La BCE, ou comment devenir moins conventionnel

par Jérôme Creel et Paul Hubert

La situation économique morose de la zone euro, avec ses risques de déflation, amène les membres de la Banque centrale européenne (BCE) à réfléchir à de nouveaux assouplissements monétaires quantitatifs, comme en attestent les récentes déclarations des banquiers centraux allemand, slovaque et européen. De quoi pourrait-il s’agir et ces mesures pourraient-elles être efficaces pour relancer l’économie de la zone euro ?

Les assouplissements quantitatifs, bien souvent qualifiés de QE (pour Quantitative Easing), regroupent plusieurs types différents de politique monétaire non-conventionnelle. Pour les définir, il convient de commencer par caractériser la politique monétaire conventionnelle.

La politique monétaire conventionnelle consiste à modifier le taux d’intérêt directeur (celui des opérations dites de refinancement à moyen terme) par des opérations dites d’open-market pour influencer les conditions de financement. Ces opérations peuvent modifier la taille du bilan de la banque centrale, notamment par le biais de la création monétaire. Il y a donc là un écueil dans la distinction entre politiques conventionnelle et non-conventionnelle : l’augmentation de la taille du bilan de la banque centrale ne suffit pas pour caractériser une politique non conventionnelle.

A contrario, une politique d’assouplissement quantitatif, non-conventionnelle, donne lieu stricto sensu à une augmentation de la taille du bilan de la banque centrale, mais sans création monétaire immédiate supplémentaire : le supplément de liquidités fourni par la banque centrale aux banques commerciales sert à augmenter les réserves de celles-ci auprès de la banque centrale, à charge pour elles d’utiliser in fine ces réserves à l’acquisition ultérieure de titres ou à l’octroi de crédits. Ces réserves, qui sont des actifs sûrs des banques commerciales, permettent d’assainir leurs propres bilans : la proportion d’actifs risqués diminue, celle des actifs sûrs augmente.

Un autre type de politique monétaire non-conventionnelle, l’assouplissement qualitatif (ou Qualitative Easing), consiste à modifier la structure du bilan de la banque centrale, généralement côté actif, mais sans modifier la taille du bilan. Il peut s’agir pour la banque centrale d’acquérir des titres plus risqués (non triple A) au détriment de titres moins risqués (triple A). Ce faisant, la banque centrale atténue la part de risque au bilan des banques auprès desquelles elle a acquis ces titres risqués.

Un dernier type de politique monétaire non-conventionnelle consiste à mener à la fois une politique d’assouplissement quantitatif et qualitatif : c’est l’assouplissement du crédit (ou Credit Easing). La taille du bilan de la banque centrale et le risque induit augmentent de concert.

Parmi les politiques monétaires non-conventionnelles attribuées à la BCE, on cite souvent les opérations d’octroi de liquidités à long terme (3 ans) et à taux d’intérêt bas, entreprises en novembre 2011 et février 2012 et qualifiées d’opérations VLTRO (Very long term refinancing operation). S’agissait-il effectivement d’opérations non-conventionnelles de grande ampleur ? D’une part, ces opérations n’ont pas porté sur des montants de 1 000 milliards d’euros, mais sur des montants nets plus proches de 500 milliards d’euros, ce qui n’est pas négligeable, après corrections des remboursements des banques auprès de la BCE. D’autre part, les opérations de LTRO font partie de l’arsenal conventionnel de politique de la BCE. Enfin, ces opérations auraient été en partie stérilisées : les crédits octroyés par la BCE aux banques commerciales auraient été compensés par des ventes de titres par la BCE, modifiant ainsi la structure de l’actif de la BCE. On peut donc conclure que les opérations de VLTRO ont été, pour partie, « conventionnelles » et, pour partie, « non-conventionnelles ».

Il en va différemment du mécanisme de Securities Market Programme qui a consisté, de la part de la BCE, à acquérir sur les marchés secondaires des titres de dette publique pendant la crise des dettes souveraines. Ce mécanisme a conduit à augmenter la taille du bilan de la BCE, mais aussi le risque induit : cette politique d’assouplissement du crédit a bel et bien été une politique non-conventionnelle.

Compte tenu des différentes définitions existantes à propos de ces politiques non-conventionnelles, il est utile de rappeler que la BCE communique expressément sur les montants qu’elle a consentis dans le cadre qu’elle a défini comme étant caractéristique de ses politiques non-conventionnelles (Securities held for monetary policy purposes). Ces montants sont représentés dans le graphique ci-après. Ils témoignent de la fréquence et de l’ampleur des activités monétaires que la BCE définit donc elle-même de non-conventionnelles.

