Quels impacts doit-on attendre du CICE et du Pacte de responsabilité sur l’économie française ?

par Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Mathieu Plane

A la suite du Rapport Gallois de fin 2012, le gouvernement a décidé de privilégier une politique d’offre, basée sur la baisse de la fiscalité sur les entreprises, afin de lutter contre le chômage de masse et de faire face à la compétition accrue entre les partenaires de la zone euro, engagés dans des politiques de réformes structurelles et de déflation compétitive. Cette politique d’offre a pour but de rétablir la compétitivité de l’économie française et de dynamiser l’emploi, tout en maintenant le cap de réduction rapide des déficits publics structurels. Concrètement, cela a donné lieu à la mise en place du CICE, un crédit d’impôt égal à 6 % de la masse salariale correspondant aux salaires de moins de 2,5 SMIC, et du Pacte de responsabilité, correspondant à une baisse de cotisations sociales patronales pour les salaires compris entre 1 et 3,5 SMIC, ainsi qu’une baisse de la fiscalité sur les entreprises[1].

Or début 2016, soit huit ans après le déclenchement de la crise, l’économie française vient tout juste de retrouver le niveau de PIB par habitant qui prévalait au 1er trimestre 2008, et affiche un taux de chômage proche de 10 % de la population active, soit plus de 3 points de pourcentage au-dessus de son niveau d’avant-crise. Compte tenu de ce constat, l’évaluation de l’efficacité de cette politique d’offre constitue un enjeu majeur.

Dans un article paru récemment, nous simulons l’impact macroéconomique sur l’économie française du Crédit Impôt Compétitivité Emploi (CICE) et de la partie baisse de cotisations sociales patronales du Pacte de responsabilité sur la période 2014-2018, à partir du modèle macroéconomique pour l’économie française e-mod.fr. Cette étude actualise les résultats d’une précédente étude réalisée en 2012 sur le CICE, et vient en complément de notre évaluation sur données macro-sectorielles réalisée en 2015. Elle est enrichie d’une simulation de l’impact des baisses de cotisation sociales patronales issues du Pacte, tient compte du financement des mesures, et introduit de nouveaux effets, en distinguant l’effet du chômage sur le taux de croissance des salaires en fonction de la position dans le cycle. Ainsi, une politique de réduction du coût du travail et de baisse de la dépense publique n’aura pas le même effet sur la croissance selon que l’économie se trouve en haut ou en bas de cycle (voir par exemple Creel et al., 2011 ; Heyer, 2011 ; Auerbach et Gorodnichenko, 2012 ; Blanchard et Leigh, 2013). Le moment de la mise en œuvre des mesures est donc crucial. Par rapport aux simulations existantes, l’apport de ce travail réside dans la mise en évidence de la sensibilité des résultats à la position initiale de l’économie dans le cycle décrite par l’écart de production.

Selon notre scénario central, le Pacte et le CICE permettraient, hors effet du financement, de créer ou sauvegarder 530 000 emplois à l’horizon 2018 et auraient un effet positif sur l’activité économique (+1,2 point de PIB). En revanche, une fois pris en compte les effets du financement, les gains sur le PIB seraient nuls et le nombre d’emplois créés ou sauvegardés serait de l’ordre de 290 000 à l’horizon 2018, avec une fourchette allant de 190 000 à près de 420 000 selon la position dans le cycle.

 

[1] Au total, à l’horizon 2017, cela représentera une baisse des prélèvements sur les entreprises de 41 milliards d’euros par an, dont 29 milliards sont assis sur les salaires, baisse financée principalement par une réduction de la dépense publique (une part des 50 milliards d’économies prévues sur la période 2015-17) mais aussi par une augmentation de 10 milliards d’euros de la fiscalité (hausse de la TVA et de la fiscalité écologique).




Chômage : ça va (un peu) mieux

Département Analyse et prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois d’avril 2016 publiés par Pôle Emploi font apparaître, après la baisse exceptionnelle enregistrée au mois de mars (–60000), une nouvelle baisse du nombre de demandeurs d’emploi n’exerçant aucune activité (catégorie A) de 19 900 personnes en France métropolitaine[1]. Ces deux mois de baisse consécutifs interviennent après une séquence d’alternance de baisses et de hausses mensuelles depuis le mois d’août 2015. Les statistiques mensuelles des demandeurs d’emplois sont habituellement volatiles, mais il n’en reste pas moins que l’inflexion de la trajectoire est perceptible. En 3 mois cette baisse est de 41 500. Elle se monte à 22 500 sur un an, soit la première baisse observée depuis le mois de septembre 2008, mois de la faillite de la banque Lehman Brothers (cf. graphique).

 

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La baisse importante du nombre de demandeurs d’emploi inscrits depuis plus d’un an (–11 900 sur trois mois), ainsi que celle du nombre de demandeurs d’emploi de plus de 50 ans (-3 100 sur 3 mois) sont autant de signes positifs de l’amélioration en cours sur le marché du travail. Là encore, de telles baisses n’ont pas été observées depuis 2008 pour ces publics les plus éloignés de l’emploi.

Ces évolutions sont la suite logique de l’accélération de la croissance de l’économie française observée depuis l’année 2015 (+1,2% en moyenne annuelle en 2015) et de la montée en puissance des politiques de baisse du coût du travail (CICE et Pacte de responsabilité et prime à l’embauche). Cette année-là a ainsi vu une accélération des créations d’emplois totales tirée par le secteur marchand (+122 000), avec en parallèle un moindre dynamisme des créations d’emplois aidés dans le secteur non-marchand. De fait, contrairement aux années précédentes, les créations d’emplois ne sont plus soutenues par les contrats aidés dans le secteur non-marchand.

Perspectives : la baisse devrait s’amplifier

Cette dynamique positive devrait se poursuivre en 2016 et 2017, années pour lesquelles nous prévoyons une croissance de 1,6% de l’activité. Ce retour de la croissance permettrait une accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand (177 000 en 2016 et 134 000 en 2017 en glissement annuel). De plus, la montée en charge du plan de formations[2] dans les prochains mois devrait renforcer la baisse du chômage observée depuis la fin de l’année 2015 [3]. Ainsi, le taux de chômage au sens du BIT devrait baisser de 0,5 point en deux ans, pour atteindre 9,5% de la population active fin 2017 et la baisse des inscrits en catégorie A devrait se poursuivre.

Ce rythme d’amélioration restera toutefois insuffisant pour effacer rapidement les stigmates de la crise. Rappelons qu’en 2008, le taux de chômage au sens du BIT s’élevait en France métropolitaine à 7,1%. Au rythme actuel, Il faudrait encore une dizaine d’années pour retrouver le niveau de chômage d’avant-crise.

 

[1] Cette baisse est toutefois marquée par une hausse anormale des cessations d’inscription pour défaut d’actualisation (+50 700 par rapport à la moyenne observée sur les trois premiers mois de l’année), qui semblerait concerner principalement les demandeurs d’emploi inscrits en catégories B et C. Cela n’invaliderait donc pas la baisse observée des inscrits en catégorie A.

[2] Le gouvernement a annoncé 500 000 formations supplémentaires pour 2016 dans le cadre du Plan d’urgence pour l’emploi

[3] La hausse du nombre de demandeurs d’emploi en formation devrait se traduire par un transfert essentiellement des demandeurs d’emploi de la catégorie A (demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi, sans emploi) vers la catégorie D (demandeurs d’emploi non tenus de rechercher un emploi (en raison d’une formation, d’une maladie…) y compris les demandeurs d’emploi en contrat de sécurisation professionnelle (CSP), sans emploi).




