Le clair-obscur du “forward guidance” de la BCE*

par Paul Hubert et Fabien Labondance

« The Governing Council expects the key interest rates to remain at present or lower levels for an extended period of time[1] ». Par ces mots prononcés le 4 juillet 2013 lors de la conférence de presse suivant la réunion mensuelle du Conseil des Gouverneurs, Mario Draghi amorce l’adoption par la Banque centrale européenne (BCE) d’une nouvelle stratégie de communication dite de forward guidance. Ces mots ont été depuis ce jour toujours inclus dans son allocution qui suit l’annonce de politique monétaire de la BCE, et il les a à nouveau répétés aujourd’hui[2]. Que faut-il en attendre ? Le forward guidance a été récemment adopté par plusieurs banques centrales, mais les modalités choisies par le BCE diffèrent et laissent entrevoir une efficacité limitée de cette mesure dans la zone euro.

La communication est devenue un élément à part entière de la conduite de la politique monétaire depuis que les taux directeurs sont maintenus à leur niveau plancher. Plus précisément, le forward guidance consiste à annoncer et à s’engager sur la trajectoire future du taux directeur. Par cet intermédiaire, les banques centrales souhaitent accroître la transparence de leur action et ancrer les anticipations. L’objectif est à la fois de préciser leur stratégie ainsi que leurs prévisions quant à l’évolution de la conjoncture. Dans le cas présent, les banques centrales souhaitent affirmer leur volonté de ne pas relever les taux d’intérêt dans un futur proche. Elles espèrent ainsi influencer les anticipations privées de taux courts, et donc les taux longs, afin de renforcer la transmission de la politique monétaire, et ainsi soutenir l’économie.

De la théorie…

Les promoteurs de la stratégie de forward guidance, au premier rang desquels figurent Eggertsson et Woodford (2003), suggèrent que l’efficacité de la politique monétaire peut être accrue avec une politique de taux d’intérêt stable et connue à l’avance. Cette proposition est justifiée par le fait que la demande de crédit dépend fortement des anticipations de taux d’intérêt à long terme, lesquelles dépendent des anticipations de taux à court terme. Ainsi, en annonçant à l’avance les niveaux futurs des taux d’intérêt, la banque centrale précise ses intentions et dissipe l’incertitude reposant sur ses futures décisions. Cette stratégie est d’autant plus pertinente en situation de trappe à liquidité lorsque les taux nominaux sont proches de zéro, comme c’est le cas actuellement. L’outil traditionnel des banques centrales est alors contraint, les taux d’intérêt nominaux ne pouvant être négatifs. Les banques centrales ne peuvent donc plus influencer le prix des prêts accordés mais sont en revanche en mesure de jouer sur les volumes via les mesures non conventionnelles[3]. Le canal des anticipations et l’envoi de signaux aux agents privés deviennent dès lors primordiaux et complètent l’assouplissement quantitatif.

Il est important de préciser que l’effet du forward guidance sur les taux longs et donc sur l’économie passe par la structure par terme des taux d’intérêt. Plusieurs théories tentent d’expliquer comment les taux varient en fonction de leur maturité. La structure par terme des taux d’intérêt peut être abordée sous l’angle de la théorie des anticipations qui suppose que les taux longs sont une combinaison des taux courts futurs anticipés et donc que les différentes maturités sont des substituts parfaits. De son côté, la théorie de la prime de liquidité suppose que les taux d’intérêt à long terme incluent une prime liée à l’existence d’un ou plusieurs risques à long terme. Enfin, une autre théorie repose sur l’hypothèse de segmentation du marché et stipule que les instruments financiers de différentes maturités ne sont que peu substituables et que leurs prix évoluent indépendamment. Si les investisseurs souhaitent détenir des actifs liquides, ils préféreront les instruments à court terme à ceux à long terme et leurs prix varieront dans des directions opposées. Dans le cas des deux premières théories uniquement, le forward guidance peut avoir l’effet désiré sur les taux longs.