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Les 3 différentes mesures représentées sur ce graphique (taille du bilan de la BCE, montant des LTRO et montant des Securities held for monetary policy purposes) sont exprimées en milliards d’euros. Les deux premières ont connu une hausse au 4e trimestre 2008 après la faillite de Lehman Brothers tandis que la troisième mesure de politique non-conventionnelle n’a commencé qu’en juin 2009. On remarque ensuite une nouvelle vague conjointe d’approfondissement de ces mesures lors de la fin d’année 2011. A la suite de cet épisode, le montant des opérations de LTRO était égal à 1 090 milliards d’euros et représentait environ 10 % du PIB de la zone euro (9 400 Mds€), soit un tiers environ du bilan de la BCE, tandis que le montant des Securities held for monetary policy purposes n’était que de 280 milliards d’euros, soit 3 % du PIB de la zone euro, et environ 4 fois moins que les opérations de LTRO. Il est intéressant de noter que la politique monétaire de la BCE, qui dépend de la demande de liquidités des banques, s’est modifiée en 2013. On peut interpréter la réduction de la taille du bilan comme le signe d’une politique moins expansionniste ou comme une baisse de la demande de liquidités en provenance des banques. Dans le premier cas, il s’avèrerait que cette stratégie de sortie des politiques d’assouplissement monétaire était sans doute trop précoce au regard de la conjoncture européenne, d’où le recours évoqué récemment à de nouvelles mesures non-conventionnelles.

Jusque-là, ces mesures ont été introduites officiellement afin de restaurer les canaux de transmission de la politique monétaire de la BCE à l’économie réelle, canaux qui dans certains pays de la zone euro ont été brouillés par la crise financière et de la zone euro. Le moyen de restaurer ces canaux a consisté à injecter des liquidités dans l’économie et à augmenter les réserves du secteur bancaire afin d’inciter les banques à accorder à nouveau des prêts. Un autre objectif de ces politiques est d’envoyer un signal aux investisseurs sur la capacité de la banque centrale à assurer la stabilité et la pérennité de la zone euro, matérialisé par le célèbre « whatever it takes »[1] prononcé par Mario Draphi le 26 juillet 2012.

Dans un récent document de travail avec Mathilde Viennot, nous nous penchons sur l’efficacité des politiques conventionnelles et non-conventionnelles pendant la crise financière. Nous estimons les effets de l’instrument conventionnel et des achats de titres dans le cadre des politiques non-conventionnelles de la BCE (Securities held for monetary policy purposes) sur les taux d’intérêt et volumes de nouveaux crédits consentis sur différents marchés : prêts aux entreprises non-financières, aux ménages, marché des dettes souveraines, marché monétaire et celui des dépôts.

Nous montrons que les politiques non-conventionnelles ont permis de réduire les taux d’intérêt sur le marché monétaire, celui des titres souverains et des prêts aux entreprises non-financières. Ces politiques n’ont cependant pas eu d’effets sur les volumes de prêts accordés. Dans le même temps, il s’avère que l’instrument conventionnel, dont l’inefficacité a été l’une des justifications à la mise en place des mesures non-conventionnelles, a eu l’effet attendu sur quasiment tous les marchés étudiés, et d’autant plus dans les pays du Sud de la zone euro que dans ceux du Nord sur le marché des titres souverains à 6 mois et des prêts immobiliers aux ménages.

Il semble donc que les politiques non-conventionnelles ont eu des effets directs sur le marché des titres souverains et des effets indirects, en permettant de restaurer l’efficacité de l’instrument conventionnel sur les autres marchés. Une des raisons permettant d’expliquer le faible impact des deux instruments sur les volumes de prêts accordés tient à la nécessité pour les banques commerciales[2] de se désendetter et de réduire la taille de leur bilan en ajustant leur portefeuille d’actifs pondérés des risques, ce qui les a poussées à accroître leurs réserves plutôt que d’assurer leur rôle d’intermédiation et à réclamer une rémunération relativement plus élevée pour chaque exposition consentie. Ces comportements, bien que légitimes, nuisent à la transmission de la politique monétaire : les taux baissent mais le crédit ne repart pas. Il semble dès lors important que la politique monétaire ne repose pas exclusivement sur le secteur bancaire. Si une nouvelle vague d’opérations non-conventionnelles devait être entreprise, il faudrait qu’elle soit concentrée directement sur l’acquisition de titres souverains ou d’entreprises privées afin de contourner le secteur bancaire. Grâce à ce contournement, on assisterait certainement à des effets d’amplification de la transmission de la politique monétaire à l’économie réelle. Et ce serait bienvenu pour échapper au risque de déflation dans la zone euro.[3]

 


[1] « La BCE mettra en œuvre tout ce qu’il faudra pour préserver l’euro. Et croyez-moi, ce sera suffisant. »

[2] Le raisonnement du désendettement s’applique aussi à leurs clients : les agents non-financiers.

