Une reprise si fragile

par le Département Analyse et Prévisions, sous la direction d’Eric Heyer et de Xavier Timbeau

Ce texte résume les perspectives économiques 2015-2017 de l’OFCE pour la zone euro et le reste du monde

Les chiffres de croissance pour le premier semestre 2015 dans la zone euro ont confirmé le mouvement de reprise entrevu en fin d’année 2014. Alors que le retour de la croissance dans la zone euro aurait pu indiquer la fin de la crise économique et financière mondiale apparue en 2008, les turbulences enregistrées dans les pays émergents et en particulier en Chine pendant l’été rappellent que la crise ne semble finalement pas vraiment finir. Le poids économique de la Chine et son rôle dans le commerce mondial sont aujourd’hui tels que même dans le cas d’un atterrissage en douceur, les conséquences sur la croissance des pays développés seront significatives. Nous anticipons néanmoins que le scénario de reprise ne sera pas remis en cause et que la croissance de la zone euro restera globalement soutenue par des facteurs favorables (baisse du prix du pétrole et soutien monétaire de la BCE) ou moins défavorables (politiques budgétaires moins restrictives). Il n’en demeure pas moins que la situation dans le monde en développement ajoutera une nouvelle incertitude sur une reprise déjà si fragile.

Entre 2012 et 2014, l’activité dans les pays de la zone euro avait stagné alors que dans le même temps les Etats-Unis affichaient une croissance du PIB de 2 % en moyenne. La reprise qui s’était engagée après la forte contraction de 2008-2009 a rapidement tourné court dans la zone euro du fait de la crise de la dette souveraine qui s’est rapidement traduite par un durcissement rapide et incontrôlé des conditions financières et qui a renforcé l’épisode de consolidation budgétaire des Etats membres, en quête de crédibilité aux yeux des marchés. La zone euro a alors plongé dans une nouvelle récession. En 2015, ces chocs de politique économique ne pèseront plus sur la demande. La BCE a contribué au recul des primes de risque sur la dette souveraine en annonçant l’OMT (Outright monetary transaction) en septembre 2012, puis en mettant en œuvre une politique d’assouplissement quantitatif qui améliore les conditions financières et favorise la baisse de l’euro. Du côté de la politique budgétaire, si la phase de consolidation est loin d’être terminée pour certains pays, le rythme et l’ampleur des mesures annoncées diminuent. Par ailleurs, la croissance sera aussi alimentée par la baisse du pétrole qui semble durable. Les gains de pouvoir d’achat dont bénéficieront les ménages devraient nourrir la consommation privée. Ces différents facteurs reflètent donc bien un environnement plus favorable et propice à la croissance. Cependant, force est de constater que le scénario s’appuie également sur des facteurs volatils tels que les baisses du prix du pétrole et de l’euro. Le ralentissement chinois ajoutera donc un risque supplémentaire à ce scénario qui s’appuie sur l’hypothèse d’une transition maîtrisée de l’économie chinoise d’un modèle de croissance tourné vers les exportations à une économie tirée par sa demande interne. Nous estimons que la croissance dans la zone euro s’établirait à 1,5 % en 2015 puis 1,8 % en 2016 et 2017. Les principaux risques à court terme de ce scénario sont négatifs. Si le prix du pétrole remontait, si l’euro ne baissait pas et si le ralentissement dans les émergents se transformait en crise économique et financière, la croissance mondiale et celle de la zone euro seraient significativement réduites. Ce risque est d’autant plus critique que le taux de chômage de la zone euro reste très élevé (11 % en août 2015). Or étant donné le rythme de croissance anticipé, nous prévoyons une baisse du chômage annuelle en 2016-2017 de l’ordre de 0,6 point par an. A ce rythme, il faudra presque 7 ans pour ramener le taux de chômage à son niveau d’avant-crise. Ainsi, si la sortie de crise économique qui a débuté en 2008 est incertaine, il semble en revanche certain que la crise sociale a de beaux jours devant elle.

 

 

 




Chômage : baisse par intérim

Département Analyse et Prévision (Équipe France)

Les chiffres du chômage du mois de juillet 2015 font apparaître un léger recul de 1900 personnes inscrites en catégorie A. L’incertitude qui entoure les évolutions mensuelles des inscriptions à Pôle Emploi ne permet pas pour le moment de conclure à une amélioration durable de la situation sur le marché du travail. Toutefois la hausse constatée depuis janvier 2015 (+50 900 inscrits en catégorie A) est de moindre ampleur que celles constatées au cours des trois dernières années sur la même période (+128 500 en moyenne sur les sept premiers mois des trois années précédentes). Elle est comparable à celles constatées en 2010-2011 (+44 300 en moyenne sur les sept premiers mois de ces deux années), années de reprise de la croissance.

Cette évolution du chômage, dans un contexte de reprise naissante, ne surprend guère. Tout d’abord, le regain de croissance du PIB observé au premier semestre (+0,7 % selon les premiers comptes publiés par l’INSEE) devrait s’accentuer sur les prochains trimestres. Pour l’heure, ce regain se traduit par une hausse de l’emploi salarié du secteur concurrentiel de +26 600 au premier semestre 2015 permettant ainsi de limiter la hausse du chômage sans pour autant le faire reculer, la population active ayant augmenté d’environ 75 000 personnes au premier semestre.

Par ailleurs, la progression des inscriptions en catégories B et C se poursuit[1] de façon plus marquée que pour la seule catégorie A (+145 600 depuis le début de l’année). Elle s’explique en partie par un basculement de certains inscrits en catégorie A vers ces catégories, traduisant une hausse des emplois précaires cohérente avec l’augmentation de l’emploi intérimaire au premier semestre (+11 600) : historiquement, l’amélioration de la situation sur le marché du travail s’enclenche par une hausse des emplois précaires (CDD, intérim). Cela coïncide également avec l’augmentation des offres d’emploi collectées par Pôle Emploi, et avec les sorties de Pôle Emploi pour motif de reprise d’emploi déclarée qui quant à elles reviennent à des niveaux comparables à ceux observés en 2010-2011.

