Pourquoi la Grèce ne parvient-elle pas à se désendetter ?

par Sébastien Villemot

Entre 2007 et 2015, la dette publique grecque est passée de 103 % à 179 %[1] du PIB (voir graphique ci-dessous).  L’augmentation du ratio a été ininterrompue, exceptée une baisse de 12 points en 2012 à la suite de la restructuration imposée aux créanciers privés, et ce malgré l’application de deux programmes d’ajustement macroéconomique (et le commencement d’un troisième) dont l’objectif était précisément de redresser les comptes publics grecs. L’austérité a plongé le pays dans une spirale récessive et déflationniste, rendant son désendettement difficile sinon impossible, ce qui pose avec acuité la question d’une nouvelle restructuration.

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Comment expliquer cet échec ? Quelle est la contribution relative des différents facteurs (déficit publique, austérité, déflation, restructurations, recapitalisations bancaires, …) dans la dynamique d’endettement ? Pour apporter quelques éléments de réponse, nous avons procédé à une décomposition comptable de l’évolution du ratio d’endettement, dont le résultat est donné par le graphique ci-dessous pour la période 2007-2015.

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Plusieurs phases sont clairement identifiables sur le graphique, correspondant aux différents développements de la crise grecque.

En 2007, avant la tempête financière, le ratio dette sur PIB est stable : l’effet négatif du déficit budgétaire (intérêts inclus), qui augmente le numérateur du ratio, est compensé par l’effet bénéfique de la croissance et de l’inflation, qui augmentent le dénominateur. La situation est donc stabilisée, au moins temporairement, même si en niveau l’endettement est déjà élevé (à 103 % du PIB, ce qui d’ailleurs explique le poids important des intérêts).

Cet équilibre est rompu avec le déclenchement de la crise financière mondiale : en 2008 et 2009, la croissance devient nulle puis négative, tandis que le déficit primaire augmente, pour partie en raison des « stabilisateurs automatiques », jusqu’à contribuer pour 10 points de PIB en 2009.

À partir de 2010, face à l’intensité de la crise budgétaire, un premier plan d’ajustement est mis en place. Sous l’effet des mesures d’austérité, le déficit primaire entame un mouvement de réduction (il deviendra quasi-nul en 2012, hors dépenses exceptionnelles). Mais l’austérité a également pour effet d’intensifier la récession : en 2011, la croissance (très négative) contribue ainsi pour près de 15 points de PIB à l’augmentation de la dette. L’austérité a aussi pour conséquence de faire baisser l’inflation, qui devient quasi-nulle et ne joue donc plus son rôle naturel d’amortisseur de la dette. En parallèle, la charge d’intérêts reste élevée (jusqu’à 7,2 points de PIB en 2011).

Il convient de rappeler que la décomposition comptable présentée ici a tendance à sous-estimer l’impact négatif de la croissance, et à surestimer celui du déficit budgétaire. En effet, une récession engendre un déficit conjoncturel, par le biais des stabilisateurs automatiques, et contribue donc de façon indirecte à l’endettement par le canal du solde budgétaire. Cependant, pour identifier les composantes structurelles et conjoncturelles du déficit budgétaire, il faut disposer d’une estimation de la croissance potentielle. Dans le cas grec, étant donné la profondeur de la crise, cet exercice relève de la gageure, et les quelques estimations disponibles sont largement divergentes ; pour cette raison, nous avons préféré nous en tenir à une approche purement comptable.

L’année 2012 est celle des grandes manœuvres, avec deux restructurations successives de la dette en mars puis en décembre. Sur le papier, l’annulation de dette (mesurée par le terme d’ajustement stock-flux) est substantielle : presque 60 points de PIB. Mais ce qui aurait dû être un allègement significatif a été largement neutralisé par des forces contraires. Ainsi, la récession reste exceptionnellement intense et contribue pour 13,5 points de PIB à la hausse de l’endettement. Surtout, le principal effet négatif provient des recapitalisations bancaires, rendues nécessaires par l’effacement de titres de dette publique dont les banques nationales étaient largement détentrices. Comptablement, ces recapitalisations prennent deux formes : des dons aux banques (comptabilisés dans les dépenses exceptionnelles) ou des achats d’actions nouvellement émises (comptabilisées dans les achats d’actifs financiers)[2], raison pour laquelle ces deux catégories sont regroupées sur le graphique. La catégorie achats d’actifs financiers comptabilise également la constitution d’un matelas financier destiné au financement de recapitalisations bancaires futures[3].

En 2013, le ratio dette sur PIB repart fortement à la hausse, bien que le solde primaire (hors dépenses exceptionnelles) soit excédentaire. Les recapitalisations bancaires (19 milliards d’euros) pèsent lourdement et ne sont que partiellement couvertes par la vente d’actifs financiers. La récession, bien que moins intense, et la déflation, dorénavant bien installée, aggravent le tableau.

