2013 : quel impact des mesures budgétaires (nationales) sur la croissance ?

par Mathieu Plane

Ce texte complète les prévisions pour l’économie française d’octobre 2012 de l’OFCE

Après avoir détaillé les effets multiplicateurs attendus pour les différents instruments de la politique budgétaire, le multiplicateur budgétaire interne moyen associé à la politique d’austérité menée en France en 2013 serait de 0,9. Cette politique amputerait le PIB de 1,7 % pour cette seule année.Après un effort budgétaire cumulé de 66 milliards d’euros en 2011 et 2012, les économies structurelles attendues pour 2013 représentent environ 36 milliards d’euros (1,8 point de PIB) si l’on intègre à la fois les mesures prises dans le cadre du Projet de loi de finances pour 2013 et les différentes mesures décidées précédemment (tableau). Le choc budgétaire résultant du PLF pour 2013 serait de 28 milliards d’euros, dont 20 uniquement sur les taux de prélèvements obligatoires (PO). Parmi les 8 milliards d’euros restant, près de 5 milliards de hausse de PO sont issus de la seconde Loi de finances rectificative de l’été 2012, le reste étant principalement dû à la première Loi de finances rectificative pour 2012 et à la hausse des cotisations qui résulte de la révision de la réforme des retraites de l’été 2012.

Au total, l’effort budgétaire pour 2013 se décompose entre une hausse de prélèvements obligatoires pour environ 28 milliards d’euros (1,4 point de PIB)  et une économie structurelle sur la dépense publique primaire de 8 milliards (0,4 point de PIB). La hausse de la pression fiscale et sociale représenterait près de 16 milliards pour les ménages et plus de 12 milliards pour les entreprises. Cette répartition ne tient pas compte des mesures de compétitivité annoncées le 6 novembre par le premier ministre. Les crédits d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) n’auraient pas d’effet budgétaire en 2013 à l’exception près de la possible mise en place dès 2013 d’une avance, pour certaines entreprises en mal de trésorerie, sur leur futur crédit d’impôt.

A partir des variantes de multiplicateur budgétaire, réalisées avec e-mod.fr selon la position de l’économie dans le cycle, pour les principaux prélèvements fiscaux et sociaux ainsi que les principales composantes de la dépense publique[1] et des différentes évaluations que nous avons pu mener, notamment dans le cadre de l’évaluation du programme économique du quinquennat, nous avons appliqué un multiplicateur budgétaire spécifique à chaque mesure  pour 2013 (tableau). Les multiplicateurs à court terme ne prennent en compte que les effets directs des mesures sur l’activité domestique, indépendamment des politiques budgétaires de nos partenaires commerciaux qui amplifient l’impact de la politique nationale. On suppose par ailleurs que la politique monétaire n’est pas modifiée. Les valeurs à long terme des multiplicateurs sont différentes de celles de court terme et moins élevées sauf à conserver durablement un écart de production négatif.

Sur les 16 milliards d’augmentation de PO sur les ménages en 2013, la hausse discrétionnaire de l’IRPP serait de 6,4 milliards dont 3,2 issus de la Loi de finances pour 2013 (contre 4 dans le PLF car la proposition d’imposition au barème des plus-values mobilières sera largement amendée et le rendement de la mesure pourrait baisser d’environ 0,8 milliard, le manque à gagner pouvant être compensé par le prolongement de la contribution exceptionnelle de 5 % d’IS pour les très grandes entreprises), le reste provenant de la Loi de finances rectificative pour 2012 (dont 1,7 milliard uniquement avec la désindexation du barème de l’IRPP). Si la hausse de l’IRPP liée au PLF 2013 est ciblée sur les hauts revenus, sa contribution (3,2 milliards) représente seulement 11 % de la hausse des PO (20 % si l’on se limite aux seuls ménages) en 2013 et moins de 9 % de l’effort budgétaire total.  Selon nos calculs, le multiplicateur budgétaire moyen lié aux différentes mesures de hausse de l’IRPP serait de 0,7 en 2013.

L’augmentation des PO des ménages proviendrait principalement de la hausse des prélèvements sociaux et des cotisations sociales (8,7 milliards d’euros) prévue dans le Projet loi de finances de la Sécurité sociale pour 2013 (2,9 milliards) et les mesures de la Loi de finances rectificative pour 2013 (5,3 milliards qui incluent la remise en cause de la défiscalisation des heures supplémentaires, la limitation des niches sociales, de l’épargne salariale, la hausse de la CSG sur les revenus du capital, …) et la réforme des retraites avec une hausse du taux de cotisation (0,5 milliard). Le multiplicateur budgétaire moyen lié à ces différentes mesures serait de 0,9. Enfin la réforme des droits de succession augmenterait les PO de 1,1 milliard. En revanche, les recettes de l’ISF, en 2013, seraient inférieures de 1,3 milliard par rapport à celles de 2012. En effet, la contribution exceptionnelle sur la fortune qui avait été mise en place dans le cadre de la Loi de finances rectificative pour 2012 a un  rendement supérieur à celui issu de la nouvelle réforme pour 2013. Le multiplicateur budgétaire pour ces deux mesures est de 0,3.

Au total, selon nos calculs, la hausse des prélèvements sur les ménages en 2013 aurait en moyenne un effet multiplicateur de 0,8 et amputerait la croissance de 0,6 point de PIB.

Pour les entreprises, les mesures prises passent principalement par la hausse de l’impôt sur les sociétés prévue dans le PLF 2013 (8 milliards d’euros dont 4 milliards liés à la réforme de la déductibilité des charges financières). Le multiplicateur moyen de la hausse de l’IS est estimé à 0,7 en 2013. 2,3 milliards d’euros proviennent d’une hausse des cotisations sociales et des prélèvements sociaux avec un multiplicateur budgétaire unitaire. Enfin d’autres mesures, comme les mesures sectorielles sur la fiscalité des assurances ou la contribution exceptionnelle du secteur pétrolier, viendront augmenter la pression fiscale des entreprises de 1,9 milliard en 2013 et le multiplicateur budgétaire moyen est évalué à 0,5.

Selon notre évaluation, la hausse des PO sur les entreprises aurait en moyenne un effet multiplicateur de 0,8 et réduirait le PIB de 0,5 point de PIB en 2013.

Par ailleurs, le multiplicateur budgétaire à court terme associé à la dépense publique, dans une phase de bas de cycle, est, selon notre modèle, de 1,3 ; il est donc supérieur à celui qui est associé aux prélèvements. Ce résultat est conforme aux résultats de la littérature empirique la plus récente (pour plus de détails, voir encadré « Multiplicateurs budgétaires : la taille compte ! ». La perte d’activité estimée résultant de la restriction sur la dépense publique serait de 0,5 point de PIB en 2013.

Au total, le multiplicateur budgétaire interne moyen associé à la politique d’austérité menée en France en 2013 serait de 0,9 et cette politique amputerait le PIB de 1,7 %. Ce résultat est dans la fourchette basse des derniers travaux du FMI qui estime, à partir des données récentes sur 28 pays, que les multiplicateurs réels pourraient s’échelonner de 0,9 à 1,7 depuis le début de la Grande Récession.


[1] Pour plus de détails, voir Creel, Heyer, Plane, 2011, « Petit précis de politique budgétaire par tous les temps », Revue de l’OFCE, n° 116, janvier 2011.

 




Faut-il faire payer par les ménages un choc de compétitivité ?

par Henri Sterdyniak

La France souffre d’un problème industriel. Sa balance courante est passée d’un excédent de 2,6 % du PIB en 1997 à un déficit de 1 en 2007, puis de 2 % en 2012 alors que l’Allemagne passait d’un déficit de 0,4% de son PIB en 1997 à un excédent de 5,7. La question du redressement productif de la France est posée. Faut-il organiser un transfert important des ménages aux entreprises pour un choc de compétitivité ou pour redresser le taux de marge des entreprises ? Nombreux sont ceux qui préconisent un tel choc (dont le MEDEF, mais aussi la CFDT). Il s’agirait de réduire les cotisations sociales employeurs (d’au moins 30 milliards d’euros) et d’augmenter en contrepartie les prélèvements portant sur les ménages. Cette question est analysée de façon détaillée dans la dernière Note de l’OFCE (n°24 du 30 octobre 2012).Quelle mesure ?

