Logement locatif : le CAE veut changer d’ALUR …

Par Pierre Madec et Henri Sterdyniak

Le 24 octobre dernier, le conseil d’analyse économique (CAE) a publié une note proposant une nouvelle politique du logement locatif en France. Cette note remet en question un certain nombre de mesures gouvernementales figurant dans la loi ALUR, actuellement en discussion au Parlement, comme l’encadrement des loyers et la garantie universelle des loyers (GUL)[1]. Ces critiques sont-elles justifiées ?

En fait, les auteurs reconnaissent que le marché du logement est spécifique, qu’il faut le réguler, que l’Etat doit construire des logements sociaux et aider les familles pauvres à se loger. Aussi, leurs divergences avec la politique qu’entend suivre le gouvernement actuel ne peuvent-elles être que limitées, et concernent les moyens plutôt que les objectifs. Le libéralisme ne fonctionne pas en matière de logement. Il faut mettre en place des dispositifs d’intervention publique, qui doivent viser, nous le verrons, des objectifs contradictoires, dispositifs dont la structure est obligatoirement ouverte à la discussion.

Le parc locatif privé : cogestion et aléa moral 

Concernant le parc locatif privé, les auteurs proposent essentiellement l’instauration d’un système de flexi-sécurité du logement, inspiré de celui préconisé pour le marché du travail : diversification et libéralisation des baux, nouveaux droits pour le bailleur, plus grande flexibilité des conditions de résiliation de bail, ou encore mise en place d’un système de cogestion du marché locatif privé autour d’une « régie du logement » dont les prérogatives s’étendraient de la fixation des loyers « de référence » à la gestion des baux. Cette « régie », gérée paritairement par les locataires et les propriétaires, jouerait un rôle de médiateur lors des conflits opposant locataires et propriétaires à l’image des prud’hommes pour les conflits du travail.

L’argument principal utilisé par les auteurs pour condamner un dispositif tel que la GUL est qu’elle créerait des problèmes d’aléa moral trop importants, c’est-à-dire que l’assurance inciterait les personnes couvertes à prendre « trop de risques ». En l’espèce, le locataire, assuré de voir ses défauts de paiement pris en charge par le fond, se soucierait moins de verser ses loyers ; il pourrait porter son choix sur un logement plus cher que ses besoins réels. Le propriétaire serait moins soucieux de la sélection de son locataire. Les auteurs utilisent également l’argument de l’aléa moral pour défendre la mise en place de baux flexibles : cela permettrait selon eux de lutter contre la dégradation des logements ou encore les conflits de voisinage.

L’idée du locataire systématiquement « mauvais payeur volontaire » et prêt à dégrader le logement qu’il loue nous paraît excessive et réductrice. Or, cette idée est assez largement développée par les auteurs. Ceux-ci semblent oublier que la GUL couvrira surtout des locataires qui ne peuvent plus payer leurs loyers en raison de difficultés financières (chômage, divorce …).

Cette garantie est avant tout une protection nouvelle pour le propriétaire. Protection financée à part égale entre bailleurs et locataires au travers d’un système de mutualisation. En cas d’impayé de loyer, le propriétaire sera directement remboursé par le fond. Ce dernier examinera ensuite la situation du locataire et procédera soit à un recouvrement forcé soit à une prise en charge personnalisée en cas d’impossibilité de paiement.

La GUL devrait permettre aux propriétaires de louer un logement à des personnes qui se trouvent dans des situations fragiles (travailleurs en contrat précaire, étudiants issus de familles modestes), sans que celles-ci aient à rechercher des cautions. Les propriétaires seraient moins incités à rechercher des locataires sûrs (fonctionnaires, étudiants issus de familles aisées, salariés des grandes entreprises). L’Etat est pleinement dans son rôle en couvrant un risque social, accru par la crise et la précarisation des emplois. Cela ne vaut-il pas le risque fantasmé d’augmentation de l’aléa moral ?

La question du bail pose une question de fond. Faut-il encourager le développement des propriétaires bailleurs individuels qui génère obligatoirement des problèmes délicats entre le souci du propriétaire de disposer librement de son bien et d’avoir le maximum de sureté quant au paiement du loyer, celui des locataires d’avoir une sécurité de maintien dans les lieux et l’exigence de droit au logement ?

Un ménage à revenus faibles ou irréguliers, plus fragile, doit aussi pouvoir se loger dans le parc privé. Aussi, il peut paraître préférable d’inciter soit les investisseurs institutionnels à investir dans ce domaine ou les ménages à utiliser plutôt des instruments de placement collectif dans la pierre et de mettre en place des dispositifs, comme le GUL, qui permettent de traiter collectivement la question des non-paiements de loyer.

Le logement est loin d’être un bien ordinaire. Se loger est, et les auteurs le soulignent, avant tout un besoin essentiel, un droit fondamental. La précarisation massive de ce dernier à travers la mise en place d’un système de baux libéralisés ne peut être la solution. Au contraire, les auteurs se nourrissant du modèle allemand, l’introduction de baux à durée indéterminée (baux de référence en Allemagne) constituerait une avancée majeure en termes de sécurisation du locataire[2].

Encadrement contre loi du marché

Concernant l’encadrement des loyers, les auteurs s’appuient sur un certain nombre d’études visant à démontrer l’existence d’une corrélation entre l’état de dégradation du parc locatif et les mesures d’encadrement des loyers. Or, dans la loi ALUR, des dispositifs destinés à la prise en compte de la réalisation de travaux existent. Certes, un risque de détérioration du parc persiste, mais une fois ce dernier explicité, on doit mentionner l’existence, elle aussi probable, d’une montée en gamme du parc due justement au mécanisme de prise en compte des travaux.

Les auteurs développent également l’idée selon laquelle les mesures d’encadrement conduiraient à une baisse significative de la mobilité résidentielle. Si ce risque est réel pour les dispositifs visant à encadrer les loyers en cours de bail et non lors de la relocation (cause principale du creusement des inégalités de loyers observé en France depuis la loi de 1989), le dispositif d’encadrement présent dans la loi ALUR a, au contraire, pour objectif de conduire à une convergence des loyers[3]. Cette convergence, bien que modeste, compte tenu de l’écart important encore autorisé (plus de 40 %), va plutôt dans le sens d’une meilleure mobilité.

En réalité, le risque le plus important, soulevé par les auteurs, est le risque de diminution du nombre de logements offerts à la location. Bien qu’il semble peu probable que les bailleurs déjà sur le marché retirent massivement leurs biens de la location[4], la mesure d’encadrement peut désinciter les nouveaux investisseurs sur le marché locatif compte tenu de la baisse induite des taux de rendement. Ceci aggraverait encore davantage le déséquilibre offre/demande au sein des zones tendues. Dans les faits, cela paraît peu probable. Même en cas de baisse significative du nombre de nouveaux investisseurs, ceux déjà présents sur le marché de l’ancien, compte tenu des conditions de bail (et au grand dam des auteurs), ne pourront pas vendre facilement leur bien, sauf à le vendre à un nouvel investisseur qui au vu de la baisse des taux de rendement réclamera une baisse du prix. Les dispositifs d’incitation fiscale (type Duflot) actuellement en vigueur sur le marché du logement neuf laissent à penser que les bailleurs qui y investissent ne seront que peu touchés par l’encadrement.

