Les projets fiscaux de François Hollande

par Henri Sterdyniak

 

La réforme fiscale est un des thèmes importants du programme de François Hollande. L’objectif affiché est d’aller vers une fiscalité plus juste, pesant plus sur les grandes entreprises, le système financier et les ménages aisés, moins sur les PME et les classes moyennes, en revenant sur les réductions d’impôt que le Président Sarkozy (et même le Président Chirac) ont effectuées depuis 10 ans, en particulier sur la loi TEPA. En même temps, il s’agit d’augmenter le taux de prélèvements obligatoires (TPO) pour réduire le déficit public, en limitant la pression sur les dépenses publiques (puisque François Hollande reprend les objectifs du précédent gouvernement en matière de réduction du déficit). Augmenter les impôts sur les plus riches, les banques, les grandes entreprises devrait permettre de limiter l’impact de cette réduction du déficit public sur la demande. 

Cependant, si le gouvernement Fillon a effectivement réduit les prélèvements obligatoires de 2007 à 2010, il les a fortement augmentés en 2011 et 2012 (tableau 1), en particulier sur les revenus du capital (tableau 2). Il va être difficile d’aller au-delà. D’ailleurs, le Rapport préparatoire au débat d’orientation des finances publiques de juillet 2012 ne prévoit qu’une hausse de 44,8 % à 46,5 % durant le quinquennat (soit 1,7 point de PIB, environ 35 milliards d’euros), sachant que la Loi de finances rectificative (LFR) de juillet 2012 comporte déjà des hausses à hauteur de 19 milliards d’euros (en année pleine). Le gouvernement doit marcher sur une crête étroite entre les préoccupations de justice sociale et celles de préservation de la demande des ménages, celles de compétitivité des entreprises et de santé financière des banques et le risque d’évasion à l’étranger des plus riches.

 

Les mesures de hausses d’impôt déjà prises ou annoncées par le nouveau gouvernement représentent 20 milliards d’euros en année pleine (voir tableau 3). Elles ont permis de rendre notre système fiscal plus juste, en augmentant la taxation des revenus du capital, en supprimant des niches fiscales ou sociales injustifiées, en luttant contre l’optimisation fiscale, en augmentant la taxation des successions. Seule la suppression des exonérations des heures supplémentaires touche les classes populaires et moyennes et risque d’avoir un effet important sur la consommation, mais ces exonérations constituaient une niche fiscale et sociale économiquement contestable et brisaient l’universalité de la CSG.

Toutefois, le rétablissement du barème antérieur de l’ISF, mais sans bouclier fiscal, aboutit à des prélèvements importants sur certains ménages que le Conseil constitutionnel n’a accepté qu’à titre temporaire : l’ISF devra être repensé. Du point de vue de l’équité fiscale, il  serait souhaitable qu’il frappe ceux qui échappent à l’IR : les propriétaires de l’appartement qu’ils habitent et  les bénéficiaires de plus-values non-réalisées.

Le taux de l’IR à 45 % est élevé ; s’appliquant à des revenus salariaux qui ont déjà été soumis à la CSG et aux cotisations maladie et famille, la taxation globale s’élève à 60 %, niveau qui n’existe qu’en Belgique et en Suède. Le taux de 75% est lui exorbitant par rapport aux taux étrangers. Il marque une volonté politique de lutter contre l’étirement de la hiérarchie salariale et contre des salaires jugés exorbitants comme ceux de certains chefs d’entreprise et de traders. Une réforme alternative serait de sanctionner, par une taxe spécifique, les entreprises qui distribuent des revenus supérieurs à un certain niveau (20 fois le salaire minimum dans leur entreprise) et de demander que ces revenus soient explicitement autorisés par l’assemblée des actionnaires. Ceci serait cohérent avec la décision déjà prise par le gouvernement de plafonner à ce niveau (environ 450 000 euros par an) le salaire des dirigeants des entreprises publiques. L’objectif n’est pas tant de rapporter de l’argent aux finances publiques que de décourager fortement les entreprises de verser des rémunérations excessives.

Reste une quinzaine de milliards d’euros à trouver pour satisfaire aux objectifs fiscaux du quinquennat, parmi un ensemble de mesures envisageables qui pourrait rapporter jusqu’à 40 milliards d’euros, frappant surtout les ménages.