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Enfin, les évolutions par âge sont différenciées : le nombre d’inscrits de moins de 25 ans en catégorie A est inférieur de 4 600 à son niveau en fin d’année 2014. De fait, les jeunes, surreprésentés dans les emplois dits temporaires (34,2 % des jeunes en emploi sont en CDD ou en intérim contre 8,4 % des autres catégories d’âge), bénéficient des créations de ce type d’emplois et de la hausse des emplois aidés particulièrement ciblés sur leur catégorie. A l’inverse, les inscriptions en catégorie A des personnes âgées de 50 ans et plus se poursuivent de façon ininterrompue (+36 100 depuis le début de l’année). 62% des inscrits de 50 ans et plus à Pôle Emploi le sont depuis plus d’un an contre 39% en moyenne pour les autres tranches d’âge.

 


[1] Ces catégories regroupent les personnes ayant exercé une activité réduite au cours du mois, mais restant inscrites à Pôle emploi.




Baisse du taux de chômage au sens du BIT : la fausse bonne nouvelle

par Bruno Ducoudré et Eric Heyer

Deux jours après l’annonce par Pôle Emploi de l’augmentation du nombre d’inscrits en catégorie A au mois d’avril, augmentation qui vient s’ajouter à celle constatée au premier trimestre, l’INSEE vient de publier son estimation du taux de chômage. Ainsi, au sens du Bureau International du Travail (BIT), le taux de chômage en France métropolitaine a baissé  de 0,1 point au premier trimestre 2015, soit 38 000 chômeurs en moins par rapport au quatrième trimestre 2014. Mais, selon Pôle emploi, sur la même période, le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A a augmenté de 12 000. Dans un cas, le chômage baisse ; dans l’autre, il augmente, ce qui ne permet pas de poser un diagnostic clair quant à l’évolution du chômage sur le début d’année.

A quoi doit-on attribuer la différence de diagnostic entre celui de l’Insee et celui de Pôle Emploi ?

Outre les différences liées à la méthodologie (enquête Emploi pour le BIT, source administrative pour Pôle emploi), rappelons que pour être comptabilisé comme chômeur au sens du BIT, il faut remplir trois conditions : être sans emploi, disponible pour en occuper un et effectuer une recherche active d’emploi. La seule inscription à Pôle emploi n’est cependant pas suffisante pour remplir cette dernière condition. Ainsi, les inscrits en catégorie A [1] à Pôle Emploi qui n’ont pas effectué de recherche active ne sont pas comptabilisés comme chômeurs au sens du BIT. Le critère du BIT est donc plus restrictif. Historiquement, le nombre de chômeurs inscrits à Pôle emploi est plus élevé que celui calculé au sens du BIT pour les personnes âgées de 25 ans et plus. Pour les moins de 25 ans, l’intérêt de s’inscrire à Pôle emploi est généralement plus faible [2].

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Excepté pour les moins de 25 ans, Pôle Emploi donne donc des chiffres du chômage plus défavorables que ceux du BIT et donc de l’INSEE (tableau 1). L’explication en est la suivante. Dans un contexte de marché du travail très dégradé, un certain nombre de chômeurs sont découragés et ne recherchent plus activement un emploi : de ce fait, ils ne sont plus comptabilisés comme chômeurs au sens du BIT. Ils continuent pourtant à actualiser leur situation à Pôle emploi et restent donc inscrits en tant que chômeurs dans la catégorie A. Cela a pour conséquence une augmentation du « halo » du chômage, soit notamment des personnes souhaitant travailler, disponibles rapidement, mais qui ne recherchent pas activement un emploi. Sur un trimestre, le « halo » du chômage a ainsi augmenté de 71 000 personnes.

Au premier trimestre 2015, le taux de chômage au sens du BIT baisse pour de mauvaises raisons

Le taux de chômage peut baisser pour deux raisons : la première, vertueuse, résulte d’une sortie du chômage liée à l’amélioration du marché de l’emploi ; la seconde, moins réjouissante, s’explique par le découragement de certains chômeurs qui basculent alors dans l’inactivité. Les dernières statistiques du BIT soulignent que la baisse de 0,1 du taux de chômage s’explique intégralement par la baisse du taux d’activité – qui mesure le pourcentage de personnes actives dans la population âgée de 15 à 64 ans – et non par la reprise de l’emploi qui, à l’inverse, a diminué. La baisse du taux de chômage n’est donc pas attribuable à une reprise de l’emploi, mais à un découragement des chômeurs qui cessent de rechercher activement un emploi (tableau 2).

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Dans le détail, l’arrivée des jeunes sur le marché du travail à un moment où l’emploi baisse se traduit par une hausse du chômage de 0,1 point pour cette catégorie. Chez les seniors, le taux d’emploi continue toujours d’augmenter (de 0,2 point) du fait du recul de l’âge de départ effectif à la retraite. Certes, le chômage au sens du BIT baisse chez les seniors, mais la hausse des inscriptions à Pôle Emploi dans cette classe d’âge (tableau 1) traduit certainement une modification dans leur comportement de recherche d’emploi : de plus en plus de seniors ne font plus acte de recherche d’emploi et sont désormais classés dans le « halo » du chômage.

Finalement, la baisse du taux de chômage au sens du BIT, marquée à la fois par l’absence de reprise de l’emploi et le découragement des chômeurs, n’est pas une si bonne nouvelle.

 

 

 


[1] Les inscrits en catégorie A n’ont exercé aucune activité, pas même réduite, à la différence des inscrits en catégories B et C.

[2] Pour ouvrir un droit à indemnisation au titre du chômage et percevoir l’allocation d’aide au retour à l’emploi, il faut justifier de 122 jours d’affiliation ou de 610 heures de travail au cours des 28 mois qui précèdent la fin du contrat de travail.

