Doit-on s’inquiéter du ralentissement chinois ?

par Eric Heyer

La croissance chinoise ralentit. Ce ralentissement n’est pas en soi une surprise : il est  annoncé par les autorités chinoises, présent dans les comptes nationaux et prédit dans tous les scénarios de moyen terme des grandes organisations internationales. Il correspond à une nouvelle phase du développement économique et social de la Chine,  vers une croissance que les autorités souhaitent plus « qualitative, inclusive et innovatrice ».

Cependant, un grand nombre d’analystes et d’experts estiment que ce ralentissement est plus important que celui affiché dans les comptes nationaux des autorités chinoises. D’après un sondage effectué en 2015 par la Bank of America Merrill Lynch, 75 % des investisseurs sont convaincus que le véritable taux de croissance de l’économie chinoise est inférieur à 6 % au deuxième trimestre 2015 en rythme annualisé. Pour certains, cette surestimation de la croissance est due à une sous-estimation de l’inflation, notamment dans le secteur des services. Pour d’autres, la croissance du PIB chinois doit être corrélée à celle de la production d’électricité en Chine et être en lien avec le fret routier, ferroviaire, maritime ou aérien. Or ces grandeurs connaissent toutes une importante baisse depuis le début de l’année 2014, et une relation stable entre le PIB et celles-ci laisserait envisager une croissance annuelle plus faible pour l’économie chinoise, de l’ordre de 2 % début 2015 selon Artus, plus en lien avec la chute observée des importations. Ce plus fort ralentissement provoquerait un choc violent sur l’économie mondiale et mettrait alors en péril le rebond naissant dans les économies développées.

Dans un article récent, nous avons estimé ce lien entre le PIB chinois et différentes grandeurs économiques non issues de la comptabilité nationale à partir d’un Modèle à Correction d’Erreurs (MCE) de manière à évaluer ce ralentissement avant de donner une évaluation de son impact sur le PIB des grands pays développés.

Quelle est l’ampleur du ralentissement de l’économie chinoise ?

S’inspirant de l’indice Li Keqiang, nous avons estimé le PIB de la Chine à partir de variables de fret et de production d’électricité et de ciment. Si nos résultats confirment le ralentissement de l’économie chinoise depuis 2011, passant d’un rythme en glissement annuel de 12 % à moins de 8 % début 2013, la stabilisation du rythme de croissance observée depuis par les comptes nationaux n’est pas retracée par cette simulation qui indiquerait plutôt la poursuite du ralentissement de la croissance chinoise (graphique 1, équation 1).

Cependant, une telle modélisation du PIB ne prend pas en compte la grande transformation du modèle économique chinois vers un nouveau modèle de croissance amorcé depuis 3 ans, soutenu par un fort endettement des agents domestiques et orienté vers davantage de services. Une analyse enrichie de variables reflétant également la situation sur le marché de l’emploi (salaires, emplois) confirme le ralentissement de l’économie chinoise tel qu’il est retracé par les comptes nationaux, reflétant une transition difficile entre deux régimes de croissance et non les prémices d’une entrée prochaine en récession (dans le graphique 1, équation 2). En revanche, sa partie « industrielle » devrait continuer de décélérer, interdisant tout rebond significatif des importations chinoises.

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Quel impact de ce ralentissement sur les pays développés ?

Trois canaux de diffusion du ralentissement de l’économie chinoise sur les pays développés peuvent être identifiés :

  1. Les effets direct et indirect via le canal commercial : compte tenu de son poids dans le commerce mondial, la forte décélération de la production chinoise, notamment industrielle, freine significativement les importations chinoises (via les consommations intermédiaires et la consommation des ménages) et par voie de conséquence dégrade la demande adressée au reste du monde. A cet effet direct s’ajoute un effet indirect lié au ralentissement des pays partenaires dans la demande adressée ;
  2. Les effets via le canal financier : le ralentissement chinois peut peser sur les investissements directs dans les pays développés ; à l’inverse, la sortie de capitaux de Chine peut être l’occasion de réallocation de ces derniers vers d’autres pays développés ;
  3. Les effets via le canal des prix des matières premières : achetant plus de la moitié de tous les métaux échangés dans le monde et absorbant les deux tiers de l’augmentation de la consommation mondiale de pétrole, le ralentissement de l’économie chinoise pèse négativement sur le cours des matières premières et en particulier du baril de pétrole, et par là provoque un transfert de revenu des pays producteurs vers les pays consommateurs de matières premières.

Ne s’intéressant qu’au premier canal de diffusion, celui du commerce, nos résultats sont les suivants : le Japon et l’Allemagne seraient les pays les plus touchés par le ralentissement chinois. L’effet cumulé de 2014 à 2017 s’élèverait à plus de 2 points de PIB. L’impact japonais passe par une forte exposition au commerce chinois (3 % d’exportations vers la Chine contre 2,4 % pour l’Allemagne) tandis que l’impact sur l’économie allemande est davantage lié à son degré d’ouverture (39,1 % contre 14,6 % pour le Japon). Viennent ensuite le Royaume-Uni, l’Italie et la France avec un effet cumulé proche de 1 point de PIB. L’Espagne et les Etats-Unis seraient les pays les moins impactés avec un effet cumulé autour de 0,5 point de PIB, les Etats-Unis ayant à la fois une exposition faible (0,7 %) et un degré d’ouverture faible (8,2 %). Enfin, le pic annuel de l’effet du ralentissement chinois se situerait en 2015 : il amputerait de 0,8 point  de PIB l’économie allemande et de 0,9 point de PIB l’économie japonaise.

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Marché du travail : le taux de chômage est-il un bon indicateur ?

par Bruno Ducoudré et Pierre Madec

Entre la zone euro d’une part et les Etats-Unis et le Royaume-Uni d’autre part, les évolutions des taux de chômage sont à l’image des divergences de croissance mises en évidence au sein de notre dernier exercice de prévision. Alors qu’entre 2008 et la fin 2010, les dynamiques des taux de chômage étaient proches en zone euro, au Royaume-Uni et aux États-Unis et reflétaient la forte dégradation de la croissance, des différences apparaissent à partir de 2011. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, le chômage diminue depuis 2011 tandis qu’il amorce une seconde phase de hausse dans la plupart des pays de la zone euro (tableau 1), après un très bref repli. Ce n’est que plus récemment que la décrue s’est réellement engagée en Europe (fin 2013 en Espagne et début 2015 en France et en Italie). Au final, sur la période 2011-2015, le taux de chômage a continué de croître (+2,7 points) en Espagne. En Italie, cette dégradation du marché du travail s’est même accentuée (+4,5 points, contre 2,2 points entre début 2007 et fin 2010). Dans une moindre mesure, la France n’est pas épargnée.

