Le recouvrement des impayés de pensions alimentaires réduit les dépenses sociales mais réduit également le niveau de vie de certaines mères isolées

Par Hélène Périvier (OFCE) et Muriel Pucci (CES, Université Paris 1)

Lors de son allocution du 26 avril, Emmanuel Macron a annoncé le renforcement de l’aide au recouvrement des Contributions à l’éducation et l’entretien des enfants (CEEE), communément appelées « pensions alimentaires » auprès des pères débiteurs : « on ne peut pas faire reposer sur des mères seules qui élèvent leurs enfants (…) l’incivisme de leurs anciens conjoints. ». Dans le système actuel, cet incivisme repose davantage sur la solidarité nationale que sur les mères elles-mêmes, si ces dernières font valoir leurs droits auprès de la CAF. En effet, la Loi de 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a mis en place la Garantie d’impayé de pension alimentaire (GIPA) qui assure le versement d’un montant minium de pension égal à l’Allocation de soutien familial (ASF, environ 115 euros par enfant par mois) lorsque l’ex-conjoint ne paie pas ce qu’il doit au titre de l’éducation et de l’entretien de ses enfants. Au-delà de ce dispositif spécifique, le RSA et la Prime d’activité garantissent un revenu minimum à toutes les personnes éligibles. Les parents isolés, qui sont le plus souvent des femmes, perçoivent des majorations permettant de tenir compte de leur situation familiale. La solidarité nationale prend donc le relai des ex-conjoints défaillants pour les parents isolés aux revenus  les plus faibles. Lorsque le parent débiteur verse la CEEE due, le montant de RSA ou de la prime d’activité que perçoit le parent créditeur sont réduits d’autant.

Au côté des prestations sociales, l’Etat a créé, en janvier 2017, l’Agence de recouvrement pour les impayés de pension alimentaire (ARIPA) qui procède au recouvrement de celle-ci auprès des ex-conjoints débiteurs et facilite le versement par les CAF des aides sociales adaptées à chaque situation. L’annonce présidentielle ne vise donc pas à créer ce dispositif car il existe déjà, mais à renforcer son activité. L’objectif de l’ARIPA est de faire payer au parent débiteur les sommes dont il est redevable, ce qui a priori devrait améliorer le revenu disponible du parent créditeur et donc le niveau de vie des enfants. Un meilleur taux de recouvrement contribuerait également à la baisse des dépenses sociales. Il n’y a en effet aucune raison pour que le système social se substitue au parent débiteur si ce dernier est en mesure de payer la CEEE. Mais le recouvrement de la CEEE peut conduire à une baisse du revenu disponible de nombreuses mères isolées (le parent créditeur est le plus souvent la mère), en raison du traitement de cette catégorie de revenu dans le système fiscal et social. Ainsi, de façon contre-intuitive, un meilleur recouvrement des pensions réduit le niveau de vie de certaines mères isolées, celles qui sont dans les situations les plus précaires.

Pour améliorer le niveau de vie des enfants dont les parents sont séparés, il faut certes accroître l’injonction des pères à payer les CEEE dues, mais il faut également revoir le traitement de ces contributions dans les barèmes sociaux et fiscaux.

Le niveau de vie baisse à la suite d’une séparation

Le nombre de familles monoparentales n’a cessé d’augmenter depuis plusieurs décennies. Aujourd’hui on compte plus 1.6 million de foyers monoparentaux, soit plus de 22% des familles comprenant des enfants mineurs : 3.4 millions d’enfants vivent avec un seul de leur parent. La cause la plus fréquente de cette configuration familiale est la rupture de couple. 85% des parents isolés sont des femmes.

Les parents séparés voient leur niveau de vie baisser après la rupture, notamment du fait de la perte d’économies d’échelles associées à la vie en couple. En particulier les dépenses de logement pèsent sur le revenu des deux ex-conjoints. Cette perte de niveau de vie est la plupart du temps plus importante pour les femmes que pour les hommes car, lorsqu’elles sont en couple, elles réduisent ou cessent plus souvent leur activité professionnelle pour s’occuper des enfants. Elles ont donc moins de ressources propres (Bonnet, Garbinti, & Solaz, 2016). Par ailleurs elles ont le plus souvent la garde principale des enfants. Les femmes sont donc particulièrement concernées par la situation de monoparentalité, bien que la proportion de pères isolés se soit accrue ces dernières années, passant de 11% en 1990 à 15% en 2011 (Acs & Lhommeau, 2012). Par ailleurs les pères n’ayant pas la garde de leur enfant après la séparation subissent également une perte de niveau de vie, car ils versent une CEEE et ont également des dépenses de logement plus élevées que s’ils étaient célibataires sans enfant à charge et ceci même quand ils n’accueillent leurs enfants qu’un week-end sur deux (Martin & Périvier, 2018)[1].

Le niveau de la pension alimentaire et insolvabilité du parent débiteur

Au moment de la séparation, la Contribution pour l’éducation et l’entretien des enfants (CEEE) est fixée soit à l’amiable entre les deux parents, soit par un juge. Cette pension peut être monétaire ou en partie en nature (logement, loisir etc,… ). Le barème indicatif mis à disposition par la Chancellerie définit un montant de CEEE en pourcentage du revenu du parent débiteur, mais le juge arbitre en appréciant la situation dans son ensemble au cas par cas. La question du montant est d’autant plus complexe que les revenus des deux ex-conjoints sont faibles. Lorsque le parent débiteur ne peut pas payer une contribution d’un montant suffisant pour l’éducation des enfants, le système social prend le relais avec l’Allocation de soutien familial dite complémentaire. Il s’agit d’une prestation différentielle qui permet d’assurer une contribution minimale fixée à 115,64 euros par enfant et par mois. Par exemple si le juge fixe la CEEE à 50 euros, alors le parent ayant la garde de l’enfant recevra 65,64 euros en complément au titre de l’ASFC[2].

Comment lutter contre les impayés de pensions alimentaires ?

La grande majorité des contributions (82 %) sont payées systématiquement, 8 % le sont irrégulièrement, et 12 % ne sont pas payées (Insee, 2015). Ces statistiques ne concernent que les couples divorcés et ne tiennent pas compte des situations de séparation de parents non mariés pour lesquels les impayés existent aussi. Le Ministère des solidarités et de la santé avance un chiffre de 30 à 40% de pensions totalement ou partiellement impayées.

Pour aider les mères isolées dont l’ex-conjoint ne paie pas la CEEE, une garantie d’impayé de pension alimentaire (GIPA) a été instaurée en 2014 de façon expérimentale puis généralisée en 2016 sur l’ensemble du territoire. La GIPA garantit à hauteur de l’ASF toute pension impayée par le parent débiteur et cette ASF recouvrable est versée par la CAF qui réalise les démarches juridiques pour recouvrer les sommes dues. Pour une CEEE dont le montant excède le niveau de l’ASF (115,64 euros par enfant), le parent créditeur recevra le solde si la CAF réussit à recouvrer les sommes dues. Ce nouveau dispositif s’est accompagné de la création de l’Agence de recouvrement pour les impayés de pension alimentaire (ARIPA) en janvier 2017. Ce dispositif devrait être renforcé afin d’accroître le nombre de pensions impayées recouvrées.

L’incohérence du traitement des pensions alimentaires dans le système social

La façon dont les CEEE sont prises en compte dans les barèmes sociaux et fiscaux pour les deux parents n’est pas toujours cohérente.

L’impôt sur le revenu traite le versement de la CEEE comme un transfert de revenu. Ainsi, le parent débiteur déduit la pension versée de son revenu imposable et le parent créditeur l’ajoute à son revenu imposable. Lorsque les deux parents sont imposables et ne sont pas éligibles aux revenus sociaux (du type RSA ou Prime d’activité), le versement de la contribution améliore alors la situation de la mère et son impact sur le niveau de vie de père est atténué par la déduction fiscale.

En revanche, le calcul du RSA et de la Prime d’activité revient à compter deux fois les CEEE dans les revenus des parents. La mère qui a la garde des enfants doit déclarer les CEEE reçues, ce qui réduit d’autant le montant de la prestation (par un mécanisme différentiel), mais en contrepartie elle bénéficie de suppléments pour enfants à charge au titre du RSA et de la Prime d’activité[3]. En revanche, le père ne peut pas déduire les contributions qu’il verse à son ex-conjointe de ses ressources dans le calcul du RSA ou de la Prime d’activité et il ne bénéficie d’aucun supplément de ces prestations au titre de la charge que représente cette contribution sur son niveau de vie.

Le traitement des CEEE dans l’impôt sur le revenu, le RSA et la Prime d’activité implique que leur versement ne modifie pas le revenu disponible des mères isolées ayant de faibles ressources (substitution de la solidarité familiale à la solidarité collective) et qu’il améliore la situation des mères isolées qui ne sont pas éligibles aux prestations sociales. Du côté des pères, ceux qui sont imposables bénéficient d’une prise en compte de la charge que constitue la CEEE sur leur niveau de vie, ce qui n’est pas le cas de ceux potentiellement éligibles au RSA.

Mais au-delà de ces deux transferts sociaux (RSA et Prime d’activité), les contributions sont également prises en compte pour le calcul des aides au logement, des prestations familiales dégressives et/ou sous condition de ressources et de l’ensemble des tarifs sociaux basés sur un quotient familial (tarifs préférentiels de la cantine et des activités périscolaires par exemple). Pour ces aides, comme pour l’impôt sur le revenu, les CEEE sont considérées comme un transfert de revenu : le parent créditeur intègre les contributions reçues dans son revenu ce qui réduit les montant auxquels il a droit, et le parent débiteur les déduit de ses ressources ce qui accroît son degré d’éligibilité à ces prestations. In fine pour les mères élevant seules leurs enfants, la baisse de l’ensemble des prestations sociales peut être supérieure au montant de la contribution reçue ce qui induit une baisse de son revenu disponible. Autrement dit le taux marginal effectif d’imposition des contributions pour l’entretien et l’éducation des enfants est supérieur à 100%.

