Collecte sur Livrets A : ô les beaux jours sont finis …

par Sandrine Levasseur

A chaque annonce de modification du taux de rémunération du Livret A, se pose la question de son impact sur les montants collectés. Répondre à cette question – en fournissant une évaluation quantifiée – n’est pas chose facile car l’impact dépend d’un grand nombre de facteurs dont certains sont difficiles à mesurer (e.g. la « valeur-refuge » que constitue le Livret A) ou difficile à anticiper (e.g la politique plus ou moins agressive menée par les banques pour favoriser leur propre support d’épargne). Pour autant, ces difficultés ne doivent pas nous priver d’une évaluation dont les enjeux sont importants pour le financement du logement social, les banques et les deniers de l’Etat.

La dernière note de l’OFCE (n°30, 30 juillet 2013) propose une évaluation quantifiée de l’impact d’une baisse du taux d’intérêt rémunérateur du Livret A (le taux passe de 1,75 % à 1,25 % à compter du 1er août 2013) sur les montants collectés. Si la prudence s’impose tant l’exercice de quantification a ses limites, celui-ci nous montre cependant que les beaux jours en matière de collecte sur les Livrets A sont vraisemblablement derrière nous. Certes, les montants recueillis sur l’année 2013 resteront à un niveau très élevé, entre 14,5 et 18,5 milliards d’euros (hors intérêts capitalisés). Mais ils sont imputables pour moitié aux montants collectés au cours du mois de Janvier (8,21 milliards d’euros) après le relèvement du plafond du Livret A intervenu le 1er janvier 2013. En 2014, l’effet « boosteur » de relèvement du plafond disparaîtra, et la collecte sur les Livrets A devrait chuter dans un contexte de rémunération plus faible du Livret A.

Selon nos estimations, pour que les montants collectés restent aux alentours des 16 milliards d’euros en 2014, il faudrait soit que le taux de chômage retombe sous la barre des 10,5 % de façon à redonner du pouvoir d’épargne aux ménages, soit que le rendement sur l’assurance-vie (net de la fiscalité) baisse à 1 % de façon à réorienter l’épargne disponible vers le Livret A[1]. Alternativement, il faudrait que la Bourse chute. Or, à l’heure actuelle, il n’y a pas vraiment de raison d’anticiper une baisse du chômage en France. Le rendement des produits d’assurance-vie est, certes, orienté à la baisse pour l’année à venir. Mais cette baisse viendrait seulement amoindrir le différentiel de rendement qui apparaîtra entre les deux produits d’épargne (assez fortement substituables) suite à la baisse du taux du Livret A à partir du 1er août. La Bourse, fortement malmenée depuis le début de la crise, est cependant engagée dans une perspective haussière depuis un an, tendance qui a priori devrait se poursuivre. Evidemment, le scénario du pire ou du mieux – tout dépend le point de vue adopté – ne peut être exclu : la Bourse peut s’effondrer mais alors le chômage risque d’augmenter et les actifs sous-jacents de l’assurance-vie risquent de baisser car cela signifiera soit qu’il y a une nouvelle crise dans la zone euro, soit que la sortie de crise est beaucoup plus difficile que prévue.

L’un dans l’autre, on le voit, des perspectives de collectes sur les Livrets A du niveau de celles observées lors des précédentes années sont plutôt obscurcies[2]. A très court terme, une moindre collecte sur les Livrets A ne devrait pas poser de problème pour le financement du logement social, la Caisse des dépôts et Consignations (CDC) disposant d’un surplus de fonds d’épargne qui n’est pas encore alloué aux bailleurs sociaux[3]. Pour autant, dès lors que le surplus du fond d’épargne sera utilisé, le financement du logement social deviendra tributaire des montants collectés sur Livrets A. Une moindre collecte sur les Livrets A se traduirait alors par l’incapacité de construire des logements sociaux. Si ce scénario du pire venait à se réaliser, on ne pourra pas faire l’économie – dans les deux à trois ans à venir – d’une réforme du mode de financement du logement social de façon à le rendre moins dépend de la collecte sur les Livrets A.


[1] La modification du système de prélèvement libératoire forfaitaire (PLF), à compter de 2013, rend cependant difficile une évaluation du rendement de l’assurance-vie, et des autres produits financiers, net de toute imposition. En effet, les revenus financiers (intérêts, dividendes, plus-values mobilières, etc.) supérieurs à 2 000 € par an seront soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu du ménage.

[2] La collecte sur Livrets A (hors intérêts) a atteint 17,38 milliards en 2011 et 28,16 milliards en 2012. Comparativement, l’année 2010 a été une année de piètre collecte, avec à peine 7,8 milliards d’euros.

[3] 65 % des sommes déposées sur les Livrets A servent, en effet, à alimenter le fond d’épargne dans lequel la CDC puise pour financer les logements sociaux (Levasseur, 2011). C’est d’ailleurs une partie (30 milliards d’euros) de ce surplus d’épargne non utilisé pour financer le logement social qui a été « rétrocédé » momentanément aux banques. Le décret, entré en application le 31 Juillet 2013, prévoit que dès que les prêts de la CDC aux bailleurs sociaux atteindront une certain niveau, les banques devront reverser ces 30 milliards au fond d’épargne.




Logement social : peut mieux faire

Par Sabine Le Bayon

Les organismes HLM et l’Etat ont signé le 8 juillet dernier un pacte pour assurer la mise en œuvre des objectifs de construction de logements sociaux. Lors de la campagne électorale de 2012, François Hollande avait fait de la question du logement l’une de ses priorités et visait la construction de 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux. Depuis son élection, plusieurs mesures ont été prises dans ce sens. Concernant le logement social, il s’agit essentiellement de la mobilisation du foncier public, de la hausse du plafond du livret A, du renforcement de la loi SRU de 2000, de la fin du prélèvement sur le potentiel financier des bailleurs sociaux et de l’accord avec Action logement (ex-1% logement) pour augmenter sa participation à l’effort de construction de logements sociaux. Dans le cadre du pacte du 8 juillet, l’Etat a aussi rappelé la baisse prévue du taux de TVA sur la construction sociale de 7 à 5 % dès 2014 tandis que les organismes HLM se sont engagés à construire 120 000 logements sociaux par an[1] d’ici 2015 et à mutualiser une partie de leurs fonds (280 millions d’euros) pour soutenir les organismes les plus sollicités. L’objectif de 150 000 logements sociaux financés ne sera donc pas atteint dès 2013[2], comme l’avait déjà reconnu en mai dernier la Ministre de l’Egalité des territoires et du Logement, Cécile Duflot. En effet, dans un contexte budgétaire tendu, l’objectif du gouvernement relève de la quadrature du cercle. Certes les mesures prises par le gouvernement ne sont pas neutres pour les finances publiques : la réduction du taux de TVA représente un manque à gagner et la hausse du nombre de prêts accordés par la Caisse des dépôts va entraîner une augmentation des avantages de taux, à la charge de l’Etat. Il n’en reste pas moins que les aides directes de l’Etat ne sont pas à la hauteur de l’enjeu et qu’il apparaît paradoxal de renforcer les contraintes de construction de logements sociaux pour les communes sans y consacrer les ressources nécessaires et en laissant aux autres acteurs du secteur le soin de boucler les opérations de financement.

Un objectif ambitieux au regard de la construction récente

L’objectif gouvernemental paraît bien ambitieux au regard de la construction sociale de ces dernières années (graphique). En 2012, alors que 120 000 logements sociaux devaient être financés, seuls 102 000 l’ont été effectivement (hors logements issus de la rénovation urbaine dits logements « ANRU »[3], soit le champ couvert par l’objectif gouvernemental). Pour mémoire, un pic avait été atteint en 2010 avec le financement de 146 000 logements sociaux (131 500 hors ANRU), dans le cadre du plan de relance, soit déjà un niveau important au regard de la moyenne des années 2000 (87 500).

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Des contraintes réglementaires accrues

Dans le cadre de la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, la pression sur les collectivités locales est renforcée, avec la révision de l’article 55 de la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU). Alors que jusqu’à présent les objectifs en termes de logements sociaux devaient être atteints en 2020, le gouvernement a repoussé cette échéance à 2025 en même temps qu’il augmentait les objectifs. Dorénavant :

  • – le taux de logements sociaux à atteindre passe de 20 à 25 %[4]. Seules les communes en décroissance démographique ou pour lesquelles ne se justifie pas d’effort de construction supplémentaire conserveront un objectif de 20 %;
  • – l’obligation des 20 % est élargie à un certain nombre de communes, hors périmètre SRU jusque-là, et qui sont en forte progression démographique.

Selon les évaluations gouvernementales, le nombre de communes ne respectant pas les taux de logements sociaux à atteindre passerait de 980 à 1086 avec l’entrée en vigueur de la loi.

La loi prévoit aussi de renforcer le prélèvement versé par les communes ne respectant pas le taux de logements sociaux prévu[5]. Enfin, les intercommunalités ou agglomérations ne pourront plus reverser une partie des pénalités aux communes prélevées, ce qui permettait précédemment de contourner la loi. Désormais, les prélèvements seront versés aux agglomérations bénéficiant de la délégation des aides à la pierre ou à un établissement public foncier, pour l’achat de foncier en vue de la réalisation de logements sociaux. Le gouvernement prévoit que le prélèvement qui s’élevait à 24 millions d’euros en 2012 pourrait atteindre 63 millions en 2014, du fait de la majoration prévue. Mais son niveau resterait relativement faible, du fait des diverses exemptions prévues et de la possibilité de déduire les montants dépensés pour la réalisation de logement sociaux[6].

Le faible montant prélevé est aussi dû au fait que de plus en plus de communes respectent leurs engagements triennaux (63 % entre 2008 et 2010, contre 49 % entre 2002 et 2004). Au final, durant la dernière période triennale (2008-2010), 43 000 logements sociaux par an ont été financés dans les communes soumises à la loi SRU, soit environ 38 % du total des logements sociaux financés en France. Pour répondre aux objectifs de la nouvelle loi, l’effort de construction demandé aux communes à court terme va augmenter. En effet, sur la période 2014-2016, il leur faudra réaliser 25 % des logements sociaux manquants pour atteindre 25 % de logements sociaux. Le gouvernement estime que la construction de logements sociaux dans ces communes devrait atteindre 187 000 sur la période 2014-2016, soit 62 000 par an. La loi va donc nettement accroître la pression sur les communes à partir de 2014.