Malgré tout, l’analyse des taux de chômage ne dit pas tout des dynamiques à l’œuvre sur les marchés de l’emploi (tableaux 2 et 3), et notamment sur le sous-emploi. Ainsi la plupart des pays européens ont, au cours de la crise, réduit plus ou moins fortement la durée effective de travail[1], via des politiques de chômage partiel, la réduction des heures supplémentaires ou le recours aux comptes épargne-temps, mais aussi via le développement du temps partiel (particulièrement en Italie et en Espagne), notamment le temps partiel subi. A contrario, l’évolution favorable du marché du travail américain s’explique en partie par une baisse importante du taux d’activité. Ce dernier s’établissait au premier trimestre 2015 à 62,8 %, soit 3,3 points de moins que 8 ans auparavant.

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Afin de mesurer l’impact de ces ajustements (durée du travail et taux d’activité) sur le chômage, il est possible, sous un certain nombre d’hypothèses[2], de calculer le taux de chômage à emploi constant et contrôlé de ces ajustements. Excepté aux Etats-Unis, où le taux d’activité s’est fortement réduit depuis 2007, l’ensemble des pays étudiés ont connu une augmentation de leur population active (actifs occupés + chômeurs) plus importante que celle observée dans la population générale, du fait des réformes des retraites dans plusieurs pays. Mécaniquement, sans création d’emploi, ce dynamisme démographique a pour effet d’accroître le taux de chômage des pays concernés. Ainsi, si le taux d’activité s’était maintenu à son niveau de 2007, le taux de chômage serait inférieur de 1,6 point en France et de 1,1 point en Italie (tableau 4). A contrario, sans la contraction importante de la population active américaine, le taux de chômage aurait été supérieur de plus de 3 points à celui observé en 2015. Il apparaît également que l’Allemagne a connu depuis la crise une baisse importante de son chômage (-4,2 points) alors même que son taux d’activité croissait de 2,2 points. A taux d’activité inchangé, le taux de chômage allemand serait de 3,1% (graphique 1).

Concernant la durée du travail, les enseignements semblent bien différents. Il apparaît ainsi que si la durée du travail avait été maintenue dans l’ensemble des pays à son niveau d’avant-crise, le taux de chômage aurait été supérieur de plus de 3 points en Allemagne et en Italie et d’environ 1 point en France et en Espagne, pays dans lequel la durée du travail ne s’est réduite fortement qu’à partir de 2011. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, le constat est tout autre : le temps de travail n’a que très peu évolué depuis la crise. En contrôlant le temps de travail, le taux de chômage évolue donc comme celui observé dans ces deux pays.

Il faut rappeler que les dynamiques de baisse de la durée du travail sont anciennes. En effet, depuis la fin des années 1990, l’ensemble des pays étudiés ont fortement réduit leur temps de travail. En Allemagne, entre 1998 et 2008, cette baisse a été en moyenne de 0,6 % par trimestre. En France, le passage aux 35 heures a entraîné une baisse similaire sur la période. En Italie, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, ces ajustements à la baisse de la durée moyenne du travail ont été respectivement de -0,3 %, -0,4 % et -0,3 % par trimestre. Au total, entre 1998 et 2008, la durée du travail a été réduite de 6 % en Allemagne et en France, de 4 % en Italie, de 3 % au Royaume-Uni et aux Etats-Unis et de 2 % en Espagne, de facto seul pays à avoir intensifié, durant la crise, la baisse du temps de travail entamée à la fin des années 1990.

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[1] La durée du travail est ici entendue comme le nombre d’heures travaillées totales par les salariés et les non-salariés (i.e. l’emploi total).

[2] Il est supposé qu’une hausse d’un point du taux d’activité entraîne, à emploi constant, une hausse du taux de chômage. L’emploi et la durée du travail ne sont ici pas considérés en équivalent temps plein. Enfin, ne sont pas pris en compte ni les possibles « effets de flexion » ni le « halo du chômage »




Toujours plus négatif ?

par Christophe Blot, Paul Hubert et Fabien Labondance

A la suite du dernier Conseil des gouverneurs qui s’est tenu le jeudi 22 octobre, la Banque centrale européenne (BCE) a laissé ses taux directeurs inchangés, mais Mario Draghi a laissé entendre lors de la conférence de presse qui a suivi que de nouveaux développements dans la politique monétaire de la zone euro pourraient être apportés lors de la prochaine réunion du 3 décembre.

L’évaluation de la conjoncture faite par la BCE est claire, autant du côté de la croissance : « Les risques pour les perspectives de croissance de la zone euro demeurent orientés à la baisse, traduisant notamment les incertitudes accrues entourant les évolutions dans les économies de marché émergentes » que de l’inflation: « Des risques découlant des perspectives économiques ainsi que des évolutions sur les marchés financiers et des matières premières pourraient toutefois ralentir davantage encore la hausse progressive des taux d’inflation vers des niveaux plus proches de 2 % ». Ce diagnostic montre donc qu’étant donné l’orientation actuelle de la politique monétaire, la BCE ne semble pas en mesure d’atteindre son objectif principal, à savoir une inflation proche de 2 % à moyen terme.

Sur cette base, Mario Draghi a annoncé qu’ « il y avait eu une discussion très riche sur tous les instruments monétaires qui pourraient être utilisés (…) et la conclusion était : nous sommes prêts à agir si nécessaire », et que la BCE n’était pas dans une situation de « wait and see » (attendre et voir), mais de « work and assess » (travailler et évaluer). De telles déclarations laissent penser que la BCE annoncera de nouvelles mesures pour atteindre son objectif. Se pose alors la question des instruments qui pourraient être utilisés. Si le programme de Quantitative Easing (QE) pourrait être étendu dans le temps, à différents actifs ou en montant, un autre outil semble aussi émerger.

Pour tenter de relancer le crédit et l’activité dans la zone euro, la BCE a essayé depuis le début de la crise d’inciter les banques commerciales à placer le moins de liquidités possibles à son propre bilan via les facilités de dépôts[1], ce qui constitue le placement le plus sûr pour les banques commerciales. Cette raison a poussé la BCE, en juin 2014, à fixer un taux d’intérêt négatif pour les facilités de dépôts.

Si cette stratégie a semble-t-il fonctionné dans un premier temps, on observe depuis mars 2015 une nouvelle augmentation des montants placés par les banques commerciales au titre des facilités de dépôts (graphique 1). Ainsi, la semaine du 27 février 2015, 37 milliards d’euros étaient placés en facilité de dépôts, ce montant grimpe à environ 160 milliards d’euros la semaine du 16 octobre 2015.

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Sans atteindre les records passés (800 milliards d’euros en 2012), cela indique très certainement qu’une partie des injections massives de liquidité dans le cadre de l’assouplissement quantitatif de la BCE (60 milliards par mois depuis mars 2015) demeure inemployée et retourne même au bilan de la BCE. Les banques commerciales continuent de rechercher des placements sans risque, même à des rendements négatifs. Ainsi, les facilités de dépôts de la BCE représentent un placement sûr au même titre par exemple que les bons du Trésor français qui s’échangent à des taux d’intérêts négatifs jusqu’à l’échéance de 2 ans.

