Retraites : de quelle soutenabilité parle-t-on ?

Éloi Laurent et Vincent Touzé

Le dernier rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR), visant à évaluer l’équilibre financier du système français des retraites à l’horizon 2070 publié en septembre 2022, est l’objet d’un intense débat quant à l’urgence des réformes proposées dès 2023 (Touzé, 2023). Si sur le court terme, la dynamique des recettes dépend pour beaucoup de la capacité de l’économie française à rebondir après la pandémie de Covid puis à résister à l’envolée du cours des matières premières consécutive à l’agression russe en Ukraine, l’horizon de long terme est bâti comme on le sait sur des conjectures de croissance de la productivité du travail et d’évolution de l’emploi qui permettent d’envisager des scénarios de croissance du PIB (les hypothèses de productivité du travail étant déterminantes dans l’évolution anticipée du PIB).



Le COR a choisi dans ce rapport de revoir à la baisse ses scénarios de croissance de la productivité du travail sur la base d’une consultation d’économistes et de travaux internes (COR, 2021). Il envisage désormais un scénario bas à 0,7% de croissance au lieu de 1% et un scénario haut à 1,6% au lieu de 1,8%. Les scénarios intermédiaires sont, quant à eux, passés respectivement de 1,5% à 1,3% et de 1,3% à 1%. Mais cette prudence est-elle vraiment suffisante ?

Comme le remarquait justement Antoine Bozio dans sa présentation à la journée d’études du COR qui a en partie influencé ces choix : « Les hypothèses de croissance sont devenues essentielles, mais les hypothèses de croissance ne devraient pas être essentielles : c’est un défaut majeur de notre système que de dépendre de la croissance ».

En effet, d’une part la croissance économique connaît en France et ailleurs des fluctuations pour le moins erratiques depuis les quinze dernières années, mais plus fondamentalement encore, si cette croissance du PIB était forte et stable, ce serait sans doute le scénario le plus préoccupant sur le plan environnemental. En effet, le lien entre croissance et émissions de CO2 est clairement établi et les études qui prétendent montrer qu’un découplage est possible sont en l’état fort peu convaincantes (Parrique, 2022). En revanche, il paraît tout à fait clair que la crise climatique s’accélère, dégradant partout sur la planète et dans les territoires français les conditions de vie, et donc la santé et la productivité du travail qui en dépend (Laurent et Touzé, 2022 ; Laurent, 2023). La recherche d’une croissance toujours plus forte et visiblement destructrice de la biosphère pourrait, à l’image de la Peau de chagrin, rétrécir graduellement l’existence humaine jusqu’à l’épuiser. Cette croissance, censée assurer la soutenabilité du système de retraite, pourrait ainsi, au contraire, conduire à une attrition du temps de la retraite en raison d’une mortalité accrue mais aussi, pour les actifs, à une moindre capacité à soutenir le système par le travail. Dit autrement, la soutenabilité environnementale du système de retraite est un élément central de sa soutenabilité financière via sa soutenabilité sociale.

En outre, il est également légitime de s’interroger sur le réalisme des hypothèses implicites des scénarios de croissance du COR au regard des impératifs de transition énergétique nationaux et européens. Une façon de répondre à cette question est de s’appuyer sur une autre étude prospective, celle réalisée par l’International Energy Agency (IEA) en 2021.

L’IEA (2021) envisage ainsi trois scénarios d’évolution de la demande d’énergie :

  • une évolution tendancielle qui intègre les politiques déjà en vigueur (« Stated Policies Scenario ») ;
  • une mise en place de politiques plus ambitieuses sur le plan climatique déjà annoncées (« Announced Pledges Scenario ») ;
  • enfin, un développement qualifié de soutenable  (« Sustainable Development Scenario »), scénario qui conduit les économies avancées vers le  « zéro émission nette » en 2050.

Pour l’Europe, en particulier, l’IEA prévoit des baisses de la demande d’énergie d’ici 2050 de 10% en cas de maintien de l’évolution tendancielle, de 21% avec la mise en place de politiques plus ambitieuses et de 27% avec le scénario de développement soutenable (rappelons que ces évolutions à la baisse s’accompagnent d’un recours accru aux énergies renouvelables).

Le tableau ci-après croise les scénarios de croissance de la productivité du COR avec ceux de réduction de la consommation d’énergie de l’IEA à l’horizon de 2050.

L’efficience énergétique se mesure comme le ratio PIB/volume d’énergie consommée et ne peut seule garantir la baisse des émissions souhaitées : elle doit s’accompagner de véritables politiques de sobriété énergétique. Mais nos calculs élémentaires montrent que les gains d’efficience énergétique nécessaires pour maintenir une croissance élevée et une réduction de la consommation d’énergie sont importants quels que soient les scénarios considérés.

Á titre d’exemple, le scénario de « développement soutenable », le plus proche des exigences de l’Accord de Paris (2015), nécessiterait d’après l’IEA de réduire de 27% notre consommation totale d’énergie en trente ans. Á l’horizon 2050, une croissance de la productivité comprise entre 1,1 et 1,3% (scénarios intermédiaires du COR) conduirait à une hausse de la richesse produite de 39 à 48%. Une telle hausse associée à une baisse de la consommation d’énergie est envisageable si et seulement si le système productif est capable d’améliorer l’efficience énergétique de 91 à 103%[1], signifiant une aptitude technologique à produire autant avec deux fois moins d’énergie en trente ans, ce qui peut paraître considérable. Dans le cas d’une croissance de la productivité de 0,7%, le gain nécessaire d’efficience énergétique reste élevé et égal à 79%. Pour saisir ces ordres de grandeur, on peut rappeler qu’une publication récente du ministère de la Transition écologique (Beck et al., 2021) calculait que les gains d’efficience énergétique réalisés en France sur les trente dernières années avaient été de l’ordre de 43% (d’après nos estimations un scénario de croissance nulle de la productivité nécessiterait tout de même 52% de gains d’efficience) . L’irréalisme des stratégies climatiques sous contrainte de croissance est loin d’être un défaut des seuls scénarios du COR : les projections du GIEC ont été récemment critiquées sous cet angle et comparées à des scénarios de décroissance qui apparaissent plus crédibles (Keyßer et Lenzen, 2021).

Qu’il s’agisse de l’impact de la crise climatique sur le travail et la santé comme du fardeau que fait peser la croissance sur la transition bas-carbone, le débat sur les retraites mériterait de s’enrichir de cette dimension environnementale.