Certains investisseurs pourraient cependant délaisser en effet la construction de logements neufs, ce qui, à court terme, jouerait plutôt en faveur d’une baisse des prix de l’immobilier[5], ce qui encouragerait l’accession à la propriété et la baisse du prix du foncier. Il faudrait cependant que le secteur public soit prêt à prendre la relève des investisseurs privés.

Près d’un ménage sur trois du 1er quartile de revenu (les 25 % les plus pauvres) est locataire du parc privé et subi un taux d’effort médian net des aides au logement de 33 %, en hausse de près de 10 points depuis 1996. Encadrer les loyers est avant tout une protection pour ces ménages modestes, ménages qui compte tenu de l’engorgement du parc social et du durcissement des conditions d’accès à la propriété, n’ont d’autres choix que de se loger dans le parc locatif privé.

La stratégie proposée par la loi Duflot  consistant à « mettre en place un certain encadrement des loyers pour réduire les comportements prédateurs des propriétaires. Ne pas chercher à attirer des investisseurs par des loyers exorbitants et les anticipations de hausse du prix de l’immobilier » ne nous semble pas illégitime, si elle s’accompagne effectivement d’un effort en faveur du logement social.

Les tensions sur le marché du logement (où l’offre et la demande sont rigides) permettent de fortes hausses de loyers, qui aboutissent à des transferts injustifiés entre propriétaires et locataires. Ces transferts pèsent sur le pouvoir d’achat des plus pauvres, sur l’indice des prix, sur la compétitivité… En sens inverse, ces hausses peuvent stimuler la construction de logements neufs via la hausse de la valeur du foncier, mais cet effet est faible et lent (compte tenu des contraintes du foncier). L’encadrement peut contribuer à mettre un coup d’arrêt aux hausses de loyer, même s’il nuit quelque peu à l’incitation à l’investissement privé dans le logement. Il ne peut être écarté a priori.

Logement social malmené

Bien que le constat des auteurs est juste – le logement social ne joue pas son plein rôle, les systèmes de construction et d’attribution sont complexes et inefficaces – les solutions qu’ils proposent, et leur cohérence, nous le semblent moins.

Le débat sur le rôle et la place du logement social en France est ancien. Faut-il le réserver aux ménages pauvres et ainsi renoncer aux objectifs de mixité sociale ? Faut-il pour ce faire diminuer les plafonds d’éligibilité alors qu’aujourd’hui plus de 60 % de la population peut prétendre à un logement social ? Le logement social doit-il être rentable ?  L’offre de logement social est-elle suffisante ?

L’idée défendue par les auteurs, selon laquelle l’Etat, à travers les prêts aidés aux organismes HLM, ne doit prendre en charge que le logement des ménages les plus pauvres, non rentable par nature, et doit laisser à la concurrence (promoteurs et investisseurs privés) le logement des classes populaires et moyennes, est critiquable, notamment en ces temps de crise économique. Il faut au contraire augmenter la part des logements sociaux mais aussi des logements intermédiaires aux loyers « modérés» construits avec financement public pour loger les classes populaires à des loyers raisonnables et faire baisser les tensions dans les zones critiques.

L’idée des auteurs selon laquelle le logement social ne peut être un droit accordé ad vitam aeternam peut paraître justifiée. En 2006, selon l’INSEE, plus d’un locataire du parc social sur 10 appartenait au cinquième quintile de revenu (20 % les plus riches). Sauf à considérer que le parc social doit être, en vertu du principe de mixité sociale, ouvert à tous, les mécanismes visant à inciter ces ménages à quitter le parc social pour les diriger vers le parc privé ou l’accession doivent être renforcés, les surloyers appliqués actuellement n’étant pas suffisamment efficaces. Mais il faut tenir compte de l’âge des occupants et de la disponibilité à proximité des logements à loyers « libres ».

Les auteurs proposent également, pour le logement des classes populaires et moyennes (c’est-à-dire les opérations « rentables ») de mettre en concurrence des structures privées (promoteurs, constructeurs privés, …). Une fois la durée d’amortissement du prêt de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) expirée, le logement ainsi construit pourrait changer de statut et basculer soit dans le parc privé soit être vendu. Cette idée laisse à penser que la pénurie de logements sociaux serait la conséquence d’un manque de fonds disponibles. Or, grâce aux montants déposés sur les livrets A, l’argent ne manque pas. Les freins à la construction de logement se trouvent ailleurs (manque de volonté politique, pénurie de foncier, …).

Bien qu’il soit nécessaire de lutter contre la ségrégation urbaine et que c’est effectivement en « disséminant les ménages défavorisés dans l’ensemble du tissu urbain » que cet objectif peut être rempli, les propositions des auteurs de la note du CAE sont peu réalistes. L’indice de ségrégation spatial proposé (voir encadré 10 du document de travail) amènerait à ne plus construire de logement sociaux là où la concentration de ces derniers est déjà importante. Or, compte tenu des contraintes foncières dans les zones tendues, ceci n’est pas tenable. L’objectif de lutte contre la ségrégation ne peut pas être prioritaire mais complémentaire de l’objectif de construction.

Un financement public conditionné de façon rigide à la valeur d’un ou deux indicateurs, même les plus transparents, comme le proposent les auteurs, serait extrêmement complexe à mettre en œuvre. La loi SRU fixant des objectifs identiques à des communes aux caractéristiques très disparates doit être aménagée. Il faut construire du logement social selon la demande et les besoins. Or, actuellement, il n’y a pas d’adéquation entre offre et demande et ce même dans les zones les moins tendues (logements trop grands ou trop petits, trop vieux, …). Selon l’INSEE, 14 % des locataires du parc social sont ainsi en situation de sur-occupation (soit le double de la proportion observée dans le parc privé). Non seulement l’entrée dans le parc social est difficile mais la mobilité au sein de ce parc l’est tout autant. Il faut donc construire massivement des logements sociaux non seulement pour accueillir des populations nouvelles mais aussi pour loger dans de meilleures conditions les populations y résidant actuellement.

Faut-il dé-municipaliser la question du logement ? Laisser aux seules municipalités le pouvoir de décision (et d’action) sur les politiques de la ville est une erreur, certains pouvant être incités à préférer céder les terrains disponibles à des promoteurs privés qu’à des organismes d’HLM, que ce soit pour des raisons directement financières ou pour choisir d’attirer une population relativement aisée, sans problèmes sociaux. Ainsi, la politique du logement nécessite de fortes incitations à la construction de logements sociaux, comme des aides spécifiques aux communes où ils sont implantés, comme des contraintes légales et une imposition spécifique compensatrice pesant sur les communes qui n’ont pas de logement sociaux. La loi SRU est nécessaire.