…à la pratique

Avant la crise financière de 2008, certaines banques centrales avaient déjà mis en œuvre une telle stratégie. C’est le cas en Nouvelle-Zélande depuis 1997, en Norvège depuis 2005 et en Suède depuis 2007. Les Etats-Unis ont également mis en place cette stratégie de communication à plusieurs reprises alors que les taux étaient très bas. Le Federal Open Market Committee (FOMC) avait introduit de manière implicite le forward guidance dans sa communication en août 2003. Alors que son taux cible était à son plus bas historique, le FOMC mentionna que « that policy accommodation can be maintained for a considerable period[4] ». Ce vocabulaire propre au forward guidance demeura dans les communiqués du FOMC jusqu’à fin 2005. Il y réapparut en décembre 2008 et de manière plus précise en août 2011, lorsque Ben Bernanke, président de la Réserve Fédérale (ou « Fed ») des États-Unis, annonça que les conditions économiques justifiaient le maintien des taux des fonds fédéraux à un bas niveau au moins jusqu’à mi-2013. Depuis, l’annonce du 13 septembre 2012 précisant que la Fed ne relèvera pas ses taux avant mi-2015, prolonge précisément cette stratégie.

Pour comprendre quel pourrait être l’effet du forward guidance de la BCE, il est important de distinguer deux types de forward guidance : celui pour lequel l’action de la banque centrale est conditionnée à une période temporelle, et celui dépendant de variables économiques incluant des seuils déclenchant une action de sa part. Dans le cas de la Fed, les premières annonces mentionnées précédemment font référence à une période de temps. Mais depuis décembre 2012, la Fed conditionne dorénavant son engagement sur l’évolution future des taux à des seuils conjoncturels déclencheurs. Elle a ainsi annoncé que « les niveaux exceptionnellement bas des taux des Fed Funds le resteront aussi longtemps que le taux de chômage demeurera au-dessus de 6,5%, que l’inflation prévue à 1-2 ans ne dépassera pas de plus d’un demi-point l’objectif à long terme (2%) et que les anticipations d’inflation à plus long terme resteront bien ancrées.» L’arrivée de nouveaux membres au FOMC à partir de janvier 2014 pourrait cependant modifier le timing du prochain resserrement monétaire. De même, Mark Carney, nouveau gouverneur de la Banque d’Angleterre (BoE), a mis en place en août 2013 une stratégie de forward guidance signalant son intention de ne pas remonter les taux tant que le taux de chômage n’est pas repassé sous la barre des 7%. Cet engagement est néanmoins conditionnel à une inflation contenue, des anticipations d’inflation ancrées et à un effet neutre de cet engagement sur la stabilité financière.

Le forward guidance conditionnel à une durée de temps, adopté par la BCE (et comme nous le décrirons plus tard) présente un inconvénient majeur : les conditions économiques évoluant au cours de la période de temps en question, elles rendent l’engagement caduc. La crédibilité de l’annonce est donc très faible. Le forward guidance conditionnel à des seuils sur des variables économiques ne présente pas cet inconvénient. Un critère pour la crédibilité de ces engagements conditionnels à des seuils est néanmoins que les variables sous-jacentes choisies soient observables (PIB plutôt qu’output gap) et ne souffre pas d’erreurs de mesure (inflation plutôt qu’anticipations d’inflation) afin que les agents privés puissent évaluer si la banque centrale agit comme elle s’était engagée à le faire. Alors et seulement alors, les agents pourront avoir confiance dans ces annonces et la banque centrale sera en mesure d’influencer les anticipations de taux longs. Les avantages et inconvénients relatifs des deux types de forward guidance expliquent que la Fed soit passée de l’un à l’autre et que la BoE ait aussi pris un engagement lié à des seuils.