L’emploi reprend du service

Par Bruno Ducoudré

La lente amélioration constatée en 2015 sur le front de l’emploi se confirme en 2016. Selon l’Insee, le taux de chômage au sens du BIT [1] s’élève à 9,9% au premier trimestre 2016 en France métropolitaine (10,2% en France hors Mayotte). Il diminue de 0,1 point sur un an, tandis que le taux d’emploi progresse de 0,2 point sur le trimestre et de 0,5 point sur un an. Les dernières statistiques de l’Insee portant sur l’emploi marchand indiquent ainsi 24 400 créations d’emplois salariés dans les secteurs principalement marchands au premier trimestre 2016, et 105 000 en cumul sur les quatre derniers trimestres (cf. graphique 1). Les enquêtes auprès des entreprises signalent également une poursuite de l’amélioration des intentions d’embauches, le secteur des services marchands restant le principal pourvoyeur d’emplois nouveaux (cf. graphique 2).

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Notre analyse du marché du travail à l’horizon 2017, détaillée dans le dernier exercice de prévisions de l’OFCE d’avril 2016, indique que le secteur marchand continuerait à créer des emplois d’ici la fin d’année 2016 (+0,3% au deuxième trimestre, puis +0,2% aux troisième et quatrième trimestres). Ce rythme de créations d’emplois serait suffisant pour envisager une baisse du taux de chômage d’ici la fin de l’année. Compte tenu de notre prévision pour le taux de croissance du PIB (+0,5 % au deuxième trimestre et de +0,4 % aux troisième et quatrième trimestres 2016), le taux de chômage atteindrait 9,7% fin 2016 en France métropolitaine (9,5% y compris effet du Plan de formation). Avec une croissance du PIB de 1,6 %, l’année 2016 serait ainsi marquée par une accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand, permettant une lente baisse du taux de chômage en 2016, baisse qui se poursuivrait jusqu’à la fin de l’année 2017.

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2012-2014 : l’emploi marchand aux abonnés absents

La période 2012-2014 est marquée par une très faible croissance de l’activité économique qui a lourdement pesé sur l’emploi dans le secteur marchand (-77 000 emplois entre le début d’année 2012 et la fin 2014, cf. tableau). La vigueur de l’emploi dans le secteur non marchand, soutenue par la montée en charge des contrats aidés (emplois d’avenir et contrats uniques d’insertion non marchands) a permis de compenser ces destructions d’emplois marchands, l’emploi total progressant de 158 000 sur la même période, ce qui a freiné la progression du taux de chômage au sens du BIT : celui-ci est passé de 9% de la population active fin 2011 à 10,1% fin 2014 en France métropolitaine, soit +1,1 point d’augmentation.

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2015-2017 : le redémarrage

L’année 2015 a vu une accélération des créations d’emplois tirée par la reprise des créations d’emplois dans le secteur marchand (+122 000). Elle marque ainsi une transition, avec en parallèle un moindre dynamisme des créations d’emplois dans le non marchand. Sur l’ensemble de l’année, l’accélération de la croissance (+1,2% en moyenne annuelle en 2015 mais 1,4 % en glissement annuel) et la montée en puissance des politiques de baisse du coût du travail (CICE et Pacte de responsabilité) ont soutenu les créations d’emplois. Les effets cumulés du CICE et du Pacte de responsabilité, une fois pris en compte l’effet du financement, auraient ainsi permis de créer ou de sauvegarder 45 000 emplois en 2015. Toutefois, les créations d’emplois ont été freinées par la présence de sureffectifs dans les entreprises[2] : en période d’accélération de l’activité économique, les entreprises absorbent généralement la main-d’œuvre sous-utilisée avant d’augmenter le volume d’emploi.

Du côté du secteur non marchand, la politique de l’emploi a continué de soutenir le marché du travail en 2015, via la hausse du nombre de contrats aidés. L’augmentation est cependant bien moins rapide que les années précédentes, le nombre d’emplois d’avenir (près de 90 000) atteignant un plafond fin 2015. Finalement, l’emploi total a progressé de 166 000 en 2015. Le nombre d’emplois créés étant supérieur à l’évolution de la population active, le nombre de chômeurs a diminué (-53 000 personnes), portant le taux de chômage au sens du BIT en France métropolitaine à 10,0 % de la population active au quatrième trimestre 2015, contre 10,1 % fin 2014.

Pour 2016 et 2017, le retour de la croissance (1,6 % par an) permettrait une fermeture du cycle de productivité [3] et une accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand, favorisée par les politiques de baisse du coût du travail (CICE, Pacte de responsabilité et Prime à l’embauche) qui enrichissent la croissance en emplois. Les créations d’emplois s’élèveraient, en glissement annuel, à 177 000 en 2016 et 134 000 en 2017 pour le seul secteur marchand. A partir de 2016, la politique de l’emploi, hors mesures fiscales, ne soutiendrait plus les créations d’emplois (-9 000 emplois aidés en 2016). Concernant l’année 2017, nous avons retenu l’hypothèse d’une stabilisation du stock de contrats aidés non-marchands. En revanche, le plan de formations (500 000 formations supplémentaires annoncées pour 2016 dans le cadre du Plan d’urgence pour l’emploi) monterait en charge au cours de l’année 2016, ce qui freinerait temporairement la hausse de la population active, en transférant une partie des chômeurs de longue durée vers l’inactivité, et accélèrerait de 0,2 point la baisse du chômage en 2016. Au total, l’accélération des créations d’emplois et les entrées en formation poursuivront la baisse du taux de chômage enclenchée fin 2015. Celui-ci atteindrait 9,5 % de la population active fin 2016 en France métropolitaine et se stabiliserait à ce niveau en 2017, ce qui le ramènerait à son niveau observé au deuxième semestre 2012.

Si l’horizon parait se dégager pour les perspectives d’emploi et de chômage, le rythme d’amélioration restera toutefois insuffisant pour effacer rapidement les stigmates de la crise. Rappelons que le taux de chômage s’élevait à 7,1% en moyenne en 2008 en France métropolitaine. Avec une baisse de 0,25 point du taux de chômage en moyenne chaque année, il faudrait dès lors attendre l’année 2027 pour retrouver le niveau d’avant-crise. Un retour plus rapide du chômage à ce niveau nécessitera de retrouver des taux de croissance plus élevés à l’avenir, via l’enclenchement d’une dynamique durable et auto-entretenue entre la consommation et l’investissement.

 

 

[1] Selon l’enquête emploi, une personne est considérée comme « chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) » si elle satisfait aux trois conditions suivantes :

  • être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant la semaine de référence de l’enquête ;
  • être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;
  • avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent l’enquête ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

[2] La présence de sureffectifs dans les entreprises provient de l’écart de la productivité du travail à sa tendance de long terme, appelé cycle de productivité. Ce dernier est le résultat du délai d’ajustement de l’emploi à l’activité. Voir Ducoudré et Plane, 2015, « Les demandes de facteurs de production en France », Revue de l’OFCE, n°142.

[3] Il subsisterait 70 000 personnes en sureffectif dans les entreprises fin 2015.




Plan de formation : un effet transitoire sur le chômage en 2016-2017

par Bruno Ducoudré

Lors des vœux présidentiels, François Hollande a annoncé un plan massif de 500 000 formations supplémentaires en 2016 pour les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi (DEFM). Ce sont en fait 350 000 formations supplémentaires qui s’ajoutent au 150 000 déjà annoncées en octobre 2015 lors de la Conférence sociale. Ce Plan s’inscrit dans le Plan d’urgence pour l’emploi, qui comprend notamment une prime à l’embauche pour les entreprises de moins de 250 salariés et des mesures pour l’apprentissage. Dans ce billet, on s’intéresse à l’effet de ce plan de formation sur le chômage au sens du BIT à l’horizon 2017, et non sur les demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) inscrits à Pôle emploi[1].

