La politique de concurrence européenne ou l’extension du domaine de l’intégration

par Sarah Guillou

Le principe de la « loyauté dans la concurrence » est énoncé dans les principes généraux du Préambule du Traité des Communautés Européennes (TCE) de 1957 ainsi que l’engagement que les Etats mettront en œuvre les politiques pour assurer cette loyauté. La politique de la concurrence – assurée par la Direction de la concurrence – est la politique de référence en matière de régulation des marchés mais aussi de stratégies industrielles et assez récemment de régulation fiscale.

Conséquence directe du projet du marché commun, la politique de la concurrence est incontournable en Europe et de nombreuses tentatives de politique industrielle se sont brisées sur l’autel des articles 81 à 89 du TCE (et à présent article 101 à 109 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne) qui instituent la concurrence en régime général. En pratique, les deux politiques sont clairement complémentaires dans l’Union européenne et l’espace accordé à la première se déploie grâce au régime d’exception de la seconde.

La concurrence érigée en régime général dans l’Union européenne

Fondement du marché commun, le respect et le contrôle de la concurrence des marchés est un principe général qui sous-tend toutes les politiques européennes. Plus fondamentalement, la concurrence est assimilable à un principe constitutionnel de l’Union européenne. Elle permet de définir l’espace européen, l’espace commun dont l’existence est conditionnée à un contrôle de la concurrence entre les Etats. Donc le droit de la concurrence européen se construit d’abord pour contrôler la concurrence économique entre les Etats. Il s’agit en effet d’empêcher que les Etats adoptent des politiques qui créent des avantages pour les entreprises de leur territoire qui seraient discriminants à l’égard des entreprises des autres Etats.

Au sein de la Commission européenne, la direction de la concurrence a donc une responsabilité et un poids importants. Le contrôle de la concurrence s’exerce à travers le contrôle des ententes et des fusions d’une part, le contrôle des aides d’Etat d’autre part. Concernant le contrôle des ententes ou autres abus de position dominante, le droit de la concurrence s’exerce ex-post afin de protéger consommateurs et concurrents de comportements prédateurs et de pratiques de prix abusives. Le contrôle des concentrations, lui, s’est surtout développé à partir de la deuxième moitié des années 1980 en parallèle avec l’augmentation de la taille des fusions et des opportunités de rapprochements européens, fruits de la réussite du marché unique. De plus en plus, les projets de fusion-acquisitions font l’objet de négociations entre l’entreprise et la Commission européenne et se concluent par des concessions d’activités. C’est ainsi que le rachat de la branche énergie d’Alstom par l’américain General Electric en 2015 s’est accompagné de cessions d’une partie des activités dans les turbines à gaz à l’italien Ansaldo Energia. La Commission a acquis par ce contrôle un rôle actif dans la structuration du marché, c’est un super pouvoir mais depuis les années 1990, moins de 1% des concentrations notifiées ont conduit à un veto de la Commission.

Le contrôle européen des aides est plus continu car il suppose un exercice permanent de surveillance de la « concurrence non faussée » dans l’espace européen. C’est un outil pour contrôler les distorsions de concurrence induites par des avantages accordés par un Etat membre à ses entreprises et lutter contre une course au « plus-disant » en termes de subventions. C’est ainsi que dès l’article 87, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne, les aides d’Etat sont jugées incompatibles avec le marché commun et l’article 88 donne pour mandat à la Commission de contrôler ces aides. Mais l’article 87 précise également les critères qui rendent les aides « contrôlables » par la Commission.

Les aides aux entreprises sont soumises au visa de la Commission si elles dépassent 200 000 € sur trois ans et qu’elles n’entrent pas dans l’ensemble des dispositifs dérogatoires décidés par l’UE. La majeure partie des aides examinées est autorisée (presque 95%). Concernant la France, le pourcentage d’aides refusées sur celles accordées est conforme à la moyenne européenne. Bien sûr, il y a eu quelques décisions retentissantes comme lorsque EDF s’est vu infligé le remboursement de 1,4 milliard d’euros en 2015 à la suite d’une aide fiscale remontant à 1997. Mais par ailleurs, la Commission a récemment accordé l’entrée de l’Etat au capital de PSA (2015). De même, la Commission a autorisé le partenariat public-privé qui sous-tend la construction de la centrale nucléaire d’Hinkley Point en Grande-Bretagne.

Une évolution récente de l’usage de ce contrôle est à noter. La régulation des aides d’Etat a été mobilisée pour examiner les situations d’accords fiscaux négociés par des entreprises auprès de certains gouvernements comme l’Irlande, le Luxembourg ou les Pays-Bas. Mettant en situation de privilège certaines entreprises au détriment de leurs concurrents, ces accords fiscaux créent non seulement des distorsions de concurrence mais également une concurrence entre les Etats pour attirer les profits et emplois des grands groupes multinationaux. C’est ainsi qu’en octobre 2016 la Commissaire à la concurrence, Margarethe Vespager, a qualifié, après investigation, d’aide d’Etat non autorisée, l’accord fiscal dont a bénéficié Apple en Irlande et en conséquence a exigé que le gouvernement irlandais récupère 13 milliards d’euros auprès de la société Apple. Cet usage de la régulation des aides publiques est un tournant de la politique de concurrence en ce qu’il rappelle que l’objet de la politique de concurrence est de veiller à contrôler la concurrence entre les Etats qui romprait l’idée du marché commun.

La politique industrielle s’exprime dans les exceptions de la politique de concurrence

Il faut reconnaître que si la politique de concurrence est bien définie au niveau européen, il existe beaucoup d’acceptions de la politique industrielle en Europe, presqu’autant qu’il y a de membres. Il est donc plus difficile de trouver les compromis politiques préalables à la définition d’une telle politique. De plus les logiques institutionnelles mais aussi économiques ne sont pas les mêmes. Comme on l’a dit, la politique de concurrence a un fort ancrage institutionnel, ce qui n’est pas le cas de la politique industrielle. Même si la Communauté Economique du Charbon et de l’Acier a été à l’origine des Communautés européennes, la politique industrielle n’est pas au cœur du projet européen. De plus la logique économique est différente, la politique de concurrence se définit en référence à l’espace (le marché pertinent), alors que la politique industrielle ne se comprend qu’en intégrant le cycle de vie des entreprises et des industries et donc en référence à l’histoire industrielle de chaque pays. Dans une acception partagée, la politique industrielle se définit comme une politique qui vise à orienter la spécialisation sectorielle et/ou technologique de l’économie. Il est donc aisé de saisir la dépendance d’une telle politique aux préférences nationales. L’outil privilégié par les Etats pour exprimer cette politique sont les aides aux entreprises qu’il s’agisse d’aides directes ou indirectes.

Les aides d’Etat sont classées en fonction de 15 objectifs qui vont de la « conservation de l’héritage » aux aides à « la recherche et développement et à l’innovation ». Les 3 postes les plus alimentés en pourcentage de l’aide totale sont, pour l’ensemble de l’UE : la protection environnementale (dont les aides aux économies d’énergie), les aides régionales et les aides à la R&D et à l’innovation. Les montants mobilisés sont loin d’être négligeables, ils sont en 2014 par exemple de 15 milliards d’euros pour la France et de 39 milliards d’euros pour l’Allemagne. L’augmentation des aides en 2014 est largement due à l’augmentation des aides aux énergies renouvelables en conséquence de l’adoption de la révision des règles concernant ce type d’aide en 2014. L’Allemagne est le pays qui a le plus contribué à cette augmentation. Le soutien des énergies renouvelables est en effet le cœur de sa politique industrielle.

La politique industrielle européenne se déploie dans les dérogations à l’application du contrôle des aides et donc à la politique de concurrence. Ces dérogations sont énoncées dans le règlement général d’exemption par catégorie. Les blocs d’exemption sont nombreux et gravitent autour des cinq thèmes suivants : l’innovation et la R&D, le développement durable, la compétitivité de l’industrie de l’UE, la création d’emplois, et la cohésion sociale et régionale. On voit là que, par le régime des exemptions, le contrôle est également l’expression des choix politiques européens orientant les aides publiques et donc orientant les ressources publiques vers des utilisations en conformité avec ces choix. Ces choix sont le fruit d’un consensus relatif au futur de l’économie européenne qui dessine la politique industrielle. Les postes d’aides les plus alimentés sont principalement la Recherche & Développement et la protection environnementale. En deux mots, l’économie européenne sera technologique et durable. C’est une politique d’orientation et non une politique de moyens et qui se déploie dans le cadre du magistère de la politique de la concurrence.

Quel futur pour la politique de la concurrence européenne ?

Il apparaît qu’étant donné la primauté du principe de concurrence, pilier des fondements européens, la politique de concurrence est le chef d’orchestre des politiques microéconomiques. Elle a su, jusque là, faire preuve de capacité d’adaptation. Ainsi, dans le respect du projet européen, les contraintes économiques et les orientations sociétales ont fait évoluer la définition des dérogations au contrôle des aides qui permettent l’expression de la politique industrielle. De même s’est-elle emparé de l’hyper-différenciation fiscale entre certains Etats qui contrevenait fortement au projet d’intégration et de marché commun.

La politique de la concurrence ne saurait perdre en autorité et en dimension mais elle doit garder sa capacité d’adaptation tant aux orientations industrielles qu’aux déploiements des stratégies des Etats membres pour se faire concurrence. Elle est par ailleurs un contre-pouvoir essentiel au pouvoir grandissant des multinationales et il faut que les gouvernements la soutiennent en ce sens plutôt que de se faire le porte-voix de leurs champions nationaux.

