Une compétitivité durable grâce à la fiscalité écologique

par  Jacques Le Cacheux

« Choc » ou « Pacte » ? Le débat sur la perte de compétitivité française s’est récemment focalisé sur le rythme de mise en œuvre d’un basculement de cotisations sociales patronales vers un autre financement, laissant entendre que le principe en était acquis. Face à la situation dégradée de l’emploi et du solde commercial de la France, alors que les éléments étayant la thèse d’une perte de compétitivité des entreprises françaises par rapport à celles de la plupart de nos partenaires s’accumulent[1], et que le taux de marge des entreprises affiche une faiblesse alarmante pour l’avenir, la nécessité d’une baisse du coût du travail semble s’imposer. Mais le rythme et les modalités font débat. Faut-il augmenter la CSG, la TVA, ou un autre prélèvement, au risque d’amputer le pouvoir d’achat des ménages dans un contexte conjoncturel déjà plus que morose ?

La conjoncture doit être gérée au niveau de la zone euro

L’opportunité du basculement d’une partie des cotisations patronales – le chiffre de 30 milliards est souvent évoqué – sur un autre prélèvement est souvent contestée au nom des risques qu’une telle stratégie ferait peser sur une croissance déjà atone : affaiblir la consommation réduirait encore davantage les débouchés des entreprises, pesant ainsi sur l’activité donc sur l’emploi et sur les marges.

Mais la France n’est dans cette situation déprimée que parce que l’Union européenne s’est engagée dans un ajustement budgétaire à marche forcée dont tout le monde – ou presque … – reconnaît aujourd’hui qu’il est contreproductif et voué à l’échec : comme l’illustre de manière navrante la situation espagnole, la quête d’une réduction du déficit budgétaire lorsque l’économie est en récession est vaine, et les efforts « vertueux » – coupes claires répétées dans les dépenses publiques et augmentations d’impôts – ne font qu’affaiblir un peu plus l’économie et aggraver le chômage, car les multiplicateurs budgétaires sont alors très élevés, comme l’avait montré Keynes, voilà plus de 70 ans !

Le soutien budgétaire à l’activité est la seule voie de sortie. Mais l’expérience des premières années du premier gouvernement socialiste reste dans toutes les mémoires : l’échec fut à la hauteur des illusions et le « tournant de la rigueur » rendit le gouvernement impopulaire. Ce qui ne pouvait fonctionner dans le contexte des premières années 1980, avec une économie moins ouverte, une politique monétaire autonome et une parité externe de la monnaie alors ajustable, le pourrait encore moins dans le contexte d’intégration plus poussée et de monnaie unique. Tenter de maintenir le pouvoir d’achat des ménages français, alors que le reste de la zone euro est en récession et que les entreprises françaises ont perdu de la compétitivité ne pourrait que creuser davantage le déficit extérieur, sans soutenir la croissance ni l’emploi.

Il faut donc poursuivre le combat européen pour obtenir que l’on ralentisse partout le rythme de réduction des déficits publics ; mettre en œuvre, dans la zone euro, une politique monétaire plus accommodante, qui aurait le double avantage de réduire les coûts des dettes, publiques et privées, les rendant ainsi plus soutenables, et d’exercer une pression à la baisse sur le taux de change de l’euro, favorisant la compétitivité externe à un moment où les banques centrales américaine et japonaise cherchent à faire baisser la valeur de leur monnaie, ce qui, mécaniquement, poussera l’euro vers le haut ; et s’engager conjointement dans une politique européenne coordonnée de soutien à la croissance, combinant financement de la recherche, investissements dans les réseaux transeuropéens de transport et d’électricité, et investissement dans l’éducation et la formation.

L’offre productive nationale doit être soutenue et stimulée

Le défaut de compétitivité de l’industrie française n’est pas réductible à un problème de coût de travail. Et l’on sait bien qu’une surenchère de modération salariale et de moins-disant social, dont on voit déjà aujourd’hui les ravages en Europe, ne peut qu’entraîner la zone euro dans une spirale déflationniste, comparable à celle que ces mêmes pays avaient vainement enclenchée dans les années 1930 pour tenter de sortir, chacun pour soi, de la Grande dépression.

La baisse des dépenses sociales ne peut donc pas être une réponse, alors que les besoins augmentent de toute part en raison de la montée du chômage et de la précarité de la situation d’un nombre croissant de ménages, salariés et retraités. Baisser les salaires, comme le font certains pays (Grèce et Irlande, notamment), soit directement, soit par le biais d’une augmentation du temps de travail sans accroître la rémunération, n’est pas non plus une solution, car cette déflation salariale déprimerait un peu plus la demande et nourrirait un nouveau cycle de moins-disant salarial en Europe.

Améliorer la compétitivité-coût en allégeant les charges sur les salaires peut faire partie de la solution. Mais cette option n’enverra pas forcément aux entreprises les bons signaux et n’entraînera pas nécessairement une baisse de leurs prix de vente ou une augmentation des embauches : des gains d’aubaine sont inévitables, et la plus grande aisance financière est susceptible de profiter aux actionnaires autant qu’aux clients ou aux salariés. Les allègements de cotisations sociales peuvent être ciblés, sur certains niveaux de rémunération, mais ils ne peuvent pas être sectoriels, ni conditionnels, au risque de violer les règles européennes de la concurrence.

Il convient également d’inciter et d’aider les entreprises françaises à moderniser leurs capacités d’offre. La nouvelle Banque publique d’investissement peut y contribuer, en finançant des projets prometteurs. Mais on peut également jouer sur la fiscalité des bénéfices des sociétés, notamment en recourant aux incitations à l’investissement et à la recherche que permettent les crédits d’impôt et règles d’amortissement : c’est un moyen de jouer plus directement sur les incitations des entreprises et de conditionner les soutiens publics à des comportements susceptibles d’améliorer leur compétitivité.

La fiscalité écologique, levier de compétitivité soutenable

Sur quels prélèvements basculer le coût de ces allègements au profit des entreprises ? Les discussions sur les mérites et inconvénients respectifs de la TVA et de la CSG abondent. Contentons-nous de rappeler ici que la TVA a été créée pour anticiper la baisse des protections tarifaires, à laquelle elle se substitue très efficacement sans discriminer sur le marché national entre produits nationaux et importations, mais en exonérant les exportations : une hausse de TVA ne diffère donc guère d’une dévaluation, avec des avantages et des inconvénients très similaires, notamment en ce qui concerne le caractère non coopératif au sein de la zone euro. Mais rappelons aussi (voir notre post de juillet 2012) que la consommation est aujourd’hui relativement moins taxée en France qu’il y a quelques années, et moins que chez nombre de nos partenaires européens.

Recourir à une véritable fiscalité écologique aurait, au regard des autres options de financement des allègements, le grand avantage de favoriser les secteurs les moins polluants et les moins dépendants des énergies fossiles – amoindrissant du même coup nos problèmes de soldes extérieurs, pour partie imputables à nos importations d’énergie – et de mettre en place les bonnes incitations de prix et de coûts, tant pour les entreprises que pour les consommateurs. En particulier, engager sérieusement la transition énergétique suppose que l’on institue une fiscalité carbone ambitieuse, mieux conçue que celle qui, en 2009, a fait l’objet d’une censure du Conseil constitutionnel. Sa création, et son entrée en vigueur progressive, doivent être accompagnées d’une réforme des prélèvements directs sur les revenus des ménages et des principales allocations sous conditions de ressources, pour éviter les « usines à gaz » de compensation (cf. l’article dans l’ouvrage « Réforme fiscale », avril 2012).

Un « choc de compétitivité » donc, mais surtout un « pacte de compétitivité soutenable », qui incite les entreprises française à s’engager sur les bons sentiers, ceux des choix d’avenir.


[1] Voir notamment le post du 20 juillet 2012.




Zone euro : la confiance ne suffira pas

Par Céline Antonin, Christophe Blot et Danielle Schweisguth

Ce texte résume les prévisions d’octobre 2012 pour l’économie de la zone euro.

Après plus de deux années de crise de la zone euro, le Conseil européen, qui s’est tenu les 18 et 19 octobre, n’avait cette fois-ci rien d’un énième sommet de la dernière chance. Même si les discussions sur la future union bancaire[1] furent sources de tensions entre la France et l’Allemagne, il n’y avait aucune épée de Damoclès au-dessus de la tête des chefs d’Etats européens. Pour autant, il serait prématuré de considérer que la crise est proche de son terme. Rappelons simplement que le PIB de la zone euro n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant-crise et qu’il a encore reculé de 0,2 % au deuxième trimestre 2012. Cette baisse devrait se poursuivre puisque nous anticipons une baisse du PIB de 0,5 % en 2012 et encore de 0,1 % en 2013. Par conséquent, le taux de chômage de la zone euro, qui a d’ores et déjà dépassé son précédent record historique qui datait d’avril 1997, continuerait d’augmenter pour atteindre 12,1 % en fin d’année 2013. Quelles sont alors les raisons de cette accalmie ? La zone euro peut-elle rapidement renouer avec la croissance et espérer enfin endiguer la crise sociale ?

Depuis la fin de l’année 2011, l’Europe a adopté un nouveau traité (TSCG : Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance) en cours de ratification dans les 25 pays signataires. Concrètement, ce nouveau texte doit permettre de renforcer la discipline budgétaire – via l’adoption de règles d’or nationales – et la solidarité grâce à la création du MES (Mécanisme européen de stabilité) dans la mesure où le recours au MES est conditionnelle à la ratification du TSCG. Le 6 septembre, la BCE a dévoilé les contours de son nouveau programme conditionnel d’achat de titres souverains (voir ici) dont l’objectif est de faire baisser les taux d’intérêt publics des pays placés sous le contrôle du MES. Ainsi, depuis le pic atteint le 24 juillet 2012, les primes de risque, mesurées par l’écart entre les taux d’intérêt publics italien et espagnol et le taux allemand, ont respectivement baissé de 2,2 et 2,5 points (graphiques 1 et 2). On est certes encore très éloigné de la normale mais il n’en demeure pas moins que cette accalmie est la bienvenue et qu’elle témoigne de l’éloignement du spectre d’un éclatement de la zone euro.

