Le coup de pouce au smic va-t-il détruire des emplois ?

par Eric Heyer et Mathieu Plane

Le 26 juin, le gouvernement Ayrault a annoncé une hausse du SMIC de 2 %. Cette augmentation discrétionnaire, qui a pris effet au 1er juillet 2012, n’est pas un coup de pouce permanent de 2 % car il intègre en partie un à-valoir sur la prochaine hausse légale prévue le 1er janvier 2013. Avec une revalorisation automatique prévue à 1,4 % en janvier 2013, le coup de pouce permanent serait donc de 0,6 %. Dans une note détaillée de l’OFCE (n°22 du 17 juillet 2012), nous montrons qu’un coup de pouce permanent de 0,6 % détruirait finalement très peu d’emplois (1 400 postes) mais augmenterait légèrement le déficit public de 0,01 point de PIB.

Le financement de cette mesure entraînerait des pertes d’emplois supplémentaires : selon le mode de financement retenu, les pertes d’emplois seraient finalement comprises entre 1 900 et 2 800 postes (tableau 1).

Des effets complexes sur le coût du travail…

Le SMIC, à l’instar des autres salaires, a un statut ambivalent : il peut être considéré comme une variable de demande si l’on se place du côté des salariés mais constitue une variable d’offre pour l’entrepreneur. Par conséquent, une hausse du SMIC correspond à un choc de demande favorable pour les salariés et à un choc d’offre défavorable pour les chefs d’entreprise hors effet allègement de charges.

Dans un contexte de faible diffusion[1], ces deux effets de sens inverse ne se compensent pas :

  1. l’aspect « soutien de la demande » se limite aux seuls salariés proches du SMIC. Ceux-ci ont certes une propension marginale à consommer forte – le taux d’épargne n’augmente pas avec cette mesure – mais le nombre restreint de bénéficiaires limite les effets sur la consommation des ménages au niveau macroéconomique. Le supplément de revenu lié à cette augmentation du SMIC génèrerait 6 900 emplois ;
  2. L’aspect « hausse du coût du travail » est fortement destructeur d’emplois : l’élasticité de l’emploi au coût du travail étant décroissante[2] avec le salaire, la faible diffusion du SMIC sur les autres salaires augmentera peu le coût du travail au niveau macroéconomique mais, étant concentrée sur les bas salaires, l’élasticité moyenne sera forte (0,9). La hausse du coût du travail liée à la hausse du SMIC détruirait 26 000 emplois

Au total, selon notre simulation, une hausse de 0,6 % du SMIC, hors effet liés aux baisses de charges, entraînerait une destruction de 8 700 emplois au cours de la première année (tableau 2).  Ce résultat, intermédiaire, se situe dans la fourchette basse de celui observé par Francis Kramartz qui l’évalue entre 15 000 et 25 000 postes détruits pour une hausse du SMIC de 1% (soit entre 9 000 et 15 000 pour un coup de pouce de 0,6 %).

Mais cette estimation ne prend pas en compte les baisses de charges supplémentaires liées à la hausse du SMIC et à sa diffusion sur les autres salaires. Les salaires n’étant pas indexés sur le SMIC, un coup de pouce ne se répercute donc pas automatiquement sur la grille des salaires. Des travaux récents réalisés sur le sujet[3] et dont une synthèse est présentée dans le rapport du groupe d’experts sur le SMIC de décembre 2011, concluent à une faible diffusion du SMIC. Selon notre estimation, une hausse de 1 % du SMIC entraînerait une hausse moyenne des salaires de l’ensemble du secteur marchand de seulement 0,1 %. Or, les allègements de charges liés à la hausse du SMIC sont d’autant plus forts que la diffusion est faible. Plus la baisse du salaire relatif (en pourcentage du SMIC) est importante, plus le taux moyen d’allègement de charges augmente en raison du profil dégressif des allègements de cotisations sociales patronales.

Une augmentation du SMIC de 0,6 % entraîne ex ante une hausse du coût du travail de 0,4 % pour le 1er décile de salaire mais une baisse de 0,2 % pour le 2e décile et une diminution de 0,1 % pour les salaires allant du 3e au 5e décile. Au-delà du 6e décile, les effets sur le coût du travail sont nuls. Par ce mécanisme, pour les salaires compris entre le 2e et le 5e décile, l’augmentation des allégements de charges serait supérieure au supplément de salaires versé par l’employeur, ce qui entraînerait une baisse du coût du travail pour ces catégories.

Au final, la baisse du coût du travail liée au supplément d’allègements de charges permettrait la création de 7 300 emplois.  Au total, comme le résume le tableau 2, à l’horizon d’1 an, l’effet d’une hausse de 0,6 % du SMIC détruirait 1 400 emplois et dégraderait de 0,012 point de PIB les finances publiques.

 

…avec des effets différenciés selon la pyramide des salaires

Une hausse de 0,6 % du SMIC conduirait à détruire 4 700 emplois au niveau du SMIC mais à en créer 2 000 pour les salaires du 2e décile, 900 pour ceux du 3e décile et environ 500 au-delà.