Notons que les propositions allant dans ce sens sont difficiles à faire adopter au niveau politique. Ainsi, la mesure visant à offrir aux intercommunalités le pouvoir de décision concernant notamment le Plan local d’urbanisme (PLU), disposition présente dans la loi ALUR, a été en grande partie rejeté par le Sénat, avec l’appui de la ministre du Logement[6]. De même, l’Union sociale pour l’habitat, tout en déplorant le manque de mobilité au sein du parc social, s’oppose régulièrement à toutes modifications importantes des processus d’attribution pouvant aller dans le sens d’un regain de mobilité, chaque organisme voulant garder ses critères propres.

Loyers et aides au logement entre imposition et imputation

Dans la note du CAE, la prise en compte des dépenses de logement par la fiscalité fait l’objet de propositions contestables. Certes, nous sommes d’accord avec le point de départ : il serait souhaitable d’aboutir à une certaine neutralité fiscale entre les revenus du capital financier et les loyers implicites. C’est nécessaire du point de vue de l’efficacité économique (ne pas trop favoriser le placement en logement) comme de la justice sociale (à revenus imposables égaux, un propriétaire et un locataire n’ont pas le même niveau de vie). Mais, selon nous, ceci ne peut se faire qu’en taxant effectivement les loyers implicites. Cette réforme est délicate aujourd’hui, car les impôts ont déjà beaucoup augmenté. On ne peut plus guère introduire un nouvel impôt. Elle devrait donc s’accompagner d’une translation vers le haut des tranches du barème, de sorte que, si les propriétaires payent plus, les locataires payent moins. Par ailleurs, elle risque de détourner certains ménages de la construction de logement ; son produit doit donc être utilisé en partie pour la construction de logement, ce qui est contradictoire avec la proposition précédente de l’utiliser pour réduire les impôts des locataires. Elle ne peut donc être introduite que très progressivement. Il faudrait d’abord revaloriser les bases de la taxe foncière. Puis, utiliser cette base (dont les propriétaires accédant pourraient déduire les charges d’emprunt) pour taxer les valeurs locatives à la CSG ou à l’IR (avec un certain abattement).

Craignant l’impopularité de la mesure, les auteurs proposent que les locataires puissent déduire leur loyer de leur revenu imposable (avec un plafond relativement élevé de l’ordre de 1 000 euros par mois). Cette proposition n’est pas acceptable :

– elle est arbitraire : pourquoi ne pas déduire aussi, toujours avec des plafonds, ses dépenses alimentaires (on ne peut vivre sans manger), ses dépenses de vêtements, de transports, de téléphone portable (devenus indispensables aujourd’hui). C’est sans fin. Le barème de l’IR prend déjà en compte le fait qu’un niveau minimum de revenu est indispensable (pour un couple avec 2 enfants, l’imposition ne commence qu’au-delà d’un revenu salarial de 2 200 euros par mois). La mesure favoriserait les dépenses de logement au détriment des autres dépenses, ce qui n’a guère de justifications ;

– l’économie d’impôt ainsi réalisée serait nulle pour les personnes non-imposables, faible pour les personnes juste à la limite de l’imposition : une famille de deux enfants dont le revenu est de 3 000 euros par mois et 600 euros de charges de loyer paierait 700 euros d’impôt de moins ; une famille aisée imposée au taux marginal de 45 % pourrait économiser 5 400 euros au titre de l’impôt, soit 450 euros par mois, c’est-à-dire plus que les allocations logement de la plupart des familles pauvres ;

– la mesure serait très coûteuse. Les auteurs ne nous donnent pas une estimation précise, mais réduire de 10 000 euros, le revenu imposable de 40 % des 18 millions de ménages imposables en France (la proportion des locataires) pourrait réduire de 14 milliards le produit de l’IR. En fait, ceci devrait obligatoirement être compensé par une translation vers le bas des tranches de l’impôt. Au bilan, là-aussi, si les locataires payaient moins, les propriétaires paieraient plus. Reste que la mesure serait moins efficace du point de vue économique que la taxation des loyers implicites, puisqu’elle introduirait un biais en faveur des dépenses de logement et qu’elle ne tiendrait pas compte de la valeur du logement occupé.

Les auteurs proposent d’intégrer l’allocation-logement dans l’IR et de faire gérer l’ensemble par l’administration fiscale, qui serait chargée de la mise en cohérence de la politique redistributive en direction des bas revenus. Certes, le système actuel d’aides au logement est perfectible, mais une fois encore leur analyse est partielle, n’intègre pas la totalité des aides dont bénéficient les plus pauvres (RSA socle, RSA activité et PPE). Ils oublient que l’aide aux personnes à bas revenus nécessite un suivi personnalisé, en temps réel, sur une base mensuelle ou trimestrielle que l’administration fiscale est incapable d’assurer. En fait, ils aboutissent à un système qui n’est guère simplifié : l’administration fiscale déterminerait l’aide au logement des ménages non-imposés que la CAF (Caisse d’Allocations familiales) verserait mensuellement et qui serait régularisé par l’administration fiscale l’année suivante. Mais il n’est pas dit si la même formule s’appliquerait au RSA. Pour les personnes imposées, l’aide serait gérée par l’administration fiscale. Les auteurs nous disent « l’aide ne pourrait être inférieure à l’allocation-logement actuelle », mais leur proposition augmenterait fortement le nombre de ménages non-imposés pour lequel il faudra comparer le gain en impôt et l’allocation ancienne formule. Ce n’est pas gérable. Certes, il serait souhaitable de simplifier le calcul de l’allocation-logement, de mieux l’intégrer avec le RSA. Ce sera un élément de la réforme nécessaire du RSA que le gouvernement devrait engager (voir rapport Sirugue et sa critique par Guillaume Allègre), mais l’ensemble doit continuer à être gérer par ceux qui savent le faire, les CAF et non l’administration fiscale.

Le lecteur intéressé par les problématiques liées au logement pourra consulter la Revue de l’OFCE « Ville & Logement », n°128, 2013.


[1] Trannoy A. et E. Wasmer, « La politique du logement locatif », Note du CAE, n°10, octobre 2013 et document de travail associé.

[2] Rappelons que le marché allemand est bien différent du marché français (majorité de locataires, peu de tensions démographiques, …) et que ses règles ne peuvent donc y être transposées.

[3] Actuellement, en région parisienne et plus généralement dans l’ensemble des zones dites tendues, les différences de loyers entre ceux ayant emménagé dans l’année et les locataires présents depuis plus de 10 ans dans leur logement est supérieur à 30 % (38 % pour Paris) (OLAP, 2013)

[4] En effet, les investisseurs « anciens » ont potentiellement des taux de rendement supérieurs à ceux des « nouveaux » investisseurs.

[5] D’autant que le nombre de nouveaux ménages a tendance à baisser (Jacquot, 2012, « La demande potentielle de logements à l’horizon 2030 », Observation et statistiques, N°135, Commissariat au Développement Durable).

[6] Un amendement accordant une faible minorité de blocage aux communes lors des modifications de PLU (25 % des communes et 10 % des habitants) a été adopté au Sénat le vendredi 25 octobre. Amendement réduisant de fait le pouvoir des intercommunalités dans ce domaine.




