Pouvoir d’achat : une prime pour l’activité … à temps plein

par Pierre Madec et Raul Sampognaro

Dans son allocution du 10 décembre 2018, Emmanuel Macron a annoncé que « le salaire d’un travailleur au SMIC augmentera de 100 euros par mois dès 2019 sans qu’il en coûte un euro de plus à l’employeur ». Cet engagement a conduit le gouvernement à augmenter la prime d’activité[1] de 90 euros pour un salarié percevant un revenu d’activité équivalent à un SMIC à temps plein, la différence avec l’annonce présidentielle étant couverte par la hausse légale annuelle du SMIC.

Les bénéficiaires de la prime d’activité devraient percevoir dès le début du mois de février les premiers effets de cette mesure. Selon nos estimations, celle-ci a pour conséquence d’augmenter considérablement le nombre de ménages éligibles à la prestation, celui-ci passant de 3,9 à 5,1 millions. Si le taux de non recours des nouveaux éligibles est identique au taux observé avant la revalorisation, c’est-à-dire (21%), le coût budgétaire de la mesure serait de 2,3 milliards d’euros, une estimation inférieure à celle du gouvernement qui est de 2,6 milliards.

Afin de cibler la hausse de la prime d’activité autour des actifs gagnant l’équivalent d’un SMIC à temps plein, la mesure augmente le montant de la bonification individuelle et étend le nombre de bénéficiaires. Désormais, la bonification individuelle sera perçue à partir de la perception de revenus individuels équivalant à 0,5 SMIC mensuel et atteindra un montant maximal à 1 SMIC (alors qu’avant elle atteignait son niveau maximal à 0,8 SMIC). Par ailleurs, le montant maximal de la bonification est augmenté de 90 euros par mois. Ainsi, la décision de revaloriser la bonification individuelle et non le montant forfaitaire réduit, voire élimine, les gains pour les salariés aux durées de travail faibles au cours du mois. Le graphique 1 montre l’évolution de la prime d’activité à la suite des décisions du mois de décembre pour un individu célibataire, sans enfant et sans forfait logement.

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Notons également qu’avant ces annonces, au cours de l’année 2018, la prime d’activité a été l’objet d’évolutions impactant le pouvoir d’achat des bénéficiaires et pour certaines d’entre elles à contresens des mesures annoncées dans le cadre de la Loi de mesures d’urgence économiques et sociales. Si, au mois d’octobre 2018, le montant forfaitaire de la prestation a été revalorisé de 20 euros par mois, des modifications techniques sont intervenues pour réduire l’impact budgétaire de cette revalorisation : indexation ou absence d’indexation à l’inflation ou encore évolution du taux de cumul des revenus d’activité. En cumulant l’ensemble des mesures, les ménages bénéficiaires de la prime d’activité devraient voir le montant de leur prime s’accroître d’en moyenne de 60 euros par mois en 2019 par rapport à 2018 (tableau).

 

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L’augmentation de la prime d’activité devrait augmenter le niveau de vie de nombreux ménages de la première moitié de la distribution. Rapportés aux niveaux de vie des ménages, les gains à attendre ne devraient pas dépasser 1,2% par vingtile. Entre les 2e et 6e vingtile (soit le tiers des ménages les plus modestes hors 5% les plus pauvres), plus d’un quart des ménages devrait être concernés par l’augmentation de la prime d’activité pour un gain moyen compris entre 1% et 1,2% de leur niveau de vie. A contrario, au sein des 30% de ménages les plus modestes, deux ménages sur trois ne devraient pas bénéficier des mesures touchant à la prime d’activité.

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[1] La prime d’activité est un complément de revenus d’activité s’adressant aux travailleurs aux revenus modestes.




Le coût économique et social du mal-logement

par Pierre Madec

Depuis le 5 mars 2007 et l’instauration de la loi DALO, le droit à un logement « décent » est inscrit dans la loi française. Malgré tout, selon la Fondation Abbé Pierre, la France comptait en 2015 près de 4 millions de mal-logés. En intégrant à ces chiffres les ménages fragilisés par leurs conditions de logement, c’est ainsi près d’un Français sur six qui serait confronté, de près ou de loin, à des situations de logement anormales. Cette population, victime des crises économiques successives, accueille en son sein des ménages aux caractéristiques de logement très disparates. Logement trop cher, précarité énergétique, habitat indigne, les situations de mal-logement sont nombreuses, diverses et, souvent, cumulatives.

