Emploi : recrutements sous tension

par Bruno Ducoudré

L’emploi reste dynamique au premier trimestre 2018. D’après l’Insee, l’emploi salarié dans le secteur privé a augmenté de 57 900 emplois. Cette évolution est cohérente avec notre diagnostic portant sur l’état du marché du travail et notre prévision d’emploi d’avril 2018 (cf. graphique 1).

Graphe1_post24-05bisL’économie française connaît depuis maintenant deux années une croissance soutenue de l’emploi marchand, suffisante pour faire baisser le chômage. La reprise des créations d’emplois, secteur non-marchand inclus, s’est timidement amorcée en 2015 (+108 000 emplois) et a accéléré en 2016 (+227 000 emplois) et 2017 (+271 000 emplois). Les créations d’emplois ont été soutenues dans un premier temps par les mesures de baisse du coût du travail (CICE, Pacte de responsabilité, Prime à l’embauche) et les emplois aidés dans le secteur non marchand, puis, à partir de la fin 2016, par l’accélération de la croissance. Les créations nettes d’emplois étant supérieures à l’évolution de la population active, le nombre de chômeurs a diminué (-312 000 depuis fin 2014), portant le taux de chômage au sens du BIT en France métropolitaine à 8,9 % de la population active au premier trimestre 2018 contre 10,1 % fin 2014 (tableau).

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À l’horizon 2019, les créations d’emplois salariés dans le secteur marchand seront soutenues par la croissance de l’activité dans le secteur marchand (2,5 % en 2018 et en 2019). Le rythme des créations d’emplois marchands augmenterait légèrement par rapport à 2017, malgré la fin de la montée en charge du CICE et du Pacte de Responsabilité.

À court terme, les indicateurs d’intentions d’embauches demeurent à un niveau élevé, indiquant une poursuite des embauches dans l’ensemble du secteur marchand (graphique 2). Le climat de l’emploi a atteint un pic en début d’année, en lien avec la croissance soutenue au quatrième trimestre 2017, avant de retomber légèrement[1] du fait du retour du rythme de progression de l’activité à un niveau plus proche de son potentiel, ce que confirme notre indicateur avancé.

Les difficultés de recrutement, encore en-deçà des pics de 2007 et du début des années 2000 (graphique 3), ne se sont pas traduites par une accélération des salaires et ne constitueraient pas un frein aux créations d’emploi. De fait, les difficultés de recrutement progressent et ont retrouvé leur niveau d’avant crise dans l’industrie. Elles restent toutefois en-deçà de leur niveau de 2008 dans les services et la construction et encore très en-dessous de ceux de 2001, comme l’industrie d’ailleurs. Les difficultés de recrutement ne semblent donc pas avoir atteint un niveau tel qu’elles constitueraient un frein majeur à la poursuite des créations d’emploi.

Au total, et compte tenu de la réduction des effectifs dans le secteur non-marchand liée notamment à la baisse du stock de contrats aidés, nous prévoyons 194 000 créations d’emplois en 2018, puis 254 000 en 2019.

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[1] en mai 2018, l’indicateur du climat de l’emploi se situe à 107. Il perd un point par rapport à avril mais reste bien au-dessus de sa moyenne de longue période (https://www.insee.fr/fr/statistiques/3548269)




Les soubresauts du taux de chômage

par Bruno Ducoudré

Les chiffres du chômage publiés par l’Insee pour le premier trimestre 2018 indiquent une remontée du taux de chômage de 0,3 point (0,2 point en France métropolitaine). Dans notre dernier exercice de prévision, nous avions anticipé un taux de chômage stable, tout en soulignant les risques à la hausse du chômage en ce début d’année (graphique 1).