Ces mesures poseront toutes des questions d’acceptabilité par les personnes concernées, que ce soit les retraités, les fonctionnaires, les non-salariés. Leur impact sur la consommation risque d’être important. Imposer à la CSG-CRDS les loyers fictifs des propriétaires-occupants pourrait rapporter plus de 10 milliards d’euros mais serait très impopulaire. Remettre en cause certaines avantages fiscaux des revenus du capital (exonération des PEA et de l’assurance-vie, l’abattement forfaitaire sur les dividendes) pourrait rapporter 2 milliards d’euros. La remise en cause de la TVA à taux réduit des hôtels, cafés, restaurants rapporterait à elle seule 5 milliards d’euros. Faut-il procéder par petites touches, au risque d’accumuler les mécontentements ? Faut-il une grande réforme abolissant toutes les niches fiscales afin de revoir à la baisse les taux du barème ?

En ce qui concerne les entreprises, le gouvernement a renoncé à remettre en cause le crédit impôt-recherche ou les exonérations de cotisations sociales employeurs. La hausse de la taxation des plus-values à long terme sur les titres de participation, une remise en cause de la déductibilité des charges d’intérêt à l’IS et la lutte contre l’optimisation fiscale pourraient rapporter 5 milliards d’euros, prélevés surtout sur les grandes entreprises.

Faut-il ajouter à l’objectif de réduire le déficit public celui de donner un choc de compétitivité aux entreprises, soit 40 milliards d’euros de réduction de cotisations employeurs, qu’il faudrait là aussi prélever sur les ménages par une hausse de 3,5 points de la CSG, au risque de peser lourdement sur la consommation ? La stratégie la plus prudente serait sans doute de retarder l’objectif de réduction du déficit et de consacrer certains des  gains obtenus par l’alourdissement de la fiscalité sur les ménages aisés à la réduction des cotisations employeurs.

 

 

 




Pas de “TVA sociale” mais une “CSG sociale” ?

par Jacques Le Cacheux

La dégradation de l’emploi et du solde des échanges extérieurs de la France incite à une réflexion sur la compétitivité des entreprises françaises. Mais comment rétablir cette compétitivité ? Est-ce un problème de coût du travail, comme l’affirme avec insistance le MEDEF ? Ou ce facteur n’entre-t-il finalement que pour une faible part dans l’explication de ces médiocres performances ?En choisissant, au printemps dernier, l’option de la « TVA sociale » – augmentation de 1,6 point du taux normal de TVA et affectation du surcroît de recettes à une baisse des cotisations sociales patronales, de l’ordre de 13 milliards d’euros, ciblée sur les salaires compris entre 1,3 et 1,6 SMIC –, le précédent gouvernement avait clairement privilégié la stratégie de baisse – modérée – du coût de la main-d’œuvre. En décidant de revenir sur cette hausse de TVA, qu’il considère injuste, le gouvernement actuel semble indiquer que l’allègement du coût du travail n’est pas sa priorité. Dans le même temps, pourtant, le discours du Président de la République en ouverture de la Conférence sociale ouvre la voie à une réflexion sur le financement de la protection sociale, suggérant ainsi que la question de l’allègement du coût du travail n’est pas close, mais que l’instrument préféré pourrait être la Contribution sociale généralisée (CSG). Sans craindre le pléonasme, certains évoquent désormais une « CSG sociale » !

1 – Coût du travail : la France a-t-elle un problème ?

Le coût de la main-d’œuvre est-il plus élevé en France que chez nos partenaires, notamment au sein de la zone euro ? Le diagnostic n’est, en réalité, pas aisé, et les avis divergent. Selon les données publiées par Eurostat, et qui concernent l’ensemble du secteur marchand, le coût horaire de la main-d’œuvre atteignait, en 2011, 34,20 euros en France, soit près de 7 euros de plus que la moyenne des pays de la zone euro. En Allemagne, il n’était que de 30,1 euros, mais dépassait 39 euros en Belgique. Pourtant, cet indicateur ne renseigne guère sur la compétitivité-coût, puisqu’il faut prendre en compte les différences de productivité de la main-d’œuvre. C’est donc habituellement sur la base du coût unitaire de main-d’œuvre – ou coût salarial unitaire, c’est-à-dire le coût de main-d’œuvre par unité produite – que l’on compare les compétitivités ; mais on ne dispose pas de mesure fiable des niveaux relatifs, de sorte qu’il faut se contenter d’indice et de variations.

En se référant toujours aux données fournies par Eurostat, on peut se faire une idée de l’évolution relative des positions compétitives des différents pays européens. Pour tenir compte d’éventuels effets des variations de change entre les monnaies, l’indicateur de compétitivité-coût retenu ici est le taux de change effectif réel, calculé sur la base des coût salariaux unitaires, qui pondère les coûts relatifs des partenaires commerciaux en fonction de leur part dans les échanges extérieurs du pays considéré : une hausse de cet indice mesure donc une perte de compétitivité des entreprises du pays. Plusieurs mesures sont disponibles, couvrant des champs géographiques ou sectoriels différents.