Selon l’enquête emploi, une personne est considérée comme « chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) » si elle satisfait aux trois conditions suivantes :

  • être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant la semaine de référence de l’enquête ;
  • être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;
  • avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent l’enquête ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

Des effets attendus incertains

Le plan de formation peut avoir un effet sur le taux de chômage par deux canaux : un basculement des chômeurs vers l’inactivité et une variation de l’emploi total si les chômeurs formés prennent un emploi vacant.

Les entrées supplémentaires en formation peuvent se traduire par une baisse transitoire du chômage au sens du BIT, les chômeurs en formation étant possiblement temporairement indisponibles pour reprendre un emploi au moment de l’enquête. Ces personnes entrées en formation sont alors considérées comme inactives au sens du BIT. L’effet sur les emplois vacants paraît négligeable à court terme dès lors que les chômeurs qui ne suivent pas de formation sont substituables à ceux en formation.

Par ailleurs, ces formations ciblées sur les demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés et de longue durée pourraient avoir un effet positif sur l’emploi total si elles se traduisaient à terme par une baisse des emplois vacants : les taux de retour à l’emploi à 6 mois sont ainsi les plus élevés pour les formations courtes de type « préalables à l’embauche[2] » – Action de Formation Préalable au Recrutement (AFPR) et Préparation Opérationnelle à l’Emploi Individuelle (POEI). A contrario, ces retours à l’emploi plus rapides pourraient se traduire par un retour à l’emploi retardé pour les chômeurs ne bénéficiant pas du dispositif. Plusieurs études sur les trajectoires des personnes sans emploi passées par un dispositif de formation trouvent d’ailleurs peu d’effet de ce passage en formation sur les taux de transition du chômage vers l’emploi[3]. Dans ce cas, l’effet net sur l’emploi total serait nul.

Un impact transitoire et limité sur le chômage

Lorsqu’une personne suit ou a suivi récemment une formation, elle peut être considérée comme inactive au sens du BIT (formation non achevée), comme chômeur (formation en cours d’achèvement et conditions remplies pour être considéré comme chômeur) ou en emploi (la formation s’est achevée et la personne est en emploi). A partir de l’Enquête Emploi en Continu, on peut calculer la probabilité d’être inactif sachant que la personne a déclaré avoir suivi une formation[4] au cours des 3 derniers mois. Parmi les personnes inactives ou au chômage de moins de 50 ans, cette probabilité s’élève à près de 50%[5]. Autrement dit, parmi les chômeurs et les inactifs, 50% de ceux déclarant avoir suivi une formation au cours des trois derniers mois sont considérés comme inactifs au sens du BIT. Si on prend en compte les personnes en emploi, cette probabilité diminue et s’élève à 10% : parmi les personnes inactives, au chômage ou en emploi de moins de 50 ans ayant déclaré avoir suivi une formation proposée par Pôle emploi ou un autre organisme d’aide à la recherche d’emploi au cours des 3 derniers mois jusqu’à la semaine de référence de l’enquête, 10% sont considérées comme inactives au sens du BIT. Ces proportions donnent ainsi des ordres de grandeur pour l’effet attendu du passage en formation sur l’inactivité et le chômage.

Lors de notre dernier exercice de prévision, nous avons retenu une montée en charge progressive du dispositif à partir du deuxième trimestre 2016, avec 300 000 formations supplémentaires en 2016 et 200 000 en 2017, compte tenu du délai de mise en place des nouvelles formations. La durée des formations est fixée à 2,4 mois, ce qui correspond à la durée moyenne des formations du « Plan 100 000 » en 2014. Une durée moyenne plus élevée se traduirait par une hausse plus marquée du stock de chômeurs en formation, avec un effet plus important sur l’évolution de la population active.

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Nous avons considéré que l’effet du plan de formation sur les emplois vacants serait nul. Si la formation dispensée aux chômeurs de longue durée accroît individuellement leur probabilité de retour à l’emploi, il est à ce stade difficile d’évaluer son impact sur l’emploi macroéconomique car cela suppose de quantifier les emplois non pourvus qui seraient pourvus grâce au plan de formation. Or, compte tenu de la situation générale de l’économie française caractérisée par un output gap négatif et donc un déficit de demande, l’emploi total ne peut augmenter à court terme du simple fait de la formation des chômeurs. L’effort de formation en leur faveur aurait surtout pour conséquence de modifier à court terme leur place dans la file d’attente de l’emploi. Toutefois, un effet négatif se traduirait par une baisse du stock d’emplois vacants et accentuerait la baisse du chômage inscrite en prévision.

Les chômeurs de longue durée entrés en formation en 2016 sortiraient donc provisoirement de la population active pour y être à nouveau comptabilisés en 2017. Compte tenu de ces hypothèses, le nombre de chômeurs en formation passerait ainsi de 257 000 fin 2015 à 363 000 fin 2016 (graphique 1), ce qui correspondrait à une baisse de la population active comprise entre 16 000 et 55 000 personnes en 2016 selon l’impact retenu. Une plus forte concentration des formations sur l’année 2016 se traduirait par une baisse plus rapide du chômage. A contrario, si une partie des formations se substituait aux formations hors « Plan 500 000 », cela réduirait le total des entrées en formation en 2016-2017, et l’effet attendu sur le chômage.

 

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L’effet du Plan de formation sur le taux de chômage atteindrait son maximum au quatrième trimestre 2016, le taux de chômage baissant de 0,05 à 0,15 point. Si l’ensemble des entrées en formation se traduisait par une comptabilisation des personnes en inactivité, l’effet maximum serait porté à –0,5 point de taux de chômage. La fin progressive du Plan de formation ainsi que le retour des personnes en formation au sein de la population active se traduisent par un effet nul du plan de formation sur le chômage dès la fin d’année 2017. Mécaniquement, une montée en charge différente des entrées en formation modifierait le profil de l’impact du Plan de formation sur le taux de chômage, sans pour autant modifier les créations d’emplois.

[1] La hausse du nombre de demandeurs d’emploi en formation devrait se traduire par un transfert essentiellement des demandeurs d’emploi de la catégorie A (demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi, sans emploi) vers la catégorie D (demandeurs d’emploi non tenus de rechercher un emploi (en raison d’une formation, d’une maladie, …) y compris les demandeurs d’emploi en contrat de sécurisation professionnelle (CSP), sans emploi).

[2] D’une durée maximale de 400 heures, ces formations préalables à l’embauche sont financées par Pôle emploi. Elles permettent au demandeur d’emploi d’acquérir des compétences nécessaires pour occuper un emploi correspondant à une offre déposée par une entreprise à Pôle emploi. Cf. Enquête « sortants de formation prioritaire 2014, » Pôle Emploi, Éclairages et Synthèses, n°17, septembre 2015.

[3] Crépon Bruno, Marc Ferracci, et Denis Fougère, “Training the Unemployed in France: How Does It Affect Unemployment Duration and Recurrence?”. Annals of Economics and Statistics 107/108 (2012): 175–199.

[4] Formation non formelle hors cours de sport et cours liés à des activités culturelles ou de loisirs.

[5] Il apparaît aussi que parmi les inactifs ayant suivi, au cours des 3 derniers mois jusqu’à la semaine de référence de l’enquête, une formation proposée par Pôle emploi ou un autre organisme d’aide à la recherche d’emploi, environ 50% déclarent être indisponibles au motif qu’ils achèvent leur formation.