Une action sur les coûts de production

Face à l’explosion des coûts de production (+85 % entre 2000 et 2011)[7], plusieurs mesures ont été prises. Parmi celles-ci, figure l’autre grand volet de la loi du 18 janvier dernier sur la cession de terrains publics aux collectivités territoriales et EPCI[8]. La décote autorisée peut désormais aller jusqu’à 100 % de la valeur vénale dans les zones les plus tendues si les terrains sont affectés à la construction de logements locatifs très sociaux (contre seulement 35 % précédemment). Le taux de décote est d’autant plus important que le territoire est « tendu » et que le programme intègre des logements très sociaux. Le coût pour l’Etat pourrait atteindre au maximum 370 millions d’euros sur 5 ans selon les évaluations du gouvernement. Le foncier représentant environ 20 % du prix de revient d’un logement social, l’impact pour les organismes HLM sera non négligeable, même en tenant compte du coût de viabilisation de ces terrains, mais il ne sera pas visible avant plusieurs trimestres voire plusieurs années (Caisse des Dépôts, 2012). Selon une première évaluation du Ministère, environ 900 sites, couvrant 2000 hectares, seraient disponibles, ce qui permettrait la construction de 110 000 logements d’ici 5 ans (dont la moitié pourrait être du logement social), soit près de 7 % de l’objectif du gouvernement sur 5 ans en matière de logements sociaux. Cependant, plusieurs réserves doivent être apportées aux ambitions gouvernementales. D’une part, le programme précédent (2008-2012) n’a vu la réalisation que de 60 % des objectifs fixés. D’autre part, les négociations de cession prennent du temps. Depuis l’entrée en vigueur de la loi, peu de cessions ont ainsi été réalisées.

Par ailleurs, pour limiter la hausse des coûts, le taux de TVA pour la construction et la réhabilitation de logements sociaux, qui devait augmenter pour atteindre 10 % en 2014 (après 5,5 % en 2011), sera finalement réduit à 5 % à compter du 1er janvier 2014. Le gain pour les bailleurs sociaux est estimé à 800 millions par rapport à un taux à 10 % (Caisse des Dépôts, 2013). Il devrait nettement alléger la facture pour les organismes HLM, puisque la baisse s’appliquera pour les logements livrés à partir de 2014, c’est-à-dire ayant reçu des agréments à partir de 2011 ou 2012, étant donné les délais de construction.

Outre l’accent mis sur les coûts de production, le financement des logements sociaux serait facilité grâce à l’augmentation du plafond du livret A et à une mobilisation plus importante des subventions des employeurs.

Un accent mis sur le livret A et les subventions patronales

Une des spécificités du modèle français de financement du logement social repose sur le non recours aux marchés financiers. Les organismes HLM ne se financent pas sur les marchés obligataires mais contractent des prêts auprès de la Caisse des dépôts et consignation (CDC) sur des horizons de long terme (30 à 50 ans) et à des taux préférentiels (Hoorens, 2013). Les prêts sont assis sur une partie de l’épargne déposée par les ménages sur leurs livrets A. In fine environ 52 % des sommes déposées sur les livrets A sont effectivement disponibles pour financer des HLM[9] (Levasseur, 2011). Pour gonfler ces liquidités et donc faciliter le financement du logement social, le plafond du livret A a été relevé en octobre 2012 puis en janvier 2013, pour atteindre 22 950€, soit 50 % de plus que début 2012. Ceci s’est traduit par une collecte record (8,2 milliards en janvier 2013, contre 2,3 milliards en moyenne chaque mois en 2012) et la baisse récente du taux rémunérateur (de 2,25 % à 1,75% en février 2013) n’a pas eu pour le moment de répercussions négatives. Pour le moment, la liquidité semble plus que suffisante pour couvrir les besoins de financement.

Enfin, il faut rappeler qu’en plus des 73 % de prêts de la Caisse des dépôts en 2012, le reste du financement du logement social provient de subventions de l’Etat (3 %), des collectivités locales (8 %) et des employeurs[10] (3 %), ainsi que des fonds propres des bailleurs sociaux (12 %)(tableau). Cette répartition reflète un désengagement progressif de l’Etat durant les années 2000 en termes d’aide par unité produite. La subvention (directe) du gouvernement par unité a ainsi baissé de 54 % entre 2000 et 2011 pour un logement social moyen, pour s’établir à 2500 euros en 2011. Cependant, le gouvernement en a financé davantage, l’enveloppe globale ayant été multipliée par trois entre 2000 et 2009 avant de baisser ces dernières années. Simultanément, on a observé une montée en puissance des subventions des collectivités locales (9 700 euros en 2011, soit une hausse de 170 % par rapport à 2000) tandis que les bailleurs ont dû accroître leur financement sur fonds propres (+375 %, à 19 000 euros). Il faut tout de même souligner qu’en complément de ces subventions directes, les organismes HLM bénéficient d’avantages de taux sur les prêts et d’avantages fiscaux (TVA réduite et exonération de taxe foncière pendant 25 ans)[11].

Malgré les mesures gouvernementales, l’objectif de 150 000 logements sociaux financés en 2013 paraît difficile à atteindre. Le nombre de financements devrait être proche de celui de 2012, c’est-à-dire légèrement supérieur à 100 000. Plusieurs raisons expliquent pourquoi l’objectif est hors de portée dès 2013. D’une part, la difficulté de mobiliser rapidement du foncier, notamment en zones tendues, allonge les délais pour monter des opérations de logement social. Ensuite, pour boucler le financement d’un logement social, ce sont tous les acteurs qui doivent être mobilisés. Or, l’accord entre l’Etat et Action logement est intervenu tardivement et le déblocage des aides d’Action logement nécessite du temps. De plus, les collectivités locales, qui fournissent une part croissante des subventions, sont aussi soumises à un contexte budgétaire tendu qui limite leurs moyens d’action.

Pour financer les 150 000 logements sociaux souhaités par le gouvernement, ce sont en effet environ 19,2 milliards d’euros qui doivent être mobilisés, soit 6 milliards de plus qu’en 2012 (tableau), en se basant sur le prix moyen d’un logement social en 2012. Ce dernier était en effet de 128 000 euros, soit moins que le coût d’un logement social « ordinaire »  (compris entre 130 000 et 140 000 euros), du fait de la prise en compte dans nos calculs du prix d’un logement en foyer ou en résidence sociale et étudiante. Les logements « ordinaires » ne représentent en effet qu’un peu plus de 70% du total des logements sociaux financés. En conservant la répartition du financement de 2012 entre les différents acteurs, cela signifie 4,4 milliards de prêts supplémentaires de la CDC. Il faut donc que la CDC prête au total 14 milliards, ce qui paraît possible au regard des montants collectés sur les livrets A en 2012 et sur la première moitié de l’année 2013 et des fonds excédentaires dont la CDC dispose. Mais au-delà de ces prêts, il faut aussi que les autres financements soient suffisants. Or, il reste 1,6 milliard à répartir entre les autres financeurs. La contribution de l’Etat devrait peu varier (500 millions prévus dans la loi de finances pour 2013, contre 430 millions dépensés en 2012), avec une poursuite de la baisse de la subvention par logement. En revanche, Action logement sera davantage mise à contribution, avec une aide effective de 950 millions d’euros (sous forme de prêts et de subventions)[12], soit une hausse de 500 millions par rapport à 2012. Cet effort accru d’Action logement –alors que sa situation financière est fragile- a d’ailleurs été critiqué par la Cour des comptes dans son dernier rapport annuel, mais elle permettra de limiter l’effort supplémentaire pour les collectivités locales et les bailleurs dans un contexte là-aussi déjà tendu. Un supplément de 600 millions de fonds propres des bailleurs et de 400 millions de subventions des collectivités locales sera toutefois nécessaire.

Les bailleurs pourront compter sur quatre mesures d’économies importantes. D’abord, on l’a vu, la baisse de la TVA leur permet d’économiser environ 300 millions d’euros. Ensuite, le gouvernement met fin au prélèvement de 175 millions d’euros sur leur potentiel financier qui avait été instauré en 2011. Ce dernier visait à financer le PNRU (Programme national de rénovation urbaine) et à pénaliser les organismes n’investissant pas assez. De plus, la baisse du taux du livret A de 0,5 point en février 2013 et 0,5 point en août prochain (Madec, 2013) va permettre aux bailleurs sociaux des économies importantes sur les intérêts versés à la Caisse des dépôts. L’USH estimait ainsi qu’une baisse de 0,2 point du taux du livret A permettait d’économiser l’équivalent de 400 millions d’euros de subventions. Enfin, le foncier libéré par l’Etat devrait à partir de 2014 ou 2015 diminuer les dépenses des bailleurs de l’ordre de 70 millions d’euros par an. Par ailleurs, un mécanisme de mutualisation a été acté dans le cadre du pacte du 8 juillet dernier : il prévoit des aides pour les années 2013 à 2015 aux organismes produisant des logements sociaux. Pour 2013, le montant sera de 3 300 euros en zone tendue et 1 300 euros dans les autres zones. Une enveloppe de 280 millions d’euros est prévue. Cette aide sera financée via une contribution des différents organismes en fonction notamment des loyers perçus et du patrimoine locatif. Le but est de mieux utiliser la trésorerie disponible au niveau national en aidant les organismes les plus sollicités. Toutes ces mesures sont positives pour les bailleurs et augmenteront leurs capacités de production. Il n’en reste pas moins que l’effort demandé aux collectivités locales et à Action logement est lourd et que les objectifs ne seront pas atteint dès cette année.

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L’accent mis sur le logement social par le nouveau gouvernement s’inscrit dans la tendance initiée au milieu des années 2000 avec le Plan de cohésion sociale de 2005. La conjonction d’une hausse de la production de logements sociaux depuis le milieu des années 2000 et de la baisse de la construction de logements privés a ainsi entrainé une augmentation de la part des logements sociaux dans la construction (comprise entre 25 % et 30 % depuis 2009). Ce mouvement devrait se poursuivre, même si les objectifs ne sont pas atteints, du fait du ralentissement important du rythme de construction par les agents privés. Entre mai 2012 et mai 2013, ce sont en effet seulement 300 000 logements neufs (privés et sociaux) qui ont été mis en chantier. Cependant, les ambitions gouvernementales sont élevées par rapport aux moyens financiers. Certes, l’Etat va contribuer à l’effort via les aides indirectes (aides de taux et aides fiscales), la fin du prélèvement sur les bailleurs et la mobilisation du foncier, mais peu via les aides à la pierre alors que François Hollande s’était engagé à les doubler pendant la campagne électorale de 2012. De plus, la situation financière d’Action Logement est fragile et cette dernière ne pourra pas supporter sur le long terme un tel effort. Surtout, la réalisation des objectifs repose largement sur les collectivités locales, qui sont contraintes via la révision de la loi SRU à accroître encore leur participation sans moyens supplémentaires fournis par l’Etat. Les mesures prises devraient permettre d’ici la fin du quinquennat d’augmenter nettement le nombre de logements sociaux, mais l’objectif de 150 000 logements sociaux par an semble difficile à atteindre. De plus, le gouvernement ne pourra faire l’économie de revoir à moyen terme le mode de financement du logement social, soumis à une forte hausse du coût de production et à une stagnation du pouvoir d’achat de ces locataires.