Si l’on se penche d’abord sur les compétitivités relatives au sein de la zone euro, où, par définition, il n’y a pas d’effet de change (Graphiques 1 et 2), le message est ambigu : pour l’ensemble de l’économie, les évolutions de la compétitivité française sont très voisines de celles de l’Allemagne, depuis le lancement de la monnaie unique, l’une et l’autre tendant à améliorer leur compétitivité-coût par rapport à leurs partenaires de la zone. Certes l’Allemagne faisait un peu mieux jusqu’en 2008 ; mais la récession de 2009 y a si fortement ralenti la productivité de la main-d’œuvre – du fait notamment d’un recours massif au chômage partiel – que les gains relatifs par rapport à la France s’en sont trouvés pratiquement effacés.

Source : Eurostat.

Pourtant, l’indicateur se référant à la seule industrie manufacturière délivre un message bien différent (graphique 2) : en moyenne depuis le lancement de l’euro, la compétitivité-coût de l’industrie française par rapport à ses partenaires de la zone s’est sensiblement maintenue, se dégradant très légèrement sur la période ; mais dans le même temps, l’industrie allemande a, quant à elle, très substantiellement amélioré la sienne – de près de 20%.

Source : Eurostat.

Si l’on se penche, maintenant, sur la compétitivité-coût française vis-à-vis des pays tiers, hors zone euro, les évolutions sont, de manière peu surprenante, dominées par les variations du taux de change externe de l’euro : l’appréciation réelle de la monnaie européenne depuis 2000 a dégradé la compétitivité-coût des économies française et allemande dans des proportions comparables (graphique 3). Mais dans l’industrie (graphique 4), la modération salariale allemande a permis de limiter la dégradation à un peu plus de 10 % entre 2000 et 2011, tandis que, sur la même période, la dégradation subie par l’industrie française est voisine de 25 % ; elle a même dépassé 40 % pendant la période où le taux de change de l’euro battait des records (été 2008).

Il est difficile, dans ces conditions, de nier la dégradation de la position compétitive de l’économie française et, singulièrement, de son industrie. Certes, la dépréciation récente de l’euro lui permet de réduire un peu les pertes de compétitivité subies au cours des années antérieures ; mais elle ne modifie pas les positions relatives au sein de la zone euro, qui concentre environ 2/3 du commerce extérieur de ses membres.

Source : Eurostat.

Au contraire, la stratégie compétitive de l’Allemagne – notamment grâce à une politique soutenue de modération salariale, mais aussi à des choix de restructuration industrielle et de spécialisation – se reflète dans la progression spectaculaire de son taux d’ouverture commerciale (graphique 5) : proche de celui de la France en 1995, il a doublé en Allemagne, alors qu’il est demeuré sensiblement constant en France.

Source : Eurostat.

2 – Une réforme fiscale pour alléger le coût du travail

Le coût de la main-d’œuvre n’est sans doute pas le seul facteur de dégradation de la compétitivité de l’économie française et, notamment, de son industrie ; mais ses évolutions comparées à celles observées chez nos principaux partenaires, et singulièrement en Allemagne, suggèrent qu’elles contribuent aux mauvaises performances enregistrées ces dernières années tant en matière d’emploi que de commerce extérieur. Il apparaît donc légitime de s’interroger sur les moyens de l’alléger, en particulier en réformant le financement de la protection sociale, qui en constitue une composante importante. D’où le débat sur la baisse des cotisations patronales, et sa compensation par la hausse d’un autre prélèvement : TVA ou CSG ?

Beaucoup de choses ont été dites sur les avantages et les inconvénients de chacune des deux options[1]. Mais quelques éléments de comparaison des évolutions récentes permettront sans doute d’éclairer ce débat. En premier lieu, le poids respectif de la fiscalité pesant sur la consommation et sur les revenus du travail a connu, au cours des dernières années, des évolutions sensibles en France et en Allemagne (graphiques 6 et 7) : tandis que le taux implicite d’imposition de la consommation n’a cessé de se réduire en France depuis la fin des années 1990, sous l’effet de la baisse d’un point du taux normal de TVA et de mesures sectorielles (restauration et travaux dans les logements anciens), il a augmenté en Allemagne du fait de la hausse de 3 points du taux normal de TVA en 2007 ; dans le même temps, le taux implicite d’imposition du travail est demeuré assez stable, à un niveau élevé, en France, tandis qu’il se réduisait en Allemagne.

Source : Eurostat.

Et cette réduction a été obtenue en partie grâce à une baisse significative – environ 1 point de PIB – des cotisations sociales employeurs, qui sont, au contraire, restées à un niveau élevé en France (graphique 8).