Dès lors, parmi les nouvelles mesures qui seront très certainement annoncées le 3 décembre prochain existe la possibilité de diminuer encore les taux négatifs sur les facilités de dépôts. Ainsi, une nouvelle baisse des taux sur les facilités de dépôts devrait augmenter l’incitation des banques à trouver des formes alternatives et plus rémunératrices de placement de leurs liquidités excédentaires. De là à stimuler le crédit, le chemin restera cependant encore assez long. Mais cette incitation ne sera efficace qu’à condition que les opportunités de prêts apparaissent moins risquées pour les banques commerciales, ce qui passe par un retour de la croissance européenne. A défaut, les limites de l’efficacité de la politique monétaire apparaîtront de plus en plus flagrantes.

 

 


[1] Dispositif par lequel les banques commerciales peuvent laisser des liquidités en dépôt auprès de la BCE pour une durée de 24 heures.




Où est passée la manne pétrolière ?

par Mathieu Plane

La baisse spectaculaire des prix du pétrole depuis la mi-2014, passant d’un baril de brent à 112 dollars en juin 2014 (soit 82 euros) à 55 dollars (49 euros) en moyenne depuis le début de l’année 2015, a conduit à redéployer une partie de la manne pétrolière des pays producteurs de pétrole vers les pays consommateurs. Si cette réduction de 50 % des prix du pétrole en dollars (40 % en euros) améliore mécaniquement notre balance courante, en allégeant notre facture énergétique d’environ 20 milliards d’euros par an, il est instructif d’évaluer les gains pour les ménages et les entreprises issus de cette manne pétrolière.

Pour les ménages, il y a deux sources directes d’économies : la première est liée à la baisse des prix à la pompe, dont la partie non taxée diminue avec la baisse des prix du pétrole, aux marges des raffineurs près. La seconde est liée à la baisse des prix hors taxes du fioul domestique. Selon les données fournies par le ministère de l’Ecologie, du développement durable et de l’énergie sur les prix à la pompe et le fioul domestique, nous avons évalué que la baisse des prix du pétrole engendrerait un gain direct de pouvoir d’achat pour les ménages de 2,7 milliards en 2014 et 5,8 milliards en 2015[1] (graphique 1), soit 8,5 milliards sur deux ans, ce qui représente 0,6 % du revenu disponible brut annuel des ménages (0,4 point de PIB).

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Pour les entreprises,  la baisse des prix du pétrole conduit à diminuer leur coût d’approvisionnement en énergie. Plus l’intensité en pétrole dans la production est élevée, plus cela représente une économie substantielle pour le secteur concerné. Selon nos calculs, à partir du tableau des entrées intermédiaires par branche, nous avons évalué le gain direct pour les entreprises : la baisse des prix du pétrole conduirait à réduire le coût de production des entreprises de 3,2 milliards d’euros en 2014 et 6,3 milliards en 2015 (graphique 2), soit 9,5 milliards en deux ans, ce qui représente 0,45 point de PIB. Les secteurs qui bénéficient le plus de la baisse des prix du pétrole sont logiquement le transport, l’industrie et l’agriculture qui récupèrent deux tiers des gains liés à la baisse des prix du pétrole alors qu’ils ne représentent que 20 % de la valeur ajoutée totale.

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Face à cette baisse des coûts, les entreprises ont la possibilité soit de redresser leur marge en ne répercutant pas la baisse des prix du pétrole dans leur prix de vente, ce que laisse suggérer l’évolution récente des taux de marge et les différences de dynamique entre les prix de valeur ajoutée et ceux de consommation, soit de réduire leur prix au prorata des économies générées par la baisse des prix du pétrole. Cette deuxième option conduirait à redéployer le gain final des entreprises vers les ménages, augmentant ainsi leur pouvoir d’achat via la baisse des prix à la consommation. Mais aussi, par un effet de second tour, cela réduirait le coût de production des entreprises utilisant des consommations intermédiaires de branche dont la production est intense en pétrole, comme le transport.

En fonction de l’utilisation de cette manne pétrolière par les entreprises, les effets sur l’économie seront différents. Dans le cas du redressement des marges, les effets d’offre l’emporteront avec un impact faible à court terme sur la croissance mais élevé à moyen-long terme par le biais de l’augmentation de l’investissement. Dans le cas inverse, les effets de demande domineront avec un impact sur la croissance élevé à court terme en raison de la forte augmentation de la consommation des ménages, mais avec des effets potentiellement plus faibles à long terme.

 

 


[1] Les simulations pour 2015 supposent un prix du baril maintenu à 50 dollars jusqu’à la fin de l’année.




Investir dans l’économie zéro carbone pour échapper à la stagnation séculaire

par Xavier Timbeau

Ce que les révisions à la baisse des différentes prévisions (FMI, OCDE, OFCE) présentées en ce début d’automne 2015 nous disent sur la zone euro n’est pas très réconfortant. Une reprise est en cours, mais elle est à la fois poussive et fragile (voir : « Une reprise si fragile »). Or le taux de chômage de la zone euro est encore très élevé (presque 11 % de la population active au deuxième trimestre) et une reprise poussive signifie une baisse si lente (0,6 point par an) qu’il faudra plus de 7 années pour revenir au niveau de 2007. Dans l’intervalle, la politique monétaire non-conventionnelle de la Banque centrale européenne peine à ré-ancrer les anticipations d’inflation. L’annonce du Quantitative Easing en début d’année 2015 avait fait remonter l’inflation à 5 ans dans 5 ans[1], mais depuis le mois de juillet 2015 le soufflé est à nouveau retombé et les anticipations à moyen terme sont de 0,8 % par an, en deçà de la cible de la BCE (2 % par an). L’inflation sous-jacente s’installe dans un territoire bas (0,9 % par an) et le risque est élevé que la zone euro se bloque dans une situation d’inflation basse ou de déflation, ressemblant étrangement à ce qu’a connu le Japon du milieu des années 1990 à aujourd’hui. Peu d’inflation n’est pas une bonne nouvelle parce qu’elle est enclenchée par un chômage élevé et des salaires nominaux encore moins dynamiques. Résultat, les salaires réels progressent moins vite que la productivité. Peu ou pas d’inflation, c’est à la fois des taux d’intérêt réels qui restent élevés, qui renchérissent les dettes et paralysent l’investissement, mais c’est aussi une politique monétaire non-conventionnelle qui bloque la capacité de valoriser les risques et qui perd peu à peu sa crédibilité à maintenir la stabilité des prix, à savoir tenir l’inflation dans la cible annoncée. Mario Draghi l’avait annoncé en août 2014 au symposium de Jackson Hole, face à un chômage persistant, la politique monétaire ne peut pas tout. Il faut des réformes structurelles (que peut dire d’autre un banquier central ?) mais il faut aussi une politique de demande. Ne pas le faire c’est courir le risque de la stagnation séculaire, formulée par Hansen à la fin des années 1930 et remise au goût du jour très récemment par Larry Summers.

