Les effets redistributifs de la politique monétaire de la BCE

par Jérôme Creel et Mehdi El Herradi

À quelques semaines de la présidence de la Banque centrale européenne
(BCE) par Christine Lagarde, il peut être utile de s’interroger sur le bilan de
ses prédécesseurs, non pas seulement sur les questions macroéconomiques et
financières mais aussi sur les inégalités. Depuis quelques années en effet, la
problématique des effets redistributifs des politiques monétaires occupe un
espace important, autant sur le plan académique qu’au niveau des discussions de
politique économique.



L’intérêt pour ce sujet s’est développé
dans un contexte marqué par la conjonction de deux facteurs. D’abord, un niveau persistant
des inégalités de revenus et de patrimoine
qui peinent à se
résorber. Ensuite, l’action volontariste des banques centrales dans les
économies avancées après la crise de 2008 pour soutenir la croissance,
notamment à travers la mise en place de mesures dites « non-conventionnelles »[1].
Ces dernières, qui se manifestent principalement par des programmes de Quantitative Easing, sont soupçonnées
d’avoir augmenté les prix des actifs financiers et, de ce fait, favorisé les
ménages les plus aisés. En parallèle, la politique des taux bas se traduirait
par une réduction des revenus d’intérêt sur les actifs à rendement fixe,
détenus en majorité par les ménages à faible revenu. À l’inverse, les effets réels de la politique monétaire,
notamment sur l’évolution du taux de chômage, pourrait favoriser le maintien en
emploi des ménages à faible revenu. Ce débat qui a initialement fait irruption
aux États-Unis, s’est aussitôt invité au niveau de la zone
euro
, après que la BCE ait entamé son programme de QE.

Dans une étude
récente
, en se focalisant sur 10 pays de la zone euro entre 2000 et
2015, nous avons analysé l’impact des mesures de politique monétaire de la BCE –
à la fois conventionnelles et non-conventionnelles – sur les inégalités de
revenus. Pour cela, nous avons mobilisé trois indicateurs clés : le coefficient
de Gini avant et après redistribution ainsi qu’un rapport interdécile (le ratio
entre les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres).

Trois résultats principaux ressortent
de notre étude. D’une part, une politique monétaire restrictive produit un
impact modeste sur les inégalités de revenus, peu importe l’indicateur d’inégalité
retenu. D’autre part, cet effet est principalement tiré par les pays de l’Europe
du sud, particulièrement en période de politique monétaire conventionnelle.
Enfin, nous constatons que les effets redistributifs des politiques monétaires
conventionnelles et non-conventionnelles ne sont pas significativement
différents.

Ces résultats suggèrent donc que les
politiques monétaires menées par la BCE depuis la crise ont eu probablement un
impact insignifiant, voire éventuellement favorable sur les inégalités de
revenus. La normalisation à venir de la politique monétaire de la zone euro
pourrait au contraire augmenter les inégalités. Bien que cette augmentation
puisse être limitée, il est important que les décideurs l’anticipent.


[1]
Pour une analyse des effets attendus des politiques non conventionnelles de la
BCE, voir Blot et al. (2015).




Taux d’intérêt négatifs : un défi ou une opportunité pour les banques européennes ?

Par Whelsy Boungou

Cela fait maintenant cinq ans que
les banques commerciales, notamment celles de la zone euro, font face à un
nouveau défi, celui de continuer à générer du profit en environnement de taux
d’intérêt négatifs.

A l’aube de la crise financière
mondiale de 2007-2008, plusieurs banques centrales ont implémenté de nouvelles
politiques monétaires dites « non-conventionnelles ». Ces dernières,
majoritairement les programmes d’achats massifs d’actifs (communément appelé Quantitative Easing, QE) et l’orientation
prospective sur les taux d’intérêt (Forward
guidance
), visent à sortir les économies de la crise en favorisant une
amélioration de la croissance économique tout en évitant un niveau d’inflation
trop faible (voire déflationniste). Depuis 2012, six banques centrales en
Europe (Bulgarie, Danemark, Hongrie, Suède, Suisse et Zone euro) et la Banque
du Japon ont progressivement introduit des taux d’intérêts négatifs sur les dépôts
et les réserves des banques, en complément aux mesures non-conventionnelles
déjà en vigueur. Par exemple, le taux des facilités de dépôts de la Banque
centrale européenne est désormais à -0.40% (voir graphique 1). En effet, comme
indiqué par Benoît Cœuré [1] l’implémentation des taux négatifs visent à taxer
les réserves excédentaires des banques afin que celles-ci les utilisent pour
augmenter l’offre de crédit.



Cependant, l’implémentation des taux négatifs a suscité au moins deux inquiétudes quant à ses effets potentiels sur la rentabilité et sur la prise de risques des banques. Premièrement, l’introduction de taux négatifs pourrait entraver la transmission de la politique monétaire s’ils réduisent les marges d’intérêt des banques et donc leur rentabilité. En outre, La baisse des taux de crédit pour les nouveaux prêts et la réévaluation de l’encours des prêts (principalement à taux variable) compriment la marge d’intérêt nette des banques lorsque le taux de dépôt ne peut être inférieur à zéro (Zero Lower Bound). Deuxièmement, en réponse aux effets sur les marges, les banques pourraient soit réduire la part des prêts non productifs dans leur bilan, soit rechercher d’autres actifs plus rentables que le crédit bancaire (“Search-for-yield“).  Dans un article récent [2], à l’aide de données de panel de 2442 banques des 28 pays membres de l’Union européenne sur la période 2011-2017, nous analysons les effets des taux négatifs sur le comportement des banques en termes de profitabilité et de prise de risque. Plus précisément, nous nous sommes posé trois questions : (i) Quels sont les effets des taux négatifs sur la profitabilité des banques ? (ii) Les taux négatifs encourageraient-ils les banques à prendre plus de risques ? (iii) La pression imposée aux marges nette d’intérêt par les taux négatifs inciterait-elle les banques à prendre plus de risque?

Au terme de notre analyse,  nous mettons en évidence la présence d’un
effet de seuil quand les taux d’intérêt passent en dessous de la barre de zéro.
Comme nous pouvons le voir sur le graphique 2, une réduction du taux de dépôts
des banques centrales (positif et négatif) de 1% a réduit les marges nettes
d’intérêt des banques de 0.429% lorsque les taux sont positifs, et de 1.023%
lorsqu’ils sont négatifs. Ainsi, les taux négatifs ont des effets plus grands
sur les marges nettes d’intérêt des banques comparé aux taux positifs. Ce
résultat justifie, en effet, la présence d’un effet de seuil à zéro. De plus, en
réponse à cet effet négatif sur les marges (et afin de compenser les pertes),
les banques ont réagi en augmentant leurs activités non liées aux taux
d’intérêt (frais de gestion de comptes, commissions, etc.). Par conséquent, sur
le court et le moyen terme rien ne justifiait le recours à des positions plus
risquées de la part des banques. Cependant, la question de la prise de risque
pourrait éventuellement se poser si les taux négatifs le restent pendant une
longue période et que les banques continuent à enregistrer des pertes sur les
marges nettes d’intérêt.

 

[1] Coeuré 
B.,  (2016).  Assessing 
the  implication  of 
negative  interest  rate. 
Speech  at  the 
Yale  Financial  Crisis Forum in New Haven. July 28, 2016.

[2] Boungou W., (2019). Negative Interest Rates, Bank Profitability and Risk-taking. Sciences Po OFCE Working Paper n° 10/2019.




L’économie européenne 2019

par Jérôme Creel

L’ouvrage L’économie européenne 2019 dresse le bilan de l’Union européenne (UE) vingt ans après la naissance de l’euro et à quelques semaines de la nouvelle date-butoir du 12 avril 2019 supposée clarifier le scénario, impensable il y a encore quelques années, d’une sortie d’un État membre de l’UE, en l’occurrence le Royaume-Uni. Fêter l’anniversaire de l’euro dans ces conditions n’est donc pas chose aisée, tant les sujets de discorde et d’inquiétude sont nombreux.