Encadrement des loyers : l’ALUR suffit-elle ?

par Sabine Le Bayon, Pierre Madec et Christine Rifflart

Le 10 septembre 2013, a débuté au Parlement la discussion du projet de loi “Accès au Logement et un Urbanisme Rénové” (ALUR). Cette loi va se traduire par un interventionnisme plus prononcé sur le marché du logement locatif privé et vient compléter le décret, entré en vigueur à l’été 2012, sur l’encadrement des loyers en zones tendues et qui avait marqué une première étape dans la volonté du gouvernement d’enrayer la hausse des dépenses de logement des locataires[1].

La volonté du gouvernement d’encadrer les dérives du marché locatif privé devrait avoir rapidement un impact pour les ménages qui s’installent dans un nouveau logement. Pour les locataires en place, le processus devrait être plus long. Au final, dans une agglomération comme Paris, on peut s’attendre, si les loyers les plus élevés diminuent au niveau du plafond défini par la loi, à une baisse de 4 à 6% du loyer moyen. Si, par un effet d’entraînement, cela se répercute ensuite sur l’ensemble des loyers, l’impact désinflationniste sera plus fort. En revanche, le risque d’une dérive haussière sur les plus bas loyers n’est pas à écarter, même si le gouvernement s’en défend. Enfin, l’impact de la loi dépendra en grande partie du zonage défini par les observatoires des loyers dont la mise en place est en cours.

Le décret d’encadrement : un effet visible … mais minime

Le dernier rapport annuel de l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (OLAP)[2] nous donne un premier éclairage de l’impact du décret sur l’encadrement des loyers. Pour rappel, le décret contraint les loyers à la relocation à augmenter au maximum au rythme de l’indice légal de référence (IRL), sauf si des travaux importants ont été réalisés (dans ce cas, la hausse est libre). Ainsi, entre le 1er janvier 2012 et le 1er janvier 2013, 51 % des logements parisiens proposés à la relocation ont vu leur loyer augmenter plus vite que l’IRL, et ce sans réalisation de travaux importants. Cette part a été moins élevée qu’en 2011 (58,3 %) et 2010 (59,4 %), mais elle demeure à un niveau proche de ceux observés entre 2005 et 2009 (50%), avant l’existence du décret.

L’impact semble un peu plus concluant à partir des données mensuelles. Ainsi, sur la période d’application du décret d’août à décembre 2012, la part des loyers proposés à la relocation et ayant augmenté plus vite que l’IRL a baissé de 25 % en moyenne sur un an, contre seulement 8 % sur les mois de janvier à juillet 2012, comparés à la même période de 2011.

Un « effet décret » a donc bien eu lieu.  Celui-ci aurait permis de faire baisser la part des hausses de loyers à la relocation supérieures à l’IRL d’environ 18%. Pour autant, si l’on considère, qu’en cas de respect total du décret, aucune hausse supérieure à l’IRL n’aurait dû persister, l’impact reste insuffisant. Plusieurs facteurs déjà identifiés dans un document de travail, peuvent expliquer cela : loyers de référence inexistants, manque d’information tant du propriétaire que du locataire, insuffisance des possibilités de recours, etc. Un an après, il s’avère que ces manquements ont joué négativement sur l’application de la mesure.

Une loi à l’envergure plus large

La grande nouveauté du projet de loi ALUR porte sur l’encadrement des niveaux de loyers dans les zones tendues alors que les précédents décrets ne portaient que sur leur évolution. Désormais, une fourchette de niveaux de loyers autorisés sera fixée par la loi et le décret viendra encadrer les évolutions maximales autorisées[3]. Pour cela, le gouvernement fixe chaque année par arrêté préfectoral un loyer médian de référence au m2, par secteur géographique (quartier, arrondissement, …) et par type de logement (1 pièce, 2 pièces,..). Ainsi,

  • – pour les nouvelles locations ou les relocations, le loyer ne pourra excéder le loyer médian de référence majoré au plus de 20%, sauf à justifier d’un complément de loyer exceptionnel (prestations particulières,…). Ensuite, l’augmentation ne pourra excéder l’IRL conformément au décret d’encadrement dans les zones tendues (sauf travaux) ;
  • – lors du renouvellement de bail, le loyer pourra être réajusté à la hausse ou à la baisse en fonction du loyer médian de référence majoré ou minoré[4]. Ainsi, un locataire (respectivement un bailleur) pourra engager un recours en diminution (resp. en augmentation) de loyer si ce dernier est supérieur (resp. inférieur) au loyer médian majoré (resp. minoré). En cas de hausse de loyer, un mécanisme d’étalement de cette hausse dans le temps est prévu. S’il y a un désaccord entre locataires et bailleurs, un règlement à l’amiable pourra être engagé, préalablement à la saisine d’un juge dans des délais strictement déterminés. A l’intérieur de la fourchette, la hausse est limitée à l’IRL ;
  • – en cours de bail, la révision annuelle du loyer se fait comme actuellement sur la base de l’IRL ;
  • – les locations meublées seront désormais concernées par l’encadrement : le préfet fixera un loyer de référence majoré et la révision sera limitée à l’IRL.

L’introduction de ces loyers médians de référence présente trois avancées majeures. D’une part, ils seront calculés à partir des informations recueillies par les observatoires des loyers sur l’ensemble du stock du parc locatif, et non à partir des seuls logements vacants et disponibles à la location, c’est-à-dire des loyers dits « de marché ». Or, ces loyers de marché sont supérieurs de près de 10 % à la moyenne de l’ensemble des loyers, elle-même supérieure à la médiane des loyers. Ce mode de calcul entraînera donc inéluctablement une baisse des loyers (de marché et moyens).

De même, le choix opéré de la médiane et non de la moyenne comme loyer de référence va dans le sens d’une plus grande stabilité de la mesure. Dans l’hypothèse où l’ensemble des loyers supérieurs de 20% à la médiane (donc au loyer de référence majoré) vient à baisser et où les autres loyers restent inchangés, la médiane reste identique. Dans le cas d’un ajustement de l’ensemble des loyers, la médiane viendrait à baisser mais dans des proportions moindres que la moyenne, par définition plus sensible à l’évolution des valeurs extrêmes.

Enfin, l’obligation d’inscrire dans le bail les loyers médian et médian majoré de référence, le dernier loyer pratiqué et si nécessaire, le montant et la nature des travaux effectués depuis la signature du dernier contrat, accroît la transparence et établit un cadre réglementaire plus strict qui devrait entraîner un plus grand respect de la mesure.

Quelles évolutions sont à attendre ?

