Le faucon et la colombe : quel impact des décisions de la Fed et de la BCE sur le taux de change euro/dollar ?

par Christophe Blot, Paul Hubert et Rémi Odry

Après la décision de hausse des taux d’un quart de point décidé par la Réserve fédérale mercredi 13 juin, le Conseil des gouverneurs de la BCE se réunissait le lendemain pour décider de l’orientation de la politique monétaire dans la zone euro. A l’issue de cette réunion, Mario Draghi a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il a précisé à quelles échéances cesseraient les achats de titres et à quel horizon les taux seraient augmentés. Le canal du taux de change étant un canal majeur de la transmission de la politique monétaire, il est intéressant d’observer comment les marchés ont réagi à ces deux annonces et s’ils ont accordé une plus grande importance à la décision de la Fed ou à celle de la BCE.

La transmission de la politique monétaire dépend de son impact sur les prix d’actifs. Dans la mesure où le prix de ces variables est déterminé en continu sur les marchés, leur variation au moment de ces décisions permet de mesurer l’effet signal des annonces de politique monétaire. Dans un article récent, nous mesurons la réaction du taux de change euro/dollar le jour des réunions de politique monétaire de la Réserve fédérale et de la BCE. Pour des décisions de la même ampleur, nos résultats suggèrent que les marchés seraient généralement plus réactifs aux annonces de la Fed.

L’actualité de la semaine permet également d’illustrer ces différences de réaction. En effet, en l’espace de 24 heures, la banque centrale américaine s’est plutôt montrée « faucon » tandis que la sensibilité de la BCE apparaît plutôt « colombe »[1]. Même si la décision de la Réserve fédérale d’augmenter son taux directeur était anticipée, elle envoie néanmoins le signal que la normalisation de la politique monétaire américaine devrait être légèrement plus rapide que ce qu’anticipaient les marchés en fin d’année 2017[2]. Inversement, en donnant des éléments sur la fin du programme d’achat de titres, réduit en volume mais prolongé jusqu’en décembre 2018, et surtout en annonçant que les taux ne seraient pas remontés avant l’été 2019, la BCE indique clairement que la politique monétaire restera très expansionniste sur l’année à venir. Ces deux décisions ont pour conséquence une dépréciation de l’euro vis-à-vis du dollar. De fait, c’est bien ce qui a été observé à la suite de ces deux annonces (graphique).

Graphe_post18-06Cette fois-ci, les marchés ont accordé plus d’importance à la décision de la BCE qu’à celle de la Réserve fédérale. En effet, sur une fenêtre de 3 heures suivant la publication des décisions, l’euro n’a baissé que faiblement et temporairement après l’annonce de la Réserve fédérale, mais plus fortement et durablement après celle de la BCE. Cette différence s’explique largement par le contenu informationnel des annonces. D’une part, la décision de la Réserve fédérale était largement anticipée et déjà intégrée par les investisseurs sur le marché des changes. Il n’est donc guère surprenant que la réaction n’ait été qu’éphémère. D’autre part, le signal relatif à l’orientation de la politique monétaire était plus marqué pour la décision de la BCE : la Fed a juste annoncé une hausse d’un quart de point de son taux directeur, alors que la BCE a annoncé que son taux n’augmenterait pas dans les 12 prochains mois. Reste à savoir dans quelle mesure cet effet sera durable. Sur ce point, l’analyse développée dans notre article indique que les chocs de politique monétaire en zone euro auraient un effet plus important que ceux liés à la politique monétaire américaine.

 

[1] Cette terminologie (« hawkish » versus « dovish ») permet de qualifier l’attitude des banques centrales selon que leur politique monétaire est plutôt restrictive ou accommodante.

[2] Voir ici.




Que peut-on attendre d’une baisse de l’euro pour l’économie française ?

par Bruno Ducoudré et Eric Heyer

Face à la montée du risque de déflation en zone euro, renforcée par l’appréciation continue de l’euro face aux autres monnaies depuis mi-2012, les dirigeants de la Banque centrale européenne ont entamé un changement de ton dans leur communication aux marchés financiers : ils évoquent maintenant la possibilité de mettre en œuvre de nouveaux assouplissements monétaires quantitatifs. Ces assouplissements sont susceptibles de faire baisser le taux de change de l’euro. Ils apporteraient alors un soutien précieux aux économies de la zone euro via un regain de compétitivité-prix vis-à-vis des concurrents hors de la zone, dans un contexte où les politiques de consolidation budgétaire vont continuer à freiner la croissance prévue pour la zone euro en 2014 et en 2015. Quelles seraient dès lors les conséquences pour l’économie française d’une dépréciation de l’euro face aux autres monnaies ? Nous revenons brièvement sur les évolutions passées du taux de change de l’euro. Puis nous présentons les effets attendus d’une dépréciation de 10% de l’euro face aux autres devises à l’aide du modèle emod.fr. Ces effets sont plus modérés que ceux prévus par le gouvernement.