L’euro aura vécu une enfance et une adolescence difficile : frappé à moins de dix ans par une crise financière mondiale sans précédent, il a montré très tôt sa résilience grâce aux efforts coordonnés de ses États membres. Les divergences financières entre pays créanciers et débiteurs replongent cependant bien vite la zone euro dans la crise dont elle sort après une surenchère de politiques monétaires expansionnistes et dotée de nouveaux instruments de gouvernance. Ceux-ci restent en cours d’achèvement (l’union bancaire) ou en phase d’extension de leurs prérogatives (le mécanisme européen de stabilité).

Vingt ans après, la zone euro et la gestion de l’euro en particulier ne ressemblent plus vraiment au projet initial et aux prévisions. L’ouvrage revient ainsi sur l’évolution du projet de monnaie unique, rapport officiel après rapport officiel depuis les années 1960 et sur l’influence allemande, notamment dans le domaine monétaire. Ainsi l’euro, largement approuvé par les citoyens européens est-il devenu une monnaie stable qui, en contribuant globalement à la stabilité des prix, a protégé le pouvoir d’achat des Européens. Ce n’est pas une mince réussite.

Cette réussite ne doit pas pour autant masquer les difficultés à faire émerger des convergences dans de nombreux domaines : structures des marchés du travail, dynamiques industrielles, politiques migratoires, systèmes de retraite, fiscalité des entreprises et adaptation aux défis numériques pour ne citer que ceux auxquels un chapitre est consacré. En l’absence de convergences structurelles entre ses États membres, la protection et le dynamisme attendus de l’appartenance à l’UE et à la zone euro ne semblent pas faire le poids face aux turbulences économiques et financières de l’économie mondiale. Les divergences nourrissent le ressentiment à l’égard du projet d’intégration européenne.

La persistance de spécificités nationales ou régionales rend difficile le renouveau du projet d’UE, dans une phase longue et ardue de sortie de crise économique. L’énergie qu’a dû déployer l’UE pour négocier et préparer le Brexit n’est sans doute pas étrangère au fait que le projet européen semble marquer le pas. Dépasser les divergences économiques et sociales à l’œuvre requerrait des instruments de politique publique plus performants ou nouveaux ; in fine, il y faudrait une volonté politique partagée qui fait aujourd’hui cruellement défaut.

 

L’économie européenne 2019, sous la direction de Jérôme Creel, Repères La Découverte

Disponible sous cairn (abonnés): https://www.cairn.info/economie-europeenne-2019–9782348041822.htm

Sommaire :

Introduction, par Jérôme Creel

I/ La genèse de l’euro : retour aux sources, par Sandrine Levasseur.

II/ La Banque centrale européenne au prisme de l’ordolibéralisme, par Marc Deschamps et Fabien Labondance.

III/ Les vingt ans de l’euro : bilan et enjeux futurs, par Christophe Blot, Jérôme Creel et Xavier Ragot.

IV/ Marché(s) du travail : à la recherche du modèle européen, par Eric Heyer et Pierre Madec.

V/ Dynamique et synchronisation des industries manufacturières de l’Union européenne, par Mattia Guerini, Mauro Napoletano et Lionel Nesta.

VI/ Brexit : une sortie impossible ?, par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak.

VII/ Quelle imposition des multinationales en Europe ?, par Guillaume Allègre et Julien Pellefigue.

VIII/ L’Europe des retraites : des réformes sous la pression de populations vieillissantes, par Frédéric Gannon, Gilles Le Garrec et Vincent Touzé

IX/ L’Europe au défi de la nouvelle immigration, par Grégory Verdugo

X/ L’Europe face aux défis numériques, par Cyrielle Gaglio et Sarah Guillou.




Politique économique et économie politique dans l’UE après la crise

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

« Politique économique et économie politique dans l’UE après la crise ». Tel était le thème du 15e Colloque EUROFRAME sur les questions de politique économique dans l’Union européenne, qui s’est tenu le 8 juin 2018 à Milan. EUROFRAME est un réseau d’instituts économiques européens qui regroupe : DIW et IFW (Allemagne), WIFO (Autriche), ETLA (Finlande), OFCE (France), ESRI (Irlande), PROMETEIA (Italie), CPB (Pays-Bas), CASE (Pologne) et NIESR (Royaume-Uni). Depuis 2004, EUROFRAME organise chaque année un colloque sur un sujet important pour les économies européennes. Cette année, 25 contributions de chercheurs ont été présentées, dont la plupart sont disponibles sur la page web du colloque. Cette note fournit un résumé des travaux présentés et discutés lors du colloque.

Comme l’ont souligné Catherine Mathieu (OFCE) et Stefania Tomasini,(PROMETEIA) en introduction, le 15e colloque EUROFRAME est centré sur deux défis auxquels la politique économique européenne est confrontée, un peu plus de 10 ans après le déclenchement de la crise financière 2007 : la normalisation de la politique monétaire et l’économie politique de la politique budgétaire. Les banques centrales envisagent de sortir des politiques non conventionnelles. Cela implique-t-il le retour à des taux d’intérêt réels proches du taux de croissance ? Quel en sera l’impact sur les marchés financiers, les entreprises, les ménages ? Les banques centrales pourront-elles dégonfler leurs bilans ? Dans ce contexte, comment se pose la question de la soutenabilité de la dette publique ? Comment définir un policy mix optimal dans les années à venir : faut-il choisir entre domination monétaire et domination budgétaire ? Après la grande récession, les différents groupes sociaux et les partis politiques tentent de repenser les systèmes nationaux de finances publiques, tant du point de vue de la composition des dépenses et des recettes, que du solde public et de la dette publique. De grandes réformes sont-elles envisageables ?

Les règles budgétaires   

La question des règles budgétaires reste au centre des débats. Katja Riezler (IMK, Düsseldorf) et Achim Truger (Berlin School of Economics and Law et IMK), dans Is the debt brake behind Germany’s successful fiscal consolidation?, analysent l’impact du «frein à la dette » allemand qui a servi de modèle au Traité budgétaire européen. Selon ces auteurs, l’amélioration du solde public allemand depuis 2010 ne s’explique pas par ce frein, mais plutôt par la fin des mesures de stimulation budgétaire, la baisse progressive des transferts aux Länder de l’Est, un environnement macroéconomique favorable et le bas niveau des taux d’intérêt.

Christoph Paetz (Université de Duisburg-Essen et IMK, Düsseldorf), dans : Have fiscal rules made discretionary policy more countercyclical? Evidence from fiscal reactions fonctions for the euro area, estime des fonctions de réaction des politiques budgétaires. L’auteur montre que celles-ci ont été faiblement pro-cycliques, ne pratiquant guère de politiques restrictives en sommet de cycle et ayant tendance à se livrer à des restrictions des dépenses publiques en bas de cycle. L’effet des règles budgétaires semble limité : elles inciteraient à réduire les déficits en haut de cycle, mais aussi en bas de cycle. Les règles portant sur les dépenses semblent permettre une meilleure stabilisation que celles portant sur le solde public ou sur la dette.

Heikki Oksanen (Université d’Helsinki), dans New output gap estimates for assessing fiscal policy with lessons for euro area reform, propose une méthode simple pour estimer l’écart de production : introduire des hypothèses explicites sur la croissance future et lisser le PIB par un filtre HP. Selon l’auteur, cette méthode donnerait des résultats aussi satisfaisants que les méthodes plus élaborées des organismes internationaux (CE, FMI et OCDE). L’auteur reconnaît toutefois que l’estimation de l’écart de production reste soumise à des révisions, qui se répercutent sur l’évaluation de l’effort budgétaire. En étudiant les années 2011-14, il montre qu’une sous-évaluation de la croissance potentielle peut être auto-réalisatrice, induisant une politique budgétaire trop restrictive et donc une baisse de la croissance effective. Il plaide cependant pour des transferts entre pays basés sur les différences d’écarts de production. Il estime que les politiques budgétaires pourraient être plus réactives et plus contra-cycliques si la soutenabilité à long terme des finances publiques était assurée, ce qui nécessiterait des réformes des systèmes publics de retraite et de santé.

