« Comme d’habitude », l’OFCE optimiste sur la croissance ?

par Magali Dauvin et Hervé Péléraux

Au printemps 2019, l’OFCE a prévu une croissance du PIB réel de 1,5 % pour 2019 et de 1,4 % pour 2020 (soit 2,9 % de croissance cumulée). Au même moment, la moyenne des prévisions compilées par le Consensus Forecasts[1] était de 1,3 % chacune de ces deux années (soit 2,6 % cumulés), avec un écart-type autour de la moyenne de 0,2 point. Cette différence a conduit certains observateurs à qualifier les prévisions de l’OFCE « d’optimistes comme d’habitude », celles du Consensus ou d’instituts qui affichent des prévisions moins favorables étant jugées plus « réalistes » dans la phase conjoncturelle actuelle.

Une prévision de croissance est le résultat d’un exercice de recherche, fondé sur l’évaluation des tendances générales de l’économie et de l’incidence sur l’activité des politiques économiques (notamment budgétaires, fiscales et monétaires) et des chocs exogènes (variation du prix du pétrole, mouvements sociaux, intempéries, tensions géopolitiques, …). Ces évaluations sont elles-mêmes basées sur l’estimation économétrique des comportements des agents économiques qui permettent de chiffrer leur réponse à ces chocs. Il est donc délicat de commenter ou de comparer le chiffre de croissance affiché par différents instituts sans présenter clairement le cheminement analytique qui le sous-tend, ni exposer les principales hypothèses sur les tendances ou sur les mécanismes à l’œuvre dans l’économie.

Cependant, même si la rigueur de la démarche appuyant les prévisions de l’OFCE ne peut être suspectée, la question d’une surestimation chronique des évaluations conduites par l’OFCE est légitime. Dans ce cas, les prévisions publiées au printemps 2019 seraient effectivement entachées d’un biais d’optimisme qu’il conviendrait de tempérer, avant que l’OFCE lui-même ne réadapte ses outils à un contexte nouveau pour regagner en précision de ses prévisions si besoin était.

Pas de surestimation systématique

Le graphique 1 représente les prévisions cumulées du PIB français par l’OFCE pour l’année en cours et l’année suivante et les compare aux réalisations des comptes nationaux en cumul sur deux années également. Au vu de ces résultats, les prévisions de l’OFCE ne souffrent pas d’un biais systématique d’optimisme. Pour les prévisions conduites en 2016 et 2017, la croissance mesurée par les comptes nationaux est plus élevée que celle anticipée par l’OFCE, révélant certes une erreur de prévision mais pas une vision exagérément optimiste de la reprise.

L’inverse est observé lors des prévisions de 2015 portant sur 2015 et 2016 ; l’effet favorable du contrechoc pétrolier et de la dépréciation de l’euro face au dollar durant la seconde moitié de 2014 a en effet été plus lent à se matérialiser que ce qu’escomptait l’OFCE. L’année 2016 a aussi été marquée par des facteurs ponctuels comme les inondations du printemps, les grèves dans les raffineries, le climat anxiogène créé par la vague d’attaques terroristes et la fin annoncée du suramortissement fiscal pour les investissements industriels.

D’une manière générale, il n’apparaît pas de surestimation systématique de la croissance par l’OFCE, même si certaines périodes s’illustrent particulièrement, comme les années 2007 et 2008 pour lesquelles les répercussions négatives de la crise financière sur l’activité réelle n’ont pas été anticipées par nos modèles durant 4 prévisions consécutives. Au final, sur les 38 prévisions conduites depuis mars 1999, 16 affichent une surestimation, soit 40 % du total, les autres ayant conduit à une sous-estimation de la croissance.

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Des prévisions davantage en ligne avec les comptes définitifs

Par ailleurs, la précision des prévisions ne devrait pas être seulement évaluée par rapport aux comptes nationaux provisoires car les premières estimations de l’INSEE sont fondées sur une connaissance partielle de la conjoncture réelle. Elles sont révisées au fur et à mesure de la construction des comptes annuels et des remontées d’informations fiscales et sociales qui conduisent à une version aboutie, et donc définitive, des comptes deux ans et demi après la fin de l’année[2].