En 2014 et 2015, la situation s’améliore, mais sans pour autant permettre une décrue du ratio dette sur PIB, et ce bien que le déficit primaire hors dépenses exceptionnelles soit quasi nul. La déflation persiste, tandis que la croissance ne redémarre pas (l’embellie de 2014 est modérée et fait long feu), et qu’il a fallu de nouveau recapitaliser les banques en 2015 (pour 5 milliards d’euros). La charge d’intérêts reste élevée, en dépit de la décision des créanciers européens de baisser les taux sur les prêts du Fonds européen de stabilité financière (FESF) : il faudra plusieurs années avant que cela ne se matérialise dans la charge d’intérêts effective. Seules des ventes d’actifs financiers permettent de tempérer la hausse de l’endettement, ce qui n’est évidemment pas soutenable sur le long terme puisque le stock de ces actifs est limité.

Le tableau ci-dessous donne la contribution cumulée de chaque facteur sur l’ensemble de la période, et sur la sous-période durant laquelle la Grèce était sous programme (2010-2015).
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Les deux contributions principales à la hausse de la dette sont la croissance (négative) et la charge d’intérêts. Autrement dit, l’augmentation totale de la dette est principalement due à « l’effet boule de neige », qui désigne l’augmentation mécanique due au différentiel entre taux d’intérêt réel et croissance (le fameux « r−g»). La remise de dette de 2012 ne suffit même pas à compenser l’effet boule de neige cumulé sur la période. Les recapitalisations bancaires, rendues nécessaires notamment par l’annulation de dette, pèsent lourdement. Le déficit primaire, qui lui est plus directement sous contrôle du gouvernement grec, n’intervient qu’en 4e position sur 2007-2015 (et contribue particulièrement peu sur la période 2010-2015).

Il est donc clair que la forte hausse du ratio dette sur PIB depuis 2007 (et encore plus depuis 2010) n’est pas principalement le fait de l’irresponsabilité budgétaire du gouvernement grec, mais est d’abord le résultat d’une stratégie de consolidation erronée, fondée sur une logique d’austérité comptable et non pas sur un raisonnement macroéconomique cohérent. Un redémarrage de la croissance et de l’inflation sera nécessaire pour permettre un désendettement substantiel. Mais les nouvelles mesures d’austérité prévues dans le 3e plan d’ajustement risquent de provoquer un retour en récession, tandis que les contraintes de compétitivité-prix au sein de la zone euro empêchent d’envisager un réel redémarrage de l’inflation. Une remise de dette significative, qui ne serait pas conditionnée à une nouvelle cure d’austérité destructrice, permettrait un nouveau départ ; dans une précédente étude[4], nous avons montré qu’une restructuration ramenant la dette grecque à 100 % du PIB correspondrait à un scénario soutenable. Cependant, les États européens, qui sont aujourd’hui les principaux créanciers de la Grèce, refusent pour le moment un tel scénario. Les voies du désendettement grec sont donc plus incertaines que jamais…

[1]  Pour 2015, les données ne sont pas encore entièrement disponibles. Les chiffres cités pour cette année correspondent aux projections de la Commission européenne publiées le 4 février 2016.

[2]  Ces prises de participation dans le capital des banques sont ici comptabilisées à leur valeur d’achat. Les dépréciations ultérieures sur ces prises de participation n’apparaissent pas dans le graphique, car elles n’engendrent pas de nouvelle augmentation de la dette brute (mais elles font augmenter la dette nette).

[3]  En 2012 la Grèce a ainsi acheté pour 41 milliards d’euros de bons du FESF. Sur ce total, 6,5 milliards ont été immédiatement donnés à la Banque du Pirée, tandis que 24 milliards ont été prêtés aux 4 grandes banques (qui bénéficieront d’une annulation partielle de leur dette en 2013 contre des prises de participation par l’État grec de moindre valeur). Les 10 milliards restants, inutilisés ont été restitués par la Grèce au FESF en 2015, à la suite de l’accord à l’Eurogroupe du 22 février.

[4] Voir Céline Antonin, Raul Sampognaro, Xavier Timbeau et Sébastien Villemot, 2015, « La Grèce sur la corde raide », Revue de l’OFCE, nº 138.




La Grèce en procédure de divorce ?

par Jérôme Creel

Le feuilleton grec continue et ressemble de plus en plus à une vieille série télé américaine. JR Ewing retourne à la table familiale l’esprit chagrin car Sue Ellen n’a pas respecté ses engagements et a continué de boire. Dans les circonstances actuelles, le divorce semble inéluctable, surtout si Bobby prend fait et cause pour son frère en refusant toute assistance supplémentaire à sa belle-sœur.