Prenons le cas d’ex-conjoints ayant deux enfants, le père débiteur gagne 1,5 fois le Smic (1 760 € par mois) et la mère isolée n’a pas de revenus d’activité. Si le père paie la contribution (122 € par enfant selon le barème indicatif, soit 244 €), le revenu disponible de la mère est alors de 1 347€ après transferts sociaux et prélèvements fiscaux. En revanche, si le père ne paie pas la contribution due, la mère isolée peut percevoir l’ASF (soit 115,64 € par enfant, soit 231,28 €) grâce à la GIPA. Pour cela elle doit en faire la demande et cette demande doit être validée (ce qui requiert que la mère ait effectivement engagé des démarches pour le recouvrement de la pension ou que le père ne soit pas solvable). Si la mère perçoit l’ASF en l’absence de contribution versée par le parent débiteur, son revenu disponible est de 1 392€ par mois, soit 45 € de plus que si le père verse la contribution due. En effet, la contribution est certes supérieure au montant de l’ASF de 13€, mais son versement implique une baisse du RSA de 59€ [4]. Si la mère ne perçoit ni l’ASF ni la CEEE, son revenu disponible est de 1 347 € et le recouvrement ne modifie pas son niveau de vie : la baisse du RSA compense exactement l’augmentation du revenu lié à la perception de la pension.

Supposons maintenant que la mère créditrice gagne le Smic. Si le père paie la contribution de 244 €, le revenu disponible de la mère est de 1 999€ après transferts sociaux et prélèvements fiscaux. En revanche si le père ne paie pas la contribution, le revenu disponible de la mère isolée est de 2 116 € par mois si elle perçoit l’ASF et de 2 070 € sinon. Dans les deux cas, le recouvrement de la contribution due par le père réduirait le niveau de vie de la mère et des enfants dont elle a la garde et ceci en raison de la baisse de la Prime d’activité (baisse de 60€ avec ASF et de 244€ dans le cas où elle ne perçoit pas l’AFS) mais aussi d’une baisse de l’aide au logement (de 71€ pour une aide en zone 2 avec un loyer égal au loyer plafond).

Certes pour toutes les femmes qui, du fait de ressources propres suffisantes, ne sont pas éligibles aux prestations sociales du type RSA, Prime d’activité ou allocations logement, le paiement effectif de la contribution implique une augmentation de leur revenu disponible. Mais pour toutes celles qui bénéficient de prestations sociales et de tarifs sociaux, le recouvrement réduit le niveau de vie. Or il s’agit de celles qui sont dans les situations les plus précaires. Reste le cas des mères qui ne recourent pas au RSA ou à la Prime d’activité et pour lesquelles le versement de la contribution accroît le niveau de vie, mais le non-recours aux prestations sociales constitue un dysfonctionnement du système social.

Pour éviter que le niveau de vie de certains parents baisse suite au paiement de la CEEE par leur ex-conjoint, il convient donc d’adopter une approche globale. Il est légitime de mettre en place les procédures facilitant le recouvrement des impayés de pensions alimentaires, car il n’y a aucune raison que l’Etat se substitue au parent débiteur lorsque celui-ci est en mesure de contribuer à l’entretien et à l’éducation de ses enfants. Mais lorsque la CEEE est effectivement payée, non seulement l’Etat ne verse plus l’ASF, mais il verse moins d’aides sociales diverses (allocations logement, RSA, prime d’activité) ce qui réduit la voilure des dépenses sociales, mais grève d’autant le revenu disponible des mères isolées et le niveau de vie de leurs enfants. Pour améliorer la situation des mères isolées, il ne suffira donc pas de recouvrer les pensions dues, mais il faudra revoir l’articulation du paiement des CEEE avec le système social et fiscal. Des travaux sont en cours au Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) et des propositions allant de ce sens seront formulées avant l’été. Parallèlement, l’OFCE travaille actuellement à la rédaction d’un rapport sur la situation des socio-économiques des parents isolés dans le cadre d’un contrat de recherche réalisé pour la Direction générale de la cohésion sociale.

 

[1] Les gardes alternées ne représentent que 16% des organisations familiales fixées par le juge à la suite à une séparation.

[2] Notons que l’allocation n’est pas payée pour des montants inférieurs à 15 euros par parent bénéficiaire.

[3] Le RSA et la Prime d’activité peuvent être majorés dans certains cas : si le benjamin a moins de 3 ans ou durant la première année qui suit la séparation.

[4] L’ASF n’est pas intégralement déduite du RSA, mais seulement à hauteur de 80 % de son montant.




RSA : un non-recours de 35% ?

Par Guillaume Allègre, @g_allegre

Le non-recours au RSA est souvent invoqué pour justifier une réforme du système d’aide aux personnes à bas revenus (Revenu universel, mise en place d’une allocation sociale unique qui fusionnerait RSA, Prime d’activité et Allocation logement). Selon la CNAF, le non-recours au RSA-socle serait de 36%. (CNAF, 2012). Pour faire cette estimation, la CNAF s’appuie sur une enquête quantitative, réalisée au téléphone auprès de 15 000 foyers sélectionnés à partir de leurs déclarations fiscales. L’enquête quantitative sur le RSA a été spécifiquement conçue pour reproduire un test d’éligibilité à cette prestation. Pourtant, certains foyers non éligibles au RSA déclarent en bénéficier. Cette catégorie représente 524 foyers dans l’enquête, soit 11% des bénéficiaires. Elle peut résulter d’une erreur de déclaration au moment de l’enquête, ou d’une approximation du test d’éligibilité de l’enquête. En tout état de cause, l’existence de cette catégorie montre qu’il est difficile d’estimer un non-recours à l’aide d’une enquête, même spécifique. Par ailleurs, le Secours catholique estime à 40% le non-recours au RSA-socle (sur l’ensemble des ménages rencontrés en 2016 par l’association)[1].

Il existe un autre moyen d’estimer le non-recours au RSA. Depuis peu, l’INSEE et la DREES ont mis en accès libre le logiciel de micro-simulation INES. INES permet de simuler la législation socio-fiscale en s’appuyant sur l’ERFS (Enquête sur les revenus fiscaux et sociaux). L’ERFS a pour source les déclarations fiscales ; l’enquête – issue de données administratives – est donc très exhaustive (les ménages sont tenus de déclarer leurs revenus tous les ans). L’ERFS a cependant des limites, elle ne concerne que les ménages dits ordinaires. Sont exclues les personnes qui n’ont pas de logement (sans-abris) et les personnes qui habitent dans des institutions (armée, maisons de retraite[2], …). Le champ est celui de la France métropolitaine. Les déclarations de revenus sont annuelles, or la base ressource du RSA sont les revenus trimestriels, ce qui implique, pour simuler le RSA, de « trimestrialiser » les revenus sur la base d’hypothèses ad hoc.

Selon la simulation faite sur INES (législation 2015), le nombre d’éligibles au RSA-socle au quatrième trimestre 2015 devrait être d’environ 2 000 000 de foyers, alors que le nombre réels de bénéficiaires du RSA-socle selon la CNAF en décembre 2015 était de 1 720 000[3]. Selon l’enquête ERFS (et la microsimulation), le non-recours au RSA socle serait donc de 14%[4].

Le non-recours au RSA-socle est-il de 14% ou de 36% ? La vérité se situe très certainement entre les deux mais à quel niveau ? Le non-recours aux allocations-logement est estimée à 5% (Simon, 2000). Or les deux prestations (RSA, allocations logement) ont des publics proches. Le non-recours au RSA est certainement plus élevé que celui aux allocations logement (la population cible est plus pauvre, les démarches administratives sont plus importantes pour le RSA). Par contre, l’écart entre 5% (non-recours estimé aux allocations-logement) et 36% (non-recours estimé par la CNAF au RSA) est difficilement explicable.

Il existe plusieurs formes de non-recours (Odeonore, 2010) : la non-connaissance, lorsque l’offre n’est pas connue de la personne éligible ; la non-demande contrainte, lorsque l’offre est connue et que la personne éligible ne la demande pas par découragement devant la complexité administrative ou peur de stigmatisation ; la non-réception, lorsqu’une personne éligible demande la prestation mais ne la reçoit pas du fait d’un dysfonctionnement du service prestataire. Enfin il existe une dernière forme de non-recours: la non-demande par choix, lorsqu’une personne éligible et informée décide de ne pas demander la prestation, par exemple pour des questions éthiques (c’est le cas de certains zadistes qui choisissent de ne pas demander le RSA car ils ne veulent pas recevoir de l’argent de l’Etat).

 

Pour citer ce billet : Guillaume Allègre (2018), « RSA : un non-recours à 35% ? », OFCE Le Blog, janvier.

 

[1] Source : rapport 2017 du Secours catholique : https://www.secours-catholique.org/sites/scinternet/files/publications/rs17_0.pdf

[2] Mais ceci n’est pas important pour le RSA car les personnes de plus de 65 ans sont éligibles à un autre minimum social, l’ASPA.

[3] RSA socle + RSA socle et RSA activité, France métropolitaine. CAF+MSA Sources : http://data.caf.fr/dataset/foyers-allocataires-percevant-le-revenu-de-solidarite-active-rsa-par-caf

http://statistiques.msa.fr/wp-content/uploads/2017/01/Situation-du-RSA-au-regime-agricole-a-fin-2015.pdf

[4] Ce résultat varie de quelques pourcentages selon les années, ce qui montre que le modèle est – comme tout modèle – imprécis. L’équipe INES (INSEE-DREES) considère que l’on ne peut pas utiliser le modèle pour mesurer le non-recours notamment parce que l’ERFS capte mal les très bas revenus (le non-recours estimé avec INES sous-estimerait alors le non-recours réel). Historiquement, l’ERFS n’est pas jugée très bonne pour estimer l’éligibilité au RSA socle. Il est vrai que les bénéficiaires du RSA n’étant par construction pas imposable, ils ne risquent pas de pénalité en cas de mauvaise déclaration. Ce problème a été (en partie) résolu avec la déclaration pré-remplie.




Restructurer la CSG et la Prime d’activité ? Commentaires sur la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2015

par Henri Sterdyniak

Le 29 décembre 2015, le Conseil constitutionnel a censuré l’article 77 de la Loi de finances 2015. Issu d’un amendement présenté par deux députés socialistes, Jean-Marc Ayrault, ancien Premier ministre, et Pierre-Alain Muet, cet article instaurait le versement d’une fraction de la prime d’activité (PA) sous la forme d’une réduction dégressive de la CSG.

Cette censure était souhaitée et prévue par le gouvernement et la plupart des fiscalistes.  L’amendement rendait encore plus inextricable notre système fiscalo-social.  Une prestation sociale (la prime d’activité, PA), calculée sur une base familiale, devait être versée en partie par l’entreprise sous la forme d’une réduction de la CSG (le montant de la réduction n’ayant aucun lien avec le montant de la PA due), réduction qui devait s’imputer sur la PA versée par la CAF, mais devait être récupérée sous forme de hausse de l’IR l’année suivante pour ceux qui n’auraient pas droit à la PA.  Ainsi, les députés avaient-ils voté en décembre 2015 une réforme de la PA votée en juillet, avant même que cette prime ne soit encore versée. De toute évidence, c’est au moment du vote de la PA que les modalités de versement auraient dues être pensées.

