Pourquoi la France a raison (et des raisons) de renoncer à l’objectif des 3% de déficit public pour 2013

par Mathieu Plane

A la suite des déclarations du Ministre de l’Economie et des finances, le gouvernement semble avoir fait le choix de renoncer à atteindre l’objectif de déficit public de 3 % du PIB en 2013. Outre le virement de bord de la politique annoncée jusqu’à présent, qui était celle de ramener « coûte que coûte » le solde public à -3% en 2013, nous pouvons légitiment penser que la France a raison de renoncer à cet objectif et pouvons avancer plusieurs arguments. Si dans ce billet, nous ne revenons pas sur les conséquences économiques liées à la politique budgétaire menée en France et dans la zone euro, dictée par des objectifs de déficit nominaux qui ne tiennent pas compte de la décomposition structurel/conjoncturel et qui présentent un caractère dangereusement pro-cyclique, nous présentons en revanche plusieurs arguments auxquels pourraient être sensibles la Commission européenne :

1 – Selon les derniers chiffres de la Commission européenne du 22 février 2013[1], la France est le pays de la zone euro qui ferait le plus fort ajustement budgétaire en 2013 d’un point de vue structurel (1,4 point de PIB), juste derrière l’Espagne (3,4) et la Grèce (2,6). Et sur la période 2010-2013, la réduction du déficit structurel de la France représente 4,2 points de PIB, ce qui fait de la France le pays de la zone euro, avec l’Espagne (4,6 points de PIB), qui a fait le plus de restriction budgétaire parmi les grands Etats de la zone, devant l’Italie (3,3 points de PIB), les Pays-Bas (2,6) et bien sûr l’Allemagne (1,2) (graphique 1).

2 – En 2007, avant la crise, selon la Commission européenne, la France avait un solde public structurel de -4,4 points de PIB, contre -2,1 pour la moyenne de la zone euro et -0,9 pour l’Allemagne. En 2013, celui-ci atteint -1,9 point de PIB en France, -1,3 pour la zone euro, +0,4 pour l’Allemagne, ce qui représente une amélioration du déficit structurel de 2,5 points de PIB pour la France depuis le début de la crise, soit trois fois plus que la moyenne de la zone euro et deux fois plus que l’Allemagne (tableau 1). Et hors investissement public, le solde public structurel de la France en 2013 est positif et plus élevé que celui de la moyenne de la zone euro (1,2 point de PIB en France contre 0,8 pour la moyenne de la zone euro et 1,9 pour l’Allemagne). Rappelons que la France consacre 3,1 points de PIB à l’investissement public en 2013 (0,2 point de moins qu’en 2007) contre seulement 2 points en moyenne dans la zone euro (0,6 point de moins qu’en 2007) et 1,5 en Allemagne (équivalent à 2007). Or l’investissement public, qui a des effets positifs sur la croissance potentielle, et qui a pour contrepartie d’augmenter les actifs publics, ne modifiant ainsi pas la situation patrimoniale des administrations publiques, peut raisonnablement être exclu du calcul de solde public structurel.

3 – En 2013, le déficit public, même à 3,7 % du PIB selon la Commission européenne, retrouve un niveau proche de celui de 2008, similaire à celui de 2005, inférieur à celui de 2004 et à toute la période 1992-1996. Le chiffre de déficit public attendu pour 2013 correspond à la moyenne observée sur les trente dernières années, ne faisant plus figure de situation exceptionnelle, ce qui desserre la pression que pouvait subir la France vis-à-vis des marchés financiers. A l’inverse, selon la Commission européenne, le taux de chômage de la France en 2013 atteindrait 10,7 % de la population active et devrait être très proche de son pic historique de 1997 (graphique 2). Avec un taux de chômage en 2013 supérieur de 1,3 point à la moyenne des trente dernières années, la situation exceptionnelle se situe désormais plus du côté du marché du travail que du côté du solde public. Si de nouvelles mesures d’austérité permettraient de réduire péniblement le déficit public, en raison de la valeur élevée du multiplicateur budgétaire à court terme, elles conduiraient en revanche à dépasser largement notre pic historique de chômage. En effet, comme nous l’avons montré dans notre dernière prévision d’octobre 2012, si la France cherche à respecter « coûte que coûte » son engagement budgétaire pour 2013, il faut un nouveau tour de vis budgétaire de plus de 20 milliards d’euros, en plus des 36 milliards d’euros programmés, qui conduirait à une récession de -1,2 % du PIB et 360 000 destructions d’emplois (au lieu d’une croissance prévue à 0 % et environ 160 000 destructions d’emplois) débouchant sur un taux de chômage à 11,7 % de la population active fin 2013.

Pour redresser ses comptes publics depuis 2010, la France a donc fait un effort budgétaire historique, bien supérieur à la moyenne de ses partenaires européens, ce qui lui a coûté en termes de croissance et d’emploi. Rajouter une couche d’austérité en 2013 à une austérité déjà historique nous conduirait tout droit vers la récession et une dégradation sans précèdent du marché du travail pour cette année. Si on a le choix, quelques dixièmes de points de déficit public en moins valent-ils un tel sacrifice ? Rien n’est moins sûr. Il paraît donc incontournable de reporter l’objectif de réduction du déficit public à 3 % du PIB au moins à 2014.

 

 

 


[1] Nous avons une évaluation différente de la mesure du déficit public structurel. Par exemple, pour 2013, nous évaluons l’amélioration du solde public structurel de la France à 1,8 point de PIB mais pour ne pas biaiser l’analyse nous retenons les chiffres fournis par la Commission.




Jusqu’ici tout va bien…

par Christophe Blot

La zone euro est toujours en récession. En effet, selon Eurostat, le PIB a de nouveau reculé au quatrième trimestre 2012 (-0,6 %). Ce chiffre, inférieur aux attentes, est la plus mauvaise performance trimestrielle pour la zone euro depuis le premier trimestre 2009, et c’est aussi le cinquième trimestre consécutif de baisse de l’activité. Sur l’ensemble de l’année 2012, le PIB baisse de 0,5 %. Ce chiffre annuel cache de fortes hétérogénéités (graphiques 1 et 2) au sein de la zone puisque l’Allemagne affiche une croissance annuelle de 0,9 % tandis que la Grèce devrait subir, pour la deuxième année consécutive, une récession de plus 6 %. Surtout, pour l’ensemble des pays, le taux de croissance sera plus faible en 2012 qu’il ne l’était en 2011 et certains pays (Espagne et Italie pour n’en citer que deux), s’enfonceront un peu plus dans la dépression. Cette performance est d’autant plus inquiétante que, depuis plusieurs mois un regain d’optimisme avait suscité l’espoir de voir la zone euro sortir de la crise. Cet espoir était-il fondé ?

Bien que très prudente sur la croissance pour l’année 2012, la Commission européenne, dans son rapport annuel sur la croissance, soulignait le retour de quelques bonnes nouvelles. En particulier, la baisse des taux d’intérêt publics à long terme en Espagne ou en Italie et la réussite des émissions de dettes publiques par l’Irlande ou le Portugal sur les marchés financiers témoignaient du retour de la confiance. Force est de constater que la confiance ne suffit pas. La demande intérieure est au point mort en France et en chute libre en Espagne. Le commerce intra-zone pâtit de cette situation puisque la baisse des importations des uns provoque la baisse des exportations des autres, ce qui amplifie la dynamique récessive de l’ensemble des pays de la zone euro. Comme nous le soulignions lors de notre précédent exercice de prévision ou à l’occasion de la publication de l’iAGS (independent Annual growth survey), la sortie de crise ne peut en aucun cas s’appuyer uniquement sur un retour de la confiance tant que des politiques budgétaires très restrictives sont menées de façon synchronisée en Europe.

Depuis le troisième trimestre 2011, tous les signaux ont confirmé notre scénario et montré que la zone euro s’enfonçait progressivement dans une nouvelle récession. Le chômage n’a pas cessé d’augmenter battant chaque mois un nouveau record. En décembre 2012, il a atteint 11,7 % de la population active de la zone euro selon Eurostat. Pourtant, ni la Commission européenne, ni les gouvernements européens n’ont infléchi leur stratégie budgétaire, arguant que les efforts budgétaires consentis étaient nécessaires pour restaurer la crédibilité et la confiance, qui à leur tour permettraient la baisse des taux d’intérêt et créeraient des conditions saines pour la croissance future. Ce faisant, la Commission européenne a systématiquement sous-estimé l’impact récessif des mesures de consolidation budgétaire, négligeant ainsi une littérature de plus en plus abondante qui montre que les multiplicateurs augmentent en temps de crise et qu’ils peuvent être nettement supérieurs à l’unité (voir le post d’Eric Heyer sur le sujet). Les partisans de l’austérité budgétaire considèrent par ailleurs que les coûts d’une telle stratégie sont inévitables et temporaires. Ils jugent que l’assainissement des finances publiques est un préalable indispensable au retour de la croissance et négligent le coût social durable d’une telle stratégie.