Cette nouvelle vague d’optimisme pourrait-elle être le signe précurseur d’une reprise de l’activité dans la zone euro ? La réponse à cette question est malheureusement négative. Les politiques budgétaires des pays de la zone restent en effet fortement restrictives. Elles ont même eu tendance à s’accentuer en 2012 contribuant notamment au retour en récession de l’Italie, de l’Espagne et renforçant celle subie par le Portugal et la Grèce. Sur l’ensemble de la zone euro, l’impulsion budgétaire sera de 1,7 point de PIB en 2012 (tableau). Les votes en cours des budgets nationaux confirment cette stratégie de réduction forcée des déficits budgétaires pour l’année 2013 puisque la consolidation budgétaire globale pour l’ensemble de la zone euro serait de 1,3 %. Les écarts seraient importants entre les pays puisque l’impulsion budgétaire de l’Allemagne serait à peine négative (-0,2 point) mais supérieure à -2 points de PIB en Espagne, en Italie et en Grèce. Or, l’impact récessif de cette consolidation budgétaire synchrone sera d’autant plus important que les pays de la zone euro sont toujours en bas de cycle économique. Dans ces conditions, les objectifs en matière de réduction des déficits budgétaires ne seront pas atteints, ce qui ne manquera pas de soulever la question de l’opportunité de nouvelles restrictions budgétaires. De plus en plus d’Etats membres risquent alors d’être pris dans un cercle vicieux où la faiblesse de la croissance appelle de nouveaux ajustements budgétaires qui renforcent la crise économique et sociale. Toute décision améliorant la gouvernance de l’Union ou la transmission de la politique monétaire est essentielle pour restaurer la confiance et créer les conditions d’un retour de la croissance. Mais ces éléments sont insuffisants pour échapper à la récession et ne doivent pas occulter l’impact de la stratégie budgétaire.

 

 

 

 


[1] Voir ici pour une analyse des enjeux et des questions soulevées par le projet d’union bancaire.

 




France-Allemagne : le grand écart démographique

par Gérard Cornilleau

Les trajectoires démographiques divergentes de l’Allemagne et de la France vont avoir des conséquences majeures et différenciées sur les dépenses sociales, les marchés du travail, les capacités productives et sur la soutenabilité des dettes publiques. Elles expliquent notamment les craintes allemandes face à la montée de leur propre dette. Les divergences démographiques vont nécessiter la mise en œuvre de politiques publiques hétérogènes de part et d’autre du Rhin. Le « one-size-fits-all » n’est pas encore pour demain.

Les trajectoires  démographiques de la France et de l’Allemagne sont le produit des guerres européennes et de l’Histoire. La superposition des pyramides des âges (graphique 1) est à cet égard instructive : en Allemagne les générations les plus nombreuses sont celles qui sont nées au cours de la période nazi, jusqu’en  1946 ; ensuite viennent les générations nées au milieu des années soixante (les enfants des générations nées pendant le nazisme).  En France les générations des années trente sont à l’inverse peu nombreuses. En conséquence le baby-boom qui, comme on peut  facilement le comprendre, démarre avant celui de l’Allemagne (dès 1945 au moment où l’on observe un baby krach en Allemagne qui ne prendra fin qu’au début des années cinquante ; le baby-boom allemand culminant tardivement au cours des années soixante) est d’une ampleur limitée car les générations en âge d’avoir des enfants sont peu nombreuses. En revanche le ralentissement de la natalité est nettement plus faible en France après la crise des années soixante-dix et surtout la fécondité augmente de  nouveau depuis le début des années quatre-vingt-dix. Si bien qu’avec un taux de fécondité qui reste proche de 2 enfants par femme en âge de procréer, les générations sont de taille pratiquement constante de 1947 à aujourd’hui.  En Allemagne la réunification entraîne un effondrement de la fécondité dans l’ex-RDA qui converge vers le taux de l’Ouest  au milieu des années 2000 (graphique 2). Au total, depuis la guerre, la fécondité française est toujours restée supérieure à la fécondité allemande et depuis le début des années 2000 l’écart se creuse. Si bien que le nombre de naissances en France excède aujourd’hui  de beaucoup celui qui est observé en Allemagne : en 2011, 828 000 contre 678 000 soit 22 % de naissances en plus en France.

 

Du point de vue démographique, la France et l’Allemagne sont donc dans des situations radicalement différentes. Alors que la France a pu conserver un taux de fécondité satisfaisant, pratiquement suffisant pour garantir la stabilité à long terme de la population, la dénatalité allemande va entraîner une baisse  rapide et importante de la population et un vieillissement nettement plus prononcé qu’en France (graphiques 3 et 4)

D’après les projections démographiques retenues par la Commission européenne[1], l’Allemagne devrait perdre plus de 15 millions d’habitants d’ici 2060 et la France en gagner un peu moins de 9. Vers 2045 les deux pays devraient avoir des populations identiques (un peu moins de 73 millions d’habitants) et en 2060 la France compterait environ 7 millions d’habitants de plus que l’Allemagne (73 millions contre 66).

Dans les deux pays les migrations contribuent à la croissance de la population mais de manière modérée. Les migrations nettes ont été faibles en Allemagne au cours de la période la plus récente avec un taux de 1,87 ‰ entre 2000 et 2005 et 1,34‰ entre 2005 et 2010 contre respectivement 2,55 ‰ et 1,62‰ en France[2]. La Commission européenne retient pour l’avenir  des taux de migration nets proches pour la France et l’Allemagne, contribuant à l’horizon de 2060 à augmenter la population de l’ordre de 6 % dans chaque pays[3]. L’ONU[4] envisage une hypothèse similaire, la contribution des migrations étant de plus en plus faible dans l’ensemble des pays du fait du ralentissement général des migrations internationales dues à la hausse des revenus dans les pays d’origine. Dans ce contexte, l’Allemagne ne semble pas disposer d’un réservoir important de main-d’œuvre externe alors qu’elle a peu de liens historiques avec les principales zones d’émigration.

L’inversion des poids démographiques semble donc inéluctable et elle s’accompagnera d’une divergence de l’âge moyen de la population, l’Allemagne étant nettement plus âgée que la France (graphique 4). En 2060, la part des plus de 65 ans atteindra presque le tiers de la population en Allemagne contre un peu moins de  27 % en France.

En conséquence, et compte tenu des réformes engagées dans les deux pays, la part des dépenses publiques de retraites dans le PIB augmenterait peu en France et beaucoup en Allemagne. D’après les travaux de la Commission européenne (op. cit.) elle passerait en France, entre 2010 et 2060, de 14,6 à 15,1 %, soit une hausse de +0,5 point, alors qu’elle augmenterait de  2,6 points en Allemagne passant de 10,8 à 13,4 % du PIB. Ceci bien que la réforme allemande du système de retraite prévoie un report à 67 ans de l’âge de la retraite et la réforme française un report à seulement  62 ans.

La démographie a également des conséquences sur les marchés du travail qui vont être soumis à des contraintes différentes. Entre 2000 et 2011, les populations actives française et allemande ont augmenté du même ordre de grandeur –  +7,1 % en Allemagne et + 10,2 % en France –,  mais alors qu’en Allemagne les deux tiers de cette hausse résulte de celle des taux d’activité, en France la démographie en explique 85 %. Dans un avenir proche, l’Allemagne va buter sur la difficulté d’accroître davantage ses taux d’activité. Sa politique familiale comprend aujourd’hui des dispositions, comme le congé parental, qui visent à inciter le travail féminin par une meilleure conciliation entre le travail et la vie de famille, mais les taux d’activité féminins sont déjà élevés et la question est plutôt celle de l’augmentation de la fécondité que de l’offre de travail. La France qui part d’un niveau plus faible de taux d’activité, surtout à cause des seniors qui sortent du marché du travail nettement plus tôt qu’en Allemagne, dispose de plus de réserves de hausse. Depuis quelques années la disparition des préretraites et l’allongement des durées de travail requises pour obtenir une retraite à taux plein ont commencé à produire leurs effets et le taux d’emploi des seniors progresse nettement, même pendant la crise[5]. Dans le même temps l’emploi des seniors progresse également en Allemagne, mais il ne pourra pas augmenter fortement indéfiniment et l’hypothèse d’une convergence à long terme des taux d’emploi entre la France et l’Allemagne est la plus vraisemblable. Au total, selon les projections de la Commission européenne[6], le taux d’activité allemand pourrait augmenter de 1,7 point entre 2010 et 2020 (passant de 76,7 à 78,4 %) alors que le taux français augmenterait de 2,7 points (de 70,4 à 73,1 %). A l’horizon de 2060 le taux d’activité français augmenterait deux fois plus que le taux allemand (+4,2 points contre +2,2). Mais le taux français serait encore inférieur au taux allemand (74,7 contre 78,9) si bien que la France disposerait encore d’une réserve de hausse.

La conséquence de cette divergence démographique  entre les deux pays est lourde  en termes de croissance potentielle à moyen long terme. Toujours selon les projections de la Commission européenne (qui repose sur l’hypothèse de la convergence de la productivité du travail en Europe autour d’un rythme de croissance annuelle de 1,5 %), la croissance potentielle française sera à long terme le double de la croissance potentielle allemande : +1,7 % par an d’ici 2060 contre +0,8. La différence resterait relativement faible jusqu’en 2015 (1,4 en France et 1,1 en Allemagne) mais elle se creusera ensuite rapidement : 1,9 en France en 2020, contre 1 en Allemagne.

Il en résultera que, comme pour la population, la hiérarchie des PIB français et allemand devrait s’inverser aux alentours de 2040 (graphique 5).

Les contextes démographiques de la France et de l’Allemagne expliquent donc logiquement que les perspectives des dépenses sociales liées à l’âge soient plus préoccupantes en Allemagne qu’en France. Ceci devrait conduire à nuancer les analyses relatives aux dettes publiques : à niveau identique du ratio dette/Pib en 2012, la dette française est plus soutenable à long terme que la dette allemande.


[1] Cf. “The 2012 ageing report”, European Economy 2/1012.

[2] Cf. United Nations, Department of Economic and Social Affairs, Population Division (2011). World Population Prospects: The 2010 Revision, CD-ROM Edition.