Malheureusement, le Conseil constitutionnel a censuré l’amendement sur un premier grief (la différence de traitement entre les salariés et les non-salariés) sans examiner les autres, de sorte que certains commentateurs (comme Thomas Piketty, « Retour sur la censure de l’amendement Ayrault-Muet », Libération, 31 décembre 2015) ont cru qu’il suffirait d’étendre les bénéfices de l’amendement aux non-salariés. Certains se sont indignés d’une décision qui « empêchait  les parlementaires d’améliorer les conditions de vie des travailleurs modestes ». Nous voudrions ici expliquer pourquoi l’amendement en question n’était pas bien pensé et, plus généralement, pourquoi l’aide aux familles de travailleurs pauvres ne peut pas prendre la forme d’une réduction de la CSG.

Un amendement malvenu

Le système fiscalo-social français est basé sur un principe fondamental, qui est la reconnaissance de la famille, en tant qu’unité de base. Les parents sont censés partager l’ensemble des ressources de la famille entre tous ses membres. La fiscalité comme les prestations sociales évaluent le niveau de vie de la famille en considérant sa composition et l’ensemble de ses revenus. Selon ce principe, tout impôt progressif, toute prestation à visée redistributive doit être familialisée. C’est le cas de l’IR, du RSA, des allocations logement.

Ce principe peut certes être remis en cause ; certains souhaitent que la France passe à un système individuel, qui ne reconnaîtrait pas la famille comme élément de base de la société. Mais, ce choix doit être publiquement posé et démocratiquement décidé. Il doit être pensé de façon cohérente pour les prestations comme pour les impôts comme pour le droit du divorce et de l’héritage. Il suppose, en particulier, que soit clairement établi qui supporte la charge financière des enfants. Il ne peut être introduit en contrebande, par des amendements qui affaiblissent la cohérence du système actuel sans proposer un système alternatif cohérent. Or, l’amendement Ayrault-Muet stipulait que l’imposition des revenus avait deux composantes, l’IR et la CSG, et aboutissait à ce que la progressivité de la seconde se fasse sur une base individuelle, ne tenant pas compte, de plus, des revenus du capital[1].  Aussi, certains économistes comme Piketty, Liem-Hoang-Ngoc (« La réforme fiscale manquée », Libération du 6 janvier 2016), Bargain, Lehmann et  Trannoy (« L’amendement Ayrault sur la fiscalité ne doit pas être repoussé », Le Monde, 9 décembre 2015) soutenaient l’amendement, mais comme une étape vers une réforme fiscale, dont le contenu n’a pas fait l’objet jusqu’à présent d’un débat et d’une décision démocratique. Ce n’est pas une bonne méthode.

Le système français aide fortement les travailleurs à bas-salaires et leurs familles (tableau 1). Le choix fait a été d’instaurer un salaire minimum relativement élevé en en réduisant le coût pour les employeurs par de fortes exonérations de cotisations sociales patronales. Ainsi, la valeur du travail est reconnue ; ainsi, les travailleurs dits non-qualifiés sont incités à travailler. Par ailleurs, les familles de travailleurs pauvres sont aidées par les prestations familiales, les allocations logement,  naguère par le RSA activité, maintenant par la PA.  Ainsi, un célibataire au SMIC supporte un prélèvement négatif (-45 euros) si on fait le solde entre les cotisations sociales non-contributives (maladie, famille, etc.) que verse son employeur (314 euros), sa CSG-CRDS (115 euros), ses impôts indirects (218 euros) d’un côté, sa prime d’activité (94 euros), son allocation logement (67 euros) et les exonérations de cotisations employeurs (531 euros) de l’autre. De même, le prélèvement est négatif (-81 euros) pour une famille de deux adultes payés au SMIC, ayant deux enfants à charge.

Le choix fait en juillet 2015 a été de renforcer la progressivité du système en remplaçant le RSA activité et la PPE par la Prime d’activité.  Comme l’aide aux familles pauvres doit être familialisée et tenir compte de l’ensemble de leurs revenus, elle ne peut pas figurer sur la fiche de paye puisque l’employeur ne connaît pas la situation familiale de ses salariés, leurs autres revenus et que le barème de l’aide souhaitable ne correspond pas à celui de la CSG (tableau 2). Le dispositif mis en place par la PA est beaucoup plus ciblé sur les familles les plus pauvres que ne l’eût été la dégressivité de la CSG.  Il est impossible d’aider fortement les familles les plus pauvres par la dégressivité de la CSG car elles en paient très peu. Cette dégressivité ne peut être familialisée et donc elle diminuerait le niveau de vie relatif des familles avec enfants.

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En contrepartie, le risque est grand que la PA souffre d’un taux de non-recours élevé, puisque c’est une prestation quérable, dont le montant découle d’un calcul compliqué, intégrant le revenu de la famille et les salaires de chacun, difficilement compréhensible par les bénéficiaires potentiels. Le taux de non-recours du RSA activité était certes de 62%, mais celui des allocations logement (une prestation quérable et compliquée) est lui de l’ordre de 10%[2].  Les conditions d’obtention de la PA sont allégées et simplifiées par rapport à celles du RSA activité, de sorte que les 50% de taux de recours prévu pourraient progressivement être augmentés. L’amendement Ayrault-Muet aurait risqué de démobiliser les CAF sur ce que doit dorénavant  être leur objectif: la hausse du taux de recours de la PA.

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L’amendement proposé par Ayrault et Muet souffrait de son ambiguïté. Les entreprises auraient distribué à leurs salariés un acompte à la PA qui aurait pris la forme d’une réduction dégressive de la CSG, soit 90% du montant de la CSG pour les travailleurs au SMIC, pourcentage qui aurait diminué linéairement pour s’annuler à 1,34 fois le SMIC. Les auteurs de l’amendement le défendaient, parfois en soutenant qu’il s’agissait d’un simple acompte à la PA (et donc qu’il n’était pas  gênant qu’il soit réservé aux salariés et qu’il ne tienne pas compte des charges familiales), parfois en soutenant qu’il s’agissait de rendre la CSG progressive, et donc de réduire la charge fiscale des travailleurs à bas-salaires.

Il est trompeur d’écrire comme les auteurs de l’amendement que le taux d’imposition est immédiatement de 9,7% pour le salarié qui perçoit juste le SMIC, puisque c’est ne tenir compte que de la CSG-CRDS en oubliant, dans le cas du célibataire, la PA,  les allocations logement, les cotisations employeurs et leurs exonérations et, dans le cas des familles, les prestations familiales, qui font que le taux d’imposition net est négatif à ce niveau de salaire. Il est trompeur de prétendre que grâce à l’amendement, le taux d’imposition du travailleur au SMIC passait à  1,4%, en confondant un acompte sur prestation avec une baisse d’impôt.

Le mécanisme proposé par l’amendement Ayrault-Muet ne bénéficiait pas aux familles qui reçoivent le plus de PA (tableau 2). Certes, le taux de recours aurait mécaniquement augmenté, mais pas pour les familles les plus pauvres.  La CAF pour verser la PA aux familles de salariés aurait dû connaître la ristourne de CSG dont elles avaient effectivement bénéficié, ce qui aurait encore compliqué le dispositif. L’amendement ne prévoyait pas comment ce transfert d’information se serait effectué, ni comment les pertes de CSG seraient compensées à la Sécurité sociale. Par ailleurs, des salariés auraient bénéficié de la ristourne de la CSG sans avoir droit à la PA, en raison des revenus de leur conjoint ou de revenus du capital ; cette ristourne aurait dû être récupérée par le fisc au moment du versement de l’IR. Encore une nouvelle complication puisque le fisc aurait dû vérifier pour chaque ménage ayant bénéficié de la ristourne CSG sans demander la PA s’il y avait droit.  Mélangeant la CSG, la PA et l’IR, l’amendement accentuait encore la mise en cause de l’autonomie des ressources de la Sécurité sociale. On ne peut  utiliser la CSG comme acompte d’une PA, alors que les deux obéissent à des logiques bien différentes.

Le mieux est l’ennemi du bien. Du moment où le système français comporte des transferts fortement redistributifs (comme l’IR, l’ISF, les cotisations employeurs, la PA, les AL), il n’est pas nécessaire que tous les prélèvements le soient, d’autant qu’un prélèvement progressif obligatoirement familialisé est obligatoirement difficile à gérer. Le choix fait d’aider les travailleurs pauvres par la PA plutôt que par la dégressivité de la CSG (mesure déjà censurée par le Conseil constitutionnel le 19 décembre 2000) est légitime. Il est bizarre de la remettre en cause cinq mois après son vote.

Il est trompeur d’écrire, comme Laurent Mauduit (Médiapart du 30 décembre 2015, « Le Conseil constitutionnel plombe toute réforme fiscale »), « cette disposition contribuait à rétablir un peu d’équité dans un système français très inégalitaire »  ou la décision du Conseil constitutionnel « conforte le conservatisme néo-libéral ambiant au terme duquel les riches ne doivent surtout pas payer plus d’impôt que les pauvres ». Il est erroné de prétendre que cette décision remet en cause le principe de progressivité de l’impôt ; au contraire, elle conforte la jurisprudence de la Cour : l’impôt progressif  doit être familial.

Le système mis en place est-il pour autant parfait ?  Non, sans doute et pour deux raisons, au moins. La prime d’activité aide les familles de travailleurs pauvres, mais n’est plus versée en cas de chômage, ce qui  augmente fortement la perte de revenus de ces familles en cas de  chômage. Pourquoi ne pas considérer les allocations chômage comme un revenu d’activité et ouvrir aux chômeurs le droit à la PA ?

Il eut été préférable de bien séparer l’objectif d’aide aux familles les plus pauvres (qui nécessite obligatoirement un suivi en temps réel de la composition des familles et de leurs revenus) et l’objectif d’aide à l’emploi non-qualifié (qui dispose déjà d’un instrument spécifique : le couplage SMIC/exonération des cotisations employeurs).  Augmenter le SMIC de 10%, en compensant cette hausse par des exonérations de cotisations employeurs ; créer un complément familial pour les familles à 1 ou 2 enfants sous le seuil de pauvreté aurait permis de limiter fortement le nombre de bénéficiaires potentiels de la PA et de réduire le non-recours puisque le recours aux prestations familiales est nettement plus élevé que celui prévu pour la PA.