 

 




VTC contre taxis : la victoire du lobby contre l’innovation ?

par Guillaume Allègre *

NDLR: Ce texte a été publié une première fois le 21 octobre 2013 sur le blog de l’OFCE lorsque la question des services de voiture avec chauffeur faisait l’objet du débat. Etant donné l’actualité récente autour de ce sujet, il nous a semblé pertinent de republier le texte de Guillaume Allègre .

L’affaire est entendue : en imposant aux voitures de tourismes avec chauffeur (VTC) un délai de 15 minutes entre la réservation et la prise en charge du client, le lobby des taxis aurait gagné une bataille contre l’innovation[1], réussissant ainsi à préserver une rente. C’est peut-être Nicolas Colin, inspecteur des finances et co-rédacteur d’un rapport sur la fiscalité de l’économie numérique, qui présente l’argument de la victoire du lobbying contre l’innovation de la façon la plus convaincante et divertissante (Les fossoyeurs de l’innovation).

Pour rappel, depuis quelques années, des start-up (Voitures jaunes, Uber, SnapCar, LeCab…) proposent des services de voitures avec chauffeur, réservables sur smartphone après téléchargement d’une application. Le service rendu semble apprécié par les clients de VTC : le prix est connu à l’avance, la voiture attend sans surcharge, on peut suivre la voiture commandée sur son écran, la course est prépayée. Face à ces nouveaux entrants, les taxis dénoncent une concurrence déloyale. En effet, non seulement la profession est très réglementée[2] mais ils doivent aussi payer une licence (230 000 euros à Paris, 400 000 euros à Nice en 2012) pour avoir le droit de stationner dans la rue et prendre des clients à la volée, seuls avantages qu’ils ont par rapport aux VTC depuis la déréglementation des VTC en 2009[3]. Or, à l’heure où la plupart des clients potentiels de services de taxis sont équipés de smartphone qui permettent la géolocalisation, on peut redouter que la valeur de ce droit supplémentaire (prendre les clients dans la rue qui lèvent le bras, plutôt que de se géolocaliser) s’effondre. Selon les sociétés de taxis, les VTC contournent ainsi l’esprit de la loi en pratiquant la réservation immédiate.

Il n’est pas inutile de rappeler à ce stade que le débat sur la réglementation des taxis ne date ni d’hier ni du rapport Attali pour la libération de la croissance. A Paris, les historiens font remonter les premiers services de « voitures de louage avec cocher » à 1612 (sur cette partie historique, voir « Régulation des taxis, a tale of two cities »). La première régulation date de 1657 lorsque Louis XIV accorde un monopole au Sieur de Givry. A Londres, la première réglementation date de 1635 et répond à la demande des bateliers qui dénonçaient une concurrence déloyale alors qu’ils avaient jusque-là un monopole de fait sur le transport de passagers entre la City et Westminster : le roi impose alors aux carrosses des courses de plus de trois miles (la distance entre la City et Westminster est de 2,3 miles). Depuis le milieu du XVIIème siècle, l’histoire des taxis à Paris et à Londres oscille entre réglementation et dérégulation, monopoles accordés et inventions de nouveaux services pour contourner ces monopoles : en 1664, Piquet de Sautour reçoit le monopole des calèches à un cheval ; en 1665, le Marquis de Crenan celui des « Chaises à la Crenan », véhicules légers à deux roues (Margairaz, cité par Darbéra). Disons qu’Uber et SnapCar ressemblent étrangement à ces chaises à la Crenan et autres calèches à un cheval.

Le meilleur rapport qualité/prix des VTC est-il dû à des gains de productivité liés à l’innovation ou au fait qu’ils n’ont pas à payer des licences de 230 000 euros (à Paris) ? Evidemment, on a toutes les raisons de penser qu’économiser 230 000 euros procure un net avantage économique. En revanche, les arguments en faveur de l’innovation sont assez faibles : les nouvelles technologies permettent la localisation des taxis, mais c’est également le cas des centrales radios, créées à Paris en 1964 par G7 et les compagnies de taxis n’ont pas attendu la concurrence des VTC pour utiliser les techniques de localisation en temps réel (La CNIL a été saisie de la question de la géolocalisation des employés par les sociétés de taxis dès 2004). Certaines compagnies de taxis proposent d’ailleurs le même service de commande d’un taxi en temps réel à l’aide d’une application pour smartphone. Enfin à Paris, les « innovations » dans les services de transports de passager incluent le retour de la propulsion humaine, ce qui relativise également leur caractère réellement innovant. Si les gains de productivité étaient réellement dus à l’innovation, les nouveaux entrants pourraient acheter les licences et remplacer les anciennes sociétés de taxis. Ils ne le feront pas parce que ni eux ni les centrales-radio ne veulent prendre le risque que les licences ne perdent leur valeur. Ils préfèrent que les artisans portent ce risque : il n’y a aujourd’hui que 37% de locataires ou salariés parmi les chauffeurs de taxis parisiens et on peut penser qu’une grande partie des détenteurs de ces licences les ont reçues gratuitement. D’un point de vue politique, cette structure est rationnelle : un gouvernement spoliera moins facilement un artisan-taxi qu’un actionnaire d’une société de taxi, à la fois pour des raisons de justice sociale et de pouvoir de nuisance.

Le discours sur l’innovation et la croissance sert ici de leurre pour masquer un classique conflit entre producteurs, qui veulent défendre leurs revenus, et consommateurs, qui veulent un service de  taxi peu coûteux et disponible rapidement, y compris en heures de pointe. Ce conflit se double d’un non moins classique conflit entre détenteurs d’une licence ayant une valeur de rareté et nouveaux entrants, défenseurs de l’ouverture du marché. Dans ce paysage, l’alliance entre nouveaux entrants et consommateurs, qui ont aussi intérêt à l’ouverture du marché, paraît naturelle. Pour les détenteurs de licence, l’enjeu de ce conflit est d’autant plus important que le prix auquel la licence s’échange est élevé.

Ceci dit, la régulation actuelle pose problème. La limitation du nombre de licences de taxis a pour objectif de soutenir le revenu des taxis indépendants et d’éviter qu’ils travaillent trop d’heures par jour pour atteindre un revenu décent[4]. La régulation peut également se justifier  pour des motifs de qualité minimale et de sécurité. C’est le Front Populaire, suite à la crise économique et à l’afflux de chômeurs dans le secteur, qui a réintroduit le contingentement de licences (le secteur était ouvert depuis 1865). Dans ces conditions, il est particulièrement absurde d’avoir permis que ces licences soient cessibles[5] et d’avoir laissé leur prix augmenter en ne délivrant pas de licences supplémentaires entre 1990 et 2002 (alors que, par exemple, dans le même temps, le nombre de passagers dans les aéroports de Paris a augmenté de 49%[6]). Permettre la cession des licences, c’est transférer l’avantage lié au contingentement des licences de taxis des chauffeurs de taxis aux propriétaires des licences, au détriment des nouveaux acquéreurs. En effet, pour le nouvel entrant dans la profession, l’avantage du contingentement est nul puisqu’il doit payer cet avantage au prix du marché. La régulation actuelle est d’autant plus aberrante que les nouvelles licences sont cédées gratuitement (sur liste d’attente) : si le préfet attribue gratuitement 1 000 nouvelles licences, c’est 230 millions d’euros au prix du marché qui seront transférés aux heureux gagnants.

Si la régulation actuelle est absurde, il serait injuste de spolier ceux qui viennent de dépenser une fortune pour acquérir une licence, par exemple en augmentant massivement le nombre de licences.

Une première solution consiste à racheter en une fois les licences cessibles au prix du marché et à attribuer de nouvelles licences non cessibles. Le coût d’une telle mesure serait colossal : il y a environ 17 500 licences à Paris, ce qui représenterait un coût total de 4 milliards d’euros.

Une autre proposition, avancée notamment par Trannoy, est censée augmenter le nombre de licences sans ruiner les acquéreurs récents. La préfecture attribuerait une licence à chaque détenteur actuel de licence, ce qui doublerait le nombre de licences en circulation ; la valeur des licences serait divisée par deux mais sans léser les propriétaires de licences qui conserveraient une et vendrait la deuxième. En première approximation, le patrimoine des chauffeurs de taxi resterait inchangé. Trannoy envisage même que les détenteurs de licence soient gagnants car le chiffre d’affaires global devrait augmenter. Cette solution a également l’avantage de ne rien coûter aux pouvoirs publics. Bref, elle ne ferait que des heureux et l’intérêt des taxis ne s’opposerait pas à celui des consommateurs. Il y a en fait une erreur de raisonnement dans la proposition de Trannoy : il suppose que la valeur de la licence est proportionnelle au chiffre d’affaires des taxis. A chiffre d’affaires global inchangé, un doublement des licences signifierait une division par deux du prix des licences. Ceci est faux : si on multiplie par dix le nombre de licences, elles ne vaudront plus rien et pas dix fois moins. La valeur de la licence est en fait proportionnelle au profit (qui provient du contingentement des taxis), ce qui fait une grande différence dans un secteur où le coût fixe est élevé et le coût marginal faible (rouler à vide ne coûte pas moins cher que rouler à plein)[7]. Bacache-Beauvallet et al. (2008) estiment par exemple à 35 000 euros le coût fixe de l’activité de taxi (salaire compris) et à 42%, l’augmentation du nombre de licences à Paris qui annulerait la valeur des licences[8]. Cette évaluation n’est pas aberrante : la valeur des licences en 1995, pendant la période de gel des attributions était beaucoup plus faible (60 000 euros[9]).

Que faire ?