 




L’ « alignement des planètes » n’a pas toujours été favorable aux pays de la zone euro

par Eric Heyer et Raul Sampognaro

 En 2015, les économies de la zone euro vont bénéficier d’un « alignement des planètes » favorable (euro et prix du pétrole en baisse, relâchement des contraintes financières qui pèsent sur l’économie) qui devrait enclencher un cercle vertueux de leur croissance. Au cours des quatre dernières années (2011-2014), un « alignement planétaire » s’était également produit mais avec une orientation diamétralement opposée.  Au cours de cette période, l’euro et le prix du pétrole étaient en hausse et les conditions de financement ainsi que l’orientation budgétaire étaient très fortement restrictives.

Dans un article récent, nous proposons une évaluation de l’impact depuis 2011 de ces quatre facteurs sur les performances économiques de six grands pays développés (France, Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni et Etats-Unis).

Il ressort de notre analyse que le cumul de ces chocs explique une grande part des écarts de croissance entre les grandes économies européennes et les États-Unis enregistrés au cours de la période 2011-2014. Une part non-négligeable de cet écart de performance s’expliquerait notamment par le choix divergent de stratégies de politiques économiques, avec notamment un policy mix qui a été nettement plus contraignant en zone euro qu’outre-Atlantique. En particulier, l’ajustement budgétaire a été très fort dans les pays soumis aux tensions sur leur dette souveraine, comme l’Espagne et l’Italie. En outre, les effets des tensions sur les dettes souveraines ont été démultipliés par la fragmentation financière qui s’est traduite par une dégradation des conditions de financement du secteur privé alors que les mesures d’assouplissement quantitatif mises en œuvre par la Fed et la Banque d’Angleterre ont permis de préserver les conditions de financement dans ces pays. Ainsi, il aura fallu attendre le discours de M. Draghi de juillet 2012 et l’annonce du programme OMT en septembre 2012 pour que l’action de la BCE permette d’atténuer ces tensions financières. Si les évolutions des taux de change ont plutôt soutenu l’activité en zone euro sur l’ensemble de la période 2011-2014, leur contribution a été dépendante du type d’intégration des différents pays aux flux des échanges commerciaux mondiaux[1] et à l’ampleur de la politique de désinflation salariale, particulièrement prononcée en Espagne. Enfin, la hausse du prix du pétrole a pesé sur la croissance européenne alors que ses effets ont été moindres aux États-Unis, qui ont bénéficié de la rentabilisation de l’exploitation du pétrole de schiste.

Les pertes cumulées de PIB sont très importantes en Espagne (-10 points entre 2011 et 2014), en Italie (-7,5 points) et en France (-5 points) et de façon plus modérée au Royaume-Uni (-3 points) et en Allemagne (-2,5 points). En revanche, depuis 2011, le cumul des chocs a eu un impact nul sur la croissance aux États-Unis, suggérant que la croissance américaine a été en ligne avec sa croissance spontanée[2] (graphique 1).

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Ainsi, en l’absence de ces chocs, la croissance spontanée aurait pu s’établir en Europe au-delà du rythme de la croissance potentielle, comme aux États-Unis (graphique 2). Cela aurait permis une convergence durable du PIB vers son niveau potentiel, la réduction des déséquilibres sur le marché du travail, la normalisation de l’utilisation de l’appareil productif et le redressement des comptes publics, tout particulièrement dans les pays de la zone euro.

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Accéder à la version complète de notre étude.

 


[1] Les effets de ces chocs de compétitivité sont différents selon les pays du fait des différences d’élasticité du commerce extérieur, mais aussi des variations selon les pays du degré d’exposition au commerce et à la concurrence intra/extra zone euro . Pour plus de détails se référer à Ducoudré et Heyer (2014).

[2] La croissance spontanée d’une économie résulte de sa croissance potentielle de long terme (qui dépend des facteurs structurels qui déterminent notamment la dynamique de la productivité globale des facteurs et de la population active) et du rythme de fermeture de l’output gap, creusé dans la plupart des pays par la crise de 2008-2009 qui dépend de la capacité d’une économie à absorber les chocs subis.




La reprise qui s’annonce

par le Département Analyse et Prévisions, sous la direction de Eric Heyer et de Xavier Timbeau

Ce texte résume les Perspectives économiques 2015-2016 de l’OFCE pour la zone euro et le reste du monde.

Alors que la zone euro était jusqu’à présent restée à l’écart de la reprise mondiale, la conjonction de facteurs favorables (baisse du prix du pétrole et dépréciation de l’euro) permettront l’enclenchement d’une dynamique de croissance plus soutenue et partagée par l’ensemble des pays de l’Union. Ces facteurs interviennent au moment où la consolidation budgétaire, massive et synchronisée, qui avait poussé la zone euro à nouveau en récession en 2011, s’atténue. Les freins à la croissance se lèvent progressivement si bien qu’en 2015 et 2016 le PIB devrait progresser de respectivement 1,6 % et de 2 %, ce qui permettra une réduction du chômage de 0,5 point par an. La zone euro serait donc cette fois-ci engagée sur la voie de la reprise. Pourtant, avec un taux de chômage de 10,5 % à la fin 2016, la situation sociale resterait précaire et la menace déflationniste serait encore présente.

Le choc de demande attendu

Après l’épisode de soutien à la croissance par des politiques budgétaires expansionnistes pendant la Grande Récession de 2008-2009, les pays de la zone euro ont rapidement inversé l’orientation de la politique budgétaire qui est devenue restrictive. Si les Etats-Unis ont également fait le choix de la réduction des déficits budgétaires, les effets de la consolidation y furent moindres. D’une part, le choc de demande négatif à l’échelle de la zone euro fut amplifié par la synchronisation de l’épisode de consolidation. D’autre part, dans un contexte d’endettement public croissant, l’absence de solidarité budgétaire entre les pays a ouvert la brèche aux attaques spéculatives, ce qui a poussé les taux souverains, puis les taux bancaires ou de marché aux agents non-financiers, à la hausse. La zone euro fut ainsi plongée dans une nouvelle récession à partir de 2011 alors que la dynamique de croissance se poursuivait globalement dans les autres pays avancés (graphique). Cet épisode de consolidation et de tensions financières a pris fin progressivement. En juillet 2012, la BCE prenait l’engagement de soutenir l’euro ; l’austérité budgétaire a été atténuée en 2014 et les Etats membres se sont entendus sur un projet d’Union bancaire qui a officiellement débuté en novembre 2014 avec les nouveaux pouvoirs en matière de supervision bancaire confiés à la BCE. Il ne manquait donc à la zone euro qu’une étincelle qui permettrait l’allumage du moteur de la croissance. Le transfert de pouvoir d’achat aux ménages opéré par la baisse du prix du pétrole – de l’ordre d’un point de PIB si la baisse du prix du pétrole se maintient jusqu’en octobre 2015 – représente ce choc de demande positif, qui plus est sans conséquence budgétaire. Le seul coût induit par ce choc résulte de la baisse de revenu dans les pays producteurs de pétrole qui les conduira à moins importer dans les trimestres à venir.