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Comment expliquer la hausse du chômage sur un trimestre ? Le taux de chômage peut augmenter concomitamment à une hausse ou une baisse de l’emploi, en fonction des comportements d’activité : lorsque l’emploi augmente, le chômage baisse si la population active augmente moins vite que l’emploi. Par contre, il augmente si la population active augmente plus vite, ou dans le cas de destructions d’emploi si celles-ci ne s’accompagnent pas d’une baisse de la population active plus importante.

La hausse du chômage au premier trimestre 2018 fait suite à une forte baisse au quatrième trimestre 2017 (-0,7 point), et s’explique principalement par des mouvements importants de population active à court terme, et non par une baisse de l’emploi : sur un trimestre, le taux d’emploi des 15-64 ans est stable, tandis que la part de chômage augmente de 0,2 point, tirée par la hausse du chômage des femmes (leur part augmente de 0,4 point, ce qui s’explique par une augmentation de leur taux d’activité de 0,4 point alors que leur taux d’emploi est stable, cf. tableau). Cette hausse du chômage des femmes fait suite à une baisse plus forte encore au trimestre précédent (-0,5 point) et apparaît ainsi comme une correction partielle de la forte baisse observée au troisième trimestre 2017.

Tabe_post24-05Sur un an, les évolutions indiquées par l’Enquête emploi sont en phase avec l’évolution de la conjoncture économique. Le taux d’emploi augmente fortement (+1 point) en lien avec la croissance économique et les créations d’emploi dynamiques dans le secteur privé. Le taux d’activité augmente également, après deux années de baisse plus forte qu’attendu (cf. graphique 2).

IMG2_post24-05La hausse du chômage constatée en ce début d’année ne devrait pas interrompre la tendance à la baisse enclenchée mi-2015. Nous prévoyons ainsi une poursuite de la baisse du chômage au cours des deux prochaines années. Cette baisse serait tirée par la poursuite des créations d’emplois marchands du fait d’une croissance soutenue de l’activité économique (2,0% en 2018, 2,1% en 2019 après 2,2% en 2017). L’emploi total serait relativement dynamique en 2018 (+194 000) et en 2019 (+254 000), soit un rythme suffisant pour faire baisser le chômage. Ce dernier baisserait de 0,2 point fin 2018 par rapport au T4 2017, puis de 0,5 point fin 2019 par rapport au T4 2018. La forte baisse des contrats aidés dans le secteur non-marchand, le moindre enrichissement de la croissance en emplois (fin de la montée en charge du CICE et du Pacte de responsabilité, fin de la prime à l’embauche) et la croissance de la population active freineraient toutefois la baisse du chômage en 2018 après la forte baisse de 2017.




Taux d’activité et durée du travail : des ajustements différenciés

par Bruno Ducoudré et Pierre Madec

La plupart des pays européens ont, au cours de la crise, réduit plus ou moins fortement la durée effective de travail, via des dispositifs de chômage partiel, la réduction des heures supplémentaires ou le recours aux comptes épargne-temps, mais aussi via le développement du temps partiel (particulièrement en Italie et en Espagne), notamment le temps partiel subi. A contrario, l’évolution favorable du chômage américain s’explique en partie par une baisse importante du taux d’activité.

En supposant qu’une hausse d’un point du taux d’activité entraîne, à emploi constant, une hausse du taux de chômage, il est possible de mesurer l’impact de ces ajustements (durée du travail et taux d’activité) sur le chômage, en calculant un taux de chômage à emploi constant et contrôlé de ces ajustements. Excepté aux États-Unis, du fait entre autres des réformes des retraites menées, l’ensemble des pays étudiés ont connu une augmentation de leur population active (actifs occupés + chômeurs) plus importante que celle observée dans la population générale. Mécaniquement, sans création d’emploi, ce dynamisme démographique a pour effet d’accroître le taux de chômage des pays concernés.

