L’économie allemande n’échappera pas au ralentissement de ses partenaires

par Sabine Le Bayon

Les instituts économiques et le gouvernement allemands partagent le même diagnostic : l’Allemagne ne sortira pas indemne du ralentissement de ses principaux partenaires de la zone euro.

Le gouvernement allemand a révisé à la baisse le 20 octobre dernier sa prévision de croissance pour 2012. La croissance allemande est dorénavant attendue à 1% en 2012 (comme en France), au lieu de 1,8% lors de la prévision d’avril 2011. Cette prévision s’appuie sur celle réalisée par quatre instituts allemands (IWH – Halle, Ifo, IfW – Kiel, RWI – Essen) qui estiment que la croissance devrait être de 0,8% en 2012. Les autres instituts allemands – IMK et DIW- prévoient une croissance du même ordre de grandeur (respectivement 0,7% et 1%).

Les instituts économiques et le gouvernement allemands partagent le même diagnostic : l’Allemagne ne sortira pas indemne du ralentissement de ses principaux partenaires de la zone euro. Alors qu’elle avait fait la course en tête dans un premier temps (avec une croissance de 3,6% en 2010, contre 1,7% dans la zone euro), le rebond du commerce mondial ayant entrainé une reprise des exportations et stimulé l’investissement des entreprises, ce ne serait plus le cas. Certes, la croissance du PIB au troisième trimestre 2011 a été bonne (0,5%), mais essentiellement grâce à la demande intérieure selon les premières informations fournies par l’institut de statistiques allemand. Le PIB devrait d’ailleurs reculer au quatrième trimestre 2011 (-0,2% selon les instituts allemands) et croître faiblement durant les trimestres suivants, dans un contexte européen très difficile.

L’Allemagne va pâtir de l’orientation de ses exportations vers des zones qui mènent des politiques budgétaires restrictives : la zone euro (40% de ses exportations de marchandises en 2010), les PECO (10%) et le Royaume-Uni (6%). Ces pays vont avoir peu de croissance fin 2011 et en 2012 et donc peu importer (en provenance d’Allemagne notamment). Les exportations allemandes vers le Japon (1,5%) et les Etats-Unis (7%) – deux pays qui mettent en place des plans de relance en 2012 – ne seront pas suffisantes pour compenser les pertes en Europe, et le commerce vers les pays émergents va souffrir du ralentissement mondial. Ce coup de frein au commerce est déjà visible dans les commandes industrielles étrangères adressées aux entreprises allemandes qui ont reculé au troisième trimestre 2011 (-3,75% sur un trimestre).

A l’effet négatif de la politique budgétaire allemande sur la croissance en 2012 (impulsion budgétaire de -0,3 point de PIB), il faut donc ajouter l’impact de la restriction dans les autres pays développés qui réduirait la croissance de 0,7 point en Allemagne selon nos calculs (voir “Zone euro : déni de réalité” dans notre dossier de prévision). In fine, l’effet de la restriction quasi-généralisée se traduirait par un point de croissance en moins en Allemagne en 2012.

Le sort de la zone euro – et la politique budgétaire menée par ses principaux partenaires – ne peut laisser l’Allemagne indifférente : le ralentissement de la zone euro va amputer la contribution du commerce extérieur à la croissance allemande. D’après les prévisions de l’OFCE, le commerce extérieur n’apporterait plus que 0,5 point à la croissance du PIB en 2012 (contre 1,4 point en 2010). La demande extérieure adressée à l’Allemagne par les pays de la zone euro ne progresserait que de 1,8% en 2012 (contre 5,1% pour celle en provenance des pays hors zone euro). Le rythme de croissance des exportations passerait ainsi de 8% en 2011 à 4,1% en 2012 et celui du PIB de 2,9% à 1,2%.

Ce texte fait référence à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2011-2012, disponible sur le site de l’OFCE.




