Brexit : l’accord du 25 novembre

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le Royaume-Uni quittera l’UE le 29 mars 2019 à minuit, deux ans après la notification officielle du gouvernement britannique de son souhait de quitter l’UE. Les négociations avec l’UE-27 ont officiellement commencé en avril 2017.

Le 8 décembre 2017, les négociateurs de la Commission européenne et le gouvernement britannique avaient signé un rapport conjoint sur les trois points de l’accord de retrait que la Commission considérait comme prioritaire[1] : les droits des citoyens, le règlement financier de la séparation et l’absence de frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord. Le Conseil européen des 14-15 décembre avait accepté la demande britannique d’une période de transition, en fixant sa fin au 31 décembre 2020 (de façon à coïncider avec la fin de la programmation du budget européen actuel). Ainsi, de mars 2019 à fin 2020, le Royaume-Uni devra respecter toutes les obligations du marché unique (dont les quatre libertés et la compétence de la CJUE), sans plus avoir voix au chapitre à Bruxelles. Cet accord a permis l’ouverture de la deuxième phase des négociations.

Ces négociations ont abouti le 14 novembre 2018 à un accord de retrait[2] (de près de 600 pages) et à une déclaration politique sur les relations futures entre l’UE27 et le Royaume-Uni, finalisée le 22 novembre[3] (36 pages). Ces deux textes ont été approuvés le 25 novembre lors d’une réunion exceptionnelle du Conseil européen[4] (réuni à 27), lequel a, à cette occasion, adopté trois déclarations[5]. L’accord de retrait et la déclaration politique doivent être maintenant soumis à l’accord du Parlement européen, ce qui ne devrait pas poser problème et, ce qui s’avère nettement plus difficile, du Parlement britannique.

L’accord de retrait correspond à l’article 50 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). C’est un accord international précis, qui a une valeur juridique ; il doit être appliqué par les tribunaux britanniques sous l’autorité de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour ce qui concerne les lois de l’UE. Il reprend les points déjà réglés par les négociations en décembre 2017 : les droits des citoyens britanniques dans les pays de l’UE et les droits des citoyens de l’UE au Royaume-Uni ; le règlement financier. Il comprend trois protocoles concernant l’Irlande, Chypre et Gibraltar. Les désaccords sur l’interprétation de l’accord seront gérés par un comité mixte, puis, si nécessaire, par un tribunal arbitral. Celui-ci devra consulter la CJUE s’il s’agit d’une question que l’une des parties juge concerner le droit de l’Union. En juillet 2020, il pourra être décidé de prolonger la période de transition au-delà du 31 décembre 2020 : cela demanderait une contribution financière du RU.

Pour éviter le rétablissement d’une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, une clause de sauvegarde s’appliquera (le backstop) : le Royaume-Uni restera membre de l’Union douanière, si aucun autre accord n’était conclu avant la fin de la période de transition, et pendant une période indéfinie, tant qu’un accord n’aura pas été conclu. Cet accord devra être agréé par le comité mixte. L’Union douanière couvrira tous les biens, sauf les produits de la pêche (et de l’aquaculture). Le Royaume-Uni n’aura pas le droit d’appliquer une politique commerciale différente de celle de l’Union. Les produits britanniques entreront librement dans le marché unique, mais le Royaume-Uni s’alignera sur les dispositions européennes en matière d’aides publiques, de concurrence, de droit du travail, de protection sociale, d’environnement, de changement climatique et de fiscalité. De plus l’Irlande du Nord continuerait de s’aligner sur les règles du marché unique en matière de TVA, de droits d’accise, de règles sanitaires… Des contrôles pourront être mis en place sur les produits entrant en Irlande du Nord en provenance du reste du Royaume-Uni (en particulier pour les produits agricoles), mais ces contrôles seront réalisés par les autorités britanniques.

