de la sélection adverse que susciteraient ces nouvelles règles sont extravagants, d’abord parce que les emplois libérés par les démissions seraient pour l’essentiel remplacés, mais aussi parce que l’Unedic et Pôle Emploi ont le savoir-faire nécessaire pour contrôler le comportement de ce type de chômeurs.

Même s’il est en terrain connu, il n’en reste pas moins que l’assureur devra encadrer ce dispositif avec soin, comme il le fait toujours pour contrôler les risques de sélection adverse et d’aléa moral, mais également afin de ne pas sortir de son rôle, qui est de fournir une assurance-revenu et non de financer des investissements ou de financer des reconversions professionnelles.

Les chômeurs éligibles devront avoir un projet de création d’entreprise ou de formation, et les moyens de le financer, l’assurance étant seulement là pour subvenir aux besoins de consommation de leur vie courante. Le salarié étant le seul décideur de sa démission, l’assureur devra réduire les asymétries d’information (inscription anticipée à Pôle Emploi, documentation du projet et des démarches, etc.) pour contrôler l’aléa moral, et aussi partager une partie des coûts avec le bénéficiaire (délai de carence, etc.) afin de limiter les risques de sélection adverse sans restreindre l’accès au dispositif.

Une modalité pratique raisonnable consisterait à créer un motif d’éligibilité aux allocations chômage plus précis, qui s’apparenterait à une « démission pour reconversion professionnelle ». Les nouveaux droits s’inséreraient ainsi dans le droit commun (éligibilité, taux de remplacement, durée des droits, etc.) sans nécessiter la création d’une « annexe » dédiée ou de droits au rabais.

Le principal défi pour cette réforme est d’atteindre les objectifs ambitieux qu’elle se fixe en matière d’emploi. Si les salariés prêts à rompre leur CDI pour initier un projet sont rares, ou échouent, peu d’emplois seront créés, si bien que les entrées dans ce dispositif d’indemnisation des démissionnaires s’assècheraient rapidement. Si un dispositif maîtrisé favorise la mobilité du travail, les démissions susciteraient au moins partiellement des embauches dans l’entreprise de départ, et au moins certains projets de création d’entreprise et de reconversion professionnelle réussiraient.

Dans ces conditions, on peut – sous des hypothèses raisonnables – estimer que le dispositif attirerait environ 35 000 bénéficiaires par an, pour un coût de l’ordre de 250 millions d’euros la première année, et un gain net total de 590 millions d’euros pour l’assurance chômage sur les cinq premières années. La première année se solde par un déficit supplémentaire de 255 Mo€, car même si une majorité des emplois libérés sont pourvus, ils le seraient pour moitié seulement par des chômeurs indemnisés, tandis que tous les démissionnaires deviennent chômeurs indemnisés ; les années suivantes, les projets débouchent sur des emplois supplémentaires, si bien que le chômage indemnisé diminue, tandis que les cotisations augmentent. Le coût de l’accompagnement n’influerait qu’à la marge sur cet équilibre.

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Le coût potentiel de la réforme n’est clairement pas un obstacle à sa mise en œuvre. Si le dispositif n’attire pas, il ne coûtera rien. Si en revanche la majorité des projets des salariés démissionnaires débouchent sur un emploi durable, des bénéfices sont garantis à brève échéance, si bien que l’extension de l’assurance chômage aux démissionnaires peut être financée à ressources constantes, sans amputer le droit commun. Pour convaincre les sceptiques, l’Etat pourrait même, sans grand risque, amorcer le dispositif en avançant à l’assureur le montant des dépenses engagées la première année.

 

Pour en savoir plus : Bruno Coquet, « L’assurance chômage pour les démissionnaires. Un pari sur l’emploi, une bonne affaire pour l’Unedic ? », OFCE Policy brief, n° 27, 28 novembre.




Faut-il taxer les contrats courts ?