A quels nouveaux plans de rigueur européens doit-on s’attendre en 2012 ?

par Eric Heyer

Afin de respecter les engagements français vis-à-vis de Bruxelles d’un déficit des APU de 4,5 % du PIB en 2012, le Premier ministre français, François Fillon, vient d’annoncer un nouveau plan de restriction budgétaire de 7 milliards d’euros. Ce plan, annoncé le 7 novembre, sera-t-il suffisant ? Certainement pas ! Alors à quels nouveaux plans de rigueur doit-on s’attendre dans les mois à venir et quelle incidence auront-ils sur la croissance en 2012 ?

Début octobre 2011, nous indiquions dans notre dossier de prévisions , entre autres choses, qu’à projets de lois de finance connus et votés, aucun grands pays européens ne respecterait ses engagements de réduction de déficit.

Cela sera notamment le cas pour l’Italie et le Royaume-Uni qui pourraient être confrontés à un écart compris entre 1,5 et 2 points entre le déficit public final et leur engagement. Dans le cas de la France et de l’Espagne, l’écart serait respectivement de 0,6 et 0,7 point. Seule l’Allemagne serait très proche de ses engagements (tableau 2).

Contrairement aux années antérieures, le respect de ces engagements apparaît probable : dans un contexte financier incertain, être le seul État à ne pas respecter sa promesse de consolidation budgétaire serait sanctionné immédiatement par un renchérissement de ses conditions financières sur le remboursement de sa dette.

Cela nécessitera alors l’adoption de nouveaux plans d’austérité dans les mois à venir. Mais en tentant de réduire leurs déficits prématurément, trop rapidement et de façon synchrone, les gouvernements des pays européens prennent le risque d’un nouveau ralentissement de l’activité. En effet, comme nous l’avons signalé dans une étude récente , la mise en place dans un contexte de basse conjoncture de politiques de rigueur dans l’ensemble des pays européens et agissant dans une situation de persistance de la « trappe à liquidité » concourt à la formation d’un multiplicateur fort, proche de l’unité.

A combien de milliards d’euros s’élèveront les prochains plans d’économies budgétaires ? Quelles incidences auront-ils sur la croissance économique ? Plusieurs cas de figure ont été étudiés.

Cas n°1 : Chacun des pays respecte seul son engagement
De manière à isoler l’impact sur la croissance du plan d’économies national et de ceux des partenaires, nous avons supposé que chaque pays respecte, seul, son engagement. Sous cette hypothèse, l’effort serait considérable en Italie et au Royaume-Uni qui présenteraient de nouveaux plans de rigueur de respectivement 3,5 et 2,8 points de leur PIB (soit 56 et 48,7 milliards d’euros). La France et l’Espagne devraient mettre en œuvre un plan de rigueur deux à trois fois inférieur, d’environ 1,2 point de PIB, représentant respectivement 27 et 12,1 milliards d’euros. Enfin le plan d’économies allemand serait le plus faible, avec 0,3 point de PIB (7 milliards d’euros) (tableau 1).

Ces différents plans de rigueur nationaux, pris isolément, auraient un impact non négligeable sur la croissance des pays étudiés. A l’exception de l’Allemagne qui continuerait à avoir une croissance positive en 2012 (0,9 %), une telle stratégie plongerait les autres économies dans une nouvelle récession en 2012, avec un recul de leur PIB allant de -0,1 % pour l’Espagne à -2,9 % pour l’Italie. La France connaîtrait une baisse de son activité de -0,5 % et l’économie britannique de -1,9 %( tableau 2).

