Comment la dette des entreprises a évolué en France depuis 2020?

Investissement
France
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Date de publication

22 juillet 2025

Presque cinq ans après le choc économique sans précédent provoqué par la pandémie de Covid-19, et quatre ans après la crise inflationniste qui a suivi, le paysage financier des entreprises françaises est profondément transformé. Ces deux crises successives ont laissé des traces durables sur leur structure d’endettement et leur capacité d’investissement. Face à la paralysie de l’activité en 2020, les entreprises ont massivement recouru à l’endettement, notamment via les dispositifs publics tels que les Prêts Garantis par l’Etat (PGE) (Figure 1). Par la suite, la flambée des prix et la hausse rapide des taux d’intérêt ont encore accentué leur dépendance aux financements externes, tout en augmentant leur charge d’intérêt. Aujourd’hui, alors que la croissance économique reste incertaine et que les conditions de crédit se desserrent progressivement, il est essentiel d’évaluer l’impact de ces chocs sur la situation financière des entreprises. La capacité des entreprises à honorer leurs dettes dans un contexte de taux élevés, ainsi que leur marge de manœuvre pour financer de nouveaux investissements, constitue un enjeu central pour l’analyse de leur situation financière. La question n’est pas tant de savoir si les entreprises ont stabilisé leur trésorerie, mais plutôt si elles disposent aujourd’hui de marges financières suffisantes pour soutenir l’investissement, tout en absorbant les charges liées à leur endettement passé. En d’autres termes, les dettes contractées durant la crise continuent-elles de peser sur leur équilibre financier, ou bien les entreprises sont-elles parvenues à reconstituer une position de liquidité compatible avec la reprise ?

Figure 1: Endettement des SNF

Tout d’abord, structurellement, les entreprises françaises ont la caractéristique d’avoir un niveau d’endettement plus élevé que leurs homologues européennes. Plus particulièrement, le ratio a augmenté progressivement de 2015 à 2019, passant de 77% à 85% de leur valeur ajoutée. Ce ratio a explosé pendant la crise du Covid à 104% de la valeur ajoutée, notamment à cause des PGE octroyés, environ 145 milliards d’euros, durant la crise sanitaire, qui ont fortement augmenté les encours de crédit des entreprises non financières. Le ratio a été amplifié également par la forte chute de la valeur ajoutée sur cette période.

Au premier trimestre 2025, bien que ce ratio ait reculé à 90 % de la valeur ajoutée, il demeure supérieur à sa moyenne d’avant-crise et reste stable sur un an.

Évolution de l’encours de crédit des entreprises

Figure 2: Flux mensuel de crédits accordés aux SNF

L’encours de crédit des entreprises a connu deux pics majeurs d’augmentation au cours des quatre dernières années, avant de se stabiliser en 2024.

Le premier pic, prévisible, s’est produit durant la pandémie de COVID-19, lorsque les entreprises ont fait face à une paralysie brutale de leur activité et à un effondrement de leur trésorerie. Entre avril 2020 et février 2021, l’encours total de crédit a augmenté en moyenne de 12 % par mois, avec un maximum de 13 % en décembre 2020. Le flux mensuel moyen a donc été massif puisqu’il est passé de 4,6 milliards d’euros avant la crise (de 2018 à 2020) à 7,7 milliards d’euros pendant la période COVID (de mars 2020 à fin 2021) soit une hausse de plus de 68 %. Cela signifie que les entreprises ont, en moyenne, contracté 1,7 fois plus de crédits chaque mois entre mars 2020 et octobre 2021 qu’en 2019. Cette hausse a été principalement alimentée par les crédits de trésorerie, qui ont représenté près de 68 % de l’augmentation totale du flux de mars à décembre 2020.En effet, les PGE mis en place dès le deuxième trimestre de 2020 ont permis aux entreprises en difficultés qui faisaient face à une baisse massive de leur trésorerie de s’endetter relativement « facilement », entrainant une baisse des rejets de demandes de crédit. Les PGE en ont représenté 137 milliards, soit environ 76 % de cette hausse, selon la Cour des comptes1. À la fin de 2022, l’encours de trésorerie avait atteint un pic à 143 % de la moyenne de 2019.

1 Voir le rapport de la cour des comptes : « Les Prêts Garantis par l’Etat » Juillet 2022

Après une phase de croissance plus modérée, un second pic a été enregistré en octobre 2022, lié celui-ci à la crise inflationniste. Cette augmentation a été principalement portée par les crédits à l’équipement, dont les flux ont atteint près de 49,9 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année 2022. Cela correspond à un flux mensuel moyen d’environ 4,15 milliards d’euros, un niveau proche de la moyenne mensuelle de l’ensemble des crédits accordés avant la crise sanitaire (4,6 milliards d’euros). Autrement dit, les seuls crédits à l’équipement ont, à eux seuls, approché les volumes que représentaient tous les types de crédits réunis avant la pandémie. Durant cette période, au niveau macroéconomique, les entreprises ont bénéficié d’un renforcement de leur taux de marge — en partie grâce à la baisse des salaires réels — ce qui a favorisé une hausse de leur taux d’investissement. Celui-ci a atteint en moyenne 23,1 % de la valeur ajoutée des sociétés non financières (SNF) en 2022, contre 21,7 % en 2019, soutenu par des taux d’intérêt encore très faibles.