A l’heure où le gouvernement réfléchit à taxer les contrats courts, il nous a semblé opportun de (re)lire le billet de Bruno Coquet : “Taxer les contrats courts : pourquoi et comment ?” publié en mai 2016.




Assurance chômage des seniors, peu de problèmes, beaucoup de solutions

par Bruno Coquet (IZA et OFCE)

Depuis le début des années 1960 les seniors bénéficient d’un accès privilégié à l’assurance chômage et de dispositions spécifiques d’indemnisation, notamment une durée potentielle de leurs droits très étendue. Ce type de pratique est commun à de nombreux régimes d’assurance chômage dans le monde.

Jusqu’au milieu des années 1990 ces règles n’ont pas suscité de débat. Les seniors étaient en effet très souvent orientés vers des dispositifs de préretraites qui occultaient les comportements indésirables que peuvent susciter – tant de la part des employeurs, des salariés que des chômeurs – des règles d’assurance chômage inadaptées ou mal contrôlées. Avec l’abandon des préretraites, ces comportements sont apparus plus clairement, créant un débat sur la responsabilité et la suppression des règles d’indemnisation du chômage spécifiques aux seniors.

Les droits dont bénéficiaient les chômeurs seniors ont en conséquence été progressivement réduits ; leur suppression totale figure toujours parmi les demandes de réforme les plus régulièrement mises en avant, que ce soit au nom de la rectification des comportements indésirables qu’elles engendrent ou du redressement des comptes de l’Unedic. C’est cette question qu’analyse la Note de l’OFCE n°XX.

Les seniors n’apparaissent cependant pas surreprésentés au chômage, ni en particulier au chômage indemnisé. Il n’est pas aisé d’illustrer que ces chômeurs indemnisés fassent preuve d’un aléa moral particulièrement fort, en dépit des longues durées d’indemnisation dont beaucoup d’entre eux bénéficient (pas tous car seulement la moitié des seniors qui entrent au chômage sont éligibles à une durée potentielle des droits de 36 mois).

Les « préretraites Unedic » apparaissent comme un phénomène marginal tant en termes quantitatifs, car elles ne concernent à peine plus de 5% des seniors indemnisés par l’assurance chômage, qu’en termes financiers puisque leur poids dans les dépenses de l’Unedic est du même ordre de grandeur.

On oublie souvent de le mentionner mais les 50 ans et plus sont un groupe contributeur net à l’assurance chômage : moins exposé à ce risque que d’autres tranches d’âge, les seniors qui subissent ce risque ont cependant besoin d’une protection adaptée aux difficultés particulières qu’ils rencontrent sur le marché du travail. Dans ces conditions, toute réduction de leurs droits qui ne se traduirait par une diminution significative de leurs cotisations devrait être considérée avec prudence.

Sur la base de ces éléments de diagnostic, nous montrons que l’assureur a de nombreuses possibilités pour renforcer l’efficacité l’assurance chômage des seniors, à moindre coût. Nous proposons pour cela des solutions techniques, certaines très ciblées, d’autres plus ambitieuses, que l’assureur pourrait mettre en œuvre afin de réduire les défauts que les partenaires sociaux jugent prioritaires. Ces propositions sont de deux ordres :

  • Traiter les problèmes avérés… sans affecter la logique d’ensemble

❶ Réduire l’incitation aux préretraites Unedic, sachant que pour cela il est inutile et inefficace de taxer tous les seniors ;

❷ Réexaminer l’opportunité de maintenir l’Allocation de Solidarité Spécifique (ASS), avant de modifier la réglementation de l’assurance chômage ;

❸ Revoir les modalités de maintien des droits au-delà de la durée maximale d’indemnisation, jusqu’à la retraite ;

❹ Renforcer l’accompagnement, dans la mesure où il s’avérerait que c’est sa faiblesse qui serait à l’origine d’un aléa moral chez les chômeurs seniors.