[1]En notant Y le PIB, E la quantité d’énergie et Y/E le ratio d’efficience énergétique, l’évolution du ratio entre une date 0 et une date T s’exprime comme suit : YT/ET – Y0/E0 = Y0/E0 (YT/Y0/ET/E0 – 1). L’expression (YT/Y0/ET/E0 – 1) mesure le taux de variation de l’efficience énergétique. Si la production passe de 100 en 2020 à un niveau compris entre 139 et 148 en 2050 et si simultanément le niveau de consommation d’énergie doit passer d’un référentiel de 100 à 73, on en déduit que l’efficience énergétique devra s’accroître d’un taux compris entre +91% (=139/73–100/100) et +103% (=148/73–100/100).




La réforme Borne 2023 des retraites : quelques éléments d’analyse

par Vincent Touzé

En 2023, la France s’apprête à adopter une nouvelle réforme visant à restaurer l’équilibre financier du système de retraite. Le gouvernement Borne disposait de trois leviers paramétriques : (i) le taux de cotisation sur les salaires des travailleurs pour accroître les recettes, (ii) le degré de générosité des pensions versées aux retraités pour maîtriser les dépenses, et (iii) l’âge moyen de liquidation. Sans surprise, le gouvernement a annoncé recourir à une augmentation progressive de l’âge de la retraite dès le 1er septembre 2023 et accélérer la loi Touraine de 2014. Pour discuter du bien-fondé d’une telle mesure, plusieurs questions se posent : la réforme est-t-elle urgente ? L’âge est-il le seul paramètre d’ajustement acceptable ? Quels sont les principaux points de vigilance ?



Le mardi 10 janvier 2023, la Première ministre, Elisabeth Borne, a présenté à la presse l’arbitrage retenu par son gouvernement pour restaurer durablement l’équilibre budgétaire du système de retraite. Sans surprise et conformément au programme de la campagne électorale du Président Macron, le choix budgétaire s’est principalement porté vers un relèvement programmé et progressif de l’âge d’ouverture des droits à la retraite (AOD), ce dernier passant de 62 ans actuellement à 64 ans[1] pour la génération 1968 (graphique 1). Cette mesure sera associée à une accélération de la loi Touraine dont l’objectif initial fixait à 43 années cotisées (soit 172 trimestres) le nombre d’années requises pour l’obtention d’un taux plein pour la génération 1973. Avec la réforme Borne, cet objectif serait atteint dès la génération 1965 (graphique 2).

Elle a également confirmé le renforcement de la redistribution sociale via une pension minimum un peu plus généreuse, en augmentant l’actuel minimum contributif. L’objectif recherché par cette mesure sociale est de garantir une pension minimale brute de 85% du SMIC net pour une carrière complète au SMIC. Cela améliorera marginalement la pratique déjà existante qui consiste à garantir une pension de base minimale, éventuellement majorée et qui est versée au prorata de la durée validée par rapport à la durée requise. La question de la rétroactivité aux pensions déjà liquidées reste posée. Le gouvernement reconnaît implicitement une ambition limitée puisqu’il estime le coût budgétaire annuel à environ 700 millions d’euros d’ici 2030.

La première ministre a également annoncé que les nombreux dispositifs dérogatoires, déjà existants et permettant de partir plus tôt ou sans décote pour trimestres manquants, seraient préservés. A priori, seuls les travailleurs qui en sont exclus devraient supporter de plein fouet et progressivement le recul de deux ans de l’âge de la retraite.

Le projet gouvernemental prévoit de réguler l’emploi des seniors dans les entreprises en responsabilisant les employeurs sur ce sujet. Notamment, un projet d’index « senior » mesurant la performance sociale des entreprises pourrait voir le jour. De plus, le cumul emploi-retraite devrait être encouragé via une valorisation des cotisations sous la forme de nouveaux droits à pension.

Ces mesures seront présentées le 23 janvier en conseil des ministres en vue d’un examen par l’Assemblée nationale vers février-mars 2023 puis d’une entrée en vigueur le 1er septembre 2023. La réforme va désormais rentrer dans le temps parlementaire avec de nombreux débats en perspective. L’appréciation du bien-fondé de cette réforme pose plusieurs niveaux d’interrogation.

La réforme est-elle urgente ?

Le dernier rapport du COR (2022) confirme une tendance des précédents : le déficit du système de retraites (graphique 3) devrait progressivement gonfler pour atteindre un déficit compris entre 0,7 et 0,8% du PIB d’ici une dizaine d’années, soit un sous-financement des dépenses de pension de l’ordre de 6%. L’ampleur n’est pas négligeable. Toutefois, les besoins financiers sont d’une ampleur moindre que celle anticipée lors des précédentes réformes[2] car ces dernières ont déjà joué un rôle crucial de rééquilibrage budgétaire. Cette situation budgétaire s’inscrit dans un environnement général particulièrement dégradé des finances publiques en 2022 avec un déficit public d’environ 4,9% du PIB[3] et d’une dette publique d’environ 111% du PIB (OFCE, 2022).

Le gouvernement aurait pu ne prendre aucune mesure, financer le déficit par une émission de dette publique et attendre que la situation budgétaire s’aggrave. Mais deux considérations militent en faveur d’une action précoce. Premièrement, concernant les retraites où les changements paramétriques doivent être anticipés suffisamment à l’avance, il est important d’opérer sur le temps long et donc de mettre en place progressivement les changements. D’après les estimations fournies par le gouvernement, la progressivité des mesures fait que l’équilibre budgétaire ne serait atteint qu’en 2030. Deuxièmement, la procrastination a nécessairement un prisme générationnel puisqu’il appartient alors aux générations suivantes de réformer, cette fois-ci dans l’urgence, et de subir intégralement le poids de la réforme. L’anticipation précoce des problèmes de financement et la mise en place progressive de mesures correctrices peut œuvrer en faveur d’un meilleur partage générationnel.

L’âge est-il le seul paramètre d’ajustement acceptable ?

Le gouvernement dispose d’une large panoplie de paramètres pour maintenir financièrement le système de retraite à flot.

Il aurait pu augmenter le taux de cotisation ou réaffecter des impôts ou des dépenses fiscales dont l’efficacité est sujette à débat (CICE, CIR, exonération de charges).

Augmenter le taux de cotisation est discutable dans un contexte où le taux de prélèvement sur les revenus du travail, en France, est déjà élevé. Certes, ce dernier permet de financer une protection sociale généreuse mais il peut présenter des limites. En effet, user de ce levier confronte nécessairement à la question de la réduction du pouvoir d’achat des salaires en cas de hausse des cotisations salariales, et cette mesure serait d’autant plus délicate dans le contexte inflationniste actuel. Cela pose aussi la question du coût du travail en cas de hausse des cotisations patronales, mesure également un peu plus difficile à adopter dans le contexte actuel de choc sur le prix des matières premières secouant le secteur productif.