S’il n’existe pas aujourd’hui de définition arrêtée de ce qu’est le « mal-logement », depuis plusieurs années, de nombreux auteurs de rapports et d’études se sont attelés à le qualifier et le quantifier. Poursuivant cet objectif, un groupe de travail du Conseil national de l’information statistique (Cnis, 2011) a d’ailleurs tenté de cerner la notion de mal-logement à partir du croisement de différentes dimensions : le type d’habitat, le statut d’occupation, la qualité du logement, la précarité/stabilité dans le logement, l’environnement du logement, ou encore l’adéquation du logement au ménage qui l’occupe. Malgré tout, définir le mal-logement reste complexe. Malgré le travail important effectué depuis des décennies tant par les chercheurs que par les acteurs de secteur, la qualification du mal-logement reste sujette à débat. Des situations les plus extrêmes touchant les publics les plus fragiles (sans-abrisme, exclusion sociale, …) à celles les plus répandues que sont la sur-occupation, des dépenses en logement trop élevées ou encore des difficultés de chauffage, les situations de mal-logement sont multiples et variées. De fait, la qualification et la quantification de l’impact de ces dernières est donc des plus complexes, d’autant plus que les données statistiques à la disposition du monde scientifique ne permettent pas d’analyser aisément l’ensemble des formes prises par le « mal-logement ».

En partenariat avec l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion (ONPES) et le Plan urbanisme construction architecture (PUCA), l’OFCE a tenté d’éclairer ces aspects à travers un rapport approchant le coût économique et social du mal-logement dont un article de la Revue de l’OFCE tente de condenser au mieux les résultats (Madec, 2016).

Une fois arrêtés les contours du concept de mal-logement et désignées les composantes de ce dernier dont les conséquences économiques et sociales sont susceptibles d’être chiffrées directement, celles pour lesquelles des travaux complémentaires devront être menés ont été identifiées en fonction de la connaissance et des données disponibles. De même, une identification des domaines impactés par le mal-logement a été réalisée, identification faisant suite à la présentation d’une typologie des composantes du mal-logement étudiées (sur-occupation, contrainte budgétaire dépassée, précarité énergétique, habitat dégradé) en distinguant celles dont le coût est directement mesurable, compte tenu des données et des travaux existants, de celles pour lesquelles il conviendrait de construire une information chiffrée ou d’engager des travaux complémentaires.

Une fois recensé l’ensemble des coûts directement imputables aux situations de mal-logement, pour la plupart inscrits au titre du programme 177 des lois de finances mais dont nous proposons d’élargir le dessin, nous tentons de quantifier l’impact des situations de mal-logement sur l’éducation, l’insertion dans l’emploi et la santé.

Les résultats montrent l’importance de l’environnement du foyer sur l’ensemble des champs d’étude retenus. En effet, les liens statistiques mis en évidence à travers notamment l’analyse économétrique employée concluent à un impact significatif des principales conditions de logement tant sur la réussite scolaire des élèves que sur la probabilité de retrouver un emploi ou celle de se déclarer en mauvaise santé. Ainsi, entre 8% et 10% du retard scolaire mesuré serait en partie expliqué par des conditions de logement dégradées (voir tableau).

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Concernant l’insertion dans l’emploi, les résultats obtenus mettent en évidence une corrélation importante entre logement et probabilité de retrouver un emploi. Enfin, la probabilité d’un individu à juger sa santé dégradée semble quant à elle fortement liée à la situation de logement de ce dernier puisqu’entre 16% et 30% de la perception de l’état de santé semble expliquée par le confort du logement.

La quantification, monétaire ou non, de ces impacts négatifs des conditions de logement, bien que fragiles compte tenu des données et de la méthode employée, permet d’apporter un éclairage nouveau sur les conséquences que peuvent avoir les conditions de logement sur les conditions de vie des ménages prises dans leur intégralité, et ce à court mais également à moyen/long terme.

Une fois ce constat établi, la question de la capacité des pouvoirs publics à éviter ces situations de mal-logement reste entière. Ce rapport propose en conclusion une méthodologie originale permettant, sous réserve de la mobilisation des données nécessaires, de mesurer ces coûts à travers un modèle de mobilité résidentielle faisant appel à la fois au parc de logement existant mais également à la construction neuve.