Le problème ne se limite pas à la question du nombre de licences : au cours de la journée, il y a inadéquation entre offre et demande du fait d’une demande beaucoup plus importante en heures de pointe qui se conjugue, à Paris, avec un engorgement important, qui réduit la vitesse des taxis ou les bloque aux aéroports. La régulation doit également se préoccuper d’une meilleure adéquation entre offre et demande au cours de la semaine, en modulant encore plus la tarification selon l’heure et en incitant au développement du doublage de licence comme l’explique par exemple ce rapport (pdf).

Concernant les licences, la très forte augmentation de leur valeur traduit probablement une offre trop faible par rapport à la demande. L’objectif serait alors d’augmenter l’offre sans spolier les nouveaux acquéreurs. De plus, il serait préférable de sortir d’un système où l’on doit se préoccuper continuellement de la valeur patrimoniale des licences attribuées gratuitement. Une solution consiste à  racheter les licences actuelles au fil de l’eau, non à leur valeur de marché mais à leur valeur d’acquisition majorée d’intérêts[10]. De nouvelles licences non cessibles seraient attribuées gratuitement. Leur nombre permettrait de maintenir le revenu net des nouveaux acquéreurs[11], en tenant compte d’un prélèvement sur le chiffre d’affaires (taxis plus VTC) qui financerait un fond de rachat des anciennes licences[12]. Ce système permet d’indemniser les acquéreurs récents, sans contribuer à l’enrichissement de ceux qui ont obtenu antérieurement une licence gratuitement ou à un prix très faible. Il permet la transition d’un système de licences cessibles à un système de licences non cessibles dans lequel le nombre de licences en circulation et la répartition du marché entre VTC et taxis dépend de la demande de services et non du pouvoir de nuisance des uns et des autres. Il est complexe mais il permet de détricoter les erreurs du passé de façon la plus équitable.

Il est toutefois peu probable qu’une telle solution soit mise en place. Par rapport au statu quo, elle fait de gros perdants dans l’immédiat : les détenteurs de licence qui espèrent réaliser une plus-value importante, notamment les chauffeurs les plus proches de la retraite. Les nouveaux acquéreurs de licence seraient probablement solidaires en espérant pour eux-mêmes une telle solidarité qui permettrait de maintenir le système actuel. Le risque pour eux est que le nombre de licences augmente au fil de l’eau et/ou que les VTC capturent une part croissante du marché malgré les contraintes qui leur sont imposées. Dans ce cas, la valeur réelle de leur licence pourrait diminuer petit à petit : les acquéreurs récents seraient perdants mais la perte ne serait actée que lorsqu’ils prendront leur retraite, dans 20 ou 30 ans. On peut toutefois penser que cette évolution ne se passera pas sans heurts.  
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* L’auteur n’a reçu aucun financement, ni des compagnies de taxis, ni des compagnies de VTC.

[1] L’argument de l’innovation est abondamment repris par les VTC sur le mode « chandelles et ampoules électriques » : voir par exemple « #PourNePasFaireDeConcurrence ».

[2] Le chauffeur de taxi doit notamment être titulaire d’une carte professionnelle, le taximètre est obligatoire et  les tarifs maximaux sont fixés par arrêté préfectoral.

[3] Avant 2009, l’activité de « grande remise », dont la spécialité est la mise à disposition de voitures haut de gamme avec chauffeur, uniquement sur commande et pour une destination définie, était soumise à une licence spéciale délivrée par le préfet, le représentant de l’entreprise devant également être titulaire d’un certificat d’aptitude à la profession d’entrepreneur de remise et de tourisme. La loi du 22 juillet 2009 a supprimé l’obligation de posséder une licence, ce qui a permis le développement des VTC.

[4] Du fait de coûts marginaux faibles et de coûts fixes élevés, le profit est négatif à l’équilibre concurrentiel en l’absence de régulation (« Valeur de licence et régulation du marché des taxis »). En pratique, cela signifie qu’en l’absence de régulation la rémunération des chauffeurs de taxi indépendants risque d’être inférieure au SMIC.

[5] Les licences peuvent officiellement être revendues depuis 1973.

[6] « Propositions de réforme de la profession de taxi » (Page 16)

[7] Prenons l’exemple extrême d’une activité où le coût marginal est nul et le coût fixe représente 2/3 du chiffre d’affaires : disons que le coût fixe est égal à 100 000 euros, le chiffre d’affaires de 150 000 euros, le profit est donc de 50 000 euros. Pour le propriétaire, la valeur de cette activité correspond aux profits futurs actualisés : elle est proportionnelle au profit. Si le chiffre d’affaires est réduit d’un tiers à 100 000 euros, le profit est annulé de même que la valeur de la propriété.

[8] Les auteurs utilisent un modèle théorique calibré. En réalité, le prix réel de la licence ne tomberait pas à zéro, notamment parce que les acteurs sur le marché pourraient anticiper la construction d’une nouvelle rente de rareté.

[9] Darbéra. A Dublin, la valeur de la licence de taxis est passée de 3 500 IEP en 1980 à 90 000 IEP en 2000, période de restriction de l’accès au marché (OCDE).

[10] Cette solution nécessite d’interdire la cession de ces licences sur le marché, ce qui était déjà le cas avant 1973.

[11] Généralement, les locataires et salariés.

[12] La valeur des licences a fortement augmenté dans les années 90 puis entre 2003 et aujourd’hui. Elle valait 60 000 € en 1995 (Darbéra), 90 000 € en 1999, 105 000 € en 2003 et 180 000 € en 2007 (voir annexe 9). Le prix de rachat des licences peut être estimé à 3 milliards d’euros (en tenant compte de l’évolution du prix de la licence de taxi entre 1993 et 2013, d’un taux d’intérêt nominal de 4% et d’un taux de rotation de 5%) : sur une période de 20 ans, il faudrait pouvoir dégager l’équivalent de 150 millions annuels (en euros 2013).




L’innovation dans les énergies renouvelables : quand intervention de l’État et concurrence vont de pair

par Lionel Nesta et Francesco Vona[1]

Contrairement à une idée reçue selon laquelle la concurrence n’exige aucune intervention de l’État, les politiques d’innovation et de concurrence se complètent mutuellement. C’est la principale conclusion d’une étude[2] que nous avons réalisée sur l’innovation dans le domaine des énergies renouvelables et que nous résumons dans une note de l’OFCE (OFCE Briefing Paper, n°8, October 6, 2014).

L’innovation est en effet le seul moyen permettant, à terme, de surmonter une contrainte environnementale croissante. Dans le domaine de l’énergie, l’augmentation de la rareté des ressources rend de plus en plus pressant le besoin de sources d’énergies renouvelables, comme la biomasse, l’énergie solaire ou éolienne.

Mais en dépit de l’augmentation considérable des demandes de brevets dans le domaine des énergies renouvelables (voir la graphique 1 pour le cas de six grands pays de l’OCDE), les énergies renouvelables ne peuvent toujours pas rivaliser avec les combustibles fossiles, leur production étant moins chère et leur distribution plus efficace. Les politiques publiques s’avèrent dès lors nécessaires notamment parce qu’elles peuvent s’inscrire dans une perspective de long terme permettant le développement des énergies renouvelables. Se pose alors la question des politiques publiques qui seront les plus efficaces pour servir de support à l’innovation verte.

Initialement, l’adoption de l’Accord de Kyoto sur le changement climatique a créé un consensus sur la nécessité de ces politiques environnementales. Ainsi, au cours des 20 dernières années, les pays de l’OCDE ont de plus en plus soutenu l’innovation dans les énergies renouvelables en diversifiant le type d’intervention. Aujourd’hui, ces politiques publiques visent à la fois à stimuler les investissements dans les capacités dites « vertes » et à réduire le coût de production de l’énergie renouvelable.

Dans le même temps, le processus de libéralisation des marchés de l’énergie s’est graduellement affirmé, et ce dans la plupart des pays de l’OCDE. Il a accru la concurrence en abaissant les barrières à l’entrée et accéléré la privatisation des producteurs d’énergie. Ce processus de libéralisation peut être positif pour l’innovation dans les énergies renouvelables, car ce type d’innovation s’appuie sur l’émergence de nouveaux acteurs. Les grands opérateurs historiques, eux, ne sont guère incités à développer des nouvelles technologies qui mettraient en cause leurs investissements passés dans la production d’énergie à grande échelle.

Dans ce contexte, il est important de comprendre la façon dont l’interaction entre politique publique et libéralisation influe sur l’innovation dans les énergies renouvelables. Notre principal résultat est que ces politiques sont plus efficaces dans des marchés libéralisés. Trois fois plus efficaces, en fait ! En général, cette complémentarité est l’un des plus grands moteurs de l’innovation, en particulier pour les brevets de haute qualité. Ce résultat est résumé dans le graphique 2 où nous décrivons l’effet marginal estimé des politiques d’énergies renouvelables sur l’innovation en fonction du degré de déréglementation du marché. Cet effet est positif pour les pays ayant un niveau de réglementation en dessous de la moyenne, comme c’est le cas pour l’Allemagne et les Etats-Unis. Notre conclusion est que l’effet des politiques d’énergies renouvelables sur l’innovation est médiatisé par le degré de concurrence sur le marché de l’énergie.

Encore une fois, dans le secteur de l’énergie, contrairement à la croyance commune que la concurrence n’exige aucune intervention de l’État, les politiques d’innovation et de concurrence se complètent mutuellement.

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[1] Cette recherche a bénéficié du financement du 7e PCRD de l’Union européenne (FP7/2007-2013) n°320278 (RASTANEWS).

[2] Voir : Nesta, L., Vona, F., Nicolli, F., 2014. “Environmental Policies, Competition and Innovation in Renewable Energy”, Journal of Environmental Economics and Management, vol. 67(3), 396-411.




