Les comportements d’investissement dans la crise : une analyse comparée des principales économies avancées

Par Bruno Ducoudré, Mathieu Plane et Sébastien Villemot

Ce texte renvoie à l’étude spéciale « Équations d’investissement : une comparaison internationale dans la crise » qui accompagne les Perspectives 2015-2016 pour la zone euro et le reste du monde.

L’effondrement de la croissance consécutif à la crise des subprime fin 2008 s’est traduit par une chute de l’investissement des entreprises, la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale dans les économies avancées. Les plans de relance et les politiques monétaires accommodantes mises en œuvre en 2009-2010 ont toutefois permis de stopper l’effondrement de la demande ; et l’investissement des entreprises s’est redressé de façon significative dans tous les pays jusqu’à la fin 2011. Mais depuis 2011, l’investissement a été marqué par des dynamiques très différenciées selon les pays, en témoignent les écarts entre d’un côté les Etats-Unis et le Royaume-Uni et de l’autre les pays de la zone  euro, en particulier l’Italie et l’Espagne. Fin 2014, l’investissement des entreprises se situait encore 27 % en-dessous de son pic d’avant-crise en Italie, 23 % en Espagne, 7 % en France et 3 % en Allemagne. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, l’investissement des entreprises était respectivement 7 % et 5 % au-dessus de son pic d’avant-crise (cf. graphique).

En estimant des équations d’investissement pour six grands pays (Allemagne, France, Italie, Espagne, Royaume-Uni et Etats-Unis), notre étude vise à expliquer les mouvements de l’investissement sur longue période, en portant une attention toute particulière à la crise.  Les résultats montrent que les déterminants traditionnels de l’investissement des entreprises – le coût du capital, le taux de profit, le taux d’utilisation des capacités de production et l’activité attendue par les entreprises – permettent de capter les principales évolutions de l’investissement pour chacun des pays au cours des dernières décennies, y compris depuis 2008.

Ainsi, depuis le début de la crise, les différences en matière de choix fiscaux, la mise en place de politiques budgétaires plus ou moins restrictives et la pratique de politiques monétaires plus ou moins expansives ont conduit à des dynamiques d’activité, de coût réel du capital ou de taux de profit différentes selon les pays qui expliquent aujourd’hui les disparités observées sur l’investissement des entreprises.

Graphe-post17-06_invest




Le Royaume-Uni à l’approche des élections : l’économie, carte maîtresse de David Cameron (1/2)

Par Catherine Mathieu

Au Royaume-Uni, à l’approche des élections générales qui auront lieu le 7 mai 2015, le suspense est tel que les bookmakers donnent le Parti conservateur vainqueur des élections et  Ed Miliband, le leader du Parti travailliste, comme prochain Premier ministre ! Non seulement le Parti travailliste et le Parti conservateur restent au coude à coude dans les sondages mais, avec des intentions de vote fluctuant entre 30 et 35 % depuis de nombreux mois, aucun des deux partis ne semble en passe d’obtenir une majorité suffisante pour gouverner seul.David Cameron, Premier ministre et leader des Conservateurs, a placé l’économie britannique au cœur de la campagne électorale. Il faut dire que les chiffres semblent plutôt flatteurs pour le gouvernement sortant : croissance, emploi, chômage, réduction des déficits publics… même si certaines faiblesses, moins visibles, de l’économie britannique demeurent.

Un bilan macroéconomique flatteur  

Avec une croissance de 2,8 %, le Royaume-Uni est en tête du palmarès de la croissance des pays du G7 en 2014 (juste devant le Canada, 2,5 % et les Etats-Unis, 2,4 %). Depuis deux ans, l’économie britannique s’est engagée sur le chemin de la reprise, la croissance ayant accéléré de 0,4 % en glissement annuel au quatrième trimestre 2012 à 3 % au quatrième trimestre 2014. Cette reprise contraste avec celles des grandes économies de la zone euro : faible reprise en Allemagne (respectivement 1,5 % après 0,4 %), croissance atone en France (0,4 % seulement, contre 0,3 % en 2012), tandis que l’Italie reste en récession (-0,5 % après -2,3 %).