Cet aveuglement dogmatique rappelle la réplique finale du film La Haine (réalisé par Mathieu Kassovitz) « C’est l’histoire d’une société qui tombe et qui au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien… l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage ». Il serait temps de reconnaître que la politique économique menée depuis 2011 est une erreur. Elle ne permet pas de créer les conditions d’une sortie de crise. Pire, elle est directement responsable du retour de la récession et de la catastrophe sociale qui ne cesse de s’amplifier en Europe. Comme nous l’avons montré, d’autres stratégies sont possibles. Elles ne négligent pas l’importance de restaurer à terme la soutenabilité des finances publiques. En reportant et en atténuant l’austérité (voir le billet de Marion Cochard, Bruno Ducoudré et Danielle Schweisguth), il est possible de retrouver la croissance plus rapidement et de permettre une décrue plus rapide du chômage.

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Faut-il réduire les dépenses d’indemnisation du chômage ?

Par Gérard Cornilleau

La Cour des comptes vient de présenter un rapport sur le marché du travail qui propose de mieux « cibler » les politiques. En ce qui concerne l’indemnisation du chômage elle met l’accent sur la non soutenabilité des dépenses et propose quelques mesures d’économies. Certaines sont habituelles et concernent le régime des intermittents du spectacle et l’indemnisation des intérimaires. Nous n’y reviendrons pas ici car le sujet est bien connu[1]. Mais la Cour propose aussi de réduire les prestations des chômeurs dont elle dit qu’elles sont (trop) généreuses dans le bas et le haut de l’échelle des salaires. En particulier elle propose de réduire le plafond de l’indemnisation et de mettre en place un système dégressif alors que certains cadres chômeurs peuvent bénéficier aujourd’hui de prestations dépassant 6 000 euros par mois. Il nous semble que les raisonnements qu’elle présente à l’appui de ces propositions sont doublement erronés.

En premier lieu le diagnostic de non soutenabilité du régime omet la prise en compte de la crise : si l’Unedic doit aujourd’hui faire face à une situation financière dégradée c’est avant tout du fait de la baisse de l’emploi et de la montée du chômage. Il est évidemment naturel qu’un régime de protection sociale dont la vocation est de soutenir le revenu des salariés dans les périodes de crise soit en déficit au creux de celle-ci. Chercher maintenant à rééquilibrer les finances de l’Unedic par une réduction des prestations reviendrait à renoncer à sa vocation de dispositif contra-cyclique. Cela serait injuste pour les chômeurs et économiquement aberrant puisque en réduisant les revenus dans une période de conjoncture dégradée on ne peut qu’aggraver la situation. Dans ces circonstances il est également facile de comprendre que les arguments d’incitation au travail sont de très faible valeur : c’est en haut de cycle, quand l’économie se rapproche du plein emploi qu’il est possible de se poser la question des incitations à la reprise d’emploi. En bas de cycle l’incitation à la recherche plus active d’un emploi modifie éventuellement la répartition du chômage, certainement pas son niveau.

Le déficit de l’assurance chômage reflète aujourd’hui simplement la situation du marché du travail. Un calcul approché permet de se rendre compte de ce que la générosité du système est tout à fait compatible avec l’équilibre financier en situation « normale ». Pour s’en convaincre il suffit de mesurer l’impact de la croissance économique, de l’emploi et du chômage sur le déficit du régime depuis 2009. En 2008, les finances de l’Unedic étaient excédentaires de près de 5 milliards d’euros[2] . Elles sont devenues déficitaires de 1,2 milliard en 2009 et 3 milliards en 2010 avant de se redresser un peu en 2011 avec un déficit de seulement 1,5 milliard, à nouveau passé à 2,7 milliards en 2012. Pour 2013, le déficit prévu devrait atteindre 5 milliards. Le tableau 1 retrace nos estimations de l’impact de la crise sur les recettes et les dépenses du régime depuis 2009. L’estimation des recettes perdues du fait de la crise repose sur l’hypothèse d’une hausse annuelle de la masse salariale de 3,5 % par an (qui se décompose en +2,9 % de hausse du salaire moyen et +0,6 % de l’emploi) si la crise n’était pas intervenue en 2008-2009. Du côté des dépenses l’estimation de la hausse des prestations liée à la crise repose sur l’hypothèse d’une stabilité du niveau du chômage « hors crise », les dépenses étant dans ce cas indexées sur l’évolution tendancielle du salaire moyen.

Les résultats de cette estimation montrent clairement que la crise est la seule responsable de l’apparition d’un déficit important de l’assurance chômage. Sans la hausse du chômage et la baisse de l’emploi, le régime serait resté structurellement excédentaire et la réforme de 2009, qui a permis l’indemnisation de chômeurs disposant de références de travail plus courtes (4 mois au lieu de 6 mois), n’aurait eu qu’un effet minime sur le résultat financier du régime. Il n’y a donc pas eu de dérapage d’un système parfaitement soutenable à long terme… à condition que l’on mène des politiques économiques contra-cycliques qui évitent un dérapage du chômage dont la soutenabilité est sans doute aujourd’hui bien plus préoccupante que celle des finances de l’Unedic[3].

Sur la base d’un diagnostic qui est donc très contestable, la Cour des comptes propose de réduire la générosité des prestations de chômage. Comme il est difficile de mettre en avant des propositions de coupe des plus faibles prestations, la Cour insiste plutôt sur les économies susceptibles d’être réalisées en limitant les très hautes indemnités de chômage qui en France peuvent dépasser 6 000 euros par mois pour les cadres de haut niveau dont les salaires vont jusqu’à 4 fois le plafond de la Sécurité sociale soit, en 2013, 12 344 euros bruts par mois. Mais en réalité il n’est même pas acquis, d’un point de vue strictement comptable, que cette mesure ait un effet favorable sur les finances de l’Unedic. En effet, les bénéficiaires de très hautes indemnités sont peu nombreux, car les cadres sont beaucoup moins souvent au chômage que les autres salariés. Par contre leurs salaires plus élevés supportent les mêmes taux de cotisations si bien qu’ils apportent une contribution nette positive au financement du régime. Un calcul approché, fondé sur la distribution des salaires et des indemnités reçues par les chômeurs indemnisés par l’Unedic, montre que les salariés qui gagnent plus de 5 000 euros bruts par mois reçoivent environ 7 % des indemnités de chômage et assurent près de 20 % des cotisations. A titre d’exemple nous avons simulé une réforme qui alignerait approximativement le régime d’assurance chômage français sur le régime allemand qui est nettement plus sévèrement plafonné que le régime français. Le plafond allemand étant de 5 500 euros bruts par mois (anciens Länder) contre 12 344 dans le système français. En retenant un plafond de 5 000 euros bruts par mois, l’indemnité nette française maximale serait de l’ordre de 2 800 euros. Avec cette hypothèse, les prestations reçues par les chômeurs excédant le plafond seraient réduites de près de 20 %, mais l’économie représenterait à peine plus de 1 % du total des prestations. Du côté des recettes, la baisse du plafond devrait entraîner une réduction de celles-ci de l’ordre de 5 %. L’existence d’un plafond élevé dans le système français d’assurance chômage permet en fait une redistribution verticale importante du fait des différences de taux de chômage. Paradoxalement le fait de réduire l’assurance pour les plus favorisés conduirait à diminuer cette redistribution et détériorerait l’équilibre financier du régime. Sur la base des hypothèses précédentes, le passage à un plafond de 5 000 euros entraînerait une augmentation du déficit de l’ordre de 1,2 milliard (–1,6 milliard de recettes – 400 millions de dépenses).

On ne tient pas compte dans ce premier calcul d’un éventuel impact sur le chômage de ceux dont les prestations seraient fortement réduites. Pour éclairer l’ordre de grandeur de cet effet, par ailleurs improbable, nous avons simulé une situation dans laquelle le nombre de bénéficiaires des plus hautes prestations serait divisé par deux (par exemple par une réduction de leur durée de chômage dans la même proportion). Entre le nouveau plafond et le niveau le plus élevé des salaires de référence, nous avons estimé que l’effet d’incitation augmenterait linéairement (–10 % de chômeurs dans la première tranche au-dessus du plafond, puis –20 % etc., jusqu’à –50 %). Avec cette hypothèse d’une incidence forte de l’indemnisation sur le chômage, l’économie supplémentaire de prestation serait proche de 1 milliard d’euros. Dans ce cas la réforme du plafond serait pratiquement équilibrée (avec un surcoût potentiel, non significatif, de 200 millions d’euros). Mais on n’a pas intégré le fait que le raccourcissement de la durée de chômage des chômeurs très indemnisés pourrait augmenter celle des chômeurs moins indemnisés. Dans une situation proche du plein emploi il est possible de considérer que le rationnement de l’emploi résulte de celui de l’offre de travail ; dans la situation actuelle de crise généralisée, c’est bien l’hypothèse inverse d’un rationnement de la demande de travail qui est la plus réaliste. La réalisation d’économies budgétaires par la baisse des fortes prestations est donc peu crédible, du moins si l’on s’en tient à une réforme qui ne change pas la nature du système.

