De l’austérité à la stagnation

Par Xavier Timbeau

Depuis 2010, la Commission européenne publie chaque année une « revue annuelle de la croissance », Annual Growth Survey en anglais, pour alimenter le semestre européen pendant lequel les gouvernements et les parlements des Etats membres, la Commission, la société civile doivent discuter et élaborer les stratégies économiques des différents pays européens. Il nous a paru important de participer à ce débat en publiant au même moment que la Commission une revue indépendante annuelle de croissance (indepedent Annual Growth Survey ou iAGS) en collaboration avec l’IMK, institut allemand et l’ECLM, institut danois. Ainsi, dans l’iAGS 2014, nous évaluons le coût de l’austérité menée depuis 2011. Menée alors que les multiplicateurs budgétaires étaient très élevés, d’une ampleur sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, cette politique d’austérité a été suivie simultanément par la plupart des pays de la zone euro. Il en a résulté un PIB amputé de 3,2% en zone euro pour 2013. Une stratégie alternative, aboutissant aux mêmes ratios de dette sur PIB dans 20 ans (soit 60% dans la plupart des pays) aurait été possible en ne cherchant pas à réduire les déficits publics à court terme, lorsque les multiplicateurs sont élevés. La baisse du chômage, le rétablissement des bilans des agents ou encore la sortie de la trappe à liquidité sont les conditions pour que les multiplicateurs budgétaires soient à nouveau bas. Un ajustement réduit mais continu, stratégie tout aussi rigoureuse sur le plan budgétaire mais plus adaptée à la situation économique, aurait permis de bénéficier de 2,3% points de PIB en plus en 2013, soit bien plus que dans la situation d’austérité brutale dans laquelle nous sommes. Ainsi, il n’y aurait pas eu de récession en 2012 ou en 2013 pour la zone euro dans son ensemble (voir le graphique ci-dessous : PIB en millions d’euros).   IMG_Post-9-12 Il est souvent avancé que la situation des finances publiques des pays de la zone euro ne laissait pas de choix. En particulier, la pression des marchés a été telle que certains pays ont craint, comme la Grèce par exemple, de perdre l’accès aux financements privés de leur dette publique. Les montants en jeu et une situation de déficit primaire sont avancés pour justifier cette stratégie brutale afin de convaincre à la fois les marchés et les partenaires européens. Pourtant, la crise des dettes souveraines, et donc la pression des marchés, s’est achevée dès lors que la Banque centrale européenne a annoncé qu’aucun pays ne quitterait l’euro, puis a mis en place un instrument, l’OMT (Outright Monetary Transaction) qui permet, sous condition, de racheter des titres de dette publique des pays de la zone euro et donc d’intervenir pour contrer la défiance des marchés (voir une analyse ici). Dès lors, ce qui compte, c’est la soutenabilité de la dette publique à moyen terme et non plus la démonstration dans l’urgence que l’on peut faire accepter n’importe quelle politique aux populations. Or cette soutenabilité nécessite une politique d’ajustement continu (parce que les déficits sont élevés) et modéré (parce que les politiques budgétaires ont un impact majeur sur l’activité). En choisissant la voie dure de l’austérité, nous avons payé le prix fort de l’incohérence institutionnelle de la zone euro que la crise a révélée. Dans l’iAGS 2014, nous pointons d’autres coûts que la perte d’activité due à cette austérité. D’une part, les inégalités augmentent et la pauvreté ancrée, c’est-à-dire mesurée à partir des revenus médians de 2008, s’accroît de façon considérable dans les pays les plus touchés par la récession. Le niveau élevé du chômage entraîne certains pays (l’Espagne, le Portugal et la Grèce) dans la déflation salariale. Cette déflation salariale se traduira par des gains de compétitivité-coût mais, en retour, conduira leurs partenaires à s’engager aussi sur la voie de la déflation salariale ou de la dévaluation fiscale. Au total, l’ajustement des taux de change effectifs ne se produira pas, ou à un rythme si lent que ce sont les effets de la déflation qui domineront, d’autant que l’appréciation de l’euro ruinera les espoirs d’une compétitivité accrue par rapport au reste du monde. L’effet principal de la déflation salariale sera un alourdissement réel (ou rapporté au revenu) de la dette privée et publique. Cela remettra au centre de l’actualité les défauts massifs, publics comme privés, ainsi que les risques d’éclatement de la zone euro. Pour autant, on peut sortir du piège de la déflation. Des pistes sont développées et chiffrées dans l’iAGS 2014. En réduisant les écarts de taux souverains, on peut donner une marge de manœuvre importante aux pays en crise. La continuation de l’action de la BCE, mais aussi un engagement crédible des Etats membres pour stabiliser leurs finances publiques en sont les leviers. L’investissement public a été réduit de plus de 2 points de PIB potentiel depuis 2007. Ré-investir dans le futur est une nécessité, d’autant que les infrastructures non entretenues coûteront très cher à reconstruire si on les laisse s’effondrer. Mais c’est aussi un moyen de stimuler l’activité sans compromettre la discipline budgétaire, puisque celle-ci doit être appréciée non pas par l’évolution de la dette brute mais par celle de la dette nette. Enfin, le salaire minimum doit être utilisé comme instrument de coordination. Nos simulations montrent qu’il y a là un moyen de freiner les processus déflationnistes et de résorber les déséquilibres courants si les pays en excédent s’engagent à ce que leur salaire minimum augmente plus vite en termes réel que leur productivité et qu’au contraire dans les pays en déficit, le salaire minimum augmente moins vite que la productivité. Une telle règle, qui respecterait à la fois les pratiques nationales en matière de négociation salariale, ainsi que les niveaux de productivité ou les spécificités des marchés du travail, permettrait de réduire graduellement les déséquilibres macroéconomiques de la zone euro.




Quand l’OCDE persiste dans l’erreur…

Par Henri Sterdyniak

L’OCDE vient de publier une note de politique économique : « Choosing fiscal consolidation compatible with growth and equity » (choisir les instruments d’assainissement budgétaire compatibles avec la croissance et l’équité[1]). Deux raisons nous amènent à nous intéresser à cette note. L’OCDE la juge importante puisqu’elle la promeut avec insistance ; ainsi son économiste en chef est-il venu la présenter au Commissariat à la Stratégie et à la Prospective. Le sujet nous interpelle : peut-on vraiment avoir une politique d’austérité budgétaire qui impulse la croissance et réduit les inégalités ? L’exemple récent semble montrer le contraire. La zone euro connaît une croissance nulle depuis qu’elle s’est lancée dans une politique d’austérité. Une étude soigneuse du FMI[2] écrit : « les assainissements budgétaires ont eu des effets redistributifs en augmentant les inégalités, en réduisant la part des salaires et en augmentant le chômage de long terme ». Existerait-il donc une politique d’austérité miracle qui éviterait ces deux défauts ?

