La fin des contrats aidés
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Depuis qu’elle a été engagée, la lutte contre le chômage a connu trois grandes époques, chacune s’identifiant à la domination d’un instrument de politique publique : d’abord les préretraites dans les années 1980 jusqu’au début des années 1990, puis les contrats aidés qui connurent leur apogée au tournant des années 2000, et enfin les allégements de cotisations sociales dont l’expansion est ininterrompue depuis trente ans (Figure 1). La politique de l’emploi pourrait être entrée dans une nouvelle ère, celle de l’apprentissage, mais il est encore trop tôt pour affirmer que la bulle de ces dernières années survivra à l’inévitable diminution des aides publiques qui dopent ce dispositif1.
1 Un nouveau record a été atteint en décembre 2024 (après celui de novembre un an plus tôt), date à laquelle 1,04 million d’apprentis étaient en cours de formation (source : PoEm, Dares).
Malgré les critiques et les réformes dont ils ont fait l’objet, les contrats aidés sont demeurés un instrument central de la politique d’emploi. Maintes fois annoncée, toujours différée, la fin des contrats aidés semble cette fois scellée.
Un instrument rarement efficace
Le contrat aidé est un dispositif destiné à favoriser l’insertion en emploi en apportant une expérience professionnelle, éventuellement une formation et une qualification au bénéficiaire ; l’objectif est d’augmenter son employabilité et donc ses chances de trouver un emploi non-aidé, éventuellement en étant définitivement embauché dans l’entreprise qui l’a recruté en contrat aidé, une fois ce dernier achevé.
Ce type de dispositif doit être réservé aux publics ayant le plus de difficultés à trouver un emploi en raison de leurs caractéristiques : peu qualifiés, jeunes, seniors, chômeurs de longue durée, allocataires de minima sociaux, etc. Selon l’intensité des difficultés à surmonter le taux de prise en charge, le volume horaire ou la durée du contrat peuvent être modulés.
La subvention rend ces contrats plus attractifs que les formules de droit commun, et peut aussi compenser une faible productivité du salarié : elle est calibrée afin de couvrir une fraction plus ou moins importante du salaire, pour inciter l’employeur à créer un emploi tout en embauchant un profil qu’il n’aurait pas recruté sans cette aide (effet emploi), ou afin de pourvoir un emploi qu’il aurait créé mais en recrutant un profil différent (effet de substitution). Un calibrage inadéquat peut aussi conduire à subventionner un emploi qui aurait été créé sans l’aide, tout en étant occupé par la même recrue (effet d’aubaine).
Les contrats aidés ne sont généralement pas un instrument très efficace au regard de l’insertion en emploi. Les évaluations économiques montrent que leur effet est négligeable à court terme ; ils induisent rarement des effets bénéfiques à moyen terme, leur efficacité étant parfois attestée pour des groupes très spécifiques, lorsqu’ils incluent de la formation et s’ils sont utilisés dans une conjoncture dégradée (Card et Weber, 2015).
Une préférence coupable pour l’affichage
En France, l’usage de ces contrats aidés s’est souvent abstrait de ces conditions d’efficacité. Indépendamment des cycles conjoncturels, de la situation budgétaire de l’État ou plus simplement la recherche d’une baisse du chômage à court terme ont relégué au second plan la nécessité de fixer des taux de subvention adéquats et l’objectif d’insertion en emploi (Cour des comptes, 2018).
Du côté des employeurs, les contrats aidés ont pour l’essentiel été destinés à des entités non-marchandes, moins hésitantes à embaucher des effectifs surnuméraires que les entreprises privées ; en effet ces dernières privilégiant plutôt une substitution du profil du salarié recruté, l’impact sur l’emploi et le chômage à court terme est moindre pour une enveloppe budgétaire donnée.
Le ciblage des individus et la vocation de pied à l’étrier du dispositif ont été largement mis de côté : de manière illustrative le dispositif nouveau service emploi jeunes comptait 224 000 bénéficiaires en 2001, dont 43% présents dans le dispositif depuis plus de 24 mois2 et 44% avaient un niveau de formation supérieur ou égal à Bac+2 à l’entrée dans des contrat qui pouvaient durer jusqu’à 5 ans3.
2 Entre 1997 et 2001, 22,7% des bénéficiaires ont eu contrat atteignant cette durée (Bellamy, 2002).
3 Soit une proportion supérieure à celle des diplômés de ce niveau sortant du système éducatif (37%) (Cart et Verley, 2004).
Ces pratiques peu orthodoxes n’ont pas favorisé l’efficacité de ces contrats au regard de leur objectif premier, c’est-à-dire l’accès à l’emploi (Bernard et Rey, 2017 ; Cour des comptes, 2011 ; Dubost et Farges, 2021). Selon les périodes et au fil des différentes moutures des différents types de contrats aidés, les taux de sortie positives vers l’emploi se sont échelonnés entre 35% et 45% 6 mois après la fin du contrat, dont moins de 30% en emploi durable. Sans surprise ces résultats décevants, ont suscité de dures critiques, accusés de constituer un « traitement social du chômage ».
