La crise au Royaume-Uni : les femmes sont-elles moins touchées que les hommes ?

par Hélène Périvier

Dans la plupart des pays d’Europe, la crise a affecté davantage l’emploi des hommes que celui des femmes. Le Royaume-Uni n’échappe pas cette règle : au sein de la population des 15 ans et plus, entre 2008 et  2011, l’emploi des hommes y a baissé de 1,6 %, contre seulement 0,3 % pour celui des femmes. On pourrait donc conclure que les femmes ont été préservées par rapport aux hommes par la tempête qui secoue le marché du travail au Royaume-Uni, et plus généralement en Europe. Dans l’absolu c’est incontestable mais en relatif rien n’est moins sûr… 

L’impact sexué de la crise sur l’emploi tient pour beaucoup  à la segmentation du marché du travail : les femmes et les hommes n’évoluent pas dans les mêmes secteurs d’activité ; les secteurs dans lesquels les femmes sont sur-représentées ont été moins touchés par la crise du fait de la nature de ces emplois. Au Royaume-Uni, les femmes occupent 78 % des emplois dans le secteur « Santé humaine et action sociale » ou encore 72 % dans le secteur de l’ « éducation ». Ces secteurs reposent pour beaucoup sur l’emploi public ou parapublic et sont moins exposés aux affres de la conjoncture économique : entre 2008 et 2011 l’emploi dans le secteur « santé et social » a augmenté de presque 8 % et plus de 12 % dans celui de l’éducation. Inversement, les femmes ne représentent que 11 % des travailleurs dans le BTP ou encore 14 % dans l’industrie, secteurs qui ont subi le choc sur l’emploi le plus important (respectivement –19,6 % et -17,3 % sur la même période). Ainsi, les femmes semblent avoir été protégées des effets de la crise sur l’emploi du fait de leur sur-représentation dans des secteurs dans lesquels l’emploi est moins réactif à la conjoncture. L’histoire pourrait s’arrêter là, mais les choses ne sont jamais aussi simples qu’elles ne paraissent, car cette explication ne tient que si la part des femmes dans chaque secteur était restée la même durant le choc. Or il n’en est rien.

Une  décomposition statistique de la variation de l’emploi permet de distinguer ce qui dans la variation de l’emploi est dû à la variation de l’emploi total de ce qui est dû la variation de la part des femmes dans chaque secteur. Il ressort du graphique 1 que si la part des femmes dans chaque secteur était restée constante entre 2008 et 2011, alors l’emploi des femmes n’aurait pas baissé de 0,3 % sur la période mais au contraire il aurait augmenté de 2,5 % : la baisse, même faible, de l’emploi des femmes sur la période est due à une modification de leur part dans certains secteurs.

Si on regarde de plus près les secteurs qui pèsent dans le volume d’emploi global, on constate que dans le BTP ou l’industrie, les femmes ont été plus affectées par les réductions d’emploi qu’elles auraient dû l’être étant donné leur sous-représentation dans ces secteurs en 2008. L’effondrement de l’emploi dans le BTP et l’industrie a disproportionnellement touché les femmes. Les secteurs où les femmes sont très présentes ont bénéficié au contraire de fortes créations d’emplois de 2008 à 2011 :  +370 000 emplois dans l’éducation et presque +305 000 dans la santé et l’action sociale. Mais ces créations d’emploi n’ont pas autant bénéficié aux femmes qu’elles auraient dû étant donné leur part dans ce type d’activité en 2008. Le graphique 2 montre que dans l’éducation, le nombre d’emplois occupés par des femmes aurait dû augmenter de 271 000 si leur part dans l’éducation était restée la même, mais le nombre d’emplois supplémentaires entre 2008 et 2011 pourvus par des femmes n’a été que de 231 700.

Finalement dans les secteurs où le choc a été violent, les femmes ont été sur-affectées par les destructions d’emplois et dans les secteurs où l’emploi est resté dynamique elles en ont moins bénéficié que ce qu’elles auraient dû. In fine, dans l’absolu l’emploi des femmes a moins souffert que celui des hommes, mais en relatif elles ont davantage été affectées. La segmentation du marché du travail qui pèse sur l’égalité professionnelle entre femmes et hommes n’a pas été un bouclier efficace pour l’emploi des femmes dans la crise.