Leonardo Augusto Tariffi (Université des Andes, Vénézuela et Université autonome de Barcelone), dans “A threshold multivariate model to explain fiscal multipliers with government debt”, analyse l’impact des dépenses publiques en Italie, Belgique et Royaume-Uni selon le ratio de dette publique/PIB. Au-delà d’un certain niveau de dette publique, le multiplicateur deviendrait négatif.

Tero Kuusi (ETLA, Helsinki), dans Finding the bottom line: A quantitative model of the EU’s fiscal rules and their compliance, décrit l’ensemble compliqué des contraintes auxquelles est soumise la politique budgétaire d’un pays membre (objectif de moyen terme de déficit structurel inférieur à 0,5% du PIB, règles des 3%, des 60%, des 0,5%, des 1/20ème). L’auteur construit un modèle dynamique pour déterminer la trajectoire optimale qui vérifie l’ensemble de ces contraintes en minimisant les ajustements budgétaires nécessaires. Il apparaît nécessaire de prendre en compte l’impact de la politique budgétaire sur l’activité et l’incertitude sur l’environnement économique.

Grzegorz Poniatowski (CASE et Warsaw School of Economics), dans Enhancing credibility and commitment to fiscal rules analyse économétriquement les déterminants du solde budgétaire structurel (selon l’évaluation de la Commission). Il montre que les pays ont tendance à pratiquer des politiques plus restrictives quand des règles budgétaires sont en place ; de ce point de vue, la réforme de 2005 du Pacte de stabilité et de croissance a été contre-productive, contrairement au Traité budgétaire de 2011. L’auteur suggère de traiter la question des relations entre la Commission et les États membres selon un modèle principal-agent ; la Commission devrait mettre en place des incitations fortes, mais différenciées selon les pays, pour que ceux-ci pratiquent des politiques budgétaires de consolidation.

Les déséquilibres internes de la zone euro

Jamel Saadaoui (Université de Strasbourg), dans Internal devaluations and equilibrium exchange rates: New evidences and perspectives for the EMU, évalue les déséquilibres de taux de change réels de 2004 à 2016. En corrigeant les soldes courants pour tenir compte des situations conjoncturelles, il apparaît qu’en 2016, la Chine et les États-Unis ne présentent plus de forts déséquilibres de taux de change ; par contre, l’euro est globalement sous-évalué et la livre sterling est fortement surévaluée. La sous-évaluation de l’euro provient de la sous-évaluation de l’Allemagne, mais aussi maintenant de l’Espagne, de l’Irlande et du Portugal, tandis que la France et l’Italie sont proches du taux de change réel d’équilibre.

Serena Fatica et Wildmer Daniel Gregori (tous deux, Commission européenne – Centre commun de recherche, Italie), dans “Profit shifting by EU banks: Evidence from country-by-country reportingévaluent économétriquement les transferts de profits effectués par les banques multinationales européennes par l’intermédiaire de leurs filiales de façon à être taxées à de faibles taux dans des paradis fiscaux. Les profits exportés sont particulièrement importants pour la France ; en sens inverse, les profits importés sont importants pour Hong Kong et l’Irlande.

Angela Cheptea (INRA, Rennes) et Iuliana Matei (IESEG et Université Paris 1), dans Does political instability matter for sovereign yield spreads in the euro area market?, analysent les déterminants des écarts de taux d’intérêt de 2002 à 2017 entre l’Allemagne et les autres pays européens. Ces écarts s’expliquent par des différences de taux de croissance, de taux d’inflation, de dettes publiques, de solde public et extérieur, mais aussi de risques politiques.

La gouvernance de la zone euro

Riccardo Rovelli (Université de Bologne), dans Completing EMU: A feasible and shared goal ? Economics and political economy of the next EU reforms, pointe deux sources de déséquilibres dans l’UEM : les différentiels d’inflation et de soldes courants. Il en voit l’origine dans les différences de fonctionnement des marchés du travail, en particulier des négociations salariales, sans toutefois estimer que plus de flexibilité des salaires et moins de coordination des négociations salariales suffiraient à résoudre le problème. L’auteur soutient la mise en place de réformes visant à la convergence macroéconomique et salariale, en proposant que ces réformes conditionnent la participation à un système européen d’assurance chômage.

L’article de Sebastian Blesse (ZEW Mannheim), Pierre Boyer (CREST, École Polytechnique), Friedrich Heinemann (ZEW Mannheim), Eckhard Janeba (Université de Mannheim) et Anasuya Raj (CREST, École Polytechnique), European Monetary Union reform preferences of French and German parliamentarians, analyse un sondage effectué auprès de parlementaires allemands et français sur des questions de politique économique européenne. Pour certaines questions, les différences de réponses s’expliquent par les appartenances partisanes : c’est le cas pour la flexibilité du marché du travail (prônée par la droite) et la relance de l’investissement (prônée par la gauche). Pour d’autres questions, la nationalité est aussi un facteur discriminant : c’est le cas pour les achats de titres par la BCE, pour les Euro-obligations, pour l’harmonisation fiscale et pour l’assurance chômage européenne (prônés par les parlementaires de gauche et français) et surtout pour le Traité budgétaire (approuvé les parlementaires de droite et tout particulièrement par les allemands).

L’article de Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak (tous deux, OFCE, Paris), Euro area macroeconomics, where do we stand ?, présente les projets récents de réforme de la zone euro émanent des institutions européennes et des États membres. L’article présente et discute les différents points de vue des économistes, ceux qui font confiance aux marchés financiers pour contrôler les politiques économiques nationales, ceux qui veulent renforcer les règles budgétaires, ceux qui veulent les améliorer, ceux qui veulent organiser des transferts, plus ou moins automatiques, entre les pays membres, ceux qui veulent instaurer un budget et un ministre des Finances de la zone euro, ceux qui veulent aller vers une Europe fédérale démocratisée, ceux qui proposent des mesures originales pour réduire les dettes publiques, ceux enfin qui préconisent une meilleure coordination de politiques budgétaires autonomes dans une optique keynésienne.

Raphaël Lee et Jocelyn Boussard (INSEE-CREST, Paris), dans How different are supply shocks under the zero lower bound and normal times? Empirical investigation of the New-Keynesian model and paradoxes, discutent de l’impact de chocs d’offre positifs dans une situation où les taux d’intérêt sont rigides à la baisse. Les auteurs développent d’abord un modèle théorique dit néo-keynésien dans lequel ces chocs ont effectivement un impact négatif sur l’activité dans cette situation, puisqu’ils induisent une baisse du taux d’inflation, donc une hausse du taux d’intérêt réel. Par contre, ils ne réussissent pas à mettre en évidence un tel effet empiriquement (mais les chocs d’offre sont difficiles à mettre en évidence).

Bas van Aarle (KU, Leuwen), Jacob Engwerda (Tilburg University) et Arie Weeren (Mathworks BV, Eindhoven), dans Effects of debt mutualization in a monetary union with endogenous risk premia: Can eurobonds contribute to debt stabilization ?, comparent le régime où les dettes publiques nationales ne sont pas collectivement garanties et les marchés financiers leur imposent des primes de risque spécifiques et un régime d’euro-obligations où les dettes publiques sont collectivement garanties et où la prime de risque est uniforme. Compte tenu de l’hypothèse de non-linéarité entre la prime de risque et le niveau des dettes publiques, l’introduction d’euro-obligations produit des gains nets pour les pays membres. Toutefois, restent à analyser les questions d’aléa moral et de discipline budgétaire.