Si le taux d’activité s’était maintenu à son niveau de 2007, le taux de chômage serait inférieur de 1,7 point en France, de 2,7 points en Italie et de 1,8 point au Royaume-Uni (Graphique). Par contre, sans la contraction importante de la population active américaine, le taux de chômage aurait été supérieur de plus de 3 points à celui observé en 2016. Il apparaît également que l’Allemagne a connu depuis la crise une baisse importante de son chômage (-5,1 points) alors même que son taux d’activité croissait de 2,2 points. À taux d’activité inchangé, le taux de chômage allemand serait de … 1,2%. Il reste que les évolutions des taux d’activité résultent aussi de facteurs démographiques structurels si bien que l’hypothèse d’un retour vers les taux de 2007 est arbitraire. Pour les États-Unis, une partie de la baisse du taux d’activité s’explique par l’évolution de la structure de la population. Aussi, le chiffre de sous-emploi peut être considéré comme surévalué.

Concernant la durée du travail, les enseignements semblent bien différents. Il apparaît ainsi que si la durée du travail avait été maintenue dans l’ensemble des pays à son niveau d’avant-crise, le taux de chômage aurait été supérieur de 3,9 points en Allemagne, de 3,4 points en Italie et de 0,8 point en France. En Espagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis, le temps de travail n’a que très peu évolué depuis la crise. En contrôlant le temps de travail, le taux de chômage évolue donc comme celui observé dans ces trois pays.

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Il faut rappeler que la baisse de la durée du travail est tendancielle, ce qui se reflète dans les évolutions observées pendant la crise indépendamment des mesures spécifiques prises pour amortir le choc sur l’emploi par des mécanismes comme le chômage partiel ou l’utilisation de comptes épargne temps. Depuis la fin des années 1990, l’ensemble des pays étudiés ont fortement réduit leur temps de travail. En Allemagne, entre 1998 et 2008, cette baisse a été en moyenne de 0,6 % par trimestre. En France, le passage aux 35 heures a entraîné une baisse similaire sur la période. En Italie, au Royaume-Uni et aux États-Unis, ces ajustements à la baisse de la durée moyenne du travail ont été respectivement de -0,3 %, -0,4 % et -0,3 % par trimestre. Au total, entre 1998 et 2008, la durée du travail a été réduite de 6 % en Allemagne et en France, de 4 % en Italie, de 3 % au Royaume-Uni et aux États-Unis et de 2 % en Espagne, de facto seul pays à avoir intensifié, durant la crise, la baisse du temps de travail entamée à la fin des années 1990.

 




Evolution des taux d’activité en Europe pendant la Grande Récession : le rôle de la démographie et de la polarisation de l’emploi

par Guillaume Allègre et Gregory Verdugo

En Europe comme aux Etats-Unis l’emploi a considérablement reculé pendant la Grande Récession. De plus, au cours des dernières décennies, les forces de l’automatisation et de la mondialisation ont bouleversé les marchés du travail dans les deux régions. Cependant, la réponse des taux d’activités à ces changements a varié d’un pays à l’autre. L’un des événements les plus importants sur le marché du travail aux Etats-Unis au cours de la dernière décennie a été le déclin de la population active. De 2004 à 2013, le taux d’activité des 25 à 54 ans a diminué de 2,6 points de pourcentage (passant de 83,8% à 81,1%) et cette baisse a persisté bien au-delà de la fin de la Grande Récession. A l’inverse, dans l’UE 15, le taux d’activité pour cette catégorie d’âge a augmenté de 2 points au cours de la même période (de 83,7% à 85,6%), malgré la faible croissance et la persistance d’un niveau élevé de chômage.

Qu’est ce qui explique ces différences des deux côtés de l’Atlantique ? Pour répondre à cette question, nous étudions ici les déterminants de l’évolution de la population active au cours des deux dernières décennies dans douze pays européens que nous comparons aux Etats-Unis.