1)      Quels objectifs pour la politique budgétaire ?

Selon les auteurs de l’étude de l’OCDE, l’objectif de la politique budgétaire doit être de ramener à l’horizon 2060 la dette publique à un niveau « prudent », défini par souci de simplicité, nous dit-on, comme 60 % du PIB. Tous les pays membres de l’OCDE doivent tendre vers cet objectif et mettre en place dès maintenant les ajustements nécessaires.

Mais, un objectif de 60% est totalement arbitraire. Pourquoi pas 50 ou 80 % ? De plus, c’est  un objectif en termes de dette brute (au sens de l’OCDE) et non de dette au sens de Maastricht. Or la différence n’est pas minime (fin 2012, pour la France, 110 % du PIB au lieu de 91 %).

L’OCDE ne cherche pas à comprendre pourquoi une large majorité des pays membres de l’organisation (20 sur 31, dont tous les grands pays) ont une dette publique qui dépasse largement 60 % du PIB (tableau 1). Peut-on penser que tous ces pays sont mal gérés ? Ce niveau important de dette publique s’accompagne de taux d’intérêt très faibles, nettement inférieurs, en termes réel, à la croissance potentielle. En 2012, par exemple, les Etats-Unis se sont endettés, en moyenne, à 1,8 % ; le Japon à 0,8 % , l’Allemagne à 1,5 %, la France à 2,5 %. On ne peut estimer que ce niveau de dette génère des déséquilibres, qu’il est responsable de taux d’intérêt trop élevés qui brideraient l’investissement. Au contraire, les dettes actuelles semblent nécessaires à l’équilibre macroéconomique.

Proposons trois explications non exclusives à l’augmentation des dettes publiques. Supposons que les entreprises, à la suite de la financiarisation de l’économie, exigent des taux de profit plus élevés, mais qu’en même temps, elles investissent moins dans les pays développés, préférant distribuer des dividendes ou investir dans les pays émergents. Supposons que la mondialisation augmente les inégalités de revenus[3] au profit des plus riches qui épargnent davantage, au détriment des classes populaires qui consomment la quasi-totalité de leurs revenus. Supposons que, dans de nombreux pays, les populations vieillissantes augmentent leur taux d’épargne. Dans les trois cas apparaît un déficit de demande, qui doit être compensé par de la dette privée ou publique. Or, depuis la crise de 2007-2008, les agents privés se désendettent. Il a donc fallu augmenter la dette publique pour soutenir la demande, les taux d’intérêt étant déjà au niveau le plus bas possible. Autrement dit, on ne pourra véritablement réduire les dettes publiques sans s’attaquer aux causes de leur croissance, à savoir la déformation du partage de la valeur au profit du capital, la croissance des inégalités de revenu et la financiarisation débridée.

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Selon l’OCDE, des dettes publiques brutes de l’ordre de 100 % du PIB, comme actuellement, posent des problèmes de fragilité des finances publiques, des risques d’instabilité financière. En fait, l’économie peut être prise dans un piège : les ménages (compte-tenu des inégalités de revenu, du vieillissement, de leur méfiance justifiée des marchés financiers) désirent implicitement détenir 100 % du PIB en dette publique (le seul actif financier sans risque), les taux d’intérêt sont déjà quasiment nuls, les marchés financiers se méfient d’un pays dont la dette dépasse 60 % du PIB. On ne peut sortir de ce piège en réduisant les déficits publics car ceci réduit l’activité sans faire baisser les taux d’intérêt ; il faut réduire l’épargne privée et pratiquer une politique financière à la japonaise : la banque centrale garantit les dettes publiques, celles-ci sont détenues par les ménages et le taux de rémunération est bas et contrôlé.

Ainsi, nous ne pouvons que regretter que l’OCDE n’ait pas fait une analyse sérieuse de la cause du gonflement des déficits publics.

2)      Réduire les déficits primaires structurels

L’OCDE recommande à tous les pays de se lancer dans de vastes programmes de réduction de leurs déficits structurels primaires. Pour cela, il faut d’abord évaluer ces déficits primaires structurels. Or, les estimations de l’OCDE reposent sur une hypothèse bien spécifique, à savoir que la majeure partie de la perte de production due à la crise ne pourra jamais être rattrapée. C’est-à-dire que, pour l’ensemble de l’OCDE, 4,6 points de PIB potentiel sont perdus à tout jamais sur les 6,9 points d’écart en 2012 entre le PIB et la tendance d’avant la crise. Aussi, l’OCDE estime-t-elle que le solde primaire structurel de beaucoup de pays est négatif en 2012 alors qu’il serait positif si la perte de production était rattrapable. Pour la France, l’OCDE estime le solde structurel primaire à -1,3 % du PIB alors que ce solde serait de 0,5 % si la perte due à la crise était rattrapable. Seuls les Etats-Unis et le Japon conserveraient un déficit structurel primaire sous « hypothèse de rattrapage ».

Supposons que les taux longs restent en dessous du taux de croissance de l’économie et qu’il n’est pas nécessaire de réduire les ratios de dette publique. Alors l’équilibre du solde primaire structurel suffit à stabiliser la dette publique. Seuls deux pays auraient des efforts budgétaires à faire : le Japon (pour 6,7 points de PIB) et les Etats-Unis (pour 2 points). Les autres pays doivent avant tout se préoccuper de retrouver un niveau satisfaisant de production.

Cependant l’OCDE fait l’hypothèse que les pays souffriront à jamais du choc induit par la crise, qu’il faut impérativement réduire les dettes à 60 % du PIB, que les taux longs seront supérieurs (d’environ 2 points) au taux de croissance de l’économie dans un futur très proche, que les dépenses publiques de santé continueront d’augmenter. Elle aboutit alors à la conclusion que la plupart des pays doivent immédiatement s’engager dans une politique fortement restrictive, qui représenterait 4,7 points de PIB pour la France, 7,7 points pour Les Etats-Unis, 9,2 points pour le Royaume-Uni, etc.