Harmen Lehment (IfW Kiel), dans “Fiscal implications of the ECB’s Public Sector Purchase Programme analyse les conséquences budgétaires en terme de gains de seigneuriage du Programme d’Achat de Titres Publics de la BCE. L’auteur montre que, du fait de ce programme, les États se financent par les réserves excédentaires des banques, donc à un taux de court terme sans risque, au lieu de se financer par titres, donc à un taux de long terme incorporant une prime de risque. Le gain est d’autant plus fort que le taux de rémunération des réserves est faible et la prime de risque forte. Pour compenser la future hausse du taux de rémunération des réserves, l’auteur préconise d’augmenter le taux de réserves obligatoires des banques et de ne pas les rémunérer.

Le chômage dans les pays européens

Robert Calvert Jump (University of West England, Bristol) et Engelbert Stockhammer (Kingston University), dans New evidence on unemployment hysteresis in the EU proposent des estimations de l’hystérèse du chômage dans les pays de l’UE. En moyenne, une hausse de 1 point du taux de chômage conjoncturel induirait une hausse de 0,8 point du taux de chômage d’équilibre (le NAIRU) un an plus tard. C’est l’hystérèse qui expliquerait la hausse du NAIRU dans les pays européens, et non des changements dans les institutions du marché du travail. Cela milite pour une politique de gestion de la demande plus active, faute de quoi un cercle vicieux pourrait s’enclencher : la baisse de la demande induisant une hausse du NAIRU, donc de la production potentielle. Mais, le concept de NAIRU a-t-il encore un sens dans cette problématique ?

Markku Lehmus (ETLA, Helsinski), dans The long-term unemployment adjusted NAWRU estimates for selected European countries, propose, de n’incorporer les chômeurs de long terme qu’avec un coefficient de 0,5 dans l’estimation du taux de chômage d’équilibre (le NAWRU, ici). Il montre que le taux de chômage d’équilibre ainsi mesuré apparaît plus stable et que son impact sur la hausse des salaires est plus net. En fin de période, le taux de chômage serait nettement plus élevé que son niveau d’équilibre en Finlande, France et Italie.

La politique monétaire : considérations structurelles

José A. Carresco-Gallego (King Juan Carlos University, Madrid), dans Macroprudential policies interactions, construit un modèle DSGE pour analyser la pertinence des instruments de la politique macro-prudentielle, soit un plafond contra-cyclique pour le ratio crédit/valeur de l’actif pour les prêts aux ménages, soit un plafond contra-cyclique pour le ratio crédit/capital au niveau des banques. Ses simulations montrent que, selon le type de chocs, l’introduction de ces instruments peut être stabilisante ou déstabilisante.

Salvatore Capasso, Oreste Napolitano et Anna Laura Viveros (tous trois, Université de Naples – Parthenope), dans “Banks’ lending technology and the transmission of monetary policy ”, étudient empiriquement les relations entre les banques et les emprunteurs. Les auteurs montrent que des relations étroites diminuent la probabilité de rationnement du crédit, ce qui, selon eux, diminuerait l’impact de la politique monétaire.

Ilkka Kiema (Labour Institute for Economic Research, Helsinki) et Esa Jokivuolle (Banque de Finlande), dans Bank stability and the European deposit insurance scheme analysent l’impact du mécanisme de garantie des dépôts, en faisant l’hypothèse que les déposants anticipent que le gouvernement pourrait choisir de trahir sa promesse, en comparant le coût de la garantie à celui de la perte de réputation. Dans cette optique, le Système européen d’assurance des dépôts augmenterait la stabilité du système bancaire en cas de choc n’affectant qu’un pays membre, mais pourrait être déstabilisant en cas de choc affectant l’ensemble du système bancaire (en augmentant la probabilité de défaut volontaire de l’ensemble des États membres).

La politique monétaire : les politiques non-conventionnelles et la normalisation

Maritta Paloviita, Markus Haavio, Pirkka Jalasjoki et Juha Kilponen (tous, Banque de Finlande) dans What does “below, but close to, two per cent” mean? Assessing the ECB’s reaction function with real time data estiment une fonction de réaction de la BCE à partir de données en temps réel et des projections des services de la BCE. Ils montrent que l’on peut hésiter entre deux interprétations : la BCE a un objectif d’inflation symétrique de l’ordre de 1,65% ou la BCE réagit plus à des taux d’inflation supérieur à 2% qu’à des taux inférieurs. Toutefois, la première interprétation rend mieux compte du taux d’intérêt implicite dans la période de taux zéro.

Huub Meijers et Joan Muysken (tous deux, Maastricht University) dans The impact of quantitative easing on a small open euro area economy: the case of the Netherlands, présentent un modèle stock-flux cohérent de l’économie néerlandaise qui rend compte de ses spécificités (le fort excédent extérieur, les taux d’épargne élevés des ménages et des entreprises, les investissements importants à l’étranger, une faible dette publique). Leurs simulations montrent que l’assouplissement quantitatif n’a pas eu d’impact direct sur la sphère réelle, mais qu’il a aggravé l’exposition du secteur financier aux marchés extérieurs.

Adam Elbourne, Kan Ji et Sem Duijndam (tous CPB, La Haye), dans The effects of unconventionnal monetary policy in the euro area, analysent l’impact de la politique monétaire non conventionnelle, mesurée par le taux d’intérêt fantôme (shadow rate) de la BCE, ceci en utilisant un modèle SVAR. La politique non conventionnelle n’aurait eu que des effets faibles sur la production et imperceptibles sur l’inflation. Les effets seraient plus nets dans les pays où le secteur bancaire était en bonne santé.

Jagjit Chadha et Arno Hantzche (tous deux, NIESR, Londres), dans The impact of the ECB’s QE Programme: Core versus periphery, analysent l’impact des trois programmes lancés par la BCE (SMP en Mai 2010, OMT en juillet 2012 et PSPP en septembre 2014) sur les taux d’intérêt longs des pays de la zone euro. Il apparaît que l’impact est plus fort sur les pays de la périphérie que sur ceux du cœur. À l’avenir, la normalisation de la politique monétaire doit éviter d’accentuer les écarts de taux d’intérêt dans la zone euro, ce qui plaide pour maintenir l’OMT et l’accompagner de réformes structurelles.

Marek Dabrowki (CASE, Varsovie), dans Prospects of monetary policy normalization in major currency areas, estime que les pays de la zone euro se rapprochent de leur production potentielle, que les pressions inflationnistes reviennent (en particulier pour les actifs), que le multiplicateur monétaire peut remonter et donc que la BCE doit renoncer aux mesures non conventionnelles et se préparer à normaliser la politique monétaire.




Banque d’Angleterre : ‘Wait and see’

Par Catherine Mathieu

Le 20 juin 2018, la Banque d’Angleterre a maintenu son taux directeur à 0,5 %, six des neuf membres du Comité de politique monétaire ayant voté pour le statu quo, tandis que trois votaient pour une hausse de 0,25 point. Par ailleurs, les neuf membres ont voté pour maintenir inchangé l’encours des titres détenus par la Banque d’Angleterre dans le cadre de sa politique non conventionnelle (435 milliards de livres sterling de titres publics et 10 milliards de titres privés).

Ce statu quo est en ligne avec le scénario de notre prévision d’avril. Alors que la Réserve fédérale américaine a relevé le taux des fonds fédéraux le 13 juin d’un quart de point dans une fourchette de 1,75 % à 2 % (voir : La Réserve fédérale hausse le ton) et que la Banque centrale européenne a annoncé le lendemain le maintien de son taux directeur à 0, la Banque d’Angleterre garde aussi son taux de base inchangé, alors que la croissance comme l’inflation ont ralenti au premier trimestre 2018, et que les incertitudes autour du Brexit demeurent entières. Le Comité de politique monétaire (CPM) de la Banque d’Angleterre continue d’envisager un « resserrement limité et graduel » du taux directeur. En complément de sa discussion sur le taux directeur, le CPM annonce qu’il ne réduira pas le montant des titres publics figurant dans le bilan de la Banque centrale tant que le taux directeur n’aura pas atteint 1,5 %. Contrairement à la BCE, qui a annoncé qu’elle normaliserait progressivement sa politique monétaire en commençant par réduire ses détentions d’actifs, et qu’elle n’envisageait pas d’augmenter les taux avant l’été 2019, la Banque d’Angleterre annonce qu’elle commencera par augmenter son taux de base.