[1] Pour mémoire, les organismes HLM représentent 80% du parc social, le reste étant aux mains de sociétés d’économie mixte (SEM). Les 30 000 logements restants par an doivent être construits par ces dernières.

[2] Il faut rappeler que plusieurs années sont ensuite nécessaires pour que ces logements financés soient achevés et donc disponibles pour des locataires (un peu plus de 3 ans en moyenne).

[3]ANRU : Agence nationale pour la rénovation urbaine. Nous parlons ici de l’offre brute de logements sociaux, puisque dans le cadre du programme ANRU, la construction d’un logement donne souvent lieu simultanément à la destruction d’un autre.

[4] Cette obligation concerne les communes de plus de 3500 habitants (1500 en Ile de France) appartenant à une agglomération de plus de 50 000 habitants (avec au moins une commune de plus de 15 000 habitants).

[5] Jusqu’à maintenant, pour les communes ne respectant pas les objectifs de constructions sociales fixés dans le cadre des plans triennaux de rattrapage, le préfet pouvait engager une procédure de constat de carence, lui permettant par la suite de majorer le prélèvement à hauteur du taux de non réalisation des objectifs. Ce prélèvement majoré pouvait ensuite être doublé jusqu’à une certaine limite. Dorénavant, le prélèvement majoré pourra être quintuplé et la limite augmente pour les communes les plus riches. Les prélèvements sont calculés via la formule suivante : nombre de logements sociaux manquants * 20% du potentiel fiscal par habitant.

[6] En 2012, sur les 1004 communes ayant moins de 20% de logements sociaux, étant donné les autres motifs d’exemption (communes en décroissance démographique ou bénéficiant de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale ou dont le prélèvement est inférieur à 3811,23 euros), seules 354 ont effectivement versé une pénalité et 190 ont été reconnues en état de carence (c’est-à-dire ne respectant pas leurs objectifs triennaux de production de logements sociaux). En plus de la majoration du prélèvement, l’état de carence conduit à un transfert du droit de préemption vers le préfet. Dorénavant, dans les communes en état de carence, tous les projets de construction de plus de 12 logements ou de plus de 800 m2 de surface devront comporter au moins 30% de logements sociaux.

[7] Cette augmentation est due à la hausse des prix fonciers et à celle du coût de production, incluant des normes plus contraignantes en termes de consommation énergétique ou d’accessibilité aux handicapés.

[8] Pour plus de détails, voir le décret n° 2013-315 du 15 avril 2013.

[9] En effet, 65 % des dépôts des livrets A doivent normalement être centralisés à la Caisse des dépôts. Comme les prêts pour le logement social et la politique de la ville doivent être couverts à 125 % par les dépôts centralisés du livret A, du LDD et du LEP, les prêts au secteur social ne peuvent excéder un peu plus de la moitié des dépôts des livrets A.

[10] Il s’agit de la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC), instaurée en 1953 et désignée sous le terme de “1% logement”, avant d’être renommée en 2009 “Action logement”.

[11] D’après les comptes du logement, l’ensemble des avantages pour le logement social (aides à la pierre, avantages de taux, avantages fiscaux) a ainsi représenté près de 8 milliards d’euros en 2011 pour les finances publiques (Etat et collectivités locales).

[12] Action logement va pour cela emprunter 1 milliard d’euros par an à la Caisse des dépôts pendant trois ans (gagé sur son patrimoine).




Des toits ou des plafonds ?

par Philippe Weil

Le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové prévoit d’encadrer les loyers «principalement dans les agglomérations où existe un fort déséquilibre entre l’offre et la demande de logements et où les loyers ont connu la progression la plus forte au cours des dernières années ».  Les loyers dépassant de plus de 20 % un loyer médian, fixé par quartier et type de logement,  « auront vocation à être abaissés ». L’objectif de ce plafonnement est certes louable puisqu’il « vise à combattre la crise du logement, marquée depuis de nombreuses années par une forte augmentation des prix, une pénurie de logements et une baisse du pouvoir d’achat des ménages ». L’enfer est hélas pavé de bonnes intentions car les plafonds d’aujourd’hui détruisent bien souvent les toits de demain :

  • Le plafonnement des loyers […] entraîne une répartition aléatoire et arbitraire des logements et rend leur utilisation inefficace. Il retarde la construction de nouveaux logements et prolonge indéfiniment le plafonnement des loyers, ou déprime la construction future en subventionnant aujourd’hui la construction résidentielle. Un rationnement formel des logements par les autorités publiques aurait des effets sans doute pire encore.

S’opposer au plafonnement des loyers ne signifie pas cependant se résoudre aux inégalités qui se manifestent en matière de logement :

  • Le constat que, dans des conditions de marché, ceux qui ont des revenus ou patrimoines plus élevés occupent de meilleurs logements est plutôt une raison de prendre des mesures de long terme pour réduire les inégalités de revenus et de richesse. Pour ceux qui, comme nous, voudraient encore plus d’égalité qu’aujourd’hui – en matière de logement comme pour tous les produits –, il est certainement préférable d’attaquer directement à leur source les inégalités existantes de revenu et de richesse plutôt que de rationner chacun des centaines des produits et services qui déterminent notre niveau de vie. Permettre aux individus de recevoir des revenus monétaires inégaux puis prendre des mesures complexes et coûteuses afin de les empêcher d’en bénéficier est le comble de la folie.

Les auteurs de ces deux citations, qui nous enjoignent de laisser le système de prix libre d’allouer aux locataires les logements disponibles tout en préconisant d’attaquer à leur source les inégalités de revenu et de richesse, ne sont autres que Milton Friedman et George Stigler – les deux fondateurs de l’école de Chicago. Le titre de ce billet est emprunté – qu’ils me le pardonnent – à leur article de 1946 « Roofs or Ceilings : the Current Housing Problem ».[1]

Le projet de loi Duflot envisage un mécanisme d’encadrement des loyers bien plus sophistiqué que celui que dénonçaient Friedman et Stigler il y a près de soixante-dix ans. Ses effets sur le parc immobilier français pourront être évalués dans quelques années mais la littérature économique récente nous prévient que les mécanismes de contrôle des loyers dits de « seconde génération » ont des effets souvent ambigus[2] – pas toujours négatifs mais pas obligatoirement positifs[3]. On peut regretter, dans ces conditions, qu’une expérimentation préalable, que la prudence exigerait, ne soit pas envisagée dans certaines villes choisies aléatoirement. L’urgence politique plaide certes contre les retards qu’elle entraînerait mais, en économie comme en médecine, il convient de s’assurer qu’on ne tue pas le patient en tentant de le guérir.

Reste, pour finir, l’avertissement de Friedman et Stigler : les inégalités de revenus et de patrimoine doivent être attaquées à leur source et pas dans leurs manifestations.

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[1] Foundation for Economic Education, Irvington-on-Hudson, NY.

[2] Cf., par exemple, The Economics and Law of Rent Control, par Kaushik Basu et Patrick Emerson, Banque mondiale, 1998.

[3] Le lecteur pourra consulter Le Bayon, Madec et Rifflart (2013) pour une évaluation de la régulation du marché locatif français.

 




Donations financières : quand les inégalités se transmettent aussi …

par Sabine Le Bayon, Sandrine Levasseur et Pierre Madec

En France, les transmissions intergénérationnelles, qu’elles soient sous forme d’héritages ou de donations, sont au cœur d’un débat idéologique ancien. Les défenseurs du droit à transmettre et des solidarités intergénérationnelles se voient opposer les critiques dénonçant là un vecteur important de reproduction des inégalités sociales et patrimoniales. Alors que la part des ménages français percevant un héritage a diminué au cours de la dernière décennie, le nombre de ménages  percevant des donations, notamment sous forme financière[1] a augmenté durant la même période. Ainsi, en 2010, près d’un ménage sur cinq déclarait avoir reçu une donation au cours de sa vie, soit 30 % de plus qu’en 2004. Quels rôles jouent réellement ces transferts financiers dans la transmission des inégalités ? Quels impacts ont-ils sur la constitution du patrimoine ?

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Donations versus aides financières

Les donations (financières) ne doivent pas être confondues avec les aides (financières).Tous deux transferts entre vifs, les donations s’entendent comme un transfert de patrimoine tandis que les aides constituent davantage un transfert de ressources. De ce fait, le montant des aides doit rester modéré et proportionnel soit à l’état de fortune du ménage apportant l’aide, soit à l’état de besoin du ménage la recevant. Les donations quant à elles concernent des montants plus importants, et peuvent être soumises à la fiscalité relative aux successions. Ainsi, bien que les donations en ligne directe (de parents à enfants) inférieures à 100 000 euros ne soient pas fiscalisées, les donations d’un montant supérieur, contrairement aux aides, le sont. Ce « droit  à abattement » est depuis la mi-2012 renouvelable tous les 15 ans contre 10 ans et  un montant de 150 000€ auparavant.

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Pour mesurer le rôle de ces transferts, notamment en termes de transmission des inégalités, de nombreuses études ont analysé le profil des ménages donateurs (voir par exemple : Cordier, Houdré et Ruiz, 2007 ; Arrondel et Masson, 2010, Garbinti, Lamarche et Salambier, 2012). Ainsi, Cordier et al. (2007) montrent que les ménages possédant un patrimoine important (supérieur à 200 000€) et ceux ayant eux-mêmes bénéficié d’un transfert (héritage et/ou donation) de leurs ascendants ont une probabilité plus élevée de transmettre que les autres catégories de ménages.

Ces résultats semblent assez logiques. Avant de transmettre, il faut avoir accumulé assez de patrimoine et c’est le cas des ménages décrits ci-dessus. Pour autant, ces études, si elles répondent à la question « Qui aide ? », ne répondent que très rarement à la question « Qui est aidé ? ». Or, pour conclure à un impact positif des transferts intergénérationnels sur la transmission des inégalités sociales ou patrimoniales, il est important de connaître le profil des « aidants» mais aussi des « aidés ».

Dans un article de la Revue de l’OFCE n° 129, « Ville et Logement » (Le Bayon, Levasseur et Madec, 2013), nous étudions non pas les ménages donateurs mais donataires, c’est-à-dire les ménages qui ont perçu des donations, en nous focalisant spécialement sur ceux ayant reçu une donation financière « récemment » (i.e. entre 2006 et 2009).

Le graphiques 1 présente une partie de nos résultats[2].

Sans surprise, il apparaît tout d’abord une corrélation très négative entre l’âge et la probabilité d’avoir perçu une donation financière ; cette probabilité étant au minimum divisée par deux entre les ménages ayant moins de 30 ans et les autres.

Concernant les catégories socio-professionnelles, une forte inégalité se dessine. Ainsi, en écartant de l’analyse les artisans et commerçants dont les caractéristiques sont assez hétérogènes, il ressort que les ouvriers (respectivement les inactifs[3]) ont deux fois (resp. dix fois) moins de chance d’avoir perçu une donation que les autres catégories étudiées.