Guerre des taxis contre les VTC : chacun a ses raisons

par Guillaume Allègre

 « Le plus terrible dans ce monde c’est que chacun a ses raisons »

 Jean Renoir, La Règle du jeu

Dans la guerre entre taxis et voitures de tourisme avec chauffeur (VTC), chacun a ses raisons. Nous avons souligné dans un précédent billet que le discours sur l’innovation masquait un conflit classique de répartition entre producteurs, qui veulent défendre leurs revenus, et consommateurs, qui veulent un service de taxi peu coûteux et disponible rapidement, y compris aux heures de pointe. Ceci se double d’un non moins classique conflit entre les détenteurs d’une licence ayant une valeur de rareté et les nouveaux entrants, défenseurs de l’ouverture du marché.  

Dans ce conflit, la régulation actuelle est absurde. La limitation du nombre de licences de taxis avait pour objectif de soutenir le revenu des taxis indépendants et d’éviter qu’ils travaillent trop d’heures par jour pour atteindre un revenu décent. Toutefois les autorités ont commis deux erreurs. Tout d’abord, en permettant de céder les licences, ils ont transféré l’avantage du contingentement des chauffeurs de taxis aux propriétaires des licences : aujourd’hui un chauffeur de taxi doit soit louer sa licence soit l’acheter à un prix reflétant sa valeur de rareté (230 000 euros à Paris en 2012) ! La situation actuelle est d’autant plus aberrante que les nouvelles licences sont cédées gratuitement (sur liste d’attente) : si le préfet attribue gratuitement 1 000 nouvelles licences, c’est 230 millions d’euros au prix du marché qui seront transférés aux heureux gagnants (qui pourront par la suite louer ces licences) !

Ensuite, deuxième erreur, les pouvoirs publics ont laissé gonfler la bulle sur les licences de taxi. Le prix élevé des licences reflète à l’évidence une offre trop faible par rapport à la demande. Mais il serait maintenant injuste de spolier ceux qui viennent de dépenser une fortune pour acquérir une licence, par exemple, en augmentant massivement le nombre de licences : pourquoi les acquéreurs récents devraient payer pour les atermoiements du régulateur ?

Quelle solution ?

Il serait préférable de sortir d’un système où l’on doit se préoccuper continuellement de la valeur patrimoniale de licences attribuées gratuitement. Racheter toutes les licences à leur prix de marché serait coûteux et aurait pour conséquence un enrichissement sans cause de ceux ayant reçu une licence à titre gratuit.

Une solution, proposée dans le précédent billet, consiste à racheter les licences actuelles au fil de l’eau (lorsque les chauffeurs de taxis prennent leur retraite), non à leur valeur de marché mais à leur valeur d’acquisition majorée d’intérêts et à attribuer de nouvelles licences gratuites mais non cessibles. Ce système permettrait d’indemniser les acquéreurs récents, sans contribuer à l’enrichissement sans cause de ceux qui ont obtenu une licence gratuitement ou à un prix très faible. Il permettrait la transition d’un système de licences cessibles à un système de licences non cessibles dans lequel le nombre de licences en circulation et la répartition du marché entre VTC et taxis dépendraient de la demande de services et non du pouvoir de nuisance des uns et des autres. Certes, ce système est complexe mais il permettrait de détricoter les erreurs du passé de façon la plus équitable.

Pour en savoir plus : Taxis vs VTC : la victoire du lobby contre l’innovation ?

Pour contacter l’auteur : guillaume.allegre@sciencespo.fr

Pour suivre l’auteur sur Twitter : @g_allegre




Taxis vs VTC : la victoire du lobby contre l’innovation ?

par Guillaume Allègre *

L’affaire est entendue : en imposant aux voitures de tourismes avec chauffeur (VTC) un délai de 15 minutes entre la réservation et la prise en charge du client, le lobby des taxis aurait gagné une bataille contre l’innovation[1], réussissant ainsi à préserver une rente. C’est peut-être Nicolas Colin, inspecteur des finances et co-rédacteur d’un rapport sur la fiscalité de l’économie numérique, qui présente l’argument de la victoire du lobbying contre l’innovation de la façon la plus convaincante et divertissante (« Les fossoyeurs de l’innovation »).

Pour rappel, depuis quelques années, des start-up (Voitures jaunes, Uber, SnapCar, LeCab…) proposent des services de voitures avec chauffeur, réservables sur smartphone après téléchargement d’une application. Le service rendu semble apprécié par les clients de VTC : le prix est connu à l’avance, la voiture attend sans surcharge, on peut suivre la voiture commandée sur son écran, la course est prépayée. Face à ces nouveaux entrants, les taxis dénoncent une concurrence déloyale. En effet, non seulement la profession est très réglementée[2] mais ils doivent aussi payer une licence (230 000 euros à Paris, 400 000 euros à Nice en 2012) pour avoir le droit de stationner dans la rue et prendre des clients à la volée, seuls avantages qu’ils ont par rapport aux VTC depuis la déréglementation des VTC en 2009[3]. Or, à l’heure où la plupart des clients potentiels de services de taxis sont équipés de smartphone qui permettent la géolocalisation, on peut redouter que la valeur de ce droit supplémentaire (prendre les clients dans la rue qui lèvent le bras, plutôt que de se géolocaliser) s’effondre. Selon les sociétés de taxis, les VTC contournent ainsi l’esprit de la loi en pratiquant la réservation immédiate.

Il n’est pas inutile de rappeler à ce stade que le débat sur la réglementation des taxis ne date ni d’hier ni du rapport Attali pour la libération de la croissance. A Paris, les historiens font remonter les premiers services de « voitures de louage avec cocher » à 1612 (sur cette partie historique, voir « Régulation des taxis, a tale of two cities »). La première régulation date de 1657 lorsque Louis XIV accorde un monopole au Sieur de Givry. A Londres, la première réglementation date de 1635 et répond à la demande des bateliers qui dénonçaient une concurrence déloyale alors qu’ils avaient jusque-là un monopole de fait sur le transport de passagers entre la City et Westminster : le roi impose alors aux carrosses des courses de plus de trois miles (la distance entre la City et Westminster est de 2,3 miles). Depuis le milieu du XVIIème siècle, l’histoire des taxis à Paris et à Londres oscille entre réglementation et dérégulation, monopoles accordés et inventions de nouveaux services pour contourner ces monopoles : en 1664, Piquet de Sautour reçoit le monopole des calèches à un cheval ; en 1665, le Marquis de Crenan celui des « Chaises à la Crenan », véhicules légers à deux roues (Margairaz, cité par Darbéra). Disons qu’Uber et SnapCar ressemblent étrangement à ces chaises à la Crenan et autres calèches à un cheval.

Le meilleur rapport qualité/prix des VTC est-il dû à des gains de productivité liés à l’innovation ou au fait qu’ils n’ont pas à payer des licences de 230 000 euros (à Paris) ? Evidemment, on a toutes les raisons de penser qu’économiser 230 000 euros procure un net avantage économique. En revanche, les arguments en faveur de l’innovation sont assez faibles : les nouvelles technologies permettent la localisation des taxis, mais c’est également le cas des centrales radios, créées à Paris en 1964 par G7 et les compagnies de taxis n’ont pas attendu la concurrence des VTC pour utiliser les techniques de localisation en temps réel (La CNIL a été saisie de la question de la géolocalisation des employés par les sociétés de taxis dès 2004). Certaines compagnies de taxis proposent d’ailleurs le même service de commande d’un taxi en temps réel à l’aide d’une application pour smartphone. Enfin à Paris, les « innovations » dans les services de transports de passager incluent le retour de la propulsion humaine, ce qui relativise également leur caractère réellement innovant. Si les gains de productivité étaient réellement dus à l’innovation, les nouveaux entrants pourraient acheter les licences et remplacer les anciennes sociétés de taxis. Ils ne le feront pas parce que ni eux ni les centrales-radio ne veulent prendre le risque que les licences ne perdent leur valeur. Ils préfèrent que les artisans portent ce risque : il n’y a aujourd’hui que 37% de locataires ou salariés parmi les chauffeurs de taxis parisiens et on peut penser qu’une grande partie des détenteurs de ces licences les ont reçues gratuitement. D’un point de vue politique, cette structure est rationnelle : un gouvernement spoliera moins facilement un artisan-taxi qu’un actionnaire d’une société de taxi, à la fois pour des raisons de justice sociale et de pouvoir de nuisance.

Le discours sur l’innovation et la croissance sert ici de leurre pour masquer un classique conflit entre producteurs, qui veulent défendre leurs revenus, et consommateurs, qui veulent un service de  taxi peu coûteux et disponible rapidement, y compris en heures de pointe. Ce conflit se double d’un non moins classique conflit entre détenteurs d’une licence ayant une valeur de rareté et nouveaux entrants, défenseurs de l’ouverture du marché. Dans ce paysage, l’alliance entre nouveaux entrants et consommateurs, qui ont aussi intérêt à l’ouverture du marché, paraît naturelle. Pour les détenteurs de licence, l’enjeu de ce conflit est d’autant plus important que le prix auquel la licence s’échange est élevé.