Pourtant, les opportunités d’investissements ne manquent pas en Europe. Les engagements à la COP21, bien que timides, supposent de réduire les émissions de CO2 (équivalent) par tête de 9 tonnes à 6 tonnes en 15 ans et demanderont une sérieuse accélération pour que l’anomalie de température globale ne dépasse pas 2°C. D’ici à 35 ans, c’est en pratique la fin de l’utilisation du pétrole et du charbon (ou le développement à grande échelle de la capture et du stockage du carbone) qu’il faut viser. Pour y arriver, un volume massif d’investissements est nécessaire (estimé à plus de 260 milliards d’euros  (soit presque 2 % du PIB) par an d’ici à 2050 dans la Energy Road Map de la Commission européenne). La rentabilité sociale de ces investissements est considérable (puisqu’elle permet d’éviter la catastrophe climatique et qu’elle permet de tenir les engagements de l’UE vis-à-vis des autres pays de la planète) mais, et c’est bien le problème de notre reprise poussive, leur rentabilité privée est basse, les incertitudes sur la demande future et une coordination défectueuse peuvent faire vaciller les esprits animaux de nos entrepreneurs. La stagnation séculaire découle en effet d’une profitabilité trop basse des investissements, une fois pris en compte les taux réels anticipés et les risques d’une dépression encore plus grave. Pour sortir de ce piège, il faut que les rendements sociaux des investissements dans une économie zéro carbone soient une évidence pour tous et en particulier coïncident avec des rendements privés. Les outils pour ce  faire sont nombreux. On peut utiliser un prix du carbone et des marchés d’échange des droits à émettre, on peut utiliser une taxe carbone, on peut valoriser des certificats pour des investissements nouveaux (à supposer que l’on sache assurer qu’ils réduisent les émissions de CO2 par rapport à un contrefactuel opposable) ou imposer des normes (si elles sont respectées !). La difficulté de la transition et de l’acceptation d’un changement de prix relatif douloureux peut être accompagnée par des mesures de compensation (qui ont un coût budgétaire, voir le chapitre 4 de l’iAGS 2015, mais qui font partie du package de stimulation). On peut aussi vouloir mobiliser la politique monétaire pour amplifier le stimulus (voir cette proposition de Michel Aglietta et Etienne Espagne). La mise en œuvre d’une telle artillerie pour réduire les émissions et relancer l’économie européenne n’a rien de simple et oblige à tordre le cadre institutionnel. Mais c’est le prix à payer pour éviter de sombrer dans une interminable stagnation qui, par les inégalités et l’appauvrissement qu’elle engendrerait, briserait certainement le projet européen.

Ce texte a été publié sur Alterecoplus le 22 octobre 2015

 


[1] L’inflation à 5 ans dans 5 ans est un indicateur parmi d’autres des anticipations d’inflation, très suivi par les banques centrales. Il résulte du prix de marché d’un contrat d’échange (un swap) contingent à la réalisation de l’inflation future.




L’investissement en logements des ménages sur la voie du redressement

par Pierre Madec

La publication récente des derniers résultats trimestriels du secteur de la construction laisse à penser que la reprise enclenchée dans le secteur industriel et sur le marché de l’emploi est à même de se transmettre, dans les mois à venir, au secteur de la construction. Au troisième trimestre 2015, le nombre de permis de construire a augmenté de 4,3 % pour s’établir à 98 700, après une hausse de 3,8 % lors du trimestre précédent. Les mises en chantier se sont également redressées de 0,5 % après une baisse de 0,4 % au deuxième trimestre. L’amélioration des perspectives, tant en termes de demande de logements neufs que de mises en chantier (graphique 1), observée le mois dernier semble donc se traduire dans les faits et l’investissement logement, fortement dégradé depuis plusieurs semestres, devrait de nouveau croître dès la fin de l’année 2015.

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Rappelons que l’investissement en logements des ménages a particulièrement souffert des effets de la crise. Après une chute sévère dans la première phase de la crise (-17 % entre la première moitié de 2008 et le second semestre 2009), il s’est redressé quelque peu à partir de 2009 avant de replonger à nouveau à partir de la fin de l’année 2011 (-14,3 % entre le premier trimestre 2012 et le deuxième trimestre 2015). Au vu de l’importance de sa contribution au PIB (environ 5 points de PIB), cet effondrement a lourdement pesé sur l’économie française.

Dans  notre exercice de prévision d’automne, nous avons modélisé l’investissement logements des ménages à court terme en nous appuyant sur un modèle à correction d’erreurs (MCE) faisant dépendre le taux d’investissement en logements (l’investissement rapporté au revenu disponible brut des ménages) de variables retardées que sont les mises en chantier (-1 trimestre), les permis de construire (-4), l’opinion des promoteurs immobiliers à la fois sur la demande de logements neufs (-3) et sur les mises en chantiers futures (-1). La simulation dynamique de cette équation retrace de manière satisfaisante l’investissement des ménages sur la période d’estimation qui commence en 1995. Le jeu des variables retardées laisse à penser que l’investissement en logements serait à même de se redresser significativement à partir du second semestre de l’année 2015.

Sous l’hypothèse, retenue dans notre prévision, d’une stabilité des dernières valeurs connues  des variables exogènes introduites dans la modélisation (permis, mises en chantier, enquêtes), l’investissement en logement des ménages, après une baisse de 2 % en 2015, progresserait de 5 % en 2016 et 2017 (graphique 2), retrouvant ainsi à la fin de l’année 2017 son niveau du milieu d’année 2013.

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Le marché du travail sur la voie de la reprise

par Bruno Ducoudré

Les chiffres du mois de septembre 2015 publiés par Pôle Emploi font apparaître, après la hausse enregistrée du mois d’août (+20 000), une baisse significative du nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pole Emploi et n’exerçant aucune activité (catégorie A) de 23 800 personnes.  Si ce chiffre est encourageant, il est à mettre en regard avec les augmentations observées en catégories B et C (+25 600). Ainsi, si des reprises d’emploi ont bien eu lieu, elles n’ont pas entraîné de sorties du chômage tel que mesuré par Pôle Emploi, n’enrayant ainsi pas la hausse continue du nombre de demandeurs d’emploi de longue durée (+10,4% en an). Malgré tout, ces évolutions viennent conforter les enseignements tirés de l’analyse conjoncturelle et visant à mettre en lumière l’enclenchement d’une reprise de l’activité.