L’analyse du niveau de vie des donataires ne fait qu’étayer ce résultat. En effet, il apparaît que les 10 % les plus riches ont deux fois plus de chances d’avoir reçu une donation financière au cours des 5 dernières années que les 25 % les plus pauvres. Le montant des donations reçues est aussi très différent selon que le ménage donataire appartient aux 25 % les plus pauvres ou aux 10 % les plus riches (voir tableau ci-dessous). En moyenne, le quart le plus riche des ménages perçoit des donations financières d’un montant 40 % supérieur à celui reçu par les autres ménages. De même, si l’on s’intéresse à la distribution des montants perçus, les ménages modestes les « mieux lotis », c’est-à-dire ceux percevant les donations les plus importantes, reçoivent en réalité autant (environ 12 000€) que les ménages très aisés (9e décile) les moins bien lotis.

Les donations financières sont donc principalement versées et reçues par des ménages au niveau de vie élevé. Elles constituent de ce fait un vecteur important de transmission des inégalités sociales.

 

Enfin, au vu des résultats fournis dans le graphique sur le statut d’occupation, il semble que celui-ci joue un rôle important sur la probabilité d’avoir perçu une donation financière : un locataire a 9 % de chance d’avoir perçu une donation lorsqu’un acquéreur récent[4] en a 23 %. La causalité entre les deux variables est délicate à établir. En effet, la donation peut soit déclencher l’achat d’un logement soit résulter d’une décision d’achat. Pour autant, indépendamment de toute causalité, ces résultats nous renseignent sur la corrélation positive qui existe, intrinsèquement, entre acquisition et perception d’une donation. Toutes choses égales par ailleurs, le fait d’avoir acquis récemment sa résidence principale multiplie par plus de deux la probabilité d’avoir perçu récemment une donation financière.

A l’inverse, le graphique 2 nous renseigne sur l’impact de la perception d’une donation sur la probabilité d’acquisition. C’est-à-dire qu’une fois établi le fait que les acquéreurs récents ont plus de chance d’avoir reçu une donation que les autres catégories de ménages, on s’interroge ici pour savoir si indépendamment des autres caractéristiques du ménage (âge, type de ménages, localisation, revenu, …) un ménage ayant perçu une donation voit augmenter ses chances d’acquérir sa résidence principale, et si oui, dans quelles proportions .

Clairement, la perception récente, par un ménage, d’une donation financière augmente significativement ses chances d’avoir acquis sa résidence principale, et ce quel que soit le montant de ladite donation. Ainsi, lorsqu’un ménage n’ayant pas perçu de donation a 40 % de chance d’être acquéreur récent, le même ménage voit son pourcentage de chance atteindre au moins 70 % s’il est donataire. Les transmissions intergénérationnelles, financières, par la liquidité immédiate qu’elles procurent à leurs bénéficiaires et parce qu’elles sont mobilisables à la discrétion du donateur et en fonction des besoins du donataire, exercent un impact positif sur l’achat de la résidence principale du donataire.

En outre, notons que les donations financières ne sont pas nécessairement d’un montant très élevé puisque la médiane s’élève à 12 000 euros[5]. Ainsi on devine que, dans certains cas, la donation financière, plutôt que de financer l’achat stricto sensu, permet de constituer un (petit) apport personnel ou, plus simplement, de payer les frais afférents à l’acquisition (frais de notaire ou frais d’agence par exemple). Toujours est-il que même ce « petit coup de pouce » augmente fortement la probabilité d’être acquéreur de sa résidence principale. Ces « petits coups de pouce », et a fortiori les « gros coups de pouce », constituent donc un double vecteur de transmission et de reproduction des inégalités patrimoniales, en facilitant aussi l’acquisition de la résidence principale.


[1] Voir l’encadré pour la définition d’une donation financière.

[2] Les probabilités ci-dessous résultent d’une régression logistique et sont donc à interpréter « toutes choses égales par ailleurs ». Le type de ménage (célibataire, en couple avec/sans enfants …) y est également contrôlé.

[3] Les inactifs sont les ménages dont la personne de référence n’est ni en emploi (au sens du BIT) ni au chômage ni étudiant : retraités, hommes et femmes au foyer, personnes en incapacité de travailler,…

[4] Un ménage est dit acquéreur « récent » lorsqu’il a acheté sa résidence principale entre 2006 et 2009, dernière année de données disponibles dans l’enquête Patrimoine que nous utilisons.

[5] C’est-à-dire que 50 % des ménages ayant reçu une donation financière ont reçu une donation inférieure à 12 000 euros, et les 50 % restants ont reçu une donation supérieure à 12 000 euros. Voir aussi le tableau (dans le corps du texte) pour davantage de données chiffrées sur les donations financières.

 

 




Politique monétaire et boom immobilier : comment gérer l’hétérogénéité dans la zone euro ?

par Christophe Blot et Fabien Labondance

La transmission de la politique monétaire à l’activité économique et à l’inflation repose sur différents canaux dont le rôle et l’importance dépendent crucialement des caractéristiques structurelles des économies. La dynamique du crédit et des prix immobiliers est au cœur de ce processus. Dans la zone euro, les sources d’hétérogénéité entre pays sont multiplées, ce qui pose la question de l’efficacité de la politique monétaire mais aussi celle des moyens à mettre en œuvre pour atténuer cette hétérogénéité.

Les sources d’hétérogénéité entre les pays peuvent résulter du degré de concentration des systèmes bancaires (i.e. plus ou moins de banques et donc plus ou moins de concurrence), du mode de financement (i.e. à taux fixe ou à taux variable), de la maturité des prêts aux ménages, de leur niveau d’endettement, de la proportion de ménages locataires ainsi que des coûts de transaction sur le marché immobilier. La part des prêts effectués à taux variable reflète parfaitement ces hétérogénéités puisqu’elle s’élève à 91 % en Espagne, 67 % en Irlande et à 15 % en Allemagne. Dans ces conditions, la politique monétaire commune menée par la Banque centrale européenne (BCE) a des effets asymétriques sur les pays de la zone euro, comme en témoigne l’évolution divergente des prix de l’immobilier dans ces pays. Ces asymétries se répercutent ensuite sur l’évolution du PIB, un phénomène que l’on a observé aussi bien « avant » que « depuis » la crise. Ces questions font l’objet d’un article que nous avons publié dans le volume Ville et Logement de la Revue de l’OFCE. Nous évaluons l’hétérogénéité de la transmission de la politique monétaire vers les prix immobiliers dans la zone euro en distinguant explicitement deux étapes du canal de transmission, chaque étape pouvant refléter différentes sources d’hétérogénéité. La première permet de décrire la répercussion du taux d’intérêt contrôlé par la BCE sur les taux appliqués par les banques de chaque pays de la zone euro aux crédits immobiliers. La deuxième étape illustre les effets différenciés de ces taux bancaires sur les prix immobiliers.

Nos résultats confirment l’existence d’une transmission hétérogène de la politique monétaire dans la zone euro. Ainsi, pour un taux directeur constant fixé par la BCE à 2 %, comme cela était le cas entre 2003 et 2005, les estimations réalisées sur la période précédant la crise suggèrent que le taux d’équilibre de long terme appliqué respectivement par les banques espagnoles et irlandaises serait de 3,2 % et 3,3 %. Comparativement, le taux équivalent en Allemagne serait de 4,3 %. En outre, l’inflation plus élevée en Espagne et en Irlande amplifierait cet écart de taux nominal. Nous montrons ensuite que la répercussion des variations du taux directeur de la BCE sur les taux bancaires est, avant la crise, plus forte en Espagne ou en Irlande qu’elle ne l’est en Allemagne (graphique), ce qui renvoie aux différences observées sur la part des prêts effectués à taux variable dans ces différents pays Il faut noter qu’avec la crise, la transmission de la politique monétaire a été fortement perturbée. Les banques n’ont pas forcément ajusté l’offre et la demande de crédit en modifiant les taux mais en durcissant les conditions d’octroi des crédits[1]. Par ailleurs, les estimations portant sur la relation entre les taux appliqués par les banques et les prix immobiliers suggèrent une forte hétérogénéité à l’intérieur de la zone euro. Ces différents résultats permettent donc de comprendre, au moins partiellement, les divergences observées sur les prix immobiliers dans la zone euro. La période au cours de laquelle le taux fixé par la BCE était bas aurait contribué au boom immobilier en Espagne et en Irlande. Puis, le durcissement de la politique monétaire, décidé après 2005, expliquerait également l’ajustement plus rapide des prix immobiliers observé dans ces deux pays. Nos estimations suggèrent également que les prix immobiliers dans ces deux pays sont aussi très sensibles aux évolutions de la croissance économique et démographique. Les cycles immobiliers ne peuvent donc pas se réduire à l’effet de la politique monétaire.

Dans la mesure où la crise récente trouve sa source dans les déséquilibres macroéconomiques qui se sont développés dans la zone euro, il est essentiel pour le bon fonctionnement de l’Union européenne de réduire les sources d’hétérogénéités entre les Etats membres. Pour autant, ceci n’est pas forcément du ressort de la politique monétaire. D’une part, il n’est pas certain que l’instrument de politique monétaire, le taux d’intérêt de court terme, soit l’outil adapté pour freiner le développement de bulles financières. D’autre part, la BCE conduit la politique monétaire pour l’ensemble de la zone euro en fixant un taux d’intérêt unique, ce qui ne lui permet pas de tenir compte des hétérogénéités qui caractérisent l’Union. Il  faut plutôt encourager la convergence des systèmes bancaire et financier. A cet égard, bien qu’elle soulève encore de nombreux problèmes (voir Maylis Avaro et Henri Sterdyniak), le projet d’union bancaire peut contribuer à réduire l’hétérogénéité. Un autre moyen efficace de réduire l’asymétrie de la transmission de la politique monétaire réside dans la mise en œuvre d’une politique prudentielle centralisée dont la BCE pourrait être en charge. De cette façon, il serait possible de renforcer la résilience du système financier en adoptant notamment une régulation du crédit bancaire qui pourrait tenir compte de la situation prévalant dans chaque pays afin d’éviter le développement de bulles qui font peser une menace pour les pays et pour la stabilité de l’union monétaire (voir le rapport du CAE n°96 pour plus de détails).


[1] Kremp et Sevestre (2012) mettent en avant le fait que la réduction des volumes de prêts ne provient pas uniquement d’un rationnement de l’offre de crédit mais que le climat récessif a également entraîné une baisse de la demande.

