Crise de la dette : l’expérience argentine

Par Augusto Hasman and Maurizio Iacopetta

La crise grecque récente  n’est pas sans rappeler la situation de certains s pays d’Amérique latine,  également confrontés à une crise de la dette, pendant les années 1990 et au  début des années 2000. En particulier, le défaut de paiement de l’Argentine et  la fin de l’ancrage au dollar en 2001 pourraient aujourd’hui nous éclairer sur  les éventuelles conséquences d’un Grexit. Nous proposons (dans un post en anglais) une analyse de la situation économique de l’Argentine au cours de  cette crise.

 




La stabilité des prix entraîne-t-elle la stabilité financière?

par Paul Hubert et Francesco Saraceno (@fsaraceno)

Paul Krugman soulève une question très importante concernant l’impact de la politique monétaire sur la stabilité financière. Son point de départ est l’observation bien connue que, contrairement aux prédictions de certains, une politique monétaire expansionniste n’a pas créé d’inflation lors de la crise actuelle. Il poursuit son argumentation en faisant valoir qu’une politique monétaire plus restrictive ne garantit pas non plus la stabilité financière. Si la Fed devait revenir à une règle de Taylor plus standard, la stabilité financière ne suivrait pas mécaniquement. Comme Krugman le remarque justement, “Cette règle a été conçue pour produire une inflation stable ; ce serait un miracle, un bienfait des dieux, si cette règle se trouvait être aussi exactement ce dont nous avons besoin pour éviter les bulles.”

Krugman, en fait, prend position contre l’opinion commune (conventional wisdom), répandue autant dans les cercles universitaires que dans les banques centrales, qu’il existe un lien entre stabilité financière et stabilité des prix, de sorte qu’une cible d’inflation plus ou moins souple permet généralement à la banque centrale de contenir aussi l’instabilité financière.

La crise financière mondiale est un exemple frappant de l’erreur de ce conventional wisdom : l’instabilité financière s’est bel et bien construite dans une période de grande stabilité des prix. Une analyse récente de Christophe Blot, Jérôme Creel, Paul Hubert, Fabien Labondance et Francesco Saraceno montre que la crise n’est pas une exception et qu’au cours des dernières décennies, aux États-Unis et dans la zone euro, le lien entre stabilité des prix et stabilité financière est non seulement ambigu mais aussi instable dans le temps comme le montre le graphique ci-dessous.

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Nous souscrivons donc à l’avis de Krugman : le ciblage d’inflation est largement insuffisant et la stabilité financière devrait être atteinte via une combinaison de politiques macro et micro-prudentielle. Dans un autre travail, Christophe Blot, Jérôme Creel, Paul Hubert et Fabien Labondance soutiennent que la BCE devrait être dotée d’un triple mandat, de stabilité financière et macroéconomique, en plus de la stabilité des prix. En outre, ils font valoir que la BCE devrait se voir accordée les instruments lui permettant de poursuivre efficacement ces trois (et parfois contradictoires) objectifs.

 




Exercices d’assouplissement à la BCE : il n’y a pas d’âge pour commencer

par Christophe Blot, Jérôme Creel, Paul Hubert et Fabien Labondance

La décision de la BCE de lancer un plan d’assouplissement quantitatif (QE) était largement anticipée. En effet, Mario Draghi avait répété à plusieurs reprises au cours du deuxième semestre 2014 que le Conseil des gouverneurs était unanime dans son engagement à mettre en œuvre les mesures nécessaires, dans le respect de son mandat, pour lutter contre le risque d’un ralentissement prolongé de l’inflation. De par l’ampleur et la nature du plan annoncé le 22 janvier 2014, la BCE envoie un signal fort, bien que peut-être tardif, de son engagement à lutter contre le risque déflationniste qui s’est amplifié dans la zone euro, ainsi qu’en atteste notamment le décrochage des anticipations d’inflation aux horizons d’un et deux ans (graphique 1). Dans l’étude spéciale intitulée « Que peut-on attendre du l’assouplissement quantitatif de la BCE ? », nous clarifions les conséquences de cette nouvelle stratégie en explicitant les mécanismes de transmission de l’assouplissement quantitatif, et en se référant aux nombreuses études empiriques sur les précédents assouplissements intervenus aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et au Japon.

Graphique : Anticipations d’inflation dans la zone euro

 

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    Source : BCE (Survey of Professional Forecasters).

Les modalités de l’assouplissement quantitatif décidées par la  BCE sont en effet proches de celles adoptées par d’autres banques centrales, en particulier la Réserve fédérale ou la Banque d’Angleterre, ce qui légitime les comparaisons. Il ressort des expériences américaines, britanniques et japonaises que les mesures mises en œuvre ont conduit à une baisse des taux d’intérêt souverains et plus généralement à une amélioration des conditions financières dans l’ensemble de l’économie[1]. Ces effets ont notamment résulté d’un signal sur l’orientation présente et future de la politique monétaire et d’une réallocation des portefeuilles des investisseurs. Certaines études[2] montrent également que le QE américain a provoqué une dépréciation du dollar. La transmission du QE de la BCE à cette variable pourrait être primordiale dans le cas de la zone euro. Une analyse en termes de modèles VAR montre en effet que les mesures de politique monétaire prises par la BCE ont un impact significatif sur l’euro mais également sur l’inflation et les anticipations d’inflation. Il est vraisemblable que les effets de la dépréciation de l’euro sur l’activité économique européenne seront positifs (cf. Bruno Ducoudré et Eric Heyer), ce qui rendra plus aisé pour Mario Draghi le retour de l’inflation à sa cible. La mesure aurait donc bien les effets positifs attendus ; cependant, on pourra regretter qu’elle n’ait pas été mise en œuvre plus tôt, quand la zone euro était engluée dans la récession. L’inflation dans la zone euro n’a cessé de baisser depuis la fin de l’année 2011, témoignant mois après mois d’un risque déflationniste croissant. De fait, la mise en œuvre du QE à partir de mars 2015 permettra de consolider et d’amplifier une reprise qui aurait sans doute eu lieu de toute façon. Mieux vaut tard que jamais !

 

 

 

 

 

 


[1] L’impact final sur l’économie réelle est cependant plus incertain notamment parce que la demande de crédit est restée atone.

[2] Gagnon, J., Raskin, M., Remache, J. et Sack, B. (2011). “The financial market effects of the Federal Reserve’s large-scale asset purchases,” International Journal of Central Banking, vol. 7(10), pp. 3-43.

 




Rotation des votes au Conseil des gouverneurs de la BCE: plus qu’un symbole ?

par Sandrine Levasseur

L’adoption de l’euro par la Lituanie, le 1er janvier dernier, porte le nombre des membres de la zone euro à dix-neuf, seuil à partir duquel le système de vote au sein du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) doit être modifié. Si ce changement est passé quasiment inaperçu en France, il en va autrement en Allemagne et en Irlande où l’introduction d’une rotation dans les votes décidant de la politique monétaire en zone euro a suscité des craintes, voire des contestations. Ces craintes et contestations sont-elles justifiées ? Nous proposons ici quelques éléments d’analyse et de réflexion.

1) Comment fonctionne le système de rotation ?

Jusqu’à maintenant, lors des réunions mensuelles du Conseil des gouverneurs qui décide de la politique monétaire (politique de taux, politiques non-conventionnelles) en zone euro, le principe « un pays, un vote » s’appliquait. En d’autres termes, chaque pays disposait, au travers du Gouverneur de sa banque centrale, d’un droit de vote systématique. Aux votes des 18 Gouverneurs s’ajoutaient les votes des 6 membres du Directoire de la BCE, soit un total de 24 votes.