Ceci dit, la régulation actuelle pose problème. La limitation du nombre de licences de taxis a pour objectif de soutenir le revenu des taxis indépendants et d’éviter qu’ils travaillent trop d’heures par jour pour atteindre un revenu décent[4]. La régulation peut également se justifier  pour des motifs de qualité minimale et de sécurité. C’est le Front Populaire, suite à la crise économique et à l’afflux de chômeurs dans le secteur, qui a réintroduit le contingentement de licences (le secteur était ouvert depuis 1865). Dans ces conditions, il est particulièrement absurde d’avoir permis que ces licences soient cessibles[5] et d’avoir laissé leur prix augmenter en ne délivrant pas de licences supplémentaires entre 1990 et 2002 (alors que, par exemple, dans le même temps, le nombre de passagers dans les aéroports de Paris a augmenté de 49%[6]). Permettre la cession des licences, c’est transférer l’avantage lié au contingentement des licences de taxis des chauffeurs de taxis aux propriétaires des licences, au détriment des nouveaux acquéreurs. En effet, pour le nouvel entrant dans la profession, l’avantage du contingentement est nul puisqu’il doit payer cet avantage au prix du marché. La régulation actuelle est d’autant plus aberrante que les nouvelles licences sont cédées gratuitement (sur liste d’attente) : si le préfet attribue gratuitement 1 000 nouvelles licences, c’est 230 millions d’euros au prix du marché qui seront transférés aux heureux gagnants.

Si la régulation actuelle est absurde, il serait injuste de spolier ceux qui viennent de dépenser une fortune pour acquérir une licence, par exemple en augmentant massivement le nombre de licences.

Une première solution consiste à racheter en une fois les licences cessibles au prix du marché et à attribuer de nouvelles licences non cessibles. Le coût d’une telle mesure serait colossal : il y a environ 17 500 licences à Paris, ce qui représenterait un coût total de 4 milliards d’euros.

Une autre proposition, avancée notamment par Trannoy, est censée augmenter le nombre de licences sans ruiner les acquéreurs récents. La préfecture attribuerait une licence à chaque détenteur actuel de licence, ce qui doublerait le nombre de licences en circulation ; la valeur des licences serait divisée par deux mais sans léser les propriétaires de licences qui conserveraient une et vendrait la deuxième. En première approximation, le patrimoine des chauffeurs de taxi resterait inchangé. Trannoy envisage même que les détenteurs de licence soient gagnants car le chiffre d’affaires global devrait augmenter. Cette solution a également l’avantage de ne rien coûter aux pouvoirs publics. Bref, elle ne ferait que des heureux et l’intérêt des taxis ne s’opposerait pas à celui des consommateurs. Il y a en fait une erreur de raisonnement dans la proposition de Trannoy : il suppose que la valeur de la licence est proportionnelle au chiffre d’affaires des taxis. A chiffre d’affaires global inchangé, un doublement des licences signifierait une division par deux du prix des licences. Ceci est faux : si on multiplie par dix le nombre de licences, elles ne vaudront plus rien et pas dix fois moins. La valeur de la licence est en fait proportionnelle au profit (qui provient du contingentement des taxis), ce qui fait une grande différence dans un secteur où le coût fixe est élevé et le coût marginal faible (rouler à vide ne coûte pas moins cher que rouler à plein)[7]. Bacache-Beauvallet et al. (2008) estiment par exemple à 35 000 euros le coût fixe de l’activité de taxi (salaire compris) et à 42%, l’augmentation du nombre de licences à Paris qui annulerait la valeur des licences[8]. Cette évaluation n’est pas aberrante : la valeur des licences en 1995, pendant la période de gel des attributions était beaucoup plus faible (60 000 euros[9]).

Que faire ?

Le problème ne se limite pas à la question du nombre de licences : au cours de la journée, il y a inadéquation entre offre et demande du fait d’une demande beaucoup plus importante en heures de pointe qui se conjugue, à Paris, avec un engorgement important, qui réduit la vitesse des taxis ou les bloque aux aéroports. La régulation doit également se préoccuper d’une meilleure adéquation entre offre et demande au cours de la semaine, en modulant encore plus la tarification selon l’heure et en incitant au développement du doublage de licence comme l’explique par exemple ce rapport (pdf).

Concernant les licences, la très forte augmentation de leur valeur traduit probablement une offre trop faible par rapport à la demande. L’objectif serait alors d’augmenter l’offre sans spolier les nouveaux acquéreurs. De plus, il serait préférable de sortir d’un système où l’on doit se préoccuper continuellement de la valeur patrimoniale des licences attribuées gratuitement. Une solution consiste à  racheter les licences actuelles au fil de l’eau, non à leur valeur de marché mais à leur valeur d’acquisition majorée d’intérêts[10]. De nouvelles licences non cessibles seraient attribuées gratuitement. Leur nombre permettrait de maintenir le revenu net des nouveaux acquéreurs[11], en tenant compte d’un prélèvement sur le chiffre d’affaires (taxis plus VTC) qui financerait un fond de rachat des anciennes licences[12]. Ce système permet d’indemniser les acquéreurs récents, sans contribuer à l’enrichissement de ceux qui ont obtenu antérieurement une licence gratuitement ou à un prix très faible. Il permet la transition d’un système de licences cessibles à un système de licences non cessibles dans lequel le nombre de licences en circulation et la répartition du marché entre VTC et taxis dépend de la demande de services et non du pouvoir de nuisance des uns et des autres. Il est complexe mais il permet de détricoter les erreurs du passé de façon la plus équitable.

Il est toutefois peu probable qu’une telle solution soit mise en place. Par rapport au statu quo, elle fait de gros perdants dans l’immédiat : les détenteurs de licence qui espèrent réaliser une plus-value importante, notamment les chauffeurs les plus proches de la retraite. Les nouveaux acquéreurs de licence seraient probablement solidaires en espérant pour eux-mêmes une telle solidarité qui permettrait de maintenir le système actuel. Le risque pour eux est que le nombre de licences augmente au fil de l’eau et/ou que les VTC capturent une part croissante du marché malgré les contraintes qui leur sont imposées. Dans ce cas, la valeur réelle de leur licence pourrait diminuer petit à petit : les acquéreurs récents seraient perdants mais la perte ne serait actée que lorsqu’ils prendront leur retraite, dans 20 ou 30 ans. On peut toutefois penser que cette évolution ne se passera pas sans heurts.  
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* L’auteur n’a reçu aucun financement, ni des compagnies de taxis, ni des compagnies de VTC.

[1] L’argument de l’innovation est abondamment repris par les VTC sur le mode « chandelles et ampoules électriques » : voir par exemple « #PourNePasFaireDeConcurrence ».

[2] Le chauffeur de taxi doit notamment être titulaire d’une carte professionnelle, le taximètre est obligatoire et  les tarifs maximaux sont fixés par arrêté préfectoral.

[3] Avant 2009, l’activité de « grande remise », dont la spécialité est la mise à disposition de voitures haut de gamme avec chauffeur, uniquement sur commande et pour une destination définie, était soumise à une licence spéciale délivrée par le préfet, le représentant de l’entreprise devant également être titulaire d’un certificat d’aptitude à la profession d’entrepreneur de remise et de tourisme. La loi du 22 juillet 2009 a supprimé l’obligation de posséder une licence, ce qui a permis le développement des VTC.

[4] Du fait de coûts marginaux faibles et de coûts fixes élevés, le profit est négatif à l’équilibre concurrentiel en l’absence de régulation (« Valeur de licence et régulation du marché des taxis »). En pratique, cela signifie qu’en l’absence de régulation la rémunération des chauffeurs de taxi indépendants risque d’être inférieure au SMIC.

[5] Les licences peuvent officiellement être revendues depuis 1973.

[6] « Propositions de réforme de la profession de taxi » (Page 16)

[7] Prenons l’exemple extrême d’une activité où le coût marginal est nul et le coût fixe représente 2/3 du chiffre d’affaires : disons que le coût fixe est égal à 100 000 euros, le chiffre d’affaires de 150 000 euros, le profit est donc de 50 000 euros. Pour le propriétaire, la valeur de cette activité correspond aux profits futurs actualisés : elle est proportionnelle au profit. Si le chiffre d’affaires est réduit d’un tiers à 100 000 euros, le profit est annulé de même que la valeur de la propriété.

[8] Les auteurs utilisent un modèle théorique calibré. En réalité, le prix réel de la licence ne tomberait pas à zéro, notamment parce que les acteurs sur le marché pourraient anticiper la construction d’une nouvelle rente de rareté.

[9] Darbéra. A Dublin, la valeur de la licence de taxis est passée de 3 500 IEP en 1980 à 90 000 IEP en 2000, période de restriction de l’accès au marché (OCDE).

[10] Cette solution nécessite d’interdire la cession de ces licences sur le marché, ce qui était déjà le cas avant 1973.

[11] Généralement, les locataires et salariés.

[12] La valeur des licences a fortement augmenté dans les années 90 puis entre 2003 et aujourd’hui. Elle valait 60 000 € en 1995 (Darbéra), 90 000 € en 1999, 105 000 € en 2003 et 180 000 € en 2007 (voir annexe 9). Le prix de rachat des licences peut être estimé à 3 milliards d’euros (en tenant compte de l’évolution du prix de la licence de taxi entre 1993 et 2013, d’un taux d’intérêt nominal de 4% et d’un taux de rotation de 5%) : sur une période de 20 ans, il faudrait pouvoir dégager l’équivalent de 150 millions annuels (en euros 2013).




Les conteurs d’EDF

par Evens Saliesa

L’enjeu des politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’est pas seulement environnemental. Il est aussi de stimuler l’innovation, facteur de croissance économique. La politique d’amélioration de l’efficacité énergétique [1] nécessite de lourds investissements visant à transformer le réseau électrique en un réseau plus intelligent, un smart grid.

A ce titre, les Etats membres ont jusqu’en 2020 pour remplacer les compteurs d’au moins 80 % des clients des secteurs résidentiel et tertiaire par des compteurs plus « intelligents ». En France métropolitaine, ces deux secteurs représentent 99 % des sites raccordés au réseau basse tension (< 36kVA), soit environ 43 % de la consommation d’électricité, et près de 25 % des émissions de gaz à effet de serre (sans compter celles émises lors de la production de l’énergie électrique qui alimente ces sites).