Réaffecter des ressources du budget général pour rééquilibrer les comptes de la branche retraite pose la question de la nature des pensions versées. Une première logique du système par répartition veut que les cotisations retraites prélevées sur les salaires financent les pensions contributives, c’est-à-dire celles accordées aux travailleurs sur la base de leurs cotisations passées. Une seconde logique veut que les prestations sociales versées au nom de la solidarité (pension minimum, minimum vieillesse, trimestres assimilés, etc.) soient financées par l’impôt, ce qui peut alors relever du budget général. Il pourrait donc être opportun de distinguer dans les déficits prévisionnels ce qui peut être imputé aux pensions selon leur nature contributive ou solidaire puisque ces deux logiques coexistent.

Le gouvernement aurait également pu réduire la générosité des pensions déjà versées. Dans le contexte inflationniste actuel, le gouvernement aurait pu choisir de sous-indexer fortement les pensions par rapport à l’évolution des prix. Les économies budgétaires n’auraient pas été négligeables. Le choix contraire a été fait puisque depuis le 1er janvier 2022, les pensions de base ont été revalorisées d’environ 6%. Á titre comparatif, l’État a revalorisé de seulement 3,5% le traitement indiciaire des fonctionnaires mais plus fortement le SMIC avec une hausse de 8%. Bien évidemment, la sous-indexation se heurte à la baisse du pouvoir d’achat des pensions et, plus particulièrement, à celle des petites retraites. Pour maintenir le pouvoir d’achat des petites pensions, un rapport publié par Terra Nova a émis, fin décembre, l’idée que la désindexation ne pourrait porter qu’à partir d’un niveau de pension suffisamment élevé. Cette préconisation peut s’apparenter à un recours différencié, déjà pratiqué dans le passé, du taux de CSG qui va d’une exonération à un taux majoré selon le montant de la pension. Cette ligne d’action est une façon de défendre l’idée que la solidarité portée par le système de retraites ne repose pas seulement sur un engagement entre les générations mais également sur un objectif de justice sociale entre retraités.

Finalement, le contrôle de l’âge de liquidation a retenu l’attention du gouvernement. Ce choix n’est pas une surprise puisqu’il figurait dans le programme de campagne électorale du Président Macron. Augmenter l’âge permet d’agir à la fois sur la masse de recettes qui augmente du fait que les travailleurs cotisent plus longtemps (effet positif sur la taille de la population active) et sur celle des dépenses qui augmentent moins vite car les nouveaux retraités seront moins longtemps à la retraite (accroissement plus faible du nombre de pensionnés). Le contrôle de l’âge de liquidation peut reposer sur une mesure contraignante comme l’âge d’ouverture des droits (AOD) qui interdit de partir avant un âge minimum ou une mesure incitative telle que la durée de cotisation qui permet d’obtenir une surcote pour une liquidation tardive ou une décote pour une liquidation précoce. Le gouvernement Borne a choisi de combiner les deux. Bien évidemment, le recul de l’âge de la retraite est une importante source de préoccupations quant aux conséquences sociales d’un maintien plus long dans l’emploi des seniors.

Augmenter l’âge de la retraite : quels sont les principaux points de vigilance ?

Rallonger la durée d’activité pose un grand nombre d’interrogations sur les conséquences sociales puisque tous les travailleurs ne partent pas au même âge à la retraite (graphique 4). Demander un effort de travail supplémentaire à des travailleurs seniors n’est envisageable que si ces derniers ne sont pas confrontés à des problèmes d’employabilité ou de santé les rendant inaptes à poursuivre leur activité. Un des principaux points du débat devrait s’attarder, en particulier, à identifier la situation des plus fragiles qui pourraient être impactés lourdement par la réforme.

Tout d’abord, les travailleurs potentiellement les plus impactés sont ceux ayant eu des carrières longues, c’est-à-dire, des personnes qui sont entrées très tôt sur le marché du travail, qui ont pu valider des trimestres très jeunes et qui peuvent bénéficier d’un dispositif de retraite anticipée. La loi Woerth de 2010 avait prévu un décalage de deux ans de l’âge minimum pour carrières longues. La première ministre a annoncé que les dispositifs « carrières longues » pour des départs possibles dès 58 ans seront maintenus (143 000 nouveaux retraités en 2020, soit environ 23% des effectifs de nouveaux retraités du secteur privé). Les départs dès 58 ans sont très théoriques puisque le régime des salariés du secteur privé décompte un nombre infime de travailleurs réunissant les conditions requises. En pratique, les départs pour « carrières longues » se font plutôt entre 60 et 62 ans. A priori, ces travailleurs ne devraient donc pas être impactés sauf si le nombre de trimestres requis par ces dispositifs est modifié.

Ensuite, les travailleurs particulièrement fragiles, en raison d’un handicap, d’une invalidité, d’incapacité ou d’inaptitude peuvent actuellement bénéficier d’un dispositif dérogatoire de retraite au titre de l’inaptitude leur permettant de partir sans décote à l’actuel AOD de 62 ans. En 2019, 104 000 individus ont bénéficié de ce dispositif. Quant aux autres dispositifs de retraite anticipée des travailleurs handicapés (retraite dès 55 ans avec 2 231 nouveaux retraités en 2021), pour incapacité permanente (retraite dite « pénibilité 2010 » dès 60 ans avec 3 178 nouveaux retraités en 2021) ou au titre du Compte professionnel de prévention C2P[4] (retraite dite « pénibilité 2014 »), ils permettent de liquider plus tôt. La Première ministre a annoncé que pour l’ensemble de ces dispositifs l’âge dérogatoire d’ouverture des droits n’augmenterait pas. Bien au contraire, elle s’est engagée à un meilleur suivi sanitaire (bilan médical) ainsi qu’à certains assouplissements dans l’attribution de points « pénibilités ».

Pour le secteur public, les fonctionnaires en service actif et les militaires (non-officiers) peuvent partir plus tôt à la retraite, ce qui fait qu’en 2020, près de 39% des fonctionnaires ayant liquidé leur pension étaient âgés de moins 62 ans. Avec la réforme, ils pourront toujours partir plus tôt, mais la réforme devrait conduire à un décalage progressif de deux ans des âges spécifiques d’ouverture des droits propres à chaque statut.