On pourrait bien entendu obtenir un résultat plus favorable en ne réduisant que le plafond des prestations et pas celui des cotisations. Cette solution serait très déstabilisante pour le régime puisqu’elle inciterait fortement les cadres supérieurs à demander à sortir d’un système solidaire qui leur apporte aujourd’hui une assurance raisonnable moyennant l’acceptation d’une forte redistribution verticale, alors que la baisse du plafonnement des seules prestations les forcerait à s’assurer individuellement tout en continuant à verser de fortes cotisations obligatoires. Ce type d’évolution remettrait nécessairement en cause le principe de base de l’assurance sociale : des contributions fonction des moyens de chacun contre des prestations fonction des besoins.

L’économie générale du rapport de la Cour sur l’indemnisation du chômage paraît donc très discutable car, en ne prenant pas en compte l’effet de la crise, elle revient à proposer une politique procyclique faisant peser sur les chômeurs un poids supplémentaire dans une période où il est moins que jamais possible de leur faire porter la responsabilité du sous-emploi. Quant à la mesure phare remettant en cause le compromis sur les hautes prestations, elle ne peut au mieux qu’être budgétairement neutre et au pire détruire le contrat social qui permet aujourd’hui une forte redistribution verticale au sein du système solidaire d’assurance chômage.


[1] L’assurance chômage subventionne, par le régime spécial des intermittents, à hauteur d’un milliards d’euros par an environ les entreprises de spectacle. Il serait évidemment judicieux que cette dépense soit prise en charge par le budget général et non par l’Unedic

[2] Hors opérations exceptionnelles

[3] Sur les politiques économiques en Europe et leur absence de soutenabilité macroéconomique voir le premier rapport du projet Independent Annual Growth Survey (IAGS) .




La récession n’est pas une fatalité

par Marion Cochard, Bruno Ducoudré et Danielle Schweisguth

La vague de froid sur les prévisions d’automne se poursuit avec la publication par la Banque centrale européenne de ses dernières prévisions. En révisant à la baisse ses perspectives de croissance pour la zone euro (-0,3% en 2013 contre +0,9% prévu en septembre), la BCE pointe à son tour l’austérité renforcée et l’impact croissant de l’incertitude sur les marchés financiers. Force est de constater que la vigueur de la consolidation budgétaire paralyse la croissance en zone euro par le jeu des multiplicateurs budgétaires sans pour autant parvenir à rétablir la confiance. Dans ce billet, nous montrons que l’enchaînement récessif dans lequel s’enlise la zone euro n’est pas une fatalité. 

Dans la première édition du rapport iAGS 2013, élaborée en partenariat avec les instituts allemand IMK et danois ECLM, l’OFCE propose une stratégie alternative aux politiques de consolidation budgétaire actuelles. Celle-ci permet de retrouver de la croissance à moyen terme, tout en respectant les engagements budgétaires européens. Comme l’a montré Jérôme Creel dans son dernier billet « Une autre politique budgétaire est-elle possible pour la France ? », il existe des marges de manœuvre budgétaires compatibles avec le cadre actuel des traités.

Sous l’égide de la Commission européenne, les pays européens se sont engagés à poursuivre de 2013 à 2015 des programmes d’austérité d’une ampleur considérable, surtout si l’on tient compte de l’effort déjà réalisé. Hormis l’Allemagne, dont l’impulsion budgétaire cumulée sera quasi nulle, la plupart des pays européens prévoient de diminuer leur déficit structurel primaire de plus de 2 points de PIB entre 2012 et 2015 (de -1,4 point pour la Finlande à -7,5 points pour la Grèce, cf. tableau).

Ces ajustements s’inscrivent dans un contexte conjoncturel très dégradé, marqué par l’austérité budgétaire des années 2010 à 2012 : la croissance de la zone euro serait de -0,4 % pour 2012 et -0,3 % en 2013. Or, selon un ensemble de travaux théoriques et empiriques récents[1], les multiplicateurs budgétaires sont d’autant plus grands que le cycle économique est creusé. Dans ce contexte, la rapidité et l’ampleur de l’ajustement budgétaire sont particulièrement coûteuses en termes de croissance et contre-productives en matière d’assainissement des finances publiques[2]. Favoriser le retour de la croissance en atténuant l’austérité permettrait aux économies de la zone euro de sortir de leur spirale récessive, marquée par une forte hausse du chômage.

Afin d’élaborer cette stratégie alternative, nous avons procédé, à partir du modèle iAGS, à des simulations sur un horizon de 20 ans pour les pays de la zone euro. Celles-ci ont été réalisées en deux étapes :

  1. Dans notre scénario central, nous avons intégré les plans de restriction budgétaire annoncés par les différents pays à l’horizon 2015. A partir de 2016, nous avons calculé les impulsions budgétaires nécessaires pour atteindre une dette de 60 % à l’horizon 2032, en limitant le niveau de ces impulsions à  +/- 0,5 point de PIB par an. Comme le montre le graphique 1 (scénario central), l’ajustement structurel réalisé entre 2010 et 2015 est suffisamment important dans la plupart des pays pour permettre un assouplissement de la politique économique à partir de 2016, tout en respectant le critère de dette en 2032.
  2. Pour chaque pays, nous avons ensuite arrêté une stratégie budgétaire alternative en étalant dans le temps la réduction du déficit structurel. Cette stratégie consiste à procéder dès 2013 à des impulsions budgétaires d’un montant plus limité en valeur absolue que celles annoncées par les gouvernements actuels (au maximum +/- 0,5 point de PIB par an), et ce jusqu’à ce que l’ajustement soit suffisant pour atteindre l’objectif de dette de 60% du PIB en 2032. Cette stratégie conduit à un ajustement budgétaire plus mesuré pour les pays de la zone euro en difficulté et à des impulsions budgétaires légèrement positives dans les pays dont la trajectoire de dette est bien orientée (Allemagne, Finlande, Italie). Sur l’ensemble de la zone, l’impulsion budgétaire est quasi-nulle en 2013 et 2014 et l’essentiel de l’ajustement budgétaire est réparti entre 2017 et 2024.

Le graphique 1 montre l’écart du PIB en niveau entre les deux scénarii. Limiter le montant des impulsions budgétaires permet d’atteindre un niveau de PIB plus élevé et reste compatible avec un objectif de dette à 60 % du PIB en 2032 (scénario alternatif). L’efficacité de la consolidation budgétaire se trouve renforcée lorsqu’elle est réalisée dans un contexte moins défavorable à l’activité. Cette stratégie permet d’atteindre le même objectif de dette avec un ajustement budgétaire cumulé inférieur de 50 milliards d’euros à celui du scénario central.

Selon nos calculs, le scénario alternatif permettrait de retrouver 2 % de croissance en zone euro dès 2013, contre -0,3 % si les politiques budgétaires prévues étaient menées à bien. Le regain d’activité dynamiserait le marché du travail et permettrait au taux de chômage de se retourner en 2013 et de revenir à 10,2 % en 2015, contre 12,8 % si les politiques d’austérité persistaient, ce qui représenterait 3 millions de chômeurs en moins à l’horizon 2015.


[1] Une revue récente de la littérature sur les multiplicateurs budgétaires : la taille compte !

[2] Que valent les multiplicateurs budgétaires aujourd’hui ?

 




Le chômage augmente en France, la pauvreté en Allemagne

Par Eric Heyer

La France sera-t-elle la nouvelle Grèce comme l’affirme l’hebdomadaire The Economist? Les réformes françaises doivent-elles s’accélérer et s’inspirer de celles menées il y a 10 ans outre-Rhin ?  Pour l’opinion publique allemande, pour ses autorités ainsi que pour une grande partie des experts économiques, cela ne fait aucun doute. Outre un déficit public plus faible, l’Allemagne aurait avant tout réussi à baisser significativement son taux de chômage contrairement à son voisin français. Parti d’un niveau similaire au début des années 2000 (proche des 7,7 % fin 2001), le taux de chômage se situe aujourd’hui à 5,4 % de la population active en Allemagne, soit 4,5 points de % de moins qu’en France (graphique 1).

L’objet de ce billet n’est pas de revenir sur les raisons de ce différentiel – qui ont par ailleurs déjà fait l’objet de notes sur ce blog (voir notamment l’impact de la démographie par G. Cornilleau, de la baisse de la durée du travail par E. Heyer et M. Plane et de la montée des inégalités hommes-femmes par H. Périvier)- mais simplement de signaler que cette baisse du chômage en Allemagne s’est accompagnée d’une forte augmentation de la pauvreté.

D’après Eurostat, au cours des six dernières années, le taux de pauvreté, mesuré au seuil de 60 % du revenu médian, aurait augmenté de 3,6 points de pourcentage en Allemagne, augmentation quatre fois plus importante que celle observée en France (0,9 point). En 2011, malgré la forte baisse du chômage et un différentiel important avec la France, le taux de pauvreté en Allemagne se situerait à 1,8 point au-dessus – soit plus de 11 % de plus – de celui observé en France (graphiques 2 & 3).

 

 

 

Il existe donc bien une face cachée des réformes menées en Allemagne depuis plus de dix ans qui a conduit vers moins de chômage mais plus de pauvreté.