L’objectif doit être maintenant d’augmenter le taux de recours à la PA, ce qui suppose une forte volonté politique et une mobilisation des CAF pour que le taux prévu (50 %) soit dépassé.

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Prime d’activité et réduction de la CSG

La prime d’activité est calculée pour un ménage par la formule :

 PA = (montant forfaitaire + bonifications individuelles) – (38% des revenus d’activité + autres ressources + prestations familiales + forfait logement).

Le montant forfaitaire est le montant du RSA et dépend de la composition de la famille ; le forfait logement est soustrait si la famille perçoit les allocations logement ou est propriétaire de son logement ; la bonification individuelle est versée pour les actifs dont les revenus d’activité sont d’au moins 0,5 Smic ; elle atteint 67 euros pour un actif dont les revenus d’activité dépassent 0,8 SMIC.

Soit, pour une famille de deux enfants et un actif au SMIC :

PA=1001+67-(0,38*1142+0+129+67+129)= 449 € par mois.

La CSG est actuellement de 7,5% sur les 98,75% du salaire brut. L’amendement Ayrault-Muet prévoyait une réduction de 90% pour les salariés au SMIC, soit de 6,67% du salaire brut, soit 98 €. Le taux de réduction baissait linéairement jusqu’à 1,34 SMIC.

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[1] Certes, la CSG est déjà quelque peu progressive pour les  retraités, pour des raisons historiques (quand la CSG a été introduite, les pouvoirs publics n’ont pas voulu diminuer le pouvoir d’achat des plus faibles retraites), mais cette progressivité est entièrement calquée sur celle de l’IR, de sorte qu’elle tient compte de l’ensemble des revenus du retraité et de sa situation familiale.

[2] Selon : CAF (2014) : L’Accès aux droits et le non-recours dans la branche Famille des Prestations familiales, Novembre.




Après la décision du Conseil constitutionnel, l’impossible fusion RSA-PPE

Par Henri Sterdyniak

En juin 2014, le gouvernement avait fait voter par le parlement une nouvelle disposition prévoyant la dégressivité des cotisations sociales salariés, afin d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés à bas salaires. Ainsi, un salarié payé au SMIC aurait bénéficié d’une réduction de 3 points de cotisations, soit un gain de 43 euros par mois, correspondant à une hausse de 4% de son salaire net. La ristourne devait ensuite diminuer avec le niveau de salaire horaire pour s’annuler à 1,3 fois le SMIC. Le 6 août 2014, le Conseil constitutionnel a décidé de censurer cette disposition. Cette censure est bienvenue pour trois raisons.

Comme le fait remarquer le Conseil constitutionnel, les cotisations salariés financent des prestations de retraites ou de remplacement, d’assurances sociales, réservées aux personnes ayant cotisé, et qui dépendent des cotisations versées. La mesure aurait brisé la logique contributive du système puisque des salariés auraient ainsi eu la possibilité de percevoir des droits sans avoir pleinement cotisé[1]. Le Conseil constitutionnel souligne la spécificité des cotisations sociales contributives et rappelle ainsi un principe sain de notre système de sécurité sociale. Il faut cependant remarquer que le Conseil constitutionnel ne s’était pas opposé aux mesures d’exonérations de cotisations sociales employeurs portant sur les cotisations retraite dont la logique est également contributive. Par contre, les exonérations de cotisations maladie ou famille sont plus légitimes puisque ces cotisations n’ouvrent pas de droits individuels. Mais, il n’est jamais trop tard pour corriger ses oublis.

La nouvelle mesure prévue par le gouvernement aboutissait une nouvelle fois à réduire les ressources propres de la Sécurité sociale. Les exonérations de cotisations sociales sont devenues la plus grande arme contre le chômage au détriment de l’objet même des cotisations : financer la Sécurité sociale. Certes, l’Etat aurait compensé ces exonérations, mais la Sécurité sociale aurait dépendu encore plus de transferts publics d’autant que cette mesure s’ajoutait, pour les seules années 2013 et 2014, à l’extension des réductions de cotisations sociales employeurs et aux transferts des ressources issues de la fiscalisation des majorations familiales de retraite et de la baisse du quotient familial.

Enfin, cette exonération aurait introduit une nouvelle complication pour les fiches de paie. Celles-ci comportent déjà une vingtaine de lignes de cotisations. De plus, les employeurs doivent calculer des exonérations de cotisations employeurs dégressives de 28 points au niveau du SMIC jusqu’à 1,6 fois celui-ci, auxquelles s’ajoute le Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) de 6 % pour les salaires inférieurs à 2,5 fois le SMIC. A partir de 2016, les cotisations familiales seront abaissées de 1,8 point pour les salaires inférieurs à 3,5 fois le SMIC. Fallait-il rajouter une nouvelle dégressivité, avec un nouveau plafond, de 1,3 fois le SMIC ?

Malgré cette censure, le gouvernement ne renonce pas à son objectif. Ainsi, dans un article du Monde daté du 21 août 2014, le Président François Hollande a-t-il annoncé une réforme « qui fusionnera la Prime pour l’emploi (PPE) et le Revenu de solidarité active (RSA) pour favoriser la reprise du travail et améliorer la situation des travailleurs précaires ». Une telle réforme permettrait-elle de remplir l’objectif du président ? Pour répondre à cette question, il est utile de revenir sur les dispositifs existants.

L’état des lieux

La France a mis en place un système particulièrement compliqué qui vise deux objectifs en partie contradictoires : aider les familles pauvres et inciter les travailleurs non-qualifiés à travailler.

L’aide aux ménages les plus pauvres comprend le RSA (un revenu minimum familialisé), la PPE (une allocation individualisée visant à inciter à l’emploi), les allocations-logement (une allocation familialisée) et des prestations familiales sous conditions de ressources (complément familial, allocation de rentrée scolaire). Malgré les efforts de Martin Hirsch, son promoteur, le RSA n’englobe pas la PPE et les allocations-logement. Il se compose d’une allocation de base : le RSA-socle (un revenu minimum, qui dépend de la composition familiale), qui est réduit de 38  euros pour 100 euros de revenu d’activité. Le RSA est versé mensuellement sur la base d’une déclaration trimestrielle de revenu. La PPE est, elle, versée automatiquement sur la base de la déclaration d’impôt sur le revenu, avec un an de décalage. Le RSA s’impute sur la PPE, de sorte qu’un ménage qui ne demande pas le RSA touche automatiquement la PPE.

Trois dispositifs visent spécifiquement à inciter à l’emploi les travailleurs à bas-salaires : les exonérations de cotisations employeurs qui diminuent le coût du travail au niveau du SMIC ; la PPE et le RSA qui augmentent le gain à l’emploi des travailleurs non-qualifiés.

Un célibataire payé au SMIC a droit à la PPE, mais pas au RSA (tableau 1). Il coûte 1 671 euros à son entreprise (pour 35 heures de travail) ; son salaire supporte 540 euros de cotisations, chômage ou retraite, représentant des salaires différés ; il reçoit un transfert net de 140 euros (PPE + allocation logement – CSG-CRDS –  cotisations maladie et famille) ; son revenu disponible est de 1 271 euros. Il ne supporte donc aucune charge fiscale nette ; son assurance maladie lui est offerte. Les exonérations de cotisations employeurs sont supérieures aux cotisations non-contributives. En jouant de l’ensemble des dispositifs existants, il est possible de dissocier le niveau de vie assuré aux travailleurs au SMIC du coût de leur travail.

Par contre, une famille mono-active (tableau 2) bénéficie du RSA tant que les revenus salariaux du ménage ne dépassent pas 1,65 fois le SMIC (tableau 2). Le RSA augmente les revenus des ménages les plus pauvres, il accroît les gains à l’emploi du premier actif, mais réduit un peu celui du deuxième (tableau 3). La PPE bénéficie à des familles bi-actives qui sont au-delà du seuil de pauvreté (défini comme 60 % du revenu médian).

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Les limites du système actuel

L’allègement des cotisations employeurs ; la PPE et le RSA créent une catégorie de salariés mal payés, dont les hausses de salaires sont très coûteuses pour l’employeur et peu rentables pour le salarié. Une hausse de 10 % du salaire d’un travailleur au SMIC (145 euros) coûte 242 euros à l’entreprise et rapporte 53 euros au salarié. Les entreprises sont incitées à créer des emplois non-qualifiés spécifiques, sans possibilité d’évolution pour les salariés, coincés dans une trappe à bas salaires. La réduction des cotisations sur les bas salaires ne favorise pas l’emploi de travailleurs qualifiés qui connaissent eux aussi un certain chômage. Les emplois créés ne correspondent pas à la qualification croissante des jeunes. Il serait donc nécessaire de revoir la cohérence de l’ensemble du dispositif. Pour autant, la persistance d’une masse importante de travailleurs non-qualifiés et la volonté de ne pas faire baisser le niveau de vie des travailleurs pauvres ne permettent guère actuellement de prendre le risque de supprimer les dispositifs existants.

Le calcul de la PPE est compliqué ; son versement intervient avec une année de retard, de sorte que son effet incitatif est sans doute très faible. Cette prime bénéficie à des salariés au-delà du seuil de pauvreté plutôt qu’aux familles les plus pauvres. En même temps, sa suppression diminuerait de 6% le niveau de vie des smicards, ce qui n’est pas envisageable.

Le taux de non-recours du RSA-activité est très important (de l’ordre de 68 %)[2]. Les travailleurs à bas salaires refusent d’être soumis à un suivi permanent pour toucher une prestation d’un montant relativement réduit. En raison de l’effet de stigmatisation dont sont victimes les titulaires du RSA, ils ne veulent pas être confondus avec des bénéficiaires du RSA-socle.

Le RSA fournit une allocation de l’ordre de 110 euros par enfant aux familles avec 1 ou 2 enfants au niveau du SMIC, allocation qui comble un manque de notre système, qui était peu généreux pour les familles de travailleurs pauvres. Mais cette allocation n’est pas versée aux familles de chômeurs. Il faudrait verser ces 110 euros sous forme d’un complément familial à toutes les familles pauvres avec 1 ou 2 enfants (celles à 3 enfants et plus ayant déjà un complément familial et des allocations plus généreuses) quelle que soit l’origine des revenus.