Le tableau 1 compare les prévisions faites par l’OFCE et par les instituts participant au Consensus au printemps de chaque année pour l’année en cours et évalue leurs erreurs respectives d’un côté vis-à-vis des comptes provisoires et de l’autre vis-à-vis des comptes révisés. En moyenne depuis 1999, les prévisions de l’OFCE surestiment les comptes provisoires de 0,25 point. Les prévisions issues du Consensus paraissent quant à elles plus précises avec une erreur de 0,15 point vis-à-vis du compte provisoire. En revanche, par rapport aux comptes définitifs, les prévisions de l’OFCE apparaissent en ligne (la surestimation disparaît), tandis que celles issues du Consensus sous-estiment finalement la croissance de 0,1 point en moyenne.

L’analyse statistique conduite sur longue période montre donc que, même si elles sont perfectibles, les prévisions de l’OFCE ne sont pas affectées d’un biais de surestimation quand on évalue leur précision par rapport aux comptes définitifs.

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[1] Le Consensus Forecasts est une publication de Consensus Economics qui compile les prévisions des principaux prévisionnistes du monde sur un grand nombre de variables économiques dans une centaine de pays. Pour la France, une vingtaine d’instituts y participent.

[2] Fin janvier 2019, l’INSEE a publié les comptes du 4e trimestre 2018, qui fournissaient une première évaluation de la croissance de l’ensemble de l’année 2018. Fin mai 2019, les comptes de l’année 2018, calés sur les comptes annuels provisoires publiés mi-mai 2019, ont été révisés une première fois. Une nouvelle révision des comptes 2018 interviendra en mai 2020, puis une dernière en 2021 avec la publication des comptes définitifs. Pour plus détail sur le processus de révision des comptes nationaux, voir Péléraux H., « Comptes nationaux : du provisoire qui ne dure pas », Blog de l’OFCE, 28 juin 2018.




Comptes nationaux : du provisoire qui ne dure pas

par Hervé Péléraux

Rapidité/précision des comptes, l’éternel dilemme

Le 30 janvier 2018, l’INSEE publiait la première estimation de la croissance du PIB pour le quatrième trimestre 2017, +0,6 %. Un mois après la fin de l’année, une évaluation précoce du niveau, et donc de la croissance annuelle, du PIB en 2017 était ainsi rendue possible, en chaînant le PIB trimestriel avec les quatre taux de croissance estimés par les comptes trimestriels.

Cette évaluation précoce de la croissance en moyenne annuelle pour 2017 (+1,9 %, tableau) n’était toutefois que provisoire car elle s’appuyait sur une information exclusivement trimestrielle, sans référence à une mesure annuelle des agrégats de comptabilité nationale. Or, les comptes nationaux annuels rassemblent des données économiques mesurées de manière exhaustive, ce qui n’est pas le cas des comptes nationaux trimestriels qui ne fournissent qu’une estimation de ces agrégats chaque trimestre par des techniques économétriques. Une fois connus les comptes annuels, les comptes trimestriels sont « calés » sur les premiers, c’est-à-dire révisés pour assurer la cohérence des données trimestrielles et annuelles, ces dernières servant d’ancrage aux premières.

Tabe-post_27-06Moins précis que les comptes annuels, les comptes trimestriels ont néanmoins un rôle central dans l’analyse conjoncturelle car les estimations trimestrielles renseignent en cours d’année sur la trajectoire conjoncturelle de l’économie et permettent, une fois connu le quatrième trimestre, de disposer d’une première estimation de la croissance de l’année, avant que ne soit publiée la première version du compte annuel au mois de mai de l’année suivante. Ce compte annuel est lui-même révisé deux fois, de sa version provisoire en mai N+1 à sa version semi-définitive en mai N+2, puis enfin définitive en mai N+3 (le compte 2017 apparaîtra ainsi dans sa version définitive en mai 2020). Enfin, périodiquement les comptes nationaux changent de base, comme en mai 2018 avec le passage de la base 2010 à la base 2014, ce qui amène à de nouvelles révisions des comptes du passé.