[1] L’effet de diffusion rend compte de l’impact d’une hausse du SMIC sur la grille des salaires. Une faible diffusion a pour conséquence un écrasement de l’échelle des salaires.

[2] Selon la DGTPE, l’élasticité de l’emploi au coût du travail (DGTPE, annexes Rapport Besson, 2007) passe de 1,2 au niveau du SMIC à 0,3 pour les salaires à 1,4 SMIC puis est constante au-delà.

[3] Aeberhardt R, P. Givord et C. Marbot (2012), « Spillover effect of the minimum wage in France: An unconditional quantile regression approach », Document de travail de l’INSEE, n° G 2012 / 07 et Goarant C, L. Muller (2012), « Les effets des hausses du Smic sur les salaires mensuels dans les entreprises de 10 salariés ou plus de 2006 à 2009 », document de travail de la DARES .




Underlying deflation

Christophe Blot, Marion Cochard, Bruno Ducoudré and Eric Heyer

A look at the latest statistics on price trends indicates that the risk of deflation seems to have given way to renewed inflation in the major developed countries. So do we really need to fear the return of inflation, or are these economies still structurally deflationary?

First, note that the nature and scale of the economic crisis we have been living through since 2008 are reminiscent of what led to past periods of deflation (the crisis of 1929, the Japanese crisis of the 1990s, etc.). The recessionary pattern that began in 2008 has followed the same path: the shock to activity led to a slowdown in inflation — and sometimes lower prices or wages — in most of the developed countries. However, a fall in prices is not necessarily synonymous with deflation: this has to be long term and, above all, it must be anchored in expectations and a vicious cycle of debt deflation.  But this deflationary scenario did not materialize. Far from sitting by idly, at the end of 2008 governments and central banks took fiscal and monetary measures to stabilize activity and limit the rise in unemployment. Moreover, independently of the response by economic policy, price trends were strongly influenced by changes in commodity prices. While the collapse in oil prices in the second half of 2008 accelerated the deflationary process, the rise in prices since 2009 has fuelled more general price rises and held off the risk of deflation. Moreover, business has partially cushioned the impact of the crisis by accepting cuts in margins, which has helped to mitigate rising unemployment, a key factor in the deflationary process.

In a study by the OFCE published in its journal of forecasts (Prévisions de la Revue de l’OFCE), we start from a wage-price model to develop a method for assessing the way that oil price dynamics and labour market adjustments affect changes in inflation. We show that if oil prices had continued their upward trend after they peaked in the summer of 2008, and if the adjustment on the labour market had been, in all countries, the same as in the US, then the year-on-year change in inflation in second quarter 2011 would have been lower, by 0.7 points in France to 3.4 points in the UK (Table 1). This confirms that these economies are still structurally deflationary.

Despite the central banks’ repeated efforts at quantitative easing, they need not fear the return of inflation. The macroeconomic environment is still characterized by a risk of deflation, and therefore by the need for an accommodative monetary policy.




Déflation sous-jacente

Christophe Blot, Marion Cochard, Bruno Ducoudré et Eric Heyer

A la lecture des dernières statistiques sur l’évolution des prix, au risque de la déflation semble avoir succédé celui d’une reprise de l’inflation dans les grands pays développés. Devons-nous réellement craindre le retour de l’inflation ou ces économies sont-elles encore structurellement désinflationnistes ?

Observons tout d’abord que la nature et l’ampleur de la crise économique que nous vivons depuis 2008 rappellent celles qui furent à l’origine de périodes déflationnistes (crise de 1929, crise japonaise des années 1990, …). L’enchaînement récessif enclenché en 2008 a suivi le même chemin ; le choc d’activité a conduit à un ralentissement de l’inflation – et parfois à des baisses de prix ou de salaires – dans la plupart des pays développés. Cependant, la baisse des prix n’est pas forcément synonyme de déflation. Celle-ci doit s’inscrire dans la durée et surtout, elle doit se nourrir de l’ancrage des anticipations et d’un cercle vicieux de déflation par la dette. Le scénario déflationniste ne s’est cependant pas matérialisé. Les gouvernements et les banques centrales ne sont en effet pas restés passifs et ont, dès la fin de l’année 2008, pris des mesures de politiques budgétaire et monétaire afin de stabiliser l’activité et de limiter la hausse du chômage. De plus, indépendamment de la réaction de politique économique, l’évolution des prix a été fortement influencée par celle du prix des matières premières. Dans un premier temps, l’effondrement du pétrole au deuxième semestre 2008 aurait pu accélérer le processus déflationniste, mais la hausse observée depuis 2009 est venue alimenter la hausse des prix éloignant le risque déflationniste. Par ailleurs, les entreprises ont partiellement amorti l’impact de la crise en consentant des baisses des taux de marges, ce qui a permis d’atténuer la hausse du chômage, facteur essentiel pouvant mener à la déflation.