Le problème est que l’étude de l’OCDE suppose que ces politiques restrictives n’auront aucun impact sur le niveau d’activité ou, du moins, que l’impact sera temporaire de sorte qu’il peut être négligé dans une étude structurelle de long terme. Ceci repose sur une idée fausse, bien que largement répandue : il existerait un équilibre de long-terme de l’économie qui ne serait pas affecté par les chocs de court/moyen terme. Mais cela n’a aucun sens. Les économies réelles peuvent bifurquer, connaître des périodes de dépression prolongée et cumulative. Peut-on imaginer un long terme de l’économie grecque non affecté par la situation actuelle de la Grèce ? Le choc qu’induirait la stratégie préconisée par l’OCDE serait une longue période de stagnation en Europe, au Japon et aux Etats-Unis ; l’effet dépressif ne serait pas compensé par une baisse des taux d’intérêt, déjà au plus bas ; une politique de restriction budgétaire de 6 % du PIB de l’OCDE se traduirait par une baisse du PIB de 7,2 %[4] ; la baisse de l’activité serait telle que les ratios de dette augmenteraient à court terme (voir encadré in fine). Croire que, par la suite, l’économie reviendrait sur sa trajectoire de long terme relève de la pensée magique. L’OCDE ne fournit aucune évaluation, réalisée avec un modèle macroéconomique, de l’effet d’une telle politique.

Nous ne pouvons que nous étonner que l’OCDE continue à préconiser des politiques d’austérité, dont les années 2012-2013 ont montré les effets nocifs sur la croissance et négligeables sur le niveau des dettes publiques au lieu de préconiser une politique de relance, dont le contenu certes peut être discuté, mais qui serait plus porteur pour les économies occidentales.

3)      Choisir les bons instruments

L’essentiel de l’étude de l’OCDE est cependant consacré à la recherche des instruments de politique budgétaire les plus efficaces pour réussir l’assainissement budgétaire.

Sur la base de travaux antérieurs, l’OCDE attribue à chaque instrument un impact sur la croissance, l’équité et le solde extérieur (tableau 2). Dans certains cas, l’organisation a heureusement découvert que certaines dépenses publiques étaient utiles à la croissance comme à l’équité : c’est le cas des dépenses d’éducation, de santé, de prestations familiales et d’investissement public. Celles-ci devront donc être protégées au maximum. Toutefois, l’OCDE ne va pas jusqu’à imaginer qu’elles puissent être accrues dans certains pays où elles sont aujourd’hui particulièrement faibles. Dans d’autres cas, l’OCDE reste fidèle à sa doctrine libérale : ainsi, elle considère que les dépenses de retraite sont nuisibles à la croissance à long terme (puisque leur baisse inciterait les seniors à rester en emploi, ce qui augmenterait la production) et ne sont pas favorables à l’équité. On pourrait soutenir l’inverse : la baisse des dépenses publiques de retraite frapperait les salariés les plus pauvres ; ceux-ci vivraient dans la pauvreté durant leur période de retraite ; les plus riches épargneraient sur les marchés financiers, ce qui augmenterait leur importance et donc l’instabilité financière. De même, pour l’OCDE, les prestations d’invalidité ou de chômage nuisent à l’emploi, donc à la croissance. Par ailleurs, les subventions seraient nuisibles à la croissance à long terme, puisqu’elles écarteraient de l’équilibre concurrentiel, donc de l’efficacité, mais l’OCDE met toutes les subventions dans le même sac : le crédit impôt-recherche, la prime pour l’emploi, la politique agricole commune alors qu’une analyse fine serait nécessaire. D’ailleurs, la théorie économique, orthodoxe elle-même, reconnaît la légitimité de l’action publique quand le marché est défaillant. L’OCDE juge néfastes les cotisations sociales alors qu’il est légitime que les systèmes publics de retraite par répartition soient ainsi financés. Elle estime que l’impôt sur le revenu nuit à la croissance à long terme, en décourageant les personnes de travailler : ce n’est pas ce que l’on constate dans les pays scandinaves.

Finalement, le classement obtenu (tableau 2) n’est que partiellement satisfaisant. L’OCDE met en garde contre la baisse de certaines dépenses publiques (santé, éducation, investissement, famille), préconise parfois la hausse des taxes sur le capital, de l’impôt sur les sociétés et sur le revenu, des taxes écologiques. Mais elle préconise en même temps la baisse des retraites et de l’assurance-chômage ainsi que la diminution des subventions.

L’OCDE cherche à prendre en compte l’hétérogénéité des préférences nationales. Mais elle le fait de façon curieuse. Elle estime que les pays où l’inégalité des revenus est forte (Etats-Unis, Royaume-Uni) devraient davantage se préoccuper d’équité ; ce serait l’inverse pour les pays égalitaires (Suède, Pays-Bas). Mais la position inverse aurait très bien pu être soutenue. Les pays qui ont des systèmes fortement égalitaires veulent les maintenir et continuer à tenir compte de l’équité dans les réformes qu’ils entreprennent.

A la limite, supposons que tous les pays ont, comme la France, mis en place un système performant de contrôle de leurs finances publiques (la RGPP puis la MAP). A l’équilibre, toutes les dépenses et recettes ont la même utilité marginale. S’il faut faire des économies, elles doivent consister en une réduction proportionnelle des dépenses et une hausse proportionnelle des recettes. Sortir de cette stratégie nécessite une analyse fine de l’utilité des dépenses et du coût des recettes, analyse que la méthode de l’OCDE ne peut fournir. Ce n’est pas parce qu’elle considère que, en général, les dépenses d’invalidité sont néfastes à la croissance, que l’OCDE a le droit de préconiser une forte réduction des dépenses d’invalidité en Finlande, sans tenir compte de la spécificité du système finlandais.

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Au bilan, les préconisations pour la France (tableau 3) sont peu utiles, que ce soit celle de réduire fortement le niveau des retraite et des prestations chômage (sous prétexte que la France serait plus généreuse que la moyenne des pays de l’OCDE !), de réduire les subventions (mais lesquelles ?) ou encore celle de réduire les consommations publiques (car la France a besoin d’une armée, compte-tenu de son rôle spécifique dans le monde).