Comme dans Dallas, l’addiction à une substance potentiellement toxique, la dette publique, tourmente les Etats et les institutions européens. Les analyses sur la Grèce se concentrent essentiellement sur les ratios de dette sur PIB. Présentée sous cette forme, entre 2011 et 2014, la dette publique sur PIB a augmenté : les opinions publiques européennes peuvent donc légitimement douter de la capacité des Grecs (en réalité l’Etat grec) à freiner les dépenses et à augmenter les impôts. Le divorce est inéluctable. Mais si l’on regarde les montants en jeu, la situation est un peu différente. Entre 2011 et 2014, la dette publique grecque a baissé de 39 milliards d’euros selon Eurostat. Vu sous cet angle, l’Etat grec fournit effectivement des efforts. Mais cela occulte l’aide des créanciers. En effet, l’Etat grec a bénéficié des restructurations de sa dette, dont un défaut partiel, mais conséquent, de la dette publique envers les créanciers privés. Selon Jeromin Zettelmeyer, Christoph Trebesch and Mitu Gulati, la baisse de dette consentie à l’Etat grec a été de l’ordre de 100 milliards d’euros. Du coup, sans cette aide, le montant de dette publique grecque aurait augmenté de 61 milliards d’euros entre 2011 et 2014 (100 milliards moins les 39 milliards susmentionnés). Ce n’est pas rien pour un pays comme la Grèce. Rappelons cependant que la dette grecque ne représente que 3,5% de la dette publique totale de la zone euro. D’ailleurs qu’ont fait les autres pays de l’UE dans le même temps ? Pas mieux ! L’addiction à la dette publique, si addiction il y a, est générale. La dette publique de l’UE et de la zone euro ont augmenté de 6 points de PIB, soit des hausses respectives de 1 400 milliards d’euros et 800 milliards. L’augmentation de la dette grecque est bien une goutte d’eau en comparaison. La dette publique allemande a augmenté de 68 milliards d’euros, la dette italienne de 227 milliards d’euros, les dettes espagnoles et françaises respectivement de 285 milliards d’euros, et la dette publique du Royaume-Uni de 277 milliards de livres sterling, soit 470 milliards d’euros toujours selon Eurostat. Ramenée à leur PIB respectif, la dette publique espagnole a augmenté de près de 30 points, celle de l’Italie de plus de 15 points, celle de la France de 10 points, celle du Royaume-Uni de près de 8 points. Seule l’Allemagne a vu son ratio de dette baisser, grâce à une croissance économique plus forte.

Paul de Grauwe insistait dernièrement sur le fait que la Grèce dispose d’une dette publique soutenable : compte tenu des différentes restructurations de dette déjà réalisées, le ratio de dette publique sur PIB de 180 % serait aujourd’hui de plus ou moins… 90 % en valeur actualisée, c’est-à-dire après avoir comptabilisé les paiements futurs d’intérêts et les remboursements prévus, dont certains à un horizon très éloigné[1].

Les économistes, comme Paul de Grauwe ici, utilisent la contrainte budgétaire intertemporelle de l’Etat pour appréhender la soutenabilité de la dette publique. Plutôt que sous une forme rétrospective, la dette publique peut être analysée sous une forme prospective. Si la dette de l’année suivante dépend de la dette présente, par effet de symétrie, la dette présente dépend de la dette de l’année suivante. Or cette dette de l’année suivante va dépendre de la dette de l’année d’après, par itération. In fine, la dette présente dépend de la dette de l’année suivante, et ainsi de suite jusqu’à la fin des temps : elle dépend donc des dettes futures. Or, ces dettes futures dépendent des déficits publics eux aussi futurs. La contrainte budgétaire intertemporelle exprime donc le fait que la dette publique présente est égale à la séquence des déficits publics futurs et à la dette finale (celle de la fin des temps), le tout exprimé en valeurs actualisées. Contrairement aux entreprises et aux ménages, l’Etat est supposé disposer d’un horizon infini qui rend possible la mise à zéro de la valeur actualisée de la dette de « fin des temps ». On dira alors que la dette publique présente est soutenable si les gouvernements futurs prévoient des excédents publics suffisants pour rembourser cette dette. Cela est possible après des périodes de déficits publics élevés, pourvu que ces périodes soient suivies d’autres au cours desquelles les gouvernements accumulent des excédents budgétaires. Compte tenu de l’allongement de la maturité des dettes grecques et de la faiblesse des paiements futurs d’intérêts, l’excédent budgétaire requis pour rembourser la dette présente est faible. Paul de Grauwe en conclut que la Grèce est soumise à une crise de liquidité plutôt qu’à une crise de défaut souverain. Il conviendrait donc, toujours selon Paul de Grauwe, d’ajuster les plans d’austérité budgétaire et les réformes à entreprendre au niveau effectif de dette publique, sensiblement plus faible que celui qui sert de base aux négociations entre l’Etat grec et les « institutions » (BCE, Commission, FMI). Dit autrement, les « institutions » pourraient desserrer leur étreinte.

Le « cas grec » peut donc être relativisé et le divorce différé : l’addiction de Sue Ellen est moins exceptionnelle qu’il y paraît de prime abord.

 


[1] Après 2015 et 2019, qui impliqueront des remboursements substantiels de la part de l’Etat grec, les années « difficiles » se situeront ensuite au-delà de 2035 (voir le profil d’amortissement de la dette grecque dans Antonin et al. , 2015).




Grèce : un accord, encore et encore

par Céline Antonin, Raul Sampognaro, Xavier Timbeau, Sébastien Villemot

… La même nuit que la nuit d’avant
Les mêmes endroits deux fois trop grands
T’avances comme dans des couloirs
Tu t’arranges pour éviter les miroirs
Mais ça continue encore et encore …

Francis Cabrel, Encore et encore, 1985.