Dorénavant, avec l’entrée d’un 19e membre de la zone euro, les pays sont classés en deux groupes, conformément au Traité[1]. Le premier groupe est constitué des 5 plus « grands » pays, définis par la taille du PIB et du secteur financier avec des poids respectifs de 5/6 et 1/6. Le second groupe est constitué des autres pays, soit 14 pays actuellement[2]. Le groupe des 5 « grands » pays dispose chaque mois de 4 droits de vote et le groupe des 14 « petits » pays de 11 votes (tableau 1). Le vote au sein des groupes est organisé selon un principe de rotation défini par un calendrier précis : une fois sur cinq, les Gouverneurs des « grands » pays ne voteront pas tandis les Gouverneurs des « petits » pays ne voteront pas 3 fois sur 14. En revanche, les 6 membres du Directoire de la BCE continuent à bénéficier d’un droit de vote mensuel systématique. Chaque mois, pour décider de la conduite de la politique monétaire en zone euro, 21 votes seront donc exprimés alors que sous l’ancien principe, celui du « un pays, un vote », 25 votes auraient été exprimés.

Tous les gouverneurs continueront à participer aux deux réunions mensuelles du Conseil, même s’ils ne participent pas au vote.

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Pourquoi avoir changé le système des droits de vote ? L’objectif est clair et justifié : il s’agit de maintenir la capacité décisionnelle du Conseil des gouverneurs au fur et à mesure que le nombre de pays adhérant à la zone euro augmente.

Le nouveau système des droits de vote bénéficie clairement aux membres du Directoire de la BCE qui disposent dorénavant de 28,6 % des droits de vote (6/21) alors que l’ancien système ne leur en aurait donné « que » 24 % (6/25). Le groupe des « grands » pays en dispose de 19 % (contre 20 % dans l’ancien système). Le groupe des « petits pays obtient 52 % (11/21) des droits de vote alors qu’il en aurait obtenu 56 % (14/25) si l’ancien système de vote avait été maintenu. Le groupe des « petits » pays perd donc relativement plus de droits de vote que le groupe des « grands » pays et ce, en faveur du Directoire de la BCE.

2) Les arguments des opposants allemands et irlandais au système de rotation

Les arguments des opposants allemands au nouveau système, au-delà de la perte de prestige, sont que la première puissance économique de la zone euro et aussi première contributrice au capital de la BCE (Tableau 1) doit nécessairement participer au vote décidant de la politique monétaire. De façon à ce que les intérêts de l’Allemagne ne soient pas négligés, son Gouverneur doit disposer, lorsqu’il ne vote pas, d’un droit de veto. Ce droit de veto est aussi justifié par le fait que l’on ne peut être responsable que de ses décisions.

En Irlande, selon les opposants au nouveau système, le mythe de l’égalité entre les pays de la zone euro prend fin : la mise en place d’un système de rotation qui favorise les grands pays officialise la non-égalité des pays au sein de la zone. L’Irlande devient ainsi explicitement un pays de seconde catégorie. En outre, l’influence de l’Irlande dans le processus décisionnel sera encore plus diminuée avec les élargissements futurs de la zone euro.

Dans les autres pays de la zone euro, l’introduction du système de rotation ne semble avoir suscité aucune réaction contestataire, ni dans la sphère politique ni dans la société civile.

3) Les arguments des Allemands et des Irlandais sont-ils recevables ?

Comme chacun le sait, l’Allemagne a une culture de la stabilité qui lui est propre, avec notamment une forte aversion pour l’inflation du fait de son histoire. En revanche, les pays du Sud sont réputés avoir une aversion nettement moins marquée pour la « taxe inflationniste ». C’est cette différence concernant le degré d’inflation « acceptable » qui a conduit à calquer peu ou prou les statuts de la BCE sur ceux de la Bundesbank, seule façon alors d’obtenir la participation de l’Allemagne à la zone euro. Aujourd’hui, cependant, la question de l’inflation ne se pose plus puisque la zone euro serait entrée en déflation et certains augurent que cette situation pourrait durer pendant de longues années[3]. Aujourd’hui, c’est donc bien plus les moyens utilisés par la BCE pour mener la politique monétaire qui sont mis en question en Allemagne par certains membres de la sphère politique, de ses économistes et de ses citoyens. L’argument de la contribution au capital de la BCE développé par les opposants au système de rotation et plus, généralement, celui de première puissance économique, fait écho aux politiques menées ces dernières années par la BCE (e.g. assouplissement des critères d’éligibilité des titres déposés en collatéral à la BCE, achat de créances titrisées) mais aussi à la future politique de rachat de titres publics. Ces politiques font craindre outre-Rhin que la BCE ne détienne dans son bilan trop de créances « toxiques », susceptibles d’être abandonnées tôt ou tard, et dont le coût de l’abandon serait supporté par son principal financeur.

Peut-on décemment considérer que les intérêts de l’Allemagne ne seront pas pris en compte ?

Il y a trois arguments qui incitent à répondre par la négative. Tout d’abord, même lorsque le Gouverneur allemand ne votera pas, l’Allemagne disposera toujours d’un « représentant » allemand au travers du Directoire (actuellement, Sabine Lautenschläger)[4]. Certes, en théorie, les membres doivent prendre en considération l’intérêt de la zone euro lorsqu’ils votent et non l’intérêt de leur pays, mais la réalité est plus complexe[5]. Ensuite, les Gouverneurs, même lorsqu’ils ne votent pas, disposent toujours de leur droit de paroles et donc de leur pouvoir de persuasion. Enfin, de façon plus générale, la recherche d’un consensus obligera à prendre en considération l’avis des Gouverneurs ne participant pas au vote.

Quelle est la recevabilité des arguments des opposants irlandais au système de rotation ? Il est clair que les contre-arguments développés précédemment (celui du droit de parole et celui de la recherche d’un consensus) qui s’appliquent aux Allemands s’appliquent aussi aux Irlandais.

En revanche, il est vrai que l’Irlande, comme d’ailleurs tous les pays du groupe 2, supporteront une dilution des droits de vote au fur et à mesure de l’élargissement de la zone euro. Lorsque la zone euro comportera 20 membres, les 15 pays du groupe 2 devront se partager 11 votes (tableau 2, source: p. 91). Lorsque la zone euro s’élargira à nouveau pour compter 21 membres, les 16 pays du groupe 2 devront toujours se partager 11 votes … À 22 membres, la création d’un troisième groupe  aboutira à une nouvelle dilution des droits de vote pour les groupes 2 et 3 mais pas pour le groupe 1, soit le groupe des « grands » pays, qui continueront toujours à voter 80 % du temps.

La question qui se pose pour l’Irlande, mais aussi pour tous les pays du groupe 2 actuel, est celle de l’élargissement futur de la zone euro. A ce jour, tous les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) n’ayant pas encore adopté l’euro ont abandonné tout calendrier d’entrée dans la zone euro (tableau 1). Seule la Roumanie fait exception et avance 2019 pour intégrer la zone[6]. Les perspectives pour les autres pays, sans pour autant être abandonnées, apparaissent très lointaines[7]. La probabilité que la zone euro comporte bientôt 21 membres est donc plutôt faible et la probabilité que la zone euro dépasse les 22 membres encore plus. De toute façon, quelle que soit la configuration, l’Irlande ne fera jamais partie du groupe 3. Ce sont donc les pays en queue de peloton de l’actuel groupe 2 (Malte, Estonie, Lettonie, etc.) qui ont le plus à perdre en termes de fréquence de votes.