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Globalement, l’OCDE ne fournit aucune simulation de l’impact des mesures préconisées sur la croissance ou l’équité. Certes, il serait possible de faire pire, mais on aboutit quand même à un  projet qui provoquerait une forte baisse de la croissance à court-moyen terme et une diminution des dépenses de protection sociale. Même si elle prétend tenir compte du solde extérieur, elle ne dit pas que les pays excédentaires devraient pratiquer une politique de relance pour compenser l’impact dépressif des politiques restrictives des pays déficitaires.

Mais, bien sûr, par ailleurs, l’OCDE prétend qu’il existerait des réformes structurelles miracles qui permettraient d’améliorer le solde public, sans coût pour la croissance ou pour l’équité, comme de réduire les dépenses publiques à services inchangés pour les ménages, par des gains d’efficience dans l’éducation, la santé, etc.

Quel dommage que l’OCDE n’ait pas eu plus d’ambition, qu’elle ne présente pas un vrai programme cohérent pour l’ensemble des pays membres avec des objectifs de croissance et de plein-emploi (visant à résorber le chômage induit par la crise financière), de réduction des déséquilibres extérieurs, et surtout avec des objectifs sociaux (réduction des inégalités, universalité de l’assurance-maladie, socle satisfaisant de protection sociale) !

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Encadré : Politique d’austérité et dette publique

Considérons une zone où le PIB est de 100, la dette publique de 100, le taux de prélèvement obligatoire est de 0,5 et le multiplicateur de 1,5. Une baisse de 1 des dépenses publiques réduit le PIB de 1,5 ; les recettes publiques de 0,75 ; l’amélioration du solde n’est que de 0,25. Le ratio dette/PIB augmente de 100 % à 99,75/98,5=101,25 %. Il faut 6 ans pour qu’il repasse en dessous de 100 %.

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[1] Boris Cournède, Antoine Goujard, Alvario Pina et Alain de Serres, OECD Economic Policy Papers, juillet 2013. On trouvera une version plus détaillée dans : Boris Cournède, Antoine Goujard et Alvario Pina, « How to achieve growth-and-equity fiscal consolidation ? », OCDE Economics Department Working Paper, 2013.

[2]Laurence Ball, Davide Furceri, Daniel Leigh, and Prakash Loungani, «  The Distributional Effects of FiscalConsolidation”, IMF WP/13/151, juin 2013.

[3] Voir : OCDE, 2012, Toujours plus d’inégalité, mars.

[4] En reprenant le multiplicateur de 1,2 de la note de l’OCDE, 2009, « The Effectiveness and the Scope of Fiscal Stimulus », mars.




Le déclin de l’Empire américain

par Christine Rifflart

Après deux semaines de shut down, et au bord de la cessation de paiement si aucun accord durable n’est trouvé avant la fin octobre, l’administration américaine est confrontée à une combinaison de crises sans précédent. Les coupes brutales sur les dépenses non votées dans le budget 2014 dont l’exercice fiscal a commencé le 1er octobre vont porter un coup fatal à la croissance du quatrième trimestre. La menace d’un défaut de paiement agite les marchés financiers, inquiète à juste titre les détenteurs de bons du Trésor et autres titres publics et fait planer le doute d’une nouvelle crise financière qui serait autrement plus grave pour l’économie mondiale que la crise de 2008. Enfin, le pays est en train de sombrer dans une crise institutionnelle sans précédent dont on a du mal à imaginer une issue positive. Car la proposition faite vendredi par les républicains (voir article du Financial Times du 11 octobre) de relever le plafond de dette pendant une période de six semaines pour désamorcer la crise autour du défaut aura fait long feu, puisque dès samedi elle était rejetée par le Président (voir article du 12 octobre). Cet épisode est apparu davantage comme une secousse supplémentaire à ce séisme qui n’en finit pas  qu’un début de réponse crédible à la situation.

Pour commencer, il faut rappeler que le plafond de la dette est la limite statutaire fixée par le Congrès sur le montant d’emprunts que le Trésor peut émettre pour satisfaire à ses obligations légales (remboursement de la dette fédérale, paiement des intérêts, dépenses budgétaires, …). Dans la mesure où le budget voté par le Congrès est en déficit, il génère un besoin de financement qui doit être couvert par une nouvelle dette[1]. Si la dette atteint la limite autorisée, le Trésor ne peut plus émettre de nouveaux titres, sauf dans la limite où d’anciens titres arrivent à maturité. Le Congrès doit alors relever le plafond de dette pour permettre l’application de la politique budgétaire, ou bien voter un budget qui dégage un excédent budgétaire primaire suffisant pour couvrir les obligations légales du Trésor. C’est bien dans cette problématique que se trouve actuellement l’administration américaine.

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Depuis le 19 mai 2013[2], le plafond de la dette est atteint. Ne pouvant plus émettre de nouvelles dettes, le Trésor finance ses opérations par des mesures exceptionnelles (en recourant notamment aux réserves des Fonds de pension des fonctionnaires du gouvernement fédéral, du service postal,  ou encore du Fonds de Stabilisation des changes) lesquelles, selon le Secrétaire américain au Trésor, seront épuisées le 17 octobre.  Au-delà, le Trésor ne devrait plus disposer que de ses recettes fiscales perçues quotidiennement et d’un peu de cash pour continuer à honorer ses engagements normalement. La cessation de paiement pourrait être prononcée entre le 18 octobre et le 1er novembre, selon le Bipartisan Policy Center. Le Congressional Budget Office situe cette date au 22 octobre.

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La proposition d’un relèvement du plafond de dette pendant six semaines devait reporter d’autant l’échéance d’un défaut et donner du temps au Congrès pour négocier un nouveau budget. Mais cela changeait-il vraiment la donne ?

Même en l’absence d’un vote au Congrès, d’importantes dépenses sont déjà engagées sur le budget 2014. Ainsi, dans la version révisée du Budget du Président de juillet dernier, sur les 3 642 milliards de dollars de dépenses fédérales prévues, 2 236 milliards sont des dépenses  obligatoires (mandatory programs), principalement au titre  des programmes sociaux (sécurité sociale, Medicare, Medicaid), 614 milliards sont destinés à la Défense et ont été votées dans les précédents budgets, et 222 milliards sont des charges d’intérêts. Or, les recettes fiscales étant insuffisantes pour couvrir ces dépenses déjà actées, le Trésor devra s’endetter pour les financer et sans relèvement suffisant du plafond, il ne pourra pas le faire.