[3] Le solde migratoire net serait un peu plus élevé en Allemagne qu’en France atteignant 130 000 par an aux alentours de 2025-2030, alors qu’il resterait inférieur à 100 000 en France. Mais au total la différence serait très faible : en 2060 le cumul des migrations nettes entre 2010 et 2060 augmenterait la population de 6,2 % en Allemagne et 6 % en France (en pourcentage de la population de 2010)

[4] Op. cit.

[5] Voir le bilan de l’évolution de la population active en 2011 par l’Insee : http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1415/ip1415.pdf

[6] Op. cit.

 




La stratégie européenne de réduction rapide des déficits publics est-elle la bonne ? *

Par Eric Heyer

Dans l’absolu et au regard de la situation conjoncturelle, la réponse est clairement non ! Pourquoi ? Parce que de la même manière qu’un Plan de relance doit être mis en place lorsque la conjoncture se dégrade, pour lui venir en aide, la soutenir, une politique d’austérité doit être mise en place au moment où l’économie est sortie de la crise.

Or, tout nous laisse à penser, au regard des derniers chiffres économiques (croissance nulle au cours des trois derniers trimestres en France, hausse du chômage, …) que nous ne sommes pas encore sortis de cette crise économique et que donc la politique d’austérité arrive trop tôt, qu’elle risque de rogner le peu de croissance qui reste et que donc elle retarde de quelques années la date de sortie de crise de notre économie.

Finalement cette politique d’austérité que beaucoup considèrent comme sérieuse serait également très partielle et partiale et conduirait à un déséquilibre, à un déficit encore plus grave que le déficit public en démocratie, je veux parler d’un déficit d’emploi qui induit un chômage de masse. Nous sommes donc en droit de nous demander si la priorité dans un pays aussi riche que la France est réellement de réduire les dépenses publiques au risque d’aggraver le sort des plus fragiles et de rendre encore plus difficile l’accès au marché du travail.

Si cette politique n’est pas adaptée, pourquoi donc le gouvernement français s’obstine-t-il  dans cette voie ? Parce qu’il n’a malheureusement pas le choix et qu’il est pris au piège des marchés financiers et de l’orthodoxie de la Commission européenne.

La stratégie adoptée par Bruxelles en 2010 impose à l’ensemble des Etats membres de revenir coûte que coûte et très rapidement à l’équilibre budgétaire. Et la France s’est engagée à respecter cette forte contrainte.

Dans ces conditions, être le seul pays à ne pas respecter son engagement aurait des conséquences dramatiques pour l’économie française qui se traduiraient en autres choses par une hausse des taux d’intérêt sur la dette publique française et rendrait notre endettement encore moins soutenable.

D’où vient alors cette obsession de Bruxelles à réclamer des plans de rigueur ? Celle-ci est nourrie par l’idée que les dépenses publiques, quelle que soit la conjoncture, sont inefficaces et qu’il faut réduire à son stricte minimum le poids de l’Etat dans l’économie.

Elle vient aussi de ce que les dettes sont vues comme la conséquence d’un laxisme budgétaire, alors qu’elles sont en réalité la conséquence de la crise. Les caisses des Etats ont en effet été fortement mises à contribution depuis 2008 : il a d’abord fallu sauver le système financier en renflouant les banques, puis on lui a demandé de soutenir l’économie parce que les défaillances de la finance avaient sapé la croissance et réduit les rentrées fiscales à peau de chagrin.

Une solution existe, elle se situe au niveau européen et cela depuis le début du déclenchement de la crise financière : en tant que puissance politique et économique, l’Union dispose des outils pour contrer les attaques des spéculateurs et empêcher que ne s’enclenche cette spirale récessive.

Ces outils sont :

  • Premièrement, une action monétaire commune, qui permettrait à la Banque centrale européenne (BCE) de racheter la dette des Etats attaqués** ;
  • Deuxièmement, une action budgétaire commune, c’est-à-dire la capacité des Etats membres à emprunter ensemble, autrement dit à la création d’eurobonds

Mais malheureusement la Constitution européenne en interdit explicitement l’usage, rendant inefficaces à terme les différentes tentatives européennes pour sortir de cette crise.

La seule solution viable passera par une révision de la constitution européenne, avec la création d’un gouvernement européen, d’eurobonds et d’un budget européen conséquent dont les ressources seraient assurées notamment par une taxe sur les transactions financières.

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* Ce texte est issu d’une série de chroniques réalisées par Eric Heyer sur France Culture dans « Les carnets de l’économie ». Il est possible de réécouter ces chroniques sur France Culture

** Depuis cette chronique, la BCE s’est engagée à racheter sans limite la dette à court terme des Etats fragiles de la zone euro. Pour plus de détails sur ce programme de rachat de dette (OMT), le  lecteur pourra se référer à ce post.




Amis des acronymes, voici venu l’OMT

par Jérôme Creel et Xavier Timbeau

Il y avait eu OMD, et son Orchestral Manœuvre in the Dark, nous voici maintenant avec Orchestral Manœuvre in the [liquidity] Trap, ou, plus précisément « Outright Monetary Transactions » ce qui, sans conteste, est plus clair. L’OMT est un dispositif potentiellement efficace qui donne à la BCE le moyen d’intervenir massivement sur la crise des dettes dans la zone euro pour limiter les écarts de taux d’intérêt sur les obligations publiques dans la zone euro. La possibilité d’une sortie de la zone euro d’un pays qui serait en opposition avec ses pairs est toujours possible, mais dans le cas où la volonté de préserver l’euro est partagée, la BCE peut intervenir et jouer un rôle comparable aux banques centrales des autres grands Etats. Beaucoup d’espoirs sont donc autorisés par cette porte ouverte vers une sortie de la crise des dettes souveraines en zone euro. Pour autant, certains éléments, comme la conditionnalité, pourraient vite poser problème.

OMT est tout simplement un programme de rachat de titres publics par la Banque centrale européenne, comme le SMP 1.0 (Securities Markets Programme) qu’il remplace, mais limité aux Etats qui seront sous programme du FESF/MES (Fonds européen de stabilité financière/Mécanisme européen de stabilité), bénéficiant donc d’une aide conditionnelle européenne. Ainsi, pour que la BCE intervienne, le pays concerné devra, d’une part, négocier un plan d’ajustement macroéconomique avec la Commission européenne et le Conseil Européen et l’appliquer. La BCE, potentiellement des membres du Parlement européen, ou le FMI peuvent être de la partie (ces institutions – Commission, BCE et FMI – forment la Troïka des hommes en noir, célèbres et redoutés en Grèce). D’autre part, et surtout, ledit pays sera sous surveillance de la Troïka par la suite.

Aussi, si l’Italie et l’Espagne veulent bénéficier du rachat de leurs titres publics par la BCE, leurs gouvernements devront se soumettre à un plan d’ajustement du FESF ou du MES. Ceci n’impliquera pas nécessairement que le plan imposé sera plus drastique en termes d’austérité que celui que ces gouvernements avaient d’ores et déjà imaginé ou instauré (la pensée unique en matière de gestion des finances publiques est très contagieuse en Europe), mais obligera l’Italie et l’Espagne à se soumettre ex ante à un droit de regard extérieur sur le plan d’ajustement élaboré et ex post au contrôle de la Commission et du Conseil. Si les pays sous surveillance venaient à dévier ex post de l’application du plan d’ajustement, ils pourraient se soustraire au programme, certes, mais leurs obligations souveraines ne seraient plus absorbées dans le programme OMT. Ils perdraient le soutien de leurs pairs et devraient affronter les marchés financiers dans des conditions incertaines. Ce serait probablement le premier pas vers un défaut ou une sortie de l’euro.

Par ailleurs, la BCE ne s’est pas engagée à absorber toutes les obligations émises et dispose donc d’une réelle capacité de menace : si le pays fronde, il peut être obligé de faire face à des taux plus élevés. L’OMT introduit donc une carotte (faire baisser les taux) et un bâton (les laisser monter, vendre les obligations détenues en portefeuille par la BCE et donc pousser les taux à la hausse), et ce à chaque nouvelle émission. L’OMT s’apparente donc à une mise sous contrôle direct (la conditionnalité), avec sanction progressive et menace ultime (la sortie du programme).

La BCE indique que ses interventions couvriront principalement des titres à moyen terme (maturité entre 1 et 3 ans), sans pour autant exclure des maturités plus longues, et sans limite quantitative. Notons que les émissions de court/moyen terme représentent habituellement une proportion faible des émissions totales, qui se font plutôt à 10 ans. Cependant, en cas de crise, l’intervention sur des maturités courtes constitue une bouffée d’oxygène, d’autant que les titres à 10 ans arrivant à échéance peuvent être refinancés par des titres à 3 ans. Cela donne des moyens de pression supplémentaires à la Troïka en termes de conditionnalité : l’engagement de l’OMT sur les titres n’est que de 3 ans et doit être éventuellement renouvelé au bout de 3 ans. Le soulagement financier pour les pays sous programme peut être appréciable à court terme. A titre d’exemple, l’Espagne, qui n’a pas encore franchi ce pas, aura émis en 2012 autour de 180 milliards d’euros de dette. Si l’OMT lui avait permis de réduire tout au long de l’année 2012 les taux souverains auxquels elle emprunte, le gain aurait été entre 7 et 9 milliards pour l’année 2012 (et aurait pu se répéter en 2013 et 2014 au moins). Ceci parce qu’au lieu d’emprunter à 10 ans au taux de 7%, l’Espagne aurait pu bénéficier des 2% auxquels la France emprunte à 10 ans ou, au lieu de 4,3% à 3 ans, l’Espagne aurait emprunté à 0,3% (le taux souverain de la France à 3 ans). C’est le gain maximal que l’on peut espérer de ce programme, mais il est conséquent : c’est approximativement l’équivalent de l’impact budgétaire de la récente hausse de TVA en Espagne (soit un peu moins d’un point de PIB espagnol). Cela ne changerait pas définitivement la situation budgétaire de l’Espagne mais cela mettrait fin à une absurdité complète qui conduit les Espagnols à devoir payer beaucoup plus cher leur dette pour compenser leurs créanciers d’un défaut qu’ils s’échinent à ne pas déclencher.