Ces nouveaux compteurs possèdent des fonctionnalités qui, comme l’ont montré des recherches, permettent de réduire la consommation électrique. La télérelève des données de consommation toutes les 10 minutes, et leur transmission en temps réel sur un afficheur déporté (l’écran d’un ordinateur, etc.), matérialisent sans délai les efforts d’économie d’électricité ; ce qui était impossible auparavant avec deux relevés par an. La télérelève à haute fréquence permet aussi un élargissement du menu de contrats des fournisseurs à des tarifs mieux adaptés au profil de consommation des clients. Le « pilote » du réseau de transmission peut optimiser plus efficacement l’équilibre entre la demande et une offre plus fragmentée à cause du nombre croissant de petits producteurs indépendants. Pour les distributeurs [2], la télérelève résout le problème d’accessibilité aux compteurs [3].

Ces fonctionnalités sont supposées créer les conditions d’émergence d’un marché de la maîtrise de la demande d’électricité (MDE) complémentaire de celui de la fourniture. Ce marché offre aux fournisseurs non-historiques la possibilité de se différencier un peu plus, en proposant des services adaptés au besoin de MDE de la clientèle [4]. Le gain en termes d’innovation pourrait être significatif si des sociétés tierces, spécialistes des technologies de l’information et de la communication, développent elles aussi les applications logicielles permises par l’usage du compteur. Pourtant, en France, la politique de déploiement des compteurs évolués ne semble pas aller dans le sens d’une plus grande concurrence. L’innovation pourrait s’arrêter au compteur en raison d’une délibération de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) stipulant que :

« Les fonctionnalités des systèmes de comptage évolués doivent relever strictement des missions des [distributeurs] d’électricité, […] Ainsi, les fonctionnalités supplémentaires demandées par certains acteurs [essentiellement les fournisseurs] qui relèvent du domaine concurrentiel (notamment, l’afficheur déporté) ne sont pas retenues. »

A la lecture de ce paragraphe, nous comprenons que les fournisseurs ne sont pas prêts à supporter le coût de développement de ces fonctionnalités. Or, d’après l’Article 4 de cet arrêté, qui précise la liste des fonctionnalités réservées aux distributeurs, aucune ne semble avoir été laissée en exclusivité au secteur concurrentiel. En effet, les ménages équipés d’un ordinateur pourront consulter leurs données de consommation sans passer par leur fournisseur ou une société tierce.

Il est bon de s’interroger sur les bénéfices et les coûts d’une telle approche qui, a priori, ressemble à une monopolisation du marché de la MDE par les distributeurs.

Cette approche permettra d’atteindre rapidement l’objectif des 80 % puisque la CRE a opté pour un service public de la MDE : les distributeurs, qui ont des obligations de service public, déploieront les compteurs communicants. A lui seul, le compteur « Linky » du distributeur d’électricité dominant, ERDF, sera déployé sur 35 millions de sites basse tension, couvrant ainsi 95 % du réseau national de distribution[5]. Ainsi, le risque de sous-investissement dans les capacités d’effacement que les fournisseurs d’électricité devront bientôt détenir est faible. En effet, ces derniers n’ayant pas à supporter les coûts de fabrication et déploiement des compteurs, ils pourront rapidement investir dans le développement de ces capacités. De plus, la péréquation des coûts de sous-traitance pour la fabrication des compteurs et de déploiement sur tout le réseau français de distribution permet des économies d’échelle considérables. Enfin, le faible taux de pénétration des compteurs dans les pays qui ont opté pour une approche décentralisée (le compteur et les services sont alors en partie à la charge des ménages intéressés), plaide en faveur du modèle français. Ce modèle est en effet plus pragmatique puisqu’il supprime l’essentiel des barrières à l’adoption.

Cependant, le niveau de concentration des activités de distribution et de fourniture de l’électricité aux ménages pose question : ERDF est affilié à EDF, en quasi-monopole dans la fourniture aux ménages. En termes d’innovation dans les services de MDE, l’intérêt pour EDF d’aller au-delà du projet Linky de sa filiale paraît faible. D’abord, à cause des coûts déjà engagés par le groupe (au moins cinq milliards). Ensuite parce que la qualité de la solution de base d’information sur les consommations par défaut dans Linky, sera suffisante pour parvenir à créer des coûts de migration vers les services de MDE offerts par la concurrence [6]. Certes, les fournisseurs alternatifs vont pouvoir introduire des tarifs innovants. Mais EDF aussi. Une manière de surmonter cet obstacle serait de mettre en place une plateforme Linky, pour que des applications des sociétés tierces puissent dialoguer avec son système d’exploitation. Moyennant l’accord du ménage et, éventuellement, une charge d’accès aux données, l’activité serait certes régulée, mais l’entrée serait libre. Cela stimulerait l’innovation dans les services de MDE, mais n’augmenterait pas la concurrence puisque ces sociétés ne seront pas fournisseurs d’électricité. Le consommateur a-t-il beaucoup à perdre ? Evidemment, cela dépend du montant de la réduction de sa facture. Etant donnée la hausse probable de 30% des prix de l’électricité d’ici à 2017 (inflation incluse), nous craignons que les efforts des ménages en vue d’optimiser leur consommation ne seront pas récompensés. Le gain net à moyen terme pourrait être négatif.

Finalement, nous pouvons nous demander si, avec Linky, le groupe EDF n’essaie pas de maintenir sa position d’entreprise dominante dans la fourniture d’électricité, affaiblie depuis l’ouverture à la concurrence. Avec un service de MDE installé par défaut sur 95% des sites basse tension, Linky va devenir l’élément d’infrastructure du réseau national que devront emprunter tous les offreurs de service de MDE. Du point de vue des règles de la concurrence, il faut alors se poser la question de savoir si ERDF et ses partenaires ont bien communiqué l’information sur le système d’exploitation de Linky, sans favoritisme pour le groupe EDF et ses filiales (Edelia, Netseenergy). Les conteurs aimeraient nous narrer une belle histoire d’encouragement à l’innovation dans l’énergie et l’économie numérique pour réussir la transition écologique. Sachant que l’actuel PDG de l’entreprise en charge de l’architecture du système d’information de Linky, Atos, était ministre de l’économie et des finances juste avant le lancement du projet Linky en 2007, nous pouvons en douter…


[1] « Amélioration de l’efficacité énergétique » et « économie d’électricité » sont utilisées indifféremment dans ce billet. Voir l’article 2 de la directive 2012/27/UE du Parlement et du Conseil européens pour des définitions précises.

[2] Les distributeurs sont les gestionnaires des réseaux de lignes moyenne et basse tension. Le plus répandu est ERDF. Réseaux et compteurs font partie des ouvrages concédés, propriété des collectivités locales délégantes.

[3] Cependant, cela impliquera, par exemple pour ERDF, la suppression de 5 000 postes (à rapprocher des 5900 départs à la retraite … ; cf. Sénat, 2012, Rapport n° 667, Tome II, p. 294).

[4] En conformité avec la loi NOME de 2010, les fournisseurs et autres opérateurs devront être capables de baisser ponctuellement la consommation d’électricité de certains clients (couper momentanément l’alimentation d’un chauffage électrique, etc.), ce qui est appelé « effacement de consommation ».

[5] Dans les territoires où ERDF n’est pas concessionnaire, d’autres expérimentations existent, comme celle du distributeur SRD dans la Vienne qui déploie son compteur évolué, i-Ouate, sur 130 000 sites.

[6] Voir DGEC, 2013, Groupe de travail sur les compteurs électriques communicants – Document de concertation, février.

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a L’auteur remercie C. Blot, K. Chakir, S. Levasseur, L. Nesta, F. Saraceno, et plus particulièrement O. Brie, M.-K. Codognet et M. Deschamps. Les opinions défendues dans ce billet n’engagent que son auteur.




La nationalisation est-elle un leurre ou un outil de politique industrielle ?

par Jean-Luc Gaffard

La fermeture des hauts fourneaux du site de Florange en Moselle par Arcelor Mittal et la recherche d’un repreneur par le gouvernement français ont conduit ce dernier à envisager, un temps, la nationalisation du site, c’est-à-dire, non seulement la production d’acier brut, mais aussi la ligne de transformation à froid. La menace de nationalisation a été clairement brandie dans la perspective de forcer la main au groupe Mittal pour qu’il cède à un autre groupe privé cet ensemble. Une telle nationalisation, si elle avait dû intervenir, aurait été une nationalisation-sanction: la sanction du comportement, jugé contraire à l’intérêt général, du groupe Mittal. Outre cet aspect exceptionnel, elle aurait posé des problèmes de concurrence.

Le projet autour de Mittal trouve une certaine résonance avec la nationalisation de Renault en 1945. Chacun conviendra, cependant, que les reproches ne pouvaient pas être du même ordre. Mais surtout, il n’était, à l’évidence, pas question de faire du site nationalisé la vitrine d’une politique sociale propre à entraîner le pays sur la voie de la croissance. L’objectif était moins ambitieux. Il s’agissait, ni plus, ni moins, que d’un transfert de propriété d’un groupe privé vers un autre groupe privé. Convenons que c’eut été une première dans l’usage de l’arme des nationalisations. La comparaison avec le soutien du gouvernement français à Alstom en 2004 ne tenait pas : dans ce dernier cas, il s’agissait de sauver une entreprise risquant de faire faillite suite à des acquisitions hasardeuses et non de lui substituer une autre entreprise. Par ailleurs, la difficulté était circonscrite à l’entreprise concernée et n’avait aucun caractère global ou même sectoriel. La comparaison avec le soutien de l’administration Obama à l’industrie automobile en 2009 ne tenait pas davantage puisqu’il y était aussi question du sauvetage d’une entreprise poussée à la faillite dans un secteur industriel jugé stratégique.