Ainsi, pris au piège de la frontière irlandaise, le Royaume-Uni doit renoncer pour un temps indéfini à toute politique commerciale autonome. Il devra s’aligner sur les réglementations européennes dans beaucoup de domaines, ceci sous la menace d’un recours à la CJUE.

La déclaration politique commune du 22 novembre donne les grandes lignes de ce que pourraient être les relations futures entre le Royaume-Uni et l’UE27. D’un côté, elle correspond bien à l’objectif d’une relation étroite, spécifique et équilibrée, que demandaient les Britanniques. De l’autre, le Royaume-Uni prend un certain nombre d’engagements qui écartent la possibilité d’une stratégie de « paradis fiscal et réglementaire ».

Ainsi, l’article 2 indique que les deux parties entendent maintenir des normes de haut niveau pour la protection des droits des travailleurs et des consommateurs et de l’environnement. L’article 4 indique que seront respectés l’intégrité du marché unique et les quatre libertés pour l’UE27, le droit à mener une politique commerciale autonome et à mettre fin à la libre circulation des personnes pour le Royaume-Uni.

De façon générale, la déclaration stipule que les deux parties chercheront à coopérer, à échanger, à agir de concert ; que le Royaume-Uni pourra participer à des programmes de l’Union en matière de culture, éducation, science, innovation, espace, défense, etc. sous des conditions à négocier.

L’article 17 annonce la mise en place d’un accord de libre-échange ambitieux, étendu, approfondi, équilibré. Les articles 20 à 28 proclament la volonté de créer une zone de libre échange pour les biens, grâce à une coopération approfondie en matière douanière et réglementaire et des dispositions qui mettront tous les participants sur un pied d’égalité pour une concurrence ouverte et loyale. Les droits de douane (ainsi que les vérifications aux frontières des règles d’origine) seront évités. Le Royaume-Uni s’efforcera de s’aligner sur les règles européennes dans les domaines pertinents[6]. Ces coopérations en matière de normes techniques et sanitaires permettront aux produits britanniques d’entrer librement dans le marché unique. Dans ce cadre, la déclaration rappelle l’intention de l’UE 27 et du Royaume-Uni de remplacer le « filet de sécurité » irlandais par un autre dispositif assurant l’intégrité du marché unique et l’absence de frontière physique en Irlande.

En matière de services et d’investissements, les deux parties envisagent des accords de libéralisation des échanges, larges et ambitieux. L’autonomie des réglementations sera préservée, mais celles-ci devront être « transparentes, efficaces, compatibles, dans la mesure du possible ». Des accords de coopération et de reconnaissances mutuelles seront signés en matière de services, en particulier de télécommunications, de transports, de services aux entreprises, de commerce par internet. La liberté de circulation des capitaux et des paiements sera garantie. En matière financière, des accords d’équivalence seront négociés ; une coopération sera instituée en matière de régulation et de supervision. Les droits intellectuels seront protégés, en particulier en matière d’indications géographiques protégées. Des accords seront signés en matière de transports aériens, maritimes, terrestres, en matière d’énergie, de marchés publics. Les pays s’engagent à coopérer en matière de lutte contre le changement climatique, de développement durable, de stabilité financière, de lutte contre le protectionnisme. Les possibilités de voyages pour des raisons touristiques, scientifiques, d’enseignement, d’affaires, ne seront pas affectées. Un accord sur la pêche devra être signé avant le 1er juillet 2020.

Des dispositions devront couvrir les aides publiques, les normes en matière de concurrence, de droit du travail, de protection sociale, d’environnement, de changement climatique et de fiscalité, pour assurer une compétition ouverte et loyale entre des acteurs placés sur un pied d’égalité (level playing field).

Le texte prévoit des instances de coordination aux niveaux techniques, ministériels, parlementaires. Tous les six mois, une conférence de haut niveau dressera un bilan de l’accord.

Les négociations continueront en matière commerciale pour assurer la compatibilité entre l’intégrité du marché unique et de l’Union douanière et le développement d’une politique commerciale autonome du Royaume-Uni.