 

 

 




Journée des droits de la femme

À l’occasion de la journée du 8 mars, nous rappelons à nos lecteurs que l’OFCE développe avec Sciences Po le Programme de Recherche et d’Enseignement des SAvoirs sur le GEnre (PRESAGE).

Dans ce blog nous avons, à plusieurs reprises, abordé le thème de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.




Un Etat exemplaire ?

Par Françoise Milewski

Le projet de loi sur la précarité dans la fonction publique, promis depuis longtemps, a été débattu en procédure accélérée en janvier-février 2012, avant la fin de la législature. Il contient un chapitre sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et c’est ce chapitre qui a fait l’actualité. Que dire du texte finalement adopté le 14 février 2012 ? 

Dans sa première version, votée par le Sénat le 26 janvier, il ne faisait que trois lignes… De nombreux amendements ont été déposés ensuite, par la Commission des lois, par des parlementaires et par le Ministre lui-même (voir l’ensemble des amendements), et ont abouti à compléter le texte, qui a été voté le 14 février. La question des « quotas » de femmes dans les emplois de direction a été au centre des débats.

Des « quotas » pour les emplois de direction, mais seulement sur les nominations

La place des femmes dans les emplois de direction des fonctions publiques est très faible et a peu progressé. Dans certains secteurs, elle a même régressé (Françoise Milewski, 2011). En 2009, dernier chiffre connu, alors que les femmes représentent 60,1 % des effectifs des fonctions publiques et 58,8 % des cadres A, elles ne sont que 27,6 % à détenir des emplois de direction. Dans la fonction publique de l’Etat, elles ne sont que 21,4%, et seulement 16,7 % des emplois dont la décision de nomination relève du gouvernement (voir tableau).

L’Assemblée nationale a décidé d’instaurer des objectifs chiffrés, ou « quotas », en référence à la loi adoptée pour le secteur privé en janvier 2011 (dite loi Copé-Zimmermann). Celle-ci prévoit que la part des femmes dans ces conseils devra atteindre 20 % en 2014 et 40 % en 2017, sous peine de nullité des nominations. Un premier bilan tiré en décembre 2011[1] a montré l’efficacité de cette mesure.

C’est ce chiffre de 40 % qui a servi de base à l’amendement déposé à l’Assemblée nationale pour la fonction publique. Celui-ci prévoit que les femmes devront représenter 20 % des nominations en 2013, 30 % en 2015 et 40 % en 2018[2]. Ces « quotas » concerneront environ 4 500 postes des trois fonctions publiques.

Plusieurs questions se posent. La première est que cette loi n’a en commun avec celle du secteur privé que le chiffre de 40 %. Car ce pourcentage concerne le nombre de femmes présentes dans les conseils d’administration et de surveillance du secteur privé, alors qu’il ne concerne que les nominations dans la fonction publique. La différence entre la part dans les promotions et la part dans les instances (c’est-à-dire entre les flux et les stocks) est de taille.

Il aurait été bienvenu que le gouvernement publie les résultats chiffrés associés à cette proposition, dans un souci d’évaluation des politiques publiques. Lui seul en effet dispose des statistiques permettant de les réaliser. A quelle proportion de femmes dans les emplois de direction conduisent ces proportions de nominations ?

On peut se risquer à calculer des ordres de grandeur, bien que la dernière statistique publique sur la part des femmes dans les emplois de direction date de 2009, et celle sur la part des femmes dans les nominations de 2006.

– Pour les chefs de services, directeurs-adjoints et sous-directeurs d’administration centrale, parmi lesquels la part des femmes est bien plus favorable en 2009 (30,6 %) que pour l’ensemble de la fonction publique de l’Etat (21,4 %), la part des femmes en 2018 atteindrait environ 33 %, sous l’hypothèse favorable que la proportion de femmes nommées soit de 30 % dès 2012.