Conformément aux travaux antérieurs sur les Etats-Unis, nous constatons que les changements démographiques récents expliquent une part substantielle des différences entre les pays. La part des baby-boomers à la retraite a augmenté plus rapidement aux Etats-Unis, et y a donc déclenché une baisse plus importante des taux d’activité qu’en Europe. Au cours de la dernière décennie, l’Europe a également été caractérisée par une augmentation du nombre de diplômés du supérieur deux fois plus élevée qu’aux Etats-Unis, et ce notamment en Europe du Sud et en particulier pour les femmes. Les femmes ayant des niveaux d’éducation plus élevés sont plus susceptibles de rejoindre la population active et elles ont ainsi contribué de manière spectaculaire à l’augmentation de la population active en Europe.

Cependant, ces changements n’expliquent pas tout. Pour la population ayant un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat, les taux d’activité des hommes ont diminué dans tous les pays. Pour les femmes, ils ont augmenté rapidement, en particulier dans les pays les plus touchés par le chômage. En Espagne, en Grèce et en Italie, les taux d’activité des femmes ayant un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat ont augmenté de respectivement 12, 5,5 et 2 points entre 2007 et 2013 alors que ces économies étaient plongées dans une récession profonde.

Pour expliquer ces faits, nous étudions le rôle des changements de demande de travail au cours des dernières décennies et en particulier lors de la Grande Récession. Nous montrons que, comme aux Etats-Unis, la polarisation de l’emploi (qui désigne la réaffectation de l’emploi vers les professions les moins et les plus rémunérées au détriment des professions intermédiaires) s’est accélérée en Europe lors de la Grande Récession (graphique 1). En raison d’une plus grande destruction d’emplois dans les professions intermédiaires, la polarisation récente a été largement plus intense en Europe.

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Autre différence importante par rapport aux Etats-Unis, la ségrégation professionnelle entre les hommes et les femmes est plus marquée en Europe. Les emplois intermédiaires qui disparaissent rapidement sont ainsi bien plus susceptibles d’employer des travailleurs masculins en Europe alors que l’expansion des professions peu qualifiées bénéficie au contraire de manière disproportionnée aux femmes (graphique 2). En conséquence, en Europe plus qu’aux Etats-Unis, la polarisation de l’emploi et la destruction des emplois intermédiaires ont entraîné un déclin spectaculaire des opportunités sur le marché du travail pour les hommes par rapport aux possibilités offertes aux femmes. Nous trouvons que ces chocs de demande asymétriques entre hommes et femmes expliquent la plus grande part de la hausse des taux d’activité des femmes les moins diplômées durant la Grande Récession.

 

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Pour en savoir plus : Gregory Verdugo, Guillaume Allègre, « Labour Force Participation and Job Polarization: Evidence from Europe during the Great Recession », Sciences Po OFCE Working Paper, n°16, 2017-05-10




France-Allemagne : le grand écart démographique

par Gérard Cornilleau

Les trajectoires démographiques divergentes de l’Allemagne et de la France vont avoir des conséquences majeures et différenciées sur les dépenses sociales, les marchés du travail, les capacités productives et sur la soutenabilité des dettes publiques. Elles expliquent notamment les craintes allemandes face à la montée de leur propre dette. Les divergences démographiques vont nécessiter la mise en œuvre de politiques publiques hétérogènes de part et d’autre du Rhin. Le « one-size-fits-all » n’est pas encore pour demain.