La suppression de la Dispense de recherche d’emploi : quand les gouvernements augmentent volontairement le décompte des chômeurs !

par Gérard Cornilleau et Bruno Ducoudré

Entre le dernier trimestre de 2008 et le troisième trimestre de 2015, le chômage, mesuré au sens du BIT[1], a augmenté de 962 000 personnes en passant de 2 millions à 2,9 en France métropolitaine, soit une hausse de l’ordre de 48 % (+2,8 points de taux de chômage). Le chômage des seniors de 55 ans et plus a plus que doublé, passant de 122 000 à 303 000 personnes entre 2008 et 2014 (+3 points de taux de chômage). Le nombre de demandeurs d’emplois de 55 ans et plus enregistré par Pôle emploi en catégorie A (celle qui se rapproche le plus de la définition du chômage par le BIT) a quant à lui augmenté de 372 000 entre les fins décembre 2008 et 2014, ce qui correspond à un quadruplement des seniors demandeurs d’emploi. Dans le même temps, le total des demandeurs d’emploi de catégorie A[2] passait de 2,25 millions à 3,25 soit une hausse de l’ordre de 53 %. Peu concernés par le chômage avant la crise, les seniors auraient donc connu une forte dégradation de leurs situations absolue et relative. Cette évolution était attendue car le recul de l’âge de la retraite implique que les seniors restent actifs  plus longtemps : certains en emploi d’autres au chômage. C’est bien ce que l’on a observé avec une augmentation de 11 points du taux d’emploi des 55-59 ans et de plus de 9 points de celui des plus de 60 ans entre 2008 et 2014. Le bilan de l’évolution de la situation des seniors sur le marché du travail au cours de la crise est donc contrasté : d’un côté, on a observé une hausse importante de l’emploi dans un contexte de crise ; de l’autre, le nombre de chômeurs a fortement augmenté, ce qui confirme la difficulté de retrouver un emploi après 55 ans et la situation fragile des actifs en fin de carrière.

Ce constat doit être nuancé car au cours de la même période une réforme administrative est venue perturber la mesure du chômage des seniors. Jusqu’en 2008, les plus de 50 ans pouvaient en effet être dispensés de recherche d’emplois. Cette dispense leur évitait d’avoir à actualiser mensuellement leur inscription à l’ANPE (puis à Pôle emploi) lorsqu’ils étaient, en pratique, en attente de leur départ en retraite. Pour les demandeurs d’emploi approchant l’âge légal de la retraite ayant un horizon de vie active très court[3], le plus souvent indemnisés et à peu près certains de ne pas pouvoir retrouver un emploi, cette mesure permettait de mettre en cohérence leur position administrative avec la réalité de leur situation : ces personnes, à quelques mois de la retraite, n’étaient effectivement pas à la recherche d’un emploi et il n’était ni réaliste, ni socialement justifié de leur imposer des actions de recherche active d’emploi ou la participation à une formation inutile.

La possibilité d’être dispensé de recherche d’emploi a toutefois été supprimée au motif de ce qu’elle pouvait être incitative à la sortie prématurée de l’activité. La DRE (Dispense de recherche d’emploi) ne concernait que les demandeurs d’emploi et elle ne prenait place qu’une fois la sortie d’activité réalisée. Contrairement à la préretraite, qui garantissait en plus une rémunération jusqu’à la retraite dont le montant était en général plus élevé que l’indemnisation du chômage, elle ne constituait donc pas une incitation importante. On a d’ailleurs pu observer qu’une fois cette dispense supprimée, le nombre de sorties d’activité vers le chômage n’a pas diminué. Les seuls effets auront été sociaux en imposant aux chômeurs âgés une recherche « active » sans grandes chances d’aboutir, et statistique en majorant le nombre des demandeurs d’emploi de catégorie A.

L’impact de la suppression de la DRE sur la statistique du nombre de demandeurs d’emploi explique probablement une part de la hausse du chômage des seniors âgés de 55 ans et plus. Autrement dit le changement de « thermomètre » lié à la disparition des DRE aura biaisé à la hausse l’évolution du chômage depuis 2008. Contrairement à l’habitude, le traitement statistique aura ainsi été à rebours de l’objectif habituel de minoration du chômage. Mais dans quelle proportion ?

Pour évaluer la dérive statistique du nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi en catégorie A, on fait l’hypothèse que si l’on avait maintenu la dispense de recherche d’emploi, le taux de DRE aurait évolué parallèlement à l’allongement de la durée séparant les seniors de 55 ans et plus de l’âge de la retraite requis pour bénéficier du taux plein de la retraite[4]. Ce déplacement homothétique du taux de DRE et de l’âge de la retraite aurait conduit à une légère baisse du taux de DRE moyen dont nous avons donc tenu compte.

Le graphique 1 montre que le biais qui résulte de la suppression de la DRE est très important. La disparition de la DRE expliquerait la moitié de la hausse du nombre d’inscrits de 55 ans et plus depuis 2008 : l’augmentation observée de 557 000 chômeurs n’aurait été que de 224 000 ; en fin d’année 2015, le niveau observé du nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A aurait été plus faible de 330 000.

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Corrigé de la suppression des dispenses de recherche d’emploi, la hausse du nombre de seniors demandeurs d’emploi de plus de 55 ans apparaît moins marquée : il aurait augmenté de 224 000 entre décembre 2008 et décembre 2015 alors que la population active correspondante augmentait dans le même temps de plus de 1,1 million[5].

L’impact de la suppression de la DRE sur le taux de chômage au sens du BIT peut également être évalué à partir de l’enquête emploi[6]. La plus grande partie des DRE est considérée comme inactive (84% en 2008), les autres personnes se déclarant dispensées étant soit considérées comme chômeurs au sens du BIT (9% en 2008), soit en emploi (7% en 2008). Pour évaluer l’impact de la suppression de la DRE sur le taux de chômage, on suppose le maintien du ratio de personnes inactives en DRE sur « inactifs DRE + chômeurs » à son niveau de 2008, par âge pour les 55-65 ans, en faisant évoluer ce taux à partir de 2010 pour prendre en compte le décalage de l’âge minimum de liquidation de la retraite. Il en résulte que le taux de chômage au sens du BIT aurait été inférieur de 0,4 point à son niveau observé en 2014, soit 110 000 chômeurs de moins au sens du BIT[7]. Le taux de chômage des 55-64 ans aurait augmenté de 0,6 point entre 2008 et 2014 contre 3,3 points observés.

 

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Ce diagnostic qui relativise la hausse du chômage des seniors observée depuis 2008 ne dit rien de la situation financière et sociale des sans-emplois de 55 ans et plus : le maintien des dispenses de recherche d’emploi les aurait simplement sortis de la catégorie A des demandeurs d’emploi, sans changer leur situation en matière de revenus.

Etablir un bilan précis de la suppression de la DRE est difficile et nous n’avons pas tenté de l’établir ici. Il est toutefois utile de rappeler que la situation des seniors au chômage est très hétérogène entre ceux, chômeurs de longue durée, qui ne disposent que d’une faible indemnisation du chômage ou du RSA[8] et les « faux préretraités » ayant pu négocier une rupture conventionnelle de leur contrat de travail et bénéficiaires, jusqu’au moment de leur retraite, d’une indemnisation pleine. Ces deux catégories très différentes sur le plan social, ont en commun d’avoir très peu de chance de retrouver un emploi. On peut d’ailleurs facilement imaginer qu’elles sont très peu actives à cet égard. Leur maintien en catégorie A est dans ces conditions parfaitement illusoire.