La mise en place d’un forward guidance conditionnel à un seuil pour une variable macroéconomique peut néanmoins concourir à brouiller les pistes concernant la hiérarchie des objectifs de la banque centrale. Si plusieurs variables sont ciblées simultanément et que leurs évolutions divergent, quelles seront ses futures décisions ? La Fed ne hiérarchise pas ses objectifs. Qu’elle souhaite, en sortie de crise, s’assurer de la vigueur du PIB ou de la diminution du chômage plutôt que de l’inflation est dès lors tout à fait envisageable. De son côté, la BoE suit une stratégie de ciblage d’inflation. Elle a ainsi défini des conditions (« knockouts ») sur l’inflation, les anticipations d’inflation et la stabilité financière, qui dès lors qu’elles ne seraient pas respectées, entraîneraient la fin du forward guidance et donc de l’engagement à maintenir les taux inchangés. La hiérarchie des objectifs serait donc bien respectée, et la crédibilité de la BoE maintenue.

Quelle peut être l’efficacité du forward guidance? Kool et Thornton(2012) expriment de sérieux doutes quant aux résultats obtenus par l’intermédiaire du forward guidance. Ils évaluent la prédictibilité des taux courts et longs dans les pays où cette stratégie a été adoptée et montrent que le forward guidance n’améliore la capacité des agents privés à prévoir les taux courts futurs que pour des horizons de prévisions inférieurs à un an, sans amélioration de la prédictibilité des taux à plus long terme. Le graphique ci-dessous montre ainsi les anticipations de taux à 3 mois par les marchés financiers en octobre 2013 pour les prochains mois. L’évolution minimale des taux directeurs étant de 0,25%, ce graphique nous indique qu’aucune modification des taux n’est pour l’heure anticipée, hormis peut être aux Etats-Unis à l’horizon d’un an.

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La timide adoption par la BCE

En ce qui concerne la BCE, qui de son côté hiérarchise ses objectifs en donnant la priorité à l’inflation, la mise en place du forward guidance constitue un engagement conditionnel à une période de temps  (« … for an extended period of time ») en l’absence de référence à des seuils. De ce point de vue, elle est à contre-courant de la Fed et de la BoE qui ont pris des engagements conditionnels à des seuils chiffrés. Pour mémoire, avant le 4 juillet, la BCE donnait des indices quant à sa prochaine décision du mois suivant sous la forme d’expressions aisément reconnaissables par les observateurs. Ainsi, l’insertion du mot « vigilance » dans le discours du président de la BCE lors de sa conférence de presse annonçait un probable durcissement de la politique monétaire[5]. En intégrant le forward guidance à sa panoplie d’instruments, la BCE se veut moins énigmatique. En particulier, il semblerait qu’elle ait voulu répondre à des inquiétudes portant sur une éventuelle remontée des taux.

Cependant, Benoit Coeuré, membre du directoire de la BCE, a affirmé que cette stratégie ne remettait pas en cause la règle, répétée maintes fois en conférence de presse, qui veut que la BCE ne s’engage jamais sur les politiques futures (« no pre-commitment rule ») et que le forward guidance soit réévalué à chaque réunion du Conseil des Gouverneurs. Jens Weidmann, membre du conseil de politique monétaire de la BCE en tant que president de la Bundesbank, a confirmé que le forward guidance « is not an absolute advanced commitment of the interest rate path[6]» tandis que Vitor Constancio, vice-président de la BCE, a ajouté une dose supplémentaire de confusion en affirmant que le forward guidance de la BCE «  is in line with our policy framework as it does not refer to any date or period of time but is instead totally conditional on developments in inflation prospects, in the economy and in money and credit aggregates – the pillars of our monetary strategy[7]. »

L’efficacité à attendre d’une politique mal définie, qui ne semble pas faire consensus au sein du Conseil des Gouverneurs de la BCE, et dont la clé du succès – la crédibilité de l’engagement – est ouvertement remise en cause, paraît donc très faible.