À quelques heures d’un sommet européen exceptionnel sur la Grèce, un accord pourrait être signé et permettrait de clore le second plan d’aide à la Grèce, débloquant la dernière tranche de 7,2 milliards d’euros. La Grèce pourrait alors faire face aux échéances de la fin juin auprès du FMI (1,6 Mds d’euros), puis de celles de juillet et août auprès de la BCE (6,6 Mds d’euros) et à nouveau auprès du FMI (0,45 Mds d’euros). A la fin du mois d’août, la dette de la Grèce auprès du FMI pourrait augmenter de presque 1,5 Mds d’euros, puisque le FMI contribue à hauteur de 3,5 Mds d’euros à la tranche de 7,2 Mds d’euros.

Jusqu’au mois de septembre, la Grèce doit rembourser un total de 8,6 Mds d’euros et, jusqu’à la fin de l’année, presque 12 Mds d’euros, soit des besoins qui excèdent les 7,2 Mds d’euros sur lesquels porte la négociation avec le Groupe de Bruxelles (i.e. l’ex troïka). À cet effet, le fonds hellénique de stabilité financière (HFSF) pourrait être mobilisé, à hauteur d’environ 10 Mds d’euros, mais il ne serait plus disponible pour recapitaliser les banques.

Si un accord est signé, il risque fort d’être difficile à tenir. En premier lieu, la Grèce va devoir faire face à la panique bancaire (bank run) en cours (le calme apparent devant les agences bancaires n’a pas empêché que plus de 6 Mds d’euros soient retirés la semaine dernière d’après le Financial Times). Or, même si un accord peut écarter pour un temps le scénario de la sortie de la Grèce de la zone euro, la perspective de taxes exceptionnelles ou d’une réforme fiscale peut dissuader le retour des fonds vers les établissements grecs. Par ailleurs, l’accord devrait inclure un excédent primaire de 1 % du PIB d’ici à la fin de l’année 2015. Or les informations sur l’exécution budgétaire jusqu’au mois de mai 2015 (publiées le 18 juin 2015) montrent que les recettes continuent d’être inférieures à la projection initiale (− 1 Mds d’euros), traduisant une situation conjoncturelle très dégradée depuis le début de l’année 2015. Certes, ces moindres rentrées fiscales sont plus que compensées par la baisse des dépenses (presque 2 Mds). Mais il s’agit-là d’une comptabilité de caisse. Le bulletin mensuel d’avril 2015, publié le 8 juin 2015, fait apparaître des arriérés de paiement du gouvernement central en hausse de 1,1 Mds d’euros depuis le début de l’année 2015. Il paraît presque impossible qu’en six mois, même avec une excellente saison touristique, le gouvernement grec rattrape ce retard et affiche, en comptabilité de droits constatés, un surplus primaire de 1,8 Mds d’euros. Un nouveau resserrement budgétaire pénaliserait une activité déjà en berne et pourrait être d’autant plus inefficace que les acteurs seraient fortement incités à sous-déclarer leurs impôts dans un contexte où l’accès à la liquidité sera particulièrement difficile. Le gouvernement grec pourra jouer sur la collecte de l’impôt, mais introduire un nouveau plan d’austérité serait politiquement et économiquement suicidaire. La discussion d’un troisième plan d’aide devra certainement être lancée, en incluant en particulier une négociation sur l’allègement de la dette grecque et des contreparties à cet allègement.

L’accord qui pourrait être trouvé dans les prochains jours risque d’être très fragile. Retrouver un peu de croissance en Grèce suppose d’abord de faire à nouveau fonctionner le financement de l’économie et de retrouver un peu de confiance. Cela supposerait aussi de traiter les questions de la Grèce en profondeur et de trouver un accord pérenne, sur plusieurs années, dont les étapes à court terme doivent absolument être adaptées à la situation présente de la Grèce. Nous avions, dans notre étude spéciale « La Grèce sur la corde raide », analysé les conditions macroéconomiques de la soutenabilité de la dette grecque. Plus que jamais la Grèce est sur la corde raide. Et la zone euro avec elle.




Sauver la Grèce par la démocratie

par Maxime Parodi, @MaximeParodi, Thomas Piketty (Directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris) et Xavier Timbeau @XTimbeau

Cette tribune a été publiée dans Le Monde daté du mercredi 10 juin 2015.

Le feuilleton grec emplit les journaux depuis l’élection au pouvoir de Syriza, le 25 janvier 2015. Pris dans le nœud coulant de ses créances, le gouvernement grec défend sa position avec comme menace la sortie de la Grèce de la zone euro. Tout est bloqué aujourd’hui, comme si rien n’avait avancé, sauf que la gestion et la trésorerie publiques grecques sont disloquées et que l’économie grecque s’est effondrée. Fuite des dépôts bancaires, incertitude quant à l’avenir monétaire et aux mesures qui seront prises expliquent que plus personne ne puisse vraiment se projeter dans le futur.

Quant aux autres Européens, ils s’interrogent sur ce qui a conduit à cette situation. L’incomplétude institutionnelle de la zone euro a été diagnostiquée et on propose (comme prochainement le rapport des 5 présidents au sommet européen du 25 juin) de renforcer la construction de la zone euro. Mais ce qui se profile à ce stade n’est guère satisfaisant. Mais ce qui se profile n’est pas à la hauteur de l’enjeu européen. Continuer de proposer plus de technocratie avec un vernis démocratique ne ferait que répéter les recettes qui ont fabriqué ce désastre.