A la fin de 2014, le PIB britannique se situait ainsi 5 % au-dessus de son niveau d’avant crise (i.e. du premier trimestre 2008), du fait d’une forte reprise dans les services, particulièrement spectaculaire dans les services aux entreprises (dont la valeur ajoutée (VA) est 20 % au-dessus de son niveau d’avant crise et qui représentent 12 % de la VA), du bon maintien de l’activité dans les domaines de la santé (VA 20 % au-dessus du niveau du début de 2008 ; 7 % de la VA) et dans les services immobiliers (VA 17 % au-dessus du niveau d’avant crise ; 11 % de la valeur ajoutée).

Selon les premières estimations publiées par l’ONS le 28 avril, le PIB n’aurait cependant augmenté que de 0,3 % au premier trimestre 2015, au lieu de 0,6 % lors des trimestres précédents. Certes, cette première estimation est susceptible d’être révisée (à la hausse comme à la baisse, seule la moitié des données portant sur l’ensemble trimestre est connue lors de la première estimation), mais le ralentissement de la croissance à quelques jours des élections tombe mal pour le gouvernement sortant…

Un taux de chômage fortement réduit …

Autre point fort du bilan macro-économique à l’approche des élections : le taux de chômage est en baisse continue depuis la fin 2011 et n’était plus que de 5,6 % (au sens du BIT) en février 2015, contre 8,4 % à la fin 2011. Ce taux est l’un des plus bas de l’UE, certes derrière l’Allemagne (4,8 % seulement), mais loin devant la France (10,6 %) et l’Italie (12,6 %). Si le taux de chômage n’a pas encore rejoint son niveau d’avant crise (5,2 %), il en est désormais proche. Depuis 2011, le nombre d’emplois a augmenté de 1,5 millions au Royaume-Uni, et David Cameron ne se prive pas de brandir ce succès du Royaume-Uni devenu « l’usine à emplois de l’Europe », créant davantage d’emplois à lui seul que le reste de l’Europe ! [1]

Derrière cette forte hausse de l’emploi se trouvent cependant de nombreuses zones d’ombre et des bémols…. D’une part, la nature des emplois créés : 1/3 des créations d’emplois au cours de cette reprise sont des entrepreneurs individuels, qui représentant désormais 15 % de l’emploi total. En période de crise, la hausse du nombre d’entrepreneurs individuels reflète généralement du chômage caché, même si selon une étude récente de la Banque d’Angleterre,[2] la hausse serait largement tendancielle. La question du développement des contrats dits ‘zéro-heures’, qui sont des contrats sans nombre d’heures garanti, a fait irruption dans les débats. Jusqu’en 2013, ce type de contrat ne faisait pas l’objet d’un suivi statistique, mais selon les enquêtes récemment publiées par l’ONS, 697 000 ménages étaient concernés par ce type de contrat (soit 2,3 % de l’emploi) au quatrième trimestre 2014, contre 586 000 (1,9 % de l’emploi) un an plus tôt : soit une hausse de 111 000 personnes tandis que l’emploi total augmentait de 600 000 sur la période : les contrats zéro-heures ne concerneraient donc qu’une partie relativement faible des emplois créés.

Les créations d’emplois observées depuis 2011 ont pour corollaire de faibles gains de productivité. L’économie britannique a recommencé à créer des emplois dès le début de la reprise, alors que la productivité avait fortement chuté lors de la crise. Les entreprises ont gardé davantage de salariés en poste qu’elles le faisaient habituellement en période de crise, mais en contrepartie les hausses de salaires ont été réduites. La productivité britannique reste aujourd’hui très inférieure à son niveau d’avant crise. L’économie britannique gardera-t-elle durablement un modèle de croissance basé sur une faible productivité et de faibles salaires ? Il est trop tôt pour pouvoir le dire, mais c’est un sujet en arrière fond de la campagne électorale.