 




Ville et logement : les nouveaux défis

par Sabine Le Bayon, Sandrine Levasseur et Christine Rifflart

Le marché de l’immobilier résidentiel n’est pas un marché comme un autre. Parce que l’accès au logement est un droit et que les inégalités face au logement sont croissantes, le rôle des pouvoirs publics est crucial pour mieux réguler le fonctionnement de ce marché. La France bénéficie d’un parc social important. Faut-il l’étendre davantage ? Peut-on lui attribuer un rôle régulateur dans le fonctionnement global du marché immobilier résidentiel ? Faut-il s’inspirer des modèles de logement social de nos voisins, en premier lieu néerlandais et britannique ? Sur le marché privé, le renchérissement des prix à l’acquisition et des loyers illustre l’insuffisance de l’offre de logements dans les zones les plus attractives du territoire. A l’échelle individuelle, c’est le parcours résidentiel qui perd en fluidité : il est difficile de déménager pour avoir un logement adapté aux besoins  professionnels ou familiaux. Il faut donc mettre en place des politiques adaptées qui améliorent la mobilité résidentielle et qui réduisent les déséquilibres en stimulant l’offre de nouveaux logements.

Le logement est aussi partie intégrante de notre paysage, urbain et rural. Il dessine notre ville d’aujourd’hui mais aussi de demain. Les engagements pris dans le cadre du Grenelle de l’environnement obligent à opérer une véritable révolution, dans l’utilisation du foncier mais aussi dans les nouvelles normes techniques de construction. Pour construire « davantage de m2 » de logement, faut-il mobiliser davantage de foncier non bâti ou faut-il densifier le foncier déjà bâti ? Comment rénover et financer la rénovation d’un parc de logement devenu obsolète au regard des normes énergétiques ?

C’est à ces multiples enjeux que tentent de répondre les contributions rassemblées dans le nouvel ouvrage “Ville et Logement” de la série Débats et politiques de la Revue de l’OFCE sous la direction de Sabine Le Bayon, Sandrine Levasseur et Christine Rifflart. De par la diversité des horizons (chercheurs mais aussi acteurs du monde institutionnel) et des champs disciplinaires (économie, sociologie, science politique, urbanisme) des auteurs, cette revue vise à enrichir la connaissance des problématiques liées au logement et à la ville.

 




“Prêt à taux zéro” : ne prête-t-on qu’aux riches ?

par Pierre Madec

Le 1er janvier 2013 est entrée en vigueur une nouvelle version du prêt à taux zéro (PTZ). Cette dernière, plus restrictive que les précédentes, abaisse les plafonds d’éligibilité et renforce son ciblage sur les logements neufs (et l’ancien HLM). Nous revenons ici sur les possibles conséquences de cette mesure.

Compte tenu des fortes tensions présentes sur le marché locatif (Le Bayon, Madec et Rifflart, 2013), l’objectif de faciliter l’accès à la propriété des primo-accédants avec peu d’apport est louable. Pour autant certaines questions méritent d’être posées : les ménages les plus modestes en sont-ils les premiers bénéficiaires ? Le PTZ déclenche-t-il l’achat de la première résidence principale (effet incitatif) ou ne fait-il que l’accompagner (effet d’aubaine) ? La mise en place du PTZ et sa pérennisation ont-ils permis de développer significativement l’offre sur le marché immobilier neuf ? Le coût budgétaire qu’engendre une telle mesure est-il efficace au vu de l’ensemble des résultats ?

Mis en place en 1995 pour faciliter l’accès à la propriété des ménages les plus modestes, le prêt à taux zéro a, depuis lors, évolué au gré des contraintes budgétaires et des décisions politiques. En 2005, le dispositif, jusque-là réservé à l’achat d’un logement neuf (ou d’un logement ancien sujet à des travaux importants), a été étendu à l’acquisition de logements anciens sans condition de travaux, afin notamment d’accroître l’accession à la propriété dans les zones en pénurie de foncier (Paris notamment). Cette décision a permis de doubler le nombre de PTZ accordés en 2005. De même, en 2011, la suppression des plafonds d’éligibilité a permis au dispositif de battre un record avec près de 352 000 PTZ accordés. Sur fond de crise budgétaire et immobilière, la réapparition, en 2012, des plafonds de ressources et la disparition des logements anciens (hors HLM) de la liste d’éligibilité du dispositif ont ramené le nombre de PTZ à un niveau historiquement faible (64 000).

Sur le papier, le principe de cette « avance remboursable ne portant pas intérêt » est simple : en contrepartie de l’accord d’un prêt à taux d’intérêt nul, les banques bénéficient d’un crédit d’impôt du montant des intérêts non perçus. Ce prêt, limité à une certaine quotité de financement[1], doit obligatoirement être adossé à un prêt principal et peut alors être assimilé à un apport personnel lors de l’acquisition de la résidence principale et donc lors de l’octroi du prêt principal.

Dans les faits, le calcul du montant du PTZ accordé est complexe puisqu’y interviennent des plafonds de ressources et des montants de transaction, qui dépendent de la zone géographique ainsi que des quotités de financement. De même, les modalités de remboursement (durée et différé de remboursement) sont définies selon l’appartenance à une « tranche de remboursement », tranches calculées en fonction des ressources et de la composition du ménage.

Le PTZ dynamise-t-il l’offre de logement sur le marché immobilier neuf ?

L’un des objectifs affichés lors de la création du dispositif était de soutenir et de dynamiser un marché immobilier neuf atone. Dans les faits, l’impact du PTZ sur le marché de la construction est assez difficile à établir. En observant l’évolution du nombre de logements construits avant et après la mise en place du PTZ (graphique 1), il ne semble pas que les 150 000 PTZ accordés en 1996 aient eu un impact significatif sur le volume de logements neufs construits. De cette rapide observation semble émerger l’idée que même sans dispositif, compte tenu du contexte économique plutôt clément, le marché immobilier aurait été tout aussi dynamique. De même, la croissance observée du marché immobilier neuf sur la période 1999-2007 n’est pas imputable au dispositif d’aide à l’accession[2].

Selon les dernières statistiques disponibles (SGFGAS 2012), à l’image des dispositifs d’incitation à l’investissement locatif (Madec 2013, Levasseur 2011), le zonage établi lors de la mise en place du PTZ a bien du mal à diriger les investissements vers les territoires les plus tendus. Ainsi, au 3e trimestre 2012, plus de la moitié des PTZ distribués l’ont été pour des acquisitions en zone C, c’est-à-dire la zone la moins sujette aux tensions du marché (contre 15 % pour la zone A[3]). Ceci s’explique en grande partie par l’extrême rareté (et cherté) du foncier en zone A et B. C’est dans le but d’en finir avec cette forme de discrimination territoriale qu’en 2005 le dispositif a été ouvert à l’ancien. Sur la période 2005-2011, plus d’un million de PTZ ont ainsi été accordés pour l’acquisition d’un logement ancien, trahissant par là-même l’un des objectifs initiaux du dispositif.

Enfin, malgré une volonté affichée de promouvoir les logements à haute qualité environnementale, en proposant notamment des quotités de financement supérieures pour les logements de type BBC[4], le PTZ n’a que peu participé à la construction de logements économes en énergie puisque qu’au 3e trimestre 2012, deux tiers des prêts accordés l’ont été pour l’achat de logement ne respectant pas la norme BBC.

 

 

Le PTZ facilite-t- il l’accession à la propriété des ménages les plus modestes ?

L’une des principales critiques adressée au PTZ est la piètre qualité de son ciblage. Alors que le but d’un tel dispositif était de solvabiliser les ménages les plus en difficulté en finançant, sur des deniers publics, un équivalent d’apport personnel, l’existence de plafonds de ressources particulièrement élevés (quand ces derniers ne sont pas tout bonnement supprimés comme en 2011) a rendu éligibles des ménages n’ayant pas à priori besoin de l’Etat pour accéder à la propriété. A titre d’exemple, le plafond d’éligibilité était en 2012 de 43 500 euros annuel pour une personne seule souhaitant acquérir une résidence principale en zone A. Ce plafond rendait alors 90 % des ménages franciliens éligibles au PTZ (source INSEE)[5].

Par ailleurs, de nombreuses études ont cherché à mesurer l’impact du PTZ sur les capacités de financement des ménages (ANIL 2011, Beaubrun-Diant 2011, Gobillon et Le Blanc 2005, Thomas et Grillon 2001). Gobillon et al. ont ainsi conclu que le PTZ n’était « déclencheur d’achat » que pour 15 % des ménages acquéreurs. Autrement dit, selon la modélisation proposée par les auteurs, 85 % des ménages auraient accédé à la propriété avec ou sans PTZ. De même, les études récentes portant sur le profil des accédants à la propriété (Le Bayon, Levasseur et Madec 2013, Babès Bigot Hoibian 2012, INSEE 2010) mettent en exergue les difficultés croissantes d’accession à la propriété des ménages les plus modestes. Ainsi, selon Le Bayon et al., les ménages appartenant au 1er quartile de niveau de vie, ménage visés par les dispositifs d’aide à l’accession, voient leur probabilité d’acquérir leur résidence principale divisée par deux entre 2004 et 2010. Il semble donc, au vu de ces divers résultats, que le PTZ ait bien du mal, en tout cas dans ces versions précédentes, à jouer son rôle solvabilisateur pour les ménages à faibles revenus. Cette conclusion peut tout de même être en partie relativisée lorsque l’on observe les dernières statistiques fournies par la SGFGAS. Ainsi, selon ces données, les ouvriers et employés ont représenté respectivement 25 % et 33 % des bénéficiaires de PTZ au 3e trimestre 2012. De même, un bénéficiaire sur trois appartenait à la première « tranche de remboursement ». Pour autant, le calcul de ces tranches prenant en compte des plafonds de ressources particulièrement élevés, l’appartenance à la première tranche de remboursement ne peut être assimilée à un «critère de pauvreté ».

Enfin, en augmentant la demande sur un marché immobilier neuf dont l’élasticité de l’offre est faible et en permettant à nombre de ménages d’acquérir des logements plus onéreux, les dispositifs d’aide à l’accession se voient, depuis longtemps, reprocher leurs effets inflationnistes (ANIL, 2002).

 

Le PTZ : combien ça coûte ?

Pour 2012, le coût pour l’Etat du seul PTZ a été de 1,34 milliard d’euros. Compte tenu du nombre de bénéficiaires, ce coût peut paraître élevé, mais il se doit d’être, comme tous les dispositifs d’aides publiques, analysé en termes d’efficacité.