– Pour les directeurs d’administration centrale, où les femmes sont 24,1 % en 2009, on atteindrait le chiffre de 32 % en 2018. Encore faut-il souligner que ces deux estimations ont été faites avec des hypothèses optimistes, toutes choses égales par ailleurs, en particulier sur le nombre de nominations totales, alors que l’on sait qu’une restructuration des services est souvent préjudiciable aux femmes.

– Parmi les préfets, les femmes n’étaient que 10,5 % en 2009. L’application de la loi conduirait à une part de 20 % environ en 2018. En supposant que le taux de nomination de 40 % soit maintenu, il faudrait attendre encore 10-12 ans pour qu’il y ait 40 % de préfètes.

– Parmi les ambassadeurs, la part des femmes passerait de 15,6 % à 22 % en 2018. Là encore, il faudrait attendre presque 2030 pour atteindre les 40 %.

– Enfin, pour l’ensemble des emplois à la décision du gouvernement, la part des femmes, initialement de 16,7 %, atteindrait 25 % en 2018.

Ce sont des progrès mais qui restent en deçà de ce que l’on impose au privé (40 % en 2017).

Le rapport de Françoise Guégot, remis au Président de la République en janvier 2011, et qui a servi de base aux discussions de la loi actuelle, préconisait pourtant des objectifs chiffrés sur la part des femmes dans les instances, pas seulement dans les nominations.

La seconde question concerne le champ d’application de la mesure : pourquoi faut-il une loi pour que la place des femmes dans les emplois à la décision du gouvernement soit augmentée ? Il aurait suffi d’une volonté politique. Pourquoi le Conseil des ministres, depuis de nombreuses années, n’a-t-il pas mis en œuvre une logique paritaire dans les nominations ?

La troisième question concerne les modalités de la contrainte. On a longtemps parlé d’objectifs chiffrés, sans contrainte. Mais on sait le sort des obligations sans sanction. Dans la loi de 2012, la sanction proposée est financière. Son montant est égal au nombre « d’unités manquantes », multiplié par un montant unitaire. Ce montant et les conditions d’application seraient définis par un décret à venir, en mars. Selon les déclarations du Ministre lors du débat parlementaire, les sommes collectées ne seraient pas attribuées à un fonds dédié, mais « utilisées comme crédits destinés à mener des actions de sensibilisation à l’égalité professionnelle dans les fonctions publiques »…

Mais cette sanction est pour le moins curieuse. Quel sens a une sanction financière pour la fonction publique ? Tout particulièrement, quelle pourrait être une sanction financière appliquée au gouvernement pour les nominations dont il a la charge ?[3] Pourquoi ne pas envisager la nullité des nominations qui ne respectent pas la loi, comme dans le secteur privé ? Un débat aurait été bienvenu sur ce point.

Le précédent ministre de la Fonction publique, Georges Tron, parlait de la nécessité d’« un électrochoc ayant un impact fort et violent, à l’inverse de mesures incantatoires »[4]. Le ministre actuel, François Sauvadet, a qualifié les amendements sur les objectifs chiffrés de « petite révolution » lors du débat parlementaire du 8 février, de « grande révolution » à France Inter le 9 février. On en est loin…

Des jurys presque paritaires ?

Le principe de la représentation équilibrée a été appliqué aux jurys et comités de sélection depuis mai 2002 (décret adopté à la suite de la loi Génisson de mai 2001) dans la fonction publique d’Etat, la proportion du sexe sous-représenté devant être au minimum d’un tiers. Cette mesure fut efficace. La loi de 2012 étend le champ aux fonctions publiques territoriale et hospitalière, et accroît le pourcentage à 40 % en 2015. Il s’agit bien ici de la composition des jurys, pas seulement des nominations. C’est donc une bonne chose.