A ce choc de demande interne, s’ajoutera dans la zone euro un choc de demande externe. L’annonce d’un plan d’assouplissement quantitatif dans la zone euro constitue en effet le deuxième facteur accélérateur de croissance. Ce plan, par lequel la BCE devrait acheter pour plus de 1 000 milliards d’euros de titres, au rythme de 60 milliards par mois jusqu’en septembre 2016, va amplifier la baisse des taux souverains mais surtout provoquer une réallocation des portefeuilles d’actifs et faire (encore) baisser l’euro. Les investisseurs, à la recherche d’un rendement plus élevé, vont se reporter sur les titres émis en dollars et ce d’autant plus que la perspective d’un resserrement monétaire graduel aux Etats-Unis améliore les perspectives de rendement outre-Atlantique. La hausse du dollar entraînera avec elle celle des monnaies des pays asiatiques, ce qui renforcera l’avantage compétitif de la zone euro, au détriment cette fois-ci des Etats-Unis et de certains pays émergents. Il est cependant peu probable que la fragilité induite par le contre-choc pétrolier et par la baisse de l’euro dans ces pays et dans les pays producteurs de pétrole ne remette en cause les effets positifs attendus dans la zone euro. Au contraire, ils seront aussi les vecteurs d’un rééquilibrage de la croissance dont avait besoin la zone euro.

Le bouclage de ce scénario de croissance viendra de l’investissement. L’anticipation d’une demande accrue lèvera les dernières réticences au lancement de projets d’investissement dans un contexte où les conditions de financement sont, dans l’ensemble, très favorables et en très nette amélioration dans les pays où les contraintes de crédit avaient fortement pesé sur la croissance.

Le cercle vertueux de la croissance va donc pouvoir s’enclencher. Tous les signaux devraient passer au vert : amélioration du pouvoir d’achat des ménages par l’effet pétrole, gain de compétitivité par la baisse de l’euro, accélération de l’investissement et in fine de la croissance et de l’emploi.

Une reprise fragile ?

Si les éléments qui soutiennent la croissance de la zone euro ne sont pas de simples hypothèses sur le futur mais résultent bien de facteurs tangibles dont les effets vont se faire sentir progressivement, il n’en demeure pas moins qu’ils sont en partie fragiles. Ainsi, la baisse du prix du baril de pétrole n’est sans doute pas pérenne. Le prix d’équilibre du baril de pétrole se situe plus près de 100 dollars que de 50 dollars et, à terme, il faut s’attendre à une remontée des prix de l’énergie : ce qui joue positivement aujourd’hui pourrait interrompre le mouvement de reprise demain. La baisse de l’euro semble plus durable ; elle devrait se prolonger au moins jusqu’à la fin de l’assouplissement quantitatif de la BCE annoncée au plus tôt en septembre 2016. L’euro ne devrait cependant pas baisser en-deçà de 0,95 dollar pour un euro. Les délais de transmission des variations de taux de change aux volumes échangés permettront toutefois à la zone euro de profiter en 2016 d’un gain de compétitivité.

Il faut également souligner qu’un scénario de sortie de la Grèce de la zone euro pourrait aussi mettre un coup d’arrêt à la reprise naissante. Les pare-feux mis en place au niveau européen pour réduire ce risque devrait limiter la contagion, du moins tant que le risque politique n’a pas pris corps. Il sera difficile en effet à la BCE de soutenir un pays dans lequel un parti plaidant explicitement pour la sortie de la zone euro est aux portes du pouvoir. La contagion que l’on croit éteinte pourrait alors se rallumer et rouvrir la crise des dettes souveraines en zone euro.

Enfin, les contraintes du Pacte de stabilité ont été décalées, de façon à laisser plus de temps aux Etats membres, et en particulier la France, pour revenir vers la cible de 3 %. Elles ne sont donc pas levées et devraient prochainement se renforcer dès lors qu’il s’agira d’évaluer les efforts budgétaires faits par les pays pour réduire leur dette.

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Le déficit commercial français est-il entièrement structurel ?

par Eric Heyer

Au cœur du débat qui oppose les tenants d’une insuffisance de l’offre à ceux d’une insuffisance de la demande pour expliquer le faible niveau d’activité en France depuis 4 ans, la question de la nature du déficit commercial français est centrale.

D’un côté, l’économie française connaît un grand nombre de symptômes caractéristiques d’une économie en situation d’insuffisance de demande : une forte désinflation, un chômage élevé, des entreprises déclarant de fortes capacités de production inutilisées principalement du fait d’une demande insuffisante, … Mais, d’un autre côté, l’existence d’un déficit persistant de la balance commerciale (graphique 1) jette un doute sur la compétitivité des entreprises françaises et sur leur capacité à satisfaire un supplément de demande, ce qui traduirait alors un problème d’offre.  

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Ainsi, après plus de dix années d’excédents commerciaux qui ont représenté jusqu’à plus de 2 points du PIB en 1997, la balance commerciale française est devenue déficitaire en 2005. Le déficit, qui s’est creusé graduellement jusqu’en 2010 pour atteindre près de 2 points de PIB, se résorbe depuis. En 2013 (dernier chiffre disponible), le déficit commercial s’établissait encore à 1 point de PIB.