Les politiques d’assouplissement monétaire quantitatif ont été massivement utilisées par la Réserve fédérale américaine, la Banque d’Angleterre ou encore de la Banque centrale du Japon. Depuis la mi-2012, le bilan de ces 3 banques a continué d’augmenter de respectivement 6,5 pts de PIB, 1,3 pt de PIB et 15,3 pts de PIB. Au cours de la même période, le bilan de la BCE s’est à l’inverse réduit de 8,4 pts de PIB. Cette divergence de stratégie a provoqué une appréciation continue de l’euro : en s’établissant aujourd’hui à 1,38 dollar, l’euro a vu sa valeur augmenter depuis juin 2012 de 12 % face au dollar. Au cours de la même période, la monnaie commune s’est appréciée de 49 % par rapport au yen et de près de 3 % face à la livre sterling (graphique 1).

G1_Post1605_EHBD

Le taux de change effectif nominal de l’euro, qui pondère ces différents taux de change en fonction de la structure du commerce de la zone euro, s’est ainsi apprécié de 9,5 % depuis le troisième trimestre 2012 (graphique 2). Cette appréciation, combinée avec les politiques d’austérité et de désinflation compétitive menées en zone euro, a pesé sur la croissance du PIB de la zone, négative en 2012 et 2013, et sur l’inflation. L’absence de tensions inflationnistes et l’appréciation passée de l’euro laissent donc des marges de manœuvre à la BCE pour essayer d’infléchir le cours de l’euro face aux autres monnaies.

G2_Post1605_EHBD

Quel serait l’impact d’une dépréciation de l’euro vis-à-vis de l’ensemble des autres devises ?

Les effets d’une dépréciation de l’euro sont doubles :

–          Un effet de revenu : un euro faible augmente le prix des importations. Cela se traduit par une hausse de la facture énergétique, une hausse des prix de production des entreprises et une perte de pouvoir d’achat des ménages ;

–          Un effet de substitution : un euro faible diminue le prix des exportations et accroît ces dernières. La dépréciation détériore aussi la compétitivité des producteurs concurrents, ce qui provoque une baisse des importations à l’avantage de la production domestique.

Ces effets opposés ne s’appliquent qu’au commerce extra zone euro. Le commerce avec nos partenaires européens n’est pas directement impacté puisque les prix des importations et des exportations en provenance et à destination de cette zone restent inchangés. En revanche, le commerce intra zone euro est impacté par un euro faible. Mais, cela passe par le canal de la demande adressée.

tab1EHBD_post

Comme le résume le tableau 1, une dépréciation de 10% de l’euro face à l’ensemble des monnaies entraîne un gain de compétitivité-prix à l’exportation pour la France vis-à-vis du reste du monde. Les autres pays de la zone euro bénéficient du même gain de compétitivité sur l’ensemble des marchés à l’exportation. Dans ce cas, l’effet sur l’activité serait de 0,3% la première année, de 0,5% au bout de trois ans, et nul au bout de neuf ans. La hausse de demande adressée entraînée par l’amélioration de l’activité chez nos partenaires européens serait globalement compensée par la baisse de la demande adressée à la France par le reste du monde. Sur le marché du travail, une telle dépréciation entraînerait la création de 22 000 emplois la première année de 74 000 emplois au bout de 3 ans. Le solde public de son côté s’améliorerait de 0,3 point de PIB à l’horizon de 3 ans.

Ces résultats, s’ils modèrent ceux publiés par la DG Trésor[1], n’en demeurent pas moins significatifs et bienvenus dans le contexte économique actuel marqué par une croissance faible et un risque de déflation. Une dépréciation de la monnaie unique permettrait également d’atténuer le processus de désinflation compétitive engagé au sein des pays de la zone euro.

 


[1] Dans leur publication, la DG Trésor considère qu’une baisse de 10% du taux de change effectif de l’euro (contre toutes monnaies) permettrait d’accroître notre PIB de 0,6 point de PIB la première année et de 1,2 point de PIB au bout de trois ans ; de créer 30 000 emplois la première année et 150 000 emplois au bout de trois ans ; de réduire le déficit public 0,2 point de PIB la première année et de 0,6 point de PIB au bout de trois ans.