 




La débâcle de l’austérité

par Xavier Timbeau

 

Ce texte résume les prévisions d’octobre 2012 de l’OFCE

 

 

L’année 2012 s’achève et les espoirs d’une sortie de crise sont, cette fois, bien déçus. Après une année 2012 marquée par la récession, la zone euro connaîtra une nouvelle année catastrophique en 2013 (-0,1 % de croissance du PIB en 2013 après -0,5 % en 2012, selon nos prévisions, voir tableau). Le Royaume-Uni n’échappe pas à cette évolution et s’enfonce un peu plus dans la crise (-0,4 % en 2012, 0,3 % en 2013). Au-delà des chiffres de croissance de l’activité, ce sont les évolutions du chômage qui rappellent la gravité de la situation. A l’exception de l’Allemagne et quelques autres pays développés, aucune économie occidentale n’échappe à la persistance d’un chômage élevé, voire en progression comme en zone euro (le taux de chômage atteindrait 12 % en 2013 en zone euro au lieu de 11,2 % au deuxième trimestre 2012). Or, la persistance du chômage entraîne une dégradation de la situation de ceux qui ont perdu leur emploi, et qui, pour certains, basculant dans la catégorie des chômeurs de longue durée, doivent faire face à l’épuisement de leurs droits à indemnisation. Bien que connaissant une croissance de l’activité plus favorable que celle de la zone euro, le marché du travail aux Etats-Unis illustre bien une économie américaine engluée dans la Grande Récession.

Cette catastrophe, dont la zone euro est l’épicentre, est-elle du genre des événements imprévisibles ? Une fatalité qu’il nous faudrait accepter et dont il faudrait se préparer à supporter les conséquences ? Non, en réalité, le retour en récession découle d’un diagnostic erroné et de l’incapacité des institutions européennes à faire face rapidement à la logique de la crise. Cette nouvelle plongée est le résultat des politiques d’austérité massives, surdimensionnées, dont les impacts ont été sous-estimés. En voulant à tout prix et en urgence restaurer l’équilibre des finances publiques et la crédibilité de la gestion économique de la zone euro, on aboutit à  la démonstration inverse. Pour sortir de cette ornière, il faudra  un renversement de la politique économique en Europe.

La difficulté de la situation actuelle trouve sa source dans le creusement des déficits publics et le gonflement des dettes publiques qui atteignent en 2012 des niveaux record. Rappelons que ces déficits et ces dettes publics ne sont pas la cause de la crise de 2008-2009 mais une conséquence. Pour interrompre la spirale récessive de 2008-2009, les gouvernements ont laissé jouer les stabilisateurs automatiques, mis en œuvre des plans de relance et de soutien au secteur financier et socialisé une partie des dettes privées qui menaçaient de déstabiliser l’ensemble de la finance mondiale. C’est cela qui a provoqué des déficits publics. C’est pour mettre un terme à la chute libre que l’on s’est résolu à la socialisation du problème.

Le retour en récession découle ainsi de la difficulté à soutenir cette socialisation des dettes privées. En effet, en zone euro, chaque pays doit faire face au financement de son déficit sans le contrôle de sa monnaie. La conséquence est immédiate : un concours de beauté des finances publiques les plus rigoureuses s’instaure entre les pays de la zone euro. Chaque agent économique européen cherche légitimement le support le plus fiable pour ses actifs et trouve le plus grand attrait aux titres de dette publique allemande. Les autres pays se trouvent dès lors menacés à plus ou moins long terme, ou immédiatement, d’une sanction directe : l’assèchement du financement par le marché. Pour attirer les capitaux, ils doivent alors accepter une hausse des taux d’intérêt et entreprendre dans l’urgence une purge de leurs finances publiques. Mais ils courent après une soutenabilité qui disparaît avec la récession, quand ils cherchent à la trouver par la restriction.

Pour les pays qui ont la maîtrise de leur politique monétaire, comme les Etats Unis ou le Royaume Uni, la situation est différente. En effet, l’épargne nationale s’expose au risque de change si elle est tentée de fuir vers d’autres pays. En outre, la banque centrale apporte la garantie de dernier ressort. L’inflation pourrait s’ensuivre, mais, quoi qu’il en soit, un défaut de paiement sur la dette publique est inenvisageable. Au contraire, dans la zone euro, cette perspective devient possible et le seul refuge à court terme est l’Allemagne, puisqu‘elle sera le dernier pays à s’écrouler. Elle s’écroulera irrémédiablement elle aussi quand tous ses partenaires se seront écroulés.

La solution à la crise de 2008-2009 a donc consisté à socialiser des dettes privées devenues insoutenables après l’éclatement des bulles spéculatives. Pour la suite, la solution consiste à résorber ces dettes désormais publiques sans engendrer la panique que l’on était parvenu à contenir à l’été 2009. Deux conditions sont nécessaires. La première est d’apporter la garantie qu’il n’y aura de défaut sur aucune dette publique, ni partiel, ni complet. Cette garantie ne peut être donnée en zone euro que par une forme de mutualisation des dettes publiques. Le dispositif annoncé par la BCE en septembre 2012, l’OMT (Outright Monetary Transaction), permet d’envisager une telle mutualisation. Il se heurte cependant à une possible contradiction. Il conditionne en effet le rachat des titres de dettes (et donc leur mutualisation par le biais du bilan de la BCE) à l’acceptation d’un plan d’assainissement des finances publiques. Or l’Espagne, qui a besoin de ce dispositif pour échapper à la pression des marchés, ne veut pas entrer à n’importe quelles conditions dans l’OMT. Relâcher la pression des marchés ne vaut que si cela autorise à sortir du cercle vicieux de l’austérité.

Car à l’impréparation des institutions européennes à une crise financière s’est ajoutée une erreur d’appréciation quant au fonctionnement des économies. Le cœur de cette erreur est l’évaluation erronée de la valeur des multiplicateurs qui permet de mesurer l’impact des politiques d’assainissement des finances publiques sur l’activité. En sous-estimant les multiplicateurs budgétaires, les gouvernements européens ont cru pouvoir rétablir rapidement et sans dommage l’équilibre de leurs finances publiques par une restriction rapide et violente. Influencés par une abondante littérature économique qui pouvait même laisser croire qu’une austérité pouvait être source de croissance, ils se sont engagés dans un programme de restriction budgétaire sans précédent.

Cependant, aujourd’hui, comme l’illustrent les spectaculaires révisions du FMI ou de la Commission européenne, les multiplicateurs budgétaires seraient bien plus importants, parce que les économies connaissent des situations de chômage involontaire prolongées. Un faisceau d’éléments empiriques converge dans ce sens, de l’analyse des erreurs de prévisions au calcul des multiplicateurs à partir des performances constatées en 2011 ou estimées en 2012 (voir les textes complets de notre prévision d’octobre 2012). Aussi estimons-nous le multiplicateur pour l’ensemble de la zone euro en 2012 à 1,6, soit une évaluation comparable à celles établies pour les Etats Unis et le Royaume Uni.

Ainsi, la seconde condition au rétablissement des finances publiques réside dans une estimation réaliste de l’effet multiplicateur. Plus le multiplicateur est élevé,  plus une restriction budgétaire a un fort effet sur les finances publiques, et, en conséquence, un faible effet sur la réduction du déficit public. C’est de cette mauvaise combinaison que résulte la débâcle par l’austérité qui compromet la perspective du retour à l’équilibre des finances publiques. L’Espagne illustre à nouveau parfaitement cette implacable logique menée jusqu’à l’absurde d’une économie où un quart de la population active est sans emploi et qui risque la désintégration politique comme sociale.

Mais l’existence d’un multiplicateur élevé indique également la marche à suivre pour sortir du cercle vicieux de l’austérité. Il faut, au lieu de chercher à réduire à court terme à n’importe quel coût le déficit public, laisser l’économie revenir dans une zone de fonctionnement où les multiplicateurs sont plus faibles en retrouvant leur configuration usuelle. Il s’agit donc de reporter l’ajustement budgétaire à un moment où le chômage sera significativement réduit pour que la restriction budgétaire puisse produire son effet.

Reporter l’ajustement à plus tard suppose que la pression des marchés soit contenue par une banque centrale qui apporte la garantie nécessaire à la dette publique. Cela suppose également que les taux d’intérêt sur cette dette publique soient les plus bas possibles pour faire participer financièrement les parties prenantes qui bénéficieront in fine de la soutenabilité des finances publiques. Cela suppose également en zone euro que la mutualisation des dettes publiques soit associée à une forme de contrôle sur la soutenabilité dans le long terme des finances publiques de chacun des Etats membres, autrement dit, d’un abandon partiel d’une souveraineté nationale devenue inopérante, au profit  d’une souveraineté supranationale, seule à même de dégager des marges de manœuvre nouvelles qui permettent de sortir de la crise.

 




La situation sur le marché du travail en France*

Par Eric Heyer

 

L’économie française fait face à de nombreux déséquilibres dont les deux principaux sont :

– le déficit public qui devrait s’établir fin 2012 à près de 4,5 points de PIB, soit près de 100 milliards d’euros ;

– le déficit d’emplois qui induit un chômage de masse.