L’objectif des républicains est donc bien de revenir sur les programmes sociaux. Mais là non plus le Congrès ne peut revenir sur des programmes qui ont déjà été votés et dont il a pris l’engagement de les respecter.

On voit bien la guerre politique qui se joue désormais.  Le plafond de la dette s’est placé au cours des deux dernières années, au cœur de la politique budgétaire américaine[3]  pour devenir aujourd’hui un puissant outil d’injonction. Pis encore, un outil d’injonction contradictoire ! Le refus du Congrès de relever le plafond de la dette contraint le Trésor et le gouvernement américain à enfreindre leurs obligations respectives. Le Congrès se soustrait à la responsabilité budgétaire qui est la sienne soit en n’autorisant pas le Trésor à financer des dépenses qu’il a lui-même votées, soit en reniant ses propres engagements. Ce faisant, il force le Président Barack Obama à s’engager dans une crise politique majeure autour de l’interprétation de la constitution et de la séparation des pouvoirs qu’elle implique.

Dès lors, si les républicains restent aussi fermés sur leurs objectifs de réduction des dépenses publiques, ce ne sont pas six semaines qui vont changer la nature du conflit. Les fondements mêmes des institutions sont attaqués. Au-delà des conséquences dramatiques que cette crise pourra avoir aux niveaux économique et financier, c’est bien tout l’édifice de la puissance américaine qui vacille.

 

 

 


[1] Dette t – Dette t-1 = Solde budgétaire primaire t + taux d’intérêt t * Dette t-1

[2] Le 31 décembre 2012, le plafond était atteint et le 4 février 2013, le Président signait le No Budget, No Pay Act qui supprimait cette contrainte pendant une période de deux mois. Réintroduit le 19 mai sur la base de l’ancien plafond augmenté du montant des nouveaux emprunts réalisés entre le 4 février et le 18 mai 2013, le nouveau plafond a été fixé à 16 699 milliards de dollars. Mais, dès sa remise en application, le nouveau plafond a posé problème puisqu’il correspondait par construction au montant de la dette fédérale existant à cette date.

[3] Le relèvement du plafond signé le 2 août 2011 par le Président dans le cadre du Budget Control Act of 2011 était directement lié à l’engagement de réduire de 1 200 milliards de dollars les dépenses budgétaires à l’horizon de 10 ans, et dont les premiers effets ont commencé en mars dernier avec les coupes automatiques (séquestrations).




France : pourquoi tant de zèle ?

par Marion Cochard et Danielle Schweisguth

Le 29 mai dernier, la Commission européenne adressait aux Etats membres de l’Union ses nouvelles recommandations de politique économique. Dans le cadre de celles-ci, la Commission accorde deux années supplémentaires à la France pour atteindre la cible de 3% de déficit public. L’objectif de déficit de 3 % est désormais fixé à 2015 et la Commission européenne préconise pour y arriver des impulsions budgétaires de -1,3 point de PIB en 2013 et -0,8 en 2014 (voir la note « Austérité en Europe: changement de cap? »). Cela allègerait l’effort structurel à fournir, puisque le respect des engagements antérieurs aurait nécessité des impulsions de -2,1 et -1,3 points de PIB pour 2013 et 2014 respectivement.

Pour autant, le gouvernement français a choisi de ne pas relâcher sa politique d’austérité, en maintenant l’ensemble des mesures annoncées lors du projet de loi de finances de l’automne 2012. Cette politique reste restrictive et va bien au-delà des préconisations de la Commission : -1,8 point de PIB d’impulsion budgétaire, dont 1,4 point de hausse des taux de prélèvement obligatoire sur la seule année 2013. Pire, les grandes orientations pour le budget 2014 présentées par le gouvernement au Parlement le 2 juillet 2013 impliquent un effort structurel de 20 milliards d’euros pour 2014, soit 1 point de PIB, là où la Commission n’en exigeait que 0,8. Le gouvernement durcit par ailleurs l’impulsion budgétaire de 0,6 point de PIB qu’il avait lui-même affiché dans le programme pluriannuel de la Loi de finances pour 2013.

Le tableau ci-dessous permet de prendre la mesure de l’effort engagé et de ses conséquences sur l’économie française. On y lit l’évolution de la croissance, du taux de chômage et du solde public en 2013 et 2014, selon trois stratégies budgétaires :

  1. celle retenant l’assouplissement préconisé par la Commission en mai 2013 ;
  2. celle reposant sur le budget voté par le gouvernement pour 2013 et, a priori, 2014 ;
  3. celle reposant sur un scénario alternatif qui prend acte de l’impulsion de -1.8 point de PIB engagée pour l’année 2013, et calcule l’impulsion budgétaire suffisante en 2014 pour respecter l’objectif de déficit public de -3,6 % de la Commission européenne.

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Selon nos estimations réalisées à partir du modèle IAGS[1], le déficit public serait réduit à 3,1 % du PIB en 2014 dans le scénario (2), là où la Commission n’exigeait que 3,6 %. Conséquence de cet excès de zèle, la croissance cumulée pour 2013 et 2014 si le budget voté est appliqué serait de 0,7 point inférieure à celle des deux autres scenarii (0,8 point contre 1,5 point). Le corollaire est une hausse du chômage en 2013 et en 2014 : le taux de chômage, de l’ordre de 9,9 % en 2012, passe ainsi à 11,1 % en 2014, soit une hausse de plus de 350 000 chômeurs sur la période. A l’inverse, le scénario assoupli de la Commission européenne permettrait une quasi-stabilisation du chômage dès 2013, tandis que le scénario alternatif permet une inversion de la courbe du chômage en 2014.

Alors que l’échec de la politique d’austérité des dernières années semble infléchir progressivement la position de la Commission européenne, le gouvernement français persiste dans cette voie. A rebours de l’urgence sociale à laquelle le pays fait face et du changement de paradigme qui semble gagner la plupart des institutions internationales, le gouvernement français choisit d’en rester au fétichisme des 3 %.


[1] IAGS est l’acronyme de “Independent Annual Growth Survey”. Ce modèle propose une modélisation simplifiée des onze principales économies de la zone euro (Autriche, Belgique, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Pays-Bas, Portugal et Espagne). Voir plus de détails, voir le document de travail Model for euro area medium term projections.