[3] Voir le post de Christophe Blot et le récent rapport du CAE par Agnès Bénassy-Quéré, Pierre-Olivier Gourinchas, Philippe Martin et Guillaume Plantin sur ce sujet.




Banques centrales et dette publique : les liaisons dangereuses ?

par Christophe Blot

Depuis 2008, la politique monétaire est en première ligne pour préserver la stabilité financière et tenter d’endiguer la crise économique. La Grande Récession ne fut pas évitée mais les leçons de la crise des années 1930 ont été retenues. Les banques centrales ont en effet rapidement baissé les taux d’intérêt de court terme, qui sont maintenus à un niveau proche de zéro, et développé de nouveaux instruments de politique monétaire. Ces mesures, dites non conventionnelles, ont conduit à une augmentation de la taille des bilans, qui dépasse 20 % du PIB aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou dans la zone euro et 45 % au Japon. Parmi l’éventail des mesures utilisées, les banques centrales ont recouru à des achats de titres de dette publique. L’objectif était de faire baisser les taux d’intérêt à long terme, soit en signalant que la politique monétaire resterait expansionniste pour une période prolongée, soit en modifiant la composition des portefeuilles d’actifs détenus par les agents privés. Or la Réserve fédérale a récemment annoncé qu’elle allait réduire progressivement ses interventions (voir ici), ce qui pourrait provoquer une remontée rapide des taux d’intérêt comme celle observée en mai 2013 (graphique 1) lors de la précédente annonce de ce type. Dans un contexte où les dettes publiques sont élevées, la dynamique des taux d’intérêt est essentielle. Les banques centrales doivent tenir compte des interactions renforcées entre politique monétaire et budgétaire en coordonnant leurs décisions avec celles prises par les gouvernements.

En temps normal[1], politiques monétaire et budgétaire poursuivent des objectifs communs, au premier rang desquels figure la stabilité macroéconomique. Il existe donc des interactions entre les décisions prises par les deux autorités. Ainsi, un durcissement de la politique monétaire, via une hausse du taux d’intérêt directeur, peut contrecarrer une expansion budgétaire et inversement. La coordination des politiques économiques est nécessaire afin de garantir le meilleur équilibre macroéconomique. Avec la mise en œuvre des mesures non conventionnelles de politique monétaire, ces interactions sont renforcées. L’adoption de mesures non conventionnelles a conduit les banques centrales à acheter des titres de dette publique, si bien qu’à l’exception de la BCE, elles détiennent une part significative de l’encours de dette (graphique 2). Ce faisant leurs opérations interfèrent avec la gestion de la dette généralement dévolue au Trésor. Le lien entre politique monétaire et gestion de la dette n’est pas inédit. Même s’il s’était effacé puisque les banques centrales sont devenues des institutions indépendantes poursuivant un objectif principal de stabilité des prix qu’elles cherchent à atteindre uniquement en modifiant le taux d’intérêt directeur. Goodhart[2] (2010) précise cependant que ce rôle leur fut historiquement dévolu. Or les objectifs de la banque centrale et de l’agence chargée d’émettre la dette publique peuvent être contradictoires (Blommestein et Turner[3], 2012) puisque le Trésor cherche à minimiser le coût du service de la dette, sans tenir compte de l’impact macroéconomique de ses décisions. Deux interactions supplémentaires peuvent émerger. D’une part, le gouvernement peut contrecarrer partiellement l’action de la banque centrale sur les taux longs en cherchant à tirer profit de leur baisse via des émissions supplémentaires sur les maturités ciblées par les opérations monétaires. Le surplus de demande est alors partiellement absorbé par un surcroît d’offre sur une échéance donnée. C’est ce qui s’est passé aux Etats-Unis puisque la maturité moyenne de la dette est passée de 48,5 mois en octobre 2008 à 64 mois en mai 2012. Les travaux récents de Chadha, Turner et Zampolli[4] (2013) suggèrent que cette politique de gestion de la maturité de l’offre de dette publique a un impact significatif sur les taux d’intérêt. Les minutes de la réunion du Trésor américain du 2 novembre 2010 témoignent de ce conflit d’objectifs potentiel : « Les membres du Comité soulignent que la Réserve fédérale et le Trésor sont des institutions indépendantes, avec des mandats différents qui peuvent parfois être en conflit. Les membres conviennent que le Trésor doit respecter son mandat d’assurer le plus faible coût d’emprunt (…). Quelques membres notent que la Réserve fédérale est un investisseur important en obligations du Trésor et que ce comportement est probablement transitoire. En conséquence, le Trésor ne devrait pas modifier son calendrier d’émissions pour s’adapter au comportent d’un seul investisseur ».