Si le premier fait l’objet de toutes les attentions, s’il fut et reste la préoccupation principale pour ne pas dire unique de tous les sommets européens depuis 3 ans et s’inscrit au cœur de la stratégie européenne de sortie de crise, force est malheureusement de reconnaître qu’il n’en est pas de même pour le second. Or, on est en droit de se demander si la priorité dans un pays aussi riche que la France est réellement de réduire les déficits publics coûte que coûte au risque d’aggraver le sort des plus fragiles et de rendre encore plus difficile l’accès au marché du travail.

Car depuis le début de la crise qui a débuté en début d’année 2008, l’économie française a détruit plus de 300 000 emplois et le nombre de chômeurs a augmenté de 755 000 au sens du Bureau International du Travail, touchant plus de 2 millions 700 mille Français soit 9,6 % de la population active.

Et ce chiffre sous-estime sans aucun doute la réalité : actuellement l’économie française ne crée que des mini jobs à temps partiel et de durée très faible : au cours du dernier trimestre, 4,5 millions de contrats ont été signés : 3 sur 4 sont des contrats de moins de 1 mois (essentiellement de 1 jour à 1 semaine). Ainsi donc, une personne ayant signé ce type de contrat au cours du mois et étant à la recherche d’un emploi à la fin du même mois n’est pas considérée comme chômeur. Leur prise en compte alourdirait le bilan et enfoncerait un peu plus l’économie française dans un chômage de masse.

Par ailleurs, et cela est plus inquiétant, ces chômeurs vieillissent au chômage – le nombre de chômeurs de longue durée continue à exploser – et ce faisant perdent à la fois en termes de compétence mais aussi en termes financier en sortant de l’indemnisation chômage et en tombant dans les minima sociaux ; dans une étude que nous avons effectué à l’OFCE pour l’Observatoire national sur la pauvreté et l’exclusion sociale, nous avons estimé qu’en France, 100 chômeurs supplémentaires au cours de cette crise entraîneraient une augmentation de 45 pauvres en 2012. Ainsi, même une stabilisation du chômage ne serait pas le signe de l’arrêt de la dégradation de la situation des Français, bien au contraire.

Il est donc urgent d’inverser la tendance sur le front de l’emploi et du chômage.

La façon la plus sûre d’y arriver est de remettre l’économie française sur un sentier de croissance dynamique : rappelons qu’une croissance positive mais faible ne suffit pas pour que l’économie française recommence à créer des emplois : compte tenu des gains de productivité, l’activité dans l’hexagone doit progresser de plus de 1% pour  que s’enclenche la spirale des créations d’emplois. Par ailleurs, eu égard à une démographie toujours dynamique et au report de l’âge légal de la retraite, la population active progresse de 150 000 personnes chaque année. Il faut donc créer plus de 150 000 emplois pour que le chômage commence à baisser en France, ce qui correspond à une croissance supérieure à 1,5 %.

Or compte tenu des politiques d’austérité mises en place en France et chez nos partenaires européens, une telle croissance semble inenvisageable en 2012 et en 2013.

Comment alors empêcher le chômage d’exploser à cet horizon ?

La première solution est de changer la stratégie européenne en définissant, entre autres choses, une austérité « plus tempérée ».

La deuxième solution est d’adopter la stratégie allemande au cours de la crise, c’est-à-dire réduire le temps de travail en recourant massivement au travail à temps partiel et aux dispositifs de chômage partiel. Rappelons que 35 % des salariés allemands sont embauchés à temps partiels contre 17 % en France et qu’au cours de la crise 1,6 million d’Allemands sont passés dans un dispositif de chômage partiels contre 235 000 en France, ce qui leur a permis de continuer à réduire le chômage pendant la crise.

La dernière solution vise à recourir au traitement social du chômage. Le secteur privé continuant à détruire des emplois, le secteur public compenserait une partie de ces destructions avec la création d’emplois aidés.

Le gouvernement semble s’engager dans cette dernière voie : 100 000 emplois d’avenir devraient voir le jour en 2013 et 50 000 en 2014.

A court terme, et compte tenu de la conjoncture, cette stratégie semble être la plus efficace et la moins onéreuse. Cependant, à moyen terme, elle ne pourra pas remplacer une politique de croissance.

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* Ce texte est issu d’une série de chroniques réalisées par Eric Heyer sur France Culture dans « Les carnets de l’économie ». Il est possible de réécouter ces chroniques sur France Culture.

 




Du social mais pas de sortie de crise

Evaluation du projet économique du quinquennat 2012-2017

par Eric Heyer, Mathieu Plane, Xavier Timbeau

Les premières décisions du quinquennat s’inscrivent dans un contexte fortement dégradé et très incertain. Dans une récente Note de l’OFCE (n°23 du 26 juillet 2012) nous analysons, dans une première partie,  le contexte macroéconomique dans lequel s’inscrit le projet du quinquennat de François Hollande et de la XIVe législature. Cette analyse détaille les conséquences probables pour les cinq années de la stratégie actuelle conduite en Europe. Nous évaluons à la fois le coût pour les finances publiques mais aussi l’impact sur l’activité économique, l’emploi ou sur la distribution des revenus. Dans une deuxième partie, nous analysons le choix de politiques publiques considérées comme prioritaires par le nouveau gouvernement, qu’elles soient à destination des jeunes (contrats de génération, emplois d’avenir), de certains seniors (refonte de la réforme des retraites), des classes moyennes et populaires (allocation de rentrée scolaire, coup de pouce au SMIC, livret A, encadrement des loyers, refiscalisation des heures supplémentaires), ou qu’elles visent à relancer certaines dépenses publiques jugées indispensables (emplois publics dans l’éducation, la justice et la police dans la section « finances publiques », service public de la petite enfance).

François Hollande a été élu Président de la République Française à un moment où la France et l’Europe traversent une crise sans précédent. Le chômage a augmenté de plus de 2 points depuis le début de la crise en France métropolitaine et approche aujourd’hui (9,6 % de la population active, au sens du BIT au premier trimestre 2012) les niveaux record de 1997 (10,5 %). Le produit intérieur brut par habitant a baissé depuis 2008 en pouvoir d’achat de 3 %. Si la tendance de croissance des cinq années précédant la crise s’était prolongée au même rythme de 2008 jusqu’au début 2012, le PIB par habitant serait aujourd’hui supérieur de 8 % à ce qu’il est. La balance des transactions courantes s’est dégradée dans la crise d’un point et demi de PIB (25,7 milliards d’euro dont 10 milliards au titre de la facture pétrolière) dégradant la position nette extérieure de la France de 7,8 points de PIB. La dette publique a augmenté de 577 milliards (soit près de 30 points de PIB) et atteint au début de l’année 2012 presque 90 % du PIB. L’industrie a payé un lourd tribu à la crise (presque 300 000 emplois perdus) et tout se passe comme si les destructions d’emploi et les fermetures de sites industriels étaient irréversibles.

Pourtant, ce bilan très sombre, à mettre au compte de la crise amorcée en 2008, n’est pas stoppé. La crise des dettes souveraines menace la zone euro d’une récession prolongée en 2012 et en 2013, sous le coup des politiques d’austérité menées dans la panique de voir les financements des dettes publiques se tarir. Et un scénario pire encore, celui de la désagrégation de la zone euro se profile, qui transformerait ces menaces de récession en risque de dépression majeure.

Ces évaluations sont de nature différente suivant les éléments qui sont disponibles. Certains dispositifs ont été mis en œuvre par décret, d’autre sont en cours de discussion par les assemblées, mais les projets de loi permettent une analyse quantifiée. D’autres sont à l’état de projet ; les principaux arbitrages n’ont pas été rendus, et notre évaluation tente d’en explorer les points principaux.

Notre appréciation de la stratégie économique pour le quinquennat ne s’arrête pas là pour autant. Il amorce aujourd’hui les prémisses de la stratégie de sortie de crise. Les engagements de réduction de déficit et les premières mesures prises dans ce sens dans le collectif budgétaire de juillet 2012, comme celle annoncées dans le débat d’orientation budgétaire de juin 2012, indiquent une stratégie dont la première étape est d’aboutir à la réduction, quoiqu’il en coûte, du déficit public à 3 % du PIB à la fin de l’année 2013. Par sa vertu budgétaire, c’est donc une stratégie de sortie de la crise, censée assainir la situation des comptes publics et ainsi rassurer les marchés financiers comme les autres agents économiques, et mettre en place les conditions d’une reprise future vigoureuse. Cette stratégie s’appuie sur une réduction des dépenses publiques et une hausse de la fiscalité (voir la partie « finances publiques », projets fiscaux du gouvernement et taxation des groupes pétroliers).

Cette stratégie de sortie de crise est pour le moins risquée car elle ne prend pas toute la mesure de la crise qui menace l’Europe aujourd’hui. Elle pourrait se justifier si nous étions d’ores et déjà sur une trajectoire de sortie de crise et s’il s’agissait d’en aménager les priorités. Mais l’Europe reste dans une situation de très forte incertitude, vivant dans l’attente d’un défaut massif de tel ou tel Etat membre de la zone euro, craignant la faillite de telle ou telle institution financière, subissant les conséquences d’une spirale d’austérité alimentée par la hausse des taux souverains. Or dans une telle situation, tout concourt à renforcer le piège de la trappe à liquidité et conduit à des multiplicateurs budgétaires élevés. Dès lors, la réduction ex ante du déficit par la hausse des impôts ou la réduction des dépenses pèse lourdement sur l’activité, ce qui limite, voire annule, la réduction effective des déficits. La dynamique d’augmentation de la dette publique ne peut être inversée et la réduction de l’activité accroît le risque de la socialisation de dettes privées insoutenables. La hausse des taux souverains est alimentée par l’incapacité à tenir les objectifs de déficits et par la hausse de la dette publique et contribue à accroître les déficits publics, obligeant à une austérité plus forte encore.