Références bibliographiques

Eggertsson, G., et Woodford, M. (2003). Optimal monetary policy in a liquidity trap. NBER Working Paper (9968).

Kool, C., et Thornton, D. (2012). How Effective is Central Forward Guidance? Federal Reserve Bank of Saint Louis Working Paper Series .

Rosa, C., et Verga, G. (2007). On the Consistency and Effectiveness of Central Bank Communication: Evidence from the ECB. European Journal of Political Economy, 23, 146-175.

 

 

* Ce texte s’appuie sur l’étude “Politique monétaire: est ce le début de la fin?” à paraître prochainement dans les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie mondiale.


[1] « Le Conseil des Gouverneur anticipe que les taux directeurs demeurent à leur niveau actuel ou à des niveaux plus bas pour une période de temps prolongée ».

[2] La baisse aujourd’hui de 25 points de base du taux directeur est en accord avec la stratégie de forward guidance de la BCE.

[3] Les mesures non conventionnelles renvoient aux pratiques de politique monétaire qui ne relèvent pas de la politique traditionnelle (i.e. des modifications du taux directeur). Il s’agit de mesures entraînant une modification du contenu ou de la taille du bilan des banques centrales via des achats de titres publics ou privés. On parle alors d’assouplissement quantitatif (« Quantitative easing »).

[4] « Notre politique accommodante pourra être maintenue sur une longue période. »

[5] Rosa et Verga (2007) proposent une description de ces expressions.

[6] « Le forward guidance ne constitue pas un pré-engagement absolu quant à la trajectoire du taux d’intérêt. »

[7] « Notre communication de type forward guidance est en accord avec notre cadre opérationnel de politique monétaire puisqu’il n’est fait référence à aucune date ou période de temps précise et qu’elle est entièrement conditionnée aux évolutions des perspectives d’inflation, dans l’économie et dans les agrégats monétaires et de crédits, qui demeurent les piliers de notre stratégie monétaire ».

 




Politique monétaire : Open-Market Operations ou Open-Mouth Operations ?

par Paul Hubert

La communication d’un banquier central peut-elle influencer les anticipations des agents au même titre que les modifications de taux d’intérêt ? A en croire Ben Bernanke, il semblerait que oui.

Dans son discours du 18 octobre 2011, Ben Bernanke, gouverneur de la Banque centrale des Etats-Unis, a mis en avant l’intérêt qu’il porte à trouver de nouveaux outils pour que les entreprises et ménages soient en mesure d’anticiper les orientations de politique monétaire futures. On apprend ainsi que le Comité de décision de la politique monétaire (FOMC) étudie les moyens d’accroître la transparence de ses prévisions macroéconomiques. En effet, ces prévisions pourraient être considérées comme un outil de politique monétaire si leur publication influence la formation des anticipations privées.

Il est intéressant de noter que l’effet de la communication des prévisions de la banque centrale passe par sa crédibilité. En effet, la publication de prévisions n’a pas d’effets contraignants et mécaniques sur l’économie. Le canal de transmission passe par la confiance que les entreprises et ménages ont dans les annonces de la Banque centrale. Ainsi, si une annonce est crédible, alors l’action n’est plus obligatoirement nécessaire ou l’amplitude de l’action requise réduite. Le mécanisme est simple : la publication des prévisions modifie les anticipations privées qui modifient à leur tour leurs décisions et affectent donc les variables économiques. La volonté de Ben Bernanke de mettre en œuvre ce qu’il nomme « forward policy guidance » et l’emphase qu’il met sur l’importance des prévisions des banques centrales suggèrent que la Fed cherche à utiliser cet instrument additionnel que semblent être les prévisions pour mettre en œuvre plus efficacement sa politique monétaire.