Une évaluation rapide permet de calculer l’impact du PTZ sur l’investissement en logements. Pour estimer l’effet multiplicateur du dispositif PTZ en 2012, nous nous appuyons sur les dernières statistiques disponibles (SGFGAS 2012) et sur les hypothèses suivantes[6] :

  • – 50 % des bénéficiaires appartenant à la « Tranche 1 » de remboursement sont des ménages dits « déclenchés » (soit 15 % de l’ensemble des bénéficiaires) ;
  • – Les ménages « non déclenchés » augmentent, grâce au PTZ, le montant de leur achat de 3 % ;

 

 

Au total, les PTZ de l’année 2012 ont donc, selon nos estimations et sous les hypothèses précédentes, créés près de 2 milliards d’euros d’investissement en logement pour un coût fiscal de 1,3 milliard d’euros. Le coefficient multiplicateur du dispositif a donc été de 1,5. Ce dernier est dans la fourchette basse de ceux observés dans d’autres pays avec des dispositifs similaires (1,5 à 2). Surtout, ce multiplicateur pourrait être beaucoup plus élevé si le ciblage des ménages était plus strict. En effet, pour la seule « Tranche 1 » de remboursement, sous les hypothèses précédentes et en considérant que cette tranche représente la moitié de la dépense fiscale (hypothèse généreuse), le multiplicateur atteint 2,6. On est encore loin cependant du multiplicateur théorique optimal à 6, estimé par Gobillon et Le Blanc[7].

 

Quid du PTZ version 2013 ?

Pour répondre à l’ensemble des critiques soulevées précédemment, le gouvernement a, le 1er janvier dernier, tenté d’améliorer les conditions d’accès au dispositif :

  • – réduction des plafonds d’éligibilité de 17 % (en zone A) à 30 % (en zone C) ;
  • – gel des plafonds de coûts d’opération dans le neuf et l’ancien HLM ;
  • – baisse des quotités de financement ;
  • – remise en place d’un différé de paiement pouvant aller jusqu’à 15 ans pour les ménages appartenant à la 1re tranche de remboursement.

Ces mesures vont pour la plupart d’entre elles dans le sens d’un ciblage plus juste des aides à l’accession. Cependant certaines améliorations pourraient encore être apportées. Les plafonds de ressources de la zone A concernent encore en 2013 près de 80 % des franciliens. De plus, la possibilité d’acquisition d’un ancien logement HLM, potentiellement très énergivore, semble en contradiction avec la promotion des logements neufs à haute qualité énergétique. Ne vaudrait-il pas mieux promouvoir, pour les ménages modestes en zones tendues, l’achat de logements non neufs mais récents, possédant des caractéristiques énergétiques plus proches de celle exigées pour le neuf ?

De même, le retour du principe du différé de paiement de 15 ans peut s’avérer assez critiquable. En effet, il peut contribuer à désolvabiliser une partie des ménages en réduisant la durée de leur prêt principal. Les banques, tenant compte du différé, sont incitées à aligner la durée du prêt principal sur la durée du différé pour éviter une hausse future trop importante des mensualités. A l’inverse, ce différé peut augmenter le risque de défaut, les ménages subissant, une fois le différé terminé, un ressaut de leur mensualité (Bosvieux et Vorms, 2003).

Enfin le gel des plafonds de transactions ne pourra être pérennisé compte tenu d’une part de l’écart croissant qui existe entre ces plafonds et les prix de marché, et d’autre part de la hausse continue des coûts de construction consécutive à l’inflation normative subie par le secteur.

Pour conclure, il est important de noter l’existence d’un débat sur la nécessité même de dispositif d’aide à l’accession : l’Etat doit-il inciter, aider ou financer l’accession à la propriété des ménages locataires ? A l’image des incitations fiscales à l’investissement locatif, les contribuables doivent-ils aider les ménages locataires à devenir propriétaires ? Pour les ménages les plus modestes, dans l’impossibilité matérielle de constituer un apport personnel suffisant à l’acquisition, il peut sembler légitime de penser que l’Etat est dans son rôle en aidant les plus fragiles à suivre la trajectoire résidentielle standard : décohabitation parentale, location, accès à la propriété. Pour les autres, on ne peut écarter l’existence d’effets d’aubaine importants comme souligné plus haut. Pour les éviter et améliorer la solvabilité des ménages initialement visés par le dispositif, une refonte profonde des dispositifs d’aide à l’accession (sociale ou non) est indispensable.


[1] C’est-à-dire un pourcentage plafond du montant de la transaction.

[2] Le marché du neuf a été, sur la période considérée, fortement soutenu par les dispositifs d’incitation à l’investissement locatif (voir Le Bayon et al. 2013)

[3] Paris, la petite couronne parisienne et une partie de la grande couronne.

[4] En 2012, pour les acquisitions en zone A, la quotité de financement était de 38 % pour les logements neuf BBC contre 26 % pour les non BBC.

[5] Pour un revenu annuel de 43 500 €, en supposant un taux de 3,2 %, la capacité d’emprunt s’élève en moyenne à 260 000 € (hors PTZ), soit un logement d’au moins 50m² en petite couronne parisienne (hors communes limitrophes à Paris).

[6] Ces hypothèses sont en adéquation avec les résultats de la modélisation proposée par Gobillon et Le Blanc (2005). Ces derniers obtiennent un effet multiplicateur du PTZ de l’ordre de 1,1 à 1,3.

[7] Ce multiplicateur a été estimé en supposant un ciblage parfait du dispositif, c’est-à-dire que l’intégralité des bénéficiaires sont des ménages « déclenchés ».




Augmenter les aides au logement : une fausse bonne idée ?

par Pierre Madec

Inscrite dans le projet de Loi de finances pour 2013, l’augmentation de 500 millions d’euros des aides personnelles au logement (APL, ALS et ALF[1]) a été adoptée par le Parlement et est entrée en vigueur au 1er Janvier 2013. Cette augmentation de 3 % porte le montant prévisionnel consacré aux aides personnelles au logement à 17,3 milliards d’euros pour l’année à venir.

Dans les faits, depuis 2007, les aides personnelles au logement sont indexées sur l’indice de référence des loyers (IRL). En 2012, ces dernières n’ont été revalorisées que de 1 % (au lieu de 1,9%) à la suite d’un amendement parlementaire au projet de Loi de finances pour 2012. Cette augmentation de 500 millions d’euros n’est donc que le retour à l’indexation prévue par la loi.

 

Principal poste budgétaire de la politique du logement, les aides à la personne sont perçues par 6,4 millions de ménages (CAF 2012) et constituent, compte tenu de leur ciblage sur les ménages modestes, l’une des prestations sociales les plus redistributives. De plus, leur impact sur le taux d’effort des ménages n’est plus à prouver[2]. Selon un récent rapport de l’IGAS (2012), elles permettent à elle seules de réduire de 35,8 % à 19,5 % (hors charges) le taux d’effort médian des allocataires et de faire baisser de 3 points leur taux de pauvreté[3].

Pour autant, cette efficacité s’effrite peu à peu. En 2012, 86,3 % des locataires du parc privé avaient un loyer supérieur aux plafonds définis par la loi. Cette dynamique est ancienne et est principalement due aux importantes hausses successives qu’ont connues les loyers du secteur libre depuis maintenant plus de 10 ans (+40 % depuis 2000). Hausses largement déconnectées de l’évolution de l’indice légal sur la période (inférieure à 25 %) et qui, au vu de la faiblesse des plafonds réglementaires de loyers, sont intégralement supportées par les locataires.

Depuis le 1er Août 2012 et l’entrée en vigueur du décret sur l’encadrement des loyers, la loi ne permet plus aux propriétaires-bailleurs, dans les zones les plus tendues[4], de faire évoluer leur loyer d’une proportion supérieure à l’IRL (sauf gros travaux ou sous évaluation manifeste)[5]. Cette mesure en faveur des locataires a pour principal objectif de contenir la progression du taux d’effort des ménages locataires du secteur libre. En 2010, le taux d’effort net médian (hors charges) des locataires du parc privé était de 26,9 % contre 22,8 % en 1996[6].

Pour autant, le décret n’exigeant pas de « blocage » des loyers, les ménages voient tout de même leur loyer et donc leur taux d’effort augmenter, leur revenu (et jusqu’à présent leurs aides) n’étant pas (plus) indexé(s) sur l’IRL.

L’augmentation de 3 % des aides au logement associée à la mesure d’encadrement permettra donc au mieux de ramener le taux d’effort des ménages allocataires à un niveau proche de celui de 2011.

Pour autant, la simple indexation suffira-t-elle à améliorer la situation très dégradée des ménages les plus fragiles ? Pour cela, il faudrait que la hausse des loyers soit inférieure à la hausse de l’indice légal ce qui, compte tenu des « effets secondaires » engendrés par les mesures d’encadrement et de hausse des allocations, est peu probable.

Pour ce qui est de l’encadrement, les propriétaires n’étant plus en capacité d’augmenter librement leur loyer lors de la relocation, et donc de rattraper à ce moment-là les prix du marché, ils seront fortement incités à appliquer à leurs loyers une augmentation annuelle égale à l’IRL et ce aussi bien en cours de bail que lors du renouvellement de bail[7]. De plus, concernant l’augmentation des aides personnelles au logement, de nombreuses études, théoriques et empiriques, menées tant en France (G. Fack, 2005 ; A. Laferrère et D. Le Blanc, 2002) qu’aux Etats-Unis (S. Susin, 2002) ou en Angleterre (S. Gibbons et A. Manning, 2006), ont montré l’important effet inflationniste d’une telle mesure sur les loyers. Bien que difficilement chiffrable, cet effet significatif semble agir à deux niveaux distincts. Les estimations suggèrent dans un premier temps qu’une grande partie (entre 50 et 80 % selon Fack) des allocations perçues par les bas revenus est absorbée par des augmentations de loyers. Dans un second temps, l’amélioration de la solvabilité des ménages les plus modestes (étudiants, …) augmente la demande sur le marché locatif et, compte tenu de la faible élasticité de l’offre de logement à court terme, contribue à l’effet inflationniste. On peut tout de même noter que cet effet peut être fortement atténué par une politique de construction ambitieuse, et donc une augmentation importante de l’offre locative, notamment sociale.

A partir de ces observations, deux enseignements peuvent être tirés de la mesure d’augmentation des aides au logement et de leur future ré-indexation sur l’indice de référence des loyers : d’une part cela permettra, associé à la mesure d’encadrement des loyers, de contenir le taux d’effort des ménages les plus modestes à un niveau proche de celui de 2011 ; d’autre part, cette mesure, coûteuse à moyen comme à long terme (l’indexation augmentera automatiquement, chaque année, de l’IRL le montant global des aides), ne permettra en aucun cas d’alléger significativement les dépenses en logements des allocataires les plus fragiles, et ce d’autant plus si cette augmentation, et l’indexation future, ne prennent pas en compte l’évolution des charges locatives.

Une fois ces résultats établis, une question se pose : que faire ? Différentes solutions s’offrent aux pouvoirs publics. La première est de considérer que le taux d’effort des ménages est (une fois cette ré-indexation effectuée) à un niveau supportable, que les loyers maintenant encadrés le sont aussi, et que l’Etat est en capacité de compenser chaque année, à hauteur de 300 millions d’euros[8], la hausse probable des loyers. Compte tenu d’une part des difficultés budgétaires que connaissent les finances publiques et d’autre part des taux d’effort subis par certains des ménages locataires les plus modestes, il est difficile de considérer cette solution comme optimale.