La DRE entérinait une situation de fait qu’on a voulu ignorer en la supprimant. Dès lors, on a créé une situation assez hypocrite dans laquelle les seniors sortis de l’emploi sont sommés d’en rechercher un activement, fusse quelques mois avant leur départ en retraite, alors que l’état du marché du travail ne permet pas d’envisager que ces démarches puissent aboutir.

Le traitement social du chômage, qu’on a diabolisé au motif de la désincitation au travail, mériterait certainement d’être réintroduit pour les seniors en fin de carrière exclus de leur emploi par accident (faillite de l’entreprise, fermeture de site, …) ou en accord avec leur entreprise par le biais d’une rupture conventionnelle avantageuse. Cette gestion sociale devrait sans doute s’appuyer sur plusieurs actions selon qu’elle viserait à retenir dans l’emploi les seniors[9], ou à améliorer les revenus et la situation sociale des chômeurs de longue durée âgés ou à très faibles ressources. Des emplois subventionnés réservés aux seniors (sur le modèle des emplois jeunes) pourraient par exemple aider ceux qui sont encore loin de l’âge de la retraite. Enfin la dispense de recherche d’un emploi pour ceux qui sont proches du départ en retraite, accompagnée d’une meilleure indemnisation pour les moins favorisés, ferait disparaître une exigence absurde d’activité et permettrait une réduction du nombre des inscrits en catégorie A qui est, comme on le sait, un objectif politique majeur des gouvernements. Il est assez paradoxal que pour d’assez mauvaises raisons, très liées à l’idéologie du « tout travail », les gouvernants aient finalement agi pour augmenter le nombre des demandeurs d’emplois comptabilisés et par ricochet le nombre de chômeurs BIT.

[1] Le chômage au sens du BIT regroupe les actifs sans emploi (i.e. n’ayant pas travaillé, ne serait-ce qu’une heure, dans la semaine de référence de l’enquête), à la recherche active d’un emploi et disponible pour en occuper un. La catégorie A des demandeurs d’emplois inscrits à Pôle emploi regroupe les sans-emplois n’ayant pas du tout travaillé dans le mois et soumis à une obligation de recherche active d’emploi.

[2] France métropolitaine.

[3] En 2008, 80 % des dispensés de recherche d’emploi avaient 58 ans et plus. Seuls 3 % avaient moins de 56 ans. Le nombre de DRE pour lesquels un effort de recherche d’emploi aurait été justifié par une espérance de vie en activité de l’ordre de cinq ans était donc très réduit. En pratique les DRE s’appliquaient bien à des chômeurs très proches de l’âge de la retraite.

[4] Le nombre de dispensés de recherche d’emploi avant 55 ans est très faible. Il a été négligé dans les calculs présentés ici.

[5] Précisément, d’après les données de l’enquête emploi, de 1,184 million entre les moyennes annuelles de 2008 et 2014.

[6] Jusqu’en 2012, les personnes âgées de 55 à 65 ans se déclarant dispensées de recherche d’emploi sont identifiables dans l’enquête. Pour 2013 et 2014, on utilise le nombre de DRE donné par la DARES, que l’on impute par âge à partir de la répartition par âge donnée par la DARES pour 2013. La répartition des DRE entre actif/inactif/chômeur au sens du BIT est celle de l’enquête emploi pour 2012.

[7] L’écart entre la hausse des demandeurs d’emploi liée à la suppression de la DRE et la hausse des chômeurs au sens du BIT s’explique par le fait qu’au sein des demandeurs d’emploi en DRE, une partie des seniors peut exercer une activité, ou rechercher activement un emploi et être ainsi considérée comme chômeur dans l’enquête emploi. L’écart s’explique aussi par la différence des sources de données : données administratives pour la DARES-Pôle emploi contre données d’enquête pour l’Insee.

[8] Les plus de 60 ans bénéficiaires de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) ou du RSA bénéficient en outre d’une prime transitoire de solidarité (PTS) de 300 € par mois

[9] Pourquoi pas une autorisation administrative pour les ruptures conventionnelles concernant les plus de 55 ans ? La législation actuelle prévoit déjà une homologation des ruptures conventionnelles mais le contrôle de l’administration ne porte que sur le respect des formes (délais de rétractation conforme, montant des indemnités, etc.) et sur la vérification de la liberté de consentement des parties. Pour les plus de 55 ans il serait possible d’élargir le champ du contrôle de manière à tenir compte de l’intérêt général et des conséquences, y compris pour l’assurance chômage, des arrangements opportunistes entre salariés et entreprises permettant de réintroduire un système opaque de préretraites démissions.




Quelle stratégie pour le rééquilibrage interne de la zone euro ?

par Sébastien Villemot et Bruno Ducoudré

Depuis le déclenchement de la crise financière, la zone euro a fait des efforts importants pour résorber ses déséquilibres commerciaux. En 2009, seuls l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Autriche présentaient un excédent de leur compte courant, tandis que tous les autres, et en particulier la France, l’Italie et l’Espagne enregistraient un déficit courant, de sorte que le solde courant de la zone euro était déficitaire (−0,7 % du PIB). Cinq années plus tard, en 2014, la situation est radicalement différente. La zone euro présente un important excédent courant de 3,4 % du PIB ; la quasi-totalité des pays sont en excédent courant (graphique).

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Il ne faut pas pour autant en conclure que la zone euro a corrigé ses déséquilibres commerciaux car plusieurs motifs d’inquiétude subsistent. D’une part, une partie des excédents courants sont de nature conjoncturelle, en particulier dans les pays du Sud, du fait d’une demande interne déprimée. D’autre part, de par son ampleur, l’excédent courant de la zone euro est porteur de risques déflationnistes : si la politique monétaire expansionniste de la BCE permet pour le moment de contenir les pressions à l’appréciation de l’euro, ces dernières finiront par se matérialiser une fois que le cycle monétaire entrera dans sa phase de normalisation, engendrant de la déflation importée et des pertes de compétitivité vis-à-vis du reste du monde.

Mais surtout, la résorption du déficit courant de la zone euro vis-à-vis du reste du monde ne signifie pas que les déséquilibres internes à la zone aient été corrigés. L’analyse que nous avons menée dans le rapport iAGS 2016 montre que ceux-ci restent importants, même s’ils se sont réduits depuis le début de la crise.

A partir d’une maquette permettant de simuler l’évolution des balances courantes des pays de la zone euro en fonction des différentiels de compétitivité-prix[1], nous avons calculé les ajustements nominaux au sein de la zone euro nécessaires pour atteindre des balances courantes équilibrées pour tous les pays. L’équilibre est ici défini comme la stabilisation de la position extérieure nette, à un niveau compatible avec les procédures européennes (c’est-à-dire supérieure à −35 % du PIB), et une fois les écarts de production refermés dans tous les pays.

Le tableau ci-dessous présente le résultat de ces simulations et permet de rendre compte des ajustements opérés depuis le début de la crise, et des ajustements restant à réaliser relativement à l’Allemagne, utilisée comme point de référence.