Une réponse à cette dynamique qui est en train de provoquer la désagrégation de l’euro serait sous une forme ou une autre la mutualisation des dettes publiques en Europe. Cette mutualisation impliquerait un contrôle plus ou moins complet des budgets publics des pays membres par une instance fédérale à la légitimité démocratique forte. Cette réponse serait donc celle de plus d’Europe et permettrait alors de définir une austérité « bien tempérée », pour la France comme pour ses principaux partenaires commerciaux, qui ferait de la sortie du chômage de masse involontaire et de la trappe à liquidité les préalables à un ajustement des finances publiques. Cette réponse permettrait de maintenir la soutenabilité des finances publiques sans impliquer les décennies perdues qui sont en train de se préparer.

Dans une première partie, nous analysons le contexte macroéconomique dans lequel s’inscrit le projet du quinquennat de François Hollande et de la XIVe législature. Cette analyse détaille les conséquences probables pour les cinq années de la stratégie actuelle conduite en Europe. La valeur du multiplicateur budgétaire en est un paramètre critique et nous montrons que la stratégie actuelle ne vaut que si les multiplicateurs sont faibles (i. e. de l’ordre de 0,5). Or un faisceau d’éléments empiriques nous indique que dans la situation exceptionnelle où nous nous trouvons les multiplicateurs budgétaires et fiscaux peuvent être supérieurs à 0,5 (entre 1 et 1,5, voir infra). Nous détaillons dans une deuxième partie les mesures prises dans la Loi de finances rectificative de juillet 2012 (pour l’année 2012), les éléments exposés dans le débat d’orientation budgétaire en préparation de la Loi de finance pour l’année 2013 et pour la période 2012-2017. Pour arriver à réduire le déficit public à 3 %, il apparaît qu’il faudrait une recette fiscale ou une économie de dépense supplémentaire de plus de 10 milliards d’euros, ex ante.

Nous présentons ensuite l’évaluation de onze mesures. Guillaume Allègre, Marion Cochard et Mathieu Plane ont ainsi estimé que la mise en œuvre du contrat de génération pourrait créer entre 50 000 et 100 000 emplois au prix d’un fort effet d’aubaine. Eric Heyer et Mathieu Plane rappellent qu’à court terme, les contrats aidés du type « emplois avenir » peuvent contribuer à faire baisser le chômage. Eric Heyer montre que la re-fiscalisation des heures supplémentaires permet de réduire le déficit public de 4 milliards d’euros sans pour autant dégrader le marché du travail. Guillaume Allègre discute des conséquences de la hausse de l’Allocation de rentrée scolaire et montre qu’elle profite essentiellement aux cinq premiers déciles de niveau de vie. Henri Sterdyniak analyse les possibilités de réforme fiscale. Il ne s’agit pas d’une évaluation des projets du gouvernement en matière de réforme fiscale mais d’un panorama complet sur les marges d’évolution et les incohérences du système actuel. Henri Sterdyniak et Gérard Cornilleau évaluent l’élargissement des possibilités de départ à la retraite à 60 ans et analysent les voies d’une possible réforme de plus grande ampleur du système de retraite. Hélène Périvier évalue ce que pourrait être un service public de la petite enfance dont le coût à terme de presque 5 milliards d’euros pourrait être couvert en partie par un surcroît d’activité générant plus de 4 milliards d’euros. Eric Heyer et Mathieu Plane analysent les conséquences du coup de pouce au SMIC et concluent que compte tenu de la faible diffusion des hausses de SMIC au reste de la distribution des salaires, l’impact sur le coût du travail est limité par de plus fortes réduction des charges sur les bas salaires. Si l’effet sur l’emploi est faible, sur les finances publiques il provoquerait une dégradation de 240 millions d’euros. Sabine Le Bayon, Pierre Madec et Christine Rifflart évaluent l’encadrement de l’évolution des loyers. Hervé Péléraux discute la question de la rémunération du livret A et du doublement de son plafond. Céline Antonin et Evens Salies évaluent la nouvelle taxation des groupes pétroliers qui pourrait apporter 550 millions d’euros de recettes fiscales en 2012 avec le risque que cette taxe soit in fine payée par le consommateur final.




Pas de “TVA sociale” mais une “CSG sociale” ?

par Jacques Le Cacheux

La dégradation de l’emploi et du solde des échanges extérieurs de la France incite à une réflexion sur la compétitivité des entreprises françaises. Mais comment rétablir cette compétitivité ? Est-ce un problème de coût du travail, comme l’affirme avec insistance le MEDEF ? Ou ce facteur n’entre-t-il finalement que pour une faible part dans l’explication de ces médiocres performances ?En choisissant, au printemps dernier, l’option de la « TVA sociale » – augmentation de 1,6 point du taux normal de TVA et affectation du surcroît de recettes à une baisse des cotisations sociales patronales, de l’ordre de 13 milliards d’euros, ciblée sur les salaires compris entre 1,3 et 1,6 SMIC –, le précédent gouvernement avait clairement privilégié la stratégie de baisse – modérée – du coût de la main-d’œuvre. En décidant de revenir sur cette hausse de TVA, qu’il considère injuste, le gouvernement actuel semble indiquer que l’allègement du coût du travail n’est pas sa priorité. Dans le même temps, pourtant, le discours du Président de la République en ouverture de la Conférence sociale ouvre la voie à une réflexion sur le financement de la protection sociale, suggérant ainsi que la question de l’allègement du coût du travail n’est pas close, mais que l’instrument préféré pourrait être la Contribution sociale généralisée (CSG). Sans craindre le pléonasme, certains évoquent désormais une « CSG sociale » !

1 – Coût du travail : la France a-t-elle un problème ?

Le coût de la main-d’œuvre est-il plus élevé en France que chez nos partenaires, notamment au sein de la zone euro ? Le diagnostic n’est, en réalité, pas aisé, et les avis divergent. Selon les données publiées par Eurostat, et qui concernent l’ensemble du secteur marchand, le coût horaire de la main-d’œuvre atteignait, en 2011, 34,20 euros en France, soit près de 7 euros de plus que la moyenne des pays de la zone euro. En Allemagne, il n’était que de 30,1 euros, mais dépassait 39 euros en Belgique. Pourtant, cet indicateur ne renseigne guère sur la compétitivité-coût, puisqu’il faut prendre en compte les différences de productivité de la main-d’œuvre. C’est donc habituellement sur la base du coût unitaire de main-d’œuvre – ou coût salarial unitaire, c’est-à-dire le coût de main-d’œuvre par unité produite – que l’on compare les compétitivités ; mais on ne dispose pas de mesure fiable des niveaux relatifs, de sorte qu’il faut se contenter d’indice et de variations.

En se référant toujours aux données fournies par Eurostat, on peut se faire une idée de l’évolution relative des positions compétitives des différents pays européens. Pour tenir compte d’éventuels effets des variations de change entre les monnaies, l’indicateur de compétitivité-coût retenu ici est le taux de change effectif réel, calculé sur la base des coût salariaux unitaires, qui pondère les coûts relatifs des partenaires commerciaux en fonction de leur part dans les échanges extérieurs du pays considéré : une hausse de cet indice mesure donc une perte de compétitivité des entreprises du pays. Plusieurs mesures sont disponibles, couvrant des champs géographiques ou sectoriels différents.

Si l’on se penche d’abord sur les compétitivités relatives au sein de la zone euro, où, par définition, il n’y a pas d’effet de change (Graphiques 1 et 2), le message est ambigu : pour l’ensemble de l’économie, les évolutions de la compétitivité française sont très voisines de celles de l’Allemagne, depuis le lancement de la monnaie unique, l’une et l’autre tendant à améliorer leur compétitivité-coût par rapport à leurs partenaires de la zone. Certes l’Allemagne faisait un peu mieux jusqu’en 2008 ; mais la récession de 2009 y a si fortement ralenti la productivité de la main-d’œuvre – du fait notamment d’un recours massif au chômage partiel – que les gains relatifs par rapport à la France s’en sont trouvés pratiquement effacés.

Source : Eurostat.

Pourtant, l’indicateur se référant à la seule industrie manufacturière délivre un message bien différent (graphique 2) : en moyenne depuis le lancement de l’euro, la compétitivité-coût de l’industrie française par rapport à ses partenaires de la zone s’est sensiblement maintenue, se dégradant très légèrement sur la période ; mais dans le même temps, l’industrie allemande a, quant à elle, très substantiellement amélioré la sienne – de près de 20%.

Source : Eurostat.