Sur la base des anticipations d’inflation des agents privés collectées à l’aide d’enquêtes trimestrielles appelées Survey of Professional Forecasters et disponibles ici, il apparaît que les prévisions d’inflation du FOMC, publiées deux fois par an depuis 1979, ont un effet positif et persistant sur les anticipations privées (voir le document de travail). Celles-ci augmentent de 0,7 point de pourcentage lorsque la Fed augmente ses prévisions d’1 point de pourcentage.  Deux interprétations de cet effet peuvent être proposées : en augmentant ses prévisions, la Fed influence les anticipations privées et crée d’une certaine manière 0,7 point de pourcentage d’inflation. L’efficacité d’une telle annonce serait donc discutable. A l’opposé, on peut imaginer qu’une hausse d’1 point de pourcentage de l’inflation va survenir et qu’en l’annonçant, la Fed envoie un signal aux agents privés. Ceux-ci anticipent alors une réaction de la Fed pour contrer cette hausse et réduisent leur anticipation de cette hausse. La Fed aurait donc réussi à empêcher 0,3 point de pourcentage de la future hausse d’inflation en communiquant dessus, l’annonce étant donc efficace.

Ce dernier mécanisme appelé « Open-Mouth Operations » dans un article publié en 2000 se focalisant sur la Banque centrale néo-zélandaise se veut donc un complément des opérations d’open market qui consistent à modifier le taux d’intérêt directeur de la banque centrale pour affecter l’économie.

Afin de mettre en lumière les raisons pour lesquelles les anticipations privées ont augmenté, on peut caractériser les mécanismes sous-jacents à l’influence des prévisions du FOMC. Si les prévisions du FOMC sont un bon indicateur avancé du futur taux d’intérêt directeur de la Fed, elles donnent de l’information sur les futures décisions. Il ressort de cette étude qu’une hausse des prévisions du FOMC signale une hausse du taux directeur de la Fed intervenant entre 18 et 24 mois.

De plus, les prévisions du FOMC n’ont pas les mêmes effets que le taux directeur sur les variables macroéconomiques et ne répondent pas de la même manière aux chocs macroéconomiques : les réponses du taux directeur à des chocs macroéconomiques sont larges et rapides en comparaison de celles des prévisions. Ce résultat suggère que les prévisions du FOMC sont un instrument a priori conçu pour mettre en œuvre la politique monétaire sur le long terme alors que le taux directeur est un instrument a posteriori, répondant aux chocs touchant l’économie et donc aux cycles de court terme.




Monetary policy: Open-Market Operations or Open-Mouth Operations?

By Paul Hubert

Can the communications of a central banker influence agents’ expectations in the same way as they change interest rates? To believe Ben Bernanke, the answer is yes.

In a speech on 18 October 2011, Ben Bernanke, governor of the US central bank, highlighted his interest in finding new tools to help businesses and consumers anticipate the future direction of monetary policy. Thus we learn that the bank’s Federal Open Market Committee (FOMC) is exploring ways to make its macroeconomic forecasts more transparent. Indeed, if the publication of the forecasts influences the formation of private expectations about the future, then this could be treated as another tool of monetary policy.

It is worth pointing out that the impact of communicating the central bank’s forecasts depends on the bank’s credibility. Any impact that the publication of the forecasts has on the economy is neither binding nor mechanical, but rather is channelled through the confidence that businesses and consumers place in the statements of the central bank. So if a statement is credible, then the action announced may not be needed any more or its amplitude may be reduced. The mechanism is straightforward: publishing the forecast changes private expectations, which in turn modifies decision-making and therefore the economic variables. Ben Bernanke’s determination to implement what he calls “forward policy guidanceand the emphasis he is giving to the importance of the central bank’s forecasts suggest that the Fed is seeking to use its forecasts as another instrument to implement its monetary policy more effectively.