Une inflation tombée au plus bas

L’inflation, mesurée selon l’indice des prix à la consommation harmonisé, est tombée en février 2015 à 0 % seulement en glissement annuel, contre 1,9 % à la fin de 2012. Cette décélération s’explique par la baisse des prix de l’énergie, mais, depuis la fin 2012, l’inflation sous-jacente ralentit aussi : de 1,9 % à la fin 2012 à de 1,2 % en février 2015. La question des risques inflationnistes fait l’objet de débats au sein du Comité de politique monétaire depuis de nombreux mois : croissance et faible taux de chômage étant potentiellement annonciateurs de tensions inflationnistes à brève échéance, si l’on estime que l’économie est redevenue proche du plein emploi. Mais, de fait, le ralentissement continu de l’inflation depuis 2012, sur fond de faibles hausses des salaires, d’appréciation de la livre et des baisses des prix de l’énergie, éloigne la perspective d’une accélération de l’inflation à court terme. Pour l’instant les membres du Comité de politique monétaire de la Banque d’Angleterre votent unanimement pour un statu quo.

Les taux d’intérêt à long terme sur la dette publique restent à des niveaux faibles, ce qui était un des objectifs martelés par les Conservateurs lors de la campagne de 2010. De fait, les taux britanniques connaissent des évolutions proches de celles des taux américains, en ligne avec des perspectives de croissance similaires.

Malgré ce bilan, plutôt bon, l’économie britannique n’en demeure pas moins fragile.

Les fragilités de l’économie britannique à moyen terme

Un endettement des ménages qui reste élevé

L’endettement  des ménages avait atteint un niveau record avant la crise de 2007, représentant alors 160 % de leurs revenus annuels. Depuis, les ménages ont commencé à se désendetter, et ramené leur ratio d’endettement à 136 % à la fin 2014, ce qui reste encore bien supérieur aux 100 % des années 1990. Le désendettement des ménages réduit leur vulnérabilité en cas de nouveau ralentissement économique ou de chute des prix des actifs (notamment immobiliers), mais cela a aussi pour effet de freiner la demande intérieure privée, alors que le taux d’épargne des ménages reste faible (de l’ordre de 6 %),  la croissance des salaires nominaux et réels modérés. Le rééquilibrage de la demande intérieure doit se poursuivre, notamment en termes d’investissement des entreprises.

L’investissement des entreprises en cours de rattrapage

L’investissement des entreprises était structurellement faible dans les années 2000 au Royaume-Uni. Mais depuis 5 ans, la reprise s’est enclenchée et le taux d’investissement en volume se rapproche désormais de son niveau du début des années 2000. Ce redémarrage de l’investissement est évidemment une bonne nouvelle pour l’appareil productif britannique.  Mais le solde extérieur reste toujours déficitaire, signe que le Royaume-Uni peine à regagner en compétitivité, du moins pour ce qui concerne les échanges de marchandises. Le déficit commercial s’est stabilisé autour de 7 points de PIB en 2014, étant cependant pour partie compensé par un excédent croissant des services (5 points de PIB fin 2014), signe que l’économie britannique garde une bonne spécialisation en matière de services. Cependant, le déficit de la balance courante a atteint, compte-tenu de solde des revenus[3], un déficit courant de 5,5 points du PIB, ce qui est élevé.

Le bilan en trompe-l’œil des finances publiques

En 2010, les Conservateurs avaient fait campagne en reprochant au précédent gouvernement d’avoir laissé monter les déficits lors de la crise. Leur programme comprenait un plan d’austérité budgétaire de grande ampleur, correspondant à l’archétype des plans du FMI : 80 % de baisses de dépenses et 20 % de hausses de recettes, sur un horizon de 5 ans. En fait, le gouvernement a commencé à son arrivée par augmenter le taux de TVA, ce qui a en 2010-2011 interrompu la reprise ; il a réduit les dépenses, tout en préservant le système de santé public (NHS) auquel les Britanniques sont attachés, ainsi que les retraites publiques, faibles au Royaume-Uni, mais dont le gouvernement a décidé de fixer la revalorisation sur l’inflation ou les salaires (en retenant la plus forte des deux variations, avec un minimum garanti de 2,5 %).

Cinq ans plus tard, David Cameron met en avant le « succès » de son gouvernement, qui a divisé le déficit public par 2, en points de PIB, ramenant le ratio de 10 % en 2010 à 5,2 % en 2014. Mais, au regard des ambitions initiales du gouvernement, ce n’est en fait qu’un demi-succès : le premier budget présenté en juin 2010 visait un déficit public de 2,2 % du PIB seulement en 2014. La baisse des dépenses publiques rapportée au PIB initialement prévue s’est bien réalisée, mais les recettes ont progressé nettement moins que prévu (ce qui s’explique en partie par la faiblesse des revenus des ménages).