Austérité en Europe: changement de cap ?

par Marion Cochard et Danielle Schweisguth

Le 29 mai dernier, la Commission européenne adressait aux Etats membres de l’Union européenne ses nouvelles recommandations de politique économique. Dans ces recommandations, la Commission préconise un report des objectifs de déficit public pour quatre pays de la zone euro (Espagne, France, Pays-Bas, Portugal), leur laissant davantage de temps pour atteindre la cible de 3 % de déficit public. L’Italie n’est plus en procédure de déficit excessif. Seule la Belgique est sommée d’intensifier ses efforts. Cette nouvelle feuille de route peut-elle être interprétée comme un changement de cap annonçant un assouplissement des politiques d’austérité en Europe ? Peut-on en attendre un retour de la croissance sur le vieux continent ?

Ces questions ne sont pas triviales. La Note de l’OFCE (n°29, 18 juillet 2013) tente d’y répondre en simulant trois scénarii de politique budgétaire à l’aide du modèle iAGS. Il ressort de cette étude que le report des objectifs de déficit public pour quatre pays de la zone euro ne traduit pas un véritable changement de cap de la politique budgétaire en Europe. Certes, le scénario du pire, dans lequel l’Espagne et le Portugal se seraient vu imposer les mêmes recettes que la Grèce, a été évité. La Commission accepte implicitement de laisser jouer les stabilisateurs automatiques quand la conjoncture se dégrade. Cependant, pour de nombreux pays, les préconisations en termes d’efforts budgétaires vont toujours au-delà de ce qui est imposé par les traités (0,5 point de PIB de réduction annuelle du déficit structurel), avec pour corollaire une hausse de 0,3 point du taux de chômage en zone euro entre 2012 et 2017.

Pourtant, une troisième voie nous semble possible. Il s’agit d’adopter dès 2014 une position de « sérieux budgétaire » qui ne remettrait pas en cause la soutenabilité de la dette publique. Cette stratégie consiste à maintenir constant le taux de prélèvements obligatoires et à laisser les dépenses publiques évoluer au même rythme que la croissance potentielle. Cela revient à une impulsion budgétaire neutre entre 2014 et 2017. Dans ce scénario, le solde public de la zone euro s’améliorerait de 2,4 points de PIB entre 2012 et 2017 et la trajectoire de dette publique s’inverserait dès 2014. A l’horizon 2030, le solde public serait excédentaire (+0,7 %) et la dette approcherait les 60 % du PIB. Surtout, ce scénario permettrait de faire baisser significativement le taux de chômage à l’horizon 2017. Les pays européens devraient peut-être s’inspirer de la sagesse de Jean de La Fontaine : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point »…




Quelle politique budgétaire pour accompagner les réformes structurelles ? Les enseignements du cas allemand

par Eric Heyer

« La France doit copier les réformes allemandes pour prospérer » titre Gerhard Schröder dans une tribune de Financial Times du 5 juin 2013.  De son côté, la Commission européenne (CE), dans ses dernières recommandations annuelles aux Etats membres rendues publiques le 29 mai dernier, semble prendre des distances avec la stratégie de retour rapide et synchronisé à des finances publiques équilibrées, mise en place depuis 2010. La priorité pour l’exécutif européen semble désormais être la mise en place de reformes structurelles des marchés du travail et des services par les pays de la zone euro. Ces derniers devront certes continuer à assainir leurs comptes publics mais la CE leur a laissé un délai de 1 à 2 ans supplémentaire pour y parvenir. C’est le cas notamment pour la France qui devra poursuivre l’assainissement de ses comptes au cours des deux prochaines années (l’effort budgétaire et fiscal demandé par la CE au gouvernement français s’élève à 0,8 point de PIB soit 16 milliards d’euros par an) tout en ayant obtenu un délai de 2 ans pour ramener son déficit sous les 3 % du PIB (2015 au lieu de 2013).

Le changement de cap – ou tout du moins de ton – de la CE, privilégiant la mise en place de reformes à une austérité démesurée, doit être salué. Il convient toutefois d’examiner si le nouvel environnement, notamment budgétaire, est suffisamment  propice à assurer l’efficacité des réformes structurelles.

L’examen du contexte économique dans lequel ont été mises en place les réformes allemandes au début des années 2000, devenues la référence pour les pays « du Sud », fournit assurément quelques clefs.

Si le propos ici n’est pas de détailler ces réformes, il est utile toutefois de rappeler que celles-ci ont été prises alors que l’économie allemande était considérée comme l’ «élève malade » de l’Europe avec notamment un déficit commercial important (-1,8 point de PIB en 2000 contre un excédent de 1,4 pour la France à la même époque). Ces réformes ont eu pour conséquences d’abaisser fortement la part des salaires dans la valeur ajoutée, redonnant des marges aux entreprises outre-Rhin et ont permis de restaurer rapidement la compétitivité de l’économie allemande : en 2005, la balance commerciale allemande est redevenue fortement excédentaire tandis que celle de la France devenait pour la première fois depuis 1991 déficitaire. Le caractère non coopératif au sein de la zone euro (OFCE, 2006) ainsi que la forte augmentation de la pauvreté en Allemagne – (Heyer, 2012) et graphique 1 – et des inégalités de richesse (de Grauwe et Yi, 2013), constituent la face cachée de cette stratégie.

Aujourd’hui, les « élèves malades » de l’Europe sont les pays du Sud et la pression à mettre en place des politiques visant à restaurer la compétitivité s’est déplacée de l’Allemagne vers la France, l’Italie ou l’Espagne.

Si cet élément de contexte est identique, l’environnement économique était-il comparable ? Les graphiques 1 et 2 résument l’environnement économique de l’Allemagne lors de la mise en place de ses réformes structurelles. De ces dernières, deux faits majeurs ressortent :

  1. Ces réformes ont été menées dans un contexte de forte croissance mondiale : au cours des années 2003-2006, le monde connaissait une croissance moyenne de plus de 4,7 % chaque année (graphique 1). A titre de comparaison, la croissance devrait être inférieure à 3 % au cours de deux prochaines années ;
  2. Par ailleurs, la situation budgétaire de l’économie allemande en ce début de décennie 2000 n’était pas bonne : à partir de 2001, le déficit des administrations publiques (APU) allemandes dépassait la barre des 3 % et frôlait celle des 4 % en 2002, année précédant la mise en place de la première réforme Hartz. Dans le même temps, la dette publique dépassait pour la première fois le seuil des 60 % du PIB autorisé par le traité de Maastricht. Malgré ces mauvaises performances budgétaires – la dette publique frôlant les 70 % en 2005 –, il est intéressant de noter que le gouvernement allemand a continué de maintenir une politique budgétaire fortement expansionniste tant que les réformes n’étaient pas achevées : au cours de la période 2003-2006, l’impulsion budgétaire était positive et s’élevait en moyenne à 0,7 point de PIB chaque année (graphique 2). Ainsi donc, au cours de cette période, le gouvernement allemand a accompagné les réformes structurelles par une politique budgétaire très accommodante.