Dans le cas où la volonté du gouvernement est de faire baisser le taux d’effort des ménages modestes, nous avons montré que la simple indexation ne suffirait pas. Une fois de plus, on peut penser qu’au vu de la situation budgétaire, la hausse du budget global consacré aux aides à la personne ne constitue pas, à court terme, une réponse acceptable pour les pouvoirs publics. De même, un encadrement plus strict des loyers  (voire un « blocage » temporaire) serait perçu, à tort ou à raison, de manière très négative par les propriétaires-bailleurs.

Une solution réside donc dans un ciblage plus strict des aides. En effet, à enveloppe budgétaire constante, l’exclusion d’un certain nombre de bénéficiaires du système d’allocation (baisse des plafonds de ressources, modification du calcul de la participation personnelle, …) permettrait d’orienter  plus efficacement les aides vers les ménages les plus fragiles, qui subissaient, en 2010, un taux d’effort net médian de 33,6 %[9]. On peut ainsi penser que, pour les étudiants, un rapprochement des systèmes de bourses d’études et d’allocations logements pourrait être opéré. Actuellement, les seules ressources prises en compte dans le calcul de l’allocation sont celles du futur bénéficiaire. Cette politique à priori très égalitaire (elle rend tous les étudiants-locataires potentiellement indépendants de leurs parents) peut s’avérer assez critiquable. La prise en compte de l’appartenance ou non du bénéficiaire au foyer fiscal parental, comme c’est aujourd’hui le cas pour le système des bourses, pourrait permettre une répartition des aides plus juste socialement. De même, une différentiation des aides en fonction des zones géographiques, et donc des loyers pratiqués, pourrait être envisagée.

 


[1] L’APL désigne l’aide personnalisée au logement, l’ALS l’allocation de logement social et l’ALF l’allocation de logement familiale.

[2] Le taux d’effort est défini comme le rapport entre les dépenses en logement (loyers+charges) et le revenu du ménage. On parle de taux d’effort net lorsque l’on ajoute au revenu les aides au logement perçues.

[3] Cette réduction du taux de pauvreté peut être comparée à la diminution de 2 points engendrée par la perception de minima sociaux ou des autres prestations familiales perçues sans condition de ressources.

[4] C’est-à-dire les zones où l’offre de logement est la plus faible et donc les loyers et les taux d’effort des ménages les plus élevés.

[5] Voir S. Le Bayon, P. Madec et C. Rifflart, blog de l’OFCE, 2012

[6] Source Enquête Loyer et Charge, INSEE

[7] Voir S. Le Bayon, P. Madec et C. Rifflart, à paraître dans la Revue de l’OFCE, n°128, 2013.

[8] Hausse du montant global des aides au logement prévue pour 2014 si l’IRL est d’environ 1,7 % (estimation basse).

[9] Taux d’effort net médian en 2010 des locataires du secteur privé appartenant au 1er quartile de niveau de vie (source INSEE).




Investissement locatif Scellier-Duflot, même combat ?

Par Pierre Madec

Depuis 20 ans, le marché immobilier neuf se trouve sous perfusion publique. La part des investisseurs privés dans les ventes de logements neufs des promoteurs n’a cessé d’augmenter pour atteindre en 2010 près de 70 %[1]. Cette évolution s’explique en grande partie par les augmentations régulières du montant consacré par l’Etat à l’investissement locatif qui est passé de 345 millions d’euros en 1989 à 1 347 millions d’euros en 2011[2].  Successeur du dispositif Scellier et des six autres dispositifs qui l’ont précédé,  le dispositif d’incitation à l’investissement locatif dit « Duflot » est entré en vigueur au 1er Janvier 2013 pour une durée de 4 ans.

Comme pour toutes les mesures ponctionnant le budget de l’Etat et visant à développer l’offre de logement neuf sur un marché immobilier à forte tendance inflationniste, tant à la vente qu’à la location, plusieurs questions doivent être posées : cette mesure va-t-elle encourager la modération des loyers ? Est-elle attractive pour les investisseurs ? Quel est son coût pour les finances publiques ? Enfin, les effets néfastes du Scellier[3] ont-ils été corrigés (zonage, coût trop élevé, …) ?

 

 

Un dispositif plus attractif pour les locataires que le Scellier classique …

 

Avec l’introduction de plafonds de loyers inférieurs aux plafonds en vigueur pour le Scellier intermédiaire, le Duflot apparaît plus avantageux pour les locataires[4]. De même, la prise en compte de plafonds de ressources équivalents à ceux en vigueur lors de l’attribution de logement sociaux de type PLI[5] témoigne d’une dynamique nouvelle en faveur de ménages plus modestes. L’investisseur privé se transformant alors partiellement en bailleur social de moyen terme.

En supposant un investissement de 240 000 euros dans une commune de la zone Abis destiné à la location, et compte tenu des plafonds de loyers et des prix au m2 pratiqués dans la zone, le loyer payé par le locataire d’un logement Duflot est inférieur à celui appliqué à un logement Scellier classique ou intermédiaire.

 

La faible différence entre les loyers Duflot et les loyers Scellier intermédiaire (-1,6%) s’explique par le choix du gouvernement de privilégier des plafonds relativement proches des loyers pratiqués dans les différentes zones (hors Paris), et cela malgré la promesse de loyers 20 % inférieurs aux loyers de marché. L’écart important qui existe entre Scellier classique et Duflot (-21 %) est quant à lui principalement dû au fait que les plafonds de loyers du dispositif Scellier étaient, pour la plupart d’entre eux, supérieurs aux loyers de marché.

… plus rentable pour l’investisseur que le Scellier intermédiaire 2012

Avec une réduction d’impôt de 18 % du prix de revient du logement étalée sur 9 ans, contre 13 % pour un investissement identique en Scellier BBC ou en Scellier intermédiaire 2012[6], le dispositif Duflot semble bien plus avantageux pour l’investisseur que son prédécesseur. En reprenant l’exemple précédent, on obtient comme réduction d’impôts pour le propriétaire :

 

Cependant, compte tenu de l’existence de plafonds de loyers bien inférieurs, le gain annuel escompté, pour l’investisseur, par le dispositif Duflot reste inférieur à celui du Scellier classique (-11%)[7]. En effet, la réduction d’impôts plus avantageuse ne compense pas entièrement la perte induite par la diminution des plafonds de loyers.

A contrario, il apparaît clairement que le dispositif Duflot est bien plus avantageux que la dernière version du Scellier intermédiaire (+7%), l’Etat faisant plus que compenser la perte provoquée par la baisse des plafonds. Pour autant, ceci n’est vrai qu’en comparant le Duflot avec la dernière génération de Scellier intermédiaire. En effet, avec des taux de réduction d’impôts supérieurs à 20 % et des plafonds de loyers élevés, les Scellier intermédiaires de 2010 et 2011 étaient bien plus attractifs pour les investisseurs.

Le calcul des rendements bruts et nets des différents dispositifs fournit des résultats analogues avec un rendement net du Duflot de l’ordre de 4,7 % pour l’exemple considéré ici contre 4,3 % pour le Scellier intermédiaire[8].

Quel coût pour l’Etat ?

Toute hausse du taux de réduction d’impôts est synonyme pour l’Etat d’une augmentation du manque à gagner fiscal. A l’inverse, la baisse des taux observée pour le dispositif Scellier[9] a engendré chaque année une baisse significative du nombre d’investissements, ce dernier étant divisé par deux entre 2010 et 2012[10]. De prime abord, on peut donc penser que l’augmentation du taux de réduction fiscale aura pour effet une croissance des investissements et du coût fiscal pour l’Etat. Pour autant, la généralisation des plafonds de ressources et de loyers plus bas apparaît comme un frein important au bon fonctionnement du dispositif. En effet, le Scellier Intermédiaire, dispositif relativement proche du Duflot dans ses caractéristiques, bien qu’ayant des plafonds de loyers légèrement supérieurs, n’a jamais réellement pris son envol. Selon les données à notre disposition[11], le coût total du dispositif Scellier intermédiaire, pourtant plus coûteux que le Scellier classique au niveau individuel, n’a jamais dépassé la moitié du coût de ce dernier. Cela signifie que les investissements de type Scellier intermédiaire n’ont jamais représenté plus du tiers de l’ensemble des investissements locatifs[12]. Bien que l’on puisse penser que l’absence d’un dispositif de substitution moins contraignant (de type Scellier classique) reporte une partie des investissements sur le Duflot, la prévision gouvernementale de 40 000 « logements Duflot » construits en 2013 semble particulièrement optimiste. En supposant cet objectif soit réalisable, le coût de la génération Duflot 2013 serait alors de 1,7 milliard d’euros. Clairement, le problème, souvent soulevé, du coût fiscal supporté par l’Etat au temps du dispositif Scellier n’est donc pas réglé[13].

Conclusion

 

Avec la généralisation des plafonds de ressources, des plafonds de loyers inférieurs aux loyers de marché, ainsi que la suppression de la zone C et d’une partie de la zone B2, l’objectif d’orienter l’investissement locatif privé vers les publics prioritaires semble en partie rempli. De même, la hausse de la réduction fiscale accordée, la hauteur des plafonds de loyers, et l’absence de dispositif de substitution permettront sans doute de retenir un certain nombre d’investisseurs. Cependant, l’exemple du Scellier dit « Social » devrait freiner l’optimisme gouvernemental.

Bien que l’investissement locatif privé soit un moteur important d’un marché immobilier aujourd’hui souffrant, l’Etat devrait réfléchir à l’efficience des mécanismes de subvention en faveur des propriétaires-bailleurs, ces derniers étant à nouveau bénéficiaires de l’annonce d’une hausse de 500 millions d’euros des aides aux logements en 2013[14].

La volonté du gouvernement de confier au secteur libre la partie la plus aisée des ménages éligibles au logement intermédiaire subventionné ne peut être une solution de long terme viable. Malgré des délais de livraison plus élevés, le développement de l’offre locative sociale et de l’accession sociale à la propriété sont les leviers publics les plus puissants pour agir efficacement à moindre coût et dans la durée sur l’offre de logements et donc sur les prix.


[1] En 2012, compte tenu de la plus faible attractivité du dispositif Scellier, cette part était de 50 %.

[2] Source loi de finances de 1989 à 2011.

[3] voir S. Levasseur, novembre 2011

[4] Les plafonds de loyers du Duflot sont inférieurs aux plafonds des logements sociaux de type PLI.

[5] Ceci est vrai pour toutes les zones sauf la zone A bis. Pour cette zone, les plafonds de ressources sont inférieurs aux plafonds des logements de type PLI mais supérieurs aux plafonds des logements sociaux de type PLS.

[6] C’est-à-dire répondant aux normes BBC.