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Conclusion

On ne peut parler d’Europe unifiée tout en expliquant qu’il existe plusieurs catégories de pays. On ne peut se féliciter que la zone euro ait de nouvelles adhésions tout en expliquant que seuls certains membres peuvent/doivent participer au processus décisionnel. Un vote au sein du Conseil qui serait systématique pour certains gouverneurs (mais pas tous) ou un droit de veto que seuls quelques gouverneurs pourraient exercer ne sont pas acceptables dans une Europe unifiée. Chaque pays perd sa souveraineté monétaire en intégrant la zone euro : pourquoi certains pays devraient la perdre plus que d’autres ? Est-il pour autant souhaitable de revenir à l’ancien système, celui du « un pays, un vote » ? Non. Le nouveau système de votes au sein du Conseil des gouverneurs constitue un bon compromis entre la nécessité de maintenir la capacité décisionnelle du Conseil des gouverneurs (et donc avoir un nombre réduit de votants) et celle de permettre à chacun des gouverneurs de participer au vote sur une base régulière. De ce point de vue, le système de rotation qui prévaut en zone euro est plus équilibré que celui qui prévaut aux Etats Unis où certains membres peuvent s’abstenir de voter pendant un, deux, voire trois ans[8]. Dans la zone euro, le laps de temps pendant lequel un gouverneur ne participera pas au vote décidant de la politique monétaire n’excédera pas un mois pour les pays du groupe 1 et, pour les pays du groupe 2, il n’excédera pas trois mois (tant que la zone euro reste constituée de 19 pays).

Tout du moins en théorie. Car, en pratique, si le Conseil des gouverneurs continuera bien à se rencontrer deux fois par mois, le vote concernant la conduite de la politique monétaire n’interviendra plus que toutes les … six semaines (contre quatre auparavant). Le temps d’abstention de vote devrait donc être (un peu) plus long que celui donné dans tous les documents officiels de la BCE et des banques centrales nationales de la zone euro…

 

 


[1] Plus précisément, le Conseil européen du 21 mars 2003 a modifié l’Article 10.2 relatif aux statuts de l’Eurosystème afin de permettre la mise en place d’un système de rotation au sein du Conseil des gouverneurs. L’article modifié prévoyait que le système de rotation puisse être introduit dès l’entrée du 16e membre dans la zone euro et, au plus tard, à l’entrée du 19e membre.

[2] A l’entrée d’un 22e pays dans la zone euro, le Traité prévoit la création d’un troisième groupe.

[3]Pour la première fois depuis 2009, la croissance des prix à la consommation est devenue négative, s’établissant à -0,2 % sur un an.

[4]Les autres membres du Directoire sont de nationalité italienne (Mario Draghi, Président de la BCE). portuguaise (Vítor Constâncio, vice-Président de la BCE), française (Benoît Cœuré), luxembourgeoise (Yves Mersch) et belge (Peter Praet).

[5] L’expérience américaine du Federal Open Market Committee montre qu’il existe un biais régional dans les votes des Gouverneurs (Meade et Sheets, 2005 : « Regional Influences on FOMC Voting Patterns », Journal of Money Credit and Banking, 33, p. 661-678.)

[6] Il lui faudra de toute façon respecter les critères de Maastricht (critères de déficit public, de taux d’intérêt, d’inflation, etc.).

[7] Ce revirement s’explique en partie par le fait que beaucoup de ces PECO ont bénéficié de la dépréciation de leur monnaie par rapport à l’euro. Ils ont ainsi compris qu’intégrer la zone euro ne leur apporterait pas que des avantages. De plus, on fait l’hypothèse ici que le Royaume-Uni, le Danemark et la Suède n’intégreront jamais la zone euro du fait de leur clause d’Opting-out.

 




Quelles options pour la BCE ?

par Paul Hubert

Tous les yeux sont actuellement tournés vers la BCE dont les déclarations récentes indiquent qu’elle se préoccupe du risque déflationniste dans la zone euro. Le nouveau recul de l’inflation au mois de mai à 0,5 %, en rythme annuel rappelle que ce risque s’accroît, ce qui pourrait amener la BCE à agir, lors de la réunion mensuelle du Conseil des Gouverneurs qui se tient aujourd’hui, ou dans les mois à venir. Ce post présente un court résumé des options possibles et disponibles pour la BCE.

1. Réduire le taux d’intérêt directeur (main refinancing operations rate, ou taux MRO) actuellement à 0,25%. Le consensus sur les marchés financiers se situe autour d’une réduction de 10 à 15 points de pourcentage, ce qui permettrait de réduire un peu plus le coût du financement pour les banques qui dépendent encore des liquidités de la BCE. Cette mesure aurait cependant un impact marginal sur les taux des opérations de refinancement (MRO et LTRO, opérations dites de refinancement à plus long terme), ce qui influencerait peu les conditions de financement et aurait donc peu d’avantages pour les banques espagnoles et italiennes (principales utilisatrices de cette option).

2. Réduire le taux d’intérêt des dépôts (deposit facility rate) de zéro à des taux négatifs (à nouveau de 10 à 15 points de pourcentage). Cette option est anticipée en grande partie par les marchés financiers. Un taux d’intérêt négatif sur les dépôts devrait également être accompagné d’une modification de la politique des réserves excédentaires de la BCE en plafonnant le montant des réserves excédentaires des banques commerciales au bilan de la BCE ou en appliquant le même taux négatif aux réserves excédentaires. Sans cela, les banques transfèreraient tout simplement leur fonds du compte de dépôts vers les réserves excédentaires. Une combinaison de ces deux politiques devrait conduire à un taux Eonia plus faible, entre zéro et 0,05%. Ainsi, l’incitation des banques à laisser leurs liquidités à la BCE serait réduite afin de stimuler la distribution de crédits au secteur non financier.

3. Une extension de la politique de provision de liquidités en quantité illimitée à taux fixe (fixed-rate full allotment) de mi-2015 à fin 2015 ou même mi-2016, est majoritairement considérée comme une option facile et rapide qui fournirait une assurance supplémentaire sur les marchés avant les échéances de LTRO de début 2015. Ce type de mesure garantirait la liquidité du système bancaire mais pourrait avoir un impact limité sur l’activité et l’inflation tant que les banques préféreront placer leurs liquidités auprès de la banque centrale.

4. La BCE annonce la fin de la stérilisation du programme SMP (Securities Markets Programme, programme d’achats d’obligations souveraines des pays en difficulté de la zone euro). Les marchés paraissent divisés sur cette question. La BCE n’a pas réussi à attirer une demande suffisante pour stériliser complètement cette opération lors des huit dernières semaines. Cela ajouterait 164,5 milliards d’euros (le montant cible du SMP) de liquidités au système et conduirait le taux Eonia à zéro ou même en territoire négatif et pourrait réduire la volatilité apparue ces derniers mois. Cette mesure réduirait donc également le taux des refinancements interbancaires, ce qui reviendrait peu ou prou à la première option.

5. Un programme de LTRO conditionnel et ciblé pourrait voir le jour. Cela consisterait à copier le programme de financement ciblé (Funding for Lending Scheme -FLS-) mis en place par la Banque d’Angleterre dans lequel un financement peu cher est accordé aux banques en échange de l’octroi de nouveaux prêts à l’économie réelle. Cela prendrait cependant du temps à mettre en place et encore plus à produire un effet réel sur l’économie mais serait probablement la mesure la plus efficace pour stimuler l’activité car elle permettrait de peser sur les conditions de refinancement au-delà des opérations interbancaires.