Prenons donc le problème dans l’autre sens en donnant à la démocratie européenne une chance d’émerger. Confions à un organe représentatif des parlements nationaux de la zone euro, c’est-à-dire un embryon d’une véritable chambre parlementaire de la zone euro, la résolution de la question de la dette grecque. L’assemblée arbitrerait le conflit entre les créanciers et le gouvernement grec, en déplaçant le débat et les décisions vers les questions importantes : quelle est la responsabilité des jeunes générations quant à la dette de leurs aînés ? Quid du droit des créanciers ? Comment ont été réduites les autres dettes publiques importantes dans l’histoire, et quelles leçons peut-on en tirer pour l’avenir ? Que vaut la sauvegarde de l’euro dans cette affaire ? Comment empêcher que demain de nouvelles accumulations de dettes insoutenables ne se produisent ?

En étant légitimé par une assemblée solennelle et qui en sera la gardienne, l’accord qui serait trouvé ne risquerait pas, une nouvelle fois, d’être dénoncé demain. Puisqu’il s’agit de résoudre une question de dette, et également pour éviter qu’un accord soit obtenu par la force il faudra, d’une part, suspendre les créances de la Grèce le temps qu’il faudra (disons une année au vu du chantier qui s’annonce). Cette procédure de bon sens est appliquée dans tous les cas de résolution de dette privée dans presque tous les pays du monde. Cela demandera d’isoler le FMI de la discussion en laissant la Grèce rembourser cette institution. D’autre part, il faudra évacuer la possibilité de la sortie de la Grèce de la zone euro. En acceptant le principe de la négociation, la Grèce et les autres pays européens s’interdiraient cette option et s’engageraient à accepter les termes de l’accord trouvé. L’embryon d’assemblée aurait la possibilité d’en réexaminer les conditions périodiquement pour suivre les contingences de l’économie grecque. C’est en pratique ce qui est fait aujourd’hui, mais ce serait là explicité et légitimé.

Les institutions techniques (la Commission, la BCE) continueraient d’instruire et d’appuyer les réformes envisagées. Elles informeraient l’assemblée et répondraient devant elle. L’assemblée serait un organe identifié pour, le cas échéant, arbitrer des conflits. Rien n’empêche non plus d’introduire dans le jeu le Conseil européen ou le Parlement. Mais en clarifiant la légitimité, on ouvrirait la porte à une solution à la fois plus constructive envers la Grèce et les autres pays lourdement endettés et plus juste envers les contribuables de la zone euro. On expérimenterait un schéma de résolution des défauts souverains à l’intérieur de la zone euro en bâtissant une union politique. En se rappelant une chose : l’Europe s’est reconstruite à partir des années 1950 en investissant dans l’avenir et en oubliant les dettes du passé, notamment celles de l’Allemagne.

Au-delà, cette assemblée serait compétente pour établir un fonds commun des dettes de la zone euro, engager une restructuration d’ensemble et fixer des règles démocratiques encadrant à l’avenir le choix du niveau commun de déficit et d’investissement public, dans l’esprit des propositions faites dans le Manifeste pour une union politique de l’euro, par exemple. De quoi sortir du bricolage qui secoue notre zone euro aujourd’hui.




L’esprit ou la lettre de la loi, pour éviter le « Graccident »

Raul Sampognaro et Xavier Timbeau

Le nœud coulant, selon l’expression d’Alexis Tsipras, se resserre de plus en plus autour du gouvernement grec. La dernière tranche du programme d’aide (7,2 milliards d’euros) n’est toujours pas débloquée, faute d’une acceptation par le Groupe de Bruxelles (l’ex-Troïka) des conditions associées à ce plan d’aide. De ce fait, l’Etat grec est au bord du défaut de paiement. On pourra croire qu’il s’agit-là d’un nouvel épisode dans la pièce de théâtre que la Grèce joue avec ses créanciers et, qu’une fois de plus, l’argent nécessaire sera trouvé au dernier moment. Pourtant, si la Grèce a réussi jusqu’à maintenant à honorer ses échéances, c’est au prix d’expédients dont il n’est pas certain qu’elle puisse user à nouveau.

Alors que les recettes fiscales sont, depuis le début de l’année, inférieures de près d’un milliard d’euros de retard aux cibles anticipées, les dépenses de salaires et de retraites doivent continuer à être payées chaque mois. Cette fois-ci, le mur s’approche et un accord est nécessaire pour que le jeu continue. Au mois de juin, la Grèce doit verser 1,6 milliard d’euros au FMI en quatre tranches (les 5, 12, 16 et 19 juin). Un porte-parole du FMI a confirmé le 28 mai l’existence d’une règle permettant de grouper ces paiements le dernier jour du mois (règle qui aurait été invoquée pour la dernière fois par la Zambie dans les années 1980). Comme il faut 6 semaines ensuite au FMI pour considérer un défaut de paiement, la Grèce peut encore gagner quelques jours, au-delà du 30 juin et avant les échéances auprès de la BCE (avec 2 tranches pour 3,5 milliards d’euros le 20 juillet 2015).