Si l’on se penche, maintenant, sur la compétitivité-coût française vis-à-vis des pays tiers, hors zone euro, les évolutions sont, de manière peu surprenante, dominées par les variations du taux de change externe de l’euro : l’appréciation réelle de la monnaie européenne depuis 2000 a dégradé la compétitivité-coût des économies française et allemande dans des proportions comparables (graphique 3). Mais dans l’industrie (graphique 4), la modération salariale allemande a permis de limiter la dégradation à un peu plus de 10 % entre 2000 et 2011, tandis que, sur la même période, la dégradation subie par l’industrie française est voisine de 25 % ; elle a même dépassé 40 % pendant la période où le taux de change de l’euro battait des records (été 2008).

Il est difficile, dans ces conditions, de nier la dégradation de la position compétitive de l’économie française et, singulièrement, de son industrie. Certes, la dépréciation récente de l’euro lui permet de réduire un peu les pertes de compétitivité subies au cours des années antérieures ; mais elle ne modifie pas les positions relatives au sein de la zone euro, qui concentre environ 2/3 du commerce extérieur de ses membres.

Source : Eurostat.

Au contraire, la stratégie compétitive de l’Allemagne – notamment grâce à une politique soutenue de modération salariale, mais aussi à des choix de restructuration industrielle et de spécialisation – se reflète dans la progression spectaculaire de son taux d’ouverture commerciale (graphique 5) : proche de celui de la France en 1995, il a doublé en Allemagne, alors qu’il est demeuré sensiblement constant en France.

Source : Eurostat.

2 – Une réforme fiscale pour alléger le coût du travail

Le coût de la main-d’œuvre n’est sans doute pas le seul facteur de dégradation de la compétitivité de l’économie française et, notamment, de son industrie ; mais ses évolutions comparées à celles observées chez nos principaux partenaires, et singulièrement en Allemagne, suggèrent qu’elles contribuent aux mauvaises performances enregistrées ces dernières années tant en matière d’emploi que de commerce extérieur. Il apparaît donc légitime de s’interroger sur les moyens de l’alléger, en particulier en réformant le financement de la protection sociale, qui en constitue une composante importante. D’où le débat sur la baisse des cotisations patronales, et sa compensation par la hausse d’un autre prélèvement : TVA ou CSG ?

Beaucoup de choses ont été dites sur les avantages et les inconvénients de chacune des deux options[1]. Mais quelques éléments de comparaison des évolutions récentes permettront sans doute d’éclairer ce débat. En premier lieu, le poids respectif de la fiscalité pesant sur la consommation et sur les revenus du travail a connu, au cours des dernières années, des évolutions sensibles en France et en Allemagne (graphiques 6 et 7) : tandis que le taux implicite d’imposition de la consommation n’a cessé de se réduire en France depuis la fin des années 1990, sous l’effet de la baisse d’un point du taux normal de TVA et de mesures sectorielles (restauration et travaux dans les logements anciens), il a augmenté en Allemagne du fait de la hausse de 3 points du taux normal de TVA en 2007 ; dans le même temps, le taux implicite d’imposition du travail est demeuré assez stable, à un niveau élevé, en France, tandis qu’il se réduisait en Allemagne.

Source : Eurostat.

Et cette réduction a été obtenue en partie grâce à une baisse significative – environ 1 point de PIB – des cotisations sociales employeurs, qui sont, au contraire, restées à un niveau élevé en France (graphique 8).

Dans ces conditions, des marges de manœuvre semblent exister du côté de la fiscalité pesant sur la consommation, ce qui avait incité le précédent gouvernement à opter pour un alourdissement de la TVA, compensé par une réduction de cotisations sociales employeurs, que l’actuelle majorité vient d’abroger.

Parmi les défauts d’une hausse de la TVA, deux caractéristiques ont été mises en exergue dans les débats récents. En premier lieu, une telle hausse est, de fait, une « dévaluation fiscale », qui peut dès lors être considérée comme non coopérative et inamicale par nos partenaires au sein de la zone euro, d’où proviennent plus de la moitié de nos importations. Bien sûr, mais de leur côté, presque tous nos partenaires n’ont pas hésité à augmenter la TVA ces dernières années, et certains prévoient même de l’alourdir encore ; la France a donc, effectivement subi les « dévaluations fiscales » de ses voisins. Bien sûr, une stratégie européenne coordonnée serait préférable ; mais la France doit-elle décider de subir seule les coûts économiques de l’absence d’une telle coopération ?

Source : Eurostat.

En second lieu, les détracteurs de la hausse de la TVA pointent son caractère « injuste » et les risques d’amputation du pouvoir d’achat, donc de freinage de la croissance. Mais, comme le soulignait la précédente note sur ce thème, la hausse des prix résultant d’une augmentation du taux de TVA devrait être très limitée et, dans l’éventualité d’une hausse, les procédures d’indexation des minima sociaux, du SMIC et des retraites sont telles que les catégories disposant des revenus les plus modestes ne devraient pas subir de baisse de pouvoir d’achat. Sauf, bien sûr, si le gouvernement envisageait de suspendre les mécanismes d’indexation, ce qui constituerait une manière particulièrement opaque de rogner la générosité de la protection sociale et le salaire minimum.

La CSG est-elle plus « juste » ? On fait volontiers valoir qu’avec son assiette large – la quasi-totalité des revenus –, elle frappe les revenus du patrimoine. Mais elle frappe aussi tous les bas revenus, qu’ils soient du travail, de remplacement, ou de retraite, dès le premier euro, car elle est proportionnelle : pour les détenteurs de revenus modestes, elle pèsera donc plus lourdement sur le pouvoir d’achat que la hausse de la TVA.

On peut souhaiter, malgré tout, privilégier la CSG, instrument de prélèvement à assiette large qui permet de faire contribuer l’ensemble des revenus au financement de la protection sociale : c’était, dès le départ, sa justification et sa raison d’être. Mais dans ce cas, le souci de justice exigerait que l’on accompagne cette montée en puissance d’une réforme fiscale plus ambitieuse, qui redonne une véritable progressivité à l’ensemble de prélèvements directs et, si possible, aux transferts sociaux sous condition de ressources.

Alléger le coût du travail en transférant la charge d’une partie du financement de la protection sociale vers des prélèvements autres que les cotisations sociales apparaît souhaitable et possible, tout en rendant le système fiscal français plus juste. Pour ce faire, il convient de compenser la baisse des cotisations sociales, patronales, mais aussi éventuellement salariés, par un alourdissement des prélèvements pesant sur la consommation et sur les activités polluantes, afin de modifier résolument les prix relatifs, donc les incitations qui pèsent sur les entreprises et les ménages dans leurs choix de techniques de production et d’emploi et dans leurs choix de consommation ; et de conduire en même temps une réforme de la fiscalité directe qui permette de compenser les effets négatifs de ces modifications sur le pouvoir d’achat des détenteurs de revenus modestes et de rendre l’ensemble des prélèvements directs plus progressifs. Alourdir la CSG sans conduire cette grande réforme[2] serait léser ces catégories.

 

 

 


[1] Voir notamment, J. Le Cacheux, 2012a, « La TVA « sociale », antisociale ? », Blog de l’OFCE, 6 janvier, et E. Heyer, M. Plane et X. Timbeau, 2012, « Impact économique de la « quasi TVA sociale ». Simulations macroéconomiques et effets sectoriels », Débats et politiques, Revue de l’OFCE, n°122, sous la direction de G. Allègre et M. Plane, « Réforme fiscale », mars.

[2] Pour une exposition plus précise des principes d’une telle réforme, voir J. Le Cacheux, 2012b, « Soutenabilité et justice économique. Finalités et moyens d’une réforme fiscale », Débats et politiques, Revue de l’OFCE, n°122, sous la direction de G. Allègre et M. Plane, « Réforme fiscale ».

 




La suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires va-t-elle créer des emplois ?

par Eric Heyer

Avant la conférence de presse du 26 juillet 2012 au cours de laquelle l’OFCE présentera une évaluation du projet économique du gouvernement Ayrault, nous dressons un bilan de la défiscalisation des heures supplémentaires et de son exonération de cotisations sociales, puis évaluons l’impact sur l’emploi et les finances publiques de la suppression de cette mesure.

Le nouveau gouvernement a décidé de revenir sur la mesure de défiscalisation des heures supplémentaires et son exonération de cotisations sociales qui s’appliquait depuis le 1er octobre 2007 à l’ensemble des salariés des secteurs public et privé en France. A compter du 1er septembre 2012, l’exonération de charges pour les salariés sera supprimée, quelle que soit la taille de l’entreprise. L’exonération de charges patronales, quant à elle, ne sera maintenue que dans les PME de moins de 20 salariés. Enfin, les heures supplémentaires effectuées à partir du 1er août 2012 seront soumises à l’impôt sur le revenu.

Dans ce billet, nous tenterons dans un premier temps de dresser un bilan de cette mesure en s’intéressant tout particulièrement à ses conséquences sur l’emploi et les finances publiques (1). Dans un deuxième temps, nous évaluerons l’impact sur l’emploi et les finances publiques de cette réforme pour les années à venir (2).

1.     Quel bilan peut-on tirer de la défiscalisation des heures supplémentaires ?

a) Quel coût ex-ante sur les finances publiques ?