Il ne saurait être question de réduire des cotisations sociales des salariés car celles-ci ne financent que des prestations retraite et chômage, donc des prestations contributives qui dépendent des cotisations versées et ne peuvent être financées par l’impôt. Seules, les cotisations employeurs destinées à la famille ou à l’assurance-maladie peuvent être diminuées. Encore faut-il trouver une ressource de remplacement, la TVA ou la CSG ?

En fait, il y a guère de différence entre une hausse de la CSG et une hausse de la TVA. Dans les deux cas les ménages doivent perdre du pouvoir d’achat. Dans le cas d’une hausse de la TVA, ce serait par la hausse des prix. Toutefois l’inflation se répercute automatiquement sur le SMIC et les prestations sociales et, après négociations salariales, sur les salaires, de sorte que le gain de compétitivité/rentabilité des entreprises risque d’être temporaire, sauf si les indexations étaient suspendues. Au contraire, les victimes de la hausse de la CSG ne pourraient profiter de mécanismes automatiques d’indexation et devraient accepter la baisse de leur pouvoir d’achat. Utiliser la CSG permet une mesure plus durable.

Le grand enjeu sur le plan macroéconomique est celui de  la réaction des entreprises qui devront arbitrer entre maintenir leurs prix pour reconstituer leurs marges ou baisser leurs prix pour gagner en compétitivité.

Plaçons-nous dans un pays où le PIB vaut 100, qui exporte et importe 25. La part des salaires (y compris les cotisations sociales) et la consommation vaut 80 ; la part des profits et de l’investissement est 20. A court terme, les salaires et les retraites sont fixes. La réforme consiste à baisser de 5 le montant des cotisations employeurs (soit 5% du PIB), en augmentant d’autant la CSG. Deux scénarios peuvent être retenus selon la politique de fixation de prix des entreprises.

Dans le premier cas, les entreprises maintiennent leurs prix et augmentent leurs marges. Ex post, il n’y a aucun gain de compétitivité mais bien une hausse de la rentabilité des entreprises. Les salaires subissent une perte de 6,25 % de leur pouvoir d’achat (soit 5/80). La relance de l’investissement compensera-t-elle la baisse de la consommation ? Prenons des hypothèses standards, soit une propension à consommer les salaires de 0,8 ; à investir les profits  de 0,4 ; un multiplicateur de 1. Le PIB baisse à court terme de 2 % et l’emploi chute d’abord puis peut se rétablir à terme grâce à la substitution travail/capital. La mesure est coûteuse en pouvoir d’achat et le gain en emploi n’est pas assuré.

Dans le deuxième cas, les entreprises répercutent totalement la baisse des cotisations dans leur prix à la production, qui baissent de 5 % ; les prix à la consommation diminuent de 4 % (car les prix des produits importés restent stables). Le pouvoir d’achat des salaires ne baisse que de 1%. Les gains de compétitivité sont de 5%. Les gains en commerce extérieur compenseront-ils la baisse de la consommation ? Avec des élasticité-prix à l’exportation de 1 et à l’importation de 0,5, le PIB augmente de 1,25% . La mesure est moins douloureuse.

Faut-il le faire ?

Le gouvernement devra demander aux ménages d’accepter une baisse de leurs revenus, alors même que ceux-ci ont déjà perdu 0,5 % de pouvoir d’achat en 2012, que la consommation stagne en 2011 et 2012, que la France est en situation de récession, que la demande est déjà trop faible.

La France doit-elle s’engager dans la stratégie allemande : gagner de la compétitivité au détriment du pouvoir d’achat des ménages sachant que cette stratégie est perdante au niveau de la zone euro ? Certes, ceci remplacerait la dévaluation aujourd’hui impossible dans la zone euro, mais nuirait à nos partenaires européens (qui pourraient réagir de même à notre détriment) et ne garantirait pas de gains de compétitivité vis-à-vis des pays hors zone euro, ces derniers dépendant surtout de l’évolution du taux de change de l’euro. Une telle mesure ne remplace pas une réforme de l’organisation de la politique économique de la zone euro. Enfin, il faut du temps pour que les gains de compétitivité se traduisent en reprise de la croissance. Ainsi, de 2000 à 2005, la croissance française a été de 7,8% (1,55% par an), la croissance allemande de 2,7% (0,55% par an). La France peut-elle se permettre de perdre encore 5 points de PIB ?

La France est dans une situation intermédiaire entre les pays du Nord qui ont réalisé de forts gains de compétitivité au détriment du pouvoir d’achat et les pays du Sud qui ont connu des hausses de salaires excessives. En base 100 en 2000, le niveau du salaire réel en 2011 est à 97,9 en Allemagne, à 111,2 en France (soit une hausse de 1% par an, correspondant aux gains tendanciels de compétitivité du travail). Qui est dans l’erreur ? Faut-il que l’on demande à tour de rôle aux salariés des pays de la zone euro de gagner en compétitivité sur les salariés des pays partenaires en acceptant des baisses de salaires ?

Le taux de marge des entreprises françaises était de 29,6 % en 1973. Il a chuté à 23,1 % en 1982, puis s’est redressé à 30,2 % en 1987.  Il était de 30,8 % en 2006, soit un niveau satisfaisant. La baisse  survenue depuis (28,6 % en 2011) s’explique par la chute de l’activité et la rétention de main-d’œuvre. Elle n’a pas été causée par la hausse de la fiscalité ou des augmentations excessives des salaires. Globalement, la part des profits est revenue à un niveau historiquement satisfaisant. Mais en 1973, la FBCF était de l’ordre des profits, alors qu’elle est plus basse de 3 points de valeur ajoutée actuellement et que la part des dividendes nets versés a nettement augmenté. Quels engagements prendraient les entreprises en termes d’investissement et d’emploi en France en échange d’une mesure qui augmenterait fortement leurs profits ? Comment éviter qu’elles n’augmentent leurs dividendes ou leurs investissements à l’étranger ?

Recourir ainsi à la dévaluation interne suppose que la France souffre essentiellement d’un déficit de compétitivité-prix. Or, la désindustrialisation a, sans doute, d’autres causes plus profondes. Les entreprises préfèrent se développer dans les pays émergents ; les jeunes refusent les carrières industrielles mal rémunérées, dont l’avenir n’est pas assuré ; la France ne réussit ni à protéger ses industries traditionnelles, ni à se développer dans les secteurs innovants ; le secteur financier a préféré les joies de la spéculation au financement de la production et de l’innovation, etc. Ceci ne serait pas résolu par une dévaluation interne.

La France a besoin d’un sursaut industriel, Il faut mettre en œuvre une autre stratégie : c’est la croissance qui doit reconstituer les marges des entreprises ; c’est la politique industrielle (via la Banque publique d’investissement, le Crédit impôt-recherche, les pôles de compétitivité, le soutien aux entreprises innovantes comme à certains secteurs menacés et la planification industrielle) qui doit assurer le redressement productif. Celui-ci doit être financé par la BPI dont les capacités d’action doivent être suffisantes et les critères d’intervention précisés.

 

 




Les privilèges fiscaux des retraités ?

par Henri Sterdyniak

Selon le rapport de la Cour des Comptes publié vendredi 14 septembre, les retraités bénéficient d’avantages fiscaux de l’ordre de 12 milliards d’euros, dont la mise en cause permettrait de réduire le déficit de la Sécurité sociale. Dans la Revue de l’OFCE d’octobre 2010,  nous avions déjà montré que les avantages fiscaux dont bénéficient les retraités (12,5 milliards d’euros, soit 1 375 euros par ménage) sont équivalents, ramenés à la population concernée, aux avantages dont bénéficient les actifs  (25,7 milliards, soit 1 600 euros par ménage).

L’État pourrait certes gagner 1,8 milliard d’euros en faisant passer le taux de CSG sur les retraites à 7,5 % et en imposant les avantages familiaux des retraités. Mais, l’équité imposerait de réindexer en même temps les retraites sur les salaires (ce qui coûterait 10,4 milliards d’euros). De même, le remise en cause de l’abattement pour frais professionnels des retraités (gain : 2,7 milliards) devrait s’accompagner d’une baisse de 10 à 3% de l’abattement des salariés (gain : 6,9 milliards) et d’un meilleur contrôle des frais professionnels des non-salariés.