  • Revoir la logique d’ensemble pour réduire les problèmes avérés et futurs

❺ Créer un plafond de durée potentielle des droits continûment croissant avec l’âge ;

❻ Plafonner les possibilités de la validation des trimestres de retraite grâce à des trimestres de chômage indemnisé ;

❼ Créer un compte individuel partiel, afin de lutter contre l’aléa moral, de réintroduire plus de contributivité et d’équité dans le système, pour les seniors tels qu’ils sont actuellement définis, ou plus largement ;

❽ Dans le périmètre actuel d’affiliation à l’assurance chômage, poser la question des cotisations des seniors à l’assurance chômage.

Ces solutions sont parfois complémentaires, parfois exclusives les unes des autres. Elles montrent que de nombreuses solutions à la fois incitatives et économiques sont possibles en dehors de la réduction paramétrique de la « générosité » des droits des seniors. Le paramétrage de ces solutions pourrait être ajusté pour trouver des points d’équilibre lors de la négociation.

 

Pour en savoir plus : Coquet Bruno, 2016, « Assurance chômage des seniors : peu de problèmes, beaucoup de solutions », OFCE policy brief 3, 8 septembre

 




Secteur public : l’assurance chômage qui n’existe pas

Bruno Coquet, Chercheur affilié à l’OFCE et IZA

Une assurance chômage peu solidaire

En France seuls les salariés du secteur privé ont une obligation d’affiliation et de cotisation à l’assurance chômage. Ceux du secteur public étant couverts par une garantie d’emploi ou l’auto-assurance de leur employeur, leur affiliation à l’Unedic n’est pas obligatoire. Néanmoins, l’affiliation à l’Unedic reste possible pour la plupart des employeurs publics qui le désirent, notamment si la précarité importante des contrats de leurs salariés non-titulaires rend le choix de l’auto-assurance trop coûteux pour eux.

Cette réglementation a pour résultat de réduire la solidarité interprofessionnelle organisée par l’Unedic pour prendre en charge le chômage, puisque 30% des salariés n’y participent pas. La France est le seul pays où les employeurs publics ne contribuent pas à l’assurance chômage mutualisée et où, en même temps, la puissance publique ne finance pas l’assurance chômage par des subventions et/ou des dotations d’équilibre, faisant de l’Unedic une assurance chômage financée par le secteur privé pour lui-même.

La situation financière délicate dans laquelle se trouve l’Unedic pourrait constituer le motif d’une diminution des droits et/ou d’une augmentation des contributions à l’assurance chômage ; le contraste est fort avec le financement des garanties d’emploi et de l’auto-assurance des employeurs publics, qui n’est pas un objet de débat alors même qu’il n’est ni explicite ni clair. Ces garanties sont-elles gratuites ? Si oui, pourquoi alors ne pas généraliser ces dispositions bien plus économiques que l’assurance chômage ? Et sinon quel est leur coût, par qui et comment sont-elles financées ?

La Note de l’OFCE (n° 59 du 2 mars 2016) a pour objectif de documenter ces questions, afin de contribuer à la réflexion sur le fonctionnement de l’assurance chômage, notamment en s’interrogeant sur les raisons pour lesquelles celle-ci n’est pas obligatoire ni dotée de règles universelles, et à mesurer les conséquences de ces choix.

Assurer le chômage ou assurer l’emploi ?

Les emplois publics ne sont pas créés au motif de réduire le chômage, mais pour offrir des services publics aux citoyens ou –lorsqu’il s’agit d’entreprises publiques– d’accroître leur valeur ajoutée. La création d’emplois publics peut néanmoins être vue comme un complément, voire une alternative, à l’assurance chômage dans la mesure où les garanties d’emploi et les dispositions conventionnelles d’auto-assurance en vigueur dans le secteur public ont pour effet de protéger du chômage et de ses conséquences, tout comme l’assurance chômage.