D’autre part, la réduction du portefeuille de titres publics détenus par la banque centrale devrait entraîner une hausse des taux longs. C’est en tout cas ce que suggère une partie de la littérature récente sur l’effet des politiques monétaires non conventionnelles. La dynamique des taux d’intérêt obligataires observée en mai 2013 (graphique 1) lorsque les marchés ont anticipé[5] pour la première fois un recul progressif des achats de la Réserve fédérale montre que la hausse peut être rapide et provoquer une forte volatilité sur les marchés financiers. L’explication de cette hausse pourrait avoir été liée à la fin ou au débouclage d’opérations d’arbitrages réalisées par des investisseurs qui ont profité des faibles taux d’intérêt à long terme dans les pays industrialisés pour s’endetter et chercher des placements plus rémunérateurs sur d’autres marchés, et notamment les marchés émergents. Les conséquences d’un tel scénario doivent être prises en compte par les banques centrales. Si la conduite de la politique monétaire passe par une réduction des interventions des banques centrales, il faut tenir compte de l’impact de ce retrait sur le service de la dette. Malgré le processus de réduction de la dette publique, les besoins de financement des gouvernements seront élevés et un surcoût du refinancement lié à une hausse des taux d’intérêt pourrait conduire les Etats à amplifier la consolidation, ce qui aurait alors des effets néfastes sur l’activité économique. Inversement, le maintien de faibles taux d’intérêt peut largement contribuer à faciliter l’ajustement budgétaire, en permettant un refinancement à faible coût et en apportant un stimulus à l’économie, qui atténue l’impact récessif des ajustements budgétaires.

La nature de ces interactions, le contexte macroéconomique marqué par l’importance des dettes publiques et les risques d’instabilité financière rendent donc indispensable la coordination entre politiques monétaire et budgétaire. La citation de James Tobin reprise par Turner[6] (2011) illustre parfaitement cette nécessité dans le cas des Etats-Unis : « La Réserve fédérale ne peut pas prendre de décisions rationnelles de politique monétaire sans savoir quel type de dette le Trésor a l’intention d’émettre. Le Trésor ne peut pas rationnellement déterminer la structure des échéances de la dette portant intérêt, sans savoir combien de dettes la Réserve fédérale a l’intention de monétiser ».

Dans le cas européen, cette question semble être de second ordre puisque le portefeuille d’actifs de la BCE est peu important (graphique 2). Même en observant que le portefeuille est concentré sur les titres obligataires émis par quelques pays (italiens, espagnols, portugais, grecs et irlandais), dont la dette publique représente 42 % de celle de la zone euro, l’encours de dette détenu par la BCE est porté à 5 % en considérant uniquement les pays en crise. Ainsi, nous pouvons regretter que la BCE n’ait pas mené une politique monétaire plus active, qui aurait justement permis de baisser significativement et plus uniformément les taux d’intérêt dans l’ensemble des pays de la zone euro, afin de réduire le besoin de consolidation et d’en atténuer les effets négatifs.

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[1] L’expression « en temps normal » fait ici référence au fait que la conduite de la politique monétaire se caractérise habituellement par les décisions prises par les banques centrales sur le taux directeur qui est un taux d’intérêt de court terme. Pendant la crise, les banques centrales ont fixé ce taux directeur à un niveau plancher proche de zéro (Zero lower bound) et elles ont donc eu recours à de nouvelles mesures pour renforcer le caractère expansionniste de la politique monétaire.

[2] Voir « The changing role of central banks », BIS Working Paper n°326, novembre.

[3] Voir « Interactions between sovereign debt management and monetary policy under fiscal dominance and financial instability », OECD Working Paper n°3.

[4] Voir « The interest rate effects of government debt maturity », BIS Working Paper n°415, juin.

[5] Ces anticipations ont d’abord été alimentées par l’amélioration de la situation de l’emploi aux Etats-Unis puis par la déclaration de Ben Bernanke confirmant un possible retrait de la Réserve fédérale. Ces éléments sont décrits plus en détail par la BRI dans sa revue trimestrielle de septembre 2013.

[6] Voir « Fiscal dominance and the long-term interest rate », 2011, Financial markets group special paper series 199, mai.