En 2012, sur les 390 000 logements mis en location à Paris, 94 000 ont un loyer supérieur au loyer médian majoré (3,7 euros/m² de plus en moyenne) et 32 000 ont un loyer inférieur de plus de 30% au loyer médian de référence (2,4 euros/m² de moins en moyenne). En considérant que seuls les loyers supérieurs au loyer médian majoré seront corrigés, la baisse du loyer moyen pourrait être de 4% à 6% selon les zones et le type de logement. Cette diminution, bien que non négligeable, permettrait au mieux de revenir aux niveaux de loyers observés en 2010, avant la forte inflation des années 2011 et 2012 (+7,5% entre 2010 et 2012). Cet ajustement des loyers pourrait néanmoins prendre du temps. Propriétaires et locataires pourront facilement faire valoir leurs droits au moment d’une relocation[5] , mais les réévaluations lors du renouvellement de bail pourraient être plus lentes à mettre en place. Malgré un accès à l’information et un cadre réglementaire plus favorables au locataire, le risque d’un conflit avec le propriétaire et la concurrence exacerbée sur le marché locatif dans les zones où s’applique la loi, peuvent encore dissuader certains locataires de faire valoir leurs droits.

La question est beaucoup plus complexe pour les 32 000 logements dont les loyers sont inférieurs au loyer de référence minoré. Si la qualité de certains logements peut justifier cet écart (insalubrité, localisation,…), on sait également que la sédentarité des locataires est le principal facteur explicatif de la faiblesse de certains loyers. Ainsi, selon l’OLAP, à Paris, un logement occupé depuis plus de 10 ans par le même locataire a en moyenne un loyer inférieur de 20 % au loyer moyen de l’ensemble des locations. Dès lors, la question de la réévaluation de ces loyers se pose. En effet, la loi permet au propriétaire, en contradiction d’ailleurs avec le décret[6], de réévaluer, lors d’une relocation ou d’un renouvellement de bail, à hauteur du loyer médian minoré. Une fois ce dernier atteint, l’évolution ne pourra excéder l’IRL. A terme, certains logements aux caractéristiques équivalentes seront donc sur le marché à des loyers très disparates, pénalisant ainsi les bailleurs de locataires sédentaires. A contrario, les locataires présents depuis longtemps dans leur logement ont le risque de voir leur loyer fortement réévalué (supérieur à 10%). Les taux d’effort[7] de ces ménages risquent alors d’augmenter, poussant ainsi ceux à la contrainte budgétaire trop forte à émigrer vers des zones moins tendues.

Néanmoins, la possibilité de réajuster le loyer au niveau du loyer de marché, dans le cas d’une sous-évaluation manifeste, existe déjà dans le cadre de la loi actuelle du 6 juillet 1989 (article 17c) au moment du renouvellement de bail. En 2012, à Paris, 3,2 % des propriétaires ont eu recours à cet article. Avec la nouvelle loi, si les réajustements devraient être plus nombreux, l’impact inflationniste devrait être plus faible puisque la référence (le loyer médian minoré) est largement inférieure au loyer de marché.

Dès lors, la question du zonage est centrale. Plus le découpage sera fin, plus les loyers de référence correspondront aux caractéristiques réelles du marché local. Dans l’hypothèse d’un large découpage du territoire, les loyers médians de référence risquent d’être trop élevés pour les quartiers les moins chers et trop bas pour les quartiers les plus chers. Parallèlement, les faibles loyers seraient peu revalorisés dans les quartiers chers et plus franchement dans les quartiers qui le sont moins. Cela pourrait entraîner alors un rapprochement des loyers « inter quartiers » – indépendamment des caractéristiques locales – et non « intra quartiers ». Conséquences néfastes tant pour le propriétaire bailleur que pour le locataire.

La loi en discussion actuellement pourrait avoir d’autant plus d’impact sur les loyers que les prix immobiliers ont entamé une baisse en France en 2012 et que la conjoncture actuelle morose freine déjà les hausses de loyer. Mais, faut-il encore le rappeler, seule la construction de logements dans les zones tendues (y compris via une densification[8]) résoudra les problèmes structurels de ce marché. Les mesures d’encadrement des loyers ne sont qu’un moyen temporaire de limiter la hausse des taux d’effort mais elles ne sont pas à elles seules suffisantes.

 


[1] Pour plus de détails, voir le post “L’encadrement des loyers : quels effets en attendre?“.

[2] Le territoire couvert par ce rapport est composé de Paris, la petite couronne et la grande couronne parisienne.

[3] Le décret d’encadrement des loyers n’ayant pas le même champ d’action que la loi (38 agglomérations contre 28), certains territoires ne seront soumis qu’à l’encadrement des évolutions et non des niveaux.

[4] Si le projet de loi restait flou sur le calcul du loyer de référence minoré, un amendement adopté en juillet par la Commission de l’Assemblée propose que le loyer médian minoré soit inférieur d’au moins 30 % au loyer médian de référence. Un autre amendement précise qu’en cas de réajustement à la hausse, le nouveau loyer ne pourra excéder ce loyer médian minoré.

[5] En 2012, seul 18% des logements du parc locatif privé ont été l’objet d’une relocation.

[6] Lors du renouvellement de bail et de la relocation, le décret d’encadrement permet au propriétaire de réévaluer son loyer de la moitié de l’écart qui le sépare du loyer de marché.

[7] Il s’agit de la part du revenu du ménage consacré au logement.

[8] Sur ce sujet, voir l’article de Xavier Timbeau, “Comment construire (au moins) un million de logements en région parisienne”, Revue de l’OFCE n°128.




Des toits ou des plafonds ?

par Philippe Weil

Le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové prévoit d’encadrer les loyers «principalement dans les agglomérations où existe un fort déséquilibre entre l’offre et la demande de logements et où les loyers ont connu la progression la plus forte au cours des dernières années ».  Les loyers dépassant de plus de 20 % un loyer médian, fixé par quartier et type de logement,  « auront vocation à être abaissés ». L’objectif de ce plafonnement est certes louable puisqu’il « vise à combattre la crise du logement, marquée depuis de nombreuses années par une forte augmentation des prix, une pénurie de logements et une baisse du pouvoir d’achat des ménages ». L’enfer est hélas pavé de bonnes intentions car les plafonds d’aujourd’hui détruisent bien souvent les toits de demain :

  • Le plafonnement des loyers […] entraîne une répartition aléatoire et arbitraire des logements et rend leur utilisation inefficace. Il retarde la construction de nouveaux logements et prolonge indéfiniment le plafonnement des loyers, ou déprime la construction future en subventionnant aujourd’hui la construction résidentielle. Un rationnement formel des logements par les autorités publiques aurait des effets sans doute pire encore.

S’opposer au plafonnement des loyers ne signifie pas cependant se résoudre aux inégalités qui se manifestent en matière de logement :

  • Le constat que, dans des conditions de marché, ceux qui ont des revenus ou patrimoines plus élevés occupent de meilleurs logements est plutôt une raison de prendre des mesures de long terme pour réduire les inégalités de revenus et de richesse. Pour ceux qui, comme nous, voudraient encore plus d’égalité qu’aujourd’hui – en matière de logement comme pour tous les produits –, il est certainement préférable d’attaquer directement à leur source les inégalités existantes de revenu et de richesse plutôt que de rationner chacun des centaines des produits et services qui déterminent notre niveau de vie. Permettre aux individus de recevoir des revenus monétaires inégaux puis prendre des mesures complexes et coûteuses afin de les empêcher d’en bénéficier est le comble de la folie.