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En 2014 les désajustements nominaux en zone euro restent importants. Plusieurs groupes de pays émergent. L’Autriche et les Pays-Bas sont sur un pied d’égalité avec l’Allemagne. À l’opposé, la Grèce doit effectuer une dépréciation de près de 40 % par rapport à l’Allemagne, en dépit des sacrifices déjà consentis ; car, même si la balance courante grecque est aujourd’hui proche de l’équilibre, cela est dû à l’écart de production qui est très creusé (−12,6 % en 2014 selon l’OCDE) et qui a artificiellement amélioré le solde extérieur par compression de la demande interne. Entre ces deux extrêmes se trouve un groupe de pays qui doit procéder à une dépréciation d’environ 20 % par rapport à l’Allemagne, et qui inclut la France, l’Espagne, le Portugal, la Belgique et la Finlande. L’Italie quant à elle est dans une position un peu meilleure, avec 10 % de dépréciation relative requise, grâce à son compte courant en surplus (1,9 % du PIB en 2014) et sa position extérieure nette relativement favorable (−27,9 % du PIB).

Ces déséquilibres nominaux ne peuvent pas être résolus par des mouvements de taux de change, puisque tous ces pays partagent la même monnaie. L’ajustement doit donc être réalisé par le biais de mouvements de prix relatifs, autrement dit par des différentiels de taux d’inflation entre pays. Ainsi, l’inflation en Allemagne (ainsi qu’aux Pays-Bas et en Autriche) doit être durablement plus élevée que celle du groupe intermédiaire, qui doit elle-même être plus élevée que celle de la Grèce. Et, compte tenu de l’importance des salaires dans la détermination des prix de valeur ajoutée, ce résultat sera essentiellement obtenu par des différentiels dans l’évolution des coûts salariaux unitaires nominaux.

Plusieurs stratégies sont possibles pour parvenir à cet objectif. Celle qui a été suivie jusqu’à présent a consisté à faire de la réduction des coûts salariaux la norme, dans une logique non coopérative de course à la compétitivité. L’Allemagne ayant choisi de contenir fortement ses prix et ses salaires, les autres pays n’ont pu s’ajuster qu’en diminuant encore plus leurs coûts, que ce soit par des baisses de salaires (comme en Grèce ou en Espagne) ou par la baisse des prélèvements sur les entreprises (comme en France). Ces stratégies ont certes permis de réduire les déséquilibres au sein de la zone depuis 2008, comme le montre notre tableau, mais l’ajustement est encore loin d’être achevé, et surtout le coût économique en fut important. La baisse des salaires dans les pays du Sud a pesé sur la demande, et donc sur l’activité, tandis que les pressions déflationnistes ont été renforcées et restent menaçantes malgré l’action énergique de la BCE.

Une autre politique consisterait à coordonner les évolutions salariales au sein des pays de la zone euro, afin de permettre à la BCE d’atteindre son objectif d’inflation de 2 %, tout en résorbant les désajustements nominaux. Chaque pays se fixerait une cible d’évolution de ses coûts salariaux unitaires. Les pays actuellement sous-évalués (Allemagne, Pays-Bas, Autriche) auraient une cible supérieure à 2 %, tandis que les pays surévalués auraient une cible positive mais inférieure à 2 %. Une fois les déséquilibres résorbés, ce qui prendra nécessairement de nombreuses années, les cibles pourraient être harmonisées à 2 %.

L’ajustement relatif des coûts salariaux unitaires peut aussi passer par les différentiels de gains de productivité. Ce point renforce l’importance des politiques de relance de l’investissement dans la zone euro, à même d’améliorer la productivité et la compétitivité des pays devant réaliser un ajustement nominal important. L’ajustement des coûts salariaux unitaires par ce biais permettrait ainsi de relâcher un peu plus la pression à la baisse sur les salaires et la demande interne en zone euro.

Une telle politique représenterait un changement profond dans la gouvernance économique de la zone euro, et demanderait une stratégie de coopération renforcée. Le maintien de la cohésion de l’Union monétaire est pourtant à ce prix.

[1] même si la compétitivité-hors prix joue également un rôle dans les mécanismes commerciaux, nous avons fait abstraction de celle-ci faute de mesure quantitative adéquate.




Que nous apprennent les données macro-sectorielles sur les premiers effets du CICE ? Evaluation pour la période 2014-2015t2

Par Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Mathieu Plane

A la suite de la remise du Rapport Gallois sur le Pacte de compétitivité pour l’industrie française, le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE) a été instauré par la loi du 29 décembre 2012. Il s’agit d’un crédit d’impôt qui permet à une entreprise de déduire de son impôt sur les bénéfices une somme égale à 6 % des salaires bruts (hors cotisations sociales patronales) versés aux salariés dont la rémunération est inférieure ou égale à 2,5 fois le SMIC.

Dans une étude que nous venons de publier (Document de travail OFCE, n° 2015-29), nous utilisons l’information contenue dans les comptes nationaux trimestriels jusqu’au deuxième trimestre 2015 pour 16 branches de l’économie française afin d’obtenir une première analyse des effets du CICE sur l’économie.

Les premiers résultats indiquent que le CICE contribuerait depuis sa mise en place à deux effets significatifs concernant les salaires et l’emploi. Les branches ayant reçu le plus de CICE ont vu une augmentation relative de leurs salaires et davantage de créations ou de sauvegardes d’emplois. Nous trouvons également un effet relatif négatif sur les prix de valeur ajoutée (effet compétitivité-coût) mais cet effet nous semble plus fragile à ce stade, car il nécessite pour être significatif d’exclure trois branches de l’estimation (secteur non marchand, services à la personne, services immobiliers).

Ainsi, selon les résultats de nos estimations sur les 16 branches, pour un montant de CICE équivalent à 1% de la masse salariale, l’emploi d’une branche relativement aux autres branches augmenterait de 0,5% et les salaires augmenteraient de 0,7%. Enfin, à partir des résultats des estimations réalisées simultanément, nous pouvons quantifier ces effets relatifs interbranches, qui seraient de 1,1% pour les salaires et de 120 000 pour l’emploi (création ou sauvegarde).

Mais attention, ces effets relatifs ne doivent pas être interprétés comme un impact macroéconomique global du CICE. Plus précisément, la méthode d’évaluation ne permet ni de déterminer les effets macroéconomiques à moyen et long terme du CICE, ni de donner une répartition précise de son affectation entre hausse des salaires et de l’emploi, baisse des prix et restauration des marges des entreprises. En effet, cette méthode ne prend pas en compte l’ensemble des canaux de diffusion du CICE sur l’économie. Or ceux-ci sont de plusieurs ordres : la baisse des prix de valeur ajoutée dans une branche peut se répercuter sur d’autres branches utilisatrices ; les effets positifs du CICE à attendre sur l’activité peuvent se traduire par un surcroît d’emplois et de salaires non mesuré ici (effet de bouclage macroéconomique) ; à contrario, les effets négatifs du financement du CICE via une hausse des impôts et une moindre progression de la dépense publique peuvent peser sur l’activité, l’emploi, les salaires et les prix (effet de financement de la mesure). Plus généralement, l’ensemble des travaux portant sur des données par branche ou microéconomiques ne sera pas à même d’évaluer les effets macroéconomiques du CICE.

Une prochaine étape consistera à intégrer ces élasticités estimées par branche dans des simulations réalisées à l’aide d’un modèle macro-sectoriel de façon à prendre en compte les effets du bouclage macroéconomique, des interdépendances sectorielles et du financement de la mesure. En utilisant le modèle multisectoriel d’équilibre général dynamique ThreeME développé à l’OFCE, et qui intègre notamment des effets tels que ceux du commerce extérieur ou les relations interbranches, il sera possible de présenter les effets macroéconomiques ex post du CICE sur l’emploi, les salaires et les prix, mais aussi sur l’activité économique, les taux de marge, l’investissement et le commerce extérieur.

 

 




The labour market: is the unemployment rate a good indicator?