Du social mais pas de sortie de crise

Evaluation du projet économique du quinquennat 2012-2017

par Eric Heyer, Mathieu Plane, Xavier Timbeau

Les premières décisions du quinquennat s’inscrivent dans un contexte fortement dégradé et très incertain. Dans une récente Note de l’OFCE (n°23 du 26 juillet 2012) nous analysons, dans une première partie,  le contexte macroéconomique dans lequel s’inscrit le projet du quinquennat de François Hollande et de la XIVe législature. Cette analyse détaille les conséquences probables pour les cinq années de la stratégie actuelle conduite en Europe. Nous évaluons à la fois le coût pour les finances publiques mais aussi l’impact sur l’activité économique, l’emploi ou sur la distribution des revenus. Dans une deuxième partie, nous analysons le choix de politiques publiques considérées comme prioritaires par le nouveau gouvernement, qu’elles soient à destination des jeunes (contrats de génération, emplois d’avenir), de certains seniors (refonte de la réforme des retraites), des classes moyennes et populaires (allocation de rentrée scolaire, coup de pouce au SMIC, livret A, encadrement des loyers, refiscalisation des heures supplémentaires), ou qu’elles visent à relancer certaines dépenses publiques jugées indispensables (emplois publics dans l’éducation, la justice et la police dans la section « finances publiques », service public de la petite enfance).

François Hollande a été élu Président de la République Française à un moment où la France et l’Europe traversent une crise sans précédent. Le chômage a augmenté de plus de 2 points depuis le début de la crise en France métropolitaine et approche aujourd’hui (9,6 % de la population active, au sens du BIT au premier trimestre 2012) les niveaux record de 1997 (10,5 %). Le produit intérieur brut par habitant a baissé depuis 2008 en pouvoir d’achat de 3 %. Si la tendance de croissance des cinq années précédant la crise s’était prolongée au même rythme de 2008 jusqu’au début 2012, le PIB par habitant serait aujourd’hui supérieur de 8 % à ce qu’il est. La balance des transactions courantes s’est dégradée dans la crise d’un point et demi de PIB (25,7 milliards d’euro dont 10 milliards au titre de la facture pétrolière) dégradant la position nette extérieure de la France de 7,8 points de PIB. La dette publique a augmenté de 577 milliards (soit près de 30 points de PIB) et atteint au début de l’année 2012 presque 90 % du PIB. L’industrie a payé un lourd tribu à la crise (presque 300 000 emplois perdus) et tout se passe comme si les destructions d’emploi et les fermetures de sites industriels étaient irréversibles.

Pourtant, ce bilan très sombre, à mettre au compte de la crise amorcée en 2008, n’est pas stoppé. La crise des dettes souveraines menace la zone euro d’une récession prolongée en 2012 et en 2013, sous le coup des politiques d’austérité menées dans la panique de voir les financements des dettes publiques se tarir. Et un scénario pire encore, celui de la désagrégation de la zone euro se profile, qui transformerait ces menaces de récession en risque de dépression majeure.

Ces évaluations sont de nature différente suivant les éléments qui sont disponibles. Certains dispositifs ont été mis en œuvre par décret, d’autre sont en cours de discussion par les assemblées, mais les projets de loi permettent une analyse quantifiée. D’autres sont à l’état de projet ; les principaux arbitrages n’ont pas été rendus, et notre évaluation tente d’en explorer les points principaux.

Notre appréciation de la stratégie économique pour le quinquennat ne s’arrête pas là pour autant. Il amorce aujourd’hui les prémisses de la stratégie de sortie de crise. Les engagements de réduction de déficit et les premières mesures prises dans ce sens dans le collectif budgétaire de juillet 2012, comme celle annoncées dans le débat d’orientation budgétaire de juin 2012, indiquent une stratégie dont la première étape est d’aboutir à la réduction, quoiqu’il en coûte, du déficit public à 3 % du PIB à la fin de l’année 2013. Par sa vertu budgétaire, c’est donc une stratégie de sortie de la crise, censée assainir la situation des comptes publics et ainsi rassurer les marchés financiers comme les autres agents économiques, et mettre en place les conditions d’une reprise future vigoureuse. Cette stratégie s’appuie sur une réduction des dépenses publiques et une hausse de la fiscalité (voir la partie « finances publiques », projets fiscaux du gouvernement et taxation des groupes pétroliers).

Cette stratégie de sortie de crise est pour le moins risquée car elle ne prend pas toute la mesure de la crise qui menace l’Europe aujourd’hui. Elle pourrait se justifier si nous étions d’ores et déjà sur une trajectoire de sortie de crise et s’il s’agissait d’en aménager les priorités. Mais l’Europe reste dans une situation de très forte incertitude, vivant dans l’attente d’un défaut massif de tel ou tel Etat membre de la zone euro, craignant la faillite de telle ou telle institution financière, subissant les conséquences d’une spirale d’austérité alimentée par la hausse des taux souverains. Or dans une telle situation, tout concourt à renforcer le piège de la trappe à liquidité et conduit à des multiplicateurs budgétaires élevés. Dès lors, la réduction ex ante du déficit par la hausse des impôts ou la réduction des dépenses pèse lourdement sur l’activité, ce qui limite, voire annule, la réduction effective des déficits. La dynamique d’augmentation de la dette publique ne peut être inversée et la réduction de l’activité accroît le risque de la socialisation de dettes privées insoutenables. La hausse des taux souverains est alimentée par l’incapacité à tenir les objectifs de déficits et par la hausse de la dette publique et contribue à accroître les déficits publics, obligeant à une austérité plus forte encore.

Une réponse à cette dynamique qui est en train de provoquer la désagrégation de l’euro serait sous une forme ou une autre la mutualisation des dettes publiques en Europe. Cette mutualisation impliquerait un contrôle plus ou moins complet des budgets publics des pays membres par une instance fédérale à la légitimité démocratique forte. Cette réponse serait donc celle de plus d’Europe et permettrait alors de définir une austérité « bien tempérée », pour la France comme pour ses principaux partenaires commerciaux, qui ferait de la sortie du chômage de masse involontaire et de la trappe à liquidité les préalables à un ajustement des finances publiques. Cette réponse permettrait de maintenir la soutenabilité des finances publiques sans impliquer les décennies perdues qui sont en train de se préparer.

Dans une première partie, nous analysons le contexte macroéconomique dans lequel s’inscrit le projet du quinquennat de François Hollande et de la XIVe législature. Cette analyse détaille les conséquences probables pour les cinq années de la stratégie actuelle conduite en Europe. La valeur du multiplicateur budgétaire en est un paramètre critique et nous montrons que la stratégie actuelle ne vaut que si les multiplicateurs sont faibles (i. e. de l’ordre de 0,5). Or un faisceau d’éléments empiriques nous indique que dans la situation exceptionnelle où nous nous trouvons les multiplicateurs budgétaires et fiscaux peuvent être supérieurs à 0,5 (entre 1 et 1,5, voir infra). Nous détaillons dans une deuxième partie les mesures prises dans la Loi de finances rectificative de juillet 2012 (pour l’année 2012), les éléments exposés dans le débat d’orientation budgétaire en préparation de la Loi de finance pour l’année 2013 et pour la période 2012-2017. Pour arriver à réduire le déficit public à 3 %, il apparaît qu’il faudrait une recette fiscale ou une économie de dépense supplémentaire de plus de 10 milliards d’euros, ex ante.

Nous présentons ensuite l’évaluation de onze mesures. Guillaume Allègre, Marion Cochard et Mathieu Plane ont ainsi estimé que la mise en œuvre du contrat de génération pourrait créer entre 50 000 et 100 000 emplois au prix d’un fort effet d’aubaine. Eric Heyer et Mathieu Plane rappellent qu’à court terme, les contrats aidés du type « emplois avenir » peuvent contribuer à faire baisser le chômage. Eric Heyer montre que la re-fiscalisation des heures supplémentaires permet de réduire le déficit public de 4 milliards d’euros sans pour autant dégrader le marché du travail. Guillaume Allègre discute des conséquences de la hausse de l’Allocation de rentrée scolaire et montre qu’elle profite essentiellement aux cinq premiers déciles de niveau de vie. Henri Sterdyniak analyse les possibilités de réforme fiscale. Il ne s’agit pas d’une évaluation des projets du gouvernement en matière de réforme fiscale mais d’un panorama complet sur les marges d’évolution et les incohérences du système actuel. Henri Sterdyniak et Gérard Cornilleau évaluent l’élargissement des possibilités de départ à la retraite à 60 ans et analysent les voies d’une possible réforme de plus grande ampleur du système de retraite. Hélène Périvier évalue ce que pourrait être un service public de la petite enfance dont le coût à terme de presque 5 milliards d’euros pourrait être couvert en partie par un surcroît d’activité générant plus de 4 milliards d’euros. Eric Heyer et Mathieu Plane analysent les conséquences du coup de pouce au SMIC et concluent que compte tenu de la faible diffusion des hausses de SMIC au reste de la distribution des salaires, l’impact sur le coût du travail est limité par de plus fortes réduction des charges sur les bas salaires. Si l’effet sur l’emploi est faible, sur les finances publiques il provoquerait une dégradation de 240 millions d’euros. Sabine Le Bayon, Pierre Madec et Christine Rifflart évaluent l’encadrement de l’évolution des loyers. Hervé Péléraux discute la question de la rémunération du livret A et du doublement de son plafond. Céline Antonin et Evens Salies évaluent la nouvelle taxation des groupes pétroliers qui pourrait apporter 550 millions d’euros de recettes fiscales en 2012 avec le risque que cette taxe soit in fine payée par le consommateur final.