Based on the inflation expectations of private agents collected through quarterly surveys called the Survey of Professional Forecasters (available here), it appears that the FOMC inflation forecasts, published twice yearly since 1979, have a persistent positive effect on private expectations (see the working document). Expectations rise by 0.7 percentage point when the Fed increases its forecast by one percentage point. Two interpretations of this effect could be offered: by raising its forecast, the Fed influences expectations and in a certain sense creates 0.7 percentage point of inflation. The effectiveness of such an announcement would therefore be questionable. In contrast, it is conceivable that an increase of 1 percentage point of inflation will occur and that by announcing it, the Fed sends a signal to private agents. They then expect a response from the Fed to counter the increase, and so reduce their expectation of the increase. The Fed’s communication would therefore have succeeded in preventing a 0.3 percentage point increase in future inflation, meaning that the announcement has been effective.

This last mechanism, called “Open-Mouth Operations” in an article published in 2000 dealing with the central bank of New Zealand, would therefore act as a complement to the bank’s open market operations that are intended to modify the central bank’s key rates so as to influence the economy.

In order to shed light on the reasons why private expectations have increased, it would help to characterize the mechanisms underlying the influence of the FOMC forecasts. If the FOMC forecasts are a good leading indicator of the Fed’s future key rates, they provide information about future decisions. It appears from this study that an increase in the FOMC forecasts signals that there will be an increase in the Fed’s key rates 18 to 24 months later.

Furthermore, the FOMC forecasts do not have the same impact as the bank’s key rates on macroeconomic variables, nor do they respond in the same way to macroeconomic shocks: the responses of key rates to macroeconomic shocks are substantial and rapid in comparison with the responses of the forecasts. This suggests that the FOMC forecasts are an a priori instrument intended to implement monetary policy over the long term, whereas the key rates are an a posteriori instrument that responds to shocks to the economy, and thus to the short-term cycle.

 

 




Les banques centrales peuvent-elles influencer les anticipations des agents privés ?

par Paul Hubert

Comment les prévisions d’une banque centrale peuvent-elles influencer les anticipations des agents privés et quelles en sont les raisons ? A quelques heures des conférences de presse de Ben Bernanke et de Mario Draghi, voici quelques éléments d’explication. 

L’attribution du Prix Nobel d’Economie 2011 à Thomas Sargent et Chris Sims pour « leurs recherches empiriques sur les effets causaux en macroéconomie » met en lumière le rôle primordial des anticipations des agents privés dans les décisions de politique économique. Parce que les anticipations d’inflation et de croissance des entreprises et des ménages affectent leurs décisions d’investissements, de consommation, d’épargne, et les revendications salariales, elles sont au cœur de l’interaction entre les politiques économiques et leurs effets.

Depuis les années 1980, l’instrument principal de la politique monétaire est le taux d’intérêt directeur de la banque centrale. Les variations de celui-ci affectent l’économie et permettent à la banque centrale d’arbitrer entre croissance économique et inflation via différents canaux : le canal du taux d’intérêt, le canal du crédit, le canal du prix des actifs, le canal du taux de change et enfin le canal des anticipations. En effet, dans le cadre de leurs décisions quotidiennes, les entreprises et les ménages intègrent de nombreuses anticipations sur la consommation, l’investissement, les capacités de production futures, ainsi que les salaires et prix futurs, etc. Ces anticipations jouent ensuite un rôle central dans la détermination des variables économiques. Les variations du taux directeur envoient donc des signaux sur l’état futur de l’économie ainsi que la politique monétaire future, et modifient les anticipations que forment les agents privés.

Cependant, le canal des anticipations est incertain et les variations de taux directeur peuvent être comprises de différentes manières : les agents privés peuvent réagir à une baisse du taux directeur en consommant et investissant plus, ce qui peut signaler que la croissance sera plus forte dans le futur et ce qui accroît leur confiance et leur volonté de consommer et investir. A l’opposé, les mêmes agents peuvent interpréter que la croissance présente est plus faible que prévue, poussant la banque centrale à intervenir, ce qui réduit leur confiance, donc leur volonté de consommer et d’investir… Depuis les années 1990, les banques centrales utilisent donc en complément du taux d’intérêt des effets d’annonce pour clarifier leurs intentions futures. La communication semble ainsi être devenue un outil de la politique monétaire et deux types peuvent être distingués. La communication qualitative comprend les discours et interviews, tandis que la communication quantitative correspond à la publication des prévisions d’inflation et de croissance de la banque centrale.