Après 76 000 emplois créés en France en 2014 grâce au dynamisme des emplois non-marchands, le premier semestre 2015 a été marqué par une augmentation des effectifs dans le secteur marchand (+26 000) conduisant à une accélération des créations d’emplois dans l’ensemble de l’économie (+45 000) sur la première moitié de l’année. Les statistiques récentes portant sur l’emploi confirment cette tendance à l’accélération pour le troisième trimestre 2015 : ainsi sur un an, les déclarations d’embauche de plus d’un mois enregistrées par l’Acoss augmentent de 3,7 %, après +0,7 % au trimestre précédent. Les enquêtes auprès des entreprises signalent également une hausse des intentions d’embauches au troisième trimestre, celles-ci étant redevenues positives depuis le début de l’année dans le secteur des services, et le creux dans la construction ayant été vraisemblablement atteint en début d’année (cf. graphique 1).

Notre analyse du marché du travail à l’horizon 2017, détaillée dans le dernier exercice de prévisions de l’OFCE d’octobre 2015, indique que le secteur marchand continuerait à créer des emplois d’ici la fin d’année 2015 (+0,1 % aux troisième et quatrième trimestres). Ce rythme de créations d’emplois resterait toutefois trop faible pour envisager une baisse du taux de chômage d’ici la fin de l’année, compte tenu de notre prévision pour le taux de croissance du PIB (+0,3 % au troisième trimestre et de +0,4 % au quatrième trimestre 2015) et de la présence de sureffectifs dans les entreprises, que nous évaluons à 100 000 au deuxième trimestre 2015. Le taux de chômage se stabiliserait ainsi à 10 % jusqu’à la fin de l’année. Avec une croissance du PIB de 1,8 %, l’année 2016 serait marquée par une nette accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand une fois les sureffectifs absorbés par les entreprises, permettant une baisse du taux de chômage à partir du deuxième trimestre 2016. Cette baisse se poursuivrait jusqu’à la fin de l’année 2017.

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Les trois dernières années de faible croissance ont pesé sur l’emploi dans le secteur marchand (-73 000 emplois entre le début d’année 2012 et la fin 2014, cf. tableau). La vigueur de l’emploi dans le secteur non-marchand, soutenue par la montée en charge des contrats aidés (emplois d’avenir et contrats uniques d’insertion non-marchands) a permis de compenser ces destructions d’emplois marchands, l’emploi total progressant de 164 000 sur la même période, ce qui a freiné la progression du taux de chômage au sens du BIT : celui-ci est passé de 9 % de la population active fin 2011 à 10,1 % fin 2014 en France métropolitaine, soit +1,1 point d’augmentation.

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L’année 2015 marque une transition, avec une reprise des créations d’emplois dans le secteur marchand (+73 000 prévus sur l’ensemble de l’année) et un moindre dynamisme des créations d’emplois dans le non-marchand. Sur l’ensemble de l’année, l’accélération de la croissance (+1,1% prévu en moyenne annuelle en 2015 mais 1,4 % en glissement annuel) et la montée en puissance des politiques de baisse du coût du travail (CICE et Pacte de responsabilité) soutiendraient les créations d’emplois. Les effets cumulés du CICE et du Pacte de responsabilité, une fois pris en compte l’effet du financement, permettraient de créer ou de sauvegarder 42 000 emplois en 2015. Toutefois, les créations d’emplois seraient freinées par la présence de sureffectifs dans les entreprises[1] : en période d’accélération de l’activité économique, les entreprises absorbent généralement la main-d’œuvre sous-utilisée avant d’augmenter le volume d’emploi.

Du côté du secteur non-marchand, la politique de l’emploi continue de soutenir le marché du travail en 2015, via la hausse des contrats aidés. L’augmentation est cependant moins rapide que les années précédentes, le nombre d’emplois d’avenir atteignant un plafond en 2015 (graphique 2). Finalement, l’emploi total progresserait de 103 000 en 2015, ce qui permettrait une stabilisation du taux de chômage à 10 % d’ici la fin de l’année.

Pour 2016 et 2017, l’accélération de la croissance (avec respectivement 1,8 % et 2 %) combinée à la poursuite de la montée en puissance des politiques de baisse du coût du travail et à la fermeture du cycle de productivité courant 2016 permettraient une accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand. Les créations d’emplois s’élèveraient, en glissement annuel, à 238 000 en 2016 et 245 000 en 2017 pour le seul secteur marchand, soit un rythme comparable à celui observé entre la mi-2010 et la mi-2011 (+234 000 emplois créés). En revanche, en 2016, le nombre de contrats aidés dans le non-marchand prévu dans le Projet de loi de finances pour 2016 baisse par rapport aux années antérieures (200 000 CUI-CAE et 25 000 emplois d’avenir en 2016 contre respectivement 270 000 et 65 000 pour l’année 2015). Pour 2017, nous avons retenu l’hypothèse d’une stabilisation du stock de contrats aidés non-marchands. (cf. graphique 2). Au total, le retour durable des créations d’emplois dans les entreprises enclenchera la baisse du taux de chômage à partir du deuxième trimestre 2016. Bien que poussive, cette baisse devrait être durable, le taux de chômage atteignant 9,8 % de la population active fin 2016 et 9,4 % fin 2017.

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[1] La présence de sureffectifs dans les entreprises provient de l’écart de la productivité du travail à sa tendance de long terme, appelé cycle de productivité. Ce dernier est le résultat du délai d’ajustement de l’emploi à l’activité. Voir Ducoudré et Plane, 2015, « Les demandes de facteurs de production en France », Revue de l’OFCE, n°142.




L’économie française sur la voie de la reprise

par Hervé Péléraux

La publication des enquêtes de conjoncture de l’INSEE le 22 octobre dernier confirme la bonne orientation de l’activité dans la seconde moitié de 2015, suggérant que la contre-performance française au deuxième trimestre 2015 (0 %) n’aura été qu’un « trou d’air » après la forte croissance du premier (+0,7 %). Le climat des affaires dans l’industrie a dépassé sa moyenne de longue période pour le septième mois consécutif ; celui des services se redresse rapidement depuis le mois de mai 2015 et rejoint à son tour sa moyenne, s’établissant désormais à son plus haut niveau depuis quatre ans (graphique 1). Le climat des affaires dans le bâtiment reste quant à lui plombé par la crise dans la construction, mais a interrompu son effondrement à la fin de l’année 2014 pour, au-delà de ses à-coups mensuels, engager une lente remontée qui pourrait signaler la fin des déboires du secteur dans les trimestres à venir.