Pour les seniors à la recherche d’un emploi, l’allongement de la durée d’activité est susceptible de se traduire par un allongement de la durée du chômage et donc par un risque du type « moins de retraités, plus de chômeurs ». Les simulations macroéconomiques concluent qu’à court terme, le recul de l’AOD peut conduire à une hausse du chômage du fait de la hausse de la population active sans hausse de l’activité (OFCE, 2021). Se pose alors la question du maintien prolongé des droits pour ces derniers afin d’éviter une entrée en situation de pauvreté. D’après la DARES, en 2021, 6,3% des actifs seniors (55-64 ans) étaient au chômage alors que 7,9% de l’ensemble des actifs se sont déclarés au chômage. Quant aux seniors en emploi, ces derniers pourraient être confrontés à des difficultés accrues de maintien dans leur poste de travail pour des raisons de compétence, d’aptitude physique, voire de santé, ce qui peut conduire à une fréquence plus élevée des arrêts maladies. La perspective d’avoir des travailleurs partant plus tard à la retraite devrait être l’occasion pour les employeurs de mettre en place une gestion à plus long terme des carrières, et en particulier en termes de formation et d’aménagement des postes de travail. La réglementation peut être un instrument pour les responsabiliser face à ces enjeux. Le gouvernement évoque des pistes sur ce sujet et ces dernières semblent, pour l’instant, peu contraignantes.

Selon toute vraisemblance, les seniors qui devraient être les plus impactés sont les travailleurs qui ne bénéficient d’aucun dispositif dérogatoire et qui espéraient prendre leur retraite avant 64 ans. Sur les dix prochaines années, le nombre de travailleurs concernés est potentiellement élevé (en 2020, près de 57% des salariés du secteur privé ont pris leur retraite entre 62 et 64 ans). Typiquement, un travailleur qui avait acquis tous ses droits à 62 ans devra travailler plus longtemps et jusqu’à 2 années supplémentaires pour les générations nées à partir de 1968. Ce raisonnement est toutefois valable à la nuance près que depuis le 1er janvier 2019, la caisse de retraite AGIRC-ARRCO applique une décote de 10% pendant trois ans sur la pension complémentaire en cas de liquidation au taux plein. Pour ne subir aucune décote, le travailleur est fortement encouragé à décaler d’une année son départ. Vu sous cet angle, l’âge minimal d’ouverture des droits à une pension pleine serait de 63 ans et non de 62 ans. La réforme portée par le gouvernement ayant un impact favorable sur le financement de l’AGIRC-ARRCO, il est fort probable que cette décote de 10% soit prochainement abandonnée. Il est raisonnable d’anticiper que de nouveaux travailleurs réuniront les conditions requises de carrières longues entre 62 et 64 ans. Ils seront donc impactés selon le nombre de trimestres supplémentaires nécessaires pour valider une carrière longue après 62 ans. En revanche, d’autres valideront un nombre de trimestres au-delà du niveau requis, et notamment les femmes qui peuvent valider jusqu’à 8 trimestres par enfant, sans pouvoir pour autant bénéficier d’un dispositif dérogatoire[5]. Quoi qu’il arrive, les seniors contraints de partir plus tard à la retraite et qui auront conservé leur emploi, ou à défaut bénéficié d’une période de chômage indemnisé, pourront prétendre à une pension complémentaire plus élevée du fait qu’ils auront accumulé plus de points au moment de la liquidation. On peut toutefois noter une inégalité de traitement des futurs retraités puisque le poids de la pension complémentaire est fonction de la part du salaire au-dessus du plafond. Le gain relatif en pension sera donc d’autant plus fort que le salaire sera élevé.

Quant à la situation des personnes aux carrières incomplètes, elles attendent en général 67 ans pour ne plus subir la décote pour trimestres manquants. La Première ministre a annoncé que cet âge du taux plein automatique ne serait pas remis en question. Pourtant, pour ces futurs retraités, une proratisation accrue est prévue avec l’accélération de l’augmentation de la durée requise : pour la génération 1968, une durée requise de 172 trimestres au lieu de 169 induit automatiquement une baisse de 1,8% de la pension en cas de carrière incomplète. Á titre de comparaison, il est utile de rappeler qu’actuellement les liquidations à 62 ans correspondent souvent à des pensions pour carrières complètes et sont donc associées à des pensions relativement plus élevées, alors qu’à 67 ans, ce sont surtout des liquidations tardives à l’âge du taux plein pour des carrières incomplètes, et donc associées à des petites pensions. Ceux qui prennent leur retraite entre ces deux âges sont souvent des travailleurs avec des carrières longues mais pas suffisamment pour partir dès l’AOD. Ces profils peuvent correspondre à ceux de cadres entrés plus tardivement sur le marché du travail en raison d’études supérieures et qui vont liquider des pensions contributives plus élevées que la moyenne. Pour les plus pauvres, l’âge d’ouverture des droits au minimum vieillesse[6] (961,08 € par mois hors APL pour une personne seule) ne bouge pas et reste fixé à 65 ans avec une dérogation à 62 ans en cas de handicap.

D’après les estimations du gouvernement, environ 30% des gains budgétaires de la réforme seraient réemployés dans les mesures sociales d’accompagnement. De plus, le retour à l’équilibre budgétaire se ferait assez lentement, ce qui pourrait suggérer une transition relativement douce dont les contours exacts mériteraient d’être appréciés par des études d’impact.

Bibliographie

Assemblée nationale, 2022, Loi de financement de la sécurité sociale 2023.

COR, 2022, Evolutions et perspectives des retraites en France, Rapport du 15 septembre 2022.

FIPADDICT, 2022, Une autre réforme des retraites est possible, Terra nova, 22 décembre 2022.

Gouvernement Borne, 2023, Pour nos retraites : justice, d’équilibre et de progrès, Dossier de presse, 10 janvier 2023 : https://www.gouvernement.fr/upload/media/content/0001/05/1548a2feb27d6e5ed4d637eb051bb95daeb2200f.pdf

Laffon P. et D. Le Bayon, 2022, Les départs en retraite au titre de l’inaptitude, Rapport IGAS, octobre.

OFCE, 2021, « Les effets macroéconomiques de leviers possibles de redressement des comptes sociaux », présentation au HCFIPS, avec les contributions de B. Ducoudré et P. Madec.

OFCE, 2022, Perspectives économiques 2022-2023 d’octobre 2022 (sous la direction d’E. Heyer et X. Timbeau), Revue de l’OFCE, n° 178.


[1] Le programme prévoyait un objectif de 65 ans, mais le candidat avait annoncé qu’il n’excluait pas de se limiter à 64 ans.