Dans un récent document de travail, nous analysons l’effet des prévisions d’inflation et de croissance publiées trimestriellement par les banques centrales du Canada, de Suède, du Royaume-Uni, du Japon et de Suisse. A l’aide d’enquêtes réalisées par Consensus Forecasts auprès de prévisionnistes professionnels des secteurs financiers et non-financiers, nous montrons que les prévisions d’inflation des banques centrales de Suède, du Royaume-Uni et du Japon sont un déterminant significatif des prévisions d’inflation des agents privés. Autrement dit, la publication des prévisions d’inflation de ces banques centrales entraîne une révision des prévisions des agents privés. Il s’avère en outre que le contraire n’est pas vrai : les prévisions de la banque centrale ne réagissent pas aux prévisions des agents privés.

Deux raisons peuvent expliquer cette influence de la banque centrale : premièrement, les prévisions d’inflation de la banque centrale pourraient être de meilleure qualité et il est rationnel pour les agents privés d’être influencés par celles-ci afin d’améliorer leurs propres prévisions des variables macroéconomiques. Deuxièmement, les prévisions d’inflation de la banque centrale peuvent influencer les agents privés parce qu’elles transmettent des signaux, soit sur les futures décisions de politique monétaire, soit sur l’information privée dont dispose la banque centrale. Ce type d’influence est indépendant de la performance de prévision de la banque centrale.

Afin de déterminer les sources de cette influence, nous évaluons la performance de prévision relative des banques centrales et des agents privés et testons si l’influence des anticipations privées par la banque centrale dépend de la qualité de ses prévisions. Les estimations montrent que seule la banque centrale de Suède, au sein de notre échantillon de banques centrales, produit de façon significative, régulière et robuste des prévisions d’inflation de meilleure qualité que celles des agents privés. Nous trouvons en outre que le degré d’influence dépend de la qualité des prévisions d’inflation. Autrement dit, les prévisions d’inflation à un horizon court (1 ou 2 trimestres), dont une analyse historique des performances de prévisions nous apprend qu’elles sont de faible qualité, n’influencent pas les agents privés tandis que celles de meilleure qualité les influencent. De plus, les prévisions d’inflation à plus long terme de la banque centrale de Suède réussissent à influencer les anticipations privées même lorsque leur qualité est faible et les influence d’autant plus que leur qualité est meilleure.

Alors que les banques centrales du Royaume-Uni, du Japon  et de Suède réussissent toutes les trois à influencer les anticipations privées via la publication de leurs prévisions macroéconomiques, il apparaît que les raisons de cette influence sont différentes. Les deux premières utilisent la transmission de signaux, tandis que la banque centrale de Suède utilise les deux sources possibles pour influencer les anticipations privées : à la fois sa meilleure capacité de prévisions et l’envoi de signaux. La conséquence de ces résultats est que la publication par la banque centrale de ses prévisions macroéconomiques pourrait faciliter et rendre plus efficace la mise en place de la politique monétaire désirée en guidant les anticipations privées. Ce canal de transmission, plus rapide car il ne repose que sur la diffusion de prévisions, pourrait permettre ainsi à la banque centrale d’affecter l’économie sans modification de son taux d’intérêt directeur et peut effectivement constituer un instrument supplémentaire.




Can the central banks influence the expectations of private agents?

By Paul Hubert

Can the forecasts of a central bank influence the expectations of private agents, and if so what are the reasons for this? A few hours after the press conferences of Ben Bernanke and Mario Draghi, here are some explanations.