Les trajectoires  démographiques de la France et de l’Allemagne sont le produit des guerres européennes et de l’Histoire. La superposition des pyramides des âges (graphique 1) est à cet égard instructive : en Allemagne les générations les plus nombreuses sont celles qui sont nées au cours de la période nazi, jusqu’en  1946 ; ensuite viennent les générations nées au milieu des années soixante (les enfants des générations nées pendant le nazisme).  En France les générations des années trente sont à l’inverse peu nombreuses. En conséquence le baby-boom qui, comme on peut  facilement le comprendre, démarre avant celui de l’Allemagne (dès 1945 au moment où l’on observe un baby krach en Allemagne qui ne prendra fin qu’au début des années cinquante ; le baby-boom allemand culminant tardivement au cours des années soixante) est d’une ampleur limitée car les générations en âge d’avoir des enfants sont peu nombreuses. En revanche le ralentissement de la natalité est nettement plus faible en France après la crise des années soixante-dix et surtout la fécondité augmente de  nouveau depuis le début des années quatre-vingt-dix. Si bien qu’avec un taux de fécondité qui reste proche de 2 enfants par femme en âge de procréer, les générations sont de taille pratiquement constante de 1947 à aujourd’hui.  En Allemagne la réunification entraîne un effondrement de la fécondité dans l’ex-RDA qui converge vers le taux de l’Ouest  au milieu des années 2000 (graphique 2). Au total, depuis la guerre, la fécondité française est toujours restée supérieure à la fécondité allemande et depuis le début des années 2000 l’écart se creuse. Si bien que le nombre de naissances en France excède aujourd’hui  de beaucoup celui qui est observé en Allemagne : en 2011, 828 000 contre 678 000 soit 22 % de naissances en plus en France.

 

Du point de vue démographique, la France et l’Allemagne sont donc dans des situations radicalement différentes. Alors que la France a pu conserver un taux de fécondité satisfaisant, pratiquement suffisant pour garantir la stabilité à long terme de la population, la dénatalité allemande va entraîner une baisse  rapide et importante de la population et un vieillissement nettement plus prononcé qu’en France (graphiques 3 et 4)

D’après les projections démographiques retenues par la Commission européenne[1], l’Allemagne devrait perdre plus de 15 millions d’habitants d’ici 2060 et la France en gagner un peu moins de 9. Vers 2045 les deux pays devraient avoir des populations identiques (un peu moins de 73 millions d’habitants) et en 2060 la France compterait environ 7 millions d’habitants de plus que l’Allemagne (73 millions contre 66).

Dans les deux pays les migrations contribuent à la croissance de la population mais de manière modérée. Les migrations nettes ont été faibles en Allemagne au cours de la période la plus récente avec un taux de 1,87 ‰ entre 2000 et 2005 et 1,34‰ entre 2005 et 2010 contre respectivement 2,55 ‰ et 1,62‰ en France[2]. La Commission européenne retient pour l’avenir  des taux de migration nets proches pour la France et l’Allemagne, contribuant à l’horizon de 2060 à augmenter la population de l’ordre de 6 % dans chaque pays[3]. L’ONU[4] envisage une hypothèse similaire, la contribution des migrations étant de plus en plus faible dans l’ensemble des pays du fait du ralentissement général des migrations internationales dues à la hausse des revenus dans les pays d’origine. Dans ce contexte, l’Allemagne ne semble pas disposer d’un réservoir important de main-d’œuvre externe alors qu’elle a peu de liens historiques avec les principales zones d’émigration.

L’inversion des poids démographiques semble donc inéluctable et elle s’accompagnera d’une divergence de l’âge moyen de la population, l’Allemagne étant nettement plus âgée que la France (graphique 4). En 2060, la part des plus de 65 ans atteindra presque le tiers de la population en Allemagne contre un peu moins de  27 % en France.

En conséquence, et compte tenu des réformes engagées dans les deux pays, la part des dépenses publiques de retraites dans le PIB augmenterait peu en France et beaucoup en Allemagne. D’après les travaux de la Commission européenne (op. cit.) elle passerait en France, entre 2010 et 2060, de 14,6 à 15,1 %, soit une hausse de +0,5 point, alors qu’elle augmenterait de  2,6 points en Allemagne passant de 10,8 à 13,4 % du PIB. Ceci bien que la réforme allemande du système de retraite prévoie un report à 67 ans de l’âge de la retraite et la réforme française un report à seulement  62 ans.