Cas n°2 : Tous les pays de l’Union européenne respectent leur engagement

Bien entendu, si l’ensemble des grands pays européens venaient à adopter la même stratégie en même temps, alors l’effort d’économie serait supérieur. Il s’élèverait à près de 64 milliards d’euros en Italie et de 55 milliards d’euros au Royaume-Uni, représentant respectivement 4 et 3,2 points de PIB. Cet effort supplémentaire serait d’environ 2,0 points de PIB pour la France et l’Espagne (respectivement 39,8 et 19,6 milliards d’euros) et de 0,9 point de PIB pour l’Allemagne (22,3 milliards d’euros). Au total sur ces 5 pays étudiés, l’effort cumulé d’économie représenterait plus de 200 milliards d’euros en 2012.

Le choc sur l’activité de ces pays serait alors puissant : il provoquerait en 2012 une récession violente pour certains pays avec une baisse du PIB de 3,9 % en Italie (contre -5,1 % en 2009), de 2,6 % au Royaume-Uni (contre -4,9 % en 2009). La récession serait proche en France (-1,7 %) et en Espagne (-1,5 %) alors que le PIB allemand baisserait légèrement (-0,3 %).

Cas n°3 : Seuls les pays de la zone euro respectent leur engagement

Le Royaume-Uni ayant déjà mis en place un plan de rigueur important, et compte tenu du fait que leur contrainte en termes de déficit est plus souple que celle des pays de la zone euro, nous avons supposé que seuls les grands pays de la zone euro respectaient leurs engagements de déficit public. Dans ces conditions, l’effort cumulé d’économie représenterait plus de 130 milliards d’euros en 2012 dont près de la moitié serait du seul fait de l’Italie (61,7 milliards).

Le choc récessif serait alors concentré sur la zone euro avec une récession dans tous les pays étudiés à l’exception de l’Allemagne (0,1 %). L’économie britannique éviterait un nouvel épisode récessif (0,5 %) mais elle ne remplirait pas son objectif de déficit public fixé à 6,5 points de PIB, puisque ce dernier s’établirait à 8,2 points de PIB.




Plus rien ne s’oppose à la nuit

par Xavier Timbeau

Le 7 novembre 2011, le gouvernement a  annoncé un plan de restriction budgétaire qui prend acte d’un « ralentissement de la croissance mondiale ». Il  fait suite à la révision fin octobre 2011 du scénario de croissance utilisé dans le projet de loi de finance 2012, présenté fin septembre aux assemblées. Au lieu d’anticiper 1,75 % de croissance annuelle du PIB en 2012, l’hypothèse retenue aujourd’hui est de 1 %. La logique semble claire : face à des vents mauvais, soumis à un objectif de réduction des déficits publics (4,5 % du PIB en 2012 après 5,2 % en 2011) le gouvernement réagit rapidement en amendant sa stratégie de finances publiques afin d’éviter le scénario catastrophe que l’Italie est en train de vivre. La crise des dettes souveraines européennes impose de conserver la confiance des marchés financiers.

Une combinaison de hausse de l’imposition et de restriction de dépenses devrait réduire ex ante le déficit public de 7 milliards d’euros en 2012 qui s’ajoutent à ceux annoncés en août 2011, 10,4 milliards d’euros en 2012, soit au total 17,4 milliards d’euros (0,9 % du PIB). L’impulsion (i.e. la variation du déficit public primaire structurel) serait en 2012 de -1,5 % du PIB en 2012 après avoir été de -1,4 % en 2011, ce qui constitue un effort sans précédent dans l’histoire budgétaire de la France.

Tout pousse à se résigner à cette logique météorologique et ménagère de la conduite de la politique économique. La croissance nous fait défaut, il faut être moins prodigue et réduire le train de vie de l’Etat et des administrations publiques. Mais, ce faisant on s’enferme dans une spirale récessive particulièrement dangereuse. La réduction de la croissance par rapport aux estimations initiales ne tombe pas du ciel. Elle résulte d’abord de la restriction budgétaire déjà engagée en 2011. C’est le jeu du multiplicateur budgétaire qui impose sa logique, au moins à court terme. Une restriction budgétaire amoindrit la croissance du PIB, dans une proportion égale au multiplicateur budgétaire. C’est pourquoi le scénario de croissance à 1 % était parfaitement prévisible (et aurait dû être intégré dans le projet de loi de finance 2012, voir la prévision de l’OFCE). On retient habituellement un multiplicateur budgétaire à un an de l’ordre de 0,7 (qui varie cependant selon les mesures prises) parce que la France est une « petite » économie ouverte (voir nos analyses ou les travaux du FMI).