Dans ces conditions, des marges de manœuvre semblent exister du côté de la fiscalité pesant sur la consommation, ce qui avait incité le précédent gouvernement à opter pour un alourdissement de la TVA, compensé par une réduction de cotisations sociales employeurs, que l’actuelle majorité vient d’abroger.

Parmi les défauts d’une hausse de la TVA, deux caractéristiques ont été mises en exergue dans les débats récents. En premier lieu, une telle hausse est, de fait, une « dévaluation fiscale », qui peut dès lors être considérée comme non coopérative et inamicale par nos partenaires au sein de la zone euro, d’où proviennent plus de la moitié de nos importations. Bien sûr, mais de leur côté, presque tous nos partenaires n’ont pas hésité à augmenter la TVA ces dernières années, et certains prévoient même de l’alourdir encore ; la France a donc, effectivement subi les « dévaluations fiscales » de ses voisins. Bien sûr, une stratégie européenne coordonnée serait préférable ; mais la France doit-elle décider de subir seule les coûts économiques de l’absence d’une telle coopération ?

Source : Eurostat.

En second lieu, les détracteurs de la hausse de la TVA pointent son caractère « injuste » et les risques d’amputation du pouvoir d’achat, donc de freinage de la croissance. Mais, comme le soulignait la précédente note sur ce thème, la hausse des prix résultant d’une augmentation du taux de TVA devrait être très limitée et, dans l’éventualité d’une hausse, les procédures d’indexation des minima sociaux, du SMIC et des retraites sont telles que les catégories disposant des revenus les plus modestes ne devraient pas subir de baisse de pouvoir d’achat. Sauf, bien sûr, si le gouvernement envisageait de suspendre les mécanismes d’indexation, ce qui constituerait une manière particulièrement opaque de rogner la générosité de la protection sociale et le salaire minimum.

La CSG est-elle plus « juste » ? On fait volontiers valoir qu’avec son assiette large – la quasi-totalité des revenus –, elle frappe les revenus du patrimoine. Mais elle frappe aussi tous les bas revenus, qu’ils soient du travail, de remplacement, ou de retraite, dès le premier euro, car elle est proportionnelle : pour les détenteurs de revenus modestes, elle pèsera donc plus lourdement sur le pouvoir d’achat que la hausse de la TVA.

On peut souhaiter, malgré tout, privilégier la CSG, instrument de prélèvement à assiette large qui permet de faire contribuer l’ensemble des revenus au financement de la protection sociale : c’était, dès le départ, sa justification et sa raison d’être. Mais dans ce cas, le souci de justice exigerait que l’on accompagne cette montée en puissance d’une réforme fiscale plus ambitieuse, qui redonne une véritable progressivité à l’ensemble de prélèvements directs et, si possible, aux transferts sociaux sous condition de ressources.

Alléger le coût du travail en transférant la charge d’une partie du financement de la protection sociale vers des prélèvements autres que les cotisations sociales apparaît souhaitable et possible, tout en rendant le système fiscal français plus juste. Pour ce faire, il convient de compenser la baisse des cotisations sociales, patronales, mais aussi éventuellement salariés, par un alourdissement des prélèvements pesant sur la consommation et sur les activités polluantes, afin de modifier résolument les prix relatifs, donc les incitations qui pèsent sur les entreprises et les ménages dans leurs choix de techniques de production et d’emploi et dans leurs choix de consommation ; et de conduire en même temps une réforme de la fiscalité directe qui permette de compenser les effets négatifs de ces modifications sur le pouvoir d’achat des détenteurs de revenus modestes et de rendre l’ensemble des prélèvements directs plus progressifs. Alourdir la CSG sans conduire cette grande réforme[2] serait léser ces catégories.

 

 

 


[1] Voir notamment, J. Le Cacheux, 2012a, « La TVA « sociale », antisociale ? », Blog de l’OFCE, 6 janvier, et E. Heyer, M. Plane et X. Timbeau, 2012, « Impact économique de la « quasi TVA sociale ». Simulations macroéconomiques et effets sectoriels », Débats et politiques, Revue de l’OFCE, n°122, sous la direction de G. Allègre et M. Plane, « Réforme fiscale », mars.

[2] Pour une exposition plus précise des principes d’une telle réforme, voir J. Le Cacheux, 2012b, « Soutenabilité et justice économique. Finalités et moyens d’une réforme fiscale », Débats et politiques, Revue de l’OFCE, n°122, sous la direction de G. Allègre et M. Plane, « Réforme fiscale ».

 




La suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires va-t-elle créer des emplois ?

par Eric Heyer

Avant la conférence de presse du 26 juillet 2012 au cours de laquelle l’OFCE présentera une évaluation du projet économique du gouvernement Ayrault, nous dressons un bilan de la défiscalisation des heures supplémentaires et de son exonération de cotisations sociales, puis évaluons l’impact sur l’emploi et les finances publiques de la suppression de cette mesure.