Les auteurs de ces deux citations, qui nous enjoignent de laisser le système de prix libre d’allouer aux locataires les logements disponibles tout en préconisant d’attaquer à leur source les inégalités de revenu et de richesse, ne sont autres que Milton Friedman et George Stigler – les deux fondateurs de l’école de Chicago. Le titre de ce billet est emprunté – qu’ils me le pardonnent – à leur article de 1946 « Roofs or Ceilings : the Current Housing Problem ».[1]

Le projet de loi Duflot envisage un mécanisme d’encadrement des loyers bien plus sophistiqué que celui que dénonçaient Friedman et Stigler il y a près de soixante-dix ans. Ses effets sur le parc immobilier français pourront être évalués dans quelques années mais la littérature économique récente nous prévient que les mécanismes de contrôle des loyers dits de « seconde génération » ont des effets souvent ambigus[2] – pas toujours négatifs mais pas obligatoirement positifs[3]. On peut regretter, dans ces conditions, qu’une expérimentation préalable, que la prudence exigerait, ne soit pas envisagée dans certaines villes choisies aléatoirement. L’urgence politique plaide certes contre les retards qu’elle entraînerait mais, en économie comme en médecine, il convient de s’assurer qu’on ne tue pas le patient en tentant de le guérir.

Reste, pour finir, l’avertissement de Friedman et Stigler : les inégalités de revenus et de patrimoine doivent être attaquées à leur source et pas dans leurs manifestations.

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[1] Foundation for Economic Education, Irvington-on-Hudson, NY.

[2] Cf., par exemple, The Economics and Law of Rent Control, par Kaushik Basu et Patrick Emerson, Banque mondiale, 1998.

[3] Le lecteur pourra consulter Le Bayon, Madec et Rifflart (2013) pour une évaluation de la régulation du marché locatif français.

 




L’encadrement des loyers : quels effets en attendre ?

Sabine Le Bayon, Pierre Madec et Christine Rifflart

Publié au Journal officiel le 21 juillet dernier, le décret sur l’encadrement des loyers dans les zones  où la hausse et le niveau des loyers sont particulièrement élevés[1], entre en vigueur le 1er août 2012 pour une durée d’un an. La mesure avait été annoncée lors de la campagne présidentielle de François Hollande en janvier 2012. La voilà adoptée, en attendant la grande réforme sur les rapports locatifs entre bailleurs et propriétaires prévue en 2013.

La difficulté de se loger et la dégradation des conditions de vie pour une partie croissante de la population soulignent la montée des inégalités face au logement. Ces inégalités fragilisent une cohésion sociale déjà affectée par la crise économique. Pour beaucoup, l’accès à la propriété est rendu difficile avec l’envolée des prix d’achat, les demandes d’attribution d’un logement social restent en attente, faute de place et le marché locatif privé devient de plus en plus cher dans les grandes villes, du fait de l’envolée du prix des biens. Dès lors, l’encadrement des loyers dans ces agglomérations apparaît comme une mesure d’urgence pour freiner ces hausses. La difficulté est malgré tout de maintenir les investisseurs sur le marché locatif privé, déjà marqué par l’insuffisance de l’offre de logement et un rendement locatif très bas (1,3 % à Paris après dépréciation du capital).

Le décret a pour objectif une baisse significative des loyers de marché[2], tirés à la hausse par les loyers à la relocation, c’est-à-dire lors d’un changement de locataire. Contrairement aux loyers en cours de bail ou lors du renouvellement de bail qui sont indexés sur l’Indice de référence des loyers, les loyers des nouveaux locataires étaient jusqu’au 31 juillet 2012, fixés librement. En 2010, cela concernait près de 50 % des relocations dans l’agglomération parisienne (60 % à Paris).  Désormais, en l’absence de gros travaux, ils seront encadrés. Seuls les loyers des logements neufs mis en première location ou ou  des logements rénovés (dont les travaux représentent plus d’un an de loyer) resteront libres (tableau 1).

 

En utilisant les données de l’Observatoire des Loyers de l’Agglomération Parisienne, et sous les hypothèses décrites dans la Note de l’OFCE (n° 23 du 26 juillet 2012), « L’encadrement des loyers : quels effets en attendre ? », nous avons évalué l’impact de ce décret s’il avait été mis en place au 1er janvier 2007 et pérennisé jusqu’en 2010. D’après nos calculs, ce décret aurait eu pour conséquences non seulement de ralentir assez fortement les hausses des loyers à la relocation dès la première année d’application (+1,3 % dans l’agglomération parisienne, contre +6,4 % observés), mais aussi de les stabiliser, voire de les baisser au moment de la relocation suivante, soit 3 ans après dans notre exemple (0 % à Paris, -0,6 % dans l’agglomération parisienne en 2010). Au final, en 2010, les loyers seraient inférieurs de 12,4 % à Paris et 10,7 % dans l’ensemble de l’agglomération parisienne à ce qu’ils auraient été sans la mesure. A Paris, le loyer se situerait à 20,1 €/m2 au lieu de 22,6 €/m2 effectivement observé (tableau 2). Pour une surface moyenne des logements reloués à Paris de 46 m2, le loyer mensuel aurait été ainsi de 924 € au lieu de 1039 €, soit un gain pour le locataire de 115 € par mois. Dans l’ensemble de l’agglomération parisienne, et selon les mêmes hypothèses, le loyer à la relocation aurait baissé en moyenne à 15,9 €/m2, au lieu de 17,8 €/m2 observé. Pour une surface moyenne de 50 m2 mise en relocation, le gain est de 95 € par mois !

A plus long terme, le décret permettrait d’atténuer l’écart entre les loyers des locataires en place depuis plus de 10 ans et ceux des nouveaux locataires (écart qui se situe en 2010 à 30 % dans l’agglomération parisienne et 38 % à Paris) et d’améliorer la fluidité du marché.

Actuellement, quelle est la possibilité de déménager si le seul fait de s’agrandir pour un couple qui vient d’avoir des enfants accroît le prix du m2 de plus de 15 % dans l’agglomération parisienne ? De même, l’incitation financière à déménager pour un couple habitant dans un logement de 4 pièces de 80 m2 et dont les enfants ont quitté le domicile familial est nulle puisque le loyer d’un logement de 3 pièces de 60 m2 est équivalent. Cette prime à la sédentarité accroît les tensions sur le marché de la location et conduit les ménages à occuper des logements inadaptés à leur besoins, voire à freiner la mobilité sur le marché du travail.