By Bruno Ducoudré and Pierre Madec

Considering the euro zone on the one hand and the United States and the United Kingdom on the other, changes in unemployment rates are a reflection of the divergences in growth highlighted in our last fiscal year forecast. While between 2008 and late 2010, trends in unemployment reflected the sharp deterioration in growth and did not differ much between the euro zone, the UK and the USA, differences began to emerge from 2011. In the United Kingdom and the United States, unemployment has been falling since 2011, whereas, after a brief respite, a second phase of rising rates took place in most euro zone countries (Table 1). It was only more recently that the unemployment rate has really begun to fall in Europe (late 2013 in Spain and early 2015 in France and Italy). Overall, for the period 2011-2015 the rate rose overall (+2.7 points) in Spain. In Italy, this deterioration in the labour market even worsened (+4.5 points in this period, against +2.2 points from early 2007 to late 2010). France, though to a lesser extent, was not spared.

An analysis of the unemployment rate does not however convey the full dynamics at work in the labour market (Tables 2 and 3), in particular in terms of underemployment. Thus during the crisis most European countries reduced the effective working time [1] to a greater or lesser degree, through policies on partial unemployment, the reduction of overtime, or the use of working-time accounts, but also through the expansion of part-time work (especially in Italy and Spain), including on an involuntary basis. Conversely, the favourable trend in the US labour market is partly due to a significant decline in the participation rate, which stood in the first quarter of 2015 at 62.8%, 3.3 points lower than eight years ago.

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In order to measure the impact of these adjustments (working time and participation rate) on unemployment, it is possible, subject to a number of assumptions [2], to calculate the unemployment rate at constant employment and control for these adjustments. Except for the United States, where the participation rate has fallen sharply since 2007, all the countries studied experienced an increase in their labour force (employed + unemployed) that was greater than in the general population; in many countries this was due to pension reforms. Mechanically, in the absence of job creation, the impact of this demographic trend is to push up the unemployment rate in the countries concerned. For instance, if the participation rate had remained at its 2007 level, the unemployment rate would be lower by 1.6 points in France and 1.1 points in Italy (Table 4). Conversely, without the significant contraction in the US labour force, the unemployment rate would have been more than 3 points higher than what was seen in 2015. Also note that since the crisis Germany has experienced a significant drop in unemployment (-4.2 points) even though its participation rate grew by 2.2 points. Assuming an unchanged participation rate, Germany’s unemployment rate would be 3.1% (Figure 1).

In terms of working time, the lessons seem quite different. It thus appears that if working time had been maintained in all the countries at its pre-crisis level, the unemployment rate would have been more than 3 points higher in Germany and Italy and about 1 point higher in France and Spain, countries in which working time decreased sharply only from 2011. In the US and UK, the situation is very different: working time has changed only very little since the crisis. By controlling for working time, the unemployment rate thus changes along the lines observed in the two countries.

The tendency for working time to fall is a familiar story. Since the late 1990s, all the countries studied have greatly reduced their working hours. In Germany, between 1998 and 2008, the reduction was on average 0.6% per quarter. In France, the transition to the 35-hour week caused a similar reduction over the period. In Italy, the United Kingdom and the United States, the downward shifts in average working hours were respectively -0.3%, -0.4% and -0.3% per quarter. In total, between 1998 and 2008, working time fell by 6% in Germany and France, 4% in Italy, 3% in the United Kingdom and the United States and 2% in Spain, which was de facto the only country that during the crisis intensified the decline in working time that started in the late 1990s.

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[1] Working time is understood here as the total number of hours worked by employees and the self-employed (i.e. total employment).

[2] It is assumed that, at constant use, a one-point increase in the participation rate leads to an increase in the unemployment rate. Employment and working time are not considered here in full-time equivalents. Finally, neither the “halo of unemployment” nor any possible “bending effects” are taken into account.

 




Marché du travail : le taux de chômage est-il un bon indicateur ?

par Bruno Ducoudré et Pierre Madec

Entre la zone euro d’une part et les Etats-Unis et le Royaume-Uni d’autre part, les évolutions des taux de chômage sont à l’image des divergences de croissance mises en évidence au sein de notre dernier exercice de prévision. Alors qu’entre 2008 et la fin 2010, les dynamiques des taux de chômage étaient proches en zone euro, au Royaume-Uni et aux États-Unis et reflétaient la forte dégradation de la croissance, des différences apparaissent à partir de 2011. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, le chômage diminue depuis 2011 tandis qu’il amorce une seconde phase de hausse dans la plupart des pays de la zone euro (tableau 1), après un très bref repli. Ce n’est que plus récemment que la décrue s’est réellement engagée en Europe (fin 2013 en Espagne et début 2015 en France et en Italie). Au final, sur la période 2011-2015, le taux de chômage a continué de croître (+2,7 points) en Espagne. En Italie, cette dégradation du marché du travail s’est même accentuée (+4,5 points, contre 2,2 points entre début 2007 et fin 2010). Dans une moindre mesure, la France n’est pas épargnée.

Malgré tout, l’analyse des taux de chômage ne dit pas tout des dynamiques à l’œuvre sur les marchés de l’emploi (tableaux 2 et 3), et notamment sur le sous-emploi. Ainsi la plupart des pays européens ont, au cours de la crise, réduit plus ou moins fortement la durée effective de travail[1], via des politiques de chômage partiel, la réduction des heures supplémentaires ou le recours aux comptes épargne-temps, mais aussi via le développement du temps partiel (particulièrement en Italie et en Espagne), notamment le temps partiel subi. A contrario, l’évolution favorable du marché du travail américain s’explique en partie par une baisse importante du taux d’activité. Ce dernier s’établissait au premier trimestre 2015 à 62,8 %, soit 3,3 points de moins que 8 ans auparavant.

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Afin de mesurer l’impact de ces ajustements (durée du travail et taux d’activité) sur le chômage, il est possible, sous un certain nombre d’hypothèses[2], de calculer le taux de chômage à emploi constant et contrôlé de ces ajustements. Excepté aux Etats-Unis, où le taux d’activité s’est fortement réduit depuis 2007, l’ensemble des pays étudiés ont connu une augmentation de leur population active (actifs occupés + chômeurs) plus importante que celle observée dans la population générale, du fait des réformes des retraites dans plusieurs pays. Mécaniquement, sans création d’emploi, ce dynamisme démographique a pour effet d’accroître le taux de chômage des pays concernés. Ainsi, si le taux d’activité s’était maintenu à son niveau de 2007, le taux de chômage serait inférieur de 1,6 point en France et de 1,1 point en Italie (tableau 4). A contrario, sans la contraction importante de la population active américaine, le taux de chômage aurait été supérieur de plus de 3 points à celui observé en 2015. Il apparaît également que l’Allemagne a connu depuis la crise une baisse importante de son chômage (-4,2 points) alors même que son taux d’activité croissait de 2,2 points. A taux d’activité inchangé, le taux de chômage allemand serait de 3,1% (graphique 1).

Concernant la durée du travail, les enseignements semblent bien différents. Il apparaît ainsi que si la durée du travail avait été maintenue dans l’ensemble des pays à son niveau d’avant-crise, le taux de chômage aurait été supérieur de plus de 3 points en Allemagne et en Italie et d’environ 1 point en France et en Espagne, pays dans lequel la durée du travail ne s’est réduite fortement qu’à partir de 2011. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, le constat est tout autre : le temps de travail n’a que très peu évolué depuis la crise. En contrôlant le temps de travail, le taux de chômage évolue donc comme celui observé dans ces deux pays.