Dans l’histoire, très peu de pays n’ont pas honoré leurs paiements auprès du FMI (actuellement seuls la Somalie, le Soudan et le Zimbabwe ont des arriérés auprès du FMI pour quelques centaines de millions de dollars). Le FMI étant le dernier recours en cas de crise de liquidité ou de balance des paiements, il dispose, à ce titre, d’un statut de créancier préférentiel et un défaut sur sa dette peut déclencher des défauts croisés sur d’autres titres, en particulier, dans le cas grec, ceux détenus par le FESF, les rendant exigibles immédiatement. Un défaut de la Grèce auprès du FMI pourrait ainsi compromettre l’ensemble de la dette publique grecque et obligerait la BCE à refuser les bons grecs comme collatéral dans les opérations de l’Emergency Liquiditity Assistance (ELA), seul pare-feu restant contre l’effondrement du système bancaire grec.

Les conséquences juridiques d’un tel défaut sont difficiles à appréhender (ce qui en dit long sur le système financier moderne). Un article publié par la Banque des Règlements Internationaux, daté de juillet 2013, et dont l’auteur, Antonio Sáinz de Vicuña, était à l’époque directeur général des services légaux de la BCE, est très informatif sur cette question dans le cadre de l’union monétaire (voir Figure 1).

En présentant le cadre légal, il s’attarde bien évidemment sur l’article 123 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), un des piliers de l’Union monétaire, qui interdit le financement par la BCE ou les banques centrales nationales des administrations publiques[1]. Dans une note en bas de page, l’auteur concède que cette règle a deux exceptions :

–          Les institutions de crédit publiques peuvent obtenir des liquidités auprès de l’Eurosystème dans les mêmes conditions que les banques privées. Cette exception apparaît explicitement dans le paragraphe 2 de l’article 123 du TFUE[2].

–          Le financement des obligations des Etats vis-à-vis du FMI (notre traduction).

Ce deuxième aspect a attiré notre attention car il est peu connu du grand public, il n’apparaît pas explicitement dans le Traité et pourrait constituer une solution, au moins à court terme pour éviter que la Grèce soit mise en défaut de paiement par le FMI.

Figure 1-Copie de la note en bas de page 6 de l’article de Sáinz de Vicuña

BISEn cherchant dans le corpus juridique européen, cette exception est définie plus précisément dans le règlement n°3603/93 du Conseil qui précise les termes de l’actuel article 123 du TFUE, ce qui lui est autorisé par le paragraphe 2 de l’article 125 du TFUE[3]. Plus précisément il apparaît dans l’article 7 :

Le financement, par la Banque centrale européenne et par les banques centrales nationales, des obligations incombant au secteur public à l’égard du Fonds monétaire international ou résultant de la mise en œuvre du mécanisme de soutien financier à moyen terme institué par le règlement (CEE n° 1969/88 (4)) n’est pas considéré comme un crédit au sens de l’article 104 du Traité[4].

La motivation de cet article s’explique : lors des hausses des quotes-parts dans le FMI, le financement par la banque centrale était accepté car il avait comme contrepartie un actif assimilable à des réserves internationales. Selon l’esprit de la loi, on ne devrait donc pas permettre de financer les emprunts grecs auprès du FMI par un crédit auprès d’une banque centrale (la BCE ou la Banque de Grèce). Les obligations incombant à l’Etat grec ne concernent, selon l’esprit du texte, probablement que la contribution aux quotes-parts du FMI. Néanmoins, l’esprit de la loi n’est pas la loi, et l’interprétation exacte de la phrase « obligations incombant au secteur public à l’égard du Fonds monétaire international » pourrait ouvrir une porte de plus à la Grèce. Compte tenu des conséquences d’un défaut auprès du FMI – notamment sur la continuité de l’ELA –­ on pourrait le justifier pour préserver le fonctionnement du système de paiement grec, préservation qui rentre dans les missions de la BCE.

Au-delà de la possibilité juridique du financement par une banque centrale de la dette grecque auprès du FMI, qui serait certainement contestée par certains gouvernements, cette action ouvrirait un conflit politique. En effet, un Etat membre pourrait être accusé de contrevenir aux (à l’esprit des) Traités, bien que cela ne soit pas un motif pour l’exclure (selon les services juridiques de la BCE). Mais est-ce bien un obstacle au regard des enjeux qu’un défaut sur la dette grecque poserait pour la pérennité de la Monnaie unique ?

Les problèmes de trésorerie de la Grèce ne sont pas nouveaux. Depuis le mois de janvier, le gouvernement a financé ses dépenses grâce à des opérations comptables qui lui ont permis de pallier les moins-values fiscales. En particulier, le 12 mai, le gouvernement grec a pu rembourser une tranche du crédit du FMI en puisant dans un fond d’urgence assimilable à des réserves internationales. L’Eurosystème pourrait accorder par le biais de cette exception un délai supplémentaire à la Grèce, afin de prolonger encore un peu les négociations et éviter l’accident.


[1] Le paragraphe 1 de article stipule que « [il] est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées “banques centrales nationales”, d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres. L’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite.