Le RSA n’est pas versé aux jeunes de moins de 25 ans alors que ceux-ci ont des difficultés particulières d’insertion.

Que faire ?

La France ayant déjà un grand nombre d’allocations et de prélèvements, il est possible de cibler précisément la mesure selon l’objectif visé. Plusieurs mesures sont envisageables :

Augmenter les prestations familiales

Si l’objectif est d’augmenter le pouvoir d’achat des familles pauvres, le plus simple est d’augmenter nettement les prestations familiales et l’allocation logement. Au contraire, le gouvernement a décidé de suspendre leur indexation en 2014 ou en 2015, leur infligeant ainsi des pertes de pouvoir d’achat, heureusement limitées par la faiblesse de l’inflation. Mais, la doctrine dominante aujourd’hui est qu’il faut inciter à l’emploi, donc augmenter les salaires nets plutôt que les prestations.

Baisser l’impôt sur le revenu

Les familles pauvres ne payant pas d’impôt sur le revenu, une baisse de celui-ci ne peut les concerner.

Rendre la CSG progressive

Comme le montre le tableau 1, un travailleur au SMIC paie 114 euros de CSG-CRDS et reçoit 79 euros de PPE. Ne pourrait-on compenser la suppression de la PPE en rendant la CSG progressive, ce qui permettrait d’exonérer les travailleurs au SMIC et d’augmenter le salaire perçu chaque mois par les smicards ? Avec justesse, le Conseil constitutionnel considère que tout impôt progressif doit être familialisé et doit prendre en compte l’ensemble des revenus de la famille. Une vraie progressivité de la CSG est donc pratiquement impossible à mettre en œuvre puisque les employeurs et organismes financiers devraient connaître la situation familiale de leurs salariés ou clients et l’ensemble de leurs revenus, donc refaire chacun le travail du fisc. Cela n’aurait de sens que dans le cadre d’une fusion CSG-IR, qui n’est pas envisageable à court terme.

Aussi, ne peut-on envisager qu’une progressivité réduite. Chacun aurait droit à un abattement de l’ordre de 1 445 euros par mois sur le montant de revenu soumis à la CSG-CRDS ; le conjoint sans ressources propres pourrait transmettre son droit à abattement à l’autre conjoint ; les enfants à charge donneraient droit à un abattement de moitié. En contrepartie, la PPE serait supprimée ; les retraités et les chômeurs pourraient être soumis à la même CSG que les salariés. Mais le coût de l’abattement serait énorme et il faudrait en contrepartie faire passer à 15% le taux de la CSG sur les revenus supérieurs à l’abattement. Il faut donc abandonner cette piste.

La fusion de la PPE et du RSA

La fusion de la PPE et du RSA est la piste proposée par le Président de la République. Mais, le diable est dans les détails : comment réaliser cette fusion ?

En 2013, le rapport du député Christophe Sirugue avait proposé une réforme consistant à créer une Prime d’activité qui remplacerait le RSA-activité et la PPE (voir l’analyse critique de Guillaume Allègre : Faut-il remplacer le RSA-activité et la PPE par une Prime d’activité ? Réflexions autour du rapport Sirugue, 2013) Mais, comme le RSA-socle persisterait, les familles à très bas salaires devraient solliciter deux allocations : le RSA-socle et la Prime d’activité. Le système serait compliqué pour elles. Le barème de la prime d’activité prévu dans le rapport Sirugue était arbitraire, avec des pentes et un pic à 0,7 SMIC qui n’avaient aucune justification. Le système était ainsi plus compliqué et plus arbitraire que celui du RSA et n’apportait pas d’améliorations fortes par rapport au système existant. La mesure proposée était coûteuse pour les familles mono-actives (certaines perdaient 10% de revenus). Le risque était que la prime d’activité souffre du même taux de non-recours que la PPA et que certaines familles perdent la PPE sans vouloir recourir à la Prime d’activité[3].

Une fusion qui aboutirait à une prestation familialisée versée par la CAF ferait courir le risque d’un taux élevé de non-recours et ferait des perdants parmi les ménages bi-actifs avec enfants. Une fusion qui aboutirait à une allocation versée sur la fiche de paie ne prendrait pas en compte les enfants et le conjoint, nuirait aux travailleurs à temps partiel et poserait des questions de cohérence avec le RSA socle.

Bref, la fusion est une piste délicate (sinon impossible) à mettre en œuvre.

Augmenter le SMIC[4]

Si l’objectif est d’augmenter le niveau de vie des salariés à bas salaires, la mesure évidente est d’augmenter le SMIC. Une hausse d’environ 10% permettrait de supprimer la PPE et de fournir aux smicards une hausse de revenu équivalente à celle qu’aurait procurée la mesure censurée par le Conseil constitutionnel. Certes, on renoncerait à aider spécifiquement les emplois à temps partiel, comme le fait la PPE, mais cette aide spécifique est trop compliquée pour avoir le moindre effet incitatif. Une hausse du salaire net est sans doute préférable.

Il faut cependant souligner qu’une augmentation du SMIC ne bénéficierait pas assez aux familles pauvres avec un ou deux enfants, en particulier aux familles de chômeurs, Il faudrait alors aider spécifiquement les familles de travailleurs pauvres (entre le RSA-socle et 2 fois le SMIC), en introduisant un complément familial de l’ordre de 80 euros pour un enfant, de 160 euros pour deux enfants

Le RSA-activité doit être maintenu, puisqu’il permet que toute activité se traduise effectivement par une hausse du revenu disponible mais son rôle serait réduit et, grâce à l’extension du complément familial, le non-recours aurait moins de conséquences pour les familles avec enfants.

Par ailleurs, il  faudrait créer une allocation d’insertion, du montant du RSA, pour les jeunes à la recherche d’un emploi, n’ayant pas de droit à l’indemnité chômage, allocation soumise à des cotisations retraites.

Reste que, dans la situation actuelle, où la baisse du coût du travail est un des axes majeurs de la politique gouvernementale, on ne peut augmenter le coût du travail non-qualifié, de sorte que deux modalités sont possibles.

Soit, la compensation pour les employeurs se fait par une hausse des exonérations de cotisations sur les bas-salaires (qui devraient passer de 28 à 34,6%), ce qui n’introduit pas un dispositif supplémentaire. Mais, les exonérations de cotisations employeurs porteront sur des cotisations contributives, ce qui pourrait susciter l’ire du Conseil constitutionnel.

Soit, la hausse du SMIC se fait par une PPE figurant sur la fiche de paie, celle-ci étant explicitement reconnue comme prime, ce qui implique que le taux de prélèvement obligatoire augmentera, mais aussi que le Conseil constitutionnel ne pourra s’y opposer, avec l’inconvénient que la prime sera dégressive avec le niveau du salaire horaire, donc représentera une charge administrative supplémentaire pour les entreprises.

On le voit, il n’y a pas de solutions simples.

 

 


[1] Le Conseil écrit :  «  un même régime de sécurité sociale continuerait, en application des dispositions contestées, à financer, pour l’ensemble de ses assurés, les mêmes prestations malgré l’absence de versement, par près d’un tiers de ceux-ci, de la totalité des cotisations salariales ouvrant droit aux prestations servies par ce régime ; que, dès lors, le législateur a institué une différence de traitement, qui ne repose pas sur une différence de situation entre les assurés d’un même régime de sécurité sociale, sans rapport avec l’objet des cotisations salariales de sécurité sociale ».

[2] Selon P.  Domingo et M. Pucci, 2012, « Le non-recours au revenu de solidarité active et ses motifs », annexe n° 1 du rapport du Comité national d’évaluation du Rsa.

[3] Le Rapport sur la fiscalité des ménages de François Auvigne et Dominique Lefebvre, 2014, pointe lui-aussi les déficiences du projet.

[4] C’est déjà la stratégie préconisée par Allègre (2014).




Fusionner RSA-activité et PPE ?

par Guillaume Allègre

Suite à la remise du rapport d’évaluation de la mise en œuvre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, le premier ministre a réaffirmé la volonté du gouvernement de fusionner RSA-activité et PPE.

Comme les auteurs du rapport le rappellent, en 2014, les dépenses publiques consacrées à ces deux mesures vont diminuer pour la quatrième année consécutive pour atteindre 3,9 milliards d’euros (contre 4,5 en 2009). Ceci est dû au gel de la PPE. Au départ, celui-ci était justifié par la mise en place du RSA-activité : le financement de la lutte contre la pauvreté laborieuse a bien pesé de façon disproportionnée sur les classes populaires, bénéficiaires de la PPE, comme nous le dénoncions dès 2008 (« Faut-il sacrifier la prime pour l’emploi sur l’autel du revenu de solidarité active ? ») puis de nouveau en 2011 ( «Les échecs du RSA » ). Dans un deuxième temps, le gel de la PPE a pu être justifié par celui, simultané, de l’impôt sur le revenu (IR) : il n’est pas illégitime que toutes les catégories participent, selon leurs moyens, à la réduction des déficits publics. Toutefois, sous fond de discours sur le « ras-le-bol fiscal », le gouvernement a renoncé au gel du barème de l’IR sans toucher à celui de la PPE, qui pourtant est un crédit venant se déduire de l’IR. Ceci pourrait être lié à la volonté de diminuer le nombre de perdants faisant suite à une réforme visant à fusionner RSA-activité et PPE.

En effet, comme le souligne la note de l’OFCE n°33 parue en septembre 2013, RSA-activité et PPE sont des dispositifs très différents (le RSA-activité est une prestation sociale familialisée tandis que la PPE est un crédit d’impôt individualisé), s’adressant à des publics différents. Une fusion à crédits constants ferait nécessairement des perdants pour un avantage très incertain, la prime d’activité proposée dans le rapport Sirugue ne répondant pas aux principales critiques adressées au RSA-activité et à la PPE.

Une autre stratégie est possible. Concernant la PPE, elle consiste à supprimer cet instrument, à augmenter le Smic d’autant et à réduire les cotisations patronales de façon à ne pas augmenter le coût du travail. Le bénéfice serait alors directement sous forme de salaire et non, avec un délai d’un an, sous forme de crédit d’impôt comme aujourd’hui.

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Pour en savoir plus : Faut-il remplacer le RSA-activité et la PPE par une Prime d’activité ? Réflexions autour du rapport Sirugue

Pour contacter l’auteur : guillaume.allegre@sciencespo.fr

Pour suivre l’auteur sur Twitter : @g_allegre

 




Comment peut-on défendre un revenu de base ?

par Guillaume Allègre

A la suite de la remise de 125 000 signatures réunies par des organisations défendant l’introduction d’un revenu de base, les citoyens suisses se prononceront lors d’un référendum d’initiative populaire sur l’inscription du principe du revenu de base dans la constitution fédérale helvétique.