 




Augmenter les aides au logement : une fausse bonne idée ?

par Pierre Madec

Inscrite dans le projet de Loi de finances pour 2013, l’augmentation de 500 millions d’euros des aides personnelles au logement (APL, ALS et ALF[1]) a été adoptée par le Parlement et est entrée en vigueur au 1er Janvier 2013. Cette augmentation de 3 % porte le montant prévisionnel consacré aux aides personnelles au logement à 17,3 milliards d’euros pour l’année à venir.

Dans les faits, depuis 2007, les aides personnelles au logement sont indexées sur l’indice de référence des loyers (IRL). En 2012, ces dernières n’ont été revalorisées que de 1 % (au lieu de 1,9%) à la suite d’un amendement parlementaire au projet de Loi de finances pour 2012. Cette augmentation de 500 millions d’euros n’est donc que le retour à l’indexation prévue par la loi.

 

Principal poste budgétaire de la politique du logement, les aides à la personne sont perçues par 6,4 millions de ménages (CAF 2012) et constituent, compte tenu de leur ciblage sur les ménages modestes, l’une des prestations sociales les plus redistributives. De plus, leur impact sur le taux d’effort des ménages n’est plus à prouver[2]. Selon un récent rapport de l’IGAS (2012), elles permettent à elle seules de réduire de 35,8 % à 19,5 % (hors charges) le taux d’effort médian des allocataires et de faire baisser de 3 points leur taux de pauvreté[3].

Pour autant, cette efficacité s’effrite peu à peu. En 2012, 86,3 % des locataires du parc privé avaient un loyer supérieur aux plafonds définis par la loi. Cette dynamique est ancienne et est principalement due aux importantes hausses successives qu’ont connues les loyers du secteur libre depuis maintenant plus de 10 ans (+40 % depuis 2000). Hausses largement déconnectées de l’évolution de l’indice légal sur la période (inférieure à 25 %) et qui, au vu de la faiblesse des plafonds réglementaires de loyers, sont intégralement supportées par les locataires.

Depuis le 1er Août 2012 et l’entrée en vigueur du décret sur l’encadrement des loyers, la loi ne permet plus aux propriétaires-bailleurs, dans les zones les plus tendues[4], de faire évoluer leur loyer d’une proportion supérieure à l’IRL (sauf gros travaux ou sous évaluation manifeste)[5]. Cette mesure en faveur des locataires a pour principal objectif de contenir la progression du taux d’effort des ménages locataires du secteur libre. En 2010, le taux d’effort net médian (hors charges) des locataires du parc privé était de 26,9 % contre 22,8 % en 1996[6].

Pour autant, le décret n’exigeant pas de « blocage » des loyers, les ménages voient tout de même leur loyer et donc leur taux d’effort augmenter, leur revenu (et jusqu’à présent leurs aides) n’étant pas (plus) indexé(s) sur l’IRL.

L’augmentation de 3 % des aides au logement associée à la mesure d’encadrement permettra donc au mieux de ramener le taux d’effort des ménages allocataires à un niveau proche de celui de 2011.

Pour autant, la simple indexation suffira-t-elle à améliorer la situation très dégradée des ménages les plus fragiles ? Pour cela, il faudrait que la hausse des loyers soit inférieure à la hausse de l’indice légal ce qui, compte tenu des « effets secondaires » engendrés par les mesures d’encadrement et de hausse des allocations, est peu probable.

Pour ce qui est de l’encadrement, les propriétaires n’étant plus en capacité d’augmenter librement leur loyer lors de la relocation, et donc de rattraper à ce moment-là les prix du marché, ils seront fortement incités à appliquer à leurs loyers une augmentation annuelle égale à l’IRL et ce aussi bien en cours de bail que lors du renouvellement de bail[7]. De plus, concernant l’augmentation des aides personnelles au logement, de nombreuses études, théoriques et empiriques, menées tant en France (G. Fack, 2005 ; A. Laferrère et D. Le Blanc, 2002) qu’aux Etats-Unis (S. Susin, 2002) ou en Angleterre (S. Gibbons et A. Manning, 2006), ont montré l’important effet inflationniste d’une telle mesure sur les loyers. Bien que difficilement chiffrable, cet effet significatif semble agir à deux niveaux distincts. Les estimations suggèrent dans un premier temps qu’une grande partie (entre 50 et 80 % selon Fack) des allocations perçues par les bas revenus est absorbée par des augmentations de loyers. Dans un second temps, l’amélioration de la solvabilité des ménages les plus modestes (étudiants, …) augmente la demande sur le marché locatif et, compte tenu de la faible élasticité de l’offre de logement à court terme, contribue à l’effet inflationniste. On peut tout de même noter que cet effet peut être fortement atténué par une politique de construction ambitieuse, et donc une augmentation importante de l’offre locative, notamment sociale.