Le nouveau gouvernement a décidé de revenir sur la mesure de défiscalisation des heures supplémentaires et son exonération de cotisations sociales qui s’appliquait depuis le 1er octobre 2007 à l’ensemble des salariés des secteurs public et privé en France. A compter du 1er septembre 2012, l’exonération de charges pour les salariés sera supprimée, quelle que soit la taille de l’entreprise. L’exonération de charges patronales, quant à elle, ne sera maintenue que dans les PME de moins de 20 salariés. Enfin, les heures supplémentaires effectuées à partir du 1er août 2012 seront soumises à l’impôt sur le revenu.

Dans ce billet, nous tenterons dans un premier temps de dresser un bilan de cette mesure en s’intéressant tout particulièrement à ses conséquences sur l’emploi et les finances publiques (1). Dans un deuxième temps, nous évaluerons l’impact sur l’emploi et les finances publiques de cette réforme pour les années à venir (2).

1.     Quel bilan peut-on tirer de la défiscalisation des heures supplémentaires ?

a) Quel coût ex-ante sur les finances publiques ?

En 2011, selon l’ACOSS, le nombre d’heures supplémentaires exonérées au titre de la loi TEPA s’est élevé à 739 millions. Plus de la moitié de ces heures ont été réalisées dans les entreprises de plus de 20 salariés (57,7 %)[1]. Le montant des exonérations afférentes a été de 3,107 milliards d’euros dont plus de 77 % proviennent des baisses de charges salariales. Concernant les baisses de cotisations patronales, elles représentent 693 millions d’euros en 2011 dont 65,5 % sont en faveur des entreprises de moins de 20 salariés[2] (tableau 1).

Par ailleurs, cette mesure permettait aux salariés d’exonérer d’impôt sur le revenu les rémunérations versées au titre des heures supplémentaires effectuées dans la seule limite d’une majoration de 25 %. D’après le PLF 2012, cela a entraîné un manque à gagner de 1,4 milliard d’euros pour les finances publiques en 2011. Au total, le coût ex-ante pour les finances publiques de cette mesure s’est élevé à environ 4,5 milliards d’euros en 2011.

b) Cette mesure a-t-elle induit  une augmentation du nombre d’heures supplémentaires ?

Un des objectifs de cette mesure était d’inciter à une durée du travail plus longue par le biais d’un recours accru aux heures supplémentaires. Cela fut-il le cas ? Compte tenu de la faiblesse de la longueur des séries et d’une impossibilité de comparaison avec un épisode conjoncturel similaire, il apparaît difficile de répondre catégoriquement à cette question. Il nous semble toutefois possible, à la lecture des données fournies par l’ACOSS, de formuler une hypothèse de travail.

Comme l’illustre le graphique 1, après une montée en charge progressive du dispositif au cours des premiers trimestres d’application, le nombre d’heures supplémentaires a atteint un premier pic en fin d’année 2008 avec près de 188 millions au quatrième trimestre. Au cours du premier trimestre 2009, le nombre d’heures supplémentaires s’est effondré de près de 12 %, s’établissant à 165 millions. Si cette baisse est cohérente avec la forte dégradation d’activité observée en France à cette époque, la remontée du volume d’heures supplémentaires depuis est plus surprenante : alors que l’activité ne repartait pas suffisamment pour permettre une décrue du chômage, rendant compte d’une position cyclique dégradée de l’économie, le volume d’heures supplémentaires a franchi un nouveau pic en 2011, atteignant plus de 190 millions au quatrième trimestre. Ce rebond contra-cyclique peut être dû à la défiscalisation associée aux heures supplémentaires : sans elle, compte tenu de la situation conjoncturelle toujours dégradée, leur nombre aurait dû rester voisin de celui observé en début d’année 2009.

Sous cette hypothèse, en 2011, cette mesure aurait favorisé une hausse de près de 80 millions d’heures supplémentaires, soit un supplément de 11 %.

c) Quel impact sur l’emploi ?