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Délivrant une information qualitative résumant les soldes d’opinions relatifs aux différentes questions posées sur l’activité des entreprises, sur la confiance des ménages ou sur la situation dans le commerce, les indicateurs de confiance peuvent être convertis en une information quantitative au moyen d’une équation économétrique les reliant au taux de croissance trimestriel du PIB[1]. De cette façon, on peut déduire de ces données purement qualitatives une estimation du taux croissance du PIB sur le passé et sur le futur proche (deux trimestres) dans la mesure où la publication des enquêtes précède celle du PIB. Parmi les indicateurs sectoriels disponibles, seuls les climats des affaires dans l’industrie, les services et la construction apportent économétriquement une information utile pour retracer la trajectoire du taux de croissance du PIB. Les autres séries ne sont pas significatives, notamment l’indice de confiance des consommateurs ou la confiance dans le commerce de détail ou encore dans le commerce de gros.

L’indicateur avancé, qui présente un profil nettement plus lissé que le taux de croissance du PIB, ne parvient pas à décrire pleinement la volatilité de l’activité et de ce fait ne doit pas être considéré comme un prédicteur de la croissance au sens strict (graphique 2). Par contre, d’un point de vue plus qualitatif, il parvient à délimiter assez correctement les phases durant lesquelles la croissance est supérieure ou inférieure à la croissance moyenne (ou de long terme) déterminée par l’estimation. Sous cet angle, l’indicateur peut être vu comme un indicateur de retournement du cycle économique. Depuis le deuxième trimestre 2011, aucun franchissement du taux de croissance de long terme n’a été envisagé par l’indicateur, malgré les faux signaux de reprise lancés par les chiffres trimestriels du PIB, au deuxième trimestre 2013 et au premier trimestre 2015.

Sur la base des données d’enquêtes disponibles jusqu’en octobre, la croissance escomptée par l’indicateur serait de 0,4 % au troisième et au quatrième trimestre 2015, juste égale à la croissance de long terme[2]. Si un signal de reprise n’est donc pas encore clairement lancé par l’indicateur, il est à noter que l’information sur le quatrième trimestre, limitée aux enquêtes d’octobre, est tout à fait partielle. Les climats de confiance étant extrapolés jusqu’à la fin de l’année, ces prévisions sont fondées sur une hypothèse conservatoire et sont susceptibles d’être relevées au cas où les enquêtes poursuivraient leur amélioration d’ici à décembre.

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Les informations quantitatives disponibles à l’heure actuelle sur le troisième trimestre 2015 incitent aussi à l’optimisme après la déconvenue du deuxième trimestre. Sous l’effet de la désinflation issue de la baisse des prix de l’énergie qui a permis un rebond marqué du pouvoir d’achat, la consommation des ménages en biens s’est nettement redressée au début de l’année (graphique 3). La hausse s’est interrompue au deuxième trimestre, du fait du mauvais chiffre de mars qui a déprécié l’acquis, mais la consommation a repris une trajectoire haussière continue depuis lors. L’acquis de croissance en août pour le troisième trimestre est franchement positif (+0,6 %), ce qui laisse augurer une nouvelle contribution positive de la consommation en biens à la croissance du PIB pour ce trimestre.

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Le schéma de retour de la croissance au troisième trimestre est aussi confirmé par l’évolution de l’indice de production industrielle, en forte hausse au mois d’août (+1,6 % pour l’IPI total, et même +2,2 % pour le seul indice manufacturier). Ce net rebond fait suite à une retombée de la production après le point haut de février-mars 2015[3], ce qui a contribué à la mauvaise performance du PIB au deuxième trimestre (graphique 3), et a étayé l’idée que le deuxième trimestre n’était pas un « trou d’air » mais bien la poursuite de la longue de phase de stagnation d’une France incapable de profiter des vents favorables venus de l’extérieur[4]. L’acquis de la production industrielle en août s’élève désormais à +0,3 %, alors qu’il s’établissait à -0,7 % selon l’ancienne série disponible en juillet.

Les récentes évolutions des indicateurs mensuels augurent d’un réamorçage de la croissance au troisième trimestre 2015. L’extrapolation de la croissance du PIB par l’indicateur avancé, complétée par les données quantitatives précédentes, table aussi sur une hausse de l’activité de 0,4 % au troisième trimestre, qui, si elle se réalisait, mettrait alors l’économie sur de bons rails pour enfin enclencher la reprise.

 


[1] Pour plus de détails voir : « France : retour sur désinvestissement, Perspectives 2015-2017 pour l’économie française », pp. 34-37.

[2] La croissance de long terme considérée ici n’est pas la croissance potentielle estimée par ses déterminants structurels au moyen une fonction de production, mais la moyenne du taux de croissance du PIB telle qu’elle ressort de l’estimation de l’indicateur.

[3] Il est à noter que les révisions statistiques peuvent modifier la perception de la dynamique à très court terme de l’économie. La série d’IPI publiée le 9 octobre 2015 par l’INSEE a revu assez nettement à la hausse le niveau de l’indice par rapport à la publication antérieure. L’IPI reste orienté à la baisse entre février et juillet 2015, mais la trajectoire décrite est moins négative et la moyenne trimestrielle de l’indice au deuxième trimestre 2015 s’en ressent : selon l’ancienne série, elle s’établissait à -0,7 %, contre -0,4 % selon la série révisée.

[4] Voir Heyer E. et R. Sampognaro, 2015, « L’impact des chocs économiques sur la croissance des pays développés depuis 2011 », Revue de l’OFCE, n°138, juin 2015.




Baisse de la fiscalité sur les entreprises mais hausse de celle sur les ménages

par Mathieu Plane et Raul Sampognaro

A la suite de la remise du Rapport Gallois en novembre 2012, le gouvernement a fait le choix, au début du quinquennat de François Hollande, de donner la priorité à la réduction de la fiscalité sur les entreprises. Mais depuis 2015, le Président de la République semble avoir entamé une nouvelle phase de son quinquennat en poursuivant l’objectif d’alléger la pression fiscale sur les ménages, dont le marqueur a été la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu (IR) et l’aménagement d’un nouveau mécanisme de décote qui atténue la progressivité du bas du barème  de l’IR. Mais plus globalement, que peut-on dire de l’évolution des prélèvements obligatoires (PO) sur les ménages et sur les entreprises en 2015 et 2016, mais aussi sur une période plus longue ?

A partir des données fournies par l’Insee, nous avons recomposé les évolutions des PO depuis 2001 en distinguant les prélèvements supportés par les entreprises de ceux supportés par les ménages (graphique). Si cette analyse est purement comptable et ne repose pas sur l’incidence finale de l’impôt, elle permet néanmoins d’avoir une vision du découpage de la pression fiscale[1]. En particulier, cet exercice s’attache à identifier les PO par la nature du payeur direct en supposant les salaires et les prix hors taxes constants. Ce découpage comptable ne fait donc pas l’objet d’un bouclage macroéconomique et ne traite pas des effets redistributifs et intergénérationnels[2] de la fiscalité.