Les minutes de la réunion du 20 juin 2018 rappellent le mandat de la Banque d’Angleterre : respecter la cible d’inflation de 2% (en termes d’indice des prix à la consommation harmonisé, IPCH), tout en soutenant la croissance et l’emploi. Lors de sa réunion de juin, le CPM s’est appuyé sur les prévisions de la Banque d’Angleterre publiées dans l’Inflation Report de mai dernier, selon lesquelles la croissance du PIB britannique serait d’environ 1,75 % par an en moyenne à l’horizon 2020, sous l’hypothèse d’une remontée progressive du taux directeur tel qu’anticipé par les marchés au vu des courbes de taux en mai dernier (à savoir une hausse graduelle du taux de base qui atteindrait 1,2 % au second semestre 2020), ce qui serait un peu plus rapide que la croissance de l’offre (estimée à 1,5 % par la Banque d’Angleterre) et conduirait à une certaine accélération des salaires et des coûts de production. Toujours selon l’Inflation Report de mai, l’inflation, mesurée par l’IPCH, continuerait cependant de ralentir, sous l’effet de la dissipation des effets de la dépréciation passée de la livre et atteindrait la cible de 2 % au printemps 2020.

Sans le remettre en cause, les minutes de la réunion de juin apportent deux bémols à ce scénario. Premièrement, le PIB britannique n’a augmenté que de 0,1 % au premier trimestre 2018[1]. Le CPM estime que ce ralentissement, en partie dû aux mauvaises conditions climatiques en mars, et qui a surtout touché le secteur du bâtiment, sera temporaire. Mais il note aussi que les indicateurs conjoncturels ont été mitigés aux Etats-Unis et dans la zone euro au premier trimestre. La prévision de croissance de la Banque d’Angleterre parue dans l’Inflation Report (1,75%) est supérieure à celle de notre prévision d’avril (1,4 % en 2018 comme en 2019), ou à la moyenne du consensus des prévisions britanniques en juin (1,4 % en 2018 et 1,5 % en 2019). Jusqu’à présent, le consensus est que le ralentissement du premier trimestre sera temporaire, mais les indicateurs conjoncturels les plus récents suggèrent la poursuite d’une faible croissance en avril et en mai (ainsi, selon l’indicateur mensuel de croissance du PIB du NIESR, la croissance aurait été de 0,2 % au cours des trois mois allant jusqu’à mai, par rapport au trois mois précédents).

Deuxièmement, le CPM envisage désormais une inflation un peu plus forte du fait de la remontée des prix du pétrole (passés de 50 à 75 dollars en un an) et de la baisse de la livre (de l’ordre de 2% depuis mai, du fait de la hausse du dollar). L’inflation mesurée selon l’IPCH, reste supérieure à la cible de 2 % ; après avoir accéléré jusqu’à 3,1 % en novembre dernier, elle est revenue depuis à l’intérieur de la fourchette haute de 3 % et n’était plus que de 2,4 % en avril comme en mai ; dans le même temps, l’indice des prix sous-jacent est passé de 2,7 % à 2,1 %. Si l’objectif de la Banque d’Angleterre est prioritairement de maintenir l’inflation proche de la cible de 2 %, le CPM a cependant répété depuis l’été 2016 que les tensions inflationnistes résultant de la baisse de la livre sterling après le résultat du référendum faveur du « Brexit », seraient temporaires tandis que le ralentissement économique pourrait être plus durable, dans un contexte d’incertitude accrue, mais avait indiqué qu’elle serait prête à durcir sa politique monétaire si les tensions inflationnistes s’amplifiaient plus que prévu. Ceci n’a pas été le cas jusqu’à présent. Bien que le taux de chômage reste historiquement faible à 4,2 %, les salaires n’ont jusqu’à présent pas franchement accéléré : ils n’étaient en hausse que de 2,4 % en mai 2018, soit une stagnation en termes réels.

La prochaine réunion du CPM aura lieu le 2 août. D’ici là, les britanniques et l’UE-27 continueront de négocier l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’UE, en vue d’un accord lors du Conseil européen d’octobre. De grandes entreprises, comme Airbus ou BMW, ont rappelé à l’approche du Conseil européen du 29 juin dernier qu’elles avaient besoin d’être assurées sur l’absence de barrières douanières après la sortie du Royaume-Uni de l’UE à la fin de 2020 pour continuer à investir outre-Manche. La Banque d’Angleterre ne prendra le risque d’augmenter son taux directeur que si la croissance et des tensions inflationnistes s’affirment suffisamment.

 

[1] La croissance du premier trimestre 2018 a été légèrement révisée à la hausse, à 0,2 %, lors de la publication des comptes trimestriels du 29 juin, principalement suite à une révision de la baisse d’activité dans le bâtiment.

 




La BCE et sa politique de collatéral

Par Christophe Blot, Jérôme Creel et Paul Hubert

Depuis 2008, la Banque centrale européenne (BCE) a sensiblement modifié sa politique de collatéral, c’est-à-dire la qualité des actifs qu’elle exige d’une banque commerciale en garantie du prêt qu’elle lui octroie ainsi que la décote qu’elle applique sur la valeur de cet actif en cas de défaut de la contrepartie. Les modifications de cette politique ont eu potentiellement des répercussions sur le risque pris par la BCE en même temps qu’elles ont facilité l’accès des banques commerciales à la liquidité. Une note récente, dont nous résumons quelques éléments ci-dessous, fait le point sur cette politique et sur ses enjeux.

Les banques commerciales disposent de différentes ressources pour financer leurs opérations : dépôts bancaires, crédits auprès d’autres institutions, émissions de titres de dette et d’actions (capital). Parmi ces crédits figurent des prêts interbancaires et des prêts de la banque centrale (ou opérations de refinancement). Contrairement aux prêts interbancaires, les opérations de refinancement de la banque centrale sont garantis par un collatéral. Il en ressort que les banques commerciales doivent disposer d’actifs en quantité et de qualité suffisantes si elles veulent avoir accès à ces opérations de refinancement. L’objectif de ces garanties est de prémunir la banque centrale contre le risque de perte. Lorsque le marché interbancaire est profond et liquide, la question ne se pose pas vraiment car la demande de refinancement auprès de la banque centrale n’est pas très forte de la part des banques commerciales. La confiance entre les banques commerciales garantit l’accès à la liquidité via le marché interbancaire. Il en va autrement lorsque cette confiance fait défaut. Les banques commerciales se tournent alors vers la banque centrale pour obtenir du refinancement. Dans ce cas de figure, la valeur et la qualité du collatéral que les banques commerciales détiennent conditionnent leur accès à la liquidité de la banque centrale.

Durant la crise financière internationale et pour juguler l’assèchement du marché interbancaire, la BCE a réalisé des opérations de refinancement à plus long terme – les opérations à 3 mois qui étaient qualifiées de « long terme » avant 2008 vont se transformer en opérations jusqu’à 4 ans – et pour des montants bien plus élevés. Mécaniquement, ces opérations ont impliqué des montants plus élevés de collatéral, à un moment cependant de montée des risques financiers et de baisse concomitante des valeurs financières. Ces deux éléments ont conduit à la raréfaction des actifs financiers pouvant servir de collatéral ce qui aurait pour conséquence de priver les banques d’un accès au refinancement et donc de précipiter leur faillite. Pour remplir une part importante de son mandat, en octroyant de la liquidité (ou monnaie banque centrale) aux banques commerciales solvables et en assurant la stabilité financière, la BCE n’a pas eu d’autre choix que de modifier les conditions d’octroi de la liquidité en terme d’éligibilité et de garantie face au risque de défaut de la contrepartie.