Ainsi, les réformes structurelles sur le marché du travail menées sous Schröder ont non seulement été mises en place dans un contexte conjoncturel très favorable (forte croissance mondiale et stratégie différente des autres pays européens) mais ont aussi été accompagnées par une politique budgétaire particulièrement accommodante compte tenu notamment de l’état dégradé de leurs comptes publics.

Ce contexte est très éloigné de celui d’aujourd’hui :

  1. la croissance mondiale ne devrait pas dépasser les 3 % au cours des deux prochaines années ;
  2. la CE demande à un grand nombre de pays européens de mettre en place de façon simultanée les mêmes réformes structurelles, ce qui, dans une zone euro très intégrée, limite leur efficacité ;
  3. et la politique budgétaire, malgré l’assouplissement accordé sur les déficits, devrait rester très restrictive : comme l’indique le tableau 1, les impulsions budgétaires pour la France ou l’Espagne devront rester fortement négatives (-0,8 point de PIB par an) au moment de la mise en place des réformes structurelles dans ces pays.

Si aujourd’hui la pression à l’amélioration de la compétitivité pour les pays du Sud est similaire à celle de l’Allemagne au début des années 2000, l’environnement extérieur est moins porteur et la pression au désendettement public plus contraignant.

Sur ce dernier point, l’exemple allemand nous apprend qu’il est difficile de mener de front des réformes structurelles visant à accroître la compétitivité de ses entreprises et  à poursuivre le désendettement public.

 




Tenue de rigueur imposée

par Eric Heyer

Ce texte résume les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie française.

En moyenne annuelle, l’économie française devrait connaître en 2013 un léger recul de son PIB (-0,2 %) et une modeste reprise en 2014, avec une croissance de 0,6 % (tableau 1). Cette performance particulièrement médiocre est très éloignée du chemin que devrait normalement emprunter une économie en sortie de crise.

Quatre ans après le début de la crise, le potentiel de rebond de l’économie française est important : il aurait dû conduire à une croissance spontanée moyenne de près de 2,6 % l’an au cours des années 2013 et 2014, permettant de rattraper une partie de l’écart de production accumulé depuis le début de la crise. Mais cette reprise spontanée est freinée, principalement par la mise en place de plans d’économies budgétaires en France et dans l’ensemble des pays européens. Afin de tenir son engagement d’un déficit public à 3 % en 2014, le gouvernement français devrait poursuivre la stratégie –  adoptée en 2010 – de consolidation budgétaire imposée par la Commission européenne à l’ensemble des pays de la zone euro. Cette stratégie budgétaire devrait amputer de 2,6 points de PIB l’activité en France en 2013 et de 2,0 points de PIB en 2014 (tableau 2).

 

En s’établissant à un rythme éloigné de son potentiel, la croissance attendue accentuera le retard de production accumulé depuis 2008 et continuera à dégrader la situation sur le marché du travail. Le taux de chômage augmenterait régulièrement pour s’établir à 11,6 % fin 2014.

Seul un changement de cap dans la stratégie budgétaire européenne permettrait d’enrayer la hausse du chômage. Elle supposerait que les impulsions budgétaires négatives se limitent à -0,5 point de PIB au lieu de – 1,0 point prévu au total dans la zone euro en 2014. Cet effort budgétaire plus faible pourrait être répété jusqu’à ce que le déficit public ou la dette publique atteigne un objectif à définir. Par rapport aux plans actuels, parce que l’effort serait plus mesuré, le fardeau de l’ajustement pèserait de façon plus juste sur les contribuables de chaque pays, évitant l’écueil des coupes sombres dans les budgets publics. Cette nouvelle stratégie conduirait certes à une réduction plus lente des déficits publics (-3,4 % en 2014 contre -3,0 % dans notre scénario central) mais également et surtout à plus de croissance économique  (1,6 % contre 0,6 %). Ce scénario « moins d’austérité », permettrait à l’économie française de créer 119 000 emplois en 2014 soit 232 000 de plus que dans notre prévision centrale et le chômage baisserait au lieu de continuer à augmenter.

 




Une autre politique budgétaire est-elle possible pour la France ?

par Jérôme Creel

La crise économique que traverse la zone euro, et donc la France, ne devrait-elle pas remettre en cause l’orientation de la politique budgétaire ? Dans une situation historique de consensus large entre les économistes à propos des effets sur l’économie réelle de la politique budgétaire, il est indéniable que le choix de l’austérité budgétaire en France est une erreur. En outre, l’argument des contraintes européennes pesant sur la politique budgétaire française n’est pas suffisant pour exclure un assainissement bien plus progressif des finances publiques (voir aussi le projet iAGS).

Aller au-delà de ce que les textes européens imposent n’est pas une nécessité ; et cela devient particulièrement nuisible si ces efforts budgétaires supplémentaires engendrent moins de croissance et, in fine, une détérioration des finances publiques par le biais de hausses de dépenses sociales et de baisses des recettes fiscales. Que nous imposent les traités européens en vigueur ? Dans une situation de déficit public au-delà de 3% du PIB, l’effort minimal d’ajustement budgétaire consiste à améliorer chaque année d’au moins 0,5% du PIB le déficit corrigé des variations cycliques, c’est-à-dire le déficit structurel. En outre, l’horizon de retour de la dette publique à 60% du PIB est de 20 ans. Enfin, aux circonstances exceptionnelles s’ajoute désormais un « événement inhabituel » pouvant justifier un dépassement du déficit par rapport aux normes en vigueur (cf. ci-dessous l’annexe à ce post).

Sur la base de ces circonstances exceptionnelles et de la règle d’amélioration annuelle d’au moins 0,5% du PIB du déficit structurel, il est possible de montrer que le gouvernement français dispose de marges de manœuvre budgétaires en 2012 et 2013, en conformité avec les règles budgétaires européennes.