Par ailleurs, le PGE s’est parfois substitué aux crédits d’investissement traditionnels, notamment aux crédits à l’équipement. Son attractivité tenait à ses conditions particulièrement avantageuses, avec des taux d’intérêt faibles (entre 0,2 % et 0,75 % selon la durée d’amortissement) et un différé de remboursement. À titre de comparaison, les crédits à l’équipement classiques affichaient des taux moyens supérieurs à 2 % au deuxième trimestre 20212. Ainsi, bien que les crédits à l’équipement aient fortement progressé par la suite, leur croissance aurait pu être encore plus marquée sans cette substitution temporaire.

2 De plus, les banques ont favorisé la distribution des PGE, qui, grâce à la garantie de l’État, leur permettaient de réduire leurs exigences prudentielles.

Depuis début 2024, les flux de crédits ont ralenti, se stabilisant à des niveaux inférieurs à ceux observés avant la crise. Sur les six premiers mois de l’année 2025, les nouveaux crédits ont progressé en moyenne de 2 % par mois. Malgré ce ralentissement, les volumes cumulés restent soutenus : le flux total sur cette période, qui s’élève à 6 591 millions d’euros, demeure nettement supérieur à celui enregistré en 2019. Les crédits de trésorerie, bien qu’en repli depuis mi-2023, avec des flux mensuels devenus négatifs (visible dans la partie violette du graphique), affichent un flux cumulé de -7 952 millions d’euros sur cette période, témoignant d’un désengagement marqué. Toutefois, en cumul depuis 2020, leur niveau reste environ 25 % au-dessus de celui observé en 2019. En ce qui concerne les autres types de crédits, les crédits à l’équipement totalisent 3 574 millions d’euros, tandis que les crédits immobiliers s’élèvent à 10 230 millions sur cette même période.

Taux de croissance annuel (%)
Long terme 2020-2022 2023 - T2:2025
Trésorerie 2.8 12.5 -3.0
Equipement 5.7 6.1 4.6
Total 4.9 7.6 2.9
Note : Les valeurs représentent les valeurs moyennes sur la période donnée. La période de long terme s'étend de la première donnée disponible jusqu'à janvier 2020.
Source : BDF, calculs OFCE

Analyse des crédits aux sociétés non financières

Retour sur la hausse historique des taux d’intérêt

Entre 2013 et 2019, les taux d’intérêt des nouveaux crédits aux entreprises ont évolué de manière relativement stable, dans un contexte économique favorable. Les variations observées restaient contenues, souvent en lien avec les ajustements de politique monétaire dans un environnement de croissance modérée. Malgré certaines hausses, les conditions de financement demeuraient globalement accessibles, et les entreprises semblaient peu contraintes par les évolutions du coût du crédit.

À partir de 2020, avec l’irruption de la pandémie, les taux ont fortement diminué et se sont maintenus à des niveaux exceptionnellement bas. Ce phénomène s’explique en grande partie par les mesures de soutien mises en place, en particulier les PGE. Les taux appliqués à ces dispositifs étaient souvent inférieurs à 1 %, ce qui a contribué à un maintien artificiellement bas du coût du crédit, indépendamment de la conjoncture.

À compter de juillet 2022, la Banque centrale européenne engage un resserrement de sa politique monétaire pour faire face à la montée de l’inflation. Cette inflexion se traduit par une hausse marquée des taux d’intérêt. Malgré cela, les entreprises ont continué, dans un premier temps, à solliciter des financements jusqu’à la fin de l’année, probablement dans une logique d’anticipation d’un durcissement ultérieur des conditions de crédit.

Depuis le début de l’année 2023, la hausse des taux s’est poursuivie de manière continue. Cette dynamique s’accompagne d’un ralentissement progressif des demandes de nouveaux crédits, traduisant une situation où le coût du financement devient un facteur de plus en plus contraignant pour les entreprises. Le graphique montre nettement cette évolution mois après mois, avec un écart croissant entre la progression des taux et le recul de l’activité de crédit.