D’un côté, le texte prévoit bien un partenariat étroit et spécial, comme le demandait le Royaume-Uni ; de l’autre, le Royaume-Uni le paye par l’engagement de respecter les règles européennes ; enfin, les points problématiques restent encore à négocier, que ce soient les droits de pêche ou l’autonomie de la politique commerciale britannique ou la sortie du filet de sécurité irlandais. Le 25 novembre, le Conseil européen a souhaité adopter deux déclarations. La première insiste sur l’importance de trouver un accord sur la pêche, avant la fin de la période de transition et permettant de maintenir l’accès des pêcheurs de l’UE-27 aux eaux maritimes britanniques. Elle lie aussi l’extension de la période de transition au respect par le Royaume-Uni de ses obligations sur le protocole irlandais. Elle rappelle les conditions que l’UE27 avait fixées le 20 mars 2018 pour un accord : « La divergence au niveau des tarifs extérieurs et des règles internes, ainsi que l’absence d’institutions et d’un système juridique communs nécessitent des vérifications et des contrôles pour préserver l’intégrité du marché unique de l’UE et celle du marché du Royaume-Uni. Cela aura malheureusement des conséquences économiques négatives, en particulier au Royaume-Uni… Un accord de libre-échange ne saurait offrir les mêmes avantages que le Statut d’État membre ». La deuxième déclaration précise que Gibraltar ne sera pas inclus dans le futur accord commercial négocié entre le Royaume-Uni et l’UE27 ; un accord séparé sera nécessaire et soumis à l’agrément préalable de l’Espagne. Ces déclarations ne faciliteront pas la tâche de Theresa May pour faire voter l’accord par le Parlement britannique.

Signalons deux points qui n’ont guère été évoqués dans la négociation. Ce partenariat privilégié pourrait servir de modèle pour les relations avec d’autres pays. L’UE a signé de nombreux accords d’union douanière avec ses voisins, les pays de l’espace économique européen (Norvège, Islande, Lichtenstein), la Suisse, l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie. Cinq pays sont candidats à l’entrée (Albanie, Monténégro, Serbie, Kosovo et Macédoine du Nord). Ne pourrait-on formaliser ces partenariats dans un troisième cercle autour de l’UE ?

L’engagement de pratiquer une concurrence loyale n’impose-t-il pas une certaine harmonisation fiscale dans l’UE27, en particulier quant aux taux et aux modalités de l’impôt sur les sociétés ? L’UE27 a-t-elle eu raison de soutenir la République irlandaise sans contrepartie ? On voit mal comment l’UE27 pourrait reprocher au Royaume-Uni de pratiquer de la concurrence déloyale quand elle tolère les pratiques de l’Irlande, des Pays-Bas ou du Luxembourg. De même, l’insistance sur les dispositifs pour empêcher le RU de pratiquer une concurrence fiscale et sociale déloyale contraste avec le laxisme de l’UE tant dans ses relations avec des pays tiers que dans le contrôle des politiques de dévaluation interne de certains pays membres (Allemagne, par exemple).

Au bilan, le Royaume-Uni obtient de retrouver sa souveraineté nationale, de ne plus être soumis à la CJUE, de ne plus avoir à respecter la liberté d’installation des travailleurs des pays de l’UE. En contrepartie, il n’aura plus de voix au chapitre à Bruxelles.

Les milieux d’affaires ont accueilli favorablement le projet dans la mesure où il écarte les risques de No Deal et annonce un accord de libre-échange entre le Royaume-Uni et l’UE, qui n’imposerait que peu de restrictions aux échanges commerciaux.