Obama 2012 : “Yes, we care!”

par Frédéric Gannon (Université du Havre) et Vincent Touzé

Le jeudi 28 juin 2012, la Cour suprême des Etats-Unis (US Supreme Court) a rendu son verdict. Le principe d’obligation individuelle d’adhésion à une assurance santé sous peine de pénalité financière, volet central de la réforme[1] du système d’assurance santé de 2010 (Affordable Care Act[2]), a été jugé constitutionnel. Cette réforme a été adoptée dans un contexte politique difficile. Elle comprend de multiples mesures qui visent à réduire considérablement le nombre d’Américains sans couverture santé. Elle augmentera les dépenses fédérales, mais de nouvelles recettes et des réductions de dépenses permettront de réduire le déficit public.

De septembre 2009 à mars 2010, la rédaction puis le vote de la loi a été un long processus dont l’issue politique était incertaine en raison d’une majorité insuffisante au Sénat[3]. La loi, votée par la Chambre des Représentants et signée le 23 mars 2010 par le Président Obama, étant différente de celle votée au Sénat, des amendements furent introduits dans une loi de réconciliation budgétaire votée le 30 mars. Des opposants à cette réforme (26 Etats, de nombreux citoyens ainsi que la National Federation of Independent Business) ont alors décidé de porter le combat devant la Cour suprême des Etats-Unis. Leurs espoirs reposaient principalement sur de possibles inconstitutionnalités de la loi liées à l’obligation d’adhésion à une assurance santé ainsi qu’à l’extension du programme d’assurance publique Medicaid.

Le jugement favorable de la Cour suprême a été obtenu avec une courte majorité : 5 juges ont voté pour[4] et 4 contre[5]. La sensibilité politique des juges ne semble pas avoir joué contre la loi puisque le juge en chef, John G. Roberts, nommé par George W. Bush, a donné son approbation. La majorité de la Cour suprême considère la pénalité financière en cas de non adhésion comme une taxe[6] et qu’elle n’a pas à se prononcer sur le bien-fondé de cette taxe. Elle renvoie cette responsabilité au parlement (chambre haute et basse) qui, en l’occurrence, a déjà débattu et adopté la loi. Par voie de conséquence, ce point de la loi est valide.

Selon la Cour suprême, la pénalisation financière de la non-adhésion à une assurance santé peut être perçue comme une obligation individuelle d’achat[7], et la loi sur le commerce (Commerce Clause) « ne donne pas ce pouvoir au Congrès ». Mais, d’un point de vue fonctionnel, cette pénalité peut être assimilée à une taxe. Dans ce cas, le Congrès a toute latitude pour « établir et collecter l’impôt » (Taxing Clause). D’où le verdict favorable de la Cour suprême. En revanche, elle juge que « l’extension de Medicaid viole la Constitution », car la « menace de perte de plus de 10 pourcent du budget global d’un État est une dragonnade économique qui laisse les États sans autre choix que de consentir à l’extension de Medicaid ».

La décision de la Cour suprême est une victoire majeure pour le Président Barack Obama, pour qui cette réforme en faveur d’un accès plus égalitaire au système d’assurance santé a été un des fers de lance de sa campagne électorale de 2008. Auparavant, son prédécesseur démocrate à la Maison Blanche, Bill Clinton, avait dû renoncer à une réforme similaire en raison d’une opposition farouche des Républicains et une division grandissante au sein des Démocrates. Afin de se donner toutes les chances de succès, Barack Obama aurait été plus stratégique tant sur la programmation de la réforme que sur la forme de sa présentation[8]. Pour y arriver, il a aussi constitué une équipe composée de spécialistes chevronnés[9].

Cette loi est une véritable révolution culturelle dans un pays où le système d’assurance santé exclut près de 50 millions d’individus. Outre l’obligation individuelle d’adhésion pour les Américains, les principales mesures prévues sont :

  • la création de « marchés » de contrats d’assurance où chacun peut acheter une couverture santé avec une subvention publique qui dépend du niveau de revenu ;
  • une extension du programme public d’assurance santé Medicaid[10] (couverture publique pour tous les ménages dont le revenu est inférieur à 133 % d’un plafond fédéral de pauvreté) et pénalisation financière des Etats qui ne mettent pas en œuvre cette extension (suppression de l’intégralité des financements fédéraux sur le programme Medicaid) ;
  • une obligation pour les employeurs d’offrir une assurance santé à leurs salariés (application de pénalité financière si l’obligation n’est pas respectée avec des exceptions pour les petites entreprises) ;
  • des nouvelles réglementations sur le marché de l’assurance privée (obligation de couverture de tous les individus sans critère sur l’état de santé).

A partir de 2014, des millions de ménages américains non assurés doivent bénéficier de l’extension de Medicaid, que la Cour suprême a jugé inconstitutionnelle, ce qui soulève donc de nombreuses interrogations[11]. Combien d’Etats seront-ils tentés de ne pas étendre Medicaid ? Quelles seront les conséquences pour les ménages pauvres[12] qui devaient bénéficier de cette extension ? Auront-ils les moyens de s’offrir des assurances privées subventionnées[13] ? Seront-ils sanctionnés financièrement s’ils ne s’assurent pas ? Seront-ils encouragés à migrer vers des Etats ayant adopté l’extension[14] ? Il est raisonnable d’espérer que peu d’Etats[15] boycotteront l’extension de Medicaid car les autres mesures incitatives prévues par la loi restent fortes (prise en charge fédérale à 100% du surcoût de 2014 à 2016, puis 95% après 2017 puis 90% après 2020 ; perte de certains financements fédéraux en l’absence d’extension). Toutefois des aménagements de la loi seront vraisemblablement utiles si les gouvernants veulent éviter l’exclusion de personnes trop pauvres pour s’offrir une assurance privée subventionnée.

La mise en place de la loi sera progressive et les différentes mesures doivent s’appliquer à partir de 2014. D’après le dernier rapport du Congressional Budget Office (2012), les dépenses publiques annuelles (extension de Medicaid et subventions d’assurance privée) devraient augmenter d’environ 265 milliards de dollars par an[16] à l’horizon 2022 (le coût total estimé entre 2012 et 2022 est de 1 762 milliards de dollars) et le nombre de non assurés pourrait diminuer d’environ 33 millions[17]. La réforme prévoit également une hausse des recettes fiscales (hausse des prélèvements obligatoires et nouvelles taxes) ainsi qu’une baisse des dépenses fédérales (principalement des substitutions entre le programme Medicaid étendu et l’ancien programme), ce qui a pour effet de compenser amplement le coût de la réforme. Dans un précédent rapport de mars 2011, le CBO estime à 210 milliards de dollars la baisse du déficit cumulé sur la période 2012-2021. Au nom de la sacrosainte liberté, l’opposition à l’obligation individuelle d’adhésion reste encore vigoureuse[18], mais avec le temps, on peut espérer que ce principe d’obligation soit, avant tout, perçu comme un droit fondamental qui protège chaque citoyen.


[1] Pour une présentation du système d’assurance santé et de la réforme, voir Christine Rifflart et   Vincent Touzé, « La réforme du système d’assurance santé américain »,   Lettre de l’OFCE,  n°321, 21 juin 2010. Voir également la fiche de Wikipedia sur le sujet.

[2] Cette législation réunit les deux lois Patient Protection and Affordable Care Act et Health Care and Education Reconciliation Act (loi de réconciliation budgétaire).

[3] ”Health Care Reform: Recent Developments”, The New-York Times, June 29, 2012.