L’impact  sur l’emploi est ambigu. En effet, deux effets de sens contraire se superposent :

  1. Le premier est positif et relatif à la baisse du coût du travail et à la hausse du pouvoir d’achat des salariés. Face à la baisse du coût des heures supplémentaires, les entreprises seraient incitées à augmenter le temps de travail des salariés en place, en particulier dans les secteurs où le recrutement de la main-d’œuvre connaît des tensions (bâtiment, hôtellerie, santé ou éducation). La rémunération de ces heures supplémentaires permettrait une augmentation du pouvoir d’achat irriguant l’ensemble de l’économie avec un effet positif sur l’emploi ;
  2. Le deuxième est négatif pour l’emploi : en abaissant le coût d’une heure supplémentaire, cela incite les entrepreneurs à allonger la durée du travail, favorisant alors la situation des insiders (salariés) au détriment de celle des outsiders (les chômeurs). Cela engendre une augmentation de la productivité par tête des salariés français, ce qui est positif pour la croissance potentielle de l’économie française mais défavorable à l’emploi à court terme. Dans un travail antérieur (Heyer, 2011a), mené sur des données regroupant 35 secteurs de l’économie française, nous avons estimé qu’une hausse de 1 % des heures supplémentaires détruirait près de 6 800 emplois salariés du secteur marchand (soit 0,04 % des salariés marchand) dont les trois quarts seraient des emplois intérimaires ;

D’après nos simulations, réalisées à l’aide du modèle macroéconomique de l’OFCE, emod.fr, et dont les principaux résultats sur l’emploi sont résumés dans le tableau 2, l’effet négatif l’emporterait sur l’effet positif : la défiscalisation des heures supplémentaires aurait détruit plus de 30 000 emplois en 2011.

Ce résultat conforte l’idée selon laquelle, dans un contexte conjoncturel dégradé, comme cela est le cas dans la période récente, la défiscalisation des heures supplémentaires apparaît clairement inadaptée et contre-productive pour l’emploi (Heyer, 2011b). Face à un choc négatif imprévu, les entreprises commencent généralement par réduire le temps de travail, puis se séparent de leurs emplois précaires et en particulier de leurs intérimaires, avant finalement de procéder à des licenciements économiques.

Par ailleurs, la baisse des charges salariales et patronales ainsi que l’exonération d’impôt sur le revenu,  coûtent 4,5 milliards d’euros ex-ante (0,22 point de PIB) et ne sont pas financés. En tenant compte de plus du coût pour les finances publiques de la dégradation du marché du travail (-30 000 emplois), cette mesure aurait creusé le déficit public de 6,8 milliards d’euros, soit 0,34 point de PIB en 2011.

Le financement de cette mesure alourdirait son bilan sur l’emploi : selon le mode de financement retenu, les pertes d’emplois auraient finalement été comprises entre 52 000 et 95 000 postes en 2011 (tableau 3).

2.     Quel impact de cette réforme ?

A compter du 1er septembre 2012, l’exonération de charges pour les salariés est supprimée, quelle que soit la taille de l’entreprise. L’exonération de charges patronales, quant à elle, n’est maintenue que dans les PME de moins de 20 salariés.

a) Cette réforme  va-t-elle induire  une baisse du nombre d’heures supplémentaires ?

En maintenant l’exonération de charges patronales pour les entreprises de moins de 20 salariés, il est possible d’imaginer que cette réforme n’aura pas d’impact sur le volume d’heures supplémentaires effectuées dans ces PME. En revanche, pour les autres entreprises, l’incitation à un plus fort recours disparaissant, on peut supposer que ce volume diminuera en revenant vers un niveau plus compatible avec le cycle conjoncturel.

Nous faisons alors l’hypothèse qu’à compter de 2013, le volume d’heures supplémentaires dans les entreprises de moins de 20 salariés se maintiendrait à plus de 310 millions. Dans les autres entreprises, nous faisons l’hypothèse que le volume annuel d’heures supplémentaires en 2013 reviendrait vers celui enregistré fin 2009-début 2010, à savoir proche de 380 millions (graphique 2).

Au total, selon nos hypothèses, la baisse des heures supplémentaires pourrait être de 1,2 % en 2012 et de 5,9 % en 2013, soit une baisse de 7,1 % par rapport au niveau observé aujourd’hui.

b) Quel impact sur l’emploi et les finances publiques à l’horizon 2014 ?

Sur la période 2011-2014, si la baisse des heures supplémentaires prévue se réalise, cette réforme permettra la création ou la sauvegarde de 17 900 emplois. Ce résultat est la conséquence de deux effets de sens inverse (tableau 4) : le premier est négatif et est lié à la baisse du pouvoir d’achat des salariés bénéficiant des heures supplémentaires (-29 000 emplois) ; le second est positif et résulte de la réduction du recours aux heures supplémentaires dans les entreprises de plus de 20 salariés (46 900 emplois).

Sur la même période, la suppression de la défiscalisation permettra d’économiser 2,6 milliards d’euros d’exonération de charges sociales et permettra d’engranger un surplus de 1,3 milliard d’euros d’impôt sur le revenu. Par ailleurs, les créations d’emplois supplémentaires entraîneront un supplément de recettes fiscales et une économie de dépenses sociales de 1,3 milliard d’euros. Au total, une fois le bouclage macroéconomique réalisé, cette réforme permettra de réduire le déficit des APU de 5,2 milliards, soit 0,26 point de PIB en 2014 (tableau 4).