A ce jour, il n’y a aucune certitude que le parlement britannique validera l’accord proposé par Theresa May et les négociateurs de l’UE-27. Theresa May doit trouver une majorité pour un accord de compromis. Elle rencontrera l’opposition des conservateurs hard brexiters qui sont prêts à une sortie sans accord pour que le Royaume-Uni puisse « reprendre le contrôle », s’engager dans des négociations commerciales avec des pays tiers, sortir des réglementations européennes, se lancer dans une politique de dérégulation qui ferait du Royaume-Uni un paradis fiscal et réglementaire. Mais le Royaume-Uni est déjà l’un des pays où les régulations des marchés des biens et du travail sont les plus souples. Une forte baisse des impôts supposerait de nouvelles baisses des dépenses sociales, contraire aux promesses du parti conservateur. Et le No deal mettrait des barrières à l’accès au marché unique des produits et services du RU. Theresa May se heurtera au parti unioniste irlandais (DUP), opposé à tout traitement différent de l’Irlande du Nord, comme aux nationalistes écossais, qui souhaitent que l’Ecosse reste dans l’UE. Elle se heurtera aussi aux remainers (conservateurs, travaillistes ou libéraux-démocrates) qui, forts de certains sondages récents, réclament un nouveau referendum. Jeremy Corbyn ne remet pas en cause le résultat du referendum, mais beaucoup de parlementaires travaillistes pourraient voter contre le texte, même s’ils sont partisans d’un soft Brexit, tel que le Traité l’organise. Ils espèrent provoquer des élections anticipées qui pourraient leur permettre de revenir au pouvoir. Ils prétendent reprendre ensuite les négociations, se faisant fort de parvenir à un accord meilleur pour le Royaume-Uni, qui lui permette à la fois de bénéficier « des mêmes avantages qu’actuellement en tant que membres de l’Union douanière et du marché unique » et de contrôler les flux migratoires. Mais l’UE-27 a refusé nettement toute reprise des négociations et certains travaillistes souhaitent un nouveau referendum… L’espoir de Theresa May est que la crainte d’un No deal sera suffisamment forte pour que son compromis soit voté.

Si, au départ, le Brexit semblait fragiliser l’UE, en montrant qu’un départ était possible, l’UE a montré son unité dans les négociations. Il est vite apparu que sortir de l’UE était pénible et coûteux. L’UE est une cage, plus ou moins dorée, dont il est difficile, sinon impossible, de sortir.

 

[1] Voir : Joint report from the negotiators of the EU and the UK government on progress during phase 1 of negotiations under Article 50 on the UK’s orderly withdrawal from the EU, 8 décembre 2017. Voir Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak, « Brexit réussir sa sortie », blog de l’OFCE, 6 décembre 2017.

[2] https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/draft_withdrawal_agreement_0.pdf

[3] https://www.consilium.europa.eu/media/37059/20181121-cover-political-declaration.pdf

[4] https://www.consilium.europa.eu/media/37114/25-special-euco-final-conclusions-fr.pdf et

[5] https://www.consilium.europa.eu/media/37137/25-special-euco-statement-fr.pdf

[6] Le flou est dans le texte : “The United Kingdom will consider aligning with Union rules in relevant areas”.

 




Elections britanniques : questions de frontières (2/2)