[4] Stephen Breyer, Elena Kagan, Ruth Bader Ginsburg, Sonia Sotomayor ainsi que le juge en chef John G. Roberts.

[5] Clarence Thomas, Anthony Kennedy, Antonin Scalia et Samuel Alito.

[6] Floyd Norris, “Justices Allow the Term ‘Tax’ to Embrace ‘Penalty’”, The New-York Times, June 28, 2012.

[7] La position juridique de l’administration Obama a consisté à soutenir que la portion de l’obligation de souscription d’assurance assimilable à une taxe est la pénalité acquittée par ceux qui ne respectent pas cette obligation. Cette pénalité fonctionne comme une régulation : elle est conçue dans une logique d’incitation et non dans une optique de recette fiscale nouvelle. Le juge Jeffrey Sutton a expliqué que si le gouvernement avait clairement spécifié que l’obligation de souscription était une taxe, elle aurait été plus facile à justifier sur le plan de sa constitutionnalité. La plupart des abattements fiscaux ou rabais d’impôts sont des incitations positives (prime à l’acquisition de véhicules moins polluants par exemple). L’obligation d’assurance sur la santé joue au contraire comme une incitation négative en infligeant une pénalité/amende aux agents décidant de ne pas souscrire d’assurance. Mis face à cette alternative, ils choisissent en toute rationalité – selon l’optique pigouvienne – l’option qu’ils jugent la plus profitable ou la moins coûteuse.

[8] Ezra Klein, “Barack Obama, Bill Clinton and Health-Care Reform”, The Washington Post, July 26, 2009.

[9] Robert Pear, “Obama Health Team Turns to Carrying Out Law”, The New-York Times, April 18, 2010.

[10] Medicaid est un programme public d’assurance santé pour les ménages les plus pauvres (près de 35 millions de bénéficiaires). Les conditions pour en bénéficier sont nombreuses (revenu, âge, degré d’invalidité, état de santé, etc.), ce qui conduit à écarter une part non négligeable de la population la plus pauvre. Ainsi, plus de 20 millions de personnes vivant en dessous du seuil fédéral de pauvreté n’ont pas accès à Medicaid. En revanche, l’autre programme public d’assurance santé réservé aux personnes âgées de 65 ans et plus, Medicare, couvre largement ce groupe d’âge.

[11] Urban Institute-Health Policy Center, “Supreme Court Decision on the Affordable Care Act: What it Means for Medicaid”, Policy Briefs, June 28, 2012.

[12] Genevieve M. Kenney, Lisa Dubay, Stephen Zuckerman et Michael Huntress, “Making the Medicaid Expansion an ACA Option: How Many Low-Income Americans Could Remain Uninsured?”, Policy Briefs, Urban Institute – Health Policy Center, June 29, 2012.

[13] En l’absence d’extension de Medicaid, leur dépense d’assurance santé serait plafonnée à 2% de leur revenu.

[14] Ce concept de vote avec les pieds a été mis en avant dans l’article de Charles M. Tiebout (1956) : “A Pure Theory of Local Expenditures”, The Journal of Political Economy, 1956, vol. 64/5, pp. 416-424.

[15] Brett Norman, ”Lew: ‘Vast majority’ of states will expand Medicaid”, Politico, 1st July 2012.

[16] En 2022, 136 milliards de dollars financeraient l’assurance santé publique de 17 millions de pauvres (extension de Medicaid) et 127 milliards de dollars subventionneraient l’achat d’assurances privées de 18 millions de personnes.

[17] En 2022, les 27 millions de non-assurés restants seraient composés de migrants illégaux (non-éligibles aux programmes publics et aux assurances privées), d’éligibles à Medicaid qui ne souhaitent pas s’assurer ainsi que des personnes non éligibles à Medicaid qui ne souhaitent également pas s’assurer.

[18] Susan Stamper Brown, “Time To Clean Up The Obamacare Mess”, The Western Center for Journalims, June 26, 2012.




Vers une hausse de la CSG ?

L’ouvrage que l’OFCE a consacré récemment à la Réforme fiscale, sous la direction de Guillaume Allègre et Mathieu Plane, offre des pistes de réflexion à toutes celles et tous ceux que la possible hausse de la CSG en France intéresse. Outre cet ouvrage, un post d’Henri Sterdyniak et Vincent Touzé répondait fin 2011 à la question suivante : peut-on réformer le financement de la protection sociale pour renforcer la compétitivité des entreprises, sans nuire au pouvoir d’achat des ménages et des retraités ?




Un coup de pouce au SMIC ou au RSA ?

par Guillaume Allègre

Le gouvernement s’est engagé à un coup de pouce exceptionnel et « raisonné » pour le SMIC puis à une indexation fonction de la croissance et non plus seulement du pouvoir d’achat des ouvriers. Dans Les Echos, Martin Hirsch plaide lui pour un coup de pouce au RSA plutôt qu’au SMIC. Il convient de ne pas opposer travailleurs pauvres, auxquels le RSA s’adresse, et bas salaires : les politiques de redistribution doivent s’attaquer aux inégalités tout au long de l’échelle des revenus et pas seulement à la pauvreté.

En termes de réduction des inégalités, il existe plusieurs stratégies ; une première stratégie vise à réduire les inégalités individuelles de salaires ; une autre vise à réduire les inégalités de niveau de vie entre ménages, niveau auquel les individus sont supposés solidaires. Ces deux stratégies ont, chacune, leur légitimité. Le RSA activité et le SMIC ne sont ainsi pas substituables (voir aussi « le SMIC ou le RSA ? »). Contrairement au RSA, la lutte contre la pauvreté n’est pas l’objectif  du SMIC. Le SMIC a pour objectif « d’assurer aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles une participation au développement économique de la nation ». Un SMIC élevé a pour effet de réduire les inégalités dans toute la partie basse de l’échelle des salaires, les hausses du salaire minimum se diffusant jusqu’à deux SMIC. Depuis le développement du chômage, des emplois précaires et à temps partiels, les salariés au SMIC à temps plein ne sont certes pas les plus pauvres, mais ils sont loin d’être aisés. Le SMIC réduit l’écart de revenus entre la classe populaire et la classe moyenne, ce qui est un objectif en soi (même si ceci peut-être mal perçu par une partie de la classe moyenne : par construction, la réduction des inégalités ne contente pas tout le monde). Surtout, il n’est pas équivalent de recevoir un salaire élevé ou de recevoir un salaire faible complété par une prestation sociale ciblée. Les prestations n’ouvrent pas de droits à la retraite ou au chômage. En termes de dignité, le niveau du SMIC représente la valeur qu’une société donne au travail. Les prestations sociales ciblées sur les plus pauvres mettent les individus concernés dans une position d’assistés, ce qui a des conséquences en termes de représentations (individuelles et collectives). Le travail étant effectué par des individus, il n’est pas illégitime de vouloir réduire les inégalités entre salariés et pas seulement entre ménages de salariés.

La proposition de coup de pouce au RSA est ambigüe car le terme RSA désigne à la fois un minimum social qui bénéficie à des chômeurs et inactifs (RSA ‘socle’, anciennement RMI et API) et un complément de revenus pour travailleurs pauvres (RSA ‘activité’). Si la proposition de coup de pouce ne concerne que le RSA activité, elle est incohérente avec l’objectif de cibler les foyers les plus défavorisés. Si, au contraire, elle concerne l’ensemble du RSA, ce qui serait légitime, il convient alors d’être plus explicite et d’assumer qu’elle bénéficiera principalement à des chômeurs et inactifs[1]. En mars 2012, il y avait en effet 1,59 million de bénéficiaires du RSA socle seul, et 689 000 du RSA activité (France entière) : seul un tiers des allocataires du RSA bénéficie de la partie activité.