On peut même espérer (ce qui apparaît dans la détente des taux souverains espagnols de presqu’un point qui a suivi  l’annonce de la BCE jeudi 6 septembre 2012, ou de celle de presque un demi point pour les taux italiens) que l’existence du dispositif, même si l’Espagne ou l’Italie n’y recourent pas (et ne se soumettent donc pas au contrôle) suffira à rassurer les marchés, à les convaincre qu’il n’y aura ni défaut ni sortie de l’euro et que rien ne justifie donc une prime de risque.

La BCE a annoncé qu’elle allait mettre fin à son statut de créancier privilégié sur les titres publics. Cette disposition, censée réduire le risque pesant sur la BCE, conduisait à dégrader la qualité des titres détenus en dehors de la BCE et donc à réduire l’impact des interventions de la BCE sur les taux. En acquérant une obligation publique, la BCE reportait le risque sur les obligations détenues par le secteur privé, puisqu’en cas de défaut, elle était un créancier prioritaire passant avant les détenteurs privés d’obligations du même type.

La BCE précise que ses opérations dans le cadre de l’OMT seront intégralement stérilisées (l’impact sur la liquidité en circulation sera neutre), ce qui impliquerait, si cela était pris au mot, que d’autres types d’opérations (achats de titres privés, crédits aux banques) en soient réduits d’autant. Qu’en sera-t-il ? L’exemple du SMP 1.0 peut être mobilisé à ce sujet. Le SMP 1.0 était en effet lui aussi assorti d’une stérilisation. Cette stérilisation passait par des dépôts à court terme (1 semaine, au passif de la BCE), alloués pour un montant égal aux sommes engagées dans le SMP (209 milliards d’euros à ce jour, à l’actif de la BCE). Chaque semaine, la BCE collecte donc des dépôts à terme fixe mais court pour 209 milliards d’euros. Il s’agit donc d’une partie des dépôts des banques que la BCE affecte à l’instrument de stérilisation, sans que pour autant il y ait stérilisation  stricto sensu (parce que cela n’empêche ni la hausse de la taille du bilan de la BCE ni ne réduit en soi la liquidité potentielle en circulation). La mention de la stérilisation dans l’OMT apparaît comme un effort de présentation pour tenter de convaincre certains Etats, tels l’Allemagne, que la politique monétaire ne sera pas inflationniste, et donc contraire au mandat que le Traité d’Union européenne lui a imposé. Actuellement, et parce que la crise reste entière, les banques privées ont des dépôts importants auprès de la BCE (par peur de confier ces dépôts à d’autres institutions financières), ce qui lui confère une marge de manœuvre appréciable pour éviter que la stérilisation annoncée modifie la liquidité en circulation (il y a un peu plus de 300 milliards d’euros de dépôts auprès de la BCE qui ne sont pas mobilisés pour la stérilisation). Ensuite, la BCE peut probablement utiliser les comptes courants (en les bloquant pour une semaine), ce qui ne pose pas de difficulté puisque la BCE prête aux banques à guichet ouvert par le LTRO, sa politique de refinancement des banques à long terme. Au pire, la BCE perdrait de l’argent dans l’opération de stérilisation en cas d’écart de rémunération entre les dépôts à terme et les prêts consentis aux banques. La stérilisation pourrait donc conduire à cette comptabilité absurde, mais n’avoir, dans une situation de crise monétaire et financière aucune incidence sur la liquidité. En revanche, si la situation se normalise, la contrainte de stérilisation pèsera plus lourdement. Nous n’en sommes pas encore là mais quand nous y serons, la BCE devra limiter les crédits à l’économie ou accepter une hausse de la liquidité si l’OMT continue d’être mis en œuvre pour certains Etats membres de la zone euro.

Le marché qui est maintenant sur la table place aujourd’hui les pays de la zone euro dans un dilemme redoutable. D’un côté, l’acceptation du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de la zone euro (TSCG) conditionne l’éligibilité au FESF et au MES[1] et elle conditionne donc désormais l’éligibilité au programme OMT. Refuser de signer le traité budgétaire, c’est refuser par avance l’intervention potentielle de la BCE et donc accepter que la crise se prolonge jusqu’à l’éclatement de la zone euro ou jusqu’à un défaut dévastateur sur une dette souveraine. D’un autre côté, signer le traité, c’est accepter le principe d’une stratégie budgétaire restrictive sans discernement (la règle de réduction de la dette publique inscrite dans le TSCG sera dévastatrice) qui va enclencher en zone euro une récession en 2012 et peut-être en 2013.

Signer le traité, c’est aussi relâcher la pression des marchés, mais pour s’en remettre uniquement à la Troïka et à la conviction infondée que les multiplicateurs budgétaires sont faibles, que les ménages européens sont ricardiens ou que la dette publique pèse toujours sur la croissance. Or, abaisser les taux d’intérêt souverains, et en particulier ceux de l’Italie ou de l’Espagne, procure une relative bulle d’oxygène. Mais le gain principal à abaisser ces taux consisterait à étaler la consolidation budgétaire sur une période de temps plus grande. Les taux d’intérêt donnent une valeur au temps et les baisser, c’est se donner plus de temps. Les dettes contractées à des taux réels négatifs ne sont pas des dettes ordinaires et ne sont pas les fardeaux que sont des dettes émises à des taux prohibitifs.

Trouver une nouvelle marge de manœuvre (l’OMT) pour se lier immédiatement les mains (le TSCG et l’aveuglement de la Troïka sur la stratégie budgétaire) serait un gâchis formidable. Seul un revirement dans la stratégie budgétaire permettrait d’exploiter la porte ouverte par la BCE. Bref, sauver l’euro ne servira à rien si on ne sauve pas d’abord l’Union européenne des conséquences sociales désastreuses de l’aveuglement budgétaire.


[1] Le paragraphe 5 du préambule au traité instituant le Mécanisme européen de stabilité précise : « Le présent traité et le TSCG sont complémentaires dans la promotion de la responsabilité budgétaire et de la solidarité au sein de l’Union économique et monétaire. Il est reconnu et convenu que l’octroi d’une assistance financière dans le cadre des nouveaux programmes en vertu du MES sera conditionné, à partir du 1er mars 2013, par la ratification du TSCG par l’État membre concerné et, à l’expiration de la période de transition visée à l’article 3, paragraphe 2, du TSCG, par le respect des exigences dudit article. »




Du social mais pas de sortie de crise

Evaluation du projet économique du quinquennat 2012-2017

par Eric Heyer, Mathieu Plane, Xavier Timbeau

Les premières décisions du quinquennat s’inscrivent dans un contexte fortement dégradé et très incertain. Dans une récente Note de l’OFCE (n°23 du 26 juillet 2012) nous analysons, dans une première partie,  le contexte macroéconomique dans lequel s’inscrit le projet du quinquennat de François Hollande et de la XIVe législature. Cette analyse détaille les conséquences probables pour les cinq années de la stratégie actuelle conduite en Europe. Nous évaluons à la fois le coût pour les finances publiques mais aussi l’impact sur l’activité économique, l’emploi ou sur la distribution des revenus. Dans une deuxième partie, nous analysons le choix de politiques publiques considérées comme prioritaires par le nouveau gouvernement, qu’elles soient à destination des jeunes (contrats de génération, emplois d’avenir), de certains seniors (refonte de la réforme des retraites), des classes moyennes et populaires (allocation de rentrée scolaire, coup de pouce au SMIC, livret A, encadrement des loyers, refiscalisation des heures supplémentaires), ou qu’elles visent à relancer certaines dépenses publiques jugées indispensables (emplois publics dans l’éducation, la justice et la police dans la section « finances publiques », service public de la petite enfance).

François Hollande a été élu Président de la République Française à un moment où la France et l’Europe traversent une crise sans précédent. Le chômage a augmenté de plus de 2 points depuis le début de la crise en France métropolitaine et approche aujourd’hui (9,6 % de la population active, au sens du BIT au premier trimestre 2012) les niveaux record de 1997 (10,5 %). Le produit intérieur brut par habitant a baissé depuis 2008 en pouvoir d’achat de 3 %. Si la tendance de croissance des cinq années précédant la crise s’était prolongée au même rythme de 2008 jusqu’au début 2012, le PIB par habitant serait aujourd’hui supérieur de 8 % à ce qu’il est. La balance des transactions courantes s’est dégradée dans la crise d’un point et demi de PIB (25,7 milliards d’euro dont 10 milliards au titre de la facture pétrolière) dégradant la position nette extérieure de la France de 7,8 points de PIB. La dette publique a augmenté de 577 milliards (soit près de 30 points de PIB) et atteint au début de l’année 2012 presque 90 % du PIB. L’industrie a payé un lourd tribu à la crise (presque 300 000 emplois perdus) et tout se passe comme si les destructions d’emploi et les fermetures de sites industriels étaient irréversibles.

Pourtant, ce bilan très sombre, à mettre au compte de la crise amorcée en 2008, n’est pas stoppé. La crise des dettes souveraines menace la zone euro d’une récession prolongée en 2012 et en 2013, sous le coup des politiques d’austérité menées dans la panique de voir les financements des dettes publiques se tarir. Et un scénario pire encore, celui de la désagrégation de la zone euro se profile, qui transformerait ces menaces de récession en risque de dépression majeure.

Ces évaluations sont de nature différente suivant les éléments qui sont disponibles. Certains dispositifs ont été mis en œuvre par décret, d’autre sont en cours de discussion par les assemblées, mais les projets de loi permettent une analyse quantifiée. D’autres sont à l’état de projet ; les principaux arbitrages n’ont pas été rendus, et notre évaluation tente d’en explorer les points principaux.

Notre appréciation de la stratégie économique pour le quinquennat ne s’arrête pas là pour autant. Il amorce aujourd’hui les prémisses de la stratégie de sortie de crise. Les engagements de réduction de déficit et les premières mesures prises dans ce sens dans le collectif budgétaire de juillet 2012, comme celle annoncées dans le débat d’orientation budgétaire de juin 2012, indiquent une stratégie dont la première étape est d’aboutir à la réduction, quoiqu’il en coûte, du déficit public à 3 % du PIB à la fin de l’année 2013. Par sa vertu budgétaire, c’est donc une stratégie de sortie de la crise, censée assainir la situation des comptes publics et ainsi rassurer les marchés financiers comme les autres agents économiques, et mettre en place les conditions d’une reprise future vigoureuse. Cette stratégie s’appuie sur une réduction des dépenses publiques et une hausse de la fiscalité (voir la partie « finances publiques », projets fiscaux du gouvernement et taxation des groupes pétroliers).