La réalité, dans le cas de Florange, était et reste qu’aucun repreneur potentiel ne pensait pouvoir maintenir les hauts fourneaux en activité dans une conjoncture de chute de la demande d’acier consécutive notamment à la crise de l’automobile. C’est bien la raison pour laquelle, quel qu’il soit, le repreneur exigeait de pouvoir détenir aussi le train de laminoir. Cette exigence était dans son intérêt bien compris : les hauts fourneaux ne pouvaient être repris que sous la condition qu’ils puissent alimenter l’activité immédiatement en aval sur le même site. Si elle avait été satisfaite, nul doute qu’elle aurait posé problème au groupe Mittal qui, actuellement, fournit en acier le laminoir de Florange à partir de son site de Dunkerque, lequel aurait pu alors connaître des difficultés y compris en termes d’emplois. Autrement dit, la nationalisation temporaire en vue d’un transfert de propriété aurait interféré avec le jeu de la concurrence entre groupes privés. Il était loin d’être clair qu’elle allait dans le sens de l’intérêt général.

La thèse, parfois entendue, selon laquelle, la stratégie de Mittal serait le fait de dirigeants qui ne feraient qu’obéir aux actionnaires et seraient les défenseurs d’une économie sans usine et sans machine ne tient pas au regard de la nature même de l’activité et du degré d’intégration des différents sites de production. L’hypothèse pouvait, en revanche, être émise que la stratégie de Mittal, impliquant la fermeture des hauts fourneaux de Florange, était une stratégie de rationnement de l’offre, conçue pour empêcher la chute des prix de l’acier et préserver des taux de marge déjà affaiblis. Cette hypothèse serait crédible si la demande d’acier était principalement liée à son prix, alors que, visiblement, la chute observée est un effet de la crise globale et notamment de la chute des ventes dans les secteurs de l’automobile et du bâtiment. En d’autres termes, ce n’est pas la baisse des prix de l’acier qui peut aujourd’hui permettre d’en augmenter la demande, assurant ainsi le maintien en activité de tous les hauts fourneaux. Il est beaucoup plus vraisemblable de supposer que dans l’environnement macroéconomique actuel, le transfert de propriété envisagé aurait eu pour seul effet de modifier les parts de marché plutôt que d’en augmenter la taille.

De fait, on ne pouvait que douter de la légitimité et de la capacité des pouvoirs publics à établir la configuration de marché la plus appropriée, ne serait-ce que de la répartition des emplois préservés ou détruits. En outre, si le choix d’une nationalisation avait prévalu dans un tel contexte, la fixation d’une juste indemnisation se serait avérée délicate et source de contentieux.

En bref, la nationalisation ainsi conçue pouvait difficilement passer pour un outil efficace de politique industrielle. Il n’appartient pas aux pouvoirs publics d’arbitrer entre des intérêts privés pour fixer qui détient quoi, y compris en cas de fermeture de certains sites. Ce type d’arbitrage relève des autorités de la concurrence. La politique industrielle, quant à elle, doit interférer le moins possible avec la répartition des parts de marché entre les différents concurrents. Tout au plus peut-elle assurer la survie d’entreprises dont l’activité est jugée stratégique et qui traversent une passe difficile en raison de la conjoncture globale ou de choix industriels qui se sont avérés erronés ou simplement plus coûteux que prévu.

Il n’est pas étonnant dans ces conditions que le gouvernement n’ait pas donné suite au projet de nationalisation et se soit rallié au compromis consistant simplement à exiger de Mittal qu’il s’engage à réaliser des investissements de modernisation du site et à maintenir en état de marche les hauts fourneaux dans la perspective, au reste aléatoire, de les doter d’une technologie fortement économe en émission de gaz carbonique les faisant gagner en compétitivité, dans le cadre du projet européen Ulcos (Ultra-Low Carbon Dioxide Steelmaking).

La nationalisation projetée était bel et bien un leurre dans tous les sens du terme. La bataille politique et médiatique autour du devenir du site de Florange a révélé, en réalité, une erreur d’analyse des pouvoirs publics. Les difficultés rencontrées par la sidérurgie française résultent d’une insuffisance de la demande, fruit du choix politique d’une austérité généralisée. Chercher à ce problème macroéconomique une solution microéconomique était pour le moins hasardeux et témoigne d’une incohérence des choix de politique économique de court et moyen terme.




Crise de l’automobile: les défaillances stratégiques ne doivent pas occulter les conséquences de l’austérité budgétaire

Par Jean-Luc Gaffard

La crise de l’automobile, qu’illustre la fermeture du site PSA d’Aulnay, révèle des difficultés structurelles en même temps que des erreurs stratégiques commises en matière d’organisation industrielle et de positionnement de gamme de la part des constructeurs. La nécessité des restructurations à laquelle l’industrie est confrontée ne saurait, cependant, occulter la dimension proprement macroéconomique et à très court terme de cette crise.

Les immatriculations de voitures neuves en France ont chuté de 15,5% en juillet en données corrigées des jours ouvrables et en rythme annuel. Sur les sept premiers mois de l’année, la baisse du marché automobile s’établit à 13,5% en données brutes et à 14,1% en données corrigées. Le groupe PSA a perdu 9,9% en juillet en données brutes. Le groupe Renault a vu pour sa part ses immatriculations reculer de 11,2% avec une chute de 26,6% pour la marque au losange mais un quasi-doublement des immatriculations de la marque à bas coût Dacia. Toujours en juillet, les ventes de voitures neuves en Espagne ont accentué leur chute, avec un repli de 17,2 %. En Italie, les immatriculations de voitures neuves ont plongé de 21,4 %. Enfin, si la production allemande a augmenté de 5% grâce aux exportations, les immatriculations de voitures neuves en Allemagne ont reculé de 5%.

Ces chiffres catastrophiques sont en tout premier lieu la conséquence de l’affaissement de la demande globale dans les pays de l’Union européenne qui résulte de la chute des revenus combinée à un creusement des inégalités de répartition. La classe moyenne maintient ou accroît son taux d’épargne et reporte ses achats dans le temps ou sur des produits à moindres coûts au premier rang desquels les automobiles quand, dans le même temps le creusement des inégalités rend le marché des véhicules haut de gamme particulièrement porteur en Europe comme en Chine.

Il n’est pas étonnant, dans ce contexte, que PSA positionné en milieu de gamme enregistre une chute de ses ventes et que Renault ne limite la casse que grâce aux ventes de sa marque à bas coût. Il n’est pas davantage étonnant de constater la nette progression des marques asiatiques, notamment coréennes, également positionnées sur ce segment du marché. Il n’est pas étonnant, enfin, que les groupes allemands enregistrent des résultats exceptionnels en étant fortement positionnés sur le haut de gamme : BMW, Audi et Porsche ont enregistré une augmentation de leurs ventes au premier semestre respectivement de 8%, 22,5% et 12,3%.

Cet état de fait ne saurait naturellement exonérer les constructeurs de leurs responsabilités stratégiques, mais il devrait conduire le gouvernement à hiérarchiser les causes et, plus encore, à prendre la mesure de ce qui est nécessaire à court terme en même temps qu’il s’engage dans un soutien à long terme de la filière.

Personne ne peut douter de la pertinence et de l’efficacité de la stratégie des entreprises allemandes basée sur la fragmentation internationale de leur production, la conservation et le développement sur le territoire national de leur capacité technologique et une meilleure analyse des attentes du marché dans les pays émergents au premier rang desquels la Chine. Cette stratégie s’est avérée d’autant plus gagnante que les dévaluations compétitives étaient devenues impossibles avec l’avènement de la monnaie unique et que cette impossibilité a fini par mettre à nu les erreurs de positionnement de leurs concurrents français, notamment de PSA, face à la réalité des marchés mondiaux. La rivalité accrue entre entreprises, du fait de l’affaiblissement progressif et récemment accéléré de la demande intérieure européenne, ne pouvait que conduire à creuser les écarts de performance en termes de volumes vendus, de parts de marché et finalement de marges bénéficiaires.

Il n’est certes pas discutable que l’avenir de l’industrie automobile française passe par un effort substantiel d’innovation organisationnelle et technologique couplant internationalisation de l’activité de production et renforcement des relations productives locales, ainsi que par la recherche de niches rendant la concurrence moins sensible aux prix. Les mesures publiques destinées à renforcer le tissu productif grâce à une politique de site et un soutien de la sous-traitance répondent à ce défi stratégique. L’accent mis sur le développement des véhicules électriques et hybrides est, en revanche, discutable. Le marché des véhicules électriques pourrait bien rester marginal et ce n’est pas un prix fortement subventionné permettant de doper les ventes auprès d’un public urbain spécifique qui changera la donne. Quant au marché des véhicules hybrides, encore limité en volume, c’est un marché où la concurrence étrangère (japonaise) existe déjà fortement. Ne faudrait-il pas s’interroger sur le devenir des véhicules de gamme moyenne, qui subissent à l’évidence le contrecoup de la crise en Europe, mais dont le marché pourrait redevenir florissant au sortir de la crise en Europe et se développer dans les pays émergents à mesure que s’y constitue une véritable classe moyenne. En d’autres termes, le redressement productif dans le secteur de l’automobile, s’il doit passer par des améliorations de qualité, reste une affaire de demande, une demande qui doit se concevoir à l’échelle du monde et commander en conséquence les choix stratégiques d’implantation et de segmentation des activités de production.