Références bibliographiques

Heyer É. (2011a), « Faut-il revenir sur la défiscalisation des heures supplémentaires ? Simulation et première évaluation de ce dispositif», Note de l’OFCE, n° 2, septembre.

Heyer É. (2011b), « The effectiveness of economic policy and position in the cycle: the case of tax reductions on overtime in France », Oxford Review of Economic Policy, vol. 27, n° 2, summer.

Sévin É. et Y. Zhang (2012), « Les heures supplémentaires au premier trimestre 2012 », Acoss Stat, n°150, mai.


[1] Rappelons toutefois que près de 70 % des salariés travaillent dans des entreprises de plus de 20 salariés.

[2] Rappelons que cette mesure introduit une réduction forfaitaire des charges patronales de 1,5 euro  par heure supplémentaire effectuée dans les entreprises de moins de vingt salariés et de 0,5 euro dans les entreprises de plus de vingt salariés. Pour plus de détails sur la mesure, se référer à Heyer (2011b).




Petits transferts entre familles

par Guillaume Allègre

Une des premières mesures prises par le nouveau gouvernement a été d’augmenter de 25 % l’Allocation de rentrée scolaire (ARS) dès la rentrée 2012. Cette mesure figurait dans les 60 engagements du candidat Hollande avec l’abaissement du plafonnement de l’avantage lié au quotient familial (QF) (engagement 16)[1] qui devrait être voté en juillet 2012. Ces deux instruments de la politique familiale (ARS, QF) ont des logiques et des effets très différents. Alors que l’ARS concerne les ménages modestes du fait d’une mise sous conditions de ressources, le plafond du quotient familial n’affecte que les ménages les plus aisés. Le financement de l’augmentation de l’ARS par une baisse du plafonnement du QF doit permettre de maintenir les ressources de la politique familiale. Cette réforme implique un transfert d’environ 400 millions d’euros des familles dont le niveau de vie se situe dans le décile le plus élevé vers les familles les plus modestes, celles dont le niveau de vie se situe dans les quatre premiers déciles de niveau de vie. 

L’ARS est une prestation sociale, sous condition de ressources, versée annuellement au moment de la rentrée scolaire aux familles ayant à charge un ou plusieurs enfants scolarisés âgés de 6 à 18 ans. Créée en 1974, elle n’était alors versée qu’aux familles bénéficiaires d’une autre prestation familiale (allocation familiale à partir du deuxième enfant ou prestation sous condition de ressources). Revalorisée en 1993, elle a ensuite été étendue, à partir de 1999, aux familles avec un seul enfant ne bénéficiant pas d’autre prestation. En 2010, la mesure bénéficiait à 2,8 millions de ménages[2] (dont 210 000 familles sans autre prestation CNAF) pour un coût total de 1,49 milliard d’euros. Les familles bénéficiaires recevaient en moyenne 520 euros par an. Pour la rentrée 2012, pour être éligible, les ressources de l’année 2010 ne doivent pas dépasser 23 200 euros  pour les familles ayant un enfant à charge, auxquels il faut ajouter 5 300 euros par enfant supplémentaire. Le montant de la prestation dépend de l’âge des enfants scolarisés. En 2011, il était de 285, 300 et 311 euros respectivement par enfant de 6 à 10 ans, 11 à 14 ans et 15 à 18 ans[3].

A la suite de l’élection présidentielle, pour 2012, ces montants ont été fixés par décret respectivement à 356, 375 et 388 euros[4]. Le gain de la revalorisation pour un couple avec deux enfants de 6 et 11 ans est de 141 euros par an si son revenu est inférieur à 28 500 euros. Pour un couple avec trois enfants de 6, 11 et 15 ans, le gain est de 215 euros. La revalorisation de 25 % de l’allocation représente une dépense supplémentaire de l’Etat de 372 millions d’euros.