Ce constat ne suffit toutefois pas à balayer d’un revers de manche l’ensemble des arguments des tenants d’une insuffisance de la demande pour considérer que la France ne souffre que d’un problème d’offre. Il convient, au minimum, d’analyser la nature de ce déficit et d’essayer de séparer sa composante structurelle de sa composante conjoncturelle. Cette dernière est le résultat d’un écart de conjoncture économique entre la France et ses principaux partenaires commerciaux. Lorsque la conjoncture d’un pays est plus favorable que celle de ses partenaires, ce pays aura tendance à présenter un déficit de sa balance commerciale lié à sa demande intérieure et donc à des importations plus dynamiques.  Un déficit commercial peut donc apparaître indépendamment de la compétitivité des entreprises du pays.

Une manière de prendre en considération cet écart de conjoncture consiste à comparer les écarts de production d’une économie à sa production potentielle (output gap). Au niveau national, un output gap positif (respectivement négatif) signifie que l’économie du pays est en phase d’expansion (respectivement de contraction) cyclique, ce qui, toutes choses égales par ailleurs, doit se traduire par une dégradation (respectivement une amélioration) conjoncturelle de sa balance commerciale. Au niveau des partenaires commerciaux, lorsque ceux-ci sont dans une phase d’expansion cyclique (output gap positif), cela devrait conduire à une amélioration conjoncturelle de la balance commerciale du pays étudié.

A partir des données de la dernière version de l’Economic Outlook de l’OCDE (eo96), nous avons calculé un output gap « agrégé » des pays partenaires de la France en pondérant les output gap de chacun des partenaires par le poids des exportations françaises vers ces pays dans le total des exportations de la France.

Deux éléments ressortent de ce calcul, illustré par le graphique 2 :

  1. Le premier est que, d’après l’OCDE, l’output gap français est négatif depuis 2008, ce qui signale l’existence de marges de rebond pour l’économie française.
  2. Le second réside dans une situation économique encore plus dégradée chez nos partenaires commerciaux. L’écart de conjoncture, mesuré par la différence de l’output gap français avec celui de ses partenaires, indique une différence significative en faveur de la France.

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Dès lors, il est possible d’évaluer l’impact de la situation conjoncturelle du pays et de celle des principaux partenaires sur la balance commerciale.

Une estimation simple par Moindres Carrés Ordinaires, sur la période 1985-2013, permet d’obtenir une relation de cointégration entre ces trois variables (solde commercial, output gap de la France et output gap des partenaires) pour la France. Les signes obtenus sont conformes à l’intuition : lorsque la France est dans une phase d’expansion, cela entraîne une détérioration de sa balance commerciale (coefficient de -0,943). A l’opposé, lorsque les pays concurrents connaissent une phase d’expansion, cela permet une amélioration du solde commercial français (coefficient de +0,876).

On peut alors calculer le solde commercial structurel de la France depuis 1985 en retranchant l’effet des conjonctures (nationale et des concurrents) de la balance commerciale observée.

Le graphique 3 illustre ce calcul. Ainsi, la baisse de l’euro de la fin des années 1990 aura permis une amélioration structurelle du solde structurel français. Puis, la forte dégradation de la balance commerciale française entre 2001 et 2007 serait entièrement structurelle : on peut l’expliquer, notamment, par l’entrée de la Chine dans l’OMC, par la politique de désinflation compétitive menée en Allemagne et par l’appréciation de l’euro. Depuis la crise de 2008, en revanche, une partie de plus en plus importante du déficit commercial français serait de nature conjoncturelle. Ainsi, même si la croissance française est atone, la France affiche malgré tout des performances économiques moins dramatiques que certains de ses partenaires commerciaux[1]. Cette performance relative plus favorable de la France par rapport à ses principaux partenaires commerciaux induit l’apparition d’un déficit commercial dont une partie est de nature conjoncturelle. En 2013, cette origine conjoncturelle des déséquilibres de la balance courante serait intégrale.

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Ce résultat fait écho à l’analyse fournie par la Comptabilité nationale sur les composantes de la croissance depuis 4 ans : le niveau du PIB en volume au troisième trimestre 2014 n’est que de 1,4 % au-dessus de celui du premier trimestre 2011. L’analyse des facteurs contribuant à cette performance est claire : la demande privée (des ménages et entreprises) est en forte baisse (-1,6 %), notamment la consommation des ménages, traditionnel moteur de croissance de l’économie. Alors que les ménages sont plus nombreux aujourd’hui qu’il y a quatre ans, leur consommation totale est de 0,6 % inférieure à son niveau de 2011. En revanche, alors que la capacité de l’économie française à s’insérer dans la compétition mondiale est mise en doute par le discours dominant, le commerce extérieur a un impact fortement positif depuis quatre ans : il est porté par le dynamisme des exportations qui affichent une contribution positive de 2 points à l’évolution du PIB. En somme, depuis quatre ans, l’économie française est tirée principalement par ses exportations tandis qu’elle est freinée par sa demande privée.

Bien évidemment, cette analyse repose sur l’évaluation des output gap dont la mesure est fragile et sujette à de fortes révisions. A cet égard, si l’estimation d’un écart de production négatif pour la France fait consensus entre les institutions, l’amplitude des marges de rebond est importante, variant entre 2,5 et 4 points en 2014 selon les instituts (FMI, OCDE, Commission européenne, OFCE).

La prise en compte d’un output gap pour la France plus négatif que celui calculé par l’OCDE, atténuerait quelque peu ce diagnostic : en retenant celui de l’OFCE (output gap de -2,9 points de PIB en 2013 au lieu de -1,4 point pour l’OCDE) pour la France et en gardant la mesure de l’OCDE pour les partenaires, la performance relative plus favorable de la France par rapport à ses principaux partenaires commerciaux n’expliquerait plus que la moitié de son déficit commercial[2]. Une partie du déficit observé s’expliquerait donc par des problèmes de compétitivité des entreprises françaises (graphique 4).