La gamme des actifs bancaires éligibles pour des opérations de refinancement a été élargie, jusqu’à inclure des prêts bancaires (crédits hypothécaires, crédits aux PME), une spécificité que partage la BCE avec la Banque du Japon. En outre, la qualité des actifs éligibles a baissé, la BCE acceptant désormais des actifs dont la notation financière est au minimum de BBB- (contre A-, voire AAA avant la crise), c’est-à-dire juste au-dessus de la notation des actifs dits spéculatifs, donc à risque. Afin de limiter le degré de risque à son bilan, la BCE a modifié la décote (ou haircut) sur les actifs acceptés en collatéral en distinguant les actifs plus sûrs, dont la décote a baissé, et les actifs plus risqués, dont la décote a augmenté[1].

Les effets de la modification de cette politique de collatéral ont été de plusieurs ordres. L’éligibilité des prêts bancaires comme collatéral conduirait à une hausse de l’offre de crédit et à une baisse de son coût pour les PME. L’augmentation des décotes sur certains titres financiers, pour sa part, réduirait le prix de ces titres. Ce faisant, elle contribuerait à compenser l’effet de l’élargissement de la gamme des produits financiers éligibles sur ces mêmes prix, l’éligibilité accroissant l’attrait, donc la demande, de ces produits.

Quant au risque de bilan pour la BCE, il est forcément faible. D’une part, le collatéral a vocation à garantir les opérations de refinancement : c’est donc un mécanisme d’assurance face au risque. D’autre part, la probabilité qu’une banque centrale fasse faillite est très faible : il faudrait pour cela, et simultanément, que les banques commerciales ne remboursent pas les prêts perçus de la banque centrale, que la valeur du collatéral tombe très en deçà de sa décote, et que tout le monde se détourne de la monnaie. Il faudrait donc pour cela que survienne une très grave crise financière accompagnée d’un épisode d’hyperinflation. A ce sujet, les données récentes fournies dans la Revue de stabilité financière de la BCE sont rassurantes.

 

[1] Avant la crise, une valeur de 100 euros de dette publique de bonne qualité permettait de garantir un prêt d’une valeur de 97 euros (décote de 3%) ; depuis septembre 2013, la valeur du prêt garanti est passée à 98 euros. A l’inverse, une valeur de 100 euros de dette publique de qualité moyenne ne garantit plus que 90 euros de prêts, contre 92 euros avant septembre 2013. La décote sur les actifs financiers notés de BBB+ à BBB- est, pour sa part, de 37% depuis 2010 : une valeur de 100 euros de ces actifs ne peut garantir que 63 euros de prêts.




Le faucon et la colombe : quel impact des décisions de la Fed et de la BCE sur le taux de change euro/dollar ?

par Christophe Blot, Paul Hubert et Rémi Odry

Après la décision de hausse des taux d’un quart de point décidé par la Réserve fédérale mercredi 13 juin, le Conseil des gouverneurs de la BCE se réunissait le lendemain pour décider de l’orientation de la politique monétaire dans la zone euro. A l’issue de cette réunion, Mario Draghi a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il a précisé à quelles échéances cesseraient les achats de titres et à quel horizon les taux seraient augmentés. Le canal du taux de change étant un canal majeur de la transmission de la politique monétaire, il est intéressant d’observer comment les marchés ont réagi à ces deux annonces et s’ils ont accordé une plus grande importance à la décision de la Fed ou à celle de la BCE.

La transmission de la politique monétaire dépend de son impact sur les prix d’actifs. Dans la mesure où le prix de ces variables est déterminé en continu sur les marchés, leur variation au moment de ces décisions permet de mesurer l’effet signal des annonces de politique monétaire. Dans un article récent, nous mesurons la réaction du taux de change euro/dollar le jour des réunions de politique monétaire de la Réserve fédérale et de la BCE. Pour des décisions de la même ampleur, nos résultats suggèrent que les marchés seraient généralement plus réactifs aux annonces de la Fed.

L’actualité de la semaine permet également d’illustrer ces différences de réaction. En effet, en l’espace de 24 heures, la banque centrale américaine s’est plutôt montrée « faucon » tandis que la sensibilité de la BCE apparaît plutôt « colombe »[1]. Même si la décision de la Réserve fédérale d’augmenter son taux directeur était anticipée, elle envoie néanmoins le signal que la normalisation de la politique monétaire américaine devrait être légèrement plus rapide que ce qu’anticipaient les marchés en fin d’année 2017[2]. Inversement, en donnant des éléments sur la fin du programme d’achat de titres, réduit en volume mais prolongé jusqu’en décembre 2018, et surtout en annonçant que les taux ne seraient pas remontés avant l’été 2019, la BCE indique clairement que la politique monétaire restera très expansionniste sur l’année à venir. Ces deux décisions ont pour conséquence une dépréciation de l’euro vis-à-vis du dollar. De fait, c’est bien ce qui a été observé à la suite de ces deux annonces (graphique).

Graphe_post18-06Cette fois-ci, les marchés ont accordé plus d’importance à la décision de la BCE qu’à celle de la Réserve fédérale. En effet, sur une fenêtre de 3 heures suivant la publication des décisions, l’euro n’a baissé que faiblement et temporairement après l’annonce de la Réserve fédérale, mais plus fortement et durablement après celle de la BCE. Cette différence s’explique largement par le contenu informationnel des annonces. D’une part, la décision de la Réserve fédérale était largement anticipée et déjà intégrée par les investisseurs sur le marché des changes. Il n’est donc guère surprenant que la réaction n’ait été qu’éphémère. D’autre part, le signal relatif à l’orientation de la politique monétaire était plus marqué pour la décision de la BCE : la Fed a juste annoncé une hausse d’un quart de point de son taux directeur, alors que la BCE a annoncé que son taux n’augmenterait pas dans les 12 prochains mois. Reste à savoir dans quelle mesure cet effet sera durable. Sur ce point, l’analyse développée dans notre article indique que les chocs de politique monétaire en zone euro auraient un effet plus important que ceux liés à la politique monétaire américaine.

 

[1] Cette terminologie (« hawkish » versus « dovish ») permet de qualifier l’attitude des banques centrales selon que leur politique monétaire est plutôt restrictive ou accommodante.

[2] Voir ici.




La Réserve fédérale hausse le ton

par Christophe Blot

Lors de sa réunion du 13 juin, la Réserve fédérale a annoncé une augmentation du taux directeur de la politique monétaire, qui se situe désormais dans une fourchette de 1,75 à 2 %. Jérôme Powell, le nouveau Président de l’institution depuis février justifie cette décision par la situation favorable sur le marché du travail et par l’évolution récente de l’inflation, proche de 2 % lorsqu’on l’on ne tient pas compte des prix alimentaires et de l’énergie[1]. Dans ces conditions, la banque centrale serait en passe de satisfaire ses objectifs, à savoir un emploi maximum et la stabilité des prix, ce qui justifie la poursuite de la normalisation de la politique monétaire américaine.

Alors qu’en fin d’année 2017, les observateurs de la Réserve fédérale pariaient plutôt sur trois hausses des taux en 2018, l’annonce du 13 juin plaide désormais pour une légère accélération du rythme de resserrement monétaire. En ligne avec nos prévisions d’avril, la Réserve fédérale augmenterait encore ses taux à deux reprises en 2018 pour les porter à 2,5 %. Ce changement résulte en grande partie de prévisions de croissance plus optimistes en 2018, soutenue par une politique budgétaire fortement expansionniste. Le PIB augmenterait alors de 2,9 % et le chômage poursuivrait sa baisse pour atteindre 3,6 % en fin d’année 2018, soit un niveau inférieur à celui observé lors des précédents creux observés en 2000 et 2006 où il avait atteint respectivement 3,9 % et 4,5 %. Néanmoins, l’évolution d’autres indicateurs sur le marché du travail – taux d’emploi et taux d’activité – conduisent à nuancer le diagnostic d’une situation économique qui aurait été définitivement rétablie dix ans après le début de la Grande Récession. Le taux d’emploi et le taux d’activité restent en effet inférieurs aux niveaux observés lors du pic de la fin des années 2000, ce qui pourrait contribuer à expliquer l’absence de tensions inflationnistes aux États-Unis malgré un taux de chômage aussi bas.