Pour 2017, le calage du compte trimestriel sur le compte annuel, lui-même élaboré dans la nouvelle base (passage de la base 2010 à la base 2014) a conduit à une révision en hausse du chiffre de croissance annuelle, de 1,9 % selon la version purement trimestrielle des comptes (celle du 30 janvier 2018) à 2,3 % selon le compte trimestriel calé publié le 30 mai 2018.

De fait, l’ampleur de la reprise en 2017 a été sous-estimée conformément au constat historique selon lequel les comptes sont révisés à la hausse en phase de haute conjoncture et à la baisse en phase de basse conjoncture (graphique 1)[1]. La seule période qui déroge à ce schéma est la période 2012- 2016, phase de basse conjoncture durant laquelle les révisions ont pourtant été effectuées à la hausse. Au regard de ce constat sur la période récente, la prévisibilité des révisions n’est donc pas acquise.

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La France dans le groupe des pays dont les révisions sont les plus faibles

Une telle séquence de publication est le résultat d’un arbitrage entre la rapidité de mise à disposition de l’information économique, qui satisfait les exigences du public, et la précision de cette information, qui satisfait les statisticiens. Force est de constater que le système actuel des comptes nationaux français a trouvé un équilibre entre ces deux exigences potentiellement contradictoires si l’on se réfère à l’expérience internationale en la matière.  Dans le groupe des pays industrialisés, et notamment en zone euro, les délais de publication des comptes trimestriels sont certes relativement homogènes, entre 30 et 45 jours après la fin du trimestre. La meilleure performance de la France en matière de mesure de l’activité économique à court terme vis-à-vis des pays comparables tient donc aussi à la meilleure qualité de son système statistique.

Pour prendre la mesure de la précision – ou de l’imprécision – des comptes nationaux on a compilé les publications successives des comptes trimestriels par pays disponible dans la base de données en temps réel de l’OCDE. En comparant la croissance du PIB en moyenne annuelle issue de la première publication du compte trimestriel d’une année donnée et celle disponible en mai 2018 après révisions, on peut juger de la précision des comptes trimestriels par rapport à leur version finale. La France figure ainsi en bonne place au palmarès de la fiabilité : dans le groupe des 37 pays considérés, elle figure au 8e rang, derrière le Portugal et l’Autriche, mais devant tous ses autres partenaires de la zone euro. La révision moyenne des comptes français apparaît ainsi presque inférieure des 2/3 à celle de l’Espagne ou du Royaume-Uni (0,5 point, contre respectivement 0,82 et 0,84).

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[1] Voir Péléraux H. & Persyn L., « Oui les comptes nationaux seront révisés après l’élection présidentielle… », Notes de l’OFCE, n° 14, 19 mars 2012.




La révision des comptes nationaux, une étape obligée

Par Hervé Péléraux

La révision des comptes nationaux, depuis les comptes trimestriels vers les comptes annuels définitifs, est usuelle et découle de l’intégration progressive dans le système statistique d’une information s’améliorant au fil du temps. Les estimations trimestrielles du taux de croissance du PIB renseignent en cours d’année sur la trajectoire conjoncturelle de l’économie et permettent, une fois connu le quatrième trimestre, à la fin janvier de l’année suivante, de disposer d’une première estimation de la croissance sur l’ensemble de l’année avant que ne soit publiée la première version du compte annuel à la mi-mai sur lequel le compte trimestriel est recalé. Le compte annuel est lui-même révisé deux fois avant l’établissement du chiffre définitif.

L’élaboration de la prévision est tributaire des comptes trimestriels qui fixent le point de départ de l’exercice, par l’acquis de croissance[1] qui s’en déduit et par la dynamique de l’économie qu’ils décrivent sur le passé récent. Partant de ces considérations, on peut évaluer l’ampleur des révisions opérées depuis quelques années et leur implication pour les exercices semestriels de prévision.