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En conclusion, comme pour toute mesure de variable structurelle, l’évaluation du solde commerciale structurel est sensible à la mesure de l’output gap.  Néanmoins, il ressort de cette analyse rapide que :

  • si l’on considère que l’économie française souffre principalement d’un problème d’offre (output gap proche de zéro) alors que nos partenaires, principalement européens, font face à une insuffisance de la demande (output gap négatif) alors le déficit de notre balance commerciale serait essentiellement conjoncturel.
  • En revanche, si la France, à l’instar de ses partenaires, connaissait également une insuffisance de la demande, alors une partie seulement de notre déficit serait conjoncturelle, l’autre relèverait d’un problème de compétitivité de nos entreprises.

Ce dernier point nous semble plus proche de la réalité de l’économie française. Si les pertes de compétitivité des entreprises françaises ne peuvent être niées, il convient aussi de ne pas les surestimer : l’atonie qui caractérise notre économie depuis près de 4 ans n’est pas seulement due à une insuffisance de l’offre et à la disparition du potentiel de croissance — même si son tassement est malheureusement probable –; elle est due également à un tassement significatif de la demande.

 


[1] Par exemple, l’Italie et l’Espagne sont entrées dans une deuxième récession qui, au troisième trimestre 2014, laisse leur PIB inférieur de, respectivement, 9 et 6 % au niveau d’avant-crise.

[2] On retrouve un résultat similaire lorsque l’on retient pour la France et l’ensemble de ses partenaires la version précédente de l’OCDE (eo95).




Baisse de l’euro et désinflation compétitive : quel pays en profitera le plus ?

par Bruno Ducoudré et Eric Heyer

Pendant près de deux ans, entre le milieu de l’année 2012 et 2014, l’euro s’est apprécié face aux principales monnaies du monde. En s’établissant à 1,39 dollar en mai 2014, l’euro avait vu sa valeur augmenter depuis juillet 2012 de plus de 12 % face au dollar. Au cours de la même période, la monnaie européenne s’était appréciée de 44 % par rapport au yen et de plus de 3 % face à la livre sterling.

Depuis le mois de mai 2014, cette tendance s’est inversée : après s’être apprécié de près de 10 % entre mi-2012 et mi-2014, le taux de change effectif réel de l’euro, qui pondère les différents taux de change en fonction de la structure du commerce de la zone euro, s’est ainsi déprécié de 5,2 % au cours du dernier semestre (graphique 1). De fait, en quelques mois, la monnaie européenne s’est dépréciée de près de 10 % par rapport au dollar, de plus de 3 % par rapport au yen et de 4 % par rapport à la monnaie britannique. Concernant le taux de change avec cette dernière, la baisse a débuté en août 2013 et s’élève à plus de 9 % aujourd’hui. Nous prévoyons par ailleurs la poursuite de la dépréciation de l’euro d’ici le début de l’année 2015, avec un taux de change de la monnaie unique qui se déprécierait pour atteindre 1,2 dollar dès le deuxième trimestre 2015.

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De nombreux acteurs et spécialistes du monde économique voient dans cette baisse de l’euro la possibilité de sortir du piège de la déflation qui menace aujourd’hui la zone euro. Face à une croissance atone en zone euro et à un taux d’inflation qui baisse dangereusement, l’annonce par la BCE d’un programme d’assouplissement quantitatif indique ainsi sa volonté de déprécier l’euro face aux autres monnaies pour soutenir la croissance européenne et atteindre son objectif d’inflation[1]. Le gouvernement français attend lui aussi beaucoup d’une dépréciation de l’euro[2]. La Direction Générale du Trésor[3] considère qu’une baisse de 10 % du taux de change effectif de l’euro (contre toutes monnaies) permettrait la première année d’accroître notre PIB de 0,6 point, de créer 30 000 emplois, de réduire le déficit public de 0,2 point de PIB et d’augmenter les prix à la consommation de 0,5%.

La relance de la croissance à court terme en zone euro via une dépréciation du taux de change effectif de l’euro permettrait aussi de limiter les politiques non coopératives de désinflation compétitive menées dans le sud de l’Europe (Grèce, Espagne, Portugal). Alors que les pays européens commercent majoritairement les uns avec les autres et se concurrencent fortement sur les marchés d’exportation, la recherche de gains de compétitivité via une politique de désinflation ne peut qu’échouer en zone euro si tous les pays adoptent la même stratégie. C’est cependant cette stratégie qu’a choisi la Commission Européenne, en poussant les pays en crise à réformer leurs marchés du travail pour réduire les coûts salariaux. Dès lors, la dépréciation de l’euro est une condition nécessaire pour accompagner les réformes structurelles en Europe et soutenir la demande[4] alors que les politiques budgétaires d’austérité l’affaiblissent par ailleurs.

Dans une étude récente, nous avons tenté d’évaluer les effets à attendre de cette dépréciation de l’euro. Nous nous sommes intéressés non pas aux raisons des variations de l’euro (différentiel de performances, comportement des banques centrales) mais à ses incidences macroéconomiques (impact sur le PIB, sur les prix et sur l’emploi notamment). Afin d’évaluer la sensibilité des exportations à la compétitivité-prix pour six grands pays de l’OCDE (France, Allemagne, Italie, Espagne, États-Unis, Royaume-Uni), nous avons estimé de nouvelles équations du commerce extérieur en distinguant au sein de la zone euro le commerce intra-zone et le commerce extra-zone euro. Les élasticités obtenues sont cohérentes avec la littérature existante sur le sujet. L’estimation conjointe des équations de volumes et de prix d’exportations et d’importations s’avère nécessaire : elle permet d’obtenir un effet bouclé en équilibre partiel d’une variation du taux de change effectif sur les volumes d’importations et d’exportations. La prise en compte des comportements de marge des importateurs et des exportateurs tend en effet à limiter l’effet d’une variation du taux de change effectif sur les volumes d’importations et d’exportations lorsque ceux-ci ont un faible pouvoir de marché. Il ressort des simulations qu’au sein de la zone euro, l’Espagne aurait le plus à gagner d’une dépréciation du taux de change de l’euro face aux autres monnaies, mais aussi d’une politique de désinflation compétitive (cas où les prix d’exportation de l’Espagne croissent moins vite que les prix d’exportation de ses concurrents en zone euro)(tableau 1).