Le système du quotient familial de l’impôt sur le revenu permet de tenir compte de la taille des foyers fiscaux, et notamment de la présence ou non d’enfants dans le calcul de l’impôt à payer. Le quotient familial, mesure de la capacité contributive, est le ratio entre le revenu net imposable et le nombre de parts fiscales du foyer. L’administration fiscale applique à ce quotient le barème de l’impôt puis re-multiplie par le nombre de parts fiscales afin de déterminer le montant d’impôt dû, de telle sorte que deux foyers ayant le même quotient sont confrontés au même taux d’imposition[5]. Un couple avec 2 enfants (trois parts) ayant un revenu imposable de 60 000 euros est soumis au même taux d’impôt sur son revenu imposable qu’un couple sans enfant (2 parts) ayant un revenu de 40 000 euros : chacun de ces foyers fiscaux a un quotient familial égal à 20 000 euros ; ils sont ainsi considérés par l’administration fiscale comme ayant la même faculté contributive. Le système de quotient familial ne procure aucun gain lorsque l’impôt est proportionnel. Plus l’impôt est progressif, plus le gain procuré par le système de quotient familial est élevé. L’administration fiscale plafonne ce gain à 2 336 euros par demi-part, soit un gain maximum de 4 672 euros (ou 389 euros mensuels) par enfant à partir du troisième enfant et pour le premier enfant des parents isolés. Le plafonnement concerne des ménages ayant des revenus relativement élevés : 6 600 euros net par mois pour un couple avec deux enfants, 8 500 euros avec trois. Selon la DGFIP, 770 000 foyers (soit 2,1 % des foyers fiscaux) étaient concernés par le plafonnement en 2008, soit un gain pour l’Etat de 1,2 milliard d’euros, ce qui représente en moyenne 1 550 euros par foyer fiscal plafonné.

Selon le programme présidentiel, le plafonnement du gain lié au quotient familial doit être abaissé dans la Loi de finances rectificative à 2 000 euros par demi-part supplémentaire. La perte annuelle maximale pour les foyers fiscaux effectivement plafonnés serait donc de 336 euros par demi-part, soit 672 euros pour un couple avec deux enfants (trois parts fiscales) et 1 344 euros avec trois (quatre parts fiscales). Selon nos calculs, l’économie pour l’Etat serait de 430 millions d’euros (France métropolitaine) et le nombre de foyers concernés  900 000, soit un coût moyen de 488 euros par foyer.

Le graphique représente les transferts engendrés par les deux réformes par décile de niveau de vie. Du fait de sa mise sous conditions de ressources, la revalorisation de l’ARS bénéficie principalement aux ménages ayant des enfants appartenant aux 4 premiers déciles de niveau de vie, tandis que l’abaissement du plafond du quotient familial concerne les ménages du décile le plus élevé. En termes de redistribution verticale, la réforme est assez bien ciblée, même si les montants en jeu sont relativement faibles. Le gain pour l’Etat serait marginal.  L’effet sur la croissance devrait être positif, du fait d’une plus grande propension à épargner des ménages les plus aisés, mais mineur, de part la faiblesse des sommes en jeu et le montant des économies qui est légèrement supérieur à celui des dépenses supplémentaires.

 

De fait, cette réforme est peu controversée. Le principe du plafonnement de l’avantage fiscal du quotient familial est largement accepté (voir Sterdyniak) et sa justification est robuste : à partir d’un certain niveau de revenus, son augmentation ne sert plus à la consommation des enfants. L’ARS a plusieurs avantages : son usage est principalement lié aux dépenses de rentrée scolaire, elle permet de verser une allocation aux familles d’un enfant, elle est bien ciblée sur les ménages les moins aisés.

D’autres réformes, allant plus loin dans ce sens, pourraient être envisagées : par exemple, le plafonnement par enfant de l’avantage fiscal (et non plus par demi-part) ou, mieux, la suppression des demi-parts supplémentaires à partir du troisième enfant, ce qui permettrait de financer, en partie, la mise en place d’un complément familial sous conditions de ressources dès le premier enfant. En effet, le système de quotient familial semble trop généreux à partir du troisième enfant (voir Allègre, 2012), et le complément familial, prestation familiale sous conditions de ressources, ne concerne aujourd’hui que les familles de trois enfants et plus, souvent les moins aisées. Un élargissement du dispositif qui bénéficierait également aux familles nombreuses et  permettrait d’inclure les autres familles les moins aisées dans le dispositif.


[1] « Je maintiendrai toutes les ressources affectées à la politique familiale. J’augmenterai de 25 % l’allocation de rentrée scolaire dès la prochaine rentrée. Je rendrai le quotient familial plus juste en baissant le plafond pour les ménages les plus aisés, ce qui concernera moins de 5 % des foyers fiscaux. »

[2] Métropole et Dom.

[3] Les familles ayant des enfants de 0 à 3 ans peuvent bénéficier, sous conditions de ressources, de l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) afin de faire face aux dépenses spécifiques liées à la jeune enfance. En dehors des aides liées à la garde des enfants, il existe ainsi un vide entre 3 et 6 ans, tranche d’âge pour laquelle les dépenses sont supposées moins importantes.

[4] En fait, la revalorisation initiale devait être de 1 %, le « coup de pouce » n’est donc que de 24 %.

[5] Le système de parts attribue 1 part à une personne seule, 1 part au conjoint éventuel, 1/2 part respectivement au premier et deuxième enfant, 1 part aux enfants suivants, et 1/2 part supplémentaire au premier enfant des parents isolés.