La Note de l’OFCE (n°39 du 19 décembre 2013) analyse des fondements sur lesquels pourrait s’appuyer l’institution d’un revenu de base.

Si le revenu de base peut prendre plusieurs formes, son principe est d’être versé (1) de manière universelle, d’un montant égal pour tous, sans contrôle des ressources ou des besoins ; (2) sur une base individuelle et non aux foyers ou ménages ; (3) de façon inconditionnelle, sans exigence de contrepartie. Dans sa version progressiste, on peut rajouter une quatrième caractéristique : il doit être (4) d’un montant suffisant pour couvrir les besoins de base et permettre la participation à la vie sociale.

Bien qu’en apparence séduisant, il n’est pas aisé de trouver des fondements, en matière de justice distributive, compatibles avec ces quatre caractéristiques du revenu de base. Tant qu’il existe des économies d’échelle et un arbitrage politique entre conditionnalité et niveau du revenu minimum, alors, dans une perspective rawlsienne, un système de revenu minimum garanti de type RMI/RSA (familialisé et faiblement conditionné) semble préférable à un revenu de base pur. De plus, la réduction généralisée du temps de travail semble une solution politique plus soutenable que le revenu de base pour atteindre les objectifs écologiques et émancipateurs qui sont souvent assignés au revenu de base.

Il apparaît que l’avantage principal du revenu de base, de par son universalité, est de ne provoquer aucun indu ou non-recours et de ne pas stigmatiser les bénéficiaires nets du système. Dans cette optique, les minima sociaux pourraient être transformés en une allocation plus universelle, qui serait moins stigmatisante. Cette allocation devrait tenir compte de la composition familiale, définir une condition de participation sociale. Elle impliquerait un contrôle du travail au noir et conserverait les incitations au travail. Elle serait complétée par des politiques spécifiques prenant en charge les enfants, les personnes âgées et les handicapés, soit ceux qui ne répondent pas aux incitations, et s’ajouterait au système assurantiel (chômage, retraite, maladie). Le système de protection sociale ne serait ainsi pas réellement simplifié mais transformé pour éviter la stigmatisation et le non-recours.

Si le revenu de base n’est pas une idée stupide, ce n’est pas non plus la réforme miracle décrite par ses défenseurs : véritable couteau suisse – social, écologiste, émancipateur – de la réforme de la protection sociale.

Pour en savoir plus: Note de l’OFCE n°39 (pdf)

Pour contacter l’auteur : guillaume.allegre@sciencespo.fr

Pour suivre l’auteur sur twitter : @g_allegre




Faut-il remplacer le RSA-activité et la PPE par une Prime d’activité ? Réflexions autour du rapport Sirugue

Par Guillaume Allègre

Après avoir annoncé son intention de réformer les dispositifs de soutien aux revenus d’activité modestes (RSA-activité et Prime pour l’emploi – PPE), le Premier ministre a confié au député Christophe Sirugue l’élaboration d’un rapport portant sur les voies de réforme permettant de trouver un équilibre entre redistribution vers les plus pauvres et accompagnement du retour à l’emploi. 

La Note de l’OFCE n°33 du 24 septembre 2013 montre que la Prime d’activité proposée dans le rapport Sirugue n’améliorerait qu’assez marginalement le système de soutien aux bas revenus. Instrument hybride entre PPE et RSA-activité, la Prime d’activité est une nouvelle combinaison des défauts et qualités de ces deux instruments. La note propose une autre réforme, qui minimiserait le problème du non-recours. Le soutien aux bas revenus reposerait alors sur un RSA « conjugalisé », fortement dégressif, un complément familial généreux dès le premier enfant, une allocation d’insertion pour les chômeurs de 18 à 25 ans, versée par Pôle Emploi et une revalorisation du SMIC compensée par des allègements de cotisations employeurs.

 




A boost for the minimum wage or for income support?

By Guillaume Allègre

The government has made a commitment to an exceptional, “reasonable” boost to the French minimum wage, the “SMIC”, and to indexation based on growth, and no longer just on workers’ purchasing power. In Les Echos, Martin Hirsch has argued for strengthening the RSA [the French income support scheme] rather than the SMIC. The point is not to oppose the working poor, the target of the RSA, and low wages: redistribution policies need to attack, not just poverty, but inequality throughout the income chain.

In terms of reducing inequalities, there are several strategies: one strategy aims to reduce inequality in individual earnings; a second aims to reduce inequalities in living standards between households, the level at which people are presumed to live in solidarity. There are legitimate grounds for both these strategies. The RSA activité [the income supplement for the working poor] and the SMIC are thus not substitutable (see also “le SMIC ou le RSA?” in French). Unlike the RSA, the fight against poverty is not the objective of the SMIC. The SMIC aims “to ensure that employees with the lowest salaries share in the country’s economic development”. A high minimum wage has the effect of reducing inequalities across the bottom of the wage scale, with increases in the minimum wage impacting up to two times the SMIC. Given the increase in unemployment, in precarious jobs and in part-time work, full-time employees on the minimum wage are certainly not the poorest in society, but they are far from well-off. The SMIC reduces the income gap between the working class and the middle class, which is an objective in itself (though some in the middle class may take a dim view of this: by its very nature, reducing inequality isn’t going to satisfy everyone). In particular, it is not the same thing to receive a high salary or to receive a low salary supplemented by targeted social benefits. These benefits do not confer any rights to a pension or to unemployment benefits. In terms of dignity, the minimum wage level is the value that a society places on work. Social benefits targeted at the poorest people put them in a position of being assisted, which has consequences in terms of social representations (individual and collective). As work is performed by individuals, it is not illegitimate to try to reduce inequalities between employees and not only between the employees’ households.

The proposed boost to the RSA is ambiguous, as the term “RSA” designates both the minimum social benefits for the unemployed and the inactive population (the “base” RSA, formerly the RMI and API benefits) and the income supplement for the working poor (RSA activité). If the proposal for a boost applies only to the RSA activité, it would then be inconsistent with the objective of targeting the most disadvantaged households. If, on the contrary, it concerns the RSA as a whole, which would be legitimate, then it is necessary to be more explicit and to assume that it will benefit mainly the unemployed and the inactive [1]. In March 2012, there were 1.59 million people receiving just the base RSA, and 689,000 the RSA activité (all France), i.e. only one-third of RSA recipients received the activité component.

The implementation of the RSA activité has up to now failed in two ways (“The failings of the RSA income support scheme“): according to the final report of the National Evaluation Committee, it has had no discernible impact on employment, and poverty reduction has been severely limited because of a major lack of take-up of the RSA activité component. We can move quickly over the first point, as there is little emphasis these days on the incentive aspect of the RSA. The main problem of a boost to the RSA activité is indeed the lack of take-up: in the report, take-up for the RSA activité component alone is estimated at 68% in December 2010 [2]. And this is not a matter of the programme coming on line: between December 2010 and March 2012, the number of RSA activité beneficiaries increased only marginally in mainland France, from 446 000 to 447 000. Linking eligibility for the RSA activité to both earned income and family expenses and mixing into a single instrument beneficiaries of a social minimum and the working poor, who are sometimes very well integrated into the labour market, poses problems both in terms of improper assessment of eligibility for the provision and stigmatization. This highlights two causes of the lack-of take-up of the RSA activité: insufficient awareness of the scheme, on the one hand, and voluntary lack of take-up, on the other: 42% of non-applications who do not exclude themselves from eligibility declare that they did not file a claim because they “get by financially otherwise”, and 30% did not file a claim because they did “not want to depend on welfare, to owe something to the state” (p.61). Better information would not be sufficient to solve the problem of lack of take-up. Increasing the minimum wage, on the contrary, has the great advantage of automatically benefitting those affected without fear of stigmatization, since it involves labour income.

Unlike the RSA, increasing the gross SMIC increases labour costs. However, there are several strategies to raise the minimum wage that would not have a net effect on labour costs: the increase could be offset by a reduction in employers’ social contributions. One could also ease employee social security contributions on low wages. But this proposal would probably be censured by the Constitutional Council, which in 2000 knocked down the exemption of the CSG tax on low wages on the grounds that the progressivity of the CSG would then no longer depend on the household’s ability to pay [3]. Finally, a more extensive reform aimed at merging the CSG tax and the income tax would make it possible to reduce taxes on low wages and thus increase the net minimum wage. The integration of the PPE in-work negative income tax would also make it possible to show the amounts involved directly on the payslip.

The fight against inequality clearly should not stop with inequalities in wages between full-time workers. It is also necessary to attack involuntary part-time work, by enabling the workers concerned to move into full-time work and/or by making part-time work more costly by lowering the rate of general tax relief on employer social contributions.

Basically, there is no reason to want to vary the level of the base RSA relative to the minimum wage. However, since the base RSA is indexed to prices, its level has fallen sharply relative to the minimum wage since the early 1990s (see Périvier, 2007). It would therefore be legitimate to significantly raise the base RSA (even if this means reducing the rate of accumulation of the RSA activité component) and to index it to the minimum wage level. This would definitively solve the question of whether to boost the minimum wage or the RSA.


[1] Here it can be seen that the “simplification”, which consists of combining two instruments into one, is not facilitating public debate.

[2] This lack of take-up is partially due to the fact that, for some of those who are eligible (about a third), the potential gains are very low or even non-existent due to the deduction of the sums paid under the RSA activité from the PPE in-work negative income tax. But the lack of take-up is nevertheless high even when looking at the potential gainers (and not simply all those eligible).

[3] Decision No. 2000−437 DC dated 19 December 2000: “Whereas, while the legislature has the right to change the base of the general social contribution to alleviate the burden on the poorest taxpayers, this is subject to the condition that it does not undermine the existence of conditions of equality between taxpayers; that the provision in question does not take account of the taxpayer’s income other than from an activity or of income of other household members or of dependents within it; that the choice made by the legislature to not take into consideration all the contributory capacities does not create, between the taxpayers concerned, a manifest inequality that violates Article 13 of the Declaration of 1789.”