Partant d’une modélisation de la boucle prix-salaire, nous nous proposons dans une étude de l’OFCE parue dans la collection Prévisions de la Revue de l’OFCE d’évaluer la contribution de la dynamique du prix du pétrole et le rôle de l’ajustement du marché du travail à l’évolution de l’inflation. Nous montrons que si le prix du pétrole avait poursuivi sa tendance haussière après le pic de l’été 2008 et si l’ajustement sur le marché du travail avait été, dans tous les pays, identique à celui des Etats-Unis, alors le glissement annuel de l’inflation au deuxième trimestre 2011 aurait été plus faible de 0,7 point en France à 3,4 points au Royaume-Uni (tableau 1), confirmant que ces économies sont encore structurellement désinflationniste.

Malgré les nombreuses mesures d’assouplissement quantitatif qu’elles ont mis en œuvre, les banques centrales ne doivent pas craindre le retour de l’inflation. Le contexte macroéconomique reste marqué par le risque déflationniste et donc par la nécessité de mener une politique monétaire accommodante.





Less austerity = more growth and less unemployment

Eric Heyer and Xavier Timbeau

The European Commission has just released its spring forecast, which anticipates a recession in 2012 for the euro zone (“mild” in the words of the Commission, but still -0.3%), which is in line with the OFCE’s economic analysis of March 2012.

The brutal fiscal austerity measures launched in 2010, which were intensified in 2011 and tightened even further in 2012 virtually throughout the euro zone (with the notable exception of Germany, Table 1 and 1a), are hitting activity in the zone hard. In 2012, the negative impact on the euro zone resulting from the combination of raising taxes and reducing the share of GDP that goes to expenditure will represent more than 1.5 GDP points. In a deteriorating fiscal situation (many euro zone countries had deficits of over 4% in 2011) and in order to continue to borrow at a reasonable cost, a strategy of forced deficit reduction has become the norm.

This strategy is based on declarations that the 3% ceiling will be reached by 2013 or 2014, with balanced budgets to follow by 2016 or 2017 in most countries. However, these goals seem to be overly ambitious, as no country is going to meet its targets for 2013. The reason is that the economic slowdown is undermining the intake of the tax revenue needed to balance budgets. An overly optimistic view of the impact of fiscal restraint on activity (the so-called fiscal multiplier) has been leading to unrealistic goals, which means that GDP growth forecasts must ultimately be systematically revised downward. The European Commission is thus revising its spring forecast for the euro zone in 2012 downward by 0.7 point compared to its autumn 2011 forecast. Yet there is now a broad consensus on the fact that fiscal multipliers are high in the short term, and even more so that full employment is still out of reach (here too, many authors agree with the analyses made by the OFCE). By underestimating the difficulty of reaching inaccessible targets, the euro zone members are locked in a spiral where jitters in the financial markets are driving ever greater austerity.

Unemployment is still rising in the euro zone and has hardly stopped increasing since 2009. The cumulative impact on economic activity is now undermining the legitimacy of the European project itself, and the drastic remedy is threatening the euro zone with collapse.

What would happen if the euro zone were to change course in 2012?

Assume that the negative fiscal impulse in the euro zone is on the order of -0.5 percent of GDP (instead of the expected total of -1.8 GDP points). This reduced fiscal effort could be repeated until the public deficit or debt reaches a fixed target. Because the effort would be more measured than in current plans, the burden of the adjustment would be spread out more fairly over the taxpayers in each country, while avoiding the burden of drastic cuts in public budgets.

Table 2 summarizes the results of this simulation. Less austerity leads to more growth in all the countries (Table 2a), and all the more so as the fiscal consolidation announced for 2012 intensifies. Our simulation also takes into account the impact of the activity in one country on other countries through trade. Thus, Germany, which has an unchanged fiscal impulse in our scenario, would experience an 0.8 point increase in growth in 2012.

In the “less austerity” scenario, unemployment would decline instead of continuing to increase. In all the countries except Greece, the public deficit would be lower in 2012 than in 2011. Admittedly, this reduction would be less than in the initial scenario in certain countries, in particular those that have announced strong negative impulses (Spain, Italy, Ireland, Portugal and … Greece), which are the ones most mistrusted by the financial markets. In contrast, in some countries, such as Germany and the Netherlands, the government deficit would shrink more than in the initial scenario, with the indirect positive effect of stronger growth outweighing the direct effect of less fiscal consolidation. For the euro zone as a whole, the public deficit would be 3.1 percentage points of GDP, against 2.9 points in the initial scenario. It is a small difference compared to more favorable growth (2.1%), along with lower unemployment (-1.2 points, Table 2) instead of an increase as in the initial scenario.

The key to the “less austerity” scenario is to enable the countries in greatest difficulty, those most obliged to implement the austerity measures that are plunging their economies into the vicious spiral, to reduce their deficits more slowly. The euro zone is split into two camps. On the one hand, there are those who are demanding strong, even brutal austerity to give credibility to the sustainability of public finances, and which have ignored or deliberately underestimated the consequences for growth; on the other are those who, like us, are recommending less austerity to sustain more growth and a return to full employment. The first have failed: the sustainability of public finances has not been secured, and recession and the default of one or more countries are threatening. The second strategy is the only way to restore social and economic – and even fiscal – stability, as it combines a sustainable public purse with a better balance between fiscal restraint and employment and growth, as we proposed in a letter to the new President of the French Republic.