La mise en place du RSA activité s’est soldée, jusqu’à présent, par deux échecs (« Les échecs du RSA ») : selon le rapport final du Comité national d’évaluation, les effets sur l’emploi ne sont pas discernables et la réduction de la pauvreté est fortement limitée à cause d’un important non-recours à la partie complément de revenus. Passons rapidement sur le premier point puisque les effets incitatifs du RSA ne sont plus mis en avant. Le problème principal d’un coup de pouce au RSA activité est bien le non-recours : dans le rapport, il est estimé, pour la partie RSA activité seul à 68% en décembre 2010[2]. Et ce n’est pas qu’une question de montée en charge : entre décembre 2010 et mars 2012, le nombre de bénéficiaires du RSA activité seul a très peu augmenté, passant de 446 000 à 447 000 en France métropolitaine. Lier l’éligibilité au RSA activité à la fois aux revenus d’activité et aux charges familiales et mêler dans un même instrument des bénéficiaires d’un minimum social et des travailleurs pauvres, parfois très bien intégrés au marché du travail, pose problème à la fois en termes de mauvaise évaluation de l’éligibilité à la prestation et de stigmatisation. Deux causes de non-recours au RSA activité sont ainsi soulignées: la connaissance insuffisante du dispositif d’une part et le non-recours volontaire d’autre part : 42% des non-recourants qui n’excluent pas d’être éligibles, déclarent qu’ils n’ont pas déposé de demande parce qu’ils « se débrouillent autrement financièrement », 30% n’ont pas déposé de demande parce que ils n’ont « pas envie de dépendre de l’aide sociale, de devoir quelque chose à l’Etat » (p.61). Une meilleure information ne serait donc pas suffisante pour régler le problème du non-recours. Au contraire, l’augmentation du SMIC a le grand avantage de bénéficier automatiquement aux personnes concernées sans crainte de stigmatisation puisqu’il s’agit de revenus du travail.

Contrairement au RSA, l’augmentation du SMIC brut augmente le coût du travail. Toutefois, il existe plusieurs stratégies permettant d’augmenter le SMIC net sans effet sur le coût du travail : l’augmentation peut être compensée par une baisse des cotisations sociales employeurs. On peut aussi alléger les cotisations sociales salariales sur les bas salaires. Mais, cette proposition risque d’être censurée par le Conseil constitutionnel, qui en 2000 avait retoqué l’exonération de CSG sur les bas salaires au motif que la progressivité de la CSG ne se serait alors pas appuyée sur la faculté contributive des ménages[3]. Enfin, une réforme de plus grande ampleur visant à fusionner la CSG et l’impôt sur le revenu permettrait de réduire l’imposition sur les bas salaires et d’augmenter ainsi le Smic net. L’intégration de la Prime pour l’emploi permettrait aussi de faire apparaître directement les sommes concernées sur la feuille de paie.

La lutte contre les inégalités ne doit évidemment pas s’arrêter aux inégalités de salaires entre salariés à temps-plein. Il convient de s’attaquer au temps partiel subi, en donnant des droits de passage au temps-plein aux salarié-e-s et/ou en rendant le temps partiel plus coûteux par une réduction du taux d’allégement général de cotisations patronales.

Fondamentalement, il n’y a pas de raison de vouloir faire fluctuer le niveau du RSA socle par rapport au SMIC. Or, du fait de l’indexation du RSA socle  sur les prix, son niveau a beaucoup baissé relativement au SMIC depuis le début des années 1990 (voir Périvier, 2007). Il serait donc légitime de revaloriser significativement le RSA socle (quitte à réduire le taux de cumul du RSA activité) et de l’indexer sur le niveau du SMIC. Ceci résoudrait définitivement la question du coup de pouce au SMIC ou au RSA.


[1] On voit ici que la ‘simplification’, qui a consisté à fusionner deux instruments en un seul, ne facilite pas le débat public

[2] Ce non-recours est partiellement expliqué par le fait que pour une partie des personnes éligibles (environ un tiers), les gains potentiels sont très faibles voire nuls du fait de la déduction des sommes versées au titre du RSA activité de la Prime pour l’emploi due. Mais le non-recours reste élevé même en prenant comme référence les gagnants potentiels (et non toutes les personnes éligibles).

[3] Décision n° 2000−437 DC du 19 décembre 2000 : « Considérant que, s’il est loisible au législateur de modifier l’assiette de la contribution sociale généralisée afin d’alléger la charge pesant sur les contribuables les plus modestes, c’est à la condition de ne pas provoquer de rupture caractérisée de l’égalité entre ces contribuables ; que la disposition contestée ne tient compte ni des revenus du contribuable autres que ceux tirés d’une activité, ni des revenus des autres membres du foyer, ni des personnes à charge au sein de celui-ci ; que le choix ainsi effectué par le législateur de ne pas prendre en considération l’ensemble des facultés contributives crée, entre les contribuables concernés, une disparité manifeste contraire à l’article 13 de la Déclaration de 1789  »




Vers une grande réforme fiscale ?

Sous la direction de Guillaume Allègre et Mathieu Plane

Plus que jamais la fiscalité est au centre de la campagne électorale et du débat public. La crise économique et financière, couplée à l’objectif de réduction rapide des déficits, bousculent nécessairement les discours électoraux et nous obligent à nous confronter à la complexité des mécanismes fiscaux. Comment les impôts interagissent-ils entre eux ? Avec quels effets ? Selon quelles mesures ? Quel consentement et quelles contraintes pour la fiscalité ? Comment répartir la charge fiscale entre les acteurs économiques ? Comment financer notre protection sociale ? Doit-on défendre une  « révolution fiscale » ou des réformes incrémentales ?. « Réforme fiscale », le nouvel ouvrage de la série Débats et politiques de la Revue de l’OFCE, publié sous la direction de Guillaume Allègre et Mathieu Plane, entend éclairer et approfondir le débat sur la fiscalité.

La première partie de l’ouvrage traite des contraintes et des principes de la fiscalité. Dans un article introductif, Jacques Le Cacheux définit du point de vue de la théorie économique, les grands principes qui devraient inspirer une nécessaire réforme fiscale. Nicolas Delalande, dans une analyse historique, souligne le rôle des ressources politiques, des contraintes institutionnelles et des compromis sociaux dans l’élaboration des politiques fiscales. Dans un cadrage budgétaire, Mathieu Plane revient sur les évolutions passées de la fiscalité et analyse la contrainte qui pèse aujourd’hui sur les finances publiques. Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux proposent la mise en place d’une taxe sur le carbone ajouté qui permettrait d’apporter une réponse fiscale face aux émissions de carbone importées.

Dans une deuxième partie, la question du partage de la charge fiscale entre ménages est posée. Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez répondent à l’article critique d’Henri Sterdyniak concernant la « révolution fiscale » qu’ils préconisent. Clément Schaff et Mahdi Ben Jelloul proposent une réforme globale de la politique familiale. Guillaume Allègre tente d’éclairer le débat sur le quotient familial. Enfin, Guillaume Allègre, Mathieu Plane et Xavier Timbeau proposent de réformer la fiscalité pesant sur le patrimoine.

La troisième partie concerne la question du financement de la protection sociale. Dans une vaste revue de littérature, Mireille Elbaum revient sur l’évolution du financement de la protection sociale depuis le début des années 1980 et examine les alternatives en débat et leurs limites. Eric Heyer, Mathieu Plane et Xavier Timbeau analysent plus spécifiquement l’impact de la mise en place de la « quasi-TVA sociale » votée par le Parlement. Frédéric Gannon et Vincent Touzé présentent une estimation du taux de prélèvement marginal implicite du système de retraite français.

 




Quelles suites prochaines à la réforme des retraites ?

par Mireille Elbaum

 

La réforme des retraites de 2010 a constitué une rupture par rapport aux orientations antérieures, l’emportant sur certaines considérations d’équité. Le choix de reculer de 60 à 62 ans l’âge d’ouverture des droits et de 65 à 67 ans celui de l’annulation de la décote a en effet été préféré au seul maniement des incitations financières, privilégié depuis la réforme de 2003  via l’accroissement de la durée d’assurance et l’augmentation de la surcote. Cette réforme, ciblée sur l’équilibre des comptes à l’horizon 2018, est toutefois présentée comme provisoire, une réflexion étant prévue  dès 2013 sur une réforme « systémique », pouvant déboucher sur un régime universel par points ou en « comptes notionnels ».
Âge de la retraite, pénibilité, système par points ou en comptes notionnels sont donc des sujets majeurs sur l’agenda social, mais les modalités d’éventuelles  réformes peuvent avoir une portée et des incidences très différentes.

Nous tentons de les éclairer dans une note de l’OFCE, tout en soulignant l’importance de sujets qui, comme les aléas de carrière, la situation des poly-pensionnés, les avantages familiaux ou les minima de pensions, nécessiteraient, réforme systémique ou non, d’être rapidement rediscutés.

La réouverture de possibilités de départ à partir de 60 ans pour les personnes qui auraient les durées de cotisation requises pour le taux plein pourrait emprunter deux voies.