Par Catherine Mathieu

David Cameron a placé l’économie au premier plan de sa campagne électorale, faisant des bonnes performances de l’économie britannique une carte maîtresse du programme des Conservateurs (voir « Le Royaume-Uni à l’approche des élections… »). Mais, selon les sondages, au soir du 7 mai, aucun parti ne sera en mesure de gouverner seul. Alors qu’en 2010, l’incertitude était de savoir si les Libéraux-Démocrates choisiraient de s’allier avec les Conservateurs ou avec les Travaillistes, cette fois l’incertitude est encore plus grande, car plusieurs partis sont susceptibles de jouer les arbitres. Les Libéraux-Démocrates ont en effet perdu en popularité depuis cinq ans de participation au gouvernement et recueillent moins de 10 % des intentions de vote, derrière le parti nationaliste UKIP (environ 12 % d’intentions de vote), partisan de la sortie du Royaume-Uni de l’UE et arrivé en tête lors des dernières élections européennes. Face à la montée de l’euroscepticisme, notamment dans les rangs des Conservateurs, David Cameron a promis d’organiser un référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE d’ici la fin 2017, s’il redevenait premier ministre en 2015. De leur côté, si les Travaillistes sont en mesure de former un gouvernement de coalition, ils pourraient s’allier avec le SNP, parti national écossais. Mais les Travaillistes excluent cette possibilité, face aux attaques de David Cameron, qui agite l’épouvantail d’une fragmentation du Royaume-Uni auprès d’un électorat anglais, à peine remis de sa frayeur de risquer de voir l’Ecosse devenir indépendante lors du référendum de septembre 2014. Les Travaillistes bénéficieraient néanmoins du soutien du SNP et pourraient former une coalition avec les Libéraux-Démocrates. Ceux-ci ont tracé plusieurs lignes rouges pour envisager d’entrer dans un gouvernement de coalition : moins d’austérité budgétaire s’ils s’allient avec les Conservateurs, davantage de rigueur budgétaire s’ils s’allient aux Travaillistes, sauf en matière d’éducation où les Libéraux-Démocrates souhaitent davantage de moyens que les deux grands partis.

Programmes économiques et sociaux des grands partis : ressemblances, nuances…

Les Conservateurs se félicitent du rebond de la croissance et de l’emploi, et d’avoir divisé par deux le déficit public rapporté au PIB. Ils estiment avoir « remis la maison en ordre » et souhaitent continuer à « réparer le toit tant qu’il fait beau ». Ils disent vouloir que cela profite à chacun. Ainsi, ils veulent augmenter les dépenses du système de santé (NHS), maintenir les dépenses d’éducation, augmenter le nombre de places dans l’université. Ils s’engagent à maintenir la hausse des pensions de retraite au minimum de 2,5 % par an. Ils réaliseront d’importants investissements publics en matière de transport. Ils n’augmenteront pas la TVA, l’impôt sur le revenu, les cotisations sociales. Par contre, ils diminueront encore le plafond des revenus d’assistance pour que « le travail paie ».

Les Conservateurs veulent développer l’apprentissage, favoriser l’entreprise, encadrer le droit de grève, réduire la paperasserie, mettre les handicapés au travail. Ils souhaitent contrôler et réduire l’immigration en provenance de l’UE (ramenant celle-ci à « des dizaines de milliers » par an au lieu « de centaines de milliers » actuellement). Les droits aux prestations sociales seront réduits (il faudra avoir résidé dans le pays depuis au moins quatre ans pour avoir droit au crédit d’impôt et aux allocations familiales ; les logements sociaux seront réservés aux citoyens britanniques). Ils veulent fournir de l’énergie à bas prix aux ménages en développant les économies d’énergie, les énergies renouvelables, mais surtout le nucléaire.

Ils se donnent l’objectif d’amener le déficit public à un léger excédent (0,2 point de PIB) en 2018/2019.  Ceci par des baisses de dépenses publiques, de dépenses sociales et la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscale (remise en cause du statut des non-domiciliés, taxation des firmes multinationales).

Pour les Travaillistes, « le Royaume-Uni ne réussit que lorsque les travailleurs réussissent ». Il faut un renouveau national pour que « l’économie travaille pour les travailleurs ». Les Travaillistes dénoncent le développement des inégalités, celui des emplois précaires et la baisse du pouvoir d’achat des familles de travailleurs.

Mais les Travaillistes proclament, eux-aussi, leur volonté de réduire le déficit public chaque année. Leur objectif est de ramener le déficit courant (hors investissement) à l’équilibre en 2018-19, ce qui se traduirait en fait par un déficit public de 1,4 % du PIB. L’objectif est moins ambitieux que celui des Conservateurs et serait obtenu en partie par des hausses d’impôts. Le taux d’imposition marginal maximum de l’impôt sur le revenu (IR) serait remonté de 45% à 50%. Un impôt serait introduit sur les manoirs (les propriétés valant plus de 2 millions de livres). Les Travaillistes s’engagent à maintenir le taux d’imposition des sociétés (IS) au niveau le plus bas des pays du G7. Le taux de l’IS, abaissé à 20 % en avril, serait cependant augmenté d’un point. La taxe sur les banques serait augmentée (900 millions attendus). Les Travaillistes souhaitent réinstaurer un premier taux d’imposition sur le revenu à 10 %, financé par la suppression de l’abattement pour les couples mariés. Ils souhaitent supprimer la très impopulaire taxe sur les chambres vacantes (bedroom tax). Comme les Conservateurs, ils supprimeraient les avantages fiscaux des non-domiciliés.