[7] Nous ne tenons pas compte ici de l’abattement forfaitaire de 30 % applicable au dispositif Scellier intermédiaire.

[8] Voir note de ce blog « Marché locatif privé : état des lieux et évaluations des dernières mesures gouvernementales », OFCE,  S. Le Bayon, P. Madec, C. Rifflart, à paraître

[9] Passage de 27 % à 13 % et de 25 % à 6 %.

[10] Le nombre d’investissement Scellier était supérieur à 70 000 en 2010 et ne devrait pas dépasser 30 000 en 2012.

[11] Les PLF de 2009, de 2010, de 2011, de 2012 et de 2013 sont les seules données officielles disponibles sur le sujet.

[12] On peut ainsi estimer la production de Scellier intermédiaire au plus à 17 000 logements en 2009, 24 000 en 2010, 20 000 en 2011 et 10 000 en 2012 pour des coûts respectifs de 782, 1 104, 640 et 310 millions d’euros.

[13] Rapport d’information sur l’application des mesures fiscales contenues dans les lois de fiances, n°3631, Commission des finances de l’Assemblée Nationale, 2011

[14] De nombreuses études théoriques et empiriques ont en effet montré que les propriétaires-bailleurs bénéficiaient dans une proportion comprise entre 50 et 80 % de toute hausse des aides au logement, et ce au détriment des ménages locataires (« Pourquoi les ménages à bas revenus paient-ils des loyers de plus en plus élevés ? », G. Fack, 2005)

 




L’encadrement des loyers : quels effets en attendre ?

Sabine Le Bayon, Pierre Madec et Christine Rifflart

Publié au Journal officiel le 21 juillet dernier, le décret sur l’encadrement des loyers dans les zones  où la hausse et le niveau des loyers sont particulièrement élevés[1], entre en vigueur le 1er août 2012 pour une durée d’un an. La mesure avait été annoncée lors de la campagne présidentielle de François Hollande en janvier 2012. La voilà adoptée, en attendant la grande réforme sur les rapports locatifs entre bailleurs et propriétaires prévue en 2013.

La difficulté de se loger et la dégradation des conditions de vie pour une partie croissante de la population soulignent la montée des inégalités face au logement. Ces inégalités fragilisent une cohésion sociale déjà affectée par la crise économique. Pour beaucoup, l’accès à la propriété est rendu difficile avec l’envolée des prix d’achat, les demandes d’attribution d’un logement social restent en attente, faute de place et le marché locatif privé devient de plus en plus cher dans les grandes villes, du fait de l’envolée du prix des biens. Dès lors, l’encadrement des loyers dans ces agglomérations apparaît comme une mesure d’urgence pour freiner ces hausses. La difficulté est malgré tout de maintenir les investisseurs sur le marché locatif privé, déjà marqué par l’insuffisance de l’offre de logement et un rendement locatif très bas (1,3 % à Paris après dépréciation du capital).

Le décret a pour objectif une baisse significative des loyers de marché[2], tirés à la hausse par les loyers à la relocation, c’est-à-dire lors d’un changement de locataire. Contrairement aux loyers en cours de bail ou lors du renouvellement de bail qui sont indexés sur l’Indice de référence des loyers, les loyers des nouveaux locataires étaient jusqu’au 31 juillet 2012, fixés librement. En 2010, cela concernait près de 50 % des relocations dans l’agglomération parisienne (60 % à Paris).  Désormais, en l’absence de gros travaux, ils seront encadrés. Seuls les loyers des logements neufs mis en première location ou ou  des logements rénovés (dont les travaux représentent plus d’un an de loyer) resteront libres (tableau 1).

 

En utilisant les données de l’Observatoire des Loyers de l’Agglomération Parisienne, et sous les hypothèses décrites dans la Note de l’OFCE (n° 23 du 26 juillet 2012), « L’encadrement des loyers : quels effets en attendre ? », nous avons évalué l’impact de ce décret s’il avait été mis en place au 1er janvier 2007 et pérennisé jusqu’en 2010. D’après nos calculs, ce décret aurait eu pour conséquences non seulement de ralentir assez fortement les hausses des loyers à la relocation dès la première année d’application (+1,3 % dans l’agglomération parisienne, contre +6,4 % observés), mais aussi de les stabiliser, voire de les baisser au moment de la relocation suivante, soit 3 ans après dans notre exemple (0 % à Paris, -0,6 % dans l’agglomération parisienne en 2010). Au final, en 2010, les loyers seraient inférieurs de 12,4 % à Paris et 10,7 % dans l’ensemble de l’agglomération parisienne à ce qu’ils auraient été sans la mesure. A Paris, le loyer se situerait à 20,1 €/m2 au lieu de 22,6 €/m2 effectivement observé (tableau 2). Pour une surface moyenne des logements reloués à Paris de 46 m2, le loyer mensuel aurait été ainsi de 924 € au lieu de 1039 €, soit un gain pour le locataire de 115 € par mois. Dans l’ensemble de l’agglomération parisienne, et selon les mêmes hypothèses, le loyer à la relocation aurait baissé en moyenne à 15,9 €/m2, au lieu de 17,8 €/m2 observé. Pour une surface moyenne de 50 m2 mise en relocation, le gain est de 95 € par mois !

A plus long terme, le décret permettrait d’atténuer l’écart entre les loyers des locataires en place depuis plus de 10 ans et ceux des nouveaux locataires (écart qui se situe en 2010 à 30 % dans l’agglomération parisienne et 38 % à Paris) et d’améliorer la fluidité du marché.

Actuellement, quelle est la possibilité de déménager si le seul fait de s’agrandir pour un couple qui vient d’avoir des enfants accroît le prix du m2 de plus de 15 % dans l’agglomération parisienne ? De même, l’incitation financière à déménager pour un couple habitant dans un logement de 4 pièces de 80 m2 et dont les enfants ont quitté le domicile familial est nulle puisque le loyer d’un logement de 3 pièces de 60 m2 est équivalent. Cette prime à la sédentarité accroît les tensions sur le marché de la location et conduit les ménages à occuper des logements inadaptés à leur besoins, voire à freiner la mobilité sur le marché du travail.

Cette mesure peut-elle favoriser la mobilité et redonner du pouvoir d’achat aux ménages? A court terme, elle va certes bénéficier aux ménages les plus mobiles en limitant la hausse de la part des dépenses de logement dans leur budget[3]. Or ces ménages sont ceux pour lesquels la contrainte de revenus joue le moins, c’est-à-dire ceux qui ont des revenus élevés ou un taux d’effort relativement faible. Elle va également bénéficier aux ménages qui sont dans l’obligation de déménager ou de ceux qui sont à la limite de leur contrainte financière. Pour tous ceux là, la hausse du taux d’effort sera moindre que ce qu’elle aurait été sans le décret. En revanche pour les ménages ayant déjà un taux d’effort élevé et un faible revenu[4], le décret ne devrait rien changer puisqu’ils peuvent difficilement supporter le surcoût d’une relocation.

 

Quels sont les risques ?

Si les bénéfices attendus pourraient être réels, encore faut-il que l’application de ce décret, –ou en tous cas de la prochaine loi – les permette. Outre la difficulté de mise en application de ce décret (absence d’observatoires des loyers fiables dans les zones concernées et de cadre juridique permettant aux locataires de faire valoir leurs nouveaux droits), l’impact de cette mesure ne sera positif pour les locataires que si l’offre locative ne se réduit pas (maintien des investisseurs actuels sur le marché, poursuite des nouveaux investissements) et que les bailleurs ne cherchent pas à compenser l’encadrement des loyers futurs par un loyer plus élevé lors la première mise en location du bien.

De même, la réalisation de travaux d’amélioration dans la perspective du Grenelle 2 de l’environnement ou simplement de travaux d’entretien pourrait s’en trouver abandonnée du fait de l’allongement de la durée d’amortissement pour les propriétaires par rapport à la situation qui prévalait jusqu’alors. A l’inverse, certains propriétaires pourraient être incités à faire de gros travaux (montant supérieur à 1 an de loyer) et à « monter le logement en gamme » pour fixer librement le loyer. Une marge de sécurité serait ainsi prise par le bailleur pour compenser le manque à gagner ultérieur. Ces hausses, si elles avaient lieu, pénaliseraient les locataires les moins solvables et favoriseraient le phénomène de gentrification déjà à l’œuvre dans les zones les plus tendues. On pourrait donc constater des écarts divergents entre les loyers de marché des logements « dégradés » et des logements remis à neuf.

Ce décret devrait à court terme limiter l’ampleur des disparités dans les zones les plus tendues avec un coût nul pour le gouvernement. Mais il ne résoudra pas le problème de taux d’effort des ménages les plus modestes : pour cela, il faudrait augmenter le parc de logement social, améliorer sa fluidité et revaloriser fortement les aides au logement[5], ce qui suppose des moyens financiers importants. Le problème fondamental demeure celui de l’insuffisance de l’offre, notamment dans les zones urbaines, où par définition le foncier disponible est rare et cher, la hausse des loyers ne faisant que répercuter celles des prix de l’immobilier. Or une détente des prix passe par une plus grande disponibilité du foncier, une augmentation de la densité là où c’est possible, le développement des transports pour faciliter les déplacements entre le logement et le lieu de travail sur grande distance, …  C’est sur ces leviers qu’il faut agir pour améliorer les conditions de logement des plus modestes.

 


[1] Le décret s’applique dans les communes où la hausse des loyers observée sur la période 2002-2010 est supérieure à deux fois la hausse de l’IRL (soit 3,2 % par an) et le loyer de marché au m2 dépasse de 5 % la moyenne nationale hors Ile-de-France (soit 11,1 euros/m2). Cela concerne près de 1 400 communes situées dans 38 agglomérations (27 en métropole et 11 outre-mer).

[2] On distingue deux types de loyers : le loyer moyen est le loyer de l’ensemble des logements en location, qu’ils soient vacants ou occupés ; le loyer de marché est le loyer de l’ensemble des logements disponibles sur le marché pour la location, donc des nouveaux logements mis en location et des relocations. Il est très proche du loyer des relocations, les logements mis en location pour la première fois ne représentant qu’une faible part de l’offre disponible.

[3] Part qui a progressé depuis 15 ans pour les ménages du parc locatif privé et notamment les plus modestes.

[4] En 2010, plus de la moitié des locataires du secteur privé a un taux d’effort (net des aides au logement) supérieur à 26,9 %, mais surtout, pour les 25 % des ménages les plus modestes, le taux d’effort moyen atteint 33,6 %.

[5] Selon le rapport « Evaluation des aides personnelles au logement » de l’IGAS, en 2010, 86,3 % des loyers dans le secteur libre des allocataires étaient supérieurs au loyer plafond pris en compte pour le calcul des aides au logement. Toute augmentation de loyer est donc intégralement supportée par le locataire.