On peut cependant s’inquiéter de la formulation d’une clause d’exception pour certains corps et emplois. Il est évident que pour les pompiers ou les infirmières par exemple, la difficulté d’appliquer la règle de 40 % est grande. Mais il faudra veiller à ce que les dérogations ne s’accumulent pas ! Ainsi, en 2002, l’enseignement supérieur et la recherche obtinrent un statut dérogatoire provisoire, qui dure encore aujourd’hui…

Le retour du bilan chiffré

La nouvelle loi prévoit que le Gouvernement présente un rapport sur les mesures mises en œuvre pour assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Il comportera « des données relatives au recrutement, à la féminisation des jurys, à la formation, au temps de travail, à la promotion professionnelle, aux conditions de travail, à la rémunération et à l’articulation entre activité professionnelle et vie personnelle ». Ainsi, est réaffirmé un principe déjà en vigueur, mais non respecté. La loi du 13 juillet 1983, complétée par celle du 9 mai 2001, avait établi que le Gouvernement réalise tous les deux ans un « rapport sur la situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes dans les fonctions publiques ». Le dixième rapport fut remis en 2006. Ce fut le dernier. Depuis, des éléments partiels furent intégrés dans le rapport annuel sur l’état de la fonction publique. Ils sont de plus en plus limités. C’est tout particulièrement le cas du rapport 2010-2011, qui vient de paraître le 20 janvier dernier. Pourquoi un tel recul ?

Le secteur public s’est ainsi mis en retrait sur le secteur privé. En effet, les entreprises privées sont contraintes de publier tous les ans un « Rapport de situation comparée » (RSC).

La réaffirmation du principe de publication des résultats est une bonne chose. Il reste à définir son contenu, qui devrait faire l’objet d’un décret. La définition des indicateurs de suivi est primordiale. Ces dernières années, les changements méthodologiques, sans rétropolation des séries, ont fait reculer la connaissance des tendances. On l’a vu plus haut en ce qui concerne les emplois de direction (les nominations ne sont plus publiées, etc.). Les comparaisons de salaires (primes comprises) feront-elles partie du constat annuel ? Il reste aussi, et peut-être surtout, à le réaliser. La loi précédente a cessé d’être appliquée depuis 2006. Celle-ci le sera-t-elle ? Pourquoi faut-il toujours revoter des lois ?

La préconisation actuelle de nommer des référents-es égalité dans chaque administration relève de la même logique : depuis décembre 2000, des coordonnateurs-trices doivent être nommés-es dans chaque administration, et des réunions d’échanges d’expérience furent un temps organisées, puis sont tombées dans l’oubli. Un éternel recommencement ?

Parité et égalité de traitement

Le sacro-saint principe d’égalité de traitement a beaucoup servi, dans le passé, à justifier que le fait de compenser les situations inégales par des mesures particulières était une rupture d’égalité, dans une conception étroite de l’universalisme républicain. C’est pourtant ce que préconisent les traités européens : le principe d’égalité de traitement n’empêche pas un Etat membre « dadopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle » (article 141 du traité d’Amsterdam). Ce n’est en effet pas l’évolution spontanée qui changera les choses.

Les politiques destinées à briser le plafond de verre concernent tout le processus de sa construction et d’accumulation des différences de parcours de carrières. Pour lever les obstacles à l’accès au pouvoir, c’est donc l’ensemble de la politique d’égalité professionnelle qui est en cause. Pour autant, il n’y a aucune raison de s’interdire d’agir sur les résultats, avant même que les causes qui les ont suscités ne soient résolues. En ce sens, la fixation d’objectifs chiffrés pour les instances de direction, assorties de contraintes, est bien un progrès. Et la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui a étendu aux responsabilités professionnelles et sociales la possibilité pour la loi de favoriser l’égal accès des femmes et des hommes, auparavant limitée aux mandats électoraux et aux fonctions électives, fut aussi une avancée : la France a été longtemps réticente à reconnaître la légitimité d’actions positives destinées à corriger les déséquilibres existants.

Pour autant, dans le débat parlementaire sur les fonctions publiques, la plus grande confusion a régné entre la nécessité d’ « objectifs chiffrés », d’une « représentation équilibrée » et l’instauration de « quotas ». Les argumentaires sur la constitutionnalité et la faisabilité concrète, sur les principes et les valeurs, ont été mêlés.

Peut-on espérer que les mesures adoptées seront cette fois-ci mises en œuvre ? Que le gouvernement, dans ses nominations, montre tout de suite qu’il n’a pas besoin d’une loi pour nommer des femmes ? Et qu’il assure une proportion de femmes de 40 % dans les instances, pas seulement dans les nominations ? Il serait alors vraiment exemplaire.