– Un retour  à l’âge minimum de liquidation antérieur à la réforme de 2010 redéplacerait l’ensemble des bornes d’âge associées : déclenchement de la décote et de la surcote, possibilité de cumul emploi-retraite, retraite pour inaptitude. La principale interrogation porte sur le sort réservé à l’âge d’annulation de la décote, aujourd’hui progressivement porté de 65 à 67 ans : il affecte les assurés dont les carrières sont courtes et marquées par des interruptions d’activité, avec des effets problématiques en cas, par exemple, de longues périodes de chômage non indemnisé. A contrario, le maintien de limites d’âge décalées à 67 ans dans la fonction publique apparaît souhaitable pour laisser s’exercer librement les choix de prolongation d’activité, quitte à prévoir un plafonnement de la surcote.

– La seconde voie consisterait à revoir et élargir massivement le régime de la retraite anticipée, en ouvrant une possibilité de départ à 60 ans aux assurés ayant commencé à travailler avant 20 ans et ayant le nombre de trimestres requis pour le taux plein, avec la question de l’application de cette mesure aux seules périodes de travail cotisées ou à l’ensemble des durées validées, y compris au titre des mécanismes de solidarité. Cette option modifierait complètement l’actuel dispositif en faveur des carrières longues, qui devrait être entièrement revu, mais ne rendrait en revanche pas possible les départs à 60 ans avec décote, et ne changerait pas les autres paramètres du système (y compris les 67 ans). Des problèmes de cohérence avec  l’âge d’accès au minimum vieillesse (demeuré à 65 ans) ou l’âge limite de maintien des prestations de chômage resteraient d’ailleurs posés.

Une inconnue importante porte enfin sur la répercussion  de ces décisions sur les régimes complémentaires de l’AGIRC-ARRCO, dont les gestionnaires paritaires ont conclu en 2011 un « compromis conservatoire », la question du rendement et des ressources de ces régimes étant reposée plus rapidement que prévu.

En matière de compensation individuelle de la pénibilité, la réforme de 2010  a prévu un dispositif très limité de départ anticipé à 60 ans, reposant sur la reconnaissance d’une incapacité individuelle, et qui a bénéficié jusqu’ici à moins de 1 500 personnes. Son avenir est donc en question, sachant que l’allongement des durées d’assurance ouvrant droit au taux plein, qui devrait se poursuivre à l’avenir, justifierait une prise en compte spécifique des périodes de travail pénible. Le lien établi entre pénibilité et accident du travail ou maladie professionnelle apparaît à cet égard problématique, et l’évaluation d’une  incapacité individuelle au moment du départ en retraite peut négliger des pathologies susceptibles d’apparaître des années plus tard. Si l’on désire éviter une reconnaissance liée, comme dans certains régimes spéciaux, à des catégories d’emploi déterminées, c’est donc vers la prise en compte des périodes d’exposition aux risques qu’il faudrait se diriger, en envisageant plutôt le recours à des bonifications de durée d’assurance pour éviter les effets de seuil.

Une éventuelle « réforme systémique » pourrait quant à elle déboucher sur la mise en place d’un système unifié de retraites par points ou en comptes notionnels. Analysée par le COR en 2010, elle présente sans conteste un intérêt en termes de transparence et de lisibilité, surtout si sa mise en place s’accompagne d’une harmonisation des règles entre régimes. Les comptes notionnels offrent en particulier des possibilités de choix plus continues et plus transparentes entre durée d’activité et montant des retraites perçues. Ils peuvent aussi  faciliter le pilotage du système et son adaptation aux évolutions économiques et démographiques (augmentation de l’espérance de vie). Ils ont toutefois une logique plus fortement contributive, avec un lien financier direct entre cotisations versées et pensions perçues ; celle-ci peut être amendée par des mécanismes de solidarité ou de redistribution, mais leur apport (abondement des cotisations et du « capital virtuel ») et leur mode de financement nécessitent d’être clairement identifiés.

Au-delà des problèmes techniques, une telle idée recouvre des choix politiques et sociaux, dont les implications peuvent être majeures en termes de solidarité. Le « pari » qui fonde cette piste de réforme est l’unification des régimes professionnels actuels, pour favoriser les mobilités et l’équité entre professions. Cela pose la question d’une fusion des régimes de base qui intégrerait  les régimes spéciaux et ceux de la fonction publique, mais aussi de l’ajout à ces derniers « d’étages » complémentaires. La portée de la réforme serait en revanche réduite si l’on se contentait d’unifier les étages « base + complémentaire » des régimes de salariés du privé (régime général et AGIRC-ARRCO), ce qui ne répondrait en rien aux problèmes d’opacité et d’équité liés à l’empilement des régimes. Les différents  systèmes de gestion « en répartition » sont par ailleurs confrontés aux mêmes problèmes d’équilibre à long terme et à la nécessité d’arbitrages collectifs entre augmentation des cotisations, niveau des prestations et prolongation de l’activité des travailleurs âgés. Le principal danger d’un système de comptes notionnels serait de donner l’illusion que le système peut s’équilibrer automatiquement sur la base de choix individuels, sans que l’évolution des taux de remplacement et du montant des pensions ne soit explicitée, débattue et mise en regard de ses ressources. Les dispositifs de redistribution et de solidarité associés au système ont enfin une importance majeure : une réforme qui rendrait le système plus « contributif » risquerait de pénaliser les assurés les plus « fragiles », mais aussi de se répercuter à terme sur les comptes des autres régimes sociaux.

D’autres sujets d’importance manifeste méritent par ailleurs d’être rapidement re-évoqués,  que l’on s’engage ou non dans  une « réforme systémique » :

– les « aléas de carrière » et la retraite des chômeurs : l’idée de « sécuriser les parcours professionnels » devrait conduire à y réfléchir rapidement, dans un contexte où la montée du temps partiel subi et d’un chômage de longue durée non indemnisé risquent de peser sur les droits de certains assurés ;

– le traitement des « polypensionnés », qui peuvent être tantôt avantagés tantôt désavantagés par les règles actuelles : la proratisation des périodes prises en compte pour le calcul du salaire des « 25 meilleures années » n’a en particulier pas été réalisée entre régime général et régimes « non alignés » (fonction publique, professions libérales ou exploitants agricoles), ce qui aboutit à des inégalités de pension (parfois de l’ordre de 15%) selon les parcours professionnels, et l’ordre dans lequel ils  ont été effectués.

– le cumul emploi-retraite, dont la libéralisation en 2009 entraîne un développement qui s’appuie notamment sur le statut d’auto-entrepreneur et qui mérite d’être questionné, d’autant que les salariés qui ont dû liquider leur pension sans atteindre le taux plein ne bénéficient pas, eux, de cet élargissement.

– les avantages familiaux de retraite, dont les logiques restent diverses et pas toujours cohérentes, en dépit des aménagements apportés par les  réformes. Les questions portent sur  l’harmonisation de ces droits dans les différents régimes ; le redéploiement des majorations de pension versées aux parents d’au moins trois enfants pour soutenir les familles non pas après, mais lorsque les enfants sont encore à charge, et en tout cas l’idée de les rendre forfaitaires et imposables ; la fusion éventuelle des majorations et bonifications de durée d’assurance (MDA et AVPF), tout en améliorant leur impact sur les salaires de référence, principale source dans l’avenir des écarts de pension entre les hommes et les femmes.

– les minima de pension des régimes, dont les évolutions vont plutôt dans le sens d’une contributivité accrue, mais dont une partie a été en même temps reportée sur la solidarité nationale (à hauteur de 3,5 milliards d’euros via le Fonds de solidarité vieillesse). Le minimum vieillesse qui, indexé sur les prix, s’était écarté du seuil de pauvreté, a de son côté été revalorisé de 25% entre 2009 et 2012, mais seulement pour les personnes seules (pas les couples), et la question  se pose aujourd’hui de la spécificité et de l’articulation des différents minima, ainsi que de leur capacité à garantir  le revenu des titulaires de faibles pensions.

La question de l’indexation s’étend d’ailleurs à l’ensemble des retraites, sachant qu’une « réforme systémique » serait l’occasion de réexaminer leurs modes de revalorisation et leur ajustement, de court et de moyen termes, à l’évolution des revenus. L’ensemble des sujets précédents mériterait néanmoins,  au même titre que les bornes d’âge et la pénibilité, d’être inscrit rapidement sur « l’agenda social », que l’on s’engage ou non dans une telle réforme.