De 2001 à 2014, les chiffres sont connus et constatés. Ils sont donc ex post et intègrent à la fois les effets des mesures discrétionnaires votées mais aussi les effets des plus/moins-values fiscales qui sont sensibles au cycle conjoncturel. En revanche, pour 2015 et 2016, les évolutions des PO pour les ménages et les entreprises sont ex ante, c’est-à-dire qu’elles reposent uniquement sur les mesures discrétionnaires ayant un impact en 2015 et 2016 et chiffrées dans le cadre du Rapport économique social et financier du Projet de loi de finances pour 2016.  Elles n’intègrent donc pas, pour ces deux années, les effets potentiels liés aux variations des élasticités fiscales pouvant modifier les taux de PO apparents. Par ailleurs, les crédits d’impôts, tels que le CICE, sont ici considérés comme des baisses de PO et non pas comme une dépense publique au sens des nouvelles normes comptables issues du SEC 2010. De plus, le CICE est comptabilisé au niveau des PO en versement effectif et non en droits constatés.

Sur la période récente, il en ressort quelques éléments majeurs. Tout d’abord, les taux de prélèvements augmentent fortement sur la période 2010-2013, représentant une hausse de 3,7 points de PIB, dont 2,4 points portent sur les ménages et 1,3 point sur les entreprises. Sur cette période, l’austérité fiscale a porté de façon relativement équilibrée sur les ménages et les entreprises, les deux connaissant une hausse de leur fiscalité plus ou moins proportionnelle à leur poids respectif dans les taux de PO[3].

En revanche, à partir de 2014 est apparu un découplage entre l’évolution des PO des ménages et celle des PO des entreprises, et qui se confirme en 2015 et 2016. En effet, en 2014, les taux de PO des entreprises, sous l’effet de la mise en place du CICE (6,4 milliards, soit 0,3 point de PIB), ont commencé à se réduire de 0,2 point de PIB alors que ceux des ménages ont continué d’augmenter de 0,4 point de PIB en raison notamment de la hausse de la TVA (5,4 milliards), de l’augmentation de la fiscalité écologique (0,3 milliard avec la mise en place de la taxe carbone) et de la hausse de la contribution au service de l’électricité (CSPE) (1,1 milliard), ainsi que l’accroissement des cotisations sociales pesant sur les ménages (2,4 milliards), principalement avec la hausse des taux de cotisation du régime général, de ceux des régimes complémentaires ainsi que l’alignement progressif des taux des fonctionnaires sur ceux du privé.

En 2015, le taux de PO des entreprises baisserait de 9,7 milliards (0,5 point de PIB) avec la montée en charge du CICE (6 milliards), les premières mesures du Pacte de responsabilité (5,9 milliards liés à la première tranche d’allègements de cotisations sociales patronales, d’un abattement sur l’assiette de la C3S et du suramortissement fiscal de l’investissement) alors que d’autres mesures, comme celles issues de la réforme des retraites, alourdissent la fiscalité sur les entreprises (1,7 milliard au total). A l’inverse, le taux de PO sur les ménages augmenterait en 2015 de 4,5 milliards (0,2 point de PIB) malgré la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu (-2,8 milliards) et l’allègement des cotisations des indépendants (-1 milliard). La hausse de la fiscalité écologique (taxe carbone et TICPE) et de la CSPE, ainsi que la non reconduction en 2015 de la mesure exceptionnelle de baisse d’IR de 2014 représentent respectivement une hausse de la fiscalité sur les ménages de 3,7 et 1,3 milliards. D’autres mesures, comme celles sur les taux de cotisations des régimes de retraites généraux, complémentaires et des fonctionnaires (1,2 milliard), ou celles sur la fiscalité locale (1,2 milliard), avec notamment la modification du plafond des DMTO et les mesures sur les taxes de séjour et de parking, viennent alourdir la fiscalité sur les ménages.

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En 2016, le taux de PO des entreprises se réduirait de 5,9 milliards (0,3 point de PIB), principalement en lien avec la seconde phase du Pacte de responsabilité. Les allègements de cotisations sociales patronales sur les salaires compris entre 1,6 et 3,5 SMIC (3,1 milliards d’euros), la suppression de la surtaxe IS (2,3 milliards), le deuxième abattement sur l’assiette de la C3S (1 milliard), la montée en charge du CICE (0,3 milliard) et du dispositif de suramortissement de l’investissement (0,2 milliard) ne sont que partiellement compensés par des hausses de fiscalité sur les entreprises, avec principalement la hausse des taux de cotisation retraite (0,6 milliard). En revanche, à l’instar des années précédentes, le taux de PO sur les ménages augmenterait, en 2016, de 4,1 milliards (0,2 point de PIB) malgré une nouvelle baisse de l’IR (2 milliards). Les principales mesures qui augmentent la fiscalité des ménages sont semblables à celles de 2015, que ce soit la fiscalité écologique avec la hausse de la taxe carbone (1,7 milliard) et la CSPE (1,1 milliard), les mesures sur le financement des retraites (0,8 milliard) ou la hausse attendue de la fiscalité locale (1,1 milliard). A noter que la suppression de la Prime pour l’emploi (PPE) en 2016 conduira à augmenter mécaniquement les PO sur les ménages de 2 milliards[4], mais cette hausse serait compensée par la nouvelle Prime d’activité pour un montant équivalent.

Au final, sur la période 2010-2016, les PO sur les ménages augmenteraient de 66 milliards d’euros (3,1 points de PIB) et ceux sur les entreprises de 8 milliards (0,4 point de PIB). Le taux de PO sur les ménages atteindrait un plus haut historique en 2016, à 28,2 % du PIB. A l’inverse, le taux de PO sur les entreprises reviendrait en 2016 à 16,4 % du PIB, soit un niveau inférieur à celui d’avant la crise de 2008. Et en 2017, la dernière phase du Pacte de responsabilité (avec la suppression totale de la C3S et la réduction du taux d’IS) et les remboursements attendus liés au CICE devraient conduire à réduire la fiscalité des entreprises d’environ 10 milliards d’euros, amenant le taux de PO des entreprises à un plus bas historique depuis le début des années 2000.

La nécessité de financer à la fois les mesures de compétitivité des entreprises et la réduction du déficit public structurel font porter pleinement l’ajustement budgétaire sur les ménages. Ainsi, la baisse de l’impôt sur le revenu en 2015 et 2016 ne permet pas de compenser la hausse des autres mesures fiscales, pour la plupart décidées dans le cadre des Lois de finances antérieures à 2015, et semble bien faible au regard du choc fiscal subi par les ménages depuis 2010. En revanche, l’effet sur la croissance de l’évolution récente de la fiscalité et son impact sur les inégalités va dépendre de l’utilisation faite par les entreprises des nouvelles ressources générées par la baisse massive des PO depuis 2014. Ces ressources peuvent induire une hausse des salaires, de l’emploi, de l’investissement ou une baisse des prix ou bien encore une augmentation des dividendes ou une réduction de l’endettement. Selon les arbitrages réalisés par les entreprises, les effets à attendre sur le niveau de vie en France et sur les inégalités ne seront bien sûr pas les mêmes. L’évaluation de l’effet de ces évolutions des PO ne manquera pas de donner lieu à des études et débats à venir.