Pour autant, la politique monétaire américaine restera expansionniste cette année. De fait, le taux directeur en fin d’année 2018 resterait inférieur à celui atteint lors des deux précédents pics d’activité. En 2000 et 2006, la Réserve fédérale avait monté son taux jusqu’à 6,5 % et 5,25 % respectivement. C’est aussi ce que suggère le taux issu d’une règle de Taylor qui permet de déterminer une valeur de référence pour le taux d’intérêt si la banque centrale appliquait une règle systématique où le taux d’intérêt directeur dépend de l’écart de croissance[2] et de l’écart de l’inflation à une cible de 2 %. En fin d’année, le taux simulé issu de la règle de Taylor serait de 4,1 % suggérant que la Réserve fédérale se montre toujours aussi prudente dans sa phase de normalisation de la politique monétaire.

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[1] L’inflation totale s’élevait à 2,4 % en avril.

[2] L’écart de croissance en prévision est calculé à partir de l’évolution de la croissance potentielle du CBO (Congress Budget Office) et des prévisions OFCE du PIB américain.




La BCE reste préoccupée par la faiblesse de l’inflation

Par Christophe Blot, Jérôme Creel et Paul Hubert

Le Président de la Banque centrale européenne, M. Mario Draghi, a annoncé récemment que l’augmentation du taux directeur de la BCE interviendrait « bien après » la fin des mesures d’achats massifs de titres obligataires (prévue pour septembre 2018), principalement émis par les Etats de la zone euro, et à un « rythme mesuré ». La hausse du taux directeur pourrait donc intervenir vers la mi-2019, soit quelques semaines avant la passation de pouvoir entre Mario Draghi et son successeur.

Lors de son audition trimestrielle face aux parlementaires européens, Mario Draghi a fait preuve de prudence à propos de l’intensité et de la pérennité de la reprise économique[1]. A l’écouter, la zone euro n’aurait pas forcément refermé son écart de production (le PIB réalisé resterait en deçà de son potentiel) malgré la reprise des derniers trimestres. Ce n’est donc pas le moment de modifier l’orientation de la politique monétaire au risque de fragiliser cette reprise. Il est par ailleurs indéniable que les effets de la reprise ne se matérialisent pour le moment que très lentement et progressivement dans des hausses de salaires, ce qui explique en partie pourquoi le taux d’inflation de la zone euro reste en deçà de sa cible de moyen terme.

Le Président de la BCE a aussi fait preuve de confiance dans le fait que les entreprises ancrent progressivement leurs anticipations de prix (et de salaires) sur la cible d’inflation de la BCE, soit 2% par an. Mario Draghi est aussi apparu très confiant dans l’efficacité de la politique monétaire. Il a annoncé que les mesures entreprises depuis 2014 contribueraient à une augmentation (cumulative) de 2 points de pourcentage, respectivement de la croissance réelle et de l’inflation entre 2016 et 2019.

Si la prévision de retour de l’inflation à sa cible en 2019 par la BCE est contredite par Hasenzagl et al. (2018), on y retrouve ces mêmes déterminants de l’inflation européenne. Dans une étude récente, nous montrons aussi que les deux principaux déterminants de l’inflation dans la zone euro sont les anticipations d’inflation et la croissance des salaires. Sans ancrage des premières sur la cible de moyen terme de la BCE et sans effet de second tour de la politique monétaire sur les salaires, l’inflation ne reviendra pas à sa cible à court terme. Les réformes structurelles ont peut-être accru le PIB potentiel comme le prétend Mario Draghi, mais elles ont jusqu’à présent plus certainement pesé sur les évolutions salariales et de prix.

 

[1] Une fois par trimestre un dialogue monétaire est organisé entre le Président de la BCE et les membres de la Commission des Affaires monétaires du Parlement européen. Ce dialogue permet au Président de la BCE d’expliquer l’orientation de la politique monétaire dans la zone euro et d’exprimer son point de vue sur des sujets définis en amont.




Une inflation faible pour longtemps ?

Par Thomas Hasenzagl, Filippo Pellegrino, Lucrezia Reichlin et Giovanni Ricco

L’enquête de la BCE auprès des prévisionnistes professionnels confirme le point de vue de la BCE selon lequel l’inflation dans la zone euro se redressera et sera de nouveau dans la fourchette cible de la banque centrale en 2019. Ce billet discute et conteste ce diagnostic. En utilisant un modèle qui formalise l’idée selon laquelle la dynamique de l’inflation est fonction de trois composantes – les anticipations à long terme, la courbe de Phillips et le mouvement du prix du pétrole – elle prévoit une inflation de la zone euro de seulement 1,1% en 2019, un taux proche du taux implicite selon les marchés obligataires[1].

Selon une vision communément admise en économie (voir par exemple, Yellen 2016), trois composantes influent sur la dynamique de l’inflation: une tendance lente reflétant les anticipations à long terme, la courbe de Phillips reliant les variables réelles et nominales et l’impact des fluctuations du pétrole sur les anticipations et les prix. Dans un article récent (Hasenzagl et al., 2018), nous proposons un modèle formalisant ce point de vue. Notre modèle, appliqué à l’inflation américaine, suggère que la courbe de Phillips est bien identifiée et stable, mais que cet effet est souvent dominé par des fluctuations cycliques liées au prix du pétrole qui co-évoluent avec les anticipations d’inflation. Contrairement au modèle standard de la courbe de Phillips avec anticipations rationnelles, ce «cycle pétrolier» n’affecte pas l’écart de production et est transmis aux prix en tant que composante purement anticipative.

Dans ce billet, nous présentons les principaux résultats de l’inflation de la zone euro basés sur le même modèle et les comparons avec ce que nous avons obtenu pour les États-Unis. Nous utilisons ensuite le modèle pour prévoir la hausse de l’HIPC (Indice des prix à la consommation harmonisé) dans la zone euro sur un horizon allant jusqu’à deux ans et décomposons la prévision en trois composantes – les anticipations tendancielles, la courbe de Phillips et l’effet des variations du prix du pétrole – afin d’évaluer la probabilité de revenir à la cible de 2 % dans les deux prochaines années.

Les graphiques 1 et 2 présentent les données sur l’inflation ainsi que l’inflation tendancielle, que nous identifions comme une composante commune aux anticipations d’inflation de long terme et à l’inflation. La différence entre les deux économies est assez prononcée. Historiquement, l’inflation tendancielle aux États-Unis semble a lentement diminué depuis les années 80, avant de se stabiliser dans les années de 2000 à 2010. Depuis, elle baisse légèrement à nouveau. Dans la zone euro, nous décelons un lent déclin historique dû à la préparation à l’entrée dans l’union monétaire et, plus récemment, une dérive à la baisse en 2012. Cette dernière arrive, environ un an après les deux baisses de taux d’intérêt mises en œuvre par la BCE. Ensuite, l’inflation dans la zone Euro s’est stabilisée à un niveau inférieur à partir de 2016.