Les Travaillistes veulent cependant réduire les dépenses publiques, sauf en matière de santé, d’éducation et de coopération internationale. Ils proposent d’augmenter les moyens du NHS pour réduire les délais d’attente. Ils s’engagent à augmenter le salaire minimum horaire à 8 £ en 2019 (le niveau actuel étant de 6,5 £ et devant augmenter à 6,7 £ en octobre 2015). Ils proposent de réglementer les contrats zéro-heure (du moins pour les salariés qui ont travaillé de façon régulière pendant plus de 12 semaines). Par contre, ils ne remettent pas en cause le plafond sur les revenus d’assistance. Les Travaillistes proposent eux-aussi de contrôler l’immigration et de limiter le droit des immigrés aux prestations sociales (il faudra avoir résidé au moins deux ans sur le territoire national). Ils veulent mettre en place une stratégie industrielle pour développer l’économie verte. Ils proposent de réduire le poids des actionnaires dans la direction des entreprises et de créer une Banque Britannique d’Investissement pour aider le financement des petites entreprises.

Les Libéraux-Démocrates proposent une « économie plus forte, une société plus juste ». Ils veulent faire du Royaume-Uni le pays leader en matière des technologies du futur. Eux aussi veulent augmenter les dépenses de santé et d’éducation. Eux aussi veulent augmenter les possibilités de garde d’enfant et de congé parental. Surtout, ils veulent développer la fiscalité verte et engager la transition énergétique. Ils visent l’équilibre du budget courant comme les Travaillistes, mais celui-ci interviendrait un an plus tôt (2017-2018). Cet équilibre serait obtenu par des baisses limitées des dépenses, mais aussi par des hausses d’impôts sur les plus riches, sur les banques, les grandes entreprises et la pollution et par la lutte contre l’optimisation fiscale. Eux aussi proposent la taxe sur les manoirs.

… et de nombreuses inconnues

L’IFS (Institute for Fiscal Studies) vient de publier deux notes : « Post-election Austerity : Parties’ Plans Compared », IFS Briefing Note BN 170, 22 avril, « Taxes and Benefits: The parties’ Plans », IFS Briefing note BN 172, 28 avril. Dans ces notes, l’IFS tente d’estimer les mesures proposées mais souligne le manque de détail des différents programmes. Les Conservateurs envisagent davantage de baisses de dépenses, tandis que les Travaillistes et les Libéraux-Démocrates envisagent une réduction moins rapide des déficits et donc de la dette publique. Le déficit public passerait de 5 % du PIB en 2014-15 à 0,6% en 2017-18 pour les Conservateurs, à 1,1 % pour les Libéraux-Démocrates, 2% pour les Travaillistes, 2,5% pour le SNP. La dette publique baisserait de 80 % du PIB en 2014-15 à 72 % en 2019-20 selon les projets des Conservateurs, contre 75 % pour les Libéraux-Démocrates, 77 % pour les Travaillistes et 78% pour le SNP. Les trois partis annoncent qu’ils poursuivront l’objectif de réduction du déficit public, sans détailler précisément comment ils le feraient. En particulier, les Conservateurs n’augmentent pas les impôts ; ils devraient baisser de 18% les dépenses des secteurs non-sauvegardés, c’est-à-dire défense, transport, assistance, justice. Ils n’explicitent pas comment ils feraient de fortes économies sur les dépenses sociales hors retraite et NHS. A la fin avril, les Libéraux-Démocrates ont fait surgir dans le débat l’idée selon laquelle les Conservateurs envisageraient de diminuer les allocations familiales, ce que David Cameron dément avoir l’intention de faire, mais à quelques jours du scrutin le soupçon demeure. Tous les partis s’engagent à ne pas augmenter les taux principaux de TVA, de l’impôt sur le revenu ou des cotisations maladie, mais tous escomptent de fortes recettes de la lutte contre l’optimisation fiscale.