Depuis la sortie de récession de l’économie française en 2010, les révisions ont systématiquement conduit à des réévaluations des taux de croissance annuels, en moyenne de 0,3 point entre la version purement trimestrielle des comptes, c’est-à-dire n’ayant fait l’objet d’aucun calage sur les données annuelles, et la dernière version disponible des comptes, publiée le 26 août 2016 (tableau). Les révisions de 2010 et de 2011, années de reprise après la récession, ont été notables, avec à chaque fois une majoration de +0,4 point du taux de croissance annuel. Les révisions des années 2013 et 2014 sont un peu moindres, +0,3 point, mais conduisent à un doublement des taux de croissance estimés initialement. Il est à noter que le compte annuel de l’année 2015 est provisoire ; la révision entre le compte trimestriel et le compte actuel est donc moindre que celle des années antérieures, mais ce dernier sera encore révisé deux fois jusqu’à sa version définitive publiée en mai 2018.

La révision des comptes nationaux modifierait virtuellement le point de départ des prévisions conduites au printemps et à l’automne, et amènerait à modifier la croissance annuelle prévue et ce sans même modifier les taux de croissance trimestriels inscrits en prévision.

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Le plus souvent, l’acquis de croissance connu à l’époque de la prévision était inférieur à celui connu aujourd’hui sur la base des comptes révisés qui ont été systématiquement revus à la hausse au cours des six dernières années. Pour les prévisions de printemps, l’acquis des derniers comptes est supérieur de 0,3 point à celui des comptes provisoires en 2011 et en 2013, de 0,2 point pour 2015 mais qui n’en n’est comme on l’a déjà dit, qu’à un stade de révisions tout à fait préliminaire.

A l’automne, les révisions ont aussi joué positivement sur le calcul de l’acquis, notamment en 2011 et en 2013 à hauteur de 0,5 point. La révision de l’acquis à l’automne pour l’année 2014 est moindre, 0,2 point. Mais au-delà de la révision de l’acquis, l’instabilité des estimations du taux de croissance trimestriel peut rendre confuse l’appréciation de la dynamique de l’économie à court terme. Ainsi, l’estimation des deux premiers trimestres de 2014 a longtemps retracé une trajectoire de récession au sens technique du terme (deux trimestres consécutifs de baisse du PIB), pour finalement ne plus décrire qu’une phase de stagnation de l’économie française (graphique). La baisse cumulée du PIB sur le 1er semestre 2014 s’est creusée jusqu’à -0,33 % à la publication d’avril 2016, pour finalement s’inverser en une hausse de 0,14 % à la dernière publication d’août 2016, soit une révision en hausse de près de 0,5 point de la croissance sur le semestre.

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En cette rentrée, l’exercice de prévision s’appuie sur un acquis de croissance pour 2016, à partir de comptes nationaux connus jusqu’au 2ième trimestre, de 1,1 %. En prolongeant ces comptes avec notre précédente prévision de printemps pour les deux derniers trimestres de cette année (0,4 % à chaque fois), la croissance de 2016 serait de +1,4 %. Mais les étapes ultérieures de révision des comptes, si l’on en croît l’expérience passée sur les six dernières années, pourraient conduire à une réévaluation de cet acquis. Une croissance de 1,6 % en 2016 n’est donc pas hors de portée, si les révisions s’effectuent dans le même sens que depuis 2010.

[1] L’acquis de croissance du PIB pour une année N correspond au taux de croissance du PIB entre l’année N-1 et l’année N que l’on obtiendrait si le PIB demeurait jusqu’à la fin de l’année N au niveau du dernier trimestre connu. L’acquis traduit les effets de la croissance trimestrielle passée sur le taux de croissance annuel. La révision des taux de croissance trimestriels passés modifie donc spontanément l’acquis et donc la croissance annuelle.