Un coup de pouce au SMIC ou au RSA ?

par Guillaume Allègre

Le gouvernement s’est engagé à un coup de pouce exceptionnel et « raisonné » pour le SMIC puis à une indexation fonction de la croissance et non plus seulement du pouvoir d’achat des ouvriers. Dans Les Echos, Martin Hirsch plaide lui pour un coup de pouce au RSA plutôt qu’au SMIC. Il convient de ne pas opposer travailleurs pauvres, auxquels le RSA s’adresse, et bas salaires : les politiques de redistribution doivent s’attaquer aux inégalités tout au long de l’échelle des revenus et pas seulement à la pauvreté.

En termes de réduction des inégalités, il existe plusieurs stratégies ; une première stratégie vise à réduire les inégalités individuelles de salaires ; une autre vise à réduire les inégalités de niveau de vie entre ménages, niveau auquel les individus sont supposés solidaires. Ces deux stratégies ont, chacune, leur légitimité. Le RSA activité et le SMIC ne sont ainsi pas substituables (voir aussi « le SMIC ou le RSA ? »). Contrairement au RSA, la lutte contre la pauvreté n’est pas l’objectif  du SMIC. Le SMIC a pour objectif « d’assurer aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles une participation au développement économique de la nation ». Un SMIC élevé a pour effet de réduire les inégalités dans toute la partie basse de l’échelle des salaires, les hausses du salaire minimum se diffusant jusqu’à deux SMIC. Depuis le développement du chômage, des emplois précaires et à temps partiels, les salariés au SMIC à temps plein ne sont certes pas les plus pauvres, mais ils sont loin d’être aisés. Le SMIC réduit l’écart de revenus entre la classe populaire et la classe moyenne, ce qui est un objectif en soi (même si ceci peut-être mal perçu par une partie de la classe moyenne : par construction, la réduction des inégalités ne contente pas tout le monde). Surtout, il n’est pas équivalent de recevoir un salaire élevé ou de recevoir un salaire faible complété par une prestation sociale ciblée. Les prestations n’ouvrent pas de droits à la retraite ou au chômage. En termes de dignité, le niveau du SMIC représente la valeur qu’une société donne au travail. Les prestations sociales ciblées sur les plus pauvres mettent les individus concernés dans une position d’assistés, ce qui a des conséquences en termes de représentations (individuelles et collectives). Le travail étant effectué par des individus, il n’est pas illégitime de vouloir réduire les inégalités entre salariés et pas seulement entre ménages de salariés.

La proposition de coup de pouce au RSA est ambigüe car le terme RSA désigne à la fois un minimum social qui bénéficie à des chômeurs et inactifs (RSA ‘socle’, anciennement RMI et API) et un complément de revenus pour travailleurs pauvres (RSA ‘activité’). Si la proposition de coup de pouce ne concerne que le RSA activité, elle est incohérente avec l’objectif de cibler les foyers les plus défavorisés. Si, au contraire, elle concerne l’ensemble du RSA, ce qui serait légitime, il convient alors d’être plus explicite et d’assumer qu’elle bénéficiera principalement à des chômeurs et inactifs[1]. En mars 2012, il y avait en effet 1,59 million de bénéficiaires du RSA socle seul, et 689 000 du RSA activité (France entière) : seul un tiers des allocataires du RSA bénéficie de la partie activité.

La mise en place du RSA activité s’est soldée, jusqu’à présent, par deux échecs (« Les échecs du RSA ») : selon le rapport final du Comité national d’évaluation, les effets sur l’emploi ne sont pas discernables et la réduction de la pauvreté est fortement limitée à cause d’un important non-recours à la partie complément de revenus. Passons rapidement sur le premier point puisque les effets incitatifs du RSA ne sont plus mis en avant. Le problème principal d’un coup de pouce au RSA activité est bien le non-recours : dans le rapport, il est estimé, pour la partie RSA activité seul à 68% en décembre 2010[2]. Et ce n’est pas qu’une question de montée en charge : entre décembre 2010 et mars 2012, le nombre de bénéficiaires du RSA activité seul a très peu augmenté, passant de 446 000 à 447 000 en France métropolitaine. Lier l’éligibilité au RSA activité à la fois aux revenus d’activité et aux charges familiales et mêler dans un même instrument des bénéficiaires d’un minimum social et des travailleurs pauvres, parfois très bien intégrés au marché du travail, pose problème à la fois en termes de mauvaise évaluation de l’éligibilité à la prestation et de stigmatisation. Deux causes de non-recours au RSA activité sont ainsi soulignées: la connaissance insuffisante du dispositif d’une part et le non-recours volontaire d’autre part : 42% des non-recourants qui n’excluent pas d’être éligibles, déclarent qu’ils n’ont pas déposé de demande parce qu’ils « se débrouillent autrement financièrement », 30% n’ont pas déposé de demande parce que ils n’ont « pas envie de dépendre de l’aide sociale, de devoir quelque chose à l’Etat » (p.61). Une meilleure information ne serait donc pas suffisante pour régler le problème du non-recours. Au contraire, l’augmentation du SMIC a le grand avantage de bénéficier automatiquement aux personnes concernées sans crainte de stigmatisation puisqu’il s’agit de revenus du travail.

Contrairement au RSA, l’augmentation du SMIC brut augmente le coût du travail. Toutefois, il existe plusieurs stratégies permettant d’augmenter le SMIC net sans effet sur le coût du travail : l’augmentation peut être compensée par une baisse des cotisations sociales employeurs. On peut aussi alléger les cotisations sociales salariales sur les bas salaires. Mais, cette proposition risque d’être censurée par le Conseil constitutionnel, qui en 2000 avait retoqué l’exonération de CSG sur les bas salaires au motif que la progressivité de la CSG ne se serait alors pas appuyée sur la faculté contributive des ménages[3]. Enfin, une réforme de plus grande ampleur visant à fusionner la CSG et l’impôt sur le revenu permettrait de réduire l’imposition sur les bas salaires et d’augmenter ainsi le Smic net. L’intégration de la Prime pour l’emploi permettrait aussi de faire apparaître directement les sommes concernées sur la feuille de paie.

La lutte contre les inégalités ne doit évidemment pas s’arrêter aux inégalités de salaires entre salariés à temps-plein. Il convient de s’attaquer au temps partiel subi, en donnant des droits de passage au temps-plein aux salarié-e-s et/ou en rendant le temps partiel plus coûteux par une réduction du taux d’allégement général de cotisations patronales.

Fondamentalement, il n’y a pas de raison de vouloir faire fluctuer le niveau du RSA socle par rapport au SMIC. Or, du fait de l’indexation du RSA socle  sur les prix, son niveau a beaucoup baissé relativement au SMIC depuis le début des années 1990 (voir Périvier, 2007). Il serait donc légitime de revaloriser significativement le RSA socle (quitte à réduire le taux de cumul du RSA activité) et de l’indexer sur le niveau du SMIC. Ceci résoudrait définitivement la question du coup de pouce au SMIC ou au RSA.


[1] On voit ici que la ‘simplification’, qui a consisté à fusionner deux instruments en un seul, ne facilite pas le débat public

[2] Ce non-recours est partiellement expliqué par le fait que pour une partie des personnes éligibles (environ un tiers), les gains potentiels sont très faibles voire nuls du fait de la déduction des sommes versées au titre du RSA activité de la Prime pour l’emploi due. Mais le non-recours reste élevé même en prenant comme référence les gagnants potentiels (et non toutes les personnes éligibles).

[3] Décision n° 2000−437 DC du 19 décembre 2000 : « Considérant que, s’il est loisible au législateur de modifier l’assiette de la contribution sociale généralisée afin d’alléger la charge pesant sur les contribuables les plus modestes, c’est à la condition de ne pas provoquer de rupture caractérisée de l’égalité entre ces contribuables ; que la disposition contestée ne tient compte ni des revenus du contribuable autres que ceux tirés d’une activité, ni des revenus des autres membres du foyer, ni des personnes à charge au sein de celui-ci ; que le choix ainsi effectué par le législateur de ne pas prendre en considération l’ensemble des facultés contributives crée, entre les contribuables concernés, une disparité manifeste contraire à l’article 13 de la Déclaration de 1789  »




Les échecs du RSA

par Guillaume Allègre

Le Comité national d’évaluation du Revenu de solidarité active (RSA) a publié le 15 décembre son rapport final. Il s’appuie sur des données administratives recueillies avant et après la mise en place du RSA et non plus sur des données expérimentales. Le rapport souligne deux échecs de la réforme : les effets sur l’emploi ne sont pas discernables et la réduction de la pauvreté est fortement limitée à cause d’un important non-recours à la partie « complément de revenus pour travailleurs pauvres » (RSA activité). Ceci montre l’échec du processus expérimental qui n’a pas permis de corriger les éventuelles erreurs de conception du dispositif proposé. Une réforme permettrait de répondre à certaines lacunes du RSA.

 Pas d’effet sur le taux d’emploi

« De façon générale, les résultats des travaux menés ne montrent pas d’effet important et généralisé du RSA sur les taux de retour à l’emploi des bénéficiaires sur la période 2009-2010, même si certains résultats ponctuels laissent penser que le passage du RMI au RSA a pu avoir un impact marginal sur certains groupes de bénéficiaires » (p.100). Ceci confirme les conclusions d’une évaluation ex-ante menée à l’OFCE : les effets sur le retour à l’emploi des bénéficiaires du RSA socle sont, en pratique comme en théorie, relativement faibles. Le rapport souligne également que l’on n’observe pas les effets pervers que l’on pouvait attendre en termes de développement du temps partiel et des petits boulots, ce qui ne surprend guère dans la mesure où ces effets pervers ne pourraient être observés que si l’effet premier sur l’offre de travail est réel. Si le RSA activité n’a pas d’effet sur l’offre de travail, il ne peut pas avoir d’effet pervers sur la précarité de l’emploi.