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Pour l’économie française, nous avons aussi effectué une analyse plus fine grâce à l’utilisation du modèle macroéconomique de l’OFCE emod.fr, l’objectif étant de comparer nos résultats à ceux obtenus par la DG Trésor à l’aide du modèle Mésange.

Nos résultats montrent qu’une dépréciation de 10 % l’euro face à l’ensemble des monnaies entraîne un gain de compétitivité-prix à l’exportation pour la France vis-à-vis du reste du monde. Les autres pays de la zone euro bénéficient du même gain de compétitivité sur l’ensemble des marchés à l’exportation. Dans ce cas, l’effet sur l’activité serait de +0,2% la première année et de +0,5% au bout de trois ans. Hors effet dû à la modification de la compétitivité-prix, la hausse de demande adressée entraînée par le regain d’activité chez nos partenaires européens serait globalement compensée par la baisse de demande adressée à la France par le reste du monde. Sur le marché du travail, une telle dépréciation entraînerait la création de 20 000 emplois la première année de 77 000 emplois au bout de 3 ans. Le solde public de son côté s’en trouverait amélioré de 0,3 point de PIB à l’horizon de 3 ans (tableau 2).

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Enfin, nous avons simulé l’effet d’une hausse de 10% des prix des concurrents de la zone euro sur l’ensemble des marchés à l’exportation de la France. Cette amélioration de 10% de la compétitivité-prix vis-à-vis des autres pays de la zone euro aurait un effet positif sur l’activité via une hausse des exportations, de l’investissement et de l’emploi (tableau 3). L’effet sur l’activité serait de +0,4% la première année, et de +0,9% au bout de trois ans. Il serait nul au bout de 10 ans. Près de 130 000 emplois seraient créés à l’horizon de 3 ans et le déficit public s’allègerait de 0,5 point de PIB à cet horizon.

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[1] Voir C. Blot et F. Labondance, « Pourquoi un taux d’intérêt négatif ? », Blog de l’OFCE, 23 juin 2014.

[2]Voir le discours de F. Hollande le 5 février 2013 devant le Parlement Européen.

[3] Rapport Economique Social et Financier du PLF 2014.

[4] Voir le discours de M. Draghi « Unemployment in the euro area », Jackson Hole, 22 août 2014.




France : croissance hors taxes

par Bruno Ducoudré , Éric Heyer, Hervé Péléraux, Mathieu Plane

Ce texte résume les Perspectives 2014-2015 pour l’économie française

Début 2011, la France était l’un des rares pays développés à avoir retrouvé son niveau de PIB d’avant-crise. La croissance économique dépassait les 2 %, atteignant même les 3 % en glissement annuel au premier trimestre 2011. Depuis, la donne a changé : la dynamique de reprise s’est interrompue et l’activité connaît une croissance, certes positive, mais proche de zéro (graphique 1). Quatre types de chocs rendent compte de l’extinction en 2011 de la phase de reprise post-récession.  Déjà malmenée par l’austérité et la dégradation des conditions de crédit, la croissance a également été freinée par les fluctuations du prix du pétrole et par celles de la compétitivité-prix, en 2012, sous l’effet de la déflation salariale des pays concurrents de la France, et en 2013 sous l’effet de l’appréciation de l’euro (tableau 1).

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En 2014, l’amélioration attendue sur le front de l’activité ne se produira pas : le stimulus lié au relâchement progressif de l’austérité sera compensé par le puissant frein que constitue l’importante appréciation de l’euro observée jusqu’au milieu de l’année ainsi que par l’effondrement de l’investissement en logement des ménages. La croissance devrait, à l’instar des deux années précédentes, s’établir à 0,4 % ne permettant ni au chômage d’inverser sa tendance haussière ni au déficit public de se résorber significativement. Pire, contrairement aux années antérieures et après une baisse régulière de plus de 3 points de PIB depuis 2009, le déficit public devrait à nouveau se creuser légèrement et atteindre 4,5 % du PIB (tableaux 1 et 2).

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En 2015, la croissance retrouvera un peu de vigueur, +1,1 %, grâce à l’atténuation des facteurs négatifs qui ont étouffé la croissance depuis 2010, les conditions de crédit et la politique d’austérité. Par ailleurs, l’effet de la compétitivité-prix, un facteur qui aura joué très négativement en 2014, va s’inverser. En premier lieu, sous l’effet de la dépréciation de l’euro, mais aussi par la montée en puissance du CICE, dont le but premier est d’obtenir des baisses de prix à l’exportation. Mais avec une hausse du PIB de 1,1 % l’année prochaine, le sentier d’expansion restera encore très éloigné de celui qui prévaut habituellement en période de sortie de crise (+2,4 %). L’écart de production ne se refermant pas, cette croissance anticipée ne peut être qualifiée de reprise. Les entreprises profiteront de ce regain de croissance pour restaurer progressivement leur situation financière. Cette stratégie repose prioritairement sur l’augmentation de la productivité qui permettra de résorber les marges de capacité de production et de restaurer le taux de marge. Le taux de chômage en France métropolitaine augmenterait légèrement pour s’établir à 9,9 % fin 2015. Il s’élèverait à 10,3 % pour la France entière. La contrepartie à l’allègement de la rigueur est un déficit public plus élevé que ce qui avait été initialement programmé. Celui-ci devrait s’établir à 4,3 % du PIB en 2015, s’écartant significativement de sa trajectoire de retour à 3 %.

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Afin de parvenir à respecter les engagements d’efforts structurels et de déficits nominaux, le gouvernement pourrait décider de voter des efforts supplémentaires de 8 milliards d’euros. Ceux-ci pourraient correspondre à une hausse de 1,2 point du taux normal de TVA. Si tel était le cas, le PIB ne croîtrait plus que de 0,8 % l’année prochaine et le déficit ne se réduirait que de 0,2 point de PIB par rapport à notre scénario central (tableau 3).

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Réformer aujourd’hui l’Assurance chômage en France : pas une bonne idée selon des indicateurs de l’OCDE

par Eric Heyer

Six mois après la signature d’un accord national interprofessionnel sur l’indemnisation du chômage, conclu par les partenaires sociaux, dont les nouvelles règles doivent normalement s’appliquer jusqu’en 2016, le gouvernement français, désireux d’aller plus loin dans la réforme du marché du travail, évoque la possibilité de réformer à nouveau l’Assurance chômage en diminuant la durée d’indemnisation et le montant des allocations chômage.