A partir de ces observations, deux enseignements peuvent être tirés de la mesure d’augmentation des aides au logement et de leur future ré-indexation sur l’indice de référence des loyers : d’une part cela permettra, associé à la mesure d’encadrement des loyers, de contenir le taux d’effort des ménages les plus modestes à un niveau proche de celui de 2011 ; d’autre part, cette mesure, coûteuse à moyen comme à long terme (l’indexation augmentera automatiquement, chaque année, de l’IRL le montant global des aides), ne permettra en aucun cas d’alléger significativement les dépenses en logements des allocataires les plus fragiles, et ce d’autant plus si cette augmentation, et l’indexation future, ne prennent pas en compte l’évolution des charges locatives.

Une fois ces résultats établis, une question se pose : que faire ? Différentes solutions s’offrent aux pouvoirs publics. La première est de considérer que le taux d’effort des ménages est (une fois cette ré-indexation effectuée) à un niveau supportable, que les loyers maintenant encadrés le sont aussi, et que l’Etat est en capacité de compenser chaque année, à hauteur de 300 millions d’euros[8], la hausse probable des loyers. Compte tenu d’une part des difficultés budgétaires que connaissent les finances publiques et d’autre part des taux d’effort subis par certains des ménages locataires les plus modestes, il est difficile de considérer cette solution comme optimale.

Dans le cas où la volonté du gouvernement est de faire baisser le taux d’effort des ménages modestes, nous avons montré que la simple indexation ne suffirait pas. Une fois de plus, on peut penser qu’au vu de la situation budgétaire, la hausse du budget global consacré aux aides à la personne ne constitue pas, à court terme, une réponse acceptable pour les pouvoirs publics. De même, un encadrement plus strict des loyers  (voire un « blocage » temporaire) serait perçu, à tort ou à raison, de manière très négative par les propriétaires-bailleurs.

Une solution réside donc dans un ciblage plus strict des aides. En effet, à enveloppe budgétaire constante, l’exclusion d’un certain nombre de bénéficiaires du système d’allocation (baisse des plafonds de ressources, modification du calcul de la participation personnelle, …) permettrait d’orienter  plus efficacement les aides vers les ménages les plus fragiles, qui subissaient, en 2010, un taux d’effort net médian de 33,6 %[9]. On peut ainsi penser que, pour les étudiants, un rapprochement des systèmes de bourses d’études et d’allocations logements pourrait être opéré. Actuellement, les seules ressources prises en compte dans le calcul de l’allocation sont celles du futur bénéficiaire. Cette politique à priori très égalitaire (elle rend tous les étudiants-locataires potentiellement indépendants de leurs parents) peut s’avérer assez critiquable. La prise en compte de l’appartenance ou non du bénéficiaire au foyer fiscal parental, comme c’est aujourd’hui le cas pour le système des bourses, pourrait permettre une répartition des aides plus juste socialement. De même, une différentiation des aides en fonction des zones géographiques, et donc des loyers pratiqués, pourrait être envisagée.

 


[1] L’APL désigne l’aide personnalisée au logement, l’ALS l’allocation de logement social et l’ALF l’allocation de logement familiale.

[2] Le taux d’effort est défini comme le rapport entre les dépenses en logement (loyers+charges) et le revenu du ménage. On parle de taux d’effort net lorsque l’on ajoute au revenu les aides au logement perçues.

[3] Cette réduction du taux de pauvreté peut être comparée à la diminution de 2 points engendrée par la perception de minima sociaux ou des autres prestations familiales perçues sans condition de ressources.

[4] C’est-à-dire les zones où l’offre de logement est la plus faible et donc les loyers et les taux d’effort des ménages les plus élevés.

[5] Voir S. Le Bayon, P. Madec et C. Rifflart, blog de l’OFCE, 2012

[6] Source Enquête Loyer et Charge, INSEE

[7] Voir S. Le Bayon, P. Madec et C. Rifflart, à paraître dans la Revue de l’OFCE, n°128, 2013.

[8] Hausse du montant global des aides au logement prévue pour 2014 si l’IRL est d’environ 1,7 % (estimation basse).

[9] Taux d’effort net médian en 2010 des locataires du secteur privé appartenant au 1er quartile de niveau de vie (source INSEE).