Cette mesure peut-elle favoriser la mobilité et redonner du pouvoir d’achat aux ménages? A court terme, elle va certes bénéficier aux ménages les plus mobiles en limitant la hausse de la part des dépenses de logement dans leur budget[3]. Or ces ménages sont ceux pour lesquels la contrainte de revenus joue le moins, c’est-à-dire ceux qui ont des revenus élevés ou un taux d’effort relativement faible. Elle va également bénéficier aux ménages qui sont dans l’obligation de déménager ou de ceux qui sont à la limite de leur contrainte financière. Pour tous ceux là, la hausse du taux d’effort sera moindre que ce qu’elle aurait été sans le décret. En revanche pour les ménages ayant déjà un taux d’effort élevé et un faible revenu[4], le décret ne devrait rien changer puisqu’ils peuvent difficilement supporter le surcoût d’une relocation.

 

Quels sont les risques ?

Si les bénéfices attendus pourraient être réels, encore faut-il que l’application de ce décret, –ou en tous cas de la prochaine loi – les permette. Outre la difficulté de mise en application de ce décret (absence d’observatoires des loyers fiables dans les zones concernées et de cadre juridique permettant aux locataires de faire valoir leurs nouveaux droits), l’impact de cette mesure ne sera positif pour les locataires que si l’offre locative ne se réduit pas (maintien des investisseurs actuels sur le marché, poursuite des nouveaux investissements) et que les bailleurs ne cherchent pas à compenser l’encadrement des loyers futurs par un loyer plus élevé lors la première mise en location du bien.

De même, la réalisation de travaux d’amélioration dans la perspective du Grenelle 2 de l’environnement ou simplement de travaux d’entretien pourrait s’en trouver abandonnée du fait de l’allongement de la durée d’amortissement pour les propriétaires par rapport à la situation qui prévalait jusqu’alors. A l’inverse, certains propriétaires pourraient être incités à faire de gros travaux (montant supérieur à 1 an de loyer) et à « monter le logement en gamme » pour fixer librement le loyer. Une marge de sécurité serait ainsi prise par le bailleur pour compenser le manque à gagner ultérieur. Ces hausses, si elles avaient lieu, pénaliseraient les locataires les moins solvables et favoriseraient le phénomène de gentrification déjà à l’œuvre dans les zones les plus tendues. On pourrait donc constater des écarts divergents entre les loyers de marché des logements « dégradés » et des logements remis à neuf.

Ce décret devrait à court terme limiter l’ampleur des disparités dans les zones les plus tendues avec un coût nul pour le gouvernement. Mais il ne résoudra pas le problème de taux d’effort des ménages les plus modestes : pour cela, il faudrait augmenter le parc de logement social, améliorer sa fluidité et revaloriser fortement les aides au logement[5], ce qui suppose des moyens financiers importants. Le problème fondamental demeure celui de l’insuffisance de l’offre, notamment dans les zones urbaines, où par définition le foncier disponible est rare et cher, la hausse des loyers ne faisant que répercuter celles des prix de l’immobilier. Or une détente des prix passe par une plus grande disponibilité du foncier, une augmentation de la densité là où c’est possible, le développement des transports pour faciliter les déplacements entre le logement et le lieu de travail sur grande distance, …  C’est sur ces leviers qu’il faut agir pour améliorer les conditions de logement des plus modestes.

 


[1] Le décret s’applique dans les communes où la hausse des loyers observée sur la période 2002-2010 est supérieure à deux fois la hausse de l’IRL (soit 3,2 % par an) et le loyer de marché au m2 dépasse de 5 % la moyenne nationale hors Ile-de-France (soit 11,1 euros/m2). Cela concerne près de 1 400 communes situées dans 38 agglomérations (27 en métropole et 11 outre-mer).

[2] On distingue deux types de loyers : le loyer moyen est le loyer de l’ensemble des logements en location, qu’ils soient vacants ou occupés ; le loyer de marché est le loyer de l’ensemble des logements disponibles sur le marché pour la location, donc des nouveaux logements mis en location et des relocations. Il est très proche du loyer des relocations, les logements mis en location pour la première fois ne représentant qu’une faible part de l’offre disponible.

[3] Part qui a progressé depuis 15 ans pour les ménages du parc locatif privé et notamment les plus modestes.

[4] En 2010, plus de la moitié des locataires du secteur privé a un taux d’effort (net des aides au logement) supérieur à 26,9 %, mais surtout, pour les 25 % des ménages les plus modestes, le taux d’effort moyen atteint 33,6 %.

[5] Selon le rapport « Evaluation des aides personnelles au logement » de l’IGAS, en 2010, 86,3 % des loyers dans le secteur libre des allocataires étaient supérieurs au loyer plafond pris en compte pour le calcul des aides au logement. Toute augmentation de loyer est donc intégralement supportée par le locataire.

 




Du social mais pas de sortie de crise

Evaluation du projet économique du quinquennat 2012-2017

par Eric Heyer, Mathieu Plane, Xavier Timbeau

Les premières décisions du quinquennat s’inscrivent dans un contexte fortement dégradé et très incertain. Dans une récente Note de l’OFCE (n°23 du 26 juillet 2012) nous analysons, dans une première partie,  le contexte macroéconomique dans lequel s’inscrit le projet du quinquennat de François Hollande et de la XIVe législature. Cette analyse détaille les conséquences probables pour les cinq années de la stratégie actuelle conduite en Europe. Nous évaluons à la fois le coût pour les finances publiques mais aussi l’impact sur l’activité économique, l’emploi ou sur la distribution des revenus. Dans une deuxième partie, nous analysons le choix de politiques publiques considérées comme prioritaires par le nouveau gouvernement, qu’elles soient à destination des jeunes (contrats de génération, emplois d’avenir), de certains seniors (refonte de la réforme des retraites), des classes moyennes et populaires (allocation de rentrée scolaire, coup de pouce au SMIC, livret A, encadrement des loyers, refiscalisation des heures supplémentaires), ou qu’elles visent à relancer certaines dépenses publiques jugées indispensables (emplois publics dans l’éducation, la justice et la police dans la section « finances publiques », service public de la petite enfance).

François Hollande a été élu Président de la République Française à un moment où la France et l’Europe traversent une crise sans précédent. Le chômage a augmenté de plus de 2 points depuis le début de la crise en France métropolitaine et approche aujourd’hui (9,6 % de la population active, au sens du BIT au premier trimestre 2012) les niveaux record de 1997 (10,5 %). Le produit intérieur brut par habitant a baissé depuis 2008 en pouvoir d’achat de 3 %. Si la tendance de croissance des cinq années précédant la crise s’était prolongée au même rythme de 2008 jusqu’au début 2012, le PIB par habitant serait aujourd’hui supérieur de 8 % à ce qu’il est. La balance des transactions courantes s’est dégradée dans la crise d’un point et demi de PIB (25,7 milliards d’euro dont 10 milliards au titre de la facture pétrolière) dégradant la position nette extérieure de la France de 7,8 points de PIB. La dette publique a augmenté de 577 milliards (soit près de 30 points de PIB) et atteint au début de l’année 2012 presque 90 % du PIB. L’industrie a payé un lourd tribu à la crise (presque 300 000 emplois perdus) et tout se passe comme si les destructions d’emploi et les fermetures de sites industriels étaient irréversibles.