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[1] Sont considérés comme des PO sur les ménages, les impôts directs (CSG, CRDS, IRPP, taxe d’habitation, …), les impôts indirects (TVA, TICPE, CSPE, accises…), les impôts sur le capital (ISF, DMTG, taxe foncière, DMTO, …), les cotisations sociales salariées et non salariées. Sont considérés comme des PO sur les entreprises, les impôts divers sur la production (Cotisation sur la VA et Cotisation foncière sur les entreprises (ex-TP), taxe foncière, C3S, …), les impôts sur les salaires et la main-d’œuvre, les impôts sur les sociétés et les cotisations sociales patronales.

[2] Par exemple, les cotisations sociales patronales pour les retraites sont analysées ici comme un PO sur les entreprises et non pas comme un salaire différé pour les ménages ou un transfert de revenu des actifs vers les retraités.

[3] En 2013, 61 % des PO concernaient les ménages et 39 % les entreprises. Or, sur la période 2010-2013, la hausse de la fiscalité portait à 64 % sur les ménages et à 36 % sur les entreprises, soit peu ou prou leur poids respectif dans la fiscalité.

[4] La PPE sera remplacée par la Prime d’activité d’un montant équivalent, englobant aussi le RSA « activité », mais qui est considérée comptablement comme une dépense publique. Or, cette nouvelle mesure ne devrait pas changer macroéconomiquement le revenu des ménages mais seulement la nature du transfert. Ainsi, hors prise en compte de la suppression de la PPE, le taux de PO sur les ménages augmenterait de 2,1 milliards en 2016.

 




COP 21 : la nécessité du compromis

Par Aurélien Saussay

La Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) a rendu publique, mardi 6 octobre 2015, une version préliminaire du projet d’accord qui formera la base des négociations lors de la Conférence de Paris en décembre prochain. Six ans après l’accord de Copenhague, présenté comme un échec, le secrétariat français met tout en œuvre pour assurer le succès de la COP 21 – au prix d’un certain nombre de compromis. Si elle réduit l’ambition du texte, la stratégie des « petits pas » permet seule d’arriver à un accord.

Le projet renonce à l’approche contraignante, où les contributions de chaque pays étaient négociées simultanément, pour la remplacer par un appel aux contributions volontaires, où chaque pays s’engage séparément. Cet abandon était nécessaire : le protocole de Kyoto, pour ambitieux qu’il fût, n’a jamais été ratifié par les Etats-Unis, principal émetteur mondial de carbone à l’époque – et la tentative d’élaborer son successeur sur le même modèle s’est soldé par une absence d’accord à Copenhague.

Les engagements, ou Contributions Prévues Déterminées au Niveau National (INDC), se répartissent en trois grandes catégories : la réduction des émissions par rapport au niveau d’une année donnée – généralement utilisée par les pays développés –, la réduction de l’intensité en émissions du PIB (la quantité de GES émise pour chaque unité de PIB produite), et enfin la réduction relative des émissions par rapport à un scénario de référence, dit « business-as-usual », qui représente la trajectoire projetée des émissions en l’absence de mesures spécifiques.

La plupart des pays émergents ont choisi d’exprimer leurs objectifs en intensité (Chine et Inde en particulier) ou en relatif à une trajectoire de référence (Brésil, Mexique et Indonésie notamment). Ce type de définition présente l’avantage de ne pas pénaliser leur développement économique – au prix certes d’une incertitude sur le niveau de l’objectif visé : si la croissance économique est supérieure aux projections retenues, l’objectif pourrait être rempli tout en obtenant une réduction des émissions plus faible qu’attendue. Par ailleurs, une partie de l’objectif est souvent indexée sur la disponibilité de financements et de transferts de technologie en provenance des pays développés – une condition à nouveau parfaitement légitime. Par sa contribution à la juste répartition des efforts entre pays développés, émetteurs de longues date, et pays au développement plus récent, la pluralité des objectifs est une source essentielle de compromis.

En ce qui concerne le niveau des cibles d’émissions visées à l’horizon 2030, si certaines sont triviales – on notera le cas de l’Australie qui propose d’augmenter ses émissions par rapport au niveau de 1990 – beaucoup impliquent une accélération des efforts en cours. Pour respecter ses engagements, l’Europe devra ainsi réduire ses émissions deux fois plus vite de 2020 à 2030 par rapport à la décennie précédente, les Etats-Unis une fois et demi ; la Chine devra réduire son intensité carbone trois fois plus rapidement qu’elle ne l’a fait ces cinq dernières années, l’Inde deux fois et demi.

A titre indicatif, si les INDCs rendues publiques à ce jour étaient pleinement réalisées, le réchauffement atteindrait, d’après le consortium de recherche Climate Action Tracker[1], 2,7°C au‑dessus des températures préindustrielles à la fin du siècle. Ce simple calcul doit toutefois être relativisé, puisqu’il est prévu que les engagements soient révisés tous les cinq ans et qu’il ne soit possible que de les durcir. Ce mécanisme de négociations itérées doit permettre progressivement de se rapprocher de l’objectif, toujours officiellement affiché, des 2°C.

Pour être efficace, la réalisation des engagements doit en outre être vérifiée et faire l’objet d’un suivi indépendant. Sur ce plan, si des lignes directrices sont mises en avant dans la version actuelle du projet d’accord, les négociations finales devront préciser les dispositions retenues. En l’absence d’un mécanisme de vérification efficace, les réévaluations successives des engagements pourraient se muer en une partie de poker menteur mondiale, et desservir au final la lutte contre le changement climatique.

Par ailleurs, l’existence d’engagements relativement ambitieux ne doit surtout pas retarder la mise en place de nécessaires mesures d’adaptation, qui font pour l’heure l’objet d’un unique article du projet provisoire, sans référence aux moyens financiers qui y seront consacrés. C’est l’une des principales faiblesses du projet, avec la question du financement –  le Fonds Vert pour le Climat, qui devait être doté de 100 milliards de dollars dès 2010 et n’a levé que 10,2 milliards à ce jour, y est à peine mentionné.

En tournant la page de Copenhague, le projet d’accord de Paris peut constituer un grand pas en avant pour la préservation du climat. Il résulte d’un changement de méthode et d’une série de compromis qui, s’ils réduisent son ambition, sont absolument nécessaires à son existence même. Une plus grande exigence quant aux objectifs du texte pourrait conduire à l’échec des négociations, et serait autrement plus dommageable. Dans sa version actuelle, le projet d’accord fournit une base robuste pour la coordination future des efforts contre le changement climatique.

 


[1] Consortium des organismes de recherches suivant : Climate Analytics, Ecofys, NewClimate Institute, Postdam Institute for Climate Impact Research