Si l’austérité a été globalement moins forte qu’annoncé, dans le budget de mars 2015, le gouvernement annonce de fortes baisses de dépenses publiques à l’horizon 2019, ce qui les  ferait passer de 40 % du PIB actuellement à 36 % du PIB seulement, soit l’un des ratios de dépenses publiques les plus faibles depuis l’après-guerre (graphique). La baisse des dépenses publiques permettrait seule de ramener le déficit public à l’équilibre, sans hausse sensible des prélèvements : ceci représenterait des coupes budgétaires de grande ampleur, dont les composantes ne sont pas détaillées, et que l’on a du mal à imaginer ne pas concerner à un moment ou un autre les dépenses de santé ou de retraite, ce que jusqu’ici le gouvernement a soigneusement évité de faire…

Graphe_post_4-05bis


[1]We are the jobs factory of Europe; we’re creating more jobs here than the rest of Europe put together’ (discours du 19 janvier 2015).

[2] Self-employment: what can we learn from recent developments? Quarterly Bulletin, 2015Q1.

[3] Mais le déficit du solde des revenus d’investissements directs (2 points de PIB) est sans doute gonflé par les bonnes performances des entreprises étrangères installées au Royaume-Uni relativement aux entreprises britanniques installées à l’étranger.




Retour de la croissance au Royaume-Uni en 2013 : effets en trompe-l’oeil

Par Catherine Mathieu

La dernière estimation des comptes nationaux britanniques, publiée le 27 novembre, a confirmé une croissance du PIB de 0,8 % au troisième trimestre 2013, après 0,7 % au deuxième trimestre et 0,4 % au premier trimestre. C’est une belle performance pour l’économie britannique, notamment en comparaison de la zone euro. Ainsi, le PIB est en hausse de 1,5 % sur un an au troisième trimestre 2013 au Royaume-Uni, contre -0,4% dans la zone euro, 0,2 % en France et 0,6 % en Allemagne. Le retour de la croissance au Royaume-Uni serait la preuve, selon certains, que l’austérité budgétaire ne nuit pas à la croissance…au contraire. Mais l’argument nous semble pour le moins discutable.

Regardons les chiffres d’un peu plus près. Certes, le PIB est en hausse de 1,5 % sur un an au troisième trimestre, mais il n’avait augmenté que de 0,1 % en 2012 et reste encore 2,5 points en dessous de son niveau d’avant-crise : tout cela ne constitue pas un grand succès. Plus frappant encore est l’évolution du PIB depuis le début de la crise : le PIB a initialement chuté de 7 points, entre le premier trimestre 2008 et le deuxième trimestre 2009 ; puis la reprise s’est amorcée, permettant au PIB de regagner 2 points au troisième trimestre 2010, avant de baisser à nouveau. Le profil du PIB depuis le troisième trimestre 2010 est tout à fait inhabituel au regard des sorties de crise précédentes (graphique 1).

graph1_0212blogCM

En 2008, le Royaume-Uni été l’un des premiers pays industrialisés à mettre en place un plan de relance. Gordon Brown, chancelier de l’Echiquier du gouvernement de Tony Blair, a fait baisser le taux normal de TVA de 2,5 points en décembre 2008, afin de soutenir la consommation des ménages. La mesure était annoncée comme temporaire et s’est arrêtée fin 2009. En 2009, la politique budgétaire a ainsi été fortement expansionniste, soit une impulsion budgétaire de 2,8 points de PIB après 0,6 point en 2008 (tableau 1). Le déficit public s’est creusé sous le double effet de la récession et de la politique budgétaire, la dette publique a augmenté.