Si toute réforme doit viser l’amélioration de la « qualité de vie » de nos citoyens, il n’est pas sûr que la réforme de l’Assurance chômage atteigne cet objectif. C’est en tout cas ce que laisse à penser la dernière publication de l’OCDE.

Ainsi, dans le chapitre 3  des Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2014, l’organisation internationale a mis en œuvre les recommandations du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi de 2009 en évaluant la qualité de l’emploi dans les pays de l’OCDE. Ce nouvel indicateur complète les mesures traditionnelles sur la quantité de travail et doit transformer à terme le contenu des politiques publiques en imposant aux acteurs publics de nouveaux critères d’évaluation.

L’OCDE construit un indicateur de qualité de l’emploi sur la base de trois dimensions : qualité des salaires, sécurité sur le marché du travail et qualité de l’environnement professionnel. D’après l’OCDE, cette dernière dimension est relativement médiocre en France : le niveau élevé d’exigences professionnelles et des ressources insuffisantes pour s’acquitter des tâches provoquent un niveau élevé de stress au travail des salariés français. S’agissant des salaires, en tenant compte à la fois de leur niveau et de leur répartition, la France est proche de la moyenne des pays de l’OCDE. Finalement, si la qualité de l’emploi dans l’hexagone se situe dans la moyenne des pays développés, cela est dû principalement, d’après l’OCDE, à une sécurité sur le marché du travail forte en France, en raison du bon niveau de prise en charge et … de la générosité de l’indemnisation chômage.

Les propositions de réformes de l’Assurance chômage auraient alors tendance à détériorer plutôt que améliorer la « qualité de vie » des Français et rateraient leur cible de ce point de vue-là. Permettraient-elles alors d’améliorer la quantité de travail ?

Des éléments de réponse se trouvent dans le chapitre 1 de ce même rapport de l’OCDE. Dans celui-ci, l’organisation internationale indique que le taux de chômage structurel – i. e. le taux de chômage dépendant de l’importance des rigidités qui empêchent le bon fonctionnement du marché du travail – n’a pas augmenté depuis le début de la crise en France, à l’instar d’ailleurs d’un grand nombre de pays développés : la forte hausse observée du chômage depuis 2008 a donc, pour l’OCDE, une composante principalement conjoncturelle que l’on ne combat pas avec une réforme de l’Assurance chômage.

En conséquence, dans le contexte actuel de l’économie française, une réforme de l’Assurance chômage, telle que suggérée par le gouvernement, devrait, si l’on en croit les analyses de l’OCDE, détériorer la qualité de l’emploi – et en particulier la qualité de vie des chômeurs – sans réduire le niveau du chômage !




L’« effet ricardien » : à prendre avec précaution !

par David Ben Dahan et Eric Heyer

La dégradation des finances publiques influence-t-elle le comportement de consommation des ménages ? Une étude récente de l’Insee tente d’y répondre en estimant économétriquement les déterminants du taux d’épargne sur des données annuelles allant de 1971 à 2011. Les résultats mènent les auteurs de cette étude à attribuer les variations récentes du taux de consommation des ménages français à la politique budgétaire et à l’état des finances publiques. Ainsi leur modèle conclut-il à l’existence significative d’un « effet ricardien » : constatant la dégradation des finances publiques au cours de la crise, les ménages auraient anticipé une hausse future des impôts, les conduisant à épargner davantage au cours de la période récente. Notons que cet effet n’est que temporaire : les résultats économétriques de l’Insee indiquent que ce dernier aurait pesé sur la consommation des ménages à court terme mais s’estomperait rapidement et disparaîtrait à long terme. Les ménages seraient donc « ricardiens » … mais à court terme uniquement !

Cet oxymore peut être dû au fait que, sur la période étudiée par l’Insee, les déterminants standards de la consommation que sont l’inflation, les taux d’intérêt et le taux de chômage n’ont pas d’effet. Ainsi donc, pour l’Insee, les ménages français formeraient des anticipations rationnelles de court terme, mais ne constitueraient pas d’« épargne de précaution » contre les risques liés à la dégradation du marché du travail. Or, en période de récession, la dégradation des finances publiques allant de pair avec une hausse conséquente du chômage, l’ « effet ricardien » et l’ « épargne de précaution » entrent en concurrence, rendant leur distinction délicate (graphique 1).

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Il est à noter à cet égard que la stabilité des paramètres estimés par l’Insee n’est pas assurée sur la période 1970-2011 : la non-significativité du taux de chômage est levée lorsque l’on débute la période d’estimation plus tard, à compter de 1975, et cette variable devient fortement significative à partir de 1978. C’est la raison pour laquelle nous avons reproduit l’analyse de l’Insee en débutant l’estimation en 1978. Les résultats issus de la modélisation du taux de consommation des ménages par un modèle à correction d’erreurs (MCE), selon trois spécifications différentes synthétisées dans le tableau 1, peuvent être résumés de la manière suivante :

  1. A l’instar des résultats de l’Insee, aucun « effet ricardien » ne ressort significativement à long terme sur la période 1978-2011. A court terme, cet effet sort très légèrement significatif (à 10 % dans l’équation 1) ;
  2. Lorsque l’on intègre dans l’analyse le taux de chômage, ce dernier sort significativement à court et long terme (équations 2 et 3) ;
  3. Lorsqu’ils sont mis en parallèle avec l’épargne de précaution, l’ « effet ricardien » perd son pouvoir explicatif de court terme (équation 2).

 

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Nos estimations montrent que l’augmentation des déficits n’entraîne pas de baisse de la consommation et que la hausse du taux d’épargne observée entre 2008 et 2011 s’expliquerait par une « épargne de précaution » due à la forte dégradation du marché du travail.

Ce résultat conforte par ailleurs l’analyse menée dans d’autres travaux de l’OFCE sur l’importance des multiplicateurs budgétaires.