Depuis juin 2024, la Banque centrale européenne a amorcé un cycle de baisse de ses taux directeurs, après une période prolongée de resserrement monétaire. Cette orientation s’est traduite par une série de baisses successives : le taux de la facilité de dépôt est passé de 3,00 % en décembre 2024 à 2,00 % en juin 2025, tandis que le taux des opérations principales de refinancement a reculé de 3,15 % à 2,15 %, et celui de la facilité de prêt marginal de 3,40 % à 2,40 % sur la même période.

Malgré cette inflexion, le recul des taux directeurs ne s’est que partiellement répercuté sur le coût de financement des entreprises, encore contraint en 2024 par des taux longs élevés. En décembre 2024, le taux d’intérêt moyen des nouveaux crédits bancaires s’établissait à 4,2 %. Cette détente s’est toutefois poursuivie en 2025, avec un repli progressif : le taux moyen est ainsi passé de 4,05 % en janvier à 3,61 % en avril, traduisant une amélioration progressive des conditions d’accès au crédit. Ce mouvement reste néanmoins dépendant de l’évolution des anticipations de marché et de la trajectoire d’inflation dans la zone euro.

Figure 3: Évolution des taux d’intérêt des nouveaux crédits (%)

Taux fixe, taux variable et maturité : une exposition différenciée à la hausse des taux

Analyse des crédits
Durée moyenne, taux d'intérêt et part fixe
Durée Moyenne (Mois)
Taux d'intérêt (%)
Part fixe (%)
Long terme 2020-2022 2023 - T2:2025 Long terme 2020-2022 2023 - T2:2025 Long terme 2020-2022 2023 - T2:2025
Trésorerie 25.2 20.1 17.3 2.9 1.5 4.3 34.6 37.1 37.3
Equipement 112.2 100.4 91.0 2.9 1.5 4.3 80.2 74.1 68.9
Note : Les valeurs représentent les moyennes sur la période donnée. La période de long terme commence à des dates différentes selon les sources de données : - Données de crédit : janvier 2004 - Durée moyenne et Part fixe: janvier 2011. Toutes les séries sont arrêtées en décembre 2019. Source : Banque de France, calculs OFCE

Les modalités de financement des entreprises ont significativement évolué ces dernières années, en particulier en ce qui concerne la part des crédits accordés à taux fixe. Pour les crédits de trésorerie, cette part est historiquement faible : elle s’établit à 34,6 % sur le long terme, a légèrement progressé à 37,1 % entre 2020 et 2022, puis s’est stabilisée autour de 37,3 % sur la période récente (2023 - T2 2025). Cela signifie qu’environ deux tiers des crédits de trésorerie sont aujourd’hui contractés à taux variable ou révisable. À l’inverse, les crédits à l’équipement affichent une part bien plus élevée de taux fixes : 80,2 % sur le long terme, 74,1 % entre 2020 et 2022, et 68,9 % récemment. Bien qu’en baisse, cette part reste largement majoritaire et témoigne d’une préférence pour des conditions sécurisées lorsqu’il s’agit de financer des investissements de long terme.

Cette différence structurelle entre les deux types de crédits a eu des conséquences majeures durant la phase de resserrement monétaire. Lorsque les taux directeurs ont été relevés, les crédits à taux variable ont vu leur coût s’ajuster rapidement à la hausse, exposant davantage les emprunteurs. Cette sensibilité a été particulièrement marquée pour les crédits de trésorerie, majoritairement à taux variable, alors qu’elle est restée atténuée pour les crédits d’équipement, généralement à taux fixe. Avec l’inflexion récente des taux, cet effet s’estompe progressivement, mais les écarts d’exposition demeurent visibles.

L’évolution des taux d’intérêt illustre cette dynamique : après une période prolongée de taux bas — en moyenne 1,5 % entre 2020 et 2022 pour les nouveaux crédits, qu’ils soient de trésorerie ou d’équipement — les taux ont connu une hausse brutale pour atteindre 4,3 % récemment (2023 - T2 2025), un niveau comparable à la moyenne de long terme (2,9 %). Cette montée des taux affecte logiquement davantage les entreprises dont les financements sont indexés, renforçant mécaniquement leur charge d’intérêts.

En parallèle, la durée moyenne des crédits a également diminué, ce qui vient renforcer l’effet du resserrement. Les crédits de trésorerie, historiquement courts, ont vu leur maturité reculer de 25,2 mois à 17,3 mois sur la période récente. Ce raccourcissement témoigne d’un durcissement des conditions de financement, d’une volonté des établissements bancaires de limiter leur exposition dans un contexte incertain, mais aussi d’un recours plus fréquent à des financements ponctuels. Pour les crédits à l’équipement, la baisse de maturité est plus modérée : de 112,2 mois sur le long terme à 91 mois récemment. Leur durée reste largement supérieure, en cohérence avec leur objet d’investissement à long terme. Si l’on regarde plus globalement l’analyse de la Banque de France3 sur le stock total de dette des entreprises françaises avant la remontée des taux (entre 2021 et 2023) on observe une structure d’endettement plus sécurisée que la moyenne de la zone euro. En effet, la part des emprunts à taux variable y reste inférieure à 30 %, tandis que la maturité médiane dépasse 4 ans. À l’inverse, plusieurs économies d’Europe centrale et balte — comme l’Estonie, la Lituanie ou la Lettonie — se caractérisent par une quasi-totalité de dettes à taux variable et des échéances très courtes, les rendant particulièrement sensibles aux hausses de taux d’intérêt.