Graphique 1 : Inflation tendancielle – CPI aux Etats-UnisGR_Inflation_G1

Notes : CPI (prix à la consommation aux Etats-Unis) et inflation tendancielle trimestrielle (en glissement annuel). La période de prévision est indiquée par une zone grisée entre 2017-T4 et 2020-T1. Légende : données ; tendance ; intervalles de confiance à 68 et 90 %. Source : Calculs des auteurs, BLS.
Graphique 2 : Inflation tendancielle – HIPC dans la zone euroGR_Inflation_G2

Note : HIPC trimestriel et tendance trimestrielle. La période de prévision est indiquée par une zone grisée et va de 2017-T4 à 2020-T1. L’HIPC de 1998 est reconstruit à l’aide des données du modèle à l’échelle de la zone (AWM). Légende : données ; tendance ; intervalles de confiance à 68 et 90 %. Source : Calculs des auteurs, AWM, BCE.

 

Les graphiques 3 et 4 montrent les composantes stationnaires de l’inflation telles issues du modèle pour la zone euro et les États-Unis: la courbe de Phillips (ligne bleue), un «cycle du prix du pétrole» (ligne rouge) et une composante stationnaire idiosyncratique non corrélée aux variables réelles et au prix du pétrole (ligne jaune).

Les résultats montrent que, dans les deux économies, les prix du pétrole et l’activité réelle sont tous deux importants pour expliquer les fluctuations temporaires de l’inflation, et que les deux cycles ont des caractéristiques différentes en termes de volatilité et de persistance.

La courbe de Phillips — comprise dans la théorie macroéconomique moderne comme une relation reliant les variables réelles, les variables nominales et les anticipations d’inflation — est bien identifiée et a été relativement stable depuis le début des années 1980. Cependant, ce n’est pas toujours la composante dominante. De grandes fluctuations du prix du pétrole peuvent éloigner les anticipations des consommateurs de la relation nominale-réelle (les «désancrer») et induire des fluctuations des prix dictées par les anticipations. Ce résultat confirme l’intuition de Coibion et Gorodnichenko (2015) pour les États-Unis à partir d’une approche différente qui nous permet de retrouver un effet Phillips indépendant des anticipations liées aux mouvements du prix du pétrole et des prix.

Graphique 3 : Composante stationnaire de l’inflation (CPI) américaineGR_Inflation_G3

Note : Cycle trimestriel de l’inflation (en glissement annuelle). La période de prévision est indiquée par une zone grisée et va de 2017-T4 à 2020-T1. Légende : cycle total, composante cyclique idiosyncratique, composante cyclique liée au prix de l’énergie, effet courbe de Phillips. Source : Calculs des auteurs, BLS.

Graphique 4 : Composante stationnaire de l’inflation (HIPC) de la zone euroGR_Inflation_G4

Note : Cycle trimestriel de l’HIPC annuel. La période de prévision est indiquée par une zone grisée et va de 2017-T4 à 2020-T1. L’HIPC de 1998 est reconstruit à l’aide des données du modèle `Area Wide Model’ (AWM) par la BCE. Légende : cycle total, composante cyclique idiosyncratique, composante cyclique liée au prix de l’énergie, effet courbe de Phillips. Source : Calculs des auteurs, AWM, BCE.

 

Le modèle est ensuite utilisé pour faire des prévisions d’inflation dans la zone euro pour les deux prochaines années. Le graphique 5, compare nos résultats aux prévisions officielles.

Graphique 5. Prévisions pour l’inflation (HIPC) dans la zone euroGR_Inflation_G5

Note : HIPC trimestriel d’une année sur l’autre. La période de prévision est indiquée par une zone grisée et va de 2017-T4 à 2020-T1. L’HIPC de 1998 est reconstruit à l’aide des données du `Area Wide Model’ (AWM) par la BCE. Légende : donnée, prévision, intervalles de confiance à 68 et 90%. Source : calculs des auteurs, AWM, Bloomberg, BCE.

 

En 2018, notre modèle prévoit un taux d’inflation de 1,5%, contre 1,3 % pour la prévision de la BCE. Pour 2019, le modèle prédit une baisse de la progression des prix à 1,1%, en deçà de la prévision d’inflation de la BCE qui s’élève à 1,6% et de la prévision médiane de 1,6% issue de l’enquête réalisée par la BCE auprès des prévisionnistes professionnels (SPF). La projection du modèle est en ligne avec les prévisions de point-mort d’inflation obtenues sur le marché obligataire pour l’Italie et la France et dépasse ce point mort d’inflation pour l’Allemagne. Compte tenu de l’incertitude, le modèle nous indique que la probabilité que l’inflation soit inférieure à 1,6% en 2019 est de 68%.

Les prévisions peuvent être facilement interprétées, en utilisant notre décomposition structurelle.

  • Le modèle ne prévoit pas que les anticipations de tendance se redressent. Ceci est bien sûr en partie la conséquence du fait que l’inflation tendancielle est modélisée comme une marche aléatoire avec dérive constante. Cela pourrait changer en fonction des politiques
  • La composante cyclique expliquée par les prix du pétrole ne devrait pas se redresser, en l’absence de chocs futurs. Ceci est en ligne avec les anticipations implicites sur les marchés à terme. [2]
  • Les conditions économiques réelles ne semblent pas non plus suffisantes pour exercer une pression à la hausse. En fait, notre modèle détecte que le cycle a atteint un sommet et prévoit donc un ralentissement des conditions économiques réelles qui nous ramènera à la tendance d’ici 2019 (voir le graphique 6).

Graphique 6  : Écart de productionGR_Inflation_G6

Note : L’écart de production trimestriel est calculé comme le rapport entre le cycle du PIB et la tendance. La période de prévision est indiquée par une zone grisée et va de 2017-T4 à 2020-T1. Le PIB avant 1995 est reconstruit à l’aide des données du modèle (AWM). Source : calculs des auteurs, AWM, Bloomberg, BCE.

 

L’écart de production estimé par notre modèle implique que l’économie atteint un pic au premier trimestre 2018, et un creux à partir de la deuxième partie de 2019. Les résultats de notre analyse sont cohérents avec l’estimation de Bloomberg de l’écart de production (BCMPOGEA Index). Globalement, la probabilité que l’écart de production devienne négatif à la fin de 2019 est estimée à 57%.

Conclusion 

La prévision des différentes composantes de l’inflation dans la zone euro indique une forte probabilité que l’inflation reste inférieure à 1,6% en 2019. Cette prévision repose sur l’évaluation selon laquelle les anticipations tendancielles resteront au niveau des dix dernières années, que les pressions sur les prix du pétrole resteront modérées, et que l’économie commencerait à ralentir dans la deuxième partie de 2018.

 

Ce billet est paru en anglais sur le site de voxeu : Low inflation for longer

 

Références 

Coibion, O and Y Gorodnichenko (2015), “Is the Phillips Curve Alive and Well after All ? Inflation Expectations and the Missing Disinflation”, American Economic Journal: Macroeconomics 7(1): 197-232.

Hasenzagl, T, F Pellegrino, L Reichlin, and G Ricco (2018), “A Model of the Fed’s View on Inflation”, Sciences Po OFCE Working Paper, n°03, 2018-01-16.

Yellen, J L (2016), “Macroeconomic research after the crisis”, speech at “The Elusive ‘Great’ Recovery: Causes and Implications for Future Business Cycle Dynamics”, 60th Annual Economic Conference, sponsored by the Federal Reserve Bank of Boston.

 

[1] « Le taux d’inflation implicite ou point-mort d’inflation, représente la différence de rendement entre une obligation classique (taux nominal) et son équivalente (même émetteur, même échéance…) indexée sur l’inflation (taux réel). Il représente alors l’inflation moyenne anticipée par les marchés sur la durée de vie de l’obligation.

[2] Au 8 janvier, le prix du pétrole est d’environ 62 $ US / baril. Les contrats à terme sur le pétrole brut pour décembre 2018 se vendent 59 $ / bbl et les contrats à terme sur pétrole pour décembre 2019 se vendent autour de 56 $ / bbl, ce qui laisse entendre que les investisseurs prévoient actuellement une baisse du prix du pétrole au cours des deux prochaines années.