Si créer des emplois publics suffisait à réduire le chômage, une sur-représentation de ces emplois au sein de l’économie pourrait constituer un symptôme de l’utilisation de ces dispositions comme un instrument de réduction du chômage, et donc une contribution de la puissance publique à une forme d’assurance chômage. La combinaison du nombre élevé de ces emplois et de leurs caractéristiques pourrait produire des externalités massives sur le marché du travail dans son ensemble, et en particulier sur le régime d’assurance chômage en raison de la différence qui en découle au regard de l’affiliation et du financement de l’assurance chômage.

La question des dispositions conventionnelles en vigueur dans le secteur public  est en effet distincte de celle de la participation au régime mutualisé d’assurance chômage de droit commun : les garanties d’emploi n’impliquent pas une dispense d’affiliation et de contributions à l’Unedic, ni a fortiori que celle-ci s’étende sous forme d’auto-assurance aux emplois publics non-titulaires, au seul motif que tous sont salariés d’employeurs publics. De plus l’affiliation optionnelle des salariés non-titulaires enfreint les règles prophylactiques les plus élémentaires dont toute assurance chômage doit impérativement être dotée. Incitant à la sélection adverse, cette réglementation complexe va même jusqu’à l’organiser (intermittents, apprentis, emplois aidés, etc.) concourant à transférer des déficits vers l’Unedic et à maintenir des excédents dans les caisses des employeurs publics. Ceux-ci s’adaptent clairement à ces incitations et aux opportunités qui leur sont données de se soustraire à l’assurance chômage mutualisée, ce qui crée des subventions croisées qui vont du secteur privé vers le secteur public.

Des enjeux financiers très importants

Ce transfert implicite du secteur privé affilié à l’assurance chômage vers les secteurs publics qui n’y sont pas affiliés peut être estimé sur la base des recettes de cotisations. En effet, pour compenser le manque à gagner résultant de la dispense de cotisations des emplois publics l’Unedic doit appliquer à ses affiliés un taux de cotisation plus élevé qu’à l’optimum. Sur le périmètre de l’emploi salarié total l’assiette des cotisations Unedic serait 44,3% supérieure à ce qu’elle est actuellement, générant un rendement de 47,0 Md€ au taux de cotisation actuel (6,4 %). Considérant que l’emploi et le chômage seraient inchangés, un taux de cotisation de 4,4 % suffirait donc pour collecter les 32,5 Md€ de recettes perçues par l’Unedic en 2012.

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Mais, même indemnisé, le chômage engendre des coûts importants pour les chômeurs indemnisés mais aussi pour les employeurs et les salariés assurés, qui vont bien au-delà d’une simple exemption de cotisations. Sous l’hypothèse technique d’une probabilité de chômage homogène dans les deux secteurs, ou si le coût des garanties d’emploi était entièrement assumé par les employeurs publics, la simulation d’une assurance chômage obligatoire et universelle met en évidence que la masse salariale des secteurs affiliés à l’Unedic est actuellement réduite de 29,4 Md€. Cette somme représente la « subvention croisée » qui va du secteur privé vers le secteur public pour financer le coût actuel des garanties d’emploi et de l’auto-assurance. C’est aussi le gain brut potentiel associé au passage à une assurance chômage obligatoire et universelle indépendamment de la distribution effective du risque de chômage qui est, elle, liée aux caractéristiques individuelles et aux statuts (principe analogue à celui appliqué en Allemagne par exemple).

Une assurance plus équitable et plus efficace

Les ressources que devraient trouver les employeurs publics pour financer ces dépenses devraient s’appuyer sur des taxes nouvelles ou l’augmentation de taxes existantes. Une réforme de l’assurance chômage se ferait donc à taux de prélèvements obligatoires constant ex-ante, et substituerait un financement fiscal de l’assurance chômage au financement actuellement assis sur le coût du travail marchand. Les nouvelles ressources étant à la fois plus appropriées et équitables, l’assurance chômage serait plus optimale, donc plus efficace et moins coûteuse à moyen terme, ouvrant la possibilité d’une baisse du taux de prélèvements obligatoires ex post. S’agissant de répartir plus équitablement une charge qui pèse aujourd’hui exclusivement sur les salariés, les employeurs et les chômeurs du secteur privé, il est nécessaire et acceptable, qu’une telle réforme fasse des « perdants », car elle accroîtrait le bien-être collectif. Ceux-ci se trouveraient majoritairement parmi les contribuables, car c’est vers eux que se déplacerait le financement d’une assurance chômage devenue obligatoire et universelle.