[1] Assemblée nationale, Délégation aux droits des femmes, colloque du 28 janvier 2010.

[2] A l’exclusion des renouvellements dans un même emploi ou des nominations dans un même type d’emploi (par exemple un préfet qui passe d’une région à une autre). Seules les primo-nominations sont donc concernées.

[3] En 2009, 527 emplois de direction (directeurs d’administration centrale, ambassadeurs, préfets, recteurs) étaient pourvus en Conseil des ministres.

[4] Colloque francilien sur l’égalité professionnelle dans les fonctions publiques du 17 mai 2011.




Egalité salariale : retour en arrière

par Françoise Milewski

L’égalité salariale et professionnelle entre les femmes et les hommes n’est décidément pas pour demain. La circulaire qui présente le champ et les conditions d’application, à partir du 1er janvier 2012, de la pénalité financière pour les entreprises qui ne respecteraient pas la loi a été publiée le 28 octobre 2011. Le dispositif est désormais détaillé et ne laisse plus planer de doute : les entreprises ne risquent pas grand-chose. Déjà le décret d’application du 7 juillet 2011, publié après de longs mois d’attente, marquait un recul important sur ce que la loi du 9 novembre 2010 pouvait laisser espérer.

De grandes ambitions…

 La loi de 2006 avait suscité débat. Fallait-il une loi de plus, après celles de 1972, 1983, 2001, et après l’accord national interprofessionnel de 2004 ? Certains en doutaient. L’affirmation selon laquelle l’égalité salariale devait être réalisée en cinq ans, avant le 31 décembre 2010, laissait pour le moins perplexe. Cette loi apportait cependant une nouveauté car elle ouvrait la voie à une sanction financière. Le projet de loi sur la définition de la sanction financière devait suivre, mais il n’a pas été déposé. Officiellement faute de place dans le calendrier parlementaire. Finalement, faute d’une loi spécifique, c’est un article de la loi sur les retraites du 9 novembre 2010 qui a tranché, quatre ans et demi après (voir l’article 99 de la loi sur les retraites). Il supprime (par la force des choses !) le délai du 31 décembre 2010 pour que l’égalité soit réalisée. Plus aucun délai n’est d’ailleurs désormais fixé.

Le décret d’application du 7 juillet et la circulaire du 28 octobre 2011 amoindrissent la portée du texte de loi. Ainsi, les grandes ambitions régulièrement affichées depuis 2006 sur l’importance de combler l’écart salarial, toutes causes confondues, dans un horizon court, n’ont finalement rien apporté.

Pourtant, toutes les études qui mesurent les écarts de salaires hommes/femmes montrent la gravité de la situation : un écart de salaires d’environ 25 % en moyenne, dû au temps partiel, à la ségrégation professionnelle (non mixité des métiers et des secteurs) et aux discriminations.  Le soupçon pèse sur les femmes d’être avant tout des mères, ou des futures mères, susceptibles aux yeux de l’employeur de quitter temporairement ou définitivement leur emploi (voir les analyses de Dominique Meurs, Ariane Pailhé et Sophie Ponthieux, 2006 et 2010). On constate un coup d’arrêt donné à la résorption des écarts de salaires depuis le milieu des années 1990, pour les salariés à plein temps dans le secteur privé et semi-public (voir graphique).

… qui ont fait long feu

Les entreprises doivent être couvertes par un accord collectif, ou à défaut, un plan d’action fixant des objectifs, des actions permettant de les atteindre et des indicateurs chiffrés pour les suivre, dans deux ou trois domaines d’action (selon la taille des entreprises) considérés comme des sources des inégalités professionnelles et salariales.

Les accords doivent être transmis à la Direction du travail. Les plans d’action sont intégrés au Rapport de Situation Comparée annuel et transmis à l’inspection du travail. Si les accords ou plans d’action ne sont pas réalisés, ou s’ils ne sont pas conformes, une pénalité peut s’appliquer. Mais c’est là que le bât blesse : les modalités prévues permettront en effet à nombre d’entreprises d’échapper à ces obligations.