Moins d’austérité = plus de croissance et moins de chômage

Eric Heyer et Xavier Timbeau

La Commission européenne vient de publier ses prévisions de printemps et anticipe une récession (légère selon les mots de la Commission, -0,3% tout de même) en 2012 pour la zone euro, rejoignant ainsi l’analyse de la conjoncture de l’OFCE de mars 2012. L’austérité budgétaire brutale engagée en 2010, accentuée en 2011 et encore durcie en 2012 dans pratiquement tous les pays de la zone euro (à l’exception notable de l’Allemagne, tableau 1 et 1 bis) pèse lourdement sur l’activité en zone euro. En 2012, l’impulsion négative en zone euro, combinaison de hausses d’impôt ou de réduction du poids des dépenses dans le PIB, dépasse 1,5 point de PIB. Dans une situation budgétaire dégradée (de nombreux pays de la zone euro ont un déficit supérieur à 4 % en 2011) et afin de pouvoir continuer à emprunter à un coût raisonnable, la stratégie d’une réduction à marche forcée des déficits s’est imposée.

 

 

 

Cette stratégie s’est appuyée sur des annonces de retour au seuil de 3% pour l’année 2013 ou 2014 puis d’un déficit public nul dès 2016 ou 2017 pour une majorité de pays. Cependant, les objectifs sont apparemment trop ambitieux puisqu’aucun pays ne tiendrait ses objectifs pour l’année 2013. La raison en est que le ralentissement de l’activité compromet les rentrées de recettes fiscales nécessaires pour le rétablissement budgétaire. Une prise en compte trop optimiste des effets de la restriction budgétaire sur l’activité (ce que l’on appelle le multiplicateur budgétaire) conduit à se fixer des objectifs irréalistes et à constater que les prévisions de croissance du PIB doivent in fine être systématiquement revues à la baisse. La Commission européenne revoit ainsi ses prévisions de printemps de 0,7 point en baisse pour la zone euro en 2012 par rapport aux prévisions de l’automne 2011. Il existe pourtant aujourd’hui un consensus large sur le fait que les multiplicateurs budgétaires à court terme sont élevés et ce d’autant plus que le plein emploi est encore hors d’atteinte (là encore, de nombreux auteurs rejoignent des analyses faites à l’OFCE). En sous-estimant la difficulté à  atteindre des cibles inaccessibles, les pays de la zone euro se sont enfermés dans une spirale où la nervosité des marchés financiers est le moteur d’une austérité toujours plus grande.

Le chômage augmente encore en zone euro alors même qu’il n’a pratiquement pas cessé d’augmenter depuis 2009. La dégradation cumulée de l’activité économique compromet aujourd’hui la légitimité du projet européen et le remède de cheval menace la zone euro de dislocation.

Que se passerait-il si la zone euro changeait de cap dès 2012 ?

Supposons que les impulsions budgétaires négatives soient de -0,5 point de PIB au lieu des -1,8 point prévu au total dans  la zone euro). Cet effort budgétaire moindre pourrait être répété jusqu’à ce que le déficit public ou la dette publique atteigne un objectif à définir. Par rapport aux plans actuels, parce que l’effort est plus mesuré, le fardeau de l’ajustement pèserait de façon plus juste sur les contribuables de chaque pays, évitant l’écueil des coupes sombres dans les budgets publics.

Le tableau 2 résume le résultat de cette simulation. Moins d’austérité conduit à plus de croissance dans tous les pays (tableau 2 bis) et ce d’autant plus que la restriction budgétaire annoncée pour 2012 est forte. Notre simulation tient compte également des effets de l’activité d’un pays sur les autres pays via le commerce extérieur. Ainsi, l’Allemagne, qui ne change pas son impulsion budgétaire dans notre scénario, voit sa croissance supérieure de 0,8 point en 2012.


Dans le scénario « moins d’austérité », le chômage baisserait au lieu de continuer à augmenter. Dans tous les pays, sauf la Grèce, le déficit public serait réduit en 2012 par rapport à 2011. Certes, cette  réduction serait moindre que dans le scénario initial dans quelques pays, notamment ceux qui ont annoncé des impulsions négatives très fortes (l’Espagne, l’Italie, l’Irlande, le Portugal et … la Grèce) et qui sont ceux qui subissent le plus la défiance des marchés financiers. A l’inverse dans certains pays, comme en Allemagne ou aux Pays-Bas, le déficit public se réduirait plus que dans le scénario initial, l’effet indirect positif d’une croissance plus forte l’emportant sur l’effet direct d’une moindre rigueur budgétaire. Pour la zone euro dans son ensemble, le déficit public serait de 3,1 points de PIB contre 2,9 points dans le scénario initial. Une différence faible en regard d’une dynamique de croissance plus favorable (2,1 %) et d’une baisse du chômage (-1,2 point, tableau 2) au lieu d’une hausse dans le scénario initial.