En mai 2010, les Conservateurs ont remporté les élections sur un programme axé sur la réduction de la dette et des déficits publics. Celui-ci était supposé garantir la confiance des marchés, conserver le triple A de la dette publique britannique et ainsi maintenir le taux d’intérêt sur la dette à un niveau faible. A cela s’est ajoutée une politique monétaire extrêmement active, la Banque d’Angleterre maintenant son taux directeur à 0,5 %, achetant des titres publics et déployant de grands efforts pour faciliter le refinancement des banques et relancer le crédit aux entreprises et aux ménages. Le redémarrage de la croissance était supposé venir de l’investissement des entreprises et des exportations.

La politique budgétaire mise en place par le gouvernement de David Cameron a donc été fortement restrictive. Dans un premier temps, les mesures ont porté principalement sur la hausse des recettes, via un relèvement des taux de TVA, puis sur la baisse des dépenses, notamment des prestations sociales. La reprise de la croissance s’est interrompue. La politique budgétaire est aussi devenue restrictive ailleurs en Europe, l’activité a ralenti chez les principaux partenaires commerciaux du Royaume-Uni. En 2012, l’austérité budgétaire a été fortement atténuée (tableau 1). Les chiffres de croissance dans la période récente sont loin de montrer un succès de l’austérité.

tab1_20212postCM

 

Il est aussi important de noter que David Cameron a dès le départ exclu les dépenses de santé du plan de réduction des dépenses. Les Britanniques sont attachés à leur système public de santé et, pour les Conservateurs nouvellement élus, il s’agissait de ne pas répéter en 2010 l’erreur commise dans les années 1980 lorsque Margaret Thatcher était à la tête du gouvernement. Ainsi, l’austérité budgétaire ne frappe pas le secteur de la santé. Le résultat est clair en termes d’activité : la valeur ajoutée (en volume) du secteur de la santé est aujourd’hui 15 points au-dessus de son niveau d’avant-crise, autrement dit, elle a continué à croître à un rythme annuel moyen de près de 3 % (graphique 2). Le deuxième secteur où l’activité est restée soutenue depuis 2008, et accélère depuis la fin de 2012, est celui de l’immobilier. Au Royaume-Uni, les prix de l’immobilier avaient fortement augmenté avant la crise, conduisant à un endettement record des ménages, et n’ont que peu baissé ensuite. Ils sont restés historiquement élevés et ont même recommencé à augmenter à partir de 2012 (à un rythme annuel d’environ 5 %). Mais les autres secteurs d’activité restent à la traîne. Ainsi, la plupart des services ont seulement rejoint leur niveau de production d’avant-crise, et pour certains d’entre eux restent très en deçà de ce niveau : – 9 % pour les services financiers et d’assurance, soit un chiffre comparable à celui de l’industrie manufacturière, alors que la perte de production reste de 13 % dans le bâtiment.

graph2_0212blogCM

 

Depuis 2008, la croissance britannique est donc impulsée en partie par un service public épargné par l’austérité budgétaire et par des services immobiliers soutenus par la politique monétaire ultra-active… Aussi la reprise britannique pourrait-elle donner naissance à une nouvelle bulle immobilière. La consommation des ménages est aujourd’hui le principal moteur de la croissance (tableau 2). L’absence de reprise de l’investissement est l’un des principaux échecs de la politique d’offre mise en place depuis 2010 par le gouvernement. Ce dernier souhaite que le système fiscal britannique devienne le plus compétitif du G20 et, dans ce but, a diminué le taux d’imposition des sociétés pour en faire le plus faible du G20 (le taux, abaissé à 23 % cette année, serait de seulement 20 % en 2015). Mais l’investissement des entreprises ne redémarre pas pour autant. Le gouvernement compte aussi sur les exportations pour tirer la croissance, mais ceci est peu réaliste vu la situation conjoncturelle sur les principaux marchés extérieurs britanniques, avant tout dans la zone euro. Après avoir soutenu la croissance au cours des trimestres précédents, grâce au dynamisme des ventes hors Union européenne jusqu’à l’été, les exportations ont contribué à faire baisser fortement la croissance au troisième trimestre (-0,8 point de PIB). Alors que le gouvernement britannique s’apprête à présenter son budget le 5 décembre, un soutien de la politique budgétaire serait bienvenu pour maintenir l’économie britannique sur le chemin de la reprise au cours des prochains mois…

tab2_20212postCM




La crise au Royaume-Uni : les femmes sont-elles moins touchées que les hommes ?