Cette stratégie de sortie de crise est pour le moins risquée car elle ne prend pas toute la mesure de la crise qui menace l’Europe aujourd’hui. Elle pourrait se justifier si nous étions d’ores et déjà sur une trajectoire de sortie de crise et s’il s’agissait d’en aménager les priorités. Mais l’Europe reste dans une situation de très forte incertitude, vivant dans l’attente d’un défaut massif de tel ou tel Etat membre de la zone euro, craignant la faillite de telle ou telle institution financière, subissant les conséquences d’une spirale d’austérité alimentée par la hausse des taux souverains. Or dans une telle situation, tout concourt à renforcer le piège de la trappe à liquidité et conduit à des multiplicateurs budgétaires élevés. Dès lors, la réduction ex ante du déficit par la hausse des impôts ou la réduction des dépenses pèse lourdement sur l’activité, ce qui limite, voire annule, la réduction effective des déficits. La dynamique d’augmentation de la dette publique ne peut être inversée et la réduction de l’activité accroît le risque de la socialisation de dettes privées insoutenables. La hausse des taux souverains est alimentée par l’incapacité à tenir les objectifs de déficits et par la hausse de la dette publique et contribue à accroître les déficits publics, obligeant à une austérité plus forte encore.

Une réponse à cette dynamique qui est en train de provoquer la désagrégation de l’euro serait sous une forme ou une autre la mutualisation des dettes publiques en Europe. Cette mutualisation impliquerait un contrôle plus ou moins complet des budgets publics des pays membres par une instance fédérale à la légitimité démocratique forte. Cette réponse serait donc celle de plus d’Europe et permettrait alors de définir une austérité « bien tempérée », pour la France comme pour ses principaux partenaires commerciaux, qui ferait de la sortie du chômage de masse involontaire et de la trappe à liquidité les préalables à un ajustement des finances publiques. Cette réponse permettrait de maintenir la soutenabilité des finances publiques sans impliquer les décennies perdues qui sont en train de se préparer.

Dans une première partie, nous analysons le contexte macroéconomique dans lequel s’inscrit le projet du quinquennat de François Hollande et de la XIVe législature. Cette analyse détaille les conséquences probables pour les cinq années de la stratégie actuelle conduite en Europe. La valeur du multiplicateur budgétaire en est un paramètre critique et nous montrons que la stratégie actuelle ne vaut que si les multiplicateurs sont faibles (i. e. de l’ordre de 0,5). Or un faisceau d’éléments empiriques nous indique que dans la situation exceptionnelle où nous nous trouvons les multiplicateurs budgétaires et fiscaux peuvent être supérieurs à 0,5 (entre 1 et 1,5, voir infra). Nous détaillons dans une deuxième partie les mesures prises dans la Loi de finances rectificative de juillet 2012 (pour l’année 2012), les éléments exposés dans le débat d’orientation budgétaire en préparation de la Loi de finance pour l’année 2013 et pour la période 2012-2017. Pour arriver à réduire le déficit public à 3 %, il apparaît qu’il faudrait une recette fiscale ou une économie de dépense supplémentaire de plus de 10 milliards d’euros, ex ante.

Nous présentons ensuite l’évaluation de onze mesures. Guillaume Allègre, Marion Cochard et Mathieu Plane ont ainsi estimé que la mise en œuvre du contrat de génération pourrait créer entre 50 000 et 100 000 emplois au prix d’un fort effet d’aubaine. Eric Heyer et Mathieu Plane rappellent qu’à court terme, les contrats aidés du type « emplois avenir » peuvent contribuer à faire baisser le chômage. Eric Heyer montre que la re-fiscalisation des heures supplémentaires permet de réduire le déficit public de 4 milliards d’euros sans pour autant dégrader le marché du travail. Guillaume Allègre discute des conséquences de la hausse de l’Allocation de rentrée scolaire et montre qu’elle profite essentiellement aux cinq premiers déciles de niveau de vie. Henri Sterdyniak analyse les possibilités de réforme fiscale. Il ne s’agit pas d’une évaluation des projets du gouvernement en matière de réforme fiscale mais d’un panorama complet sur les marges d’évolution et les incohérences du système actuel. Henri Sterdyniak et Gérard Cornilleau évaluent l’élargissement des possibilités de départ à la retraite à 60 ans et analysent les voies d’une possible réforme de plus grande ampleur du système de retraite. Hélène Périvier évalue ce que pourrait être un service public de la petite enfance dont le coût à terme de presque 5 milliards d’euros pourrait être couvert en partie par un surcroît d’activité générant plus de 4 milliards d’euros. Eric Heyer et Mathieu Plane analysent les conséquences du coup de pouce au SMIC et concluent que compte tenu de la faible diffusion des hausses de SMIC au reste de la distribution des salaires, l’impact sur le coût du travail est limité par de plus fortes réduction des charges sur les bas salaires. Si l’effet sur l’emploi est faible, sur les finances publiques il provoquerait une dégradation de 240 millions d’euros. Sabine Le Bayon, Pierre Madec et Christine Rifflart évaluent l’encadrement de l’évolution des loyers. Hervé Péléraux discute la question de la rémunération du livret A et du doublement de son plafond. Céline Antonin et Evens Salies évaluent la nouvelle taxation des groupes pétroliers qui pourrait apporter 550 millions d’euros de recettes fiscales en 2012 avec le risque que cette taxe soit in fine payée par le consommateur final.




L’union bancaire : une solution à la crise de l’euro ?

par Maylis Avaro et Henri Sterdyniak

Le sommet européen des 28 et 29 juin marque une nouvelle tentative des instances européennes et des pays membres pour sortir de la crise de la zone euro. Un prétendu Pacte de croissance a été adopté mais il comprend pour l’essentiel des engagements des pays membres à entreprendre des réformes structurelles ; les fonds dégagés d’un montant limité (120 milliards sur plusieurs années) étaient déjà prévus pour la plupart. En revanche, la stratégie consistant à imposer des politiques budgétaires restrictives n’est pas remise en cause et la France s’est engagée à ratifier le Pacte budgétaire. Les interventions du FESF et du MES seront moins rigides ; elles pourront aider, sans conditions supplémentaires, des pays que les marchés financiers refusent de financer alors que ceux-ci respectent leurs objectifs en termes de politique budgétaire ou de réformes structurelles. Mais la garantie mutuelle des dettes publiques et les euro-obligations ont été repoussées. Le sommet a lancé un nouveau projet : l’union bancaire. Est-ce un complément obligé de l’Union monétaire ou est-ce une nouvelle fuite en avant ?

La crise actuelle est en grande partie une crise bancaire. Les banques européennes avaient nourri les bulles financières et les bulles immobilières (particulièrement en Espagne et en Irlande) ; elles avaient investi dans des fonds de placement ou de couverture aux Etats-Unis. Elles ont connu des pertes importantes avec la crise de 2007-2010 ; les Etats ont dû venir à leur secours, ce qui a été particulièrement coûteux pour l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne et surtout l’Irlande. La crise des dettes souveraines de la zone euro a encore accentué leurs difficultés : les dettes publiques qu’elles détenaient sont devenues des actifs risqués. La question de la régulation des banques est posée au niveau international (nouvelles normes de Bâle III), aux Etats-Unis (règle Volcker et loi Dodd-Frank) comme en Grande-Bretagne (rapport Vickers).

En juin 2012, les doutes sur la solidité des banques européennes ont une nouvelle fois resurgi. Les mesures prises depuis 2008 pour stabiliser le système financier sont apparues insuffisantes. Lorsque Bankia, la quatrièmebanque d’Espagne a annoncé qu’elle demandait une aide à l’Etat de 19 milliards d’euros, l’inquiétude sur les bilans des banques espagnoles s’est fortement accentuée. Le taux de créances douteuses des banques espagnoles, dont les bilans ont été fragilisés par le krach immobilier, est passé de 3,3% fin 2008 à 8,7% en juin 2012[1]. Par ailleurs, de nombreux Grecs[2] commencent à réduire leurs dépôts dans les banques de leur pays craignant une sortie de la zone euro.

 

En réponse à ces risques, le projet d’une Union bancaire européenne, relancé par Mario Monti, qui proposait d’étendre des projets en préparation à la DG Marché Unique de la Commission européenne, est actuellement mis en avant par la Commission, la BCE, et plusieurs Etats membres (Italie, France, Espagne,…) En sens inverse, l’Allemagne estime qu’une union bancaire serait impossible sans union budgétaire. Même si Angela Merkel a reconnu[3] qu’il était important d’avoir une supervision européenne avec une autorité bancaire supranationale ayant une meilleure vision d’ensemble, elle a refusé clairement que l’Allemagne prenne le risque de nouveaux transferts ou garanties, sans une intégration budgétaire et politique renforcée[4]. Le sommet de la zone euro du 29 juin a demandé à la Commission de faire prochainement des propositions concernant un mécanisme de surveillance unique pour les banques de la zone euro.

Une telle Union bancaire reposerait sur trois piliers :

– une autorité européenne chargée d’une surveillance centralisée des banques,

– un fonds européen de garantie des dépôts.

– un schéma commun de résolution des crises bancaires.

Chacun de ces piliers fait l’objet de problèmes spécifiques, les uns sont liés à la complexité du fonctionnement de l’UE (l’Union bancaire est-elle limitée à la zone euro ou inclut-elle tous les pays de l’UE ? Est-ce un pas vers plus de fédéralisme ? Comment le concilier avec les prérogatives nationales ?), les autres sont liés à des choix structurels à faire quant au fonctionnement du système bancaire européen.

Le choix de l’institution devant exercer le nouveau pouvoir de supervision bancaire fait débat entre l’Autorité bancaire européenne (EBA) et la BCE. L’EBA, créée en novembre 2010 pour améliorer la surveillance du système bancaire de l’Union européenne, a déjà réalisé deux séries de « stress tests » sur les banques. Le résultat de Bankia pour les tests d’octobre 2011 signalait un déficit de fonds propres de 1,3 milliards. Cinq mois plus tard, ce déficit était de 23 milliards ; la crédibilité de l’EBA en a souffert. De plus, l’EBA, installée à Londres, a autorité sur le système britannique alors que le Royaume-Uni ne veut pas participer à l’Union bancaire. De son coté, la BCE a reçu le soutien de l’Allemagne. L’article 127.6 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne[5] qui a été cité au sommet de la zone euro du 29 juin pour servir de fondement à la création d’une autorité bancaire européenne permet de donner à la BCE un pouvoir de supervision. Le Vice-président de la BCE, M. Constancio, a déclaré le 12 juin que « la BCE et l’Eurosystème sont préparés » pour recevoir ces pouvoirs ; « il n’y aurait donc pas besoin de créer une nouvelle institution ».