En tout état de cause, la situation économique de la zone euro, aussi bien pour les perspectives des entreprises que pour la situation sur le marché de l’emploi, appelle à une réaction forte de la BCE pour éviter que la zone euro ne rentre en déflation. L’effet de signal pourra être tout aussi important que la mesure concrètement mise en œuvre par la BCE. En se montrant active à l’issue de la réunion d’aujourd’hui, la BCE montrera sa détermination à lutter contre le risque déflationniste, ce qui pourra au moins modifier les anticipations des agents. Si toute action de la BCE est la bienvenue, il reste que la situation économique actuelle résulte également des politiques budgétaires restrictives qui pèsent sur l’activité (voir également ici).




Que peut-on attendre d’une baisse de l’euro pour l’économie française ?

par Bruno Ducoudré et Eric Heyer

Face à la montée du risque de déflation en zone euro, renforcée par l’appréciation continue de l’euro face aux autres monnaies depuis mi-2012, les dirigeants de la Banque centrale européenne ont entamé un changement de ton dans leur communication aux marchés financiers : ils évoquent maintenant la possibilité de mettre en œuvre de nouveaux assouplissements monétaires quantitatifs. Ces assouplissements sont susceptibles de faire baisser le taux de change de l’euro. Ils apporteraient alors un soutien précieux aux économies de la zone euro via un regain de compétitivité-prix vis-à-vis des concurrents hors de la zone, dans un contexte où les politiques de consolidation budgétaire vont continuer à freiner la croissance prévue pour la zone euro en 2014 et en 2015. Quelles seraient dès lors les conséquences pour l’économie française d’une dépréciation de l’euro face aux autres monnaies ? Nous revenons brièvement sur les évolutions passées du taux de change de l’euro. Puis nous présentons les effets attendus d’une dépréciation de 10% de l’euro face aux autres devises à l’aide du modèle emod.fr. Ces effets sont plus modérés que ceux prévus par le gouvernement.

Les politiques d’assouplissement monétaire quantitatif ont été massivement utilisées par la Réserve fédérale américaine, la Banque d’Angleterre ou encore de la Banque centrale du Japon. Depuis la mi-2012, le bilan de ces 3 banques a continué d’augmenter de respectivement 6,5 pts de PIB, 1,3 pt de PIB et 15,3 pts de PIB. Au cours de la même période, le bilan de la BCE s’est à l’inverse réduit de 8,4 pts de PIB. Cette divergence de stratégie a provoqué une appréciation continue de l’euro : en s’établissant aujourd’hui à 1,38 dollar, l’euro a vu sa valeur augmenter depuis juin 2012 de 12 % face au dollar. Au cours de la même période, la monnaie commune s’est appréciée de 49 % par rapport au yen et de près de 3 % face à la livre sterling (graphique 1).

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Le taux de change effectif nominal de l’euro, qui pondère ces différents taux de change en fonction de la structure du commerce de la zone euro, s’est ainsi apprécié de 9,5 % depuis le troisième trimestre 2012 (graphique 2). Cette appréciation, combinée avec les politiques d’austérité et de désinflation compétitive menées en zone euro, a pesé sur la croissance du PIB de la zone, négative en 2012 et 2013, et sur l’inflation. L’absence de tensions inflationnistes et l’appréciation passée de l’euro laissent donc des marges de manœuvre à la BCE pour essayer d’infléchir le cours de l’euro face aux autres monnaies.

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Quel serait l’impact d’une dépréciation de l’euro vis-à-vis de l’ensemble des autres devises ?

Les effets d’une dépréciation de l’euro sont doubles :

–          Un effet de revenu : un euro faible augmente le prix des importations. Cela se traduit par une hausse de la facture énergétique, une hausse des prix de production des entreprises et une perte de pouvoir d’achat des ménages ;

–          Un effet de substitution : un euro faible diminue le prix des exportations et accroît ces dernières. La dépréciation détériore aussi la compétitivité des producteurs concurrents, ce qui provoque une baisse des importations à l’avantage de la production domestique.

Ces effets opposés ne s’appliquent qu’au commerce extra zone euro. Le commerce avec nos partenaires européens n’est pas directement impacté puisque les prix des importations et des exportations en provenance et à destination de cette zone restent inchangés. En revanche, le commerce intra zone euro est impacté par un euro faible. Mais, cela passe par le canal de la demande adressée.

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Comme le résume le tableau 1, une dépréciation de 10% de l’euro face à l’ensemble des monnaies entraîne un gain de compétitivité-prix à l’exportation pour la France vis-à-vis du reste du monde. Les autres pays de la zone euro bénéficient du même gain de compétitivité sur l’ensemble des marchés à l’exportation. Dans ce cas, l’effet sur l’activité serait de 0,3% la première année, de 0,5% au bout de trois ans, et nul au bout de neuf ans. La hausse de demande adressée entraînée par l’amélioration de l’activité chez nos partenaires européens serait globalement compensée par la baisse de la demande adressée à la France par le reste du monde. Sur le marché du travail, une telle dépréciation entraînerait la création de 22 000 emplois la première année de 74 000 emplois au bout de 3 ans. Le solde public de son côté s’améliorerait de 0,3 point de PIB à l’horizon de 3 ans.

Ces résultats, s’ils modèrent ceux publiés par la DG Trésor[1], n’en demeurent pas moins significatifs et bienvenus dans le contexte économique actuel marqué par une croissance faible et un risque de déflation. Une dépréciation de la monnaie unique permettrait également d’atténuer le processus de désinflation compétitive engagé au sein des pays de la zone euro.

 


[1] Dans leur publication, la DG Trésor considère qu’une baisse de 10% du taux de change effectif de l’euro (contre toutes monnaies) permettrait d’accroître notre PIB de 0,6 point de PIB la première année et de 1,2 point de PIB au bout de trois ans ; de créer 30 000 emplois la première année et 150 000 emplois au bout de trois ans ; de réduire le déficit public 0,2 point de PIB la première année et de 0,6 point de PIB au bout de trois ans.




Abenomics et sa nouvelle politique monétaire

Ce post résume un article publié par Mahito Uchida dans la Revue de l’OFCE,  n° 135.

Avec l’arrivée à la tête du gouvernement de Shinzo Abe, la politique économique japonaise a pris, en 2013, une orientation résolument anti déflationniste. Cette nouvelle politique combine une politique monétaire très accommodante et une politique de relance fondée sur l’investissement public.  Dans un article publié par l’OFCE, Mahito Uchida de l’Université SEIJO, présente une analyse de la première étape de mise en œuvre de la nouvelle politique monétaire japonaise.  En premier lieu il présente brièvement les grandes lignes de « l’Abenomics » et de la nouvelle politique monétaire japonaise mises en œuvre depuis avril 2013. Il présente ensuite les causes de la réponse très forte du yen, des cours de la bourse japonaise, de l’inflation et des anticipations des agents économiques en matière de croissance et d’inflation. Dans une deuxième partie,  Mahito Uchida explique pourquoi la politique monétaire a obtenu des résultats en 2013 que celle de 2012 n’avait pas atteint.  Bien qu’il n’y ait pas de différence majeure entre les politiques menées avant et après 2012, il met en évidence l’importance de l’engagement très fort de la Banque centrale du Japon, de sa coopération affichée avec le gouvernement et du « choc psychologique » dans l’opinion publique.  La troisième partie de l’analyse de Mahito Uchida discute la question de la durabilité de cette nouvelle politique monétaire. Pour conforter les résultats à long terme, il faut que l’impact sur les prix soit durablement positif, ce qui implique un écart de production également durablement positif. En conséquence,  la stratégie de croissance de l’Abenomics  joue un rôle particulièrement important. Tout comme le fait que la Banque du Japon devra éviter les effets secondaires indésirables que pourrait avoir sa politique sur les taux d’intérêt de la dette publique, sur les autres marchés financiers et sur les mouvements de capitaux avec l’étranger.