[2] La réforme Balladur de 1993 s’appuyait sur le Livre blanc sur les retraites (1991, gouvernement Rocard) qui prévoyait en 2010 un sous-financement de 30% des dépenses. Ensuite, les réformes Fillon (2003), Woerth (2010) puis Touraine (2014) ont pu se référer aux rapports du COR qui prévoyaient respectivement, au moment de l’élaboration des projets de réforme, des sous-financements de l’ordre de 14,5%, 8% et 9,5% à un horizon de 20 ans. La comparaison avec la situation actuelle est toutefois à nuancer car ces déficits anticipés prévoyaient également la montée en puissance des régimes d’employeur de la fonction publique, ce qui a conduit, par la suite, l’État a augmenté régulièrement sa contribution d’équilibre.

[3] Pour la seule protection sociale, l’assurance maladie accuserait un déficit de 17,8 milliards d’euros (Loi de financement de la sécurité sociale 2023), soit 0,65 % du PIB.

[4] Le critère de pénibilité a été introduit par la loi Touraine. Depuis le 1er octobre 2017, six risques professionnels sont pris en compte : activités exercées en milieu hyperbare (hautes pressions), les températures extrêmes, le bruit, le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes, le travail répétitif. Un compte professionnel de prévention (C2P) permet à ces salariés de cumuler des points pour pénibilité : 1 point est attribué en cas d’exposition pendant un trimestre à un facteur de pénibilité, 2 points en cas d’exposition à plusieurs facteurs. Le cumul ne peut excéder 100 points. Ces points peuvent être utilisés pour payer une formation, travailler à temps partiel avec maintien de la rémunération ou pour valider des trimestres supplémentaires. L’attribution de 10 points permet de valider 1 trimestre. Ces trimestres comptent comme des trimestres cotisés et permettent d’obtenir plus rapidement une pension pour carrière longue.

[5] Le projet gouvernemental prévoit toutefois d’intégrer les périodes de congé parental, jusqu’à 4 trimestres, pour accéder aux dispositifs carrières longues et aussi dans le calcul de la pension minimum.

[6] En raison d’une reprise possible sur succession des montants versés, le taux de non recours à ce revenu minimum est de 50 %, ce qui est élevé pour une prestation sociale visant à protéger les plus âgés de la pauvreté. Le gouvernement a prévu d’augmenter le seuil de récupération, actuellement de 39 000 euros, à 100 000 euros.




La retraite : une question d’âge ou de température ?

Comme on le sait, le financement du système de retraite est potentiellement fragilisé par le vieillissement démographique qui se traduit par une dégradation régulière du nombre d’actifs par retraité. Pour contrôler ce ratio de dépendance démographique, l’âge moyen de liquidation des pensions est un des facteurs clés et il repose sur de nombreux paramètres d’ajustement : durée de cotisation, décote/surcote, âge minimum, âge d’équilibre, etc.Á l’horizon de 2070, la viabilité financière, à législation inchangée, repose principalement sur les hypothèses de croissance de la productivité. Les scénarios récents présentés par le COR, un peu moins optimistes que ceux du rapport de juin 2021, envisagent quatre évolutions possibles comprises entre 0,7 et 1,6% de croissance annuelle de la productivité par habitant. Au regard des estimations proposées, il apparaît que la soutenabilité financière à long terme du système de retraite serait particulièrement compromise avec une croissance de la productivité du travail inférieure à 1,3%.

Un concours de circonstances veut que, tandis que le COR abaisse ses hypothèses de productivité du travail, le GIEC relève ses prévisions de températures, désormais comprises entre 1 et 5,7 degrés d’ici à la fin du siècle (avec un scénario médian qui va de 1,4 à 4,4).Mais le COR ne prend pas en considération les hypothèses du GIEC. Or il n’y a aucun doute quant à l’influence du climat sur la productivité du travail et plus particulièrement sur le fait que la crise climatique va dégrader celle-ci, c’est déjà le cas dans la réalité.De même, l’espérance de vie en bonne santé est un paramètre important à considérer quand on fixe l’âge légal de départ à la retraite. Or la crise climatique dégrade aussi l’espérance de vie en bonne santé. Ainsi les canicules de 2022 auraient causé selon les données encore partielles et provisoires de l’INSEE 11 000 morts prématurés, sans doute davantage, très majoritairement des plus de 65 ans, deuxième catastrophe naturelle la plus meurtrière depuis 1900, derrière la canicule de 2003[1] et devant celles de 2015 et de 2020.Les questions de solidarité générationnelle vont bien au-delà des transferts monétaires entre actifs et retraités qu’intermédie le système de retraite dès lors que l’habitabilité de notre planète est désormais en jeu sous l’effet des points de bascule. Greta Thunberg indique sur son compte Twitter qu’elle est née « en 375 ppm », c’est-à-dire en 2003 lorsque la concentration des gaz dans l’atmosphère provoquant l’effet de serre à l’origine de la crise climatique atteignait 375 parties par million (elle atteint aujourd’hui près de 418 ppm). Comme l’explique sans détour une étude parue dans Science l’an dernier : « une personne née en 1960 subira en moyenne environ 4 ± 2 vagues de chaleur au cours de sa vie…en revanche, un enfant né en 2020 connaîtra 30 ± 9 vagues de chaleur dans un scénario déterminé par les engagements climatiques actuels, qui pourraient être réduites à 22 ± 7 vagues de chaleur si le réchauffement est limité à 2°C, ou à 18 ± 8 vagues de chaleur s’il est limité à 1,5°C. En tout cas, c’est respectivement sept, six ou quatre fois plus que pour une personne née en 1960 ».Il est donc légitime de s’interroger sur le réalisme des scénarios du COR au regard des enjeux planétaires. Sur la page de son simulateur, le COR indique trois paramètres : l’âge, le niveau de cotisation et le niveau des pensions. Pourquoi ne pas ajouter la température ?Il n’est en tout cas pas raisonnable de formuler en 2022 des hypothèses sur l’avenir d’un système de retraite à moyen et long termes sans prendre en considération une batterie d’indicateurs traduisant la qualité de l’environnement en lien avec la santé, à commencer par des hypothèses climatiques, ainsi que des scénarios de croissance soutenable. C’est toute la protection sociale qui doit désormais évoluer vers une protection sociale-écologique, comme le propose un récent rapport du Sénat.

Comme on le sait, le financement du système de retraite est potentiellement fragilisé par le vieillissement démographique qui se traduit par une dégradation régulière du nombre d’actifs par retraité. Pour contrôler ce ratio de dépendance démographique, l’âge moyen de liquidation des pensions est un des facteurs clés et il repose sur de nombreux paramètres d’ajustement : durée de cotisation, décote/surcote, âge minimum, âge d’équilibre, etc.