Pourtant, ce bilan très sombre, à mettre au compte de la crise amorcée en 2008, n’est pas stoppé. La crise des dettes souveraines menace la zone euro d’une récession prolongée en 2012 et en 2013, sous le coup des politiques d’austérité menées dans la panique de voir les financements des dettes publiques se tarir. Et un scénario pire encore, celui de la désagrégation de la zone euro se profile, qui transformerait ces menaces de récession en risque de dépression majeure.

Ces évaluations sont de nature différente suivant les éléments qui sont disponibles. Certains dispositifs ont été mis en œuvre par décret, d’autre sont en cours de discussion par les assemblées, mais les projets de loi permettent une analyse quantifiée. D’autres sont à l’état de projet ; les principaux arbitrages n’ont pas été rendus, et notre évaluation tente d’en explorer les points principaux.

Notre appréciation de la stratégie économique pour le quinquennat ne s’arrête pas là pour autant. Il amorce aujourd’hui les prémisses de la stratégie de sortie de crise. Les engagements de réduction de déficit et les premières mesures prises dans ce sens dans le collectif budgétaire de juillet 2012, comme celle annoncées dans le débat d’orientation budgétaire de juin 2012, indiquent une stratégie dont la première étape est d’aboutir à la réduction, quoiqu’il en coûte, du déficit public à 3 % du PIB à la fin de l’année 2013. Par sa vertu budgétaire, c’est donc une stratégie de sortie de la crise, censée assainir la situation des comptes publics et ainsi rassurer les marchés financiers comme les autres agents économiques, et mettre en place les conditions d’une reprise future vigoureuse. Cette stratégie s’appuie sur une réduction des dépenses publiques et une hausse de la fiscalité (voir la partie « finances publiques », projets fiscaux du gouvernement et taxation des groupes pétroliers).

Cette stratégie de sortie de crise est pour le moins risquée car elle ne prend pas toute la mesure de la crise qui menace l’Europe aujourd’hui. Elle pourrait se justifier si nous étions d’ores et déjà sur une trajectoire de sortie de crise et s’il s’agissait d’en aménager les priorités. Mais l’Europe reste dans une situation de très forte incertitude, vivant dans l’attente d’un défaut massif de tel ou tel Etat membre de la zone euro, craignant la faillite de telle ou telle institution financière, subissant les conséquences d’une spirale d’austérité alimentée par la hausse des taux souverains. Or dans une telle situation, tout concourt à renforcer le piège de la trappe à liquidité et conduit à des multiplicateurs budgétaires élevés. Dès lors, la réduction ex ante du déficit par la hausse des impôts ou la réduction des dépenses pèse lourdement sur l’activité, ce qui limite, voire annule, la réduction effective des déficits. La dynamique d’augmentation de la dette publique ne peut être inversée et la réduction de l’activité accroît le risque de la socialisation de dettes privées insoutenables. La hausse des taux souverains est alimentée par l’incapacité à tenir les objectifs de déficits et par la hausse de la dette publique et contribue à accroître les déficits publics, obligeant à une austérité plus forte encore.

Une réponse à cette dynamique qui est en train de provoquer la désagrégation de l’euro serait sous une forme ou une autre la mutualisation des dettes publiques en Europe. Cette mutualisation impliquerait un contrôle plus ou moins complet des budgets publics des pays membres par une instance fédérale à la légitimité démocratique forte. Cette réponse serait donc celle de plus d’Europe et permettrait alors de définir une austérité « bien tempérée », pour la France comme pour ses principaux partenaires commerciaux, qui ferait de la sortie du chômage de masse involontaire et de la trappe à liquidité les préalables à un ajustement des finances publiques. Cette réponse permettrait de maintenir la soutenabilité des finances publiques sans impliquer les décennies perdues qui sont en train de se préparer.

Dans une première partie, nous analysons le contexte macroéconomique dans lequel s’inscrit le projet du quinquennat de François Hollande et de la XIVe législature. Cette analyse détaille les conséquences probables pour les cinq années de la stratégie actuelle conduite en Europe. La valeur du multiplicateur budgétaire en est un paramètre critique et nous montrons que la stratégie actuelle ne vaut que si les multiplicateurs sont faibles (i. e. de l’ordre de 0,5). Or un faisceau d’éléments empiriques nous indique que dans la situation exceptionnelle où nous nous trouvons les multiplicateurs budgétaires et fiscaux peuvent être supérieurs à 0,5 (entre 1 et 1,5, voir infra). Nous détaillons dans une deuxième partie les mesures prises dans la Loi de finances rectificative de juillet 2012 (pour l’année 2012), les éléments exposés dans le débat d’orientation budgétaire en préparation de la Loi de finance pour l’année 2013 et pour la période 2012-2017. Pour arriver à réduire le déficit public à 3 %, il apparaît qu’il faudrait une recette fiscale ou une économie de dépense supplémentaire de plus de 10 milliards d’euros, ex ante.

Nous présentons ensuite l’évaluation de onze mesures. Guillaume Allègre, Marion Cochard et Mathieu Plane ont ainsi estimé que la mise en œuvre du contrat de génération pourrait créer entre 50 000 et 100 000 emplois au prix d’un fort effet d’aubaine. Eric Heyer et Mathieu Plane rappellent qu’à court terme, les contrats aidés du type « emplois avenir » peuvent contribuer à faire baisser le chômage. Eric Heyer montre que la re-fiscalisation des heures supplémentaires permet de réduire le déficit public de 4 milliards d’euros sans pour autant dégrader le marché du travail. Guillaume Allègre discute des conséquences de la hausse de l’Allocation de rentrée scolaire et montre qu’elle profite essentiellement aux cinq premiers déciles de niveau de vie. Henri Sterdyniak analyse les possibilités de réforme fiscale. Il ne s’agit pas d’une évaluation des projets du gouvernement en matière de réforme fiscale mais d’un panorama complet sur les marges d’évolution et les incohérences du système actuel. Henri Sterdyniak et Gérard Cornilleau évaluent l’élargissement des possibilités de départ à la retraite à 60 ans et analysent les voies d’une possible réforme de plus grande ampleur du système de retraite. Hélène Périvier évalue ce que pourrait être un service public de la petite enfance dont le coût à terme de presque 5 milliards d’euros pourrait être couvert en partie par un surcroît d’activité générant plus de 4 milliards d’euros. Eric Heyer et Mathieu Plane analysent les conséquences du coup de pouce au SMIC et concluent que compte tenu de la faible diffusion des hausses de SMIC au reste de la distribution des salaires, l’impact sur le coût du travail est limité par de plus fortes réduction des charges sur les bas salaires. Si l’effet sur l’emploi est faible, sur les finances publiques il provoquerait une dégradation de 240 millions d’euros. Sabine Le Bayon, Pierre Madec et Christine Rifflart évaluent l’encadrement de l’évolution des loyers. Hervé Péléraux discute la question de la rémunération du livret A et du doublement de son plafond. Céline Antonin et Evens Salies évaluent la nouvelle taxation des groupes pétroliers qui pourrait apporter 550 millions d’euros de recettes fiscales en 2012 avec le risque que cette taxe soit in fine payée par le consommateur final.