La BCE, ou comment devenir moins conventionnel

par Jérôme Creel et Paul Hubert

La situation économique morose de la zone euro, avec ses risques de déflation, amène les membres de la Banque centrale européenne (BCE) à réfléchir à de nouveaux assouplissements monétaires quantitatifs, comme en attestent les récentes déclarations des banquiers centraux allemand, slovaque et européen. De quoi pourrait-il s’agir et ces mesures pourraient-elles être efficaces pour relancer l’économie de la zone euro ?

Les assouplissements quantitatifs, bien souvent qualifiés de QE (pour Quantitative Easing), regroupent plusieurs types différents de politique monétaire non-conventionnelle. Pour les définir, il convient de commencer par caractériser la politique monétaire conventionnelle.

La politique monétaire conventionnelle consiste à modifier le taux d’intérêt directeur (celui des opérations dites de refinancement à moyen terme) par des opérations dites d’open-market pour influencer les conditions de financement. Ces opérations peuvent modifier la taille du bilan de la banque centrale, notamment par le biais de la création monétaire. Il y a donc là un écueil dans la distinction entre politiques conventionnelle et non-conventionnelle : l’augmentation de la taille du bilan de la banque centrale ne suffit pas pour caractériser une politique non conventionnelle.

A contrario, une politique d’assouplissement quantitatif, non-conventionnelle, donne lieu stricto sensu à une augmentation de la taille du bilan de la banque centrale, mais sans création monétaire immédiate supplémentaire : le supplément de liquidités fourni par la banque centrale aux banques commerciales sert à augmenter les réserves de celles-ci auprès de la banque centrale, à charge pour elles d’utiliser in fine ces réserves à l’acquisition ultérieure de titres ou à l’octroi de crédits. Ces réserves, qui sont des actifs sûrs des banques commerciales, permettent d’assainir leurs propres bilans : la proportion d’actifs risqués diminue, celle des actifs sûrs augmente.

Un autre type de politique monétaire non-conventionnelle, l’assouplissement qualitatif (ou Qualitative Easing), consiste à modifier la structure du bilan de la banque centrale, généralement côté actif, mais sans modifier la taille du bilan. Il peut s’agir pour la banque centrale d’acquérir des titres plus risqués (non triple A) au détriment de titres moins risqués (triple A). Ce faisant, la banque centrale atténue la part de risque au bilan des banques auprès desquelles elle a acquis ces titres risqués.

Un dernier type de politique monétaire non-conventionnelle consiste à mener à la fois une politique d’assouplissement quantitatif et qualitatif : c’est l’assouplissement du crédit (ou Credit Easing). La taille du bilan de la banque centrale et le risque induit augmentent de concert.

Parmi les politiques monétaires non-conventionnelles attribuées à la BCE, on cite souvent les opérations d’octroi de liquidités à long terme (3 ans) et à taux d’intérêt bas, entreprises en novembre 2011 et février 2012 et qualifiées d’opérations VLTRO (Very long term refinancing operation). S’agissait-il effectivement d’opérations non-conventionnelles de grande ampleur ? D’une part, ces opérations n’ont pas porté sur des montants de 1 000 milliards d’euros, mais sur des montants nets plus proches de 500 milliards d’euros, ce qui n’est pas négligeable, après corrections des remboursements des banques auprès de la BCE. D’autre part, les opérations de LTRO font partie de l’arsenal conventionnel de politique de la BCE. Enfin, ces opérations auraient été en partie stérilisées : les crédits octroyés par la BCE aux banques commerciales auraient été compensés par des ventes de titres par la BCE, modifiant ainsi la structure de l’actif de la BCE. On peut donc conclure que les opérations de VLTRO ont été, pour partie, « conventionnelles » et, pour partie, « non-conventionnelles ».

Il en va différemment du mécanisme de Securities Market Programme qui a consisté, de la part de la BCE, à acquérir sur les marchés secondaires des titres de dette publique pendant la crise des dettes souveraines. Ce mécanisme a conduit à augmenter la taille du bilan de la BCE, mais aussi le risque induit : cette politique d’assouplissement du crédit a bel et bien été une politique non-conventionnelle.

Compte tenu des différentes définitions existantes à propos de ces politiques non-conventionnelles, il est utile de rappeler que la BCE communique expressément sur les montants qu’elle a consentis dans le cadre qu’elle a défini comme étant caractéristique de ses politiques non-conventionnelles (Securities held for monetary policy purposes). Ces montants sont représentés dans le graphique ci-après. Ils témoignent de la fréquence et de l’ampleur des activités monétaires que la BCE définit donc elle-même de non-conventionnelles.

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Les 3 différentes mesures représentées sur ce graphique (taille du bilan de la BCE, montant des LTRO et montant des Securities held for monetary policy purposes) sont exprimées en milliards d’euros. Les deux premières ont connu une hausse au 4e trimestre 2008 après la faillite de Lehman Brothers tandis que la troisième mesure de politique non-conventionnelle n’a commencé qu’en juin 2009. On remarque ensuite une nouvelle vague conjointe d’approfondissement de ces mesures lors de la fin d’année 2011. A la suite de cet épisode, le montant des opérations de LTRO était égal à 1 090 milliards d’euros et représentait environ 10 % du PIB de la zone euro (9 400 Mds€), soit un tiers environ du bilan de la BCE, tandis que le montant des Securities held for monetary policy purposes n’était que de 280 milliards d’euros, soit 3 % du PIB de la zone euro, et environ 4 fois moins que les opérations de LTRO. Il est intéressant de noter que la politique monétaire de la BCE, qui dépend de la demande de liquidités des banques, s’est modifiée en 2013. On peut interpréter la réduction de la taille du bilan comme le signe d’une politique moins expansionniste ou comme une baisse de la demande de liquidités en provenance des banques. Dans le premier cas, il s’avèrerait que cette stratégie de sortie des politiques d’assouplissement monétaire était sans doute trop précoce au regard de la conjoncture européenne, d’où le recours évoqué récemment à de nouvelles mesures non-conventionnelles.

Jusque-là, ces mesures ont été introduites officiellement afin de restaurer les canaux de transmission de la politique monétaire de la BCE à l’économie réelle, canaux qui dans certains pays de la zone euro ont été brouillés par la crise financière et de la zone euro. Le moyen de restaurer ces canaux a consisté à injecter des liquidités dans l’économie et à augmenter les réserves du secteur bancaire afin d’inciter les banques à accorder à nouveau des prêts. Un autre objectif de ces politiques est d’envoyer un signal aux investisseurs sur la capacité de la banque centrale à assurer la stabilité et la pérennité de la zone euro, matérialisé par le célèbre « whatever it takes »[1] prononcé par Mario Draphi le 26 juillet 2012.

Dans un récent document de travail avec Mathilde Viennot, nous nous penchons sur l’efficacité des politiques conventionnelles et non-conventionnelles pendant la crise financière. Nous estimons les effets de l’instrument conventionnel et des achats de titres dans le cadre des politiques non-conventionnelles de la BCE (Securities held for monetary policy purposes) sur les taux d’intérêt et volumes de nouveaux crédits consentis sur différents marchés : prêts aux entreprises non-financières, aux ménages, marché des dettes souveraines, marché monétaire et celui des dépôts.