Une addiction difficile à réduire
Comme pour tous les dispositifs addictifs, il s’est avéré très difficile de renoncer aux contrats aidés. Le repli s’est fait progressivement, à la fois en limitant les enveloppes budgétaires, en ciblant les employeurs et les bénéficiaires de manière plus restrictive, et en dégradant régulièrement les paramètres des contrats (durée maximale, temps partiel, taux de subvention). La tendance baissière a souvent été contrariée par des récessions, durant lesquelles les contrats aidés apparaissaient comme une solution de dernier recours sans réelle alternative pour les populations les plus en difficultés.
Dans la seconde moitié des années 2010 la reprise du marché du travail a ouvert une fenêtre d’opportunité pour une nouvelle réduction drastique du recours aux contrats aidés. Si la crise sanitaire a occasionné un bref regain, la conjonction d’un d’un marché du travail favorablement stimulé par la politique budgétaire très accommodante et les moyens inédits déployés en faveur de l’apprentissage ont rendu possible une nouvelle baisse des crédits alloués aux contrats aidés. Les marges de manœuvre ainsi dégagées ont été consacrées à des dispositifs d’accompagnement renforcé tels la garantie jeune ou le contrat d’engagement jeunes.
Fin de partie
Depuis la sortie de la crise sanitaire, les subventions allouées aux contrats aidés ont été discrètement rabotées, pour des motifs budgétaires plutôt qu’en raison d’un choix politique affirmé (Table 1)
PEC et CIE – Paramètres et prévisions 2023-2025 | ||||
Unité |
Année
|
|||
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2023 | 2024 | 2025 | ||
PEC | ||||
Voté en Loi de finances initiale | AE (Millions €)1 | 530 | 332 | 68,1 |
Nombre de nouveaux contrats | Loi de finances initiale | 80 000 | 66 667 | 50 000 |
Nombre de nouveaux contrats | Circulaire2 | 76 153 | 60 885 | 32 000 |
Nombre de nouveaux contrats | Observé | 63 523 | 57 226 | 8 162 |
Taux de prise en charge Métropole | % du coût | 50% | 50% | 37% |
Taux de prise en charge Outre-mer | % du coût | 60% | 60% | 43,5% |
Durée de prise en charge | Mois | 11,0 | 9,9 | 6,0 |
Durée hebdomadaire | Heures | 26,0 | 25,0 | 21,0 |
Taux de cofinancement minimum | % du coût du contrat | 15% | 15% | 17% |
CIE | ||||
Voté en Loi de finances initiale | AE (Millions €)1 | 156 | 69 | – |
Nombre de nouveaux contrats | Loi de finances initiale | 31 000 | 15 000 | – |
Nombre de nouveaux contrats | Circulaire2 | 30 165 | 13 953 | – |
Nombre de nouveaux contrats | Observé | 32 321 | 12 089 | 598 |
Taux de prise en charge Métropole | % du coût | 35% | 35% | – |
Durée de prise en charge | Mois | 9,5 | 8,3 | – |
Durée hebdomadaire | Heures | 30,0 | 28,3 | – |
Sources: Bleus budgétaires, circulaires DGEFP, Dares. | ||||
1 AE = autorisations d’engagement. | ||||
2 En début d’année une réserve de 5,5% est appliquée aux crédits votés en Loi de finances. |
L’estocade a été portée par la Loi de finances initiale 2025, qui a supprimé le contrat initiative emploi (CIE) et les emplois francs et presque totalement asséché les crédits alloués au parcours emploi compétences (PEC). La messe n’est pas complètement dite en ce sens que les crédits prévus pour ce dernier contrat lors de la présentation du budget du gouvernement Barnier ont été basculés vers l’insertion par l’activité économique (IAE) par le gouvernement Bayrou ; en effet, ce secteur d’activité a exercé une forte pression sur le gouvernement pour éviter la réduction de ses crédits, mais ceux-ci faisant partie du même « programme » que les contrats aidés ils sont « fongibles » et pourraient être rebasculés vers les PEC (qui ne sont pas formellement supprimés) s’ils n’étaient pas consommés ou qu’il faille éventuellement lutter contre une dégradation du marché du travail.
Or l’année 2024 marque un tournant conjoncturel : les créations d’emploi salarié ralentissent fortement (+ 73 000 fin 2024 contre + 190 000 fin 2023). Pour la première fois depuis une décennie — hors période Covid — l’emploi recule depuis 2 trimestres consécutifs : près de 90 000 emplois ont été détruits sur les six derniers mois4.
4 Les données d’emploi mentionnées ici sont disponibles ici. Ces données trimestrielles étant des données de fin de trimestre, une moyenne sur deux trimestres est faite.
Nul ne regrettera les contrats aidés au regard de leur faible efficacité, ni de l’usage peu orthodoxe dont ils firent trop souvent l’objet. Néanmoins la politique de l’emploi désormais appuyée sur l’apprentissage et l’IAE présente l’inconvénient d’être beaucoup plus coûteuse. En outre l’apprentissage tel qu’il est actuellement configuré ne cible pas particulièrement les publics dont les difficultés d’insertion en emploi sont les plus aiguës ; et si l’IAE permet d’inclure de tels profils, les taux d’insertion en emploi dépendent beaucoup du type de parcours suivi (Blasco, 2024). Enfin, lorsque les caractéristiques personnelles et une situation personnelle difficile se conjuguent, il restera probablement préférable de disposer d’un outil spécifique permettant a minima le maintien sur le marché du travail des publics les plus en difficultés.