Le tableau 1 répertorie la séquence de déficits publics et de croissance du PIB de 2011 à 2013, selon les deux prévisions réalisées par la Commission européenne au printemps, puis à l’automne 2012. Selon les prévisions de printemps, le déficit structurel français était supposé diminuer de 1,2% du PIB entre 2011 et 2013, soit en moyenne un peu plus que ce que requiert la Commission. En fait, l’amélioration prévue entre 2011 et 2012 allait au-delà de 0,5% du PIB, tandis qu’elle était en deçà entre 2012 et 2013.

Qu’en est-il selon les prévisions d’automne 2012 ? L’amélioration prévue du déficit structurel français entre 2011 et 2012 serait dorénavant de 1,1% du PIB, puis de 1,4% du PIB entre 2012 et 2013, compte tenu des engagements pris par le gouvernement de réduire les dépenses publiques et d’augmenter la fiscalité. Ces améliorations prévues du déficit structurel sont deux et trois fois supérieures à ce que les règles budgétaires européennes requièrent : c’est considérable ! Pour l’année 2013, ce sont pratiquement 20 milliards d’euros qui pourraient ne pas être ponctionnés sur les ménages et les entreprises françaises. Renoncer à cette ponction ne revient pas à renoncer à l’austérité budgétaire, mais à l’étaler dans le temps.

En outre, la Commission européenne anticipe désormais un ralentissement de l’activité française en 2013. A moins de juger que le gouvernement français est responsable de ce ralentissement – et peut-être est-ce effectivement le cas du fait de la cure d’austérité budgétaire qu’il impose à l’économie française, sauf qu’on voit mal la Commission européenne utiliser un tel argument, elle qui est le chantre de l’austérité ! -, la détérioration des perspectives de croissance pourrait rentrer dans la catégorie : « événement inhabituel », ouvrant des circonstances exceptionnelles à la France pour étaler et différer ses efforts d’ajustement budgétaire.

Au lieu d’attendre longtemps des miracles de réformes structurelles aux effets potentiellement incertains, il suffirait d’appliquer les textes en vigueur, sans s’imposer une lecture trop contraignante de ce qu’ils contiennent, pour limiter la baisse de croissance induite par l’austérité et éviter une nouvelle phase de hausse du chômage. Selon les conclusions du rapport iAGS, l’étalement de l’austérité budgétaire en France permettrait de gagner 0,7 point de croissance par an entre 2013 et 2017.

L’« événement inhabituel » que peut constituer une nouvelle année de croissance très faible en 2013 pour la France, ouvre aussi la possibilité de suspendre, au moins temporairement, la politique d’austérité. Toujours selon les conclusions du rapport iAGS, le gouvernement français devrait reporter à 2016 la politique d’assainissement de ses finances publiques. Le gain en termes de croissance serait de 0,9 point par an entre 2013 et 2017. Pourvu que cette politique soit effectivement menée scrupuleusement, et non pas reportée sine die, elle permettrait à la France de réduire son ratio de dette publique sur PIB, conformément aux traités européens en vigueur.

Annexe : les règles budgétaires européennes

L’Union européenne s’est dotée d’un arsenal de pas moins de cinq règles budgétaires. Les plus connues sont celles issues du traité d’Union européenne, les fameux critères de convergence portant sur le déficit public (inférieur à 3% du PIB) et la dette publique (inférieure à 60% du PIB), introduits sous la forme de règles de bonne conduite budgétaire dans la première mouture du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) dès 1997 pour le premier, et dans sa deuxième mouture dès 2005 pour le second. Ces deux règles sont toujours en vigueur (cf. les Règlements 1173/2011, 1175/2011 et 1177/2011 de novembre 2011).

La révision du PSC intervenue en novembre 2011 a consacré la règle du retour de la dette publique au niveau de référence de 60% du PIB, selon une baisse sur les trois années précédentes, à un rythme moyen d’un vingtième par an, de l’écart de la dette par rapport à cette valeur de référence (Règlement 1177/2011, art. 2, par. 1bis). Cette troisième règle est aussi inscrite dans le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG, art. 4) signé en mars 2012.

Pour les Etats membres en situation de déficit excessif, le Règlement 1177/2011 (art. 3) précise (voir aussi le Règlement 1175/2011, art. 5) que « dans ses recommandations, le Conseil invite l’Etat membre à respecter des objectifs budgétaires annuels permettant, sur la base des prévisions qui étayent ces recommandations, d’améliorer chaque année d’au moins 0,5% du PIB, à titre de référence, son solde budgétaire corrigé des variations conjoncturelles (le solde structurel) et déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires, de manière à assurer la correction du déficit excessif dans le délai prescrit par la recommandation. » C’est un passage un peu long, mais il est important pour les politiques budgétaires menées actuellement dans l’UE. Il permet en effet de comparer les efforts d’ajustement effectivement consentis avec les efforts d’ajustement minimaux à consentir.

La cinquième et dernière règle budgétaire européenne, à ce jour, est la fameuse « règle d’or » selon laquelle tous les Etats membres doivent atteindre un budget équilibré, soit un déficit structurel à moyen terme d’au plus 0,5% du PIB. Contrairement aux quatre règles précédentes, la règle d’or n’est inscrite que dans le TSCG ; elle ne rentrera en vigueur au 1er janvier 2013 qu’à la condition que la procédure de ratification ait été déposée auprès du Conseil par au moins 12 des 17 Etats membres de la zone euro. Au 19 novembre 2012, 14 Etats membres avaient ratifié le TSCG, dont 10 étaient membres de la zone euro, et 12 Etats membres avaient déposé effectivement la procédure de ratification auprès du Conseil, dont seulement 8 étaient membres de la zone euro.

Il reste à rappeler que la première et la cinquième règles – cette dernière n’est pas encore en vigueur – sont soumises à des conditions exceptionnelles. Si ces conditions sont remplies, le déficit public pourra ne pas être jugé excessif, même s’il dépasse les limites convenues. La législation adoptée en novembre 2011 – le 6-pack – confirme ces circonstances exceptionnelles par le rappel de la réforme du PSC intervenue en 2005. Quant au TSCG, il introduit « un événement inhabituel, en dehors du contrôle de l’Etat membre, et ayant un impact majeur sur la position financière de l’administration publique » comme circonstance exceptionnelle.