Nous montrons que les politiques non-conventionnelles ont permis de réduire les taux d’intérêt sur le marché monétaire, celui des titres souverains et des prêts aux entreprises non-financières. Ces politiques n’ont cependant pas eu d’effets sur les volumes de prêts accordés. Dans le même temps, il s’avère que l’instrument conventionnel, dont l’inefficacité a été l’une des justifications à la mise en place des mesures non-conventionnelles, a eu l’effet attendu sur quasiment tous les marchés étudiés, et d’autant plus dans les pays du Sud de la zone euro que dans ceux du Nord sur le marché des titres souverains à 6 mois et des prêts immobiliers aux ménages.

Il semble donc que les politiques non-conventionnelles ont eu des effets directs sur le marché des titres souverains et des effets indirects, en permettant de restaurer l’efficacité de l’instrument conventionnel sur les autres marchés. Une des raisons permettant d’expliquer le faible impact des deux instruments sur les volumes de prêts accordés tient à la nécessité pour les banques commerciales[2] de se désendetter et de réduire la taille de leur bilan en ajustant leur portefeuille d’actifs pondérés des risques, ce qui les a poussées à accroître leurs réserves plutôt que d’assurer leur rôle d’intermédiation et à réclamer une rémunération relativement plus élevée pour chaque exposition consentie. Ces comportements, bien que légitimes, nuisent à la transmission de la politique monétaire : les taux baissent mais le crédit ne repart pas. Il semble dès lors important que la politique monétaire ne repose pas exclusivement sur le secteur bancaire. Si une nouvelle vague d’opérations non-conventionnelles devait être entreprise, il faudrait qu’elle soit concentrée directement sur l’acquisition de titres souverains ou d’entreprises privées afin de contourner le secteur bancaire. Grâce à ce contournement, on assisterait certainement à des effets d’amplification de la transmission de la politique monétaire à l’économie réelle. Et ce serait bienvenu pour échapper au risque de déflation dans la zone euro.[3]

 


[1] « La BCE mettra en œuvre tout ce qu’il faudra pour préserver l’euro. Et croyez-moi, ce sera suffisant. »

[2] Le raisonnement du désendettement s’applique aussi à leurs clients : les agents non-financiers.

[3] Voir le post de Christophe Blot et le récent rapport du CAE par Agnès Bénassy-Quéré, Pierre-Olivier Gourinchas, Philippe Martin et Guillaume Plantin sur ce sujet.




Et si la BCE respectait son mandat !

par Christophe Blot

L’article 127 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TUE), soit l’ex-article 105 du Traité de Maastricht, stipule clairement que « l’objectif principal du Système européen de banques centrales […] est de maintenir la stabilité des prix ». Aucune quantification précise de cet objectif n’est cependant donnée dans le Traité. La BCE l’a interprété en énonçant qu’elle ciblerait une inflation inférieure mais proche de 2 % à moyen terme. Par ailleurs, l’article 127 du TUE ajoute que « sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, le [Système européen de banques centrales] apporte son soutien aux politiques économiques générales de l’Union, tels que définis à l’article 3… », ce qui inclut notamment le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, le plein-emploi et le progrès social. Il apparaît donc clairement que l’objectif de croissance ou d’emploi n’est pas délaissé mais subordonné à celui de stabilité des prix. Partant de ce rappel sur la définition des objectifs de la BCE, quel constat pouvons-nous faire actuellement de l’orientation de la politique monétaire au sein de la zone euro ?

Depuis la fin de l’année 2013, quelques signes de redressement économique sont apparus dans la zone euro. La première estimation de la croissance au quatrième trimestre 2013 confirme la sortie de la récession, le PIB ayant progressé de 0,3 %. Il n’en demeure pas moins que la situation économique est fragile. Pour s’en convaincre, il suffit simplement de rappeler que le taux de chômage atteint 12 % de la population active, soit le niveau le plus élevé depuis 1993 (graphique). La croissance devrait accélérer en 2014 et 2015. Selon les prévisions annoncées par la BCE en mars 2014, elle atteindrait 1,2 % en 2014 puis 1,5 % en 2015, un rythme toutefois insuffisant pour permettre une décrue rapide et significative du chômage. Par ailleurs, depuis la fin de l’année 2013, l’inflation est passée sous le seuil de 1 % et glisse dangereusement vers une zone de risque déflationniste. En outre, toujours selon les prévisions de la BCE, l’inflation ne dépasserait pas 1,0 % en 2014, puis remonterait à 1,3 % en 2015 et 1,5 % en 2016. Dans tous les cas, on est loin de la cible de 2 % à moyen terme. L’objectif de stabilité des prix tel que défini par la BCE ne serait donc pas respecté. Lors de sa conférence de presse du mois de mars, Mario Draghi a annoncé que le maintien du taux directeur[1] à 0,25 % et l’absence de mesures supplémentaires (dites non conventionnelles) pourraient stimuler la zone euro. Ce statu quo est justifié par l’absence de signes d’une décrue plus rapide de l’inflation. Ce faisant, le Président de la BCE indique qu’il se satisfait d’une situation où l’inflation se maintient durablement sous le seuil de 2 % et où la zone euro est caractérisée par un chômage de masse persistant. Faudrait-il alors réinterpréter la définition de la stabilité des prix à laquelle se réfère la BCE et considérer que le terme inférieur est plus important, aux yeux des membres du Conseil des gouverneurs de la BCE, que celui de proche de 2 % ? La réponse à cette question n’est évidemment pas neutre puisqu’elle témoignerait d’une asymétrie de la réaction de la banque centrale à l’égard de l’inflation, la BCE réagissant plus rapidement lorsque l’inflation dépasse 2 % que lorsqu’elle est inférieure à 2 %, y compris à l’horizon des prévisions de son équipe. Quelle que soit l’interprétation de cet objectif principal, il n’en demeure pas moins que les risques sur la stabilité des prix ne sont pas aujourd’hui un frein à la mise en œuvre d’une politique monétaire plus expansionniste. Dans ces conditions, la BCE a toute latitude pour se préoccuper activement de ses autres objectifs dont la croissance et le chômage en premier lieu.

Quels sont alors les moyens dont dispose la BCE sachant qu’avec un taux d’intérêt directeur à 0,25 %, les marges de manœuvre à la baisse sont très limitées ? La BCE doit donc recourir à d’autres leviers. La communication des banques centrales a pris un rôle croissant dans la mise en œuvre de la politique monétaire parce qu’elle permet d’influencer les anticipations des agents et donc l’impact des décisions sur l’inflation et la croissance. A cet égard, elle s’est récemment (juillet 2013) engagée dans une politique dite d’orientation prospective (forward guidance) par laquelle elle précise que le taux directeur sera maintenu à un niveau bas pendant une période prolongée[2]. La BCE pourrait aller plus loin en conditionnant la hausse du taux d’intérêt directeur à une cible de taux de chômage comme l’ont annoncé la Banque d’Angleterre et la Réserve fédérale, ce qui donnerait plus de substance à son objectif d’emploi et de croissance. Par ailleurs, les mesures non conventionnelles pourraient être mobilisées pour accentuer le caractère expansionniste de la politique monétaire. Il s’agit principalement de mesures qui modifient soit la taille, soit la composition du bilan de la banque centrale et qui permettent alors d’influencer les conditions de financement au-delà de l’impact de la baisse des taux courts. Un rapport récent du Conseil d’analyse économique (voir ici) va dans ce sens et propose notamment que la BCE procède à des achats de crédits titrisés aux PME afin de réduire le coût de financement des entreprises. Le programme OMT[3] (Outright monetary transactions) aurait pu être activé pour soutenir la baisse des taux longs publics. L’annonce de cette mesure avait en effet largement contribué à faire baisser les taux d’intérêt longs publics en Espagne et en Italie, notamment parce qu’elle envoyait le signal que le risque d’éclatement de la zone euro s’éloignait. A ce jour, la BCE n’est pas intervenue sur les marchés pour y acheter des titres publics. Pourtant sa capacité d’intervention étant sans limite, de telles opérations d’achat permettraient de réduire les taux longs. Il faut toutefois souligner que l’OMT est aujourd’hui contestée par la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe qui doute de la constitutionnalité du programme, et renvoie la décision à la Cour de justice de l’Union européenne. Un rejet ou une restriction de l’action de la BCE sur ce point serait regrettable. Certes, le périmètre d’intervention de la BCE doit être clarifié. Mais, il est aussi fondamental que les objectifs de stabilité de prix et de croissance demeurent. Les juges allemands ou ceux de la Cour de justice de l’Union européenne seraient bien avisés de se pencher sur ce point.