[2] Qui stipule que « [l]e paragraphe 1 ne s’applique pas aux établissements publics de crédit qui, dans le cadre de la mise à disposition de liquidités par les banques centrales, bénéficient, de la part des banques centrales nationales et de la Banque centrale européenne, du même traitement que les établissements privés de crédit. »

[3] Qui stipule que : « [l]e Conseil, statuant sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut, au besoin, préciser les définitions pour l’application des interdictions visées aux articles 123 et 124, ainsi qu’au présent article. »

 [4] L’article 104 est devenu l’actuel article 123 du TFUE.




Le Sisyphe grec et sa dette publique : vers la fin du calvaire ?

par Céline Antonin

Après son incapacité à élire un nouveau Président à la majorité qualifiée, le Parlement grec a été dissous, en attendant des élections législatives anticipées qui doivent se tenir le 25 janvier 2015. Le parti de la gauche radicale, Syriza, fait la course en tête dans les sondages d’opinion, devançant le parti « Nouvelle Démocratie » du Premier ministre sortant, Anthony Samaras. S’il recueille l’enthousiasme de la population, le programme économique de Syriza attise les craintes des bailleurs de la troïka (FMI, BCE et UE), en particulier sur trois sujets : la potentielle sortie du pays de la zone euro, la mise en place d’une relance budgétaire et un défaut souverain partiel. Ce dernier sujet sera le principal enjeu post-électoral.

Le véritable enjeu de l’élection : la restructuration de la dette publique grecque

La crainte d’une potentielle sortie de la Grèce de la zone euro (le fameux « Grexit ») doit être relativisée. La situation est différente de ce qu’elle était au moment de la crise des dettes souveraines, lorsque les différentiels de taux obligataires faisaient craindre un phénomène de contagion et un éclatement de la zone euro. En outre, Syriza n’est pas en faveur d’une sortie de l’euro, et personne ne peut y contraindre le pays dans la mesure où cela n’est prévu par aucun texte. Enfin, les conséquences d’une telle décision sur les autres membres pouvant être lourdes, une sortie du pays de la zone euro n’interviendrait qu’en dernier recours.

Syriza appelle de ses vœux la fin de l’austérité et une relance budgétaire d’un montant de 11 milliards d’euros avec relèvement du salaire minimum à son niveau antérieur, revalorisation des retraites, réembauche de fonctionnaires et augmentation des dépenses publiques. Un compromis avec la troïka peut-il être trouvé ? Rien n’est moins sûr, et il est quasi certain que Syriza devra revoir ses ambitions  à la baisse. Certes, le déficit grec s’est réduit. Le pays est en léger excédent primaire en 2014, et devrait poursuivre sa consolidation budgétaire en 2015-2016. Mais la Grèce doit continuer à emprunter pour financer les intérêts de la dette, pour rembourser ou renouveler la dette arrivée à maturité, et pour rembourser les prêts octroyés par le FMI. Pour cela, elle doit surtout compter sur l’aide extérieure. A partir du deuxième semestre de 2015, elle fera face à un trou de financement d’un montant de 12,5 milliards d’euros (19,6 milliards d’euros si elle n’obtient pas l’aide du FMI). Par ailleurs, les banques grecques, encore fragiles[1], restent très dépendantes de l’accès au programme Emergency Liquidity Assistance (ELA) de la BCE qui leur permet d’obtenir des liquidités d’urgence auprès de la Banque de Grèce. Si la Grèce refuse les réformes, un bras de fer risque de s’engager avec la troïka. La BCE a déjà menacé le pays de lui couper l’accès à la liquidité. En outre, la troïka reste le principal créancier de la Grèce, qui dispose néanmoins d’un nouvel atout : dans la mesure où elle n’emprunte plus que pour rembourser sa dette, et non pour financer son déficit budgétaire, elle pourrait menacer ses créanciers d’un défaut de paiement unilatéral, même si c’est un jeu dangereux qui la priverait de l’accès au financement de marché pendant de longues années.

C’est justement cette question de la restructuration de la dette grecque et d’un défaut partiel, mise en avant par Syriza, qui apparaît comme l’un des principaux enjeux postélectoraux. Aléxis Tsípras souhaite l’effacement d’une partie de la dette publique, un moratoire sur le paiement des intérêts et des remboursements conditionnés aux performances économiques du pays. D’après les prévisions de la Commission et du FMI, le ratio d’endettement public en Grèce devrait passer de 175 % en 2013 à 128 % du PIB en 2020. Cependant, les hypothèses sous-jacentes à ce scénario manquent de réalisme : croissance nominale supérieure à 3 % en 2015, excédent primaire de 4,5 % du PIB entre 2016 et 2019, … Etant donné l’ampleur de la dette publique grecque en 2013 et son profil d’amortissement (avec des remboursements atteignant 13 milliards d’euros en 2019 et jusqu’à 18 milliards d’euros en 2039[2]), une nouvelle restructuration semble inéluctable.