 

 




Les dépenses publiques en France : en fait-on trop ?

par Xavier Timbeau

Depuis 2005 la France dispute au Danemark la première place en matière de « dépenses publiques », telles qu’elles sont rapportées par l’OCDE. Comme le ratio dépense publique sur PIB a atteint 56,6% en 2010, il serait nécessaire, selon une opinion largement répandue, de « dégonfler » un Etat qui prendrait « trop » de place dans l’économie. Cette première place ne serait pas un titre de gloire mais le signe que nous avons atteint un niveau insoutenable de « dépenses publiques ». Puisque, par ailleurs, il est indispensable de réduire le déficit public, le chemin est clair : la réduction de la dépense publique serait la seule voie de maîtrise des finances publiques. Mais cette analyse simpliste est erronée.

Elle repose sur une mauvaise utilisation des statistiques des dépenses publiques diffusées par l’OCDE et elle découle d’une mauvaise compréhension de ce que le terme « dépenses publiques » signifie. Il faut reconnaître que ce vocable prête à confusion (on ne prête qu’aux riches !).

Ce que l’on appelle la « dépense publique » associe d’un côté des dépenses collectives (de l’entretien des forces de sécurité à l’administration du pays ou encore la lutte contre la pauvreté) et de l’autre des dépenses de transfert assurantiels. Ces dépenses de transfert recouvrent l’assurance retraite ou l’assurance maladie. Elles sont individualisables, au sens où l’on connaît le bénéficiaire direct de la dépense (ce qui n’est pas le cas pour les dépenses d’administration dont le bénéfice est diffus) et sont financées par des schémas contributifs : pour avoir droit à la prestation, il est nécessaire d’avoir cotisé. Dans la plupart des pays, l’assurance retraite est presque complètement contributive, dans le sens où les prestations relatives entre individus du même âge correspondent aux cotisations relatives. Le taux de rendement des cotisations (qui rapporte la valeur actualisée espérée du flux de prestations retraite à la valeur actualisée des cotisations) est comparable à celui qu’on peut obtenir sur longue période en capitalisant une épargne. Le minimum vieillesse, les avantages familiaux ou les pensions de réversion pourraient venir écorner ce principe contributif, mais en pratique, ces « avantages » compensent des carrières courtes, interrompues par des accidents de la vie et ne diffèrent pas beaucoup d’un schéma contributif. En ce qui concerne la santé, autre pilier des Etats sociaux modernes, l’aspect contributif est atténué par la redistribution opérée par une cotisation proportionnelle au salaire et une dépense qui dépend de l’âge et peu du revenu (à l’exception des indemnités journalières). Lorsque la dispense des soins est universelle, certains en bénéficient sans avoir contribué, mais ces cas restent marginaux et ne modifient pas le caractère quasi contributif de nos systèmes de santé.

Suivant les pays, la mutualisation des dépenses de transfert passe par des formes d’organisation diverses. Cela peut être à l’intérieur de l’entreprise, dans des organisations sectorielles, par des organismes paritaires (syndicats/patronat) ou intermédié par l’Etat central. La particularité de la France est d’avoir une intermédiation de la protection sociale principalement organisée par l’Etat. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays comme le Royaume Uni, les Etats-Unis ou encore l’Allemagne. Même l’assurance chômage, qui est pourtant paritaire, est considérée par la comptabilité nationale comme relevant du secteur public et les cotisations chômage sont considérées comme des prélèvements obligatoires (les cotisations d’assurance automobile, pourtant imposées à celui qui circule sur les routes, ne sont pas dans les prélèvements obligatoires).


La figure 1 illustre la position singulière de la France. En France, en 2010, les « dépenses publiques » au sens strict (c’est-à-dire non-individualisables comme la sécurité intérieure et extérieure, l’administration, des dépenses d’intervention diverses) représentent 18,2% du PIB. Pour cette « dépense publique stricte » la France était en 2009 au 10e rang des pays de l’OCDE (voir également la figure 2). Si le « concours de maigreur » ne concernait que les dépenses de ce champ strict, la France serait dans une bonne moyenne par rapport à d’autres pays décidément dépensiers comme les Etats-Unis, le Portugal ou encore l’Italie. Qui plus est, et contrairement au Royaume Uni, aux Etats-Unis ou à l’Irlande, la France a réduit au cours des 20 dernières années la part de la « dépense publique stricte » faisant-là preuve d’une rigueur de gestion inattendue.

La figure 1 montre également que le noyau dur des « dépenses publiques » est peu dispersé parmi les pays de l’OCDE. Un pays développé a besoin de sécurité, d’administration ou de dépenses d’intervention. Ces dépenses régaliennes sont difficilement compressibles, et entre l’Etat le plus dépensier (la Hongrie) et le plus économe (la Suisse) la différence est de 8 points de PIB. Si on se limite aux Etats de grande taille, l’écart est plus faible (une différence de 3,6 points de PIB entre le Japon et l’Italie). En revanche, concernant les « dépenses publiques sociales », les différences entre Etats sont majeures, l’écart étant de 27 points de PIB entre la Corée et le Danemark ou, parmi les grands pays, de 13 points de PIB entre les Etats-Unis et la France. Ceci fait de la France, avec le Danemark, la Suède, l’Autriche ou la Finlande, un pays où la « dépense publique sociale » en proportion du PIB est élevée.


Peut-on conclure de ces données que le système français de protection sociale est plus généreux que dans les autres pays ? Que c’est là la cause d’une dette publique insoutenable (figure 3) ? Peut-on dire qu’il est trop généreux et qu’il faut inverser la tendance des 20 dernières années en réduisant la part de la dépense sociale dans le PIB ? Non, cela n’indique qu’une seule chose, c’est que la protection sociale, la santé ou l’éducation sont dispensées en France directement par l’Etat qui en assure le financement par des prélèvements obligatoires. Dans les autres pays, l’intervention de l’Etat (ou des collectivités territoriales) peut être aussi massive (en définissant par exemple le cahier des charges de l’éducation, le prix des soins ou des médicaments, l’obligation de souscrire à une assurance retraite ou santé) mais la production du service ou la distribution de la prestation peut être confiée à un organisme non public. Dans certains pays, seule une partie de la couverture maladie ou retraite est obligatoire, les individus étant ensuite « libres » de choisir le niveau de dépense qu’ils souhaitent. Cette liberté est relative, puisqu’elle peut être guidée par des incitations fiscales (au lieu d’une « dépense publique », on parle de « dépense fiscale », puisque cela implique un manque à gagner en termes de recettes fiscales pour l’Etat) ou par la nécessité.

Ainsi, la dépense totale de santé ou d’éducation est plus élevée aux Etats-Unis qu’elle ne l’est en France, une fois rapportée au PIB, bien que la part directement distribuée par l’Etat y soit plus faible.  Pourquoi ces dépenses réputées caractéristiques d’un Etat social sont plus développée dans une société plus individualiste ? Prend-on correctement en compte les incitations fiscales ou les normes sociales ? Autre exemple : la mise en place de la surcote ou de la décote dans le système de retraite français a modifié les incitations individuelles et donc les rendements individuels (vers une plus grande « neutralité actuarielle »). Mais cela n’a pas pour autant modifié la part des « dépenses publiques » de retraite dans le PIB. Demain, la mise en place d’une assurance dépendance pourra augmenter la « dépense publique sociale » de quelques points de PIB. La bonne question n’est pas la personnalité juridique de l’organisme distributeur, mais plutôt de savoir quelles sont les incitations que les individus perçoivent et quelle solidarité inter- ou intra-générationnelle cette assurance dépendance impliquera.

Un système social doit donc se juger sur les droits qu’il ouvre, sur les  devoirs qu’il implique et donc sur son aspect plutôt contributif ou plutôt solidaire et redistributif. Pour cela il faut regarder à la fois les prestations, les prélèvements et les garanties implicites ou explicites apportées en cas de choc aux institutions privées ou publiques qui dispensent ces prestations. Un système privé peut être très redistributif (lorsque la tarification de certains risques est interdite, lorsque la garantie publique est intégrale) et un système public peut être très contributif et plus neutre du point de vue  intergénérationnel qu’un système privé, comme nous le montre par exemple le système suédois des retraites.

Un simple examen des données agrégées ne peut permettre de trancher le débat et c’est pourquoi tenter de convaincre de l’utilité de réduire les « dépenses publiques sociales » au motif qu’elles seraient plus élevées que dans tous les autres pays n’a tout simplement aucun sens.

Ci-dessous les trois graphiques en format pdf

Figures Depenses publiques en France XT