Á l’horizon de 2070, la viabilité financière, à législation inchangée, repose principalement sur les hypothèses de croissance de la productivité. Les scénarios récents présentés par le COR, un peu moins optimistes que ceux du rapport de juin 2021, envisagent quatre évolutions possibles comprises entre 0,7 et 1,6% de croissance annuelle de la productivité par habitant. Au regard des estimations proposées, il apparaît que la soutenabilité financière à long terme du système de retraite serait particulièrement compromise avec une croissance de la productivité du travail inférieure à 1,3%.

Un concours de circonstances veut que, tandis que le COR abaisse ses hypothèses de productivité du travail, le GIEC relève ses prévisions de températures, désormais comprises entre 1 et 5,7 degrés d’ici à la fin du siècle (avec un scénario médian qui va de 1,4 à 4,4).

Mais le COR ne prend pas en considération les hypothèses du GIEC. Or il n’y a aucun doute quant à l’influence du climat sur la productivité du travail et plus particulièrement sur le fait que la crise climatique va dégrader celle-ci, c’est déjà le cas dans la réalité.

De même, l’espérance de vie en bonne santé est un paramètre important à considérer quand on fixe l’âge légal de départ à la retraite. Or la crise climatique dégrade aussi l’espérance de vie en bonne santé. Ainsi les canicules de 2022 auraient causé selon les données encore partielles et provisoires de l’INSEE 11 000 morts prématurés, sans doute davantage, très majoritairement des plus de 65 ans, deuxième catastrophe naturelle la plus meurtrière depuis 1900, derrière la canicule de 2003[1] et devant celles de 2015 et de 2020.

Les questions de solidarité générationnelle vont bien au-delà des transferts monétaires entre actifs et retraités qu’intermédie le système de retraite dès lors que l’habitabilité de notre planète est désormais en jeu sous l’effet des points de bascule. Greta Thunberg indique sur son compte Twitter qu’elle est née « en 375 ppm », c’est-à-dire en 2003 lorsque la concentration des gaz dans l’atmosphère provoquant l’effet de serre à l’origine de la crise climatique atteignait 375 parties par million (elle atteint aujourd’hui près de 418 ppm). Comme l’explique sans détour une étude parue dans Science l’an dernier : « une personne née en 1960 subira en moyenne environ 4 ± 2 vagues de chaleur au cours de sa vie…en revanche, un enfant né en 2020 connaîtra 30 ± 9 vagues de chaleur dans un scénario déterminé par les engagements climatiques actuels, qui pourraient être réduites à 22 ± 7 vagues de chaleur si le réchauffement est limité à 2°C, ou à 18 ± 8 vagues de chaleur s’il est limité à 1,5°C. En tout cas, c’est respectivement sept, six ou quatre fois plus que pour une personne née en 1960 ».

Il est donc légitime de s’interroger sur le réalisme des scénarios du COR au regard des enjeux planétaires. Sur la page de son simulateur, le COR indique trois paramètres : l’âge, le niveau de cotisation et le niveau des pensions. Pourquoi ne pas ajouter la température ?

Il n’est en tout cas pas raisonnable de formuler en 2022 des hypothèses sur l’avenir d’un système de retraite à moyen et long termes sans prendre en considération une batterie d’indicateurs traduisant la qualité de l’environnement en lien avec la santé, à commencer par des hypothèses climatiques, ainsi que des scénarios de croissance soutenable. C’est toute la protection sociale qui doit désormais évoluer vers une protection sociale-écologique, comme le propose un récent rapport du Sénat.



Comme on le sait, le financement du système de retraite est potentiellement fragilisé par le vieillissement démographique qui se traduit par une dégradation régulière du nombre d’actifs par retraité. Pour contrôler ce ratio de dépendance démographique, l’âge moyen de liquidation des pensions est un des facteurs clés et il repose sur de nombreux paramètres d’ajustement : durée de cotisation, décote/surcote, âge minimum, âge d’équilibre, etc.

Á l’horizon de 2070, la viabilité financière, à législation inchangée, repose principalement sur les hypothèses de croissance de la productivité. Les scénarios récents présentés par le COR, un peu moins optimistes que ceux du rapport de juin 2021, envisagent quatre évolutions possibles comprises entre 0,7 et 1,6% de croissance annuelle de la productivité par habitant. Au regard des estimations proposées, il apparaît que la soutenabilité financière à long terme du système de retraite serait particulièrement compromise avec une croissance de la productivité du travail inférieure à 1,3%.

Un concours de circonstances veut que, tandis que le COR abaisse ses hypothèses de productivité du travail, le GIEC relève ses prévisions de températures, désormais comprises entre 1 et 5,7 degrés d’ici à la fin du siècle (avec un scénario médian qui va de 1,4 à 4,4).

Mais le COR ne prend pas en considération les hypothèses du GIEC. Or il n’y a aucun doute quant à l’influence du climat sur la productivité du travail et plus particulièrement sur le fait que la crise climatique va dégrader celle-ci, c’est déjà le cas dans la réalité.

De même, l’espérance de vie en bonne santé est un paramètre important à considérer quand on fixe l’âge légal de départ à la retraite. Or la crise climatique dégrade aussi l’espérance de vie en bonne santé. Ainsi les canicules de 2022 auraient causé selon les données encore partielles et provisoires de l’INSEE 11 000 morts prématurés, sans doute davantage, très majoritairement des plus de 65 ans, deuxième catastrophe naturelle la plus meurtrière depuis 1900, derrière la canicule de 2003[1] et devant celles de 2015 et de 2020.

Les questions de solidarité générationnelle vont bien au-delà des transferts monétaires entre actifs et retraités qu’intermédie le système de retraite dès lors que l’habitabilité de notre planète est désormais en jeu sous l’effet des points de bascule. Greta Thunberg indique sur son compte Twitter qu’elle est née « en 375 ppm », c’est-à-dire en 2003 lorsque la concentration des gaz dans l’atmosphère provoquant l’effet de serre à l’origine de la crise climatique atteignait 375 parties par million (elle atteint aujourd’hui près de 418 ppm). Comme l’explique sans détour une étude parue dans Science l’an dernier : « une personne née en 1960 subira en moyenne environ 4 ± 2 vagues de chaleur au cours de sa vie…en revanche, un enfant né en 2020 connaîtra 30 ± 9 vagues de chaleur dans un scénario déterminé par les engagements climatiques actuels, qui pourraient être réduites à 22 ± 7 vagues de chaleur si le réchauffement est limité à 2°C, ou à 18 ± 8 vagues de chaleur s’il est limité à 1,5°C. En tout cas, c’est respectivement sept, six ou quatre fois plus que pour une personne née en 1960 ».