Notons que le Comité national n’évalue pas l’impact global sur l’emploi mais seulement l’impact sur le retour à l’emploi des bénéficiaires de minima sociaux. Or, théoriquement, cet impact devrait être positif, mais compensé (1) par un plus faible retour à l’emploi de non-bénéficiaires de minima sociaux (par exemple de chômeurs), s’il y a des effets de file d’attente sur le marché du travail et (2) par une diminution de l’offre de travail des femmes dans les couples mariés du fait d’une incitation moins forte à la reprise d’emploi du travailleur additionnel : l’effet pervers attendu le plus important n’est pas le développement du temps partiel mais celui de la monoactivité au sein des couples. Toutefois, en pleine crise économique, il est difficile de penser que les modifications des incitations financières ont pu avoir des effets (positifs ou négatifs) sur l’offre de travail des ménages ou l’emploi. Face à la dégradation de la situation de l’emploi et à l’incertitude économique, il est rationnel de vouloir garder un pied dans l’emploi, même si l’écart financier avec le chômage ou l’inactivité est faible à court-terme[1]. De plus le marché du travail est globalement aujourd’hui dans une situation de rationnement de l’emploi (c’est-à-dire presque entièrement déterminé par la demande des entreprises), l’offre de travail ne faisant que modifier la position de certaines personnes dans la file d’attente. Il n’est donc pas exclu que le RSA puisse avoir des effets plus importants sur l’emploi lorsque la situation sur le marché du travail sera moins dégradée. Dans les termes du Comité national d’évaluation, « l’efficacité d’une telle politique peut être limitée sur un marché du travail caractérisé par une diminution conjoncturelle de la demande de travail par les employeurs ». On peut tout de même juger qu’un médicament qui ne fera de l’effet que lorsque le patient sera guéri ne constitue pas un soin adéquat. On peut aussi regretter une politique sociale procyclique et donc peu efficace du point de vue de la lutte contre la pauvreté (Périvier, 2011).

Une réduction de la pauvreté et une aide aux bas revenus…limitée par la baisse de la PPE et par le non-recours

 Les sommes versées au titre du RSA activité bénéficient à une population qui est soit pauvre soit à bas revenus[2]. En cela, le RSA activité est bien ciblé et doit permettre de faire baisser le taux de pauvreté et le taux de bas revenus dans la mesure où les bénéficiaires potentiels y ont effectivement recours. Le rapport nous indique que, en tenant compte du non-recours, le RSA activité fait effectivement passer le taux de bas revenus de 16,3 à 16,1% de la population. Du point de vue de la lutte contre la pauvreté, un transfert social est toujours préférable à l’absence de transfert. Le rapport précise que « une fois prise en compte la PPE, le RSA activité accroîtrait d’environ 7% le revenu disponible médian par unité de consommation des allocataires qui en bénéficient au moins une fois au cours de l’année » (p. 70). Mais quid de ceux qui n’en bénéficient pas ? Et quid de l’impact de l’évolution des autres prestations ? Le remplacement de l’intéressement temporaire aux minima sociaux par le RSA activité a été compensé par un gel du barème de la Prime pour l’emploi (PPE)[3], instrument qui cible les classes populaires plutôt que les plus pauvres (la PPE est maximale au niveau du SMIC à temps-plein). En 2008, nous soulignions que supprimer la PPE pour financer le RSA reviendrait à faire payer aux classes populaires le financement de la lutte contre la pauvreté[4]. Or, si la PPE n’a pas été supprimée, elle a été fortement réduite : pour 2012, selon le projet de loi de finances (PLF), la Prime pour l’emploi représente 2,8 milliards d’euros (VM2012, p. 76) contre 4,4 milliards en 2008 (VM2010, p. 53), soit une baisse d’1,6 milliards (imputation des versements de RSA sur la PPE due comprise). Le PLF 2012 prévoit justement un coût pour le RSA activité de 1,6 milliards. La réforme a déshabillé la PPE pour habiller le RSA activité, en économisant au passage le coût des dispositifs antérieurs d’intéressement au RMI et à l’API (600 millions d’euros en 2008). Le coût net du RSA activité est ainsi passé de 1,5 milliards d’euros[5] dans le rapport Hénart pour la Commission des finances du Sénat (p.28) à -600 millions, soit un différentiel de 2,1 milliards d’euros[6].

Une partie de ce différentiel est dû au non-recours au RSA activité, estimé à 1,75 milliard d’euros par le Comité d’évaluation (soit 53% du coût théorique pour 2010). Il concerne deux tiers des personnes éligibles fin 2010. En matière de transferts sociaux, un taux de non-recours élevé signifie une prestation mal conçue, stigmatisante ou trop complexe. Un taux de non-recours de 68 % à la composante ‘RSA activité seul’ n’est pas un bon résultat[7]. Le rapport souligne plusieurs causes potentielles du non-recours : manque d’information (non-connaissance de la prestation, mauvaise évaluation de l’éligibilité), crainte de stigmatisation, sentiment de ne pas avoir besoin d’aide (« se débrouillent autrement financièrement »), refus du principe, complexité des démarches administratives.

Un échec du processus expérimental

L’absence d’effets sur l’emploi et l’importance du non-recours soulignent également l’échec du processus expérimental : l’expérimentation aurait dû servir à corriger les erreurs de conception du dispositif. Mais, le dispositif expérimental ne permettait pas de répondre aux questions pertinentes (Allègre, 2007). La façon dont l’expérimentation a été mise en place – et abrégée prématurément – a permis de confirmer cette prédiction (voir « L’expérimentation du revenu de solidarité active entre objectifs scientifiques et politiques »).

Et maintenant ?

Selon le Comité d’évaluation, laisser le temps au dispositif de monter en charge, ainsi qu’une meilleure information, devrait permettre d’améliorer le taux de recours. Une meilleure communication ne permettra toutefois pas de résoudre le problème du non-recours au RSA activité, du fait d’une erreur de conception initiale. En mettant l’accent sur les incitations et en mêlant des publics très hétérogènes, le RSA est mal-né.

Le caractère familialisé[8] du RSA activité pose des problèmes redistributifs et peut expliquer une partie du non-recours. Le RSA activité mêle condition d’emploi et familialisation de manière difficilement justifiable. Prenons le cas de deux salariés à temps plein au salaire minimum et ayant un conjoint inactif. Le premier n’a pas d’enfants et touche 170 euros mensuels de RSA. Le second a deux enfants et a droit à 290 euros par mois. Si cette seconde personne est victime d’un licenciement économique, elle perdra l’intégralité de son droit au RSA, et donc également la part de la prime liée à la présence d’enfants (120 euros). Alors que la situation de ce foyer est moins favorable lorsque le conjoint actif est au chômage, le foyer est moins aidé dans cette situation, y compris au titre des enfants à charge. Une solution consisterait à créer un complément familial généreux pour toutes les familles avec enfants[9] : l’aide liée à la charge d’enfants en direction des familles à bas revenus se ferait sous forme d’une prestation sous conditions de ressources – mais sans condition de statut dans l’emploi – dans l’esprit de la réforme britannique ayant scindé le Working Family Tax Credit en un Working Tax Credit et un Child Tax Credit (Brewer, 2003). Une telle solution permettrait également d’améliorer grandement le recours à la partie liée à la charge des enfants. L’éligibilité à la partie RSA activité serait plus facilement compréhensible : en effet, aujourd’hui, deux personnes ayant le même travail et le même salaire peuvent être éligibles ou non au RSA activité, décrit comme un complément de revenus pour travailleurs, selon qu’ils ont des enfants ou non[10]. Une autre solution consisterait à étendre le RSA aux revenus de remplacement, voire à l’ensemble des revenus, dans la logique d’un impôt négatif[11]. Ceci pourrait se faire dans le cadre d’une fusion CSG-IR-PPE-RSA activité avec prélèvement ou versement mensuel. Mais adopter une telle réforme nécessiterait alors de reposer la question de l’individualisation de l’instrument fusionné.


[1] Ceci peut également être vrai en période de croissance économique, notamment pour les personnes les moins qualifiées qui sont la cible du RSA.

[2] Les notions de pauvreté et de bas revenus sont discutées dans le rapport (p.65).

[3] Et aussi par le fait que, pour les ménages concernés par les deux prestations, la PPE soit réduite du montant de RSA versé.

[4] D’autres pourraient se réjouir que les transferts sociaux soient ainsi mieux ciblés : toutes choses égales par ailleurs, il serait préférable qu’un transfert social cible les plus pauvres et les plus démunis. Un transfert des pauvres vers les plus pauvres constitue alors une amélioration sociale puisque, formellement, ce transfert réduit les inégalités. Ceux qui défendent la suppression de la PPE pour financer le RSA activité utilisent cet argument (voir par exemple, Hirsch pour qui la Prime pour l’emploi était «mal conçue, mal ciblée, coûteuse »). Cette rhétorique s’appuie sur une conception étroite de la lutte contre les inégalités, qui devrait se limiter à la lutte contre la pauvreté. Les pays qui adoptent cette conception libérale de l’Etat-providence ne sont, paradoxalement, pas ceux où la pauvreté est la plus faible.

[5] « Le coût net du dispositif est obtenu par l’imputation, sur son coût brut, des économies induites par la suppression des dispositifs d’intéressement au retour à l’emploi (600 millions d’euros), l’imputation du RSA sur la PPE (700 millions d’euros), la non indexation du barème de la PPE au titre de 2009 (400 millions d’euros) et les gains escomptés de l’assujettissement du RSA à la CRDS (150 millions d’euros). Il s’élève donc à 1,5 milliard d’euros. »

[6] Certains pourraient alors se demander ce que finance réellement la « contribution additionnelle pour le financement du Revenu de Solidarité Active » de 1,1% sur les revenus du patrimoine. Formellement, elle est affectée au Fonds national des solidarités actives. Mais, d’un point de vue économique, elle allège la charge du budget général.

[7] Dans une note méthodologique, Antoine Math recensait en 2003 les études sur le non-recours. Les résultats varient d’une étude à l’autre selon le champ et la méthode utilisée mais les taux de non-recours sont beaucoup plus faibles que ceux observés pour le RSA activité : de 8 à 12 % ou de 2,9 % à 4,6 % selon deux études sur les aides au logement ; 5,2 ou 33 % pour le RMI ;  7,3 % ou 33 % pour l’Allocation parentale d’éducation.

[8] Sur la question de la conjugalisation et de l’égalité dans l’emploi entre les hommes et les femmes, voir RSA : où sont les femmes ?

[9] Actuellement, le CF ne bénéficie qu’aux familles avec 3 enfants ou plus.

[10] Le problème symétrique lié à la conjugalisation ne serait pas résolu. Ce problème est évoqué dans le rapport : « compte tenu du caractère familialisé du RSA, il est plus difficile pour un couple de savoir s’il est éligible. Par ailleurs, les couples peuvent avoir le sentiment de mieux arriver à se débrouiller financièrement que les personnes seules. Enfin, l’analyse du Crédoc souligne qu’une partie des bénéficiaires du RSA activité pense que l’éligibilité cesse à partir d’environ 1 500 euros de salaire quelle que soit la configuration familiale (annexe 17) ; or de nombreux couples ayant des revenus d’activité supérieurs à ce seuil sont éligibles ».

[11] Et en mettant l’accent sur l’aspect redistributif de la prestation.