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[1] Il s’agit du taux principal de refinancement qui correspond au coût des liquidités empruntées, dans le cadre des opérations de politique monétaire, par les établissements de crédit de la zone euro auprès de la BCE.

[2] Voir le post de Paul Hubert et de Fabien Labondance sur ce sujet.

[3] Voir le post de Jérôme Creel et Xavier Timbeau pour des précisions sur l’OMT.




Le clair-obscur du “forward guidance” de la BCE*

par Paul Hubert et Fabien Labondance

« The Governing Council expects the key interest rates to remain at present or lower levels for an extended period of time[1] ». Par ces mots prononcés le 4 juillet 2013 lors de la conférence de presse suivant la réunion mensuelle du Conseil des Gouverneurs, Mario Draghi amorce l’adoption par la Banque centrale européenne (BCE) d’une nouvelle stratégie de communication dite de forward guidance. Ces mots ont été depuis ce jour toujours inclus dans son allocution qui suit l’annonce de politique monétaire de la BCE, et il les a à nouveau répétés aujourd’hui[2]. Que faut-il en attendre ? Le forward guidance a été récemment adopté par plusieurs banques centrales, mais les modalités choisies par le BCE diffèrent et laissent entrevoir une efficacité limitée de cette mesure dans la zone euro.

La communication est devenue un élément à part entière de la conduite de la politique monétaire depuis que les taux directeurs sont maintenus à leur niveau plancher. Plus précisément, le forward guidance consiste à annoncer et à s’engager sur la trajectoire future du taux directeur. Par cet intermédiaire, les banques centrales souhaitent accroître la transparence de leur action et ancrer les anticipations. L’objectif est à la fois de préciser leur stratégie ainsi que leurs prévisions quant à l’évolution de la conjoncture. Dans le cas présent, les banques centrales souhaitent affirmer leur volonté de ne pas relever les taux d’intérêt dans un futur proche. Elles espèrent ainsi influencer les anticipations privées de taux courts, et donc les taux longs, afin de renforcer la transmission de la politique monétaire, et ainsi soutenir l’économie.

De la théorie…

Les promoteurs de la stratégie de forward guidance, au premier rang desquels figurent Eggertsson et Woodford (2003), suggèrent que l’efficacité de la politique monétaire peut être accrue avec une politique de taux d’intérêt stable et connue à l’avance. Cette proposition est justifiée par le fait que la demande de crédit dépend fortement des anticipations de taux d’intérêt à long terme, lesquelles dépendent des anticipations de taux à court terme. Ainsi, en annonçant à l’avance les niveaux futurs des taux d’intérêt, la banque centrale précise ses intentions et dissipe l’incertitude reposant sur ses futures décisions. Cette stratégie est d’autant plus pertinente en situation de trappe à liquidité lorsque les taux nominaux sont proches de zéro, comme c’est le cas actuellement. L’outil traditionnel des banques centrales est alors contraint, les taux d’intérêt nominaux ne pouvant être négatifs. Les banques centrales ne peuvent donc plus influencer le prix des prêts accordés mais sont en revanche en mesure de jouer sur les volumes via les mesures non conventionnelles[3]. Le canal des anticipations et l’envoi de signaux aux agents privés deviennent dès lors primordiaux et complètent l’assouplissement quantitatif.

Il est important de préciser que l’effet du forward guidance sur les taux longs et donc sur l’économie passe par la structure par terme des taux d’intérêt. Plusieurs théories tentent d’expliquer comment les taux varient en fonction de leur maturité. La structure par terme des taux d’intérêt peut être abordée sous l’angle de la théorie des anticipations qui suppose que les taux longs sont une combinaison des taux courts futurs anticipés et donc que les différentes maturités sont des substituts parfaits. De son côté, la théorie de la prime de liquidité suppose que les taux d’intérêt à long terme incluent une prime liée à l’existence d’un ou plusieurs risques à long terme. Enfin, une autre théorie repose sur l’hypothèse de segmentation du marché et stipule que les instruments financiers de différentes maturités ne sont que peu substituables et que leurs prix évoluent indépendamment. Si les investisseurs souhaitent détenir des actifs liquides, ils préféreront les instruments à court terme à ceux à long terme et leurs prix varieront dans des directions opposées. Dans le cas des deux premières théories uniquement, le forward guidance peut avoir l’effet désiré sur les taux longs.

…à la pratique

Avant la crise financière de 2008, certaines banques centrales avaient déjà mis en œuvre une telle stratégie. C’est le cas en Nouvelle-Zélande depuis 1997, en Norvège depuis 2005 et en Suède depuis 2007. Les Etats-Unis ont également mis en place cette stratégie de communication à plusieurs reprises alors que les taux étaient très bas. Le Federal Open Market Committee (FOMC) avait introduit de manière implicite le forward guidance dans sa communication en août 2003. Alors que son taux cible était à son plus bas historique, le FOMC mentionna que « that policy accommodation can be maintained for a considerable period[4] ». Ce vocabulaire propre au forward guidance demeura dans les communiqués du FOMC jusqu’à fin 2005. Il y réapparut en décembre 2008 et de manière plus précise en août 2011, lorsque Ben Bernanke, président de la Réserve Fédérale (ou « Fed ») des États-Unis, annonça que les conditions économiques justifiaient le maintien des taux des fonds fédéraux à un bas niveau au moins jusqu’à mi-2013. Depuis, l’annonce du 13 septembre 2012 précisant que la Fed ne relèvera pas ses taux avant mi-2015, prolonge précisément cette stratégie.

Pour comprendre quel pourrait être l’effet du forward guidance de la BCE, il est important de distinguer deux types de forward guidance : celui pour lequel l’action de la banque centrale est conditionnée à une période temporelle, et celui dépendant de variables économiques incluant des seuils déclenchant une action de sa part. Dans le cas de la Fed, les premières annonces mentionnées précédemment font référence à une période de temps. Mais depuis décembre 2012, la Fed conditionne dorénavant son engagement sur l’évolution future des taux à des seuils conjoncturels déclencheurs. Elle a ainsi annoncé que « les niveaux exceptionnellement bas des taux des Fed Funds le resteront aussi longtemps que le taux de chômage demeurera au-dessus de 6,5%, que l’inflation prévue à 1-2 ans ne dépassera pas de plus d’un demi-point l’objectif à long terme (2%) et que les anticipations d’inflation à plus long terme resteront bien ancrées.» L’arrivée de nouveaux membres au FOMC à partir de janvier 2014 pourrait cependant modifier le timing du prochain resserrement monétaire. De même, Mark Carney, nouveau gouverneur de la Banque d’Angleterre (BoE), a mis en place en août 2013 une stratégie de forward guidance signalant son intention de ne pas remonter les taux tant que le taux de chômage n’est pas repassé sous la barre des 7%. Cet engagement est néanmoins conditionnel à une inflation contenue, des anticipations d’inflation ancrées et à un effet neutre de cet engagement sur la stabilité financière.