En l’absence d’accord ou de plan, l’inspecteur ou le contrôleur met l’entreprise en demeure de combler cette carence. L’entreprise a alors six mois pour se mettre en conformité. Si elle le fait, elle n’est pas sujette à pénalité. Si elle ne le fait pas, l’administration décide d’appliquer une pénalité et dispose d’un mois pour la notifier. Celle-ci n’est pas rétroactive et s’applique à compter de la notification.

Cela signifie que si une entreprise n’est pas en conformité avec la loi, elle ne sera pas sanctionnée sur toute la période de non respect de la loi (dès la mise en œuvre de celle-ci en janvier 2012), mais seulement après un éventuel contrôle et seulement dans le cas où elle ne se met pas en conformité dans le délai prévu.

Enfin, le montant de la pénalité a été fixé par la loi à 1 % au maximum de la masse salariale. Le décret et la circulaire précisent le mode de fixation. Le directeur régional du travail décide du taux, au vu de l’importance des obligations demeurant non respectées et des autres mesures prises en matière d’égalité professionnelle. L’autorité administrative prend ainsi en compte les « efforts de l’entreprise » en matière d’égalité.

La sanction financière a souvent été présentée par les pouvoirs publics non comme une volonté de sanctionner mais comme un moyen de dissuasion et d’incitation. Où est la dissuasion si une entreprise a intérêt à attendre un contrôle puis à se mettre en conformité ? Autant dire, sachant de surcroît les faibles moyens dont dispose l’inspection du travail, qu’il reste infiniment peu de choses de la sanction financière, initialement présentée comme le moyen de changer enfin la situation.

Les entreprises actives sur le plan de la mise en œuvre de l’égalité n’ont pas attendu la loi. Les autres n’ont rien à craindre de ce décret et de cette circulaire d’application.

Elles ont d’autant moins à craindre que des « motifs de défaillance » sont prévus, qu’elles peuvent mettre en avant pour justifier de leur impossibilité de se mettre en conformité avec la loi et qui leur permettent d’échapper à la sanction : parmi ceux-ci figurent par exemple des difficultés économiques. Autant dire que les entreprises seront nombreuses dans ce cas.

Accord négocié ou plan d’action unilatéral ?

La loi spécifiait que la sanction s’appliquait si l’entreprise n’avait pas mis en œuvre un accord, ou à défaut un plan d’action. Il aurait fallu spécifier dans le décret et la circulaire : un accord, ou à défaut constaté par un procès verbal de désaccord, un plan d’action. La différence n’est pas mineure. L’objectif est en effet de favoriser la négociation sociale, tout particulièrement sur le thème de l’égalité. On sait que souvent ce sujet est délaissé et considéré comme mineur. Dans son rapport de juillet 2009, Brigitte Grésy a montré que « les négociateurs négocient peu, les contrôleurs contrôlent peu et les juges jugent peu ».

En favorisant la négociation, on pouvait espérer sa prise en compte par tous les acteurs sociaux de l’entreprise. En revanche, en mettant sur le même plan l’accord et le plan d’action unilatéral, on en réduit la portée. Que dans une entreprise où il n’y a pas de représentation syndicale, un plan d’action soit décidé est justifié. C’est le cas aussi lorsqu’aucun accord n’a été trouvé. Mais que le choix soit donné à l’entreprise relève d’une autre logique, qui fragilise, voire rend superflue, la voie de la négociation. C’est une nouvelle dynamique des relations sociales qui est ainsi à l’œuvre.

Peut-on croire que les entreprises sont spontanément motivées par l’égalité salariale et qu’elles feront des plans d’action unilatéraux ambitieux ? On peut en douter au vu de l’évolution de l’écart des salaires dans l’économie française.

Retour en arrière…

 Cinq ans après la loi de 2006, on se retrouve donc à la case départ. Ou même pire, puisqu’il n’y a plus de perspective ouverte. Les avancées espérées sont annulées. Les ambiguïtés de l’article 99 sur l’égalité professionnelle dans la loi portant réforme des retraites n’ont pas été levées par le décret et la circulaire d’application. Et sur la pénalité financière, c’est même un recul qui a été opéré.