Ecosse-Europe : les deux enjeux de ces élections

Deux problématiques font l’originalité de ce vote et amènent une configuration politique spécifique. D’une part, le Parti National Ecossais (SNP) continue à prôner l’indépendance de l’Ecosse, malgré le résultat du référendum de septembre 2014 (55 % de non). Parti de centre gauche, au pouvoir actuellement à Edimbourg, il pourrait obtenir 55 des 59 sièges écossais au détriment des travaillistes et être le parti pivot de la future majorité. Il demande la tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, mais aussi la fin des politiques d’austérité en matière de dépenses publiques et sociales.

L’UKIP milite en faveur d’une sortie du Royaume-Uni de l’UE. David Cameron a promis d’organiser un référendum sur la sortie avant la fin 2017 si les Conservateurs l’emportent. En tout état de cause, David Cameron s’oppose à toute extension des pouvoirs de l’Europe en matière économique et politique ; l’Europe doit avant tout être un marché unique qu’il faut libéraliser au maximum ; il refuse toute régulation européenne en matière de services financiers, toute solidarité entre pays, toute augmentation du budget européen, et toute augmentation de la contribution britannique (I won’t pay that bill). Il souhaite que le Royaume-Uni ait la possibilité de limiter les droits sociaux des immigrés de l’UE, ce qui sera le principal point de négociation des Conservateurs pour un maintien du Royaume-Uni dans l’UE.  David Cameron ne se prononcera pour le maintien du Royaume-Uni dans l’UE que si ces demandes sont prises en compte. Les Travaillistes dénoncent la perte d’influence du Royaume-Uni en Europe causée par son isolationnisme mais ils réclament aussi moins d’Europe : le Royaume-Uni doit rester libre de fixer sa politique d’immigration et sa politique sociale. Selon Gordon Brown, quitter l’UE transformerait le Royaume-Uni en « nouvelle Corée du Nord », sans alliés et sans influence. Les Travaillistes n’organiseront un référendum que si l’Europe voulait imposer au Royaume-Uni des mesures inacceptables. Les Libéraux-Démocrates sont très attachés à l’Europe. Ils veulent y défendre les entreprises, le Traité de libre-échange transatlantique, supprimer les institutions inutiles, comme le Conseil européen économique et social, et les sessions du Parlement à Strasbourg. Ils veulent maintenir la liberté de circulation en Europe mais réduire les droits des immigrés aux prestations. Ils voteront non au référendum sur la sortie de l’UE. Actuellement, 35 % des britanniques voteraient pour la sortie de l’UE et 57 % contre (mais 38 % veulent y rester tout en réduisant les pouvoirs de l’UE). Les grandes entreprises et plus encore la City souhaitent rester au sein d’un grand marché. Comme cela fut le cas lors du référendum écossais, certaines (par exemple, HSBC[1]) menacent de déménager leur siège social si le Royaume-Uni sort de l’UE. Le maintien dans l’UE est aussi souhaité par la partie la plus riche et la mieux formée de la population.

Ainsi, l’évolution économique et politique du Royaume-Uni est aujourd’hui soumise à trois incertitudes : le risque de l’absence d’une majorité nette à Westminster, le retour du débat écossais et le débat sur la sortie de l’Union européenne.

 

 


[1] Mais HSBC met aussi en cause l’alourdissement de la fiscalité portant sur les banques et la régulation inspirée par le rapport Vickers qui obligerait à sanctuariser les activités des banques de dépôts.