Dans une situation de trappe à liquidité et de cycle bas, le multiplicateur budgétaire peut être plus élevé, mais c’est en limitant l’analyse à une petite économie que l’on commet l’erreur la plus grave. Au niveau de la zone euro ou de l’Union européenne, le multiplicateur budgétaire n’est plus celui d’une « petite » économie ouverte (0,7), mais celui d’une grande économie « peu » ouverte (supérieur à 1). Or tous, ou presque tous les pays de l’Union européenne s’engagent dans des plans de restriction budgétaire, suivant la même logique imparable de la rigueur ; ainsi lorsqu’on fait le bilan de ces politiques à l’échelle européenne et non plus nationale, on comprend pourquoi la croissance en Europe sera faible voire négative. En effet, comme empêché par des œillères, chaque pays européen constate que son scénario de croissance ne se réalisera pas et rajoute de la restriction à la restriction. Mais, lorsque le multiplicateur est élevé, la réduction du déficit public est très inférieure à sa baisse ex ante, du fait d’une croissance économique moins forte : en Europe, pour un multiplicateur budgétaire de 1,3, un point de réduction des déficits ex ante induit une réduction ex post de 1/3 point du déficit public. Une autre manière de le dire : pour tenir un objectif donné de déficit, il faut  faire un effort trois fois plus important que ce que l’arithmétique simple indique.

Après le plan de rigueur supplémentaire de novembre  2011, on peut s’attendre à ce qu’il y en ait d’autres. Pour tenir les engagements des gouvernements européens annoncés aujourd’hui, il faudra une récession en Europe en 2012. Tant que l’on fixera comme objectif des réductions de déficit public, tant que l’on « oubliera » les effets sur la croissance et donc sur les déficits publics de ces restrictions, on ira de mauvaises nouvelles en mauvaises nouvelles. En continuant de se référer aux rares exemples de restrictions qui ont fonctionné – le Canada ou  les pays scandinaves des années 1990 –, on se trompe radicalement de diagnostic : l’Union européenne est une grande économie peu ouverte ; une dévaluation compétitive ne viendra pas compenser les restrictions budgétaires ; la politique monétaire ne stimulera pas suffisamment l’économie pour éviter le pire. La politique macroéconomique ne se conduit pas régionalement, mais globalement.

Sans croissance, les dettes publiques paraîtront insoutenables à des marchés financiers qui sont à la fois juges et victimes de l’insécurité des dettes publiques. Pourtant, les pays européens s’engagent dans une phase sans précédent de contrôle de ses finances publiques (avec succès, comme l’attestent les impulsions négatives en 2011, réalisées et celles annoncées pour 2012). De plus, l’Europe est dans une situation budgétaire globale préférable à celle des autres pays développés, ce qui donne à cette crise des dettes souveraines un parfum de renoncement catastrophique. L’alternative est de relâcher la pression des marchés sur le financement des Etats européens en  franchissant le pas de la solidarité européenne sur les dettes publiques. Cette solidarité pourrait être garantie par la Banque centrale européenne ou n’importe quelle institution ad hoc. Au final, il faudrait « monétiser » les obligations souveraines lorsque cela est nécessaire, sans limite, afin que chacun soit sûr que jamais un titre public ne fera défaut. Alors, la stratégie budgétaire de retour à l’équilibre pourrait être conduite avec un objectif de moyen terme, et non plus de court terme et on pourrait espérer sortir d’une récession, dont pour l’instant on ne voit pas la fin.