Il est donc légitime de s’interroger sur le réalisme des scénarios du COR au regard des enjeux planétaires. Sur la page de son simulateur, le COR indique trois paramètres : l’âge, le niveau de cotisation et le niveau des pensions. Pourquoi ne pas ajouter la température ?

Il n’est en tout cas pas raisonnable de formuler en 2022 des hypothèses sur l’avenir d’un système de retraite à moyen et long termes sans prendre en considération une batterie d’indicateurs traduisant la qualité de l’environnement en lien avec la santé, à commencer par des hypothèses climatiques, ainsi que des scénarios de croissance soutenable. C’est toute la protection sociale qui doit désormais évoluer vers une protection sociale-écologique, comme le propose un récent rapport du Sénat.


Comme on le sait, le financement du système de retraite est potentiellement fragilisé par le vieillissement démographique qui se traduit par une dégradation régulière du nombre d’actifs par retraité. Pour contrôler ce ratio de dépendance démographique, l’âge moyen de liquidation des pensions est un des facteurs clés et il repose sur de nombreux paramètres d’ajustement : durée de cotisation, décote/surcote, âge minimum, âge d’équilibre, etc.

Á l’horizon de 2070, la viabilité financière, à législation inchangée, repose principalement sur les hypothèses de croissance de la productivité. Les scénarios récents présentés par le COR, un peu moins optimistes que ceux du rapport de juin 2021, envisagent quatre évolutions possibles comprises entre 0,7 et 1,6% de croissance annuelle de la productivité par habitant. Au regard des estimations proposées, il apparaît que la soutenabilité financière à long terme du système de retraite serait particulièrement compromise avec une croissance de la productivité du travail inférieure à 1,3%.

Un concours de circonstances veut que, tandis que le COR abaisse ses hypothèses de productivité du travail, le GIEC relève ses prévisions de températures, désormais comprises entre 1 et 5,7 degrés d’ici à la fin du siècle (avec un scénario médian qui va de 1,4 à 4,4).

Mais le COR ne prend pas en considération les hypothèses du GIEC. Or il n’y a aucun doute quant à l’influence du climat sur la productivité du travail et plus particulièrement sur le fait que la crise climatique va dégrader celle-ci, c’est déjà le cas dans la réalité.

De même, l’espérance de vie en bonne santé est un paramètre important à considérer quand on fixe l’âge légal de départ à la retraite. Or la crise climatique dégrade aussi l’espérance de vie en bonne santé. Ainsi les canicules de 2022 auraient causé selon les données encore partielles et provisoires de l’INSEE 11 000 morts prématurés, sans doute davantage, très majoritairement des plus de 65 ans, deuxième catastrophe naturelle la plus meurtrière depuis 1900, derrière la canicule de 2003[1] et devant celles de 2015 et de 2020.

Les questions de solidarité générationnelle vont bien au-delà des transferts monétaires entre actifs et retraités qu’intermédie le système de retraite dès lors que l’habitabilité de notre planète est désormais en jeu sous l’effet des points de bascule. Greta Thunberg indique sur son compte Twitter qu’elle est née « en 375 ppm », c’est-à-dire en 2003 lorsque la concentration des gaz dans l’atmosphère provoquant l’effet de serre à l’origine de la crise climatique atteignait 375 parties par million (elle atteint aujourd’hui près de 418 ppm). Comme l’explique sans détour une étude parue dans Science l’an dernier : « une personne née en 1960 subira en moyenne environ 4 ± 2 vagues de chaleur au cours de sa vie…en revanche, un enfant né en 2020 connaîtra 30 ± 9 vagues de chaleur dans un scénario déterminé par les engagements climatiques actuels, qui pourraient être réduites à 22 ± 7 vagues de chaleur si le réchauffement est limité à 2°C, ou à 18 ± 8 vagues de chaleur s’il est limité à 1,5°C. En tout cas, c’est respectivement sept, six ou quatre fois plus que pour une personne née en 1960 ».

Il est donc légitime de s’interroger sur le réalisme des scénarios du COR au regard des enjeux planétaires. Sur la page de son simulateur, le COR indique trois paramètres : l’âge, le niveau de cotisation et le niveau des pensions. Pourquoi ne pas ajouter la température ?

Il n’est en tout cas pas raisonnable de formuler en 2022 des hypothèses sur l’avenir d’un système de retraite à moyen et long termes sans prendre en considération une batterie d’indicateurs traduisant la qualité de l’environnement en lien avec la santé, à commencer par des hypothèses climatiques, ainsi que des scénarios de croissance soutenable. C’est toute la protection sociale qui doit désormais évoluer vers une protection sociale-écologique, comme le propose un récent rapport du Sénat.




Généalogie des 12 milliards d’euros de déficit du système de retraite à combler en 2027

Gilles Le Garrec et Vincent Touzé

Jusqu’à présent la
réforme des retraites avait plutôt bien résisté aux mouvements de contestation,
mais crise sanitaire oblige, le président Macron a décidé de la suspendre. Le
projet de loi adopté à l’Assemblée nationale devait être présenté prochainement
au Sénat. Fin avril, la conférence de financement devait aussi fournir les
conclusions de ses travaux pour trouver des solutions afin de combler le manque
de financement de 12 milliards en 2027. Cet article propose de revenir sur la
généalogie de ce chiffrage.



Comme annoncé dans
son programme présidentiel de 2017, le Président Macron a décidé de refonder le
contrat social en instaurant dès 2025 un nouveau système de retraite universel (SUR)
dont la règle simple « chaque
euro cotisé doit donner les mêmes droits » serait garante d’une plus
grande justice. Avec un système actuel très complexe, composé de 42
régimes et autant de règles de calcul des droits, cette proposition de réforme
systémique a d’abord reçu un accueil plutôt favorable, et notamment le soutien des
syndicats réformistes comme la CFDT et son leader Laurent Berger. Même si l’on sait
qu’une réforme des retraites est toujours difficile à faire accepter en France,
l’instauration du SUR se présentait sous les meilleurs auspices, comme semblaient
le présager les consultations menées pour le gouvernement par le
Haut-Commissaire Jean-Paul Delevoye. En parallèle à ces consultations, le président
de la République et le gouvernement ont rappelé à plusieurs reprises qu’une
telle réforme nécessitait que le système soit à l’équilibre financier lors de
la mise en place du SUR, c’est-à-dire en 2025.