Un contrôle européen suppose une vision commune sur la réglementation du système bancaire. Il faut s’accorder sur des questions cruciales comme par exemple : « Faut-il séparer les banques de dépôts des banques d’affaires ? », « Faut-il interdire aux banques d’intervenir sur les marchés financiers pour leur compte propre ? », « Faut-il favoriser le développement de banques publiques, mutualistes ou régionales ou au contraire celui de de grandes banques internationalisées ? », « Faut-il inciter les banques à faire crédit en priorité aux entreprises et administrations de leur pays d’origine ou au contraire à se diversifier ? », « Les règles macro-prudentielles devront-elles être nationales ou européennes ? ». Selon nous, confier ces questions à la BCE comporte le risque de franchir une nouvelle étape de la dépolitisation de l’Europe.

L’application des directives de cette nouvelle autorité posera des problèmes. Un groupe bancaire en difficulté pourrait être sommé de vendre ses parts d’actions de grands groupes nationaux. Mais le gouvernement national accepterait-il d’exposer un champion national à un contrôle étranger ? Les gouvernements perdraient la capacité d’influencer la distribution de crédit par les banques, ce qui, pour certains, est souhaitable (pas d’interférence politique dans le crédit), mais pour nous est dangereux (les gouvernements perdront un outil de politique industrielle qui pourrait être mobilisé pour financer les PME, les ETI ou pour impulser la transition écologique).

Ainsi, sur le dossier Dexia, l’opposition entre la Commission européenne d’une part et la France, la Belgique et le Luxembourg d’autre part, bloque le plan de démantèlement. Ce plan comporte la reprise des activités de financement des collectivités locales françaises de Dexia Crédit Local par une banque des collectivités, issue d’une coopération entre la Banque postale et la Caisse des dépôts. Au nom de la concurrence loyale, Bruxelles remet en cause les financements aux collectivités locales par une telle banque car Dexia a bénéficié d’aides publiques pour son plan de démantèlement. Cela menace la continuité du financement des collectivités locales françaises et pourrait bloquer les projets de ces dernières et surtout interdire à la France de prévoir des mécanismes spécifiques et sécurisés de financement des collectivités locales par de l’épargne locale.

L’objectif d’un fonds de garantie des dépôts est d’éloigner le risque de retrait massif de dépôts lors de paniques bancaires. Ce fonds pourrait être financé par une contribution des banques européenne garanties par le fonds. Selon Schoenmaker et Gros[6], une union bancaire doit se créer sous un « voile de l’ignorance », c’est-à-dire en ne sachant pas quel pays présente plus de risques : ce n’est pas le cas en Europe aujourd’hui. Les auteurs proposent un fonds de garantie qui n’accepterait, au départ, que les grandes banques transnationales les plus solides, mais ceci accentuerait immédiatement les risques de dislocation de la zone si les déposants se précipitaient sur les banques garanties. Il faut donc que le fonds garantisse toutes les banques européennes. Selon Schoenmaker et Gros, sous l’hypothèse d’un plafond de 100 000 euros garantis, la somme des dépôts couverts serait de 9 700 milliards d’euros. Les auteurs proposent que le fonds dispose d’une réserve permanente représentant 1,5% des dépôts couverts (soit près de 140 milliards d’euros). Mais ceci permettrait seulement de sauver une ou deux grandes banques européennes. La crédibilité d’un tel fonds en cas de crise bancaire et de risque de contagion est donc faible. La garantie des dépôts continuera à dépendre des Etats et du MES, qui devraient venir à l’aide du fonds, éventuellement en demandant des contributions supplémentaires aux banques.

L’autorité en charge de ce fonds n’est pas encore désignée. Si la BCE semble bien placée pour recevoir la surveillance du système bancaire, il est beaucoup plus délicat de lui confier la gestion du fonds de garantie des dépôts. Selon Repullo[7], la garantie des dépôts doit être séparée de la fonction de prêteur en dernier ressort. En effet, dans le cas contraire, la BCE pourrait utiliser sa capacité de création monétaire pour recapitaliser les banques, ce qui gonflerait la masse monétaire. Les objectifs de politique monétaire et de soutien aux banques entreraient en conflit. Il faudrait donc créer une autorité de garantie des dépôts et de résolution des crises, distincte de la BCE, qui aurait obligatoirement un droit de regard sur le comportement des banques, qui s’ajouterait à celui de l’EBA, de la BCE, des régulateurs nationaux. Par contre, la BCE continuerait à jouer son rôle de prêteur en dernier ressort. On voit mal la viabilité d’un système si compliqué.

Le risque d’une sortie d’un pays de la zone euro n’étant pas encore écarté, la question se pose de la garantie qu’offrirait l’Union bancaire face à la conversion en monnaie nationale des dépôts libellés en euros. Une garantie des dépôts en monnaie nationale en cas de sortie de l’euro pénaliserait fortement les clients des banques qui subirait la dévaluation de la monnaie nationale par rapport à l’euro et verraient leur pouvoir d’achat fortement diminuer. Une telle garantie ne résout pas le problème de la fuite des capitaux que connaissent aujourd’hui les pays menacés d’un risque de défaut. C’est donc une garantie des dépôts en euros qui serait nécessaire, mais, dans la situation actuelle, compte-tenu du risque qu’elle doit jouer sous peu pour certains pays, elle est plus difficile à mettre en place.

Ainsi, des hommes politiques allemands, finlandais ou des économistes comme H. W. Sinn dénoncent-ils des risques trop importants pour l’Allemagne et les pays du Nord. Selon plusieurs économistes allemands, aucune autorité supranationale n’a le droit d’imposer de nouvelles charges (ou risques de charge) aux banques allemandes sans l’accord du Parlement, et ces risques de charges doivent être explicitement limités. La Cour constitutionnelle allemande pourrait s’opposer au fonds de garantie des dépôts au nom d’une exposition au risque illimité pour l’Allemagne. Par ailleurs, selon George Osborne, le chancelier de l’Echiquier britannique, une garantie des dépôts bancaires à l’échelle européenne exigerait une modification des traités et l’accord de la Grande-Bretagne.

La Commission européenne a commencé à élaborer un schéma commun de résolution des crises bancaires en adoptant le 6 juin les propositions de Michel Barnier. Ce schéma comporte trois volets. Le premier consiste à améliorer la prévention en obligeant les banques à mettre en place des testaments, c’est-à-dire prévoir des stratégies de redressement et même de démantèlement en cas de crise grave. Le deuxième donne aux autorités bancaires européennes un pouvoir d’intervention pour mettre en œuvre les plans de redressement et changer les dirigeants d’une banque si celle-ci ne respecte pas l’exigence de fonds propres. Le troisième indique qu’en cas de défaillance d’une banque, les pouvoirs publics nationaux devront prendre le contrôle de l’établissement et utiliser des instruments de résolution tels que la cession des activités, la création d’une banque de défaisance (une « bad-bank ») ou le renflouement interne (en obligeant les actionnaires et les créanciers d’apporter de l’argent frais). Si nécessaire, les banques pourront bénéficier de fonds émanant du Mécanisme européen de solidarité (MES). Ainsi, les risques liés aux banques seraient-ils mieux partagés : les actionnaires et les créanciers non couverts par la garantie seraient mis à contribution les premiers, de sorte que les contribuables ne paieraient pas pour rembourser les créanciers des banques insolvables. En contrepartie, les actions et les créances des banques deviendraient beaucoup plus risquées ; la réticence des banques envers le crédit inter-bancaire et l’assèchement du marché interbancaire dû à la crise perdurerait ; les banques auraient des difficultés à émettre des titres et devraient augmenter leur rémunération. Or, les normes de Bâle III imposent aux banques de lier leur distribution de crédits à leurs fonds propres. Le risque est grand de voir la distribution de crédit freinée, ce qui contribuerait à maintenir la zone en récession. Selon les décisions du sommet du 29 juin, l’Espagne pourrait être le premier pays dont les banques seraient recapitalisées directement par le MES. Cependant, ceci n’interviendrait pas avant début 2013 ; les modalités d’une telle procédure et l’impact de l’aide du MES sur la gouvernance des banques recapitalisées doivent encore être précisés. Comme le montre l’exemple de Dexia, les modalités de recomposition d’une banque peuvent avoir de lourdes conséquences pour le pays où elle opérait ; les gouvernements (et les citoyens) sont-ils prêts à perdre tout pouvoir en ce domaine ?

L’Union bancaire permettrait de briser la corrélation entre crise souveraine et crise bancaire. Quand les agences de notations dégradent la note de la dette publique d’un pays, ses titres subissent une perte de valeur et passent dans la catégorie « actifs à risque » et sont moins liquides. Cela accroît le risque global des banques du pays concerné. Si une banque fait face à un risque global trop important et n’arrive plus à satisfaire les exigences de fonds propres de Bâle III, l’Etat doit la recapitaliser, mais pour cela il est obligé de s’endetter, et il augmente ainsi son risque de défaut. Ce lien entre les bilans fragilisés des banques et les dettes publiques génère une spirale dangereuse. Ainsi depuis l’annonce de la faillite de Bankia, les taux espagnols de refinancement à 10 ans ont atteint le seuil critique de 7% alors qu’ils étaient proches de 5,5% depuis un an. Au sein d’une Union bancaire, les banques seraient incitées à se diversifier à l’échelle européenne. Cependant, la crise de 2007-09 a montré les risques de la diversification internationale : de nombreuses banques européennes ont perdu beaucoup d’argent aux Etats-Unis ; les banques étrangères connaissent mal le tissu local, que ce soient les PME, les ETI ou les collectivités locales. La diversification sur critère financier s’accorde mal avec une distribution avisée du crédit. D’ailleurs, depuis la crise, les banques européennes ont tendance à se replier sur leur pays d’origine.