Il faut rappeler que les dynamiques de baisse de la durée du travail sont anciennes. En effet, depuis la fin des années 1990, l’ensemble des pays étudiés ont fortement réduit leur temps de travail. En Allemagne, entre 1998 et 2008, cette baisse a été en moyenne de 0,6 % par trimestre. En France, le passage aux 35 heures a entraîné une baisse similaire sur la période. En Italie, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, ces ajustements à la baisse de la durée moyenne du travail ont été respectivement de -0,3 %, -0,4 % et -0,3 % par trimestre. Au total, entre 1998 et 2008, la durée du travail a été réduite de 6 % en Allemagne et en France, de 4 % en Italie, de 3 % au Royaume-Uni et aux Etats-Unis et de 2 % en Espagne, de facto seul pays à avoir intensifié, durant la crise, la baisse du temps de travail entamée à la fin des années 1990.

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[1] La durée du travail est ici entendue comme le nombre d’heures travaillées totales par les salariés et les non-salariés (i.e. l’emploi total).

[2] Il est supposé qu’une hausse d’un point du taux d’activité entraîne, à emploi constant, une hausse du taux de chômage. L’emploi et la durée du travail ne sont ici pas considérés en équivalent temps plein. Enfin, ne sont pas pris en compte ni les possibles « effets de flexion » ni le « halo du chômage »




Le marché du travail sur la voie de la reprise

par Bruno Ducoudré

Les chiffres du mois de septembre 2015 publiés par Pôle Emploi font apparaître, après la hausse enregistrée du mois d’août (+20 000), une baisse significative du nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pole Emploi et n’exerçant aucune activité (catégorie A) de 23 800 personnes.  Si ce chiffre est encourageant, il est à mettre en regard avec les augmentations observées en catégories B et C (+25 600). Ainsi, si des reprises d’emploi ont bien eu lieu, elles n’ont pas entraîné de sorties du chômage tel que mesuré par Pôle Emploi, n’enrayant ainsi pas la hausse continue du nombre de demandeurs d’emploi de longue durée (+10,4% en an). Malgré tout, ces évolutions viennent conforter les enseignements tirés de l’analyse conjoncturelle et visant à mettre en lumière l’enclenchement d’une reprise de l’activité.

Après 76 000 emplois créés en France en 2014 grâce au dynamisme des emplois non-marchands, le premier semestre 2015 a été marqué par une augmentation des effectifs dans le secteur marchand (+26 000) conduisant à une accélération des créations d’emplois dans l’ensemble de l’économie (+45 000) sur la première moitié de l’année. Les statistiques récentes portant sur l’emploi confirment cette tendance à l’accélération pour le troisième trimestre 2015 : ainsi sur un an, les déclarations d’embauche de plus d’un mois enregistrées par l’Acoss augmentent de 3,7 %, après +0,7 % au trimestre précédent. Les enquêtes auprès des entreprises signalent également une hausse des intentions d’embauches au troisième trimestre, celles-ci étant redevenues positives depuis le début de l’année dans le secteur des services, et le creux dans la construction ayant été vraisemblablement atteint en début d’année (cf. graphique 1).

Notre analyse du marché du travail à l’horizon 2017, détaillée dans le dernier exercice de prévisions de l’OFCE d’octobre 2015, indique que le secteur marchand continuerait à créer des emplois d’ici la fin d’année 2015 (+0,1 % aux troisième et quatrième trimestres). Ce rythme de créations d’emplois resterait toutefois trop faible pour envisager une baisse du taux de chômage d’ici la fin de l’année, compte tenu de notre prévision pour le taux de croissance du PIB (+0,3 % au troisième trimestre et de +0,4 % au quatrième trimestre 2015) et de la présence de sureffectifs dans les entreprises, que nous évaluons à 100 000 au deuxième trimestre 2015. Le taux de chômage se stabiliserait ainsi à 10 % jusqu’à la fin de l’année. Avec une croissance du PIB de 1,8 %, l’année 2016 serait marquée par une nette accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand une fois les sureffectifs absorbés par les entreprises, permettant une baisse du taux de chômage à partir du deuxième trimestre 2016. Cette baisse se poursuivrait jusqu’à la fin de l’année 2017.

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Les trois dernières années de faible croissance ont pesé sur l’emploi dans le secteur marchand (-73 000 emplois entre le début d’année 2012 et la fin 2014, cf. tableau). La vigueur de l’emploi dans le secteur non-marchand, soutenue par la montée en charge des contrats aidés (emplois d’avenir et contrats uniques d’insertion non-marchands) a permis de compenser ces destructions d’emplois marchands, l’emploi total progressant de 164 000 sur la même période, ce qui a freiné la progression du taux de chômage au sens du BIT : celui-ci est passé de 9 % de la population active fin 2011 à 10,1 % fin 2014 en France métropolitaine, soit +1,1 point d’augmentation.

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L’année 2015 marque une transition, avec une reprise des créations d’emplois dans le secteur marchand (+73 000 prévus sur l’ensemble de l’année) et un moindre dynamisme des créations d’emplois dans le non-marchand. Sur l’ensemble de l’année, l’accélération de la croissance (+1,1% prévu en moyenne annuelle en 2015 mais 1,4 % en glissement annuel) et la montée en puissance des politiques de baisse du coût du travail (CICE et Pacte de responsabilité) soutiendraient les créations d’emplois. Les effets cumulés du CICE et du Pacte de responsabilité, une fois pris en compte l’effet du financement, permettraient de créer ou de sauvegarder 42 000 emplois en 2015. Toutefois, les créations d’emplois seraient freinées par la présence de sureffectifs dans les entreprises[1] : en période d’accélération de l’activité économique, les entreprises absorbent généralement la main-d’œuvre sous-utilisée avant d’augmenter le volume d’emploi.

Du côté du secteur non-marchand, la politique de l’emploi continue de soutenir le marché du travail en 2015, via la hausse des contrats aidés. L’augmentation est cependant moins rapide que les années précédentes, le nombre d’emplois d’avenir atteignant un plafond en 2015 (graphique 2). Finalement, l’emploi total progresserait de 103 000 en 2015, ce qui permettrait une stabilisation du taux de chômage à 10 % d’ici la fin de l’année.

Pour 2016 et 2017, l’accélération de la croissance (avec respectivement 1,8 % et 2 %) combinée à la poursuite de la montée en puissance des politiques de baisse du coût du travail et à la fermeture du cycle de productivité courant 2016 permettraient une accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand. Les créations d’emplois s’élèveraient, en glissement annuel, à 238 000 en 2016 et 245 000 en 2017 pour le seul secteur marchand, soit un rythme comparable à celui observé entre la mi-2010 et la mi-2011 (+234 000 emplois créés). En revanche, en 2016, le nombre de contrats aidés dans le non-marchand prévu dans le Projet de loi de finances pour 2016 baisse par rapport aux années antérieures (200 000 CUI-CAE et 25 000 emplois d’avenir en 2016 contre respectivement 270 000 et 65 000 pour l’année 2015). Pour 2017, nous avons retenu l’hypothèse d’une stabilisation du stock de contrats aidés non-marchands. (cf. graphique 2). Au total, le retour durable des créations d’emplois dans les entreprises enclenchera la baisse du taux de chômage à partir du deuxième trimestre 2016. Bien que poussive, cette baisse devrait être durable, le taux de chômage atteignant 9,8 % de la population active fin 2016 et 9,4 % fin 2017.

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[1] La présence de sureffectifs dans les entreprises provient de l’écart de la productivité du travail à sa tendance de long terme, appelé cycle de productivité. Ce dernier est le résultat du délai d’ajustement de l’emploi à l’activité. Voir Ducoudré et Plane, 2015, « Les demandes de facteurs de production en France », Revue de l’OFCE, n°142.