3 Voir « Structure de dette et hausse des taux, le cas des entreprises européennes » (Maxime Gueuder et Sébastien Ra),

Ainsi, le lien entre taux fixe/variable, niveau des taux d’intérêt et maturité est déterminant pour comprendre l’impact du resserrement monétaire sur les entreprises. Celles qui ont eu recours à des financements à court terme et à taux variable — notamment pour leur trésorerie — sont aujourd’hui les plus exposées à la hausse des taux, avec un renchérissement rapide et important de leur charge d’intérêt. À l’inverse, les entreprises ayant opté pour des crédits d’équipement à taux fixe bénéficient d’une forme de protection, amortissant ainsi l’effet prix de la politique monétaire sur leur structure de dette.

Évolution de la charge d’intérêt des entreprises

La charge d’intérêt des entreprises a connu une hausse spectaculaire en deux vagues distinctes. La première vague, liée à la crise du COVID, a été relativement modérée grâce à des conditions de financement favorables, notamment les prêts garantis par l’État et des taux d’intérêt historiquement bas. Cependant, depuis 2023, selon l’INSEE, la charge d’intérêt a explosé sous l’effet de la forte augmentation des taux d’intérêt. En deux ans, cette charge est passée de 18,5 milliards d’euros au deuxième trimestre 2022 à 32,1 milliards d’euros au premier trimestre 2025. Ainsi cette augmentation s’explique par un double effet : l’effet volume, dû à la hausse du stock d’encours, et l’effet prix, lié à l’augmentation des taux d’intérêt.

Par ailleurs, la charge nette d’intérêt (après déduction des intérêts reçus) a suivi une trajectoire similaire, progressant de 3,2 milliards d’euros fin 2022 à 14,3 milliards d’euros au premier trimestre 2025. Le ratio de la charge d’intérêt rapportée à la valeur ajoutée des sociétés non financières (SNF) a atteint un niveau historique de 4 % au deuxième trimestre 2024, contre une moyenne de 1,5 % sur la période 2010-2019.

Toutefois, ce constat du risque mérite d’être relativisé à la lumière de la structure de l’endettement des entreprises françaises. En effet, comme dit précédemment, une part importante de leur dette est contractée à taux fixe et sur des échéances longues, ce qui limite la transmission immédiate des hausses de taux d’intérêt à leurs charges financières. Ainsi, bien que les taux des nouveaux crédits aient fortement augmenté depuis 2022, le coût effectif moyen de la dette a progressé de manière bien plus modérée. Par ailleurs, la rémunération croissante des dépôts a partiellement compensé cette hausse, atténuant la charge nette d’intérêt. Le ratio « résultat d’exploitation / charges d’intérêt nettes », indicateur de soutenabilité, reste globalement stable, autour de 1,5% de la valeur ajoutée pour les petites et moyennes entreprises et la proportion de PME en situation de vulnérabilité financière n’a pas augmenté4.

4 Pour plus de détails, voir le Rapport annuel de l’Observatoire du financement des entreprises 2024

Cinq ans après le début de la pandémie de Covid-19, la trajectoire d’endettement des entreprises françaises témoigne d’une transformation profonde de leur structure financière. D’abord portées par une dette de crise bon marché (notamment via les PGE), les entreprises ont ensuite dû affronter une montée brutale des taux d’intérêt, ce qui a fait exploser leur charge d’intérêt. Malgré une amélioration récente des conditions monétaires et un ralentissement des flux de crédits, la normalisation reste incomplète. Par ailleurs, à fin mai 2025, le nombre de défaillances d’entreprises stagne à des niveaux records, avec près de 67 000 cas cumulés sur 12 mois, reflétant une persistance des difficultés, notamment pour les ETI (entreprises de taille intémerdiaire) et grandes entreprises. En somme, même si l’endettement a cessé de croître aussi rapidement et si certaines tensions se relâchent, le poids des dettes contractées pendant les crises pourrait rester un frein pour la reprise de l’investissement productif. La situation financière des entreprises reste donc fragile, et leur résilience dépendra étroitement de l’évolution des conditions de crédit, mais aussi de leur capacité à reconstituer leurs marges et leur autofinancement dans un environnement économique encore incertain.