La clef du scénario « moins d’austérité » est de permettre aux pays les plus en difficulté, et donc les plus contraints à une rigueur qui précipite leurs économies dans une spirale redoutable, d’adopter une réduction plus lente de leurs déficits. La zone euro est coupée en deux camps. D’un côté, il y a ceux qui réclament une austérité forte et brutale pour rendre crédible la soutenabilité des finances publiques et qui ont sous estimé ou ignoré délibérément les conséquences pour la croissance ; de l’autre, ceux qui, comme nous, recommandent moins d’austérité pour préserver plus de croissance et un retour au plein emploi. Les premiers ont failli : la soutenabilité des finances publiques n’est pas assurée et la récession et le défaut d’un ou plusieurs pays guettent. La seconde stratégie est la seule voie de retour à la stabilité sociale, économique mais aussi budgétaire puisqu’elle concourt à la soutenabilité des finances publiques par un meilleur équilibre entre restriction budgétaire et croissance et emploi, comme nous l’avons proposé dans une lettre au nouveau président de la République française.

 





Some precautions for reading the results of macroeconomic simulations: The case of social VAT

By Eric Heyer

In September 2007, the OFCE conducted simulations of the macroeconomic consequences of instituting a social value-added tax (VAT) using its emod.fr macroeconomic model. These simulations were discussed and published as an appendix to the Besson report on the subject. Nearly five years later, the government has decided to introduce a social VAT, so we asked Mathieu Plane and Xavier Timbeau to perform another round of simulations using the same model. The initial results were presented and discussed at a one-day workshop on the topic of taxation that took place at the Sciences-Politique Institute in Paris on 15 February. Why did we conduct new simulations, and how do they compare?

1. The measures simulated are different

There are a number of differences between the measure simulated in 2007 and the 2012 measure:

a. The shocks are on a different scale

In 2007, the measure simulated involved a rise of 3.4 points in the nominal VAT rate, which was offset by an ex ante reduction in employer contributions of the same amount. The measure proposed by the government in 2012 represents a 1.6 point increase in the standard VAT, which corresponds to a 1.1 point increase in the effective rate (10.6 billion euros) and an increase in the CSG tax on capital income from 8.2% to 10.2%, which amounts to 2.6 billion. The additional 13.2 billion euros in revenue will fund the elimination of employers’ “family” social security contributions. Comparing the results requires at a minimum calibrating the shocks so that they are on the same scale. As our model is linear, a simple rule of three can then reassess the impact of the measure in 2007 and compare it with that of 2012. As is shown in the Table summarizing the results of this recalibration, the impacts on employment of the two versions are very similar.

b. The shocks are not the same type

Unlike the simulations in 2007, besides the fact that there is a dose of CSG in its funding, the reduction in the cuts in contributions proposed by the government in 2012 is not uniform. It is targeted in particular at companies with employees who are paid at 1.5 to 2.1 times the minimum wage (SMIC), which has different sectoral impacts depending on the wage structure and on the impact on the relative cost of unskilled / skilled labour. The fact that it is focused on skilled workers whose labour cost is less elastic reduces the expected impact on employment of lowering labour costs. This effect will also be reduced by the potential substitution of unskilled labor by skilled more productive labour. While this kind of effect is well documented in the literature, our econometric macro model does not yet enable us to take this into account. Our model is in the process of being enhanced, which will at some point make it possible to refine our results.

2. The model used (emod.fr) evolves in the course of re-estimations

Finally, it is necessary to keep in mind that macroeconomic models incorporate a certain number of estimated parameters, which can influence the results. This is the case in the simulation we are interested in of the elasticities of exports and imports to their prices and the elasticity of the substitution between capital and labor. However, the estimated value of these parameters is updated regularly to keep as close as possible to reality as captured by the national accounts. Thus, for example, the price elasticity of exports has changed considerably in recent years, from 0.57 to 0.31 between the version of the model used in 2007 and the 2012 model, meaning that any decline in price was less creative of activity and therefore of jobs.

In the next issue of the Revue de l’OFCE we will present all the results of our simulations in detail. We will also indicate the impact of a change in the value of the key elasticities on our assessments so that readers can better understand our revisions of the impacts.

 




Les précautions d’usage pour la lecture des résultats de simulations macroéconomiques: le cas de la TVA sociale

par Eric Heyer

En septembre 2007, l’OFCE avait réalisé des simulations sur les conséquences macroéconomiques de la mise en place d’une TVA sociale à l’aide de son modèle macroéconomique emod.fr. Ces dernières avaient été commentées et publiées en annexe du rapport Besson sur le sujet. Près de 5 ans plus tard, le gouvernement a décidé d’instaurer une TVA sociale et nous avons avec Mathieu Plane et Xavier Timbeau procédé à une nouvelle salve de simulations à l’aide de ce même modèle dont les premiers résultats ont été présentés et commentés lors d’une journée d’étude sur le thème de la fiscalité qui s’est déroulée à Sciences Po Paris le 15 février dernier. Pourquoi  avoir procédé à de nouvelles simulations et peut-on les comparer ?