La démographie a également des conséquences sur les marchés du travail qui vont être soumis à des contraintes différentes. Entre 2000 et 2011, les populations actives française et allemande ont augmenté du même ordre de grandeur –  +7,1 % en Allemagne et + 10,2 % en France –,  mais alors qu’en Allemagne les deux tiers de cette hausse résulte de celle des taux d’activité, en France la démographie en explique 85 %. Dans un avenir proche, l’Allemagne va buter sur la difficulté d’accroître davantage ses taux d’activité. Sa politique familiale comprend aujourd’hui des dispositions, comme le congé parental, qui visent à inciter le travail féminin par une meilleure conciliation entre le travail et la vie de famille, mais les taux d’activité féminins sont déjà élevés et la question est plutôt celle de l’augmentation de la fécondité que de l’offre de travail. La France qui part d’un niveau plus faible de taux d’activité, surtout à cause des seniors qui sortent du marché du travail nettement plus tôt qu’en Allemagne, dispose de plus de réserves de hausse. Depuis quelques années la disparition des préretraites et l’allongement des durées de travail requises pour obtenir une retraite à taux plein ont commencé à produire leurs effets et le taux d’emploi des seniors progresse nettement, même pendant la crise[5]. Dans le même temps l’emploi des seniors progresse également en Allemagne, mais il ne pourra pas augmenter fortement indéfiniment et l’hypothèse d’une convergence à long terme des taux d’emploi entre la France et l’Allemagne est la plus vraisemblable. Au total, selon les projections de la Commission européenne[6], le taux d’activité allemand pourrait augmenter de 1,7 point entre 2010 et 2020 (passant de 76,7 à 78,4 %) alors que le taux français augmenterait de 2,7 points (de 70,4 à 73,1 %). A l’horizon de 2060 le taux d’activité français augmenterait deux fois plus que le taux allemand (+4,2 points contre +2,2). Mais le taux français serait encore inférieur au taux allemand (74,7 contre 78,9) si bien que la France disposerait encore d’une réserve de hausse.

La conséquence de cette divergence démographique  entre les deux pays est lourde  en termes de croissance potentielle à moyen long terme. Toujours selon les projections de la Commission européenne (qui repose sur l’hypothèse de la convergence de la productivité du travail en Europe autour d’un rythme de croissance annuelle de 1,5 %), la croissance potentielle française sera à long terme le double de la croissance potentielle allemande : +1,7 % par an d’ici 2060 contre +0,8. La différence resterait relativement faible jusqu’en 2015 (1,4 en France et 1,1 en Allemagne) mais elle se creusera ensuite rapidement : 1,9 en France en 2020, contre 1 en Allemagne.

Il en résultera que, comme pour la population, la hiérarchie des PIB français et allemand devrait s’inverser aux alentours de 2040 (graphique 5).

Les contextes démographiques de la France et de l’Allemagne expliquent donc logiquement que les perspectives des dépenses sociales liées à l’âge soient plus préoccupantes en Allemagne qu’en France. Ceci devrait conduire à nuancer les analyses relatives aux dettes publiques : à niveau identique du ratio dette/Pib en 2012, la dette française est plus soutenable à long terme que la dette allemande.


[1] Cf. “The 2012 ageing report”, European Economy 2/1012.

[2] Cf. United Nations, Department of Economic and Social Affairs, Population Division (2011). World Population Prospects: The 2010 Revision, CD-ROM Edition.

[3] Le solde migratoire net serait un peu plus élevé en Allemagne qu’en France atteignant 130 000 par an aux alentours de 2025-2030, alors qu’il resterait inférieur à 100 000 en France. Mais au total la différence serait très faible : en 2060 le cumul des migrations nettes entre 2010 et 2060 augmenterait la population de 6,2 % en Allemagne et 6 % en France (en pourcentage de la population de 2010)

[4] Op. cit.

[5] Voir le bilan de l’évolution de la population active en 2011 par l’Insee : http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1415/ip1415.pdf

[6] Op. cit.