En toute hypothèse, un redressement productif dans une direction ou dans une autre demandera du temps, et ce temps risque fort de manquer si, à court terme, il n’y a pas de redressement de la demande. En d’autres termes, le problème immédiat est autant, sinon plus, macroéconomique que microéconomique. Le plus sûr moyen d’enterrer l’industrie automobile française, de perdre ainsi un important capital humain accumulé, est de poursuivre une austérité budgétaire qui ne fait que déprimer la demande sans pour autant résoudre la question des dettes souveraines.

 




Le citoyen doit être le socle de toute politique industrielle, même libérale

par Sarah Guillou

L’objet d’une politique industrielle est d’influencer les spécialisations productives en faveur de secteurs jugés stratégiques pour le bien-être ou la croissance économique. Cela implique de reconnaître que la spécialisation productive a de l’importance en termes de croissance. Mais quels critères permettent de déterminer l’importance de tel ou tel secteur ? L’argument développé par la suite est qu’il n’existe pas de critères solides sans référence aux préférences collectives présentes et futures des citoyens.

Les fondements théoriques justifiant une politique industrielle et démontrant son efficacité sont peu nombreux. De la défense des industries naissantes (List, 1841) au soutien des industries générant des externalités fondamentales pour la croissance, les arguments théoriques définissent des conditions d’exercice très étroites . Le cadre légal international est également très exigu, notamment pour les pays de l’Union européenne dont les instances se préoccupent prioritairement de créer des conditions égales de concurrence pour toutes les entreprises de l’Union et contrôlent tout versement d’aides publiques.

L’espace réduit de la politique industrielle

Dans cet espace réduit, l’exercice d’une politique industrielle a du mal à trouver des raisons d’exister. Bien qu’un mouvement de « normalisation », cher à Dani Rodrick, semble affecter aujourd’hui les études sur la politique industrielle (voir Aghion et al. 2011), celle-ci ne fait toujours pas partie des politiques « normales », au même titre que la politique monétaire, budgétaire, commerciale par exemple. Il s’agit d’une politique exceptionnelle consécutive à des circonstances exceptionnelles. C’est dans la définition de ce qualificatif d’exceptionnel, de sa nature et de sa temporalité, que la politique industrielle met en jeu sa légitimité. Encore récemment, les circonstances exceptionnelles, autant politiques qu’économiques, ont agi fortement comme motif d’une politique industrielle mais elles cachent en fait des politiques de soutien de l’emploi tout en satisfaisant des objectifs électoraux. L’illustrent les entreprises de sauvetages d’usines, des ateliers de lingerie Lejaby à SeaFrance, et les annonces de règlementation des fermetures d’usines en présence d’un repreneur. Bien que ces interventions apportent le bénéfice de réduire l’asymétrie d’information entre les acteurs en proposant des médiations bien souvent utiles, elles ne relèvent pas de la politique industrielle.

La seule politique industrielle « autorisée », cohérente avec le cadre institutionnel et légal, européen ou américain, est aujourd’hui celle qui respecte les conditions d’intervention de l’Etat dans le fonctionnement économique hérité de la doctrine libérale. On peut souhaiter une redéfinition des règles d’intervention, ce qui en passant, amènerait un peu plus de transparence sur les pratiques des Etats, mais l’ambition de cette note est tout à la fois plus modeste et plus large. Cette note veut montrer que, même dans le cadre minimaliste de la doctrine libérale, la politique industrielle doit se définir à l’appui d’un projet de société qui engage la spécialisation productive de l’économie.

Le principe général de la doctrine libérale est de considérer la concurrence comme le processus le plus efficace d’allocation des richesses. Autrement dit, la concurrence est le meilleur système pour optimiser la création de richesse. En effet, elle est supposée créer l’émulation entre les acteurs qui les incitent à augmenter leur productivité et leurs performances ; permettre l’éviction des activités inefficaces qui gaspillent des ressources alors mal exploitées ; et enfin assurer l’égalité et la liberté des acteurs concernant leur entrée sur les marchés et donc le libre exercice de l’activité économique. La théorie économique libérale n’envisage que des situations très particulières à l’exercice d’une politique industrielle.

Dans ce cadre, l’intervention de l’Etat se justifie (i) pour rétablir les conditions concurrentielles de transparence de l’information ; (ii) pour soutenir l’investissement dans les activités générant des externalités positives comme la R&D ou inversement pour décourager celles générant des externalités négatives comme la pollution ; et (iii) pour soutenir des activités jugées stratégiques. On peut observer qu’il s’agit précisément des trois motifs qui sous-tendent la politique industrielle et de concurrence de l’Union européenne. Il faut surtout remarquer que si les deux dernières justifications appellent bien une politique industrielle, elles requièrent un principe supérieur d’ordre politique qui fait appel aux préférences collectives des générations présentes et futures.

Certes, encourager les externalités qui naissent des dépenses en R&D ne relève pas forcément d’un choix politique. En effet, la logique économique sous-jacente pourrait suffire : les externalités de la R&D correspondent à l’accroissement de productivité pour l’ensemble de la société induite par la diffusion de la connaissance. L’accroissement de la productivité assure un surcroît de croissance qui augmente la création d’emplois et de richesses. C’est bien cet enchaînement économique qui est mis en avant par les instances européennes, parmi elles, la Commission européenne (voir Nuggs-Hansen et Wigger, 2010 ; C.E., 2011), comme il fonde la politique américaine de subvention à la R&D (Ketels, 2007). La décision politique de soutien de la R&D et plus généralement de l’investissement dans le capital humain peut reposer simplement sur la logique économique.

Toute politique qui vise à orienter la spécialisation engage l’avenir de la société

Toutefois cet enchaînement est insuffisant : une fois que l’on a admis un nécessaire soutien à l’investissement dans la R&D, il faut décider de l’orientation des ressources publiques, rares et dont le coût d’opportunité s’élève avec l’accroissement des dettes, vers les investissements jugés les plus opportuns. La définition de la politique industrielle doit se fonder sur un ensemble d’orientations politiques (puis légales) suffisamment précises pour engager les entreprises dans des investissements technologiques dont les rendements sont par nature incertains. Par exemple, les entreprises ne s’orientent pas naturellement vers les technologies propres. Il faut créer les incitations qui les conduiront à s’inscrire dans des trajectoires de développement durable comme le montrent les résultats d’Acemoglu et al. (2011).

En règle générale, toute politique qui vise à orienter la spécialisation engage l’avenir de la société : orienter les processus de production vers le développement durable et le respect de l’environnement est une décision qui assurera la pérennité des ressources, la qualité de vie et l’innovation technologique. Orienter les capitaux vers des technologies stratégiques, comme les biotechnologies, l’espace ou les nanotechnologies, est une nécessité face à la lourdeur des investissements – coûts fixes – qui sont associés à leur développement, dès lors que l’on considère que la maîtrise de ces technologies est indispensable au futur bien-être de la société. Enfin, investir dans le capital humain, préalable à tout politique de soutien de la R&D, est le moyen d’augmenter le niveau et la qualité de vie des individus, de densifier les aptitudes à s’adapter au changement technique, mais aussi d’assurer la solidité et la pérennité de la démocratie (Glaeser et al., 2007).

Certes, l’attachement à une politique de soutien à l’investissement dans la recherche et l’éducation est largement partagé par les dirigeants politiques et repose globalement sur une vision progressiste de la société, une certaine vision du bien-être social en somme. Et de fait, il existe bien un ensemble de mesures répondant à des objectifs de politique de soutien à la R&D : du crédit impôt-recherche aux pôles de compétitivité ; la France est à ce titre souvent considérée comme motrice en termes de mesures de politique industrielle. Mais la finalité invoquée de ces mesures est celle de la compétitivité des entreprises, pas celle de la croissance économique en termes qualitatifs.

Or, la sélection des technologies prometteuses et l’investissement dans les spécialisations du futur appellent une préséance du politique qui doit se prononcer sur l’avenir technologique de la société, qu’il s’agisse de sa protection, de sa sécurité, de sa santé ou de son environnement. Au final, une politique industrielle, même libérale, présuppose des choix politiques qui satisfont une vision sociétale. C’est au nom de cette vision sociétale que les dépenses associées à la politique industrielle peuvent se justifier. Les motifs liés aux mécanismes économiques définissent les contraintes. Les choix politiques doivent définir l’ambition. La révélation des préférences collectives lors des processus électoraux à venir exige que soit exprimé le plus clairement possible le projet technologique du politique.

Références :
Acemoglu, D. et Aghion, P., Bursztyn, L. et Hemous, D. (2011), “The environnement and directed technical change”, MIT WP, June 28, 60 pages.
Aghion, P., M. Dewatripont, L. Du, A. Harrison & P. Legros (2011), “Industrial Policy and Competition”, CEPR Discussion Paper Series No.8691, June 28.
Buch-Hansen, H. et Wigger, A. (2010), “Revisiting 50 years of market-making: The Neoliberal transformation of European competition policy”, Review of International Political Economy 17(1), 20-44.
Commission Européenne (2011), Industrial policy : Reinforcing competitiveness, COM (2011) (642).
Glaeser, E.L., Ponzetto, G. et Shleifer, A. (2007), “Why does democracy need education?”, Journal of Economic Growth 12(2),77.
List, F. (1841) National System of Political Economy, New York & London: Garland Publishing, Inc., 1974, pp. 70-82.
Rodrik, D. (2008) Normalizing Industrial Policy, Commission on Growth and Development Working Paper No.3
Ketels, C.H.M. (2007), “Industrial policy in the United States”, Journal of Industry Competition and Trade 7,147-167.
Pack, H. and K. Saggi, 2006. “Is There a Case for Industrial Policy? A Critical Survey” The World Bank Research Observer, 21:267–297 www-wds.worldbank.org/…/436150PUB00BOX0327375B01PUBLI