 

1. Les mesures simulées sont différentes

Il existe de nombreuses différences entre la mesure simulée en 2007 et celle de 2012 :

a. Le choc n’est pas de même ampleur

En 2007, la mesure simulée était celle d’une hausse de 3,4 points du taux de TVA apparent, compensée par une baisse de cotisations employeurs de la même somme ex ante. La mesure proposée par le gouvernement en 2012 correspond à une hausse de 1,6 point de la TVA normal, ce qui correspond à une hausse de 1,1 point du taux apparent (10,6 milliards) et une augmentation de la CSG sur les revenus du capital de 8,2 % à 10,2 % pour un montant de 2,6 milliards d’euros. Ce supplément de recettes de 13,2 milliards permettra de financer la suppression des cotisations sociales patronales « famille ». Comparer les résultats nécessite au minimum de calibrer les chocs afin qu’ils soient de même ampleur. Notre modèle étant linéaire, une simple règle de trois permet alors de réévaluer l’impact de la mesure de 2007 et de la comparer à celle de 2012. Comme l’indique de tableau qui résume les résultats de ce recalibrage, les impacts sur l’emploi sont très proches entre les deux versions.

b. Le choc n’est pas de même nature

Contrairement aux simulations de 2007, outre le fait qu’il y ait une dose de CSG dans  son financement, la réduction des allègements de charges proposée par le gouvernement en 2012 est non uniforme. Elle est particulièrement ciblée sur les entreprises ayant des employés rémunérés entre 1,5 et 2,1 SMIC, ce qui a des impacts sectoriels différents selon la structure des salaires ainsi que des effets sur le coût relatif du travail peu qualifié / qualifié. Ainsi, en le centrant sur des travailleurs qualifiés dont l’élasticité au coût du travail est plus faible, cela diminue l’effet escompté sur l’emploi d’une baisse du coût du travail. Cet effet serait également réduit par une éventuelle substitution d’emplois non qualifiés par des qualifiés plus productifs : si un tel effet est largement documenté dans la littérature économique, notre modèle macro économétrique ne permet pas en l’état de le prendre en compte. Un enrichissement de notre outil est en cours et permettra à terme d’affiner nos résultats.

2. Le modèle utilisé (emod.fr) évolue au gré des ré-estimations

Enfin il est nécessaire de rappeler que les modèles macroéconomiques intègrent un certain nombre de paramètres estimés, auxquels les résultats sont sensibles. C’est le cas, dans la simulation qui nous intéresse, des élasticités des exportations et des importations à leurs prix ainsi que de l’élasticité de substitution capital-travail. Or la valeur estimée de ces paramètres est mise à jour régulièrement de manière à coller au plus près de la réalité telle qu’elle ressort de la comptabilité nationale. C’est ainsi par exemple que l’élasticité des exportations à leurs prix a considérablement évolué au cours des dernières années passant de -0,57 à -0,31 entre la version du modèle utilisée en 2007 et celle de 2012, rendant toute baisse des prix relatifs moins créatrice d’activité donc d’emplois.

Dans le prochain numéro de la Revue de l’OFCE nous présenterons en détails l’ensemble des résultats de nos simulations. Nous indiquerons également l’incidence du changement de valeur des principales élasticités sur nos évaluations afin de permettre aux lecteurs d’appréhender au mieux nos révisions d’impacts.

 

 

 




Working hours and economic performance: What lessons can be drawn from the Coe-Rexecode report?

By Eric Heyer and Mathieu Plane

Do people work less in France than in the rest of Europe? Is France the only country to have reduced working hours in the last decade? Is the 35-hour work week really dragging down the French economy? The report published on 11 January by the Coe-Rexecode Institute provides fresh material for answering these questions.

We have produced a note on the main conclusions of the report, which can be summarized as follows:

1.  People work fewer hours in France than in the rest of Europe.

  • TRUE for full-time employees,
  • FALSE for part-time employees,
  • FALSE for non-salaried employees,
  • UNDETERMINED for the total.

2. Working hours have fallen more in France than in Germany over the last 10 years.

  • FALSE

3.  “The shorter work week has failed to meet the goal of job creation and work-sharing” in France.

  • FALSE

4.  “The shorter work week has undermined per capita purchasing power” in France.

  • FALSE



Durée du travail et performance économique : quels enseignements peut-on tirer du rapport Coe-Rexecode ?

Par Eric Heyer et Mathieu Plane

Travaille-t-on moins en France qu’ailleurs en Europe ? La France est-elle le seul pays à avoir réduit son temps de travail au cours de la dernière décennie ? Les 35 heures ont-elles réellement « plombé » l’économie française ? Le rapport publié le 11 janvier par l’Institut Coe-Rexecode fournit quelques éléments de réponses à ces questions.