Une dette publique essentiellement détenue par les pays membres de la zone euro

Depuis le déclenchement de la crise grecque à l’automne 2009, la composition de la dette publique grecque a bien changé. Alors qu’en 2010, la dette publique était détenue par les investisseurs financiers, le bilan est bien différent début 2015[3]. Après deux plans d’aide (en 2010 et 2012) et une restructuration de la dette publique détenue par le secteur privé en mars 2012 (plan Private Sector Involvement), 75 % de la dette publique est aujourd’hui constituée par des prêts (tableau 1). A eux seuls, le FMI, la BCE, les banques centrales nationales et les pays de la zone euro détiennent 80 % de la dette publique grecque.

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A contrario, depuis le plan de restructuration de mars 2012, les banques européennes ont fortement réduit leur exposition à la dette publique grecque (tableau 2). En outre, leurs niveaux de capitalisation ont augmenté depuis 2010, notamment avec la mise en place progressive de la réforme Bâle 3. Les banques ont donc une marge d’absorption en cas de défaut partiel de la Grèce.

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Etant donné que plus de la moitié de la dette publique grecque est détenue par les pays membres de la zone euro, sa renégociation ne peut se faire qu’en concertation avec ces derniers.

Quelles solutions pour restructurer la dette ?

Les pays européens ont déjà fait plusieurs concessions pour aider la Grèce à assurer le service de sa dette :

– la maturité des prêts a été augmentée et le taux d’intérêt des prêts accordés par le FESF a été réduit. Pour le premier programme d’aide (prêts bilatéraux), la maturité initiale était 2026 (avec un moratoire jusqu’en 2019) et le taux d’intérêt était indexé sur l’Euribor 3 mois majoré d’une prime de risque de 300 points de base. En 2012, cette prime de risque a été ramenée à 50 points de base et la maturité a été étendue de 15 ans, jusqu’en 2041 ;

– les profits réalisés par la BCE et les banques centrales nationales sur les obligations qu’elles détiennent ont été restituées à la Grèce ;

– le paiement des intérêts sur les prêts du FESF ont été différés de 10 ans.

Des solutions comparables aux solutions passées peuvent être mises en œuvre. La dette pourrait être rééchelonnée. En effet, le taux pratiqué sur les prêts du premier plan d’aide (taux Euribor 3 mois + 50 points de base) étant globalement supérieur au coût de financement des pays européens, il pourrait être abaissé. Et la durée des prêts du premier et du second plan d’aide pourrait être encore allongée de 10 ans, jusqu’en 2051. D’après le think tank Bruegel, ces deux mesures combinées permettraient de réduire le montant des remboursements de la Grèce de 31,7 milliards d’euros.

Cependant, ces mesures paraissent limitées pour résoudre la question de l’endettement grec : elles ne font que repousser le problème. D’autres mesures sont nécessaires pour soulager la Grèce du poids de son endettement public. Les pays de la zone euro étant les principaux exposés à la dette grecque, ils ont intérêt à trouver un compromis, car en cas de défaut unilatéral, c’est le contribuable de chaque pays européen qui sera mis à contribution.

Du côté du FMI, il ne faut pas attendre d’effacement de dette. L’institution est en effet créancier prioritaire en cas de défaut d’un pays, et prêteur en dernier ressort ; depuis sa création, elle n’a jamais effacé de dette. Par conséquent, c’est avec les membres de la zone euro, principaux créanciers de la Grèce, qu’un défaut partiel devrait être négocié. D’un côté, la Grèce peut brandir la menace d’un défaut unilatéral non concerté, engendrant des pertes pour ses créanciers. De l’autre, elle n’a pas intérêt à s’aliéner les membres de la zone euro et la BCE, qui ont été ses principaux soutiens depuis qu’elle est en crise. Un défaut brutal la priverait de l’accès au financement de marché pendant de longues années ; même si la Grèce a retrouvé un excédent primaire, la situation est instable et elle a encore besoin d’un financement externe, ne serait-ce que pour honorer les remboursements du FMI. Une solution serait que les pays de la zone euro acceptent une décote sur la valeur nominale des titres de dette publique qu’ils détiennent, comme ce fut le cas pour les investisseurs privés en mars 2012.

Pour conclure, la Grèce est confrontée à plusieurs défis. Dans le court terme, l’urgence est d’arriver à trouver des sources de financement pour traverser l’année 2015. Pour cela, elle devra composer avec la troïka, et notamment la BCE, dont l’action est cruciale. Cette dernière a prévenu la Grèce qu’en cas d’échec des négociations, elle pourrait lui couper l’accès à la liquidité. Par ailleurs, le 22 janvier 2015, la BCE doit prendre la décision très attendue de mettre en œuvre un assouplissement quantitatif ; l’enjeu est de savoir si la BCE acceptera le rachat de bons du Trésor grecs. A plus long terme, la question de la restructuration de la dette se posera inévitablement, quel que soit le vainqueur des urnes. La restructuration devrait cependant être plus facile avec les créanciers publics qu’avec les banques privées, si tant est que la Grèce donne, de son côté, des gages de confiance à ses partenaires européens.

 


[1] Voir les résultats des tests de résistance publiés par la BCE le 26 octobre 2014

[2]Voir Hellenic Republic Public Debt Bulletin, n°75, septembre 2014, tableau 6.

[3] Pour une comparaison avec la situation en juin 2012, voir Céline Antonin, « Retour à la drachme : un drame insurmontable ? », Note de l’OFCE n°20, juin 2012.