De la même manière que les dispositions statutaires qui régissent les emplois publics n’impliquent en rien d’exonérer ceux-ci d’affiliation à l’assurance chômage, rendre l’assurance chômage obligatoire et universelle ne nécessite pas de réformer ces dispositions ; ces deux sujets sont disjoints. Dans le secteur public comme dans le secteur privé l’assureur n’a pas besoin de tenir compte des arrangements contractuels, mais il doit vérifier qu’il n’en supporte pas de coût, et de manière plus générale que les règles d’assurance encouragent les dispositions de ce type qui réduisent ses coûts sans affecter ses ressources et découragent celles qui vont en sens opposé.




L’assurance chômage doit-elle financer le Service public de l’emploi ?

Par Bruno Coquet, Chercheur affilié à l’OFCE, & IZA

L’Unedic est le principal financeur du Service public de l’emploi, qui est un service universel ouvert à tous les actifs, qu’ils soient chômeurs indemnisés ou non, et à tous les employeurs, privés et publics. Le fait que les deux tiers de ses ressources proviennent de l’assurance chômage, et donc d’un prélèvement sur le coût du travail marchand, ne va donc pas de soi.

L’analyse détaillée de l’évolution des frais de fonctionnement et d’interventions de l’Unedic conditionne fortement l’interprétation que l’on peut faire de sa situation financière, ainsi que des moyens susceptibles de la redresser : si ces dépenses pèsent excessivement sur les comptes, il est illusoire et sous-optimal de réduire la « générosité » des règles d’indemnisation pour rétablir l’équilibre financier.

Dans la dernière Note de l’OFCE (n°58 du 22 février 2016), nous montrons que la structure des ressources du Service public de l’emploi s’est radicalement transformée au cours des deux dernières décennies : nulle avant 1996, la contribution de l’Unedic représentait 10,8 % des ressources de l’ANPE en 2001, et 62,9 % de celles de Pôle emploi en 2015. La contribution de l’Unedic, qui s’élève à 3,3 Md€ en 2016, est désormais plus de deux fois supérieure à la dotation budgétaire versée par l’État (1,5 Md€ en 2016) ; et elle continuera d’augmenter jusqu’à plus de 3,6 Md€ en 2018.

Ce financement représente aujourd’hui 1 400 € par an pour un chômeur indemnisé par l’Unedic, mais seulement 10 € pour un chômeur de longue durée indemnisé par le Fonds de solidarité, qui verse l’ASS. De manière générale les dépenses autres que les allocations, qui leur sont spécifiquement attribuables, ne se justifient que si elles accroissent les perspectives d’emploi à moyen terme au point de réduire la probabilité de chômage de ces assurés, et par conséquent les dépenses d’indemnisation des chômeurs. En effet si les salariés cotisent à l’assurance chômage, c’est uniquement pour se garantir un revenu de remplacement en cas de chômage, jusqu’à retrouver un emploi conforme à leurs compétences. Par conséquent, les salariés, qui pensent épargner 6,4% de leur salaire à cette fin, versent en réalité un maximum de 5,76 % de leur salaire pour cet objectif. Par ailleurs une taxe 0,64% du salaire va à Pôle emploi, dont la quasi-totalité finance les services universels à tous les chômeurs, indemnisables ou non.

A l’échelle de l’Unedic les montants financiers en jeu sont très importants : même en retenant des hypothèses très prudentes, les besoins de financement que ces charges ont créés peuvent à eux seuls expliquer la totalité de la dette à fin 2015, soit 25,9 Md€.