Le forward guidance conditionnel à une durée de temps, adopté par la BCE (et comme nous le décrirons plus tard) présente un inconvénient majeur : les conditions économiques évoluant au cours de la période de temps en question, elles rendent l’engagement caduc. La crédibilité de l’annonce est donc très faible. Le forward guidance conditionnel à des seuils sur des variables économiques ne présente pas cet inconvénient. Un critère pour la crédibilité de ces engagements conditionnels à des seuils est néanmoins que les variables sous-jacentes choisies soient observables (PIB plutôt qu’output gap) et ne souffre pas d’erreurs de mesure (inflation plutôt qu’anticipations d’inflation) afin que les agents privés puissent évaluer si la banque centrale agit comme elle s’était engagée à le faire. Alors et seulement alors, les agents pourront avoir confiance dans ces annonces et la banque centrale sera en mesure d’influencer les anticipations de taux longs. Les avantages et inconvénients relatifs des deux types de forward guidance expliquent que la Fed soit passée de l’un à l’autre et que la BoE ait aussi pris un engagement lié à des seuils.

La mise en place d’un forward guidance conditionnel à un seuil pour une variable macroéconomique peut néanmoins concourir à brouiller les pistes concernant la hiérarchie des objectifs de la banque centrale. Si plusieurs variables sont ciblées simultanément et que leurs évolutions divergent, quelles seront ses futures décisions ? La Fed ne hiérarchise pas ses objectifs. Qu’elle souhaite, en sortie de crise, s’assurer de la vigueur du PIB ou de la diminution du chômage plutôt que de l’inflation est dès lors tout à fait envisageable. De son côté, la BoE suit une stratégie de ciblage d’inflation. Elle a ainsi défini des conditions (« knockouts ») sur l’inflation, les anticipations d’inflation et la stabilité financière, qui dès lors qu’elles ne seraient pas respectées, entraîneraient la fin du forward guidance et donc de l’engagement à maintenir les taux inchangés. La hiérarchie des objectifs serait donc bien respectée, et la crédibilité de la BoE maintenue.

Quelle peut être l’efficacité du forward guidance? Kool et Thornton(2012) expriment de sérieux doutes quant aux résultats obtenus par l’intermédiaire du forward guidance. Ils évaluent la prédictibilité des taux courts et longs dans les pays où cette stratégie a été adoptée et montrent que le forward guidance n’améliore la capacité des agents privés à prévoir les taux courts futurs que pour des horizons de prévisions inférieurs à un an, sans amélioration de la prédictibilité des taux à plus long terme. Le graphique ci-dessous montre ainsi les anticipations de taux à 3 mois par les marchés financiers en octobre 2013 pour les prochains mois. L’évolution minimale des taux directeurs étant de 0,25%, ce graphique nous indique qu’aucune modification des taux n’est pour l’heure anticipée, hormis peut être aux Etats-Unis à l’horizon d’un an.

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La timide adoption par la BCE

En ce qui concerne la BCE, qui de son côté hiérarchise ses objectifs en donnant la priorité à l’inflation, la mise en place du forward guidance constitue un engagement conditionnel à une période de temps  (« … for an extended period of time ») en l’absence de référence à des seuils. De ce point de vue, elle est à contre-courant de la Fed et de la BoE qui ont pris des engagements conditionnels à des seuils chiffrés. Pour mémoire, avant le 4 juillet, la BCE donnait des indices quant à sa prochaine décision du mois suivant sous la forme d’expressions aisément reconnaissables par les observateurs. Ainsi, l’insertion du mot « vigilance » dans le discours du président de la BCE lors de sa conférence de presse annonçait un probable durcissement de la politique monétaire[5]. En intégrant le forward guidance à sa panoplie d’instruments, la BCE se veut moins énigmatique. En particulier, il semblerait qu’elle ait voulu répondre à des inquiétudes portant sur une éventuelle remontée des taux.

Cependant, Benoit Coeuré, membre du directoire de la BCE, a affirmé que cette stratégie ne remettait pas en cause la règle, répétée maintes fois en conférence de presse, qui veut que la BCE ne s’engage jamais sur les politiques futures (« no pre-commitment rule ») et que le forward guidance soit réévalué à chaque réunion du Conseil des Gouverneurs. Jens Weidmann, membre du conseil de politique monétaire de la BCE en tant que president de la Bundesbank, a confirmé que le forward guidance « is not an absolute advanced commitment of the interest rate path[6]» tandis que Vitor Constancio, vice-président de la BCE, a ajouté une dose supplémentaire de confusion en affirmant que le forward guidance de la BCE «  is in line with our policy framework as it does not refer to any date or period of time but is instead totally conditional on developments in inflation prospects, in the economy and in money and credit aggregates – the pillars of our monetary strategy[7]. »

L’efficacité à attendre d’une politique mal définie, qui ne semble pas faire consensus au sein du Conseil des Gouverneurs de la BCE, et dont la clé du succès – la crédibilité de l’engagement – est ouvertement remise en cause, paraît donc très faible.

Références bibliographiques

Eggertsson, G., et Woodford, M. (2003). Optimal monetary policy in a liquidity trap. NBER Working Paper (9968).

Kool, C., et Thornton, D. (2012). How Effective is Central Forward Guidance? Federal Reserve Bank of Saint Louis Working Paper Series .

Rosa, C., et Verga, G. (2007). On the Consistency and Effectiveness of Central Bank Communication: Evidence from the ECB. European Journal of Political Economy, 23, 146-175.

 

 

* Ce texte s’appuie sur l’étude “Politique monétaire: est ce le début de la fin?” à paraître prochainement dans les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie mondiale.


[1] « Le Conseil des Gouverneur anticipe que les taux directeurs demeurent à leur niveau actuel ou à des niveaux plus bas pour une période de temps prolongée ».

[2] La baisse aujourd’hui de 25 points de base du taux directeur est en accord avec la stratégie de forward guidance de la BCE.

[3] Les mesures non conventionnelles renvoient aux pratiques de politique monétaire qui ne relèvent pas de la politique traditionnelle (i.e. des modifications du taux directeur). Il s’agit de mesures entraînant une modification du contenu ou de la taille du bilan des banques centrales via des achats de titres publics ou privés. On parle alors d’assouplissement quantitatif (« Quantitative easing »).

[4] « Notre politique accommodante pourra être maintenue sur une longue période. »

[5] Rosa et Verga (2007) proposent une description de ces expressions.

[6] « Le forward guidance ne constitue pas un pré-engagement absolu quant à la trajectoire du taux d’intérêt. »

[7] « Notre communication de type forward guidance est en accord avec notre cadre opérationnel de politique monétaire puisqu’il n’est fait référence à aucune date ou période de temps précise et qu’elle est entièrement conditionnée aux évolutions des perspectives d’inflation, dans l’économie et dans les agrégats monétaires et de crédits, qui demeurent les piliers de notre stratégie monétaire ».