En 2011, selon l’ACOSS, le nombre d’heures supplémentaires exonérées au titre de la loi TEPA s’est élevé à 739 millions. Plus de la moitié de ces heures ont été réalisées dans les entreprises de plus de 20 salariés (57,7 %)[1]. Le montant des exonérations afférentes a été de 3,107 milliards d’euros dont plus de 77 % proviennent des baisses de charges salariales. Concernant les baisses de cotisations patronales, elles représentent 693 millions d’euros en 2011 dont 65,5 % sont en faveur des entreprises de moins de 20 salariés[2] (tableau 1).

Par ailleurs, cette mesure permettait aux salariés d’exonérer d’impôt sur le revenu les rémunérations versées au titre des heures supplémentaires effectuées dans la seule limite d’une majoration de 25 %. D’après le PLF 2012, cela a entraîné un manque à gagner de 1,4 milliard d’euros pour les finances publiques en 2011. Au total, le coût ex-ante pour les finances publiques de cette mesure s’est élevé à environ 4,5 milliards d’euros en 2011.

b) Cette mesure a-t-elle induit  une augmentation du nombre d’heures supplémentaires ?

Un des objectifs de cette mesure était d’inciter à une durée du travail plus longue par le biais d’un recours accru aux heures supplémentaires. Cela fut-il le cas ? Compte tenu de la faiblesse de la longueur des séries et d’une impossibilité de comparaison avec un épisode conjoncturel similaire, il apparaît difficile de répondre catégoriquement à cette question. Il nous semble toutefois possible, à la lecture des données fournies par l’ACOSS, de formuler une hypothèse de travail.

Comme l’illustre le graphique 1, après une montée en charge progressive du dispositif au cours des premiers trimestres d’application, le nombre d’heures supplémentaires a atteint un premier pic en fin d’année 2008 avec près de 188 millions au quatrième trimestre. Au cours du premier trimestre 2009, le nombre d’heures supplémentaires s’est effondré de près de 12 %, s’établissant à 165 millions. Si cette baisse est cohérente avec la forte dégradation d’activité observée en France à cette époque, la remontée du volume d’heures supplémentaires depuis est plus surprenante : alors que l’activité ne repartait pas suffisamment pour permettre une décrue du chômage, rendant compte d’une position cyclique dégradée de l’économie, le volume d’heures supplémentaires a franchi un nouveau pic en 2011, atteignant plus de 190 millions au quatrième trimestre. Ce rebond contra-cyclique peut être dû à la défiscalisation associée aux heures supplémentaires : sans elle, compte tenu de la situation conjoncturelle toujours dégradée, leur nombre aurait dû rester voisin de celui observé en début d’année 2009.

Sous cette hypothèse, en 2011, cette mesure aurait favorisé une hausse de près de 80 millions d’heures supplémentaires, soit un supplément de 11 %.

c) Quel impact sur l’emploi ?

L’impact  sur l’emploi est ambigu. En effet, deux effets de sens contraire se superposent :

  1. Le premier est positif et relatif à la baisse du coût du travail et à la hausse du pouvoir d’achat des salariés. Face à la baisse du coût des heures supplémentaires, les entreprises seraient incitées à augmenter le temps de travail des salariés en place, en particulier dans les secteurs où le recrutement de la main-d’œuvre connaît des tensions (bâtiment, hôtellerie, santé ou éducation). La rémunération de ces heures supplémentaires permettrait une augmentation du pouvoir d’achat irriguant l’ensemble de l’économie avec un effet positif sur l’emploi ;
  2. Le deuxième est négatif pour l’emploi : en abaissant le coût d’une heure supplémentaire, cela incite les entrepreneurs à allonger la durée du travail, favorisant alors la situation des insiders (salariés) au détriment de celle des outsiders (les chômeurs). Cela engendre une augmentation de la productivité par tête des salariés français, ce qui est positif pour la croissance potentielle de l’économie française mais défavorable à l’emploi à court terme. Dans un travail antérieur (Heyer, 2011a), mené sur des données regroupant 35 secteurs de l’économie française, nous avons estimé qu’une hausse de 1 % des heures supplémentaires détruirait près de 6 800 emplois salariés du secteur marchand (soit 0,04 % des salariés marchand) dont les trois quarts seraient des emplois intérimaires ;

D’après nos simulations, réalisées à l’aide du modèle macroéconomique de l’OFCE, emod.fr, et dont les principaux résultats sur l’emploi sont résumés dans le tableau 2, l’effet négatif l’emporterait sur l’effet positif : la défiscalisation des heures supplémentaires aurait détruit plus de 30 000 emplois en 2011.

Ce résultat conforte l’idée selon laquelle, dans un contexte conjoncturel dégradé, comme cela est le cas dans la période récente, la défiscalisation des heures supplémentaires apparaît clairement inadaptée et contre-productive pour l’emploi (Heyer, 2011b). Face à un choc négatif imprévu, les entreprises commencent généralement par réduire le temps de travail, puis se séparent de leurs emplois précaires et en particulier de leurs intérimaires, avant finalement de procéder à des licenciements économiques.

Par ailleurs, la baisse des charges salariales et patronales ainsi que l’exonération d’impôt sur le revenu,  coûtent 4,5 milliards d’euros ex-ante (0,22 point de PIB) et ne sont pas financés. En tenant compte de plus du coût pour les finances publiques de la dégradation du marché du travail (-30 000 emplois), cette mesure aurait creusé le déficit public de 6,8 milliards d’euros, soit 0,34 point de PIB en 2011.

Le financement de cette mesure alourdirait son bilan sur l’emploi : selon le mode de financement retenu, les pertes d’emplois auraient finalement été comprises entre 52 000 et 95 000 postes en 2011 (tableau 3).

2.     Quel impact de cette réforme ?

A compter du 1er septembre 2012, l’exonération de charges pour les salariés est supprimée, quelle que soit la taille de l’entreprise. L’exonération de charges patronales, quant à elle, n’est maintenue que dans les PME de moins de 20 salariés.

a) Cette réforme  va-t-elle induire  une baisse du nombre d’heures supplémentaires ?

En maintenant l’exonération de charges patronales pour les entreprises de moins de 20 salariés, il est possible d’imaginer que cette réforme n’aura pas d’impact sur le volume d’heures supplémentaires effectuées dans ces PME. En revanche, pour les autres entreprises, l’incitation à un plus fort recours disparaissant, on peut supposer que ce volume diminuera en revenant vers un niveau plus compatible avec le cycle conjoncturel.

Nous faisons alors l’hypothèse qu’à compter de 2013, le volume d’heures supplémentaires dans les entreprises de moins de 20 salariés se maintiendrait à plus de 310 millions. Dans les autres entreprises, nous faisons l’hypothèse que le volume annuel d’heures supplémentaires en 2013 reviendrait vers celui enregistré fin 2009-début 2010, à savoir proche de 380 millions (graphique 2).

Au total, selon nos hypothèses, la baisse des heures supplémentaires pourrait être de 1,2 % en 2012 et de 5,9 % en 2013, soit une baisse de 7,1 % par rapport au niveau observé aujourd’hui.

b) Quel impact sur l’emploi et les finances publiques à l’horizon 2014 ?

Sur la période 2011-2014, si la baisse des heures supplémentaires prévue se réalise, cette réforme permettra la création ou la sauvegarde de 17 900 emplois. Ce résultat est la conséquence de deux effets de sens inverse (tableau 4) : le premier est négatif et est lié à la baisse du pouvoir d’achat des salariés bénéficiant des heures supplémentaires (-29 000 emplois) ; le second est positif et résulte de la réduction du recours aux heures supplémentaires dans les entreprises de plus de 20 salariés (46 900 emplois).

Sur la même période, la suppression de la défiscalisation permettra d’économiser 2,6 milliards d’euros d’exonération de charges sociales et permettra d’engranger un surplus de 1,3 milliard d’euros d’impôt sur le revenu. Par ailleurs, les créations d’emplois supplémentaires entraîneront un supplément de recettes fiscales et une économie de dépenses sociales de 1,3 milliard d’euros. Au total, une fois le bouclage macroéconomique réalisé, cette réforme permettra de réduire le déficit des APU de 5,2 milliards, soit 0,26 point de PIB en 2014 (tableau 4).

Références bibliographiques

Heyer É. (2011a), « Faut-il revenir sur la défiscalisation des heures supplémentaires ? Simulation et première évaluation de ce dispositif», Note de l’OFCE, n° 2, septembre.

Heyer É. (2011b), « The effectiveness of economic policy and position in the cycle: the case of tax reductions on overtime in France », Oxford Review of Economic Policy, vol. 27, n° 2, summer.

Sévin É. et Y. Zhang (2012), « Les heures supplémentaires au premier trimestre 2012 », Acoss Stat, n°150, mai.


[1] Rappelons toutefois que près de 70 % des salariés travaillent dans des entreprises de plus de 20 salariés.

[2] Rappelons que cette mesure introduit une réduction forfaitaire des charges patronales de 1,5 euro  par heure supplémentaire effectuée dans les entreprises de moins de vingt salariés et de 0,5 euro dans les entreprises de plus de vingt salariés. Pour plus de détails sur la mesure, se référer à Heyer (2011b).