The awarding of the 2011 Nobel Prize in Economics to Thomas Sargent and Chris Sims for “their empirical research on causal effects in macroeconomics” highlights the role of the expectations of private agents in economic policy decisions. Because the expectations of businesses and households about inflation and growth affect their decisions on investment, consumption, savings, and wage demands, these are at the heart of the interaction between economic policies and their effects.

Since the 1980s, the main instrument of monetary policy has been the interest rate set by the central bank. Changes in this affect the economy and allow the central bank to arbitrate between economic growth and inflation through several channels, and in particular interest rates, credit, asset prices, exchange rates and, finally, expectations. Indeed, in the course of their daily decision-making, businesses and households base themselves on numerous expectations about consumption, investment, future capacity and future wages and prices, etc. These expectations then play a central role in the determination of economic variables. Changes in the central bank rate thus send signals about the future state of the economy and future monetary policy, and alter the expectations formed by private agents.

However, the expectations channel is ambiguous, and changes in the base rates can be understood in different ways: private agents may respond to lower rates by consuming and investing more, which may indicate that growth will be stronger in the future, bolstering their confidence and their willingness to consume and invest. In contrast, the same agents may feel that current growth is lower than expected, prompting the central bank to intervene, which reduces their confidence, and hence their willingness to consume and invest…. Since the 1990s, the central banks have been complementing interest rates with the effect of announcements to clarify their future intentions. Communication seems to have become a tool of monetary policy, and two types can be distinguished. Qualitative communication includes interviews and speeches, while quantitative communication consists of the publication of the central bank’s forecasts of inflation and growth.

In a recent working paper, we analyze the effect of the forecasts of inflation and growth published quarterly by the central banks of Canada, Sweden, the UK, Japan and Switzerland. With the help of surveys conducted by Consensus Forecasts of professional forecasters from financial and non-financial sectors, we show that the inflation forecasts of the central banks of Sweden, the UK and Japan are a significant factor in the inflation forecasts of private agents. In other words, the publication of the central bank inflation forecasts leads to a revision of the forecasts of private agents. It also appears that the opposite is not true: the central bank forecasts do not respond to the forecasts of private agents.

Two factors could explain the central bank’s influence: first, the inflation forecasts of the central bank could be higher quality, making it rational for private agents to be influenced by them so as to improve their own forecasts of macroeconomic variables. Second, the inflation expectations of the central bank can influence private agents because they transmit signals, either about future decisions on monetary policy, or about the private information available to the central bank. This type of influence is independent of the forecasting performance of the central bank.

To determine the sources of this influence, we evaluated the relative forecasting performance of the central banks and private agents and tested whether the central bank’s influence on private expectations depends on the quality of its forecasts. Estimates showed that, in our sample of central banks, only the central bank of Sweden produced significant, regular and robust inflation forecasts that were better than those of private agents. We also found that the degree of influence depends on the quality of the inflation forecasts. In other words, the inflation forecast over a short horizon (1 or 2 quarters), which a historical analysis of forecast performance tells us are of low quality, do not influence private agents, whereas those of higher quality do influence them. Furthermore, the longer-term inflation forecasts of Sweden’s central bank managed to influence private expectations even when their quality was low, and the better the quality, the stronger the influence.

While the central banks in the United Kingdom, Japan and Sweden all succeed in influencing private expectations by publishing their macroeconomic forecasts, it appears that the reasons for this influence differ. The first two use the transmission of signals, while the Swedish central bank uses both possible sources for influencing private expectations: its greater forecasting capability and the sending of signals. The consequence of these results is that the publication by the central bank of its macroeconomic forecasts could facilitate and render more effective the establishment of the desired monetary policy by shaping private expectations. This transmission channel, which is faster because it relies only on the provision of forecasts, could thus allow the central bank to affect the economy without changing its key interest rate, in practice making it an additional policy instrument.