Le projet d’Union bancaire suppose que la solvabilité des banques dépende avant tout de leurs fonds propres, donc de l’appréciation des marchés ; que les liens entre les besoins de financement d’un pays (administrations, entreprises et ménages) et les banques nationales soient coupés. On pourrait préconiser la stratégie inverse : une restructuration du secteur bancaire, où les banques de dépôts devraient se concentrer sur leur cœur de métier (le crédit de proximité, basé sur une expertise fine, aux entreprises, ménages et collectivités locales), où leur solvabilité serait garantie par l’interdiction de procéder à certaines opérations risquées ou spéculatives.

L’Union bancaire poussera-t-elle à la financiarisation ou marquera-t-elle un salutaire retour vers le modèle rhénan ? Imposera-t-elle la séparation des banques de dépôts et des banques d’affaires ? Interdira-t-elle aux banques dont les dépôts seront garantis d’intervenir sur les marchés financiers pour leur compte propre ?

 

 

 

 


[1] Selon la Banque d’Espagne.

[2] Le total des dépôts bancaires des ménages et des entreprises ont baissé de 65 milliards en Grèce depuis 2010. Source : Banque centrale de Grèce.

[3] « La supervision bancaire européenne s’annonce politiquement sensible », Les Echos Finance, jeudi 14 juin 2012, p. 28.

[4] « Les lignes de fracture entre Européens avant le sommet de Bruxelles », AFP Infos Economiques 27 juin 2012 .

[5] Art 127.6 : « Le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, à l’unanimité, et après consultation du Parlement européen et de la Banque centrale européenne, peut confier à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit et autres établissements financiers, à l’exception des entreprises d’assurances ».

[6] D. Schoenmaker et Daniel Gros (2012), A European Deposit Insurance and Resolution Fund, CEPS working document, n° 364, Mai.

[7] Repullo, R. (2000), Who Should Act as Lender of Last Resort? An Incomplete Contracts Model, Journal of Money, Credit, and Banking 32, 580-605.

 




La zone euro en crise : quelles perspectives pour la politique monétaire et les politiques budgétaires en Europe ?

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le 8 juin 2012, s’est tenue à Kiel la 9ème Conférence EUROFRAME[1] sur les questions de politique économique de l’Union Européenne. Son sujet était : « La zone euro en crise : quelles perspectives pour la politique monétaire et les politiques budgétaires en Europe ? ». La conférence a, bien sûr, été dominée par la question de la crise des dettes publiques de pays de la zone euro. Comment est-on arrivé à cette situation ? Faut-il incriminer des erreurs des politiques économiques nationales ? Faut-il mettre en cause la mauvaise organisation de la zone euro ?

Plusieurs lignes de fracture sont apparues (cf. aussi la Note associée) :

–         pour les uns, ce sont des politiques nationales irresponsables qui sont la cause des déséquilibres : les pays du Sud ont laissé se développer des bulles immobilières et salariales tandis que les pays du Nord pratiquaient des politiques vertueuses d’austérité salariale et de réformes structurelles. Les pays du Sud doivent donc adopter la stratégie des pays du Nord et accepter une longue cure d’austérité. Pour les autres, la monnaie unique a permis le développement de déséquilibres jumeaux et opposés : trop d’austérité au Nord, trop de hausses de salaires au Sud ; il faut une convergence où la relance au Nord facilite la résorption des déséquilibres extérieurs au Sud.

–         Pour les uns, chaque pays doit mettre en œuvre des politiques alliant consolidation budgétaire et réformes structurelles. Pour les autres, il faut une stratégie de croissance à l’échelle de l’UE (en particulier par le financement de la transition écologique) et une garantie des dettes publiques pour faire converger les taux d’intérêt nationaux vers le bas.

–         Pour les uns, toute nouvelle solidarité suppose le développement d’une Union budgétaire, ce qui signifie la mise en place des règles contraignantes inscrites dans le Pacte budgétaire ; pour les autres, il faut une coordination ouverte des politiques économiques, sans normes préétablies.

Nous proposons un compte-rendu assorti de brefs commentaires[2] dans une Note longue.


[1] EUROFRAME est un réseau d’instituts économiques européens qui regroupe : DIW et IFW (Allemagne), WIFO (Autriche), ETLA (Finlande), OFCE (France), ESRI (Irlande), PROMETEIA (Italie), CPB (Pays-Bas), CASE (Pologne), NIESR (Royaume-Uni).

[2] La plupart des articles sont disponibles sur : http://www.euroframe.org/index.php?id=7. Une sélection d’articles sera publiée dans un numéro de la Revue de l’OFCE, collection « Débats et Politiques », à paraître fin 2012. Le présent compte-rendu n’engage que ses auteurs.




Conseil européen : wait and sink ?

par Jérôme Creel, Paul Hubert et Francesco Saraceno

Le Conseil européen de cette fin de semaine devait être consacré, selon les souhaits des autorités françaises, à la renégociation du Pacte budgétaire européen adopté le 2 mars 2012. Cependant, il semblerait qu’une telle renégociation ne soit pas à l’ordre du jour. Las, le débat sur le Pacte budgétaire devrait être rouvert : la médiocrité de sa rédaction doit être dénoncée, et son caractère par trop restrictif doit être à nouveau débattu ; in fine, le texte doit être amendé. La focalisation des débats sur la règle de déficit structurel qualifiée injustement de « règle d’or » est déplacée dans la mesure où c’est la règle de réduction de la dette publique qui est la plus contraignante des deux règles inscrites dans le Pacte budgétaire. C’est sans doute d’elle qu’il faudrait reparler, et en urgence, afin d’éviter de sombrer un peu plus dans une contagion de plans d’austérité voués à l’échec…

L’opposition entre français et italiens d’un côté, et allemands de l’autre, à propos de la croissance européenne a sans doute été désamorcée par l’accord de la fin de semaine dernière, avec l’Espagne, en faveur d’un plan de relance européen concerté portant sur 1 % du PIB européen, soit 130 milliards d’euros, dont les contours et le financement restent cependant à préciser. Le mot d’ordre du Conseil européen sera alors, par élimination, « l’union bancaire », solution préventive à un nouvel épisode de crises bancaire et financière dans l’Union européenne. La création d’une union bancaire est-elle importante ? Certainement. Est-elle urgente ? Moins que le retour de la croissance qui, certes, ne se décrète pas, mais se prépare. En l’état actuel du Pacte budgétaire, on peut affirmer que ce n’est pas la croissance économique que l’on prépare, mais la récession que l’on fomente[1].

Le pacte budgétaire, inscrit au titre III du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’UEM, comporte explicitement deux règles budgétaires. La première précise ce en quoi consiste une « position budgétaire à l’équilibre ou en surplus », expression depuis longtemps inscrite dans le Pacte de stabilité et de croissance. Selon le Pacte budgétaire de mars 2012, cette « position budgétaire à l’équilibre ou en surplus » consiste en un déficit structurel d’au plus 0,5 % du PIB. Le déficit structurel est le déficit public corrigé des variations cycliques, donc corrigé des fameux stabilisateurs automatiques; il inclut entre autres les charges d’intérêt. En cas de dépassement de ce déficit structurel, et en dehors de circonstances exceptionnelles, e.g. un retournement « important » de l’activité, un mécanisme correcteur automatique, dont la nature n’est pas précisée, doit le ramener en deçà de la limite. La règle de déficit structurel est assouplie pour les Etats membres dont la dette publique est inférieure à 60 % du PIB : le plafond de déficit structurel est porté à 1 % du PIB.

La seconde règle budgétaire s’impose aussi aux Etats membres de la zone euro dont la dette publique au sens de Maastricht est supérieure à 60 % du PIB. En 2012, cette règle s’impose à 12 pays parmi les 17 Etats membres de la zone euro. Cette seconde règle vise à réduire la dette publique d’un vingtième par an. Malheureusement, le texte adopté est mal rédigé et ouvre la voie à différentes interprétations, comme nous le montrons ci-dessous. Il est donc inapplicable. Pire, cette règle est la plus contraignante et la plus restrictive des deux règles du Pacte budgétaire, en l’état actuel de la conjoncture. Il est donc urgent de s’en soucier et de la modifier pour la rendre applicable.

Selon l’article 4 du Traité, « (l)orsque le rapport entre la dette publique et le PIB d’une partie contractante est supérieur à la valeur de référence de 60 % (…), ladite partie contractante le réduit à un rythme moyen d’un vingtième par an. » Problème : le « le » auquel nous avons rajouté les italiques semble se rapporter au ratio de dette publique, plutôt qu’à l’écart de la dette publique aux 60 % de référence. L’Allemagne, avec sa dette publique d’un peu plus de 80 % du PIB en 2011, doit-elle réduire sa dette en 2012 de 4 points de PIB (un vingtième de 80 % du PIB) ou de 1 point de PIB (un vingtième de l’écart à 60 % du PIB) ? Légalement, il est sans doute requis qu’à une telle question, la réponse soit limpide…

Par ailleurs, le Pacte budgétaire est muet sur la nature du surplus permettant de réduire la dette : si, pour laisser des marges de manœuvre en cas de déficit conjoncturel, cette règle devait porter sur le déficit structurel – ce qui mériterait donc d’être explicité dans le Pacte -, la règle de dette serait toujours plus contraignante que la règle d’or : un surplus structurel serait systématiquement requis pour ramener la dette publique à 60% du PIB dans les 12 Etats membres dont la dette a dépassé la valeur de référence. Là encore, la formulation se devrait d’être limpide.

Admettons maintenant que le « le » de l’article 4 soit associé à l’écart de la dette à sa cible de référence et que la règle de réduction de la dette porte sur le déficit public total. On peut se poser la question de savoir laquelle des deux règles – « règle d’or » ou règle de réduction de la dette – est la plus contraignante pour les Etats membres, donc celle à appliquer. Nous avons posé, en annexe à ces développements[2], le petit système de règles budgétaires compatible avec le Pacte budgétaire. Le déficit total est la somme du déficit conjoncturel et du déficit structurel. Le déficit conjoncturel dépend de l’écart du PIB à son potentiel, l’output gap, avec une élasticité de 0,5 (élasticité moyenne usuelle dans la littérature pour les pays européens, cf. OCDE). La « règle d’or » porte uniquement sur le déficit structurel tandis que la règle de réduction de la dette porte sur le déficit public total et dépend donc, à la fois, de l’output gap et du déficit structurel.