Ce travail est une contribution à l’analyse structurelle de l’assurance chômage. Son but n’est pas d’analyser au fond ni en opportunité les missions de Pôle emploi, les politiques que cette agence met en œuvre, les moyens dont elle dispose, ou la nécessité de l’activation des chômeurs indemnisés. La question posée ici est celle du financement de ces actions, en raison de leur contribution au déséquilibre des comptes de l’Unedic. Il apparaît clairement que les transferts financiers de l’assurance chômage vers le Service public de l’emploi sont un de ces problèmes qu’une réforme des règles d’indemnisation ne peut résoudre ; la réforme du financement du Service public de l’emploi apparaît donc comme une composante et un préalable indispensable de la réforme structurelle de l’assurance chômage.




Réformer aujourd’hui l’Assurance chômage en France : pas une bonne idée selon des indicateurs de l’OCDE

par Eric Heyer

Six mois après la signature d’un accord national interprofessionnel sur l’indemnisation du chômage, conclu par les partenaires sociaux, dont les nouvelles règles doivent normalement s’appliquer jusqu’en 2016, le gouvernement français, désireux d’aller plus loin dans la réforme du marché du travail, évoque la possibilité de réformer à nouveau l’Assurance chômage en diminuant la durée d’indemnisation et le montant des allocations chômage.

Si toute réforme doit viser l’amélioration de la « qualité de vie » de nos citoyens, il n’est pas sûr que la réforme de l’Assurance chômage atteigne cet objectif. C’est en tout cas ce que laisse à penser la dernière publication de l’OCDE.

Ainsi, dans le chapitre 3  des Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2014, l’organisation internationale a mis en œuvre les recommandations du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi de 2009 en évaluant la qualité de l’emploi dans les pays de l’OCDE. Ce nouvel indicateur complète les mesures traditionnelles sur la quantité de travail et doit transformer à terme le contenu des politiques publiques en imposant aux acteurs publics de nouveaux critères d’évaluation.

L’OCDE construit un indicateur de qualité de l’emploi sur la base de trois dimensions : qualité des salaires, sécurité sur le marché du travail et qualité de l’environnement professionnel. D’après l’OCDE, cette dernière dimension est relativement médiocre en France : le niveau élevé d’exigences professionnelles et des ressources insuffisantes pour s’acquitter des tâches provoquent un niveau élevé de stress au travail des salariés français. S’agissant des salaires, en tenant compte à la fois de leur niveau et de leur répartition, la France est proche de la moyenne des pays de l’OCDE. Finalement, si la qualité de l’emploi dans l’hexagone se situe dans la moyenne des pays développés, cela est dû principalement, d’après l’OCDE, à une sécurité sur le marché du travail forte en France, en raison du bon niveau de prise en charge et … de la générosité de l’indemnisation chômage.

Les propositions de réformes de l’Assurance chômage auraient alors tendance à détériorer plutôt que améliorer la « qualité de vie » des Français et rateraient leur cible de ce point de vue-là. Permettraient-elles alors d’améliorer la quantité de travail ?

Des éléments de réponse se trouvent dans le chapitre 1 de ce même rapport de l’OCDE. Dans celui-ci, l’organisation internationale indique que le taux de chômage structurel – i. e. le taux de chômage dépendant de l’importance des rigidités qui empêchent le bon fonctionnement du marché du travail – n’a pas augmenté depuis le début de la crise en France, à l’instar d’ailleurs d’un grand nombre de pays développés : la forte hausse observée du chômage depuis 2008 a donc, pour l’OCDE, une composante principalement conjoncturelle que l’on ne combat pas avec une réforme de l’Assurance chômage.

En conséquence, dans le contexte actuel de l’économie française, une réforme de l’Assurance chômage, telle que suggérée par le gouvernement, devrait, si l’on en croit les analyses de l’OCDE, détériorer la qualité de l’emploi – et en particulier la qualité de vie des chômeurs – sans réduire le niveau du chômage !