Nous revenons dans une note sur les principales conclusions du rapport qui peuvent se résumer de la manière suivante :

1.  Travaille-t-on moins en France qu’ailleurs en Europe ?

  • VRAI pour les salariés à temps complet,
  • FAUX pour les salariés à temps partiel,
  • FAUX pour les non-salariés
  • INDETERMINE pour le total

2. La durée du travail a-t-elle plus baissé en France qu’en Allemagne depuis 10 ans ?

  • FAUX

3.  « La baisse de la durée du travail a manqué l’objectif de créations d’emplois et de partage du travail » en France

  • FAUX

4.  « La baisse de la durée du travail a bridé le pouvoir d’achat par habitant » en France

  • FAUX



De Trichet à Draghi : bilan et perspectives

par Christophe Blot et Eric Heyer

Au cours des huit années passées à la tête de la BCE, nous avons connu deux J-C. Trichet (JCT), l’un dogmatique, l’autre pragmatique. Quel sera le visage de son successeur l’Italien Mario Draghi, confronté dès son entrée en fonction à une crise sans précédent de la zone euro ?

Dans les cinq premières années, période d’avant-crise, nous avons connu JCT le dogmatique : banquier central très appliqué, il a respecté à la lettre le mandat qui lui avait été confié, à savoir de maintenir l’inflation proche de 2 %. A l’aune de cet unique critère, considéré comme essentiel par les Allemands, le bilan de JCT est bon puisque qu’au cours de cette période l’inflation moyenne en zone euro fut de 2,1 %. Mais plusieurs critiques peuvent être formulées à l’encontre de son action post-crise : la première réside dans le fait qu’en voulant incarner la monnaie unique et la rendre crédible, JCT a choisi de la rendre « forte » – ce qui est différent de « stable ». Il n’a donc rien mis en place pour piloter le taux de change et s’est satisfait de voir l’euro passer de 1,10 dollar en 2003 à près de 1,50 dollar fin 2007, soit une appréciation de 37 %. Ce dogme de l’euro fort, de la désinflation compétitive, l’a certes aidé à contenir l’inflation mais au détriment de la compétitivité et de la croissance européenne. Une interprétation moins stricte de la stabilité des prix aurait accru l’attention de la BCE portée au taux de change de l’euro, ce qui aurait favorisé le dynamisme de la croissance et de l’emploi dans la zone euro. Ainsi, entre 2003 et 2007, la croissance annuelle moyenne en zone euro aura été 0,6 point inférieure à celle enregistrée aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni (2,1 % contre 2,7 %) et le taux de chômage a été supérieur de plus de 3 points (8,4 % en zone euro contre 5,1 % aux E. U. et au R. U.) avec des performances d’inflation comparables. La seconde critique est en lien avec une interprétation stricte de sa politique de lutte contre l’inflation et qui a conduit JCT a une grave erreur de jugement : à l’été 2008, quelques semaines avant la faillite de Lehman Brothers, alors que l’économie américaine était déjà entrée en récession et que les craintes pour l’Europe s’accentuaient, la BCE a décidé une augmentation des taux d’intérêts, par crainte d’un regain de tensions inflationnistes alimenté par les prix des matières premières énergétiques et alimentaires. Or, à l’évidence il n’était pas très lucide de redouter des tensions inflationnistes au moment où l’économie mondiale se préparait à sombrer dans la plus grande crise depuis les années 1930.

Pendant les trois dernières années, période de crise, ce fut JCT le pragmatique : en l’absence de gouvernance européenne, JCT a été un pilier de la réaction européenne face à la crise en discutant d’égal à égal avec des chefs d’Etats et en œuvrant significativement au sauvetage du système financier. A cet égard, et contrairement aux quatre années précédentes, il a pris certaines libertés par rapport au mandat et aux statuts de la BCE en agissant de façon non conventionnelle, notamment au moment de la crise des dettes souveraines. Mais en actionnant des hausses des taux directeurs depuis le début de l’année dans un contexte de chômage de masse et de nette sous-utilisation des capacités de production en zone euro, JCT le pragmatique a commis la même erreur d’interprétation que JCT le dogmatique trois ans auparavant : le regain d’inflation n’étant pas lié à un risque de surchauffe de l’économie européenne mais trouvant son origine dans l’augmentation des prix des matières premières alimentaires et énergétiques, les hausses des taux n’ont aucune incidence sur celui-ci mais, en revanche, fragilisent un peu plus la croissance européenne.

De fait, la BCE a rapidement révisé son diagnostic laissant ainsi la porte ouverte à une baisse rapide des taux d’intérêt. Il est d’ailleurs probable que Jean-Claude Trichet aurait agi plus rapidement s’il n’avait pas été à la fin de son mandat. Ce faisant il a évité d’enfermer son successeur dans un scénario donné, lui laissant donc toutes les possibilités dans ses premiers pas à la tête de la BCE. Mario Draghi a d’ailleurs rapidement mis fin au suspense sur ses intentions puisqu’une baisse des taux d’un quart de point a été annoncée dès sa première réunion le 3 novembre. S’il a bien pris soin de rappeler que la BCE ne s’engageait pas sur les décisions futures, le contexte macroéconomique et financier amène à anticiper au moins une baisse des taux supplémentaire.