Pas de surprise du côté de la Fed*

par Christine Rifflart

Sans grande surprise, lors de sa réunion des 29 et 30 octobre, le Comité de politique monétaire de la Réserve fédérale des Etats-Unis a décidé de maintenir ses mesures non conventionnelles et de laisser inchangé son taux des fonds fédéraux. Depuis la fin de l’année 2012, la Réserve fédérale procède en effet à des achats massifs de titres (obligations publiques et titres de dette hypothécaire) au rythme de 85 milliards de dollars par mois. L’objectif est de faire pression sur les taux longs et soutenir l’activité, y compris sur le marché immobilier.

Par ailleurs, la Réserve fédérale, engagée dans une stratégie de transparence et de communication qui vise à ancrer les anticipations des investisseurs, n’a fait que confirmer le maintien du taux entre 0 et 0,25 % aussi longtemps que le taux de chômage sera supérieur à 6,5 %, que l’inflation anticipée à l’horizon d’ 1 à 2 ans ne sera pas supérieure d’un demi-point à l’objectif d’inflation de long terme, fixé à 2 %, et que les anticipations d’inflation de long terme resteront stables. Selon nos prévisions d’octobre (voir Etats-Unis : la croissance plafonnée), le taux de chômage, de 7,2 % en septembre pourrait atteindre 6,9 % fin 2014. Enfin, l’inflation, à 1,5 % au troisième trimestre 2013, ne dépasserait pas 1,8 % en 2014. Dans ces conditions, aucune hausse n’est attendue avant le deuxième semestre 2015. La politique restera donc particulièrement accommodante.

Les incertitudes portaient davantage sur le retrait effectif des mesures non conventionnelles qui maintiennent les taux longs à des niveaux artificiellement bas. Annoncé en mai dernier, l’arrêt ou la réduction de ces mesures est attendu par les marchés, ces mesures n’ayant pas vocation à durer. Entre mai et septembre 2013, les investisseurs privés ou publics étrangers avaient anticipé le début du retrait et s’étaient défaussés d’une partie de leurs titres. Cet afflux de titres avait fait chuter les prix et entraîné une hausse d’un point des taux longs publics en quelques semaines. Mais la fragilité de la croissance, l’insuffisance des créations d’emploi et surtout l’exercice de communication dans lequel se sont lancées les Banques centrales pour rassurer les marchés financiers ont éloigné au fil des mois, la date d’application de ce retrait des achats. Les taux longs ont à nouveau baissé, et encore plus ces dernières semaines après la crise budgétaire d’octobre.

Si, rétrospectivement, il apparaît que l’anticipation d’un retrait des mesures non conventionnelles était prématurée, il n’en demeure pas moins que la question du timing se pose. Dans son communiqué, le Comité précise que la décision dépendra des perspectives économiques tout autant que de l’évaluation coût / bénéfice du programme. Or, le paysage économique ne devrait pas s’améliorer dans les prochains mois. Si le Congrès parvient à un accord budgétaire avant le 13 décembre, celui-ci se fera assurément sur la base de coupes dans les dépenses publiques. Ce nouveau choc budgétaire viendra freiner encore la croissance et pénaliser davantage le marché du travail. L’émission de nouveaux titres de dette, contrainte en 2013 par le plafond légal de la dette, progresserait alors très lentement en 2014 du fait des ajustements budgétaires. Face à cette modération de l’offre de titres, la Réserve fédérale pourrait réduire ses achats au profit des autres investisseurs. L’équilibre sur le marché des titres pourrait alors être maintenu sans baisse brutale du prix des actifs.

Cette normalisation des instruments de politique monétaire ne devrait pas tarder. Mais elle n’est pas sans risque car une brusque hausse des taux longs n’est pas exclue. Les marchés sont volatiles et l’épisode des mois de mai et juin l’a rappelé. Mais une grande partie du mouvement est déjà intégré par les marchés. La Réserve fédérale devra donc amplifier sa stratégie de communication (en annonçant à l’avance par exemple la date et l’ampleur du retrait) si elle veut réussir le difficile exercice d’équilibriste de maintien d’une politique monétaire très accommodante tout en levant progressivement ses mesures exceptionnelles de bas taux d’intérêt. On fait l’hypothèse que l’exercice sera réussi. Les taux longs publics de 2,7 % au troisième trimestre 2013, ne devraient pas dépasser 3,5 % à la fin de 2014.

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*Ce texte s’appuie sur l’étude « Politique monétaire : est ce le début de la fin ? » à paraitre prochainement dans les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie mondiale.