Pour quelles valeurs de dette publique et d’output gap la « règle d’or » est-elle plus contraignante que la règle de dette ? Réponse : lorsque l’output gap est supérieur à 1 plus 1/10 de l’écart de la dette initiale à sa valeur de référence. Cela signifie que pour un pays comme l’Allemagne, la règle de réduction de la dette dominerait la « règle d’or », sauf en cas de croissance très forte : le PIB effectif devrait être au moins deux points supérieurs au potentiel. Selon les perspectives économiques de l’OCDE publiées en mai 2012, l’output gap de l’Allemagne serait de -0,8 en 2012… La règle de réduction de la dette est donc bien plus restrictive que la « règle d’or ». Elle l’est aussi pour la France (dette de 86% du PIB en 2011), qui devrait avoir un output gap d’au moins 3,6 points pour que la « règle d’or » soit contraignante ; l’OCDE prévoit un output gap de -3,3 en 2012… Elle l’est pour tous les pays de la zone euro avec une dette supérieure à 60 % du PIB, sans exception.

Aussi, sauf en cas de très forte croissance, le volet réduction de la dette domine le volet déficit structurel. Et pourtant c’est sur le deuxième que se concentre toute l’attention…

Lorsqu’un traité laisse ouvertes autant de voies à l’interprétation, n’est-il pas normal de vouloir le revoir ? Lorsqu’un traité prévoit d’intensifier les cures d’austérité dans une zone, la zone euro, dont l’écart de production à son potentiel est de -4 points, selon les estimations d’une organisation, l’OCDE, généralement peu suspectée de surestimer ledit potentiel, n’est-il pas souhaitable et urgent de le renégocier ?


[1] Dans un post récent étaient soulignés les risques d’instabilité sociale et les pertes de croissance potentielle que la contagion de l’austérité impliquait dans la zone euro (cf. Creel, Timbeau et Weil, 2012).

[2] Annexe :

Nous commençons par définir avec def le déficit public total qui comporte une composante structurelle s, et une composante cyclique dc:

def = s + dc

Toutes les variables sont exprimées en proportion du PIB. La composante cyclique est constituée de la variation du déficit qui intervient, grâce principalement à l’action des stabilisateurs automatiques, quand l’économie s’éloigne de son potentiel. Une estimation raisonnable est que le déficit augmente de 0,5 point par point d’output perdu. La composante cyclique peut donc être écrite:

dc = – 0,5 y

où nous définissons y comme l’output gap, i.e. la différence entre le PIB et son niveau potentiel.

Les règles introduites par le pacte budgétaire peuvent être écrites comme suit:

s1 < 0,5,

c’est-à-dire que le déficit structurel ne peut jamais dépasser 0,5 % du PIB (s1 fait référence au premier volet de la règle), et

def = – (b0 – 60)/20,

c’est-à-dire que le déficit total doit être tel que la dette publique (exprimée en proportion du PIB) se réduit chaque année d’un vingtième de la différence entre la dette publique initiale (b0) et le niveau de référence de 60 %. La règle de la dette peut être réécrite en termes de déficit structurel, soit :

s2 = def – dc = 0,5 y – (b0 – 60)/20.

Nous avons alors 2 cas possibles pour que le volet déficit structurel soit moins restrictif que le volet réduction de la dette :

Cas 1

s1 < s2 si y >1 + (b0 – 60)/10.

Supposons qu’on démarre d’un niveau de dette comme celui de l’Allemagne (b0 = 81,2 % du PIB). Le cas 1 implique que le volet déficit structurel sera plus contraignant que le volet réduction de la dette si et seulement si y > 3,12 %, c’est à dire si l’Allemagne a un écart de production par rapport au potentiel de plus de trois points.  Le même calcul, pour un pays à  dette élevée (120 % du PIB) comme l’Italie, donne y > 7 % !

Cas 2

Si la règle de réduction de la dette porte sur le déficit structurel (plutôt que sur le déficit public total), on a :

s1 < 0,5

et

s2 = – (b0 – 60)/20

Dans ce cas, s1 < s2 si 1 < – (b0 – 60)/10, ce qui ne peut jamais arriver tant que la dette publique est supérieure au niveau de référence.




Le retour à la drachme serait-il un drame insurmontable?

par Céline Antonin

Le 17 juin 2012, le vote des Grecs aux élections législatives a, au moins pour un temps, éloigné le spectre d’une sortie du pays de la zone euro. Cependant, l’idée n’est pas totalement enterrée, et trouve des relais aussi bien en Grèce que chez certaines formations politiques en zone euro. Cela continue de poser la question du coût d’un défaut total de la Grèce pour ses créanciers, au premier rang desquels figure la France. L’analyse publiée dans la dernière  Note de l’OFCE (n°20 du 19 juin 2012) montre que malgré l’ampleur des pertes potentielles, plusieurs facteurs permettent de relativiser les conséquences d’un défaut de l’Etat grec sur les pays de la zone euro.

Une sortie de la Grèce de la zone euro, non prévue par les traités, serait un véritable casse-tête juridique à résoudre, il faudrait notamment gérer le retrait d’un pays de l’Eurosystème[1]. En cas de retour à une nouvelle drachme, qui se déprécierait fortement par rapport à l’euro[2], le fardeau de la dette publique restant à rembourser serait considérablement alourdi, de même que celui des dettes privées qui seraient toujours libellées en euros. Les faillites d’entreprises financières et non financières seraient nombreuses. Légalement, la Grèce ne pourrait pas convertir unilatéralement sa dette publique en nouvelles drachmes. Etant donné la faible soutenabilité de l’endettement public du pays et le fait que la dette soit libellée quasi-exclusivement en euros, le pays ferait certainement défaut (au moins partiellement) sur sa dette publique, voire sur sa dette extérieure[3]. Les principaux détenteurs de dette grecque étant les pays de la zone euro, quel serait l’ampleur du choc en cas de défaut grec ?

L’objectif ici, dont on trouvera plus de détails dans la Note de l’OFCE (n°20 du 19 juin 2012), est de décomposer l’exposition des pays de la zone euro (et notamment la France) à la dette publique et privée grecque. L’exposition à la dette publique grecque transite par trois canaux principaux :

1) les deux plans d’aide budgétaire de mai 2010 et mars 2012 ;

2) la participation à l’Eurosystème ;

3) l’exposition des banques commerciales.

Si l’on analyse chacun de ces canaux, il apparaît que ce sont surtout les plans d’aide à la Grèce qui exposent les pays de la zone euro à des pertes. Ils exposent les pays de la zone euro à des pertes maximales de 160 milliards d’euros (dont 46 milliards d’euros pour l’Allemagne et 35 milliards d’euros pour la France). Les pays de la zone euro sont également exposés à la dette publique grecque via leur participation à l’Eurosystème : en effet, le bilan de l’Eurosystème a gonflé considérablement pour soutenir les pays fragiles de la zone euro, notamment la Grèce. Cela étant, au vu de la capacité d’absorption des pertes de l’Eurosystème (plus de 3 000 milliards d’euros), nous considérons que les pertes potentielles pour les pays de la zone euro sont peu probables, dans le cas d’un défaut unilatéral de la Grèce sur sa dette publique. Enfin, le système bancaire de la zone euro serait exposé à hauteur de 4,5 milliards d’euros au risque souverain grec et à hauteur de 45 milliards d’euros au secteur privé grec[4].

L’exposition cumulée de la zone euro à la dette grecque, hors Eurosystème, atteindrait au maximum 199 milliards d’euros (2,3 % du PIB de la zone euro, tableau), dont 52 milliards d’euros pour l’Allemagne (2 % du PIB) et 65 milliards d’euros pour la France (3,3 % du PIB). Si l’on inclut l’exposition à l’Eurosystème, l’exposition cumulée de la zone euro à la dette grecque atteindrait 342 milliards d’euros (4 % du PIB de la zone euro), dont 92 milliards d’euros pour l’Allemagne (3,6 % du PIB) et 95 milliards d’euros (4,8 %) pour la France. La France apparaît comme le pays le plus exposé de la zone euro, à cause de l’exposition de ses banques à la dette privée grecque, via des filiales en Grèce. Si l’on ne considère que la dette publique grecque, en revanche, c’est l’Allemagne qui apparaît comme le pays le plus exposé à un défaut grec.


 

Ces montants constituent une borne supérieure : ils représentent le maximum des pertes potentielles dans le scénario le plus défavorable, à savoir le défaut total de la Grèce sur sa dette publique et privée. En outre, il est impossible de prévoir avec certitude l’ensemble des réactions en chaîne liées à une sortie de la Grèce de la zone euro : tout dépend si la sortie est concertée ou pas, si un plan de rééchelonnement des dettes est mis en place, de l’ampleur de la dépréciation de la drachme par rapport à l’euro, …

L’élément « rassurant » de cette analyse est l’ordre de grandeur des pertes éventuelles (tableau): le choc d’une sortie de la Grèce serait absorbable, même si cela induirait un choc sur chacun des pays membres et creuserait leur déficit, sapant leurs efforts pour revenir à l’équilibre budgétaire. En revanche, cette analyse rappelle également combien les économies des pays de la zone euro sont imbriquées, ne serait-ce que via l’Union monétaire, sans parler des mécanismes de solidarité budgétaire. Ainsi, une sortie de la Grèce de la zone euro risquerait d’ouvrir la boîte de Pandore, et si d’autres pays sont tentés d’imiter l’exemple grec, c’est l’ensemble de la zone euro qui risque de sombrer.


[1] L’Eurosystème est l’institution européenne regroupant la BCE et les banques centrales des pays faisant partie de la zone euro.

[2] Sur cette question, voir A. Delatte, Quels sont les risques du retour à la drachme encourus par les Grecs, blog de l’OFCE, juin 2012.

[3] La dette extérieure désigne l’ensemble des dettes qui sont dues par tous les acteurs publics et privés d’un pays à des prêteurs étrangers.

[4] On se situe ici dans un cas d’école, où la dépréciation de la drachme serait telle que la monnaie ne vaudrait plus rien.