Pourtant si la question de la politique des taux d’intérêt est un élément central de la politique monétaire et donc du mandat de Mario Draghi, les défis qui s’ouvrent à lui dépassent largement cet enjeu. Dans le contexte de crise de la zone euro, le programme d’achats de titres de la BCE est au cœur de toutes les attentions et pose la question du rôle de la BCE dans la gouvernance européenne. Cette question recouvre de fait de multiples enjeux cruciaux et interdépendants : le rôle de prêteur en dernier ressort, la coordination entre politique budgétaire et politique monétaire ainsi que les compétences de la BCE en matière de stabilité financière.

La crise actuelle illustre les difficultés inhérentes au fonctionnement d’une union monétaire sans union budgétaire puisque, de fait, cela revient pour tout membre de l’Union à s’endetter dans une monnaie qu’il ne contrôle pas. Même si en temps normal les opérations de politique monétaire aux Etats-Unis conduisent la Réserve fédérale à détenir des titres publics,  – principalement de court terme – la crise a conduit la Banque centrale américaine à amplifier ses achats de titres et à modifier la structure de son bilan en achetant des obligations publiques sur les marchés secondaires. La Banque d’Angleterre a mené des actions similaires en achetant près de 200 milliards de livres de titres obligataires publics[1]. Quant à la Banque du Japon, elle a amplifié ces mesures non conventionnelles qui étaient déjà mises en place pour lutter contre la déflation qui sévit dans l’Archipel depuis la fin des années 1990. Ce faisant, ces banques centrales ont fait pression sur la baisse sur les taux d’intérêt à long terme et elles ont garanti la liquidité de ces marchés, se portant implicitement prêteuses en dernier ressort. Si la BCE s’est également engagée sur ce terrain en achetant plus de 170 milliards d’euros de titres publics (italiens, grecs, portugais et irlandais), l’ampleur du programme d’achat d’actifs (2,1 % de l’ensemble de la dette publique totale des pays de la zone euro) reste inférieur à celui mis en œuvre par la Réserve fédérale et la Banque d’Angleterre qui détiennent respectivement plus de 10,5 % et 16 % de la dette publique émise par leur gouvernement. Surtout, la BCE a pris soin de préciser que ce programme était temporaire, d’un montant limité et destiné à restaurer l’efficacité de la politique monétaire. Dans une tribune récente, Paul de Grauwe compare la stratégie de la BCE à celle d’un chef des armées partant à la guerre tout en déclarant qu’il n’utiliserait jamais tout son potentiel militaire et qu’il rapatrierait les troupes le plus tôt possible, c’est-à-dire sans s’assurer que la victoire finale serait acquise. Une telle stratégie est nécessairement vouée à l’échec. Seul un engagement illimité pourrait mettre fin à la contagion qui frappe les pays de la zone euro en proie à des difficultés budgétaires. Et seule une banque centrale, par la création monétaire, peut offrir une telle garantie. Pourtant, jusqu’ici, les pays européens ont écarté cette voie lors du sommet du 25 octobre tandis que Mario Draghi n’a fait que réitérer la stratégie de la BCE lors de sa première conférence de presse ajoutant même qu’il ne pensait pas qu’un prêteur en dernier ressort soit la solution à la crise que traverse la zone euro. La dimension du FESF restant insuffisante pour enrayer la contagion, tout porte à croire que le rôle de la BCE sera de nouveau au centre des débats. Il faut alors espérer que Mario Draghi et les membres du Conseil des gouverneurs sauront faire preuve de plus de pragmatisme à cette occasion. Il est urgent de reconnaître le rôle de prêteur en dernier ressort de la BCE en faisant de la stabilité financière de la zone euro un objectif explicite de politique monétaire.

Par ailleurs, au-delà du rôle de prêteur en dernier ressort, c’est plus généralement la question de la coordination des politiques économiques qui doit être reposée. L’articulation du policy-mix est en effet un élément central des performances en matière de croissance. Aux Etats-Unis, la complémentarité entre politique monétaire et budgétaire est aujourd’hui évidente puisqu’en faisant pression sur les taux longs, la Réserve fédérale met en œuvre une politique qui assure la soutenabilité de la politique budgétaire en même temps qu’elle favorise son impact sur la croissance. La principale critique à l’égard d’une telle politique souligne qu’elle remettrait en cause l’indépendance de la Banque centrale. Pour autant, rien ne permet aujourd’hui d’affirmer que la Réserve fédérale aurait abandonné la conduite de la politique monétaire au profit du gouvernement. La question ne se pose pas puisque la Banque centrale américaine, comme le gouvernement, poursuivent les mêmes objectifs : croissance, emploi, stabilité des prix et stabilité financière[2]. Ces objectifs sont interdépendants et la zone euro ne pourra retrouver le chemin de la croissance qu’à la condition que les autorités de décisions rament dans la même direction.

Si tous ces enjeux ne sont pas uniquement du ressort de Mario Draghi – une réforme du Traité pourrait renforcer et légitimer ses décisions –, sa position sera néanmoins déterminante. La crise de la zone euro appelle des décisions urgentes et révèlera très rapidement les ambitions et les capacités de son nouveau président.


[1] La BoE vient cependant d’annoncer que son programme d’achat de titres serait progressivement porté à 275 milliards de livres.

[2] Voir « La Fed, la BCE et le double mandat ».