Compte
tenu des nombreuses réformes passées, on aurait pu croire que le problème de
solvabilité du système de retraite avait été résolu à moyen terme. Le graphique
1 reproduit la prédiction pour l’année 2025 telle qu’elle a pu être estimée par
le COR entre novembre 2007 et novembre 2019. En 2007, la perspective d’un
équilibre financier semblait éloignée avec un déficit anticipé de 2,3 % du
PIB. À la suite des réformes Woerth en 2010 (recul de l’âge de la retraite de
60 à 62 ans, rapprochement des régimes de la fonction publique et les régimes
spéciaux du Régime général) et Touraine en 2014 (augmentation de la durée de
cotisation requise), ce déficit anticipé a été considérablement réduit, puisqu’en
juin 2016, le COR prédisait l’équilibre financier pour 2025. Pourtant dès juin
2017, la révision des hypothèses démographiques, macro-économiques et de
croissance de la masse salariale publique – certainement trop optimistes – ont
fait réapparaître un déficit structurel de moyen terme pour l’année 2025.

Afin
de clarifier la situation financière, le premier ministre Edouard Philippe a commandé
au COR une étude prospective spécifique sur la période 2020-2030. Publiée en
novembre 2019, cette dernière présente une évaluation des besoins financiers du
système de retraite selon quatre contextes d’évolution de la productivité (taux
de croissance compris entre 1 et 1,8 %) et selon trois « conventions
comptables ». Dans tous les cas de figure, l’équilibre financier n’est pas
garanti. À l’aune de ce déficit prévisible, le gouvernement avait initialement
décidé d’instaurer, dans son projet de loi, un âge minimum de taux plein (ou âge
pivot) dès 2022 qui basculerait progressivement de 62 à 64 ans en 2027 et en deçà
duquel un individu ne pouvait pas obtenir une pension à taux plein (article
56bis). Face à la montée de bouclier contre cet âge pivot et le risque de
perdre ses principaux soutiens, le gouvernement a accepté la proposition de
Laurent Berger de mettre en place une « conférence de financement »
dont la mission est de proposer des financements alternatifs à la condition que
ces derniers permettent d’atteindre un montant de 12 milliards d’euros en 2027
(et 10 milliards en 2025).

Mais d’où proviennent ces 12
milliards ?

La
dernière étude du COR ne donne pas une mesure unique du déficit en 2027 mais
douze mesures comprises entre 8,9 et 21,5 milliards d’euros. L’évaluation du
COR est assez peu sensible à l’hypothèse de croissance de la productivité en
raison de la faiblesse de l’horizon de simulation. De ce fait, pour ne pas
accumuler les chiffres redondants, est présentée, dans le graphique 2, la valeur
moyenne des quatre scénarios de productivité pour chaque année pendant la
période 2020-2030. En revanche, le déficit estimé se montre très variable selon
la convention comptable employée.

Mais
pourquoi donc utiliser trois conventions ? Le COR a pour mission de
réaliser un exercice de prospective à législation inchangée. Si pour certains
régimes de retraite, la notion de législation inchangée est simple (règles
de calcul et taux de cotisation inchangés), pour l’État, cette notion peut
présenter deux acceptions en ce qui concerne le taux de cotisation. Une première
acception du concept de législation constante est celle d’obligation pour l’État
d’équilibrer ses régimes de retraite en sa qualité d’employeur. Dans ce cas, la
contribution employeur doit toujours garantir un « Equilibre permanent des
régimes » (EPR) gérés par l’État (fonction publique d’État et régimes
spéciaux). Selon cette convention, le déficit serait alors d’environ 13,6
milliards en 2027. La seconde convention suppose un taux de cotisation constant
(TCC). Une telle mesure permet alors d’évaluer l’importance du déficit financier
du système de retraite lorsque l’État ne recourt pas à une hausse systématique
de sa contribution en tant qu’employeur, ce que ne peuvent pas faire les
autres régimes de retraite. Selon cette convention, le déficit serait d’environ
20,5 milliards en 2027.

Le
COR propose également une troisième convention comptable : l’Effort de l’État
constant (EEC). Cette mesure est intéressante car elle fournit une notion de
taux de financement macroéconomique de l’État constant. Par le passé, les
différentes mesures prises par les gouvernements pour contenir la dépense
publique ont notamment visé à ralentir la hausse du nombre d’emplois publics
ainsi qu’à geler la valeur du point d’indice du traitement des fonctionnaires, politique
salariale qui a aussi pour effet de baisser le montant de leur pension. Il en
découle que sur la période 2020-2030, la masse des pensions versées par l’État
progresse moins vite que le PIB. Cette convention donne ainsi une évaluation
élargie d’une disponibilité budgétaire potentielle à taux de dépense constant
de l’État. Selon cette convention, le déficit pourrait être réduit à environ 10
milliards d’euros.

Le
secrétaire d’État aux retraites Laurent Pietraszewski (voir https://www.franceculture.fr/emissions/la-bulle-economique/retraite-a-point-le-point-sur-les-chiffres) a expliqué, le 18 janvier dernier, que le
gouvernement a fixé un objectif financier intermédiaire entre les scénarios EEC
et EPR. Le Premier ministre a ainsi exigé que la « conférence de
financement » aboutisse à une solution permettant un financement à hauteur
de 12 milliards d’euros en 2027 (et 10 milliards en 2025), montant qui
correspond également à ce que rapporterait un âge minimum de taux plein de 64
ans. L’État s’engage donc à aller au-delà de ses seules obligations d’équilibrer
ses régimes publics. Implicitement, cela signifie aussi qu’il apporte un
soutien financier, partiel et de l’ordre de 2 milliards d’euros, à des régimes
déficitaires des travailleurs du secteur privé, en l’occurrence principalement
le Fonds de solidarité vieillesse (5 milliards de déficit), la CNAV (1,5
milliard) ainsi qu’au régime des agents territoriaux et de la fonction publique
hospitalière (CNRACL) déficitaire d’environ 5,4 milliards d’euros en 2027.

Lors de son allocution du lundi 16 mars 2020, le Président de la République a annoncé que la crise induite par l’épidémie de coronavirus nécessitait de suspendre la réforme des retraites. Ce texte devait être prochainement discuté devant la Sénat tandis que la conférence de financement devait faire connaître ses conclusions fin avril. Dans la foulée de la déclaration présidentielle, la conférence de financement a annoncé qu’elle suspendait dès-à-présent ses travaux. Une question centrale est désormais posée : quel pourrait être l’impact économique, social et financier à moyen terme de la crise sanitaire et de la mise à l’arrêt d’une partie du secteur productif ? Même si les estimations du COR soulignent l’impact limité des hypothèses de productivité sur le déficit à moyen terme, on peut se demander si l’estimation de 12 milliards à combler en 2027 reste pertinente dans ces conditions.