par Hélène Périvier

Dans la plupart des pays d’Europe, la crise a affecté davantage l’emploi des hommes que celui des femmes. Le Royaume-Uni n’échappe pas cette règle : au sein de la population des 15 ans et plus, entre 2008 et  2011, l’emploi des hommes y a baissé de 1,6 %, contre seulement 0,3 % pour celui des femmes. On pourrait donc conclure que les femmes ont été préservées par rapport aux hommes par la tempête qui secoue le marché du travail au Royaume-Uni, et plus généralement en Europe. Dans l’absolu c’est incontestable mais en relatif rien n’est moins sûr… 

L’impact sexué de la crise sur l’emploi tient pour beaucoup  à la segmentation du marché du travail : les femmes et les hommes n’évoluent pas dans les mêmes secteurs d’activité ; les secteurs dans lesquels les femmes sont sur-représentées ont été moins touchés par la crise du fait de la nature de ces emplois. Au Royaume-Uni, les femmes occupent 78 % des emplois dans le secteur « Santé humaine et action sociale » ou encore 72 % dans le secteur de l’ « éducation ». Ces secteurs reposent pour beaucoup sur l’emploi public ou parapublic et sont moins exposés aux affres de la conjoncture économique : entre 2008 et 2011 l’emploi dans le secteur « santé et social » a augmenté de presque 8 % et plus de 12 % dans celui de l’éducation. Inversement, les femmes ne représentent que 11 % des travailleurs dans le BTP ou encore 14 % dans l’industrie, secteurs qui ont subi le choc sur l’emploi le plus important (respectivement –19,6 % et -17,3 % sur la même période). Ainsi, les femmes semblent avoir été protégées des effets de la crise sur l’emploi du fait de leur sur-représentation dans des secteurs dans lesquels l’emploi est moins réactif à la conjoncture. L’histoire pourrait s’arrêter là, mais les choses ne sont jamais aussi simples qu’elles ne paraissent, car cette explication ne tient que si la part des femmes dans chaque secteur était restée la même durant le choc. Or il n’en est rien.

Une  décomposition statistique de la variation de l’emploi permet de distinguer ce qui dans la variation de l’emploi est dû à la variation de l’emploi total de ce qui est dû la variation de la part des femmes dans chaque secteur. Il ressort du graphique 1 que si la part des femmes dans chaque secteur était restée constante entre 2008 et 2011, alors l’emploi des femmes n’aurait pas baissé de 0,3 % sur la période mais au contraire il aurait augmenté de 2,5 % : la baisse, même faible, de l’emploi des femmes sur la période est due à une modification de leur part dans certains secteurs.

Si on regarde de plus près les secteurs qui pèsent dans le volume d’emploi global, on constate que dans le BTP ou l’industrie, les femmes ont été plus affectées par les réductions d’emploi qu’elles auraient dû l’être étant donné leur sous-représentation dans ces secteurs en 2008. L’effondrement de l’emploi dans le BTP et l’industrie a disproportionnellement touché les femmes. Les secteurs où les femmes sont très présentes ont bénéficié au contraire de fortes créations d’emplois de 2008 à 2011 :  +370 000 emplois dans l’éducation et presque +305 000 dans la santé et l’action sociale. Mais ces créations d’emploi n’ont pas autant bénéficié aux femmes qu’elles auraient dû étant donné leur part dans ce type d’activité en 2008. Le graphique 2 montre que dans l’éducation, le nombre d’emplois occupés par des femmes aurait dû augmenter de 271 000 si leur part dans l’éducation était restée la même, mais le nombre d’emplois supplémentaires entre 2008 et 2011 pourvus par des femmes n’a été que de 231 700.

Finalement dans les secteurs où le choc a été violent, les femmes ont été sur-affectées par les destructions d’emplois et dans les secteurs où l’emploi est resté dynamique elles en ont moins bénéficié que ce qu’elles auraient dû. In fine, dans l’absolu l’emploi des femmes a moins souffert que celui des hommes, mais en relatif elles ont davantage été affectées. La segmentation du marché du travail qui pèse sur l’égalité professionnelle entre femmes et hommes n’a pas été un bouclier efficace pour l’emploi des femmes dans la crise.