Révision des multiplicateurs et révision des prévisions – du discours aux actes ?

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par Bruno Ducoudré

A la suite du FMI et de la Commission européenne (CE), l’OCDE a elle aussi revu très récemment à la baisse sa prévision de croissance du PIB de la zone euro en 2012 (-0,4% contre -0,1% en avril 2012) et en 2013 (-0,1% contre +0,9% en avril 2012). Dans son dernier exercice de prévision, l’OCDE affirme désormais partager avec les autres institutions internationales (FMI[i] et CE[ii]) l’idée que les multiplicateurs sont aujourd’hui élevés en zone euro[iii] : l’austérité budgétaire opérée simultanément dans l’ensemble des pays de la zone alors que la conjoncture est déjà dégradée, combinée à une Banque centrale européenne disposant de très peu de marges de manœuvre pour baisser encore son taux d’intérêt, conduit à augmenter l’impact de la consolidation budgétaire actuelle sur l’activité économique.

Ce revirement de positionnement des trois institutions pose deux questions :

  • quels sont les facteurs principaux conduisant à la révision des prévisions de croissance ? Compte tenu de l’ampleur des politiques d’austérité menées en zone euro, on peut dès lors s’attendre à ce que les révisions de prévision des impulsions budgétaires soient un déterminant majeur des révisions de prévisions de croissance. Ces révisions sont ainsi le premier facteur explicatif des révisions de prévision de croissance de l’OFCE pour la France en 2012.
  • Ce changement de discours se traduit-il concrètement par une révision à la hausse des multiplicateurs utilisés lors des exercices de prévision ? Généralement, ces institutions ne précisent pas la taille des multiplicateurs utilisés en prévision. L’analyse des révisions de prévisions pour la zone euro en 2012 et 2013 peut cependant nous indiquer dans quelle mesure les multiplicateurs ont bien été révisés à la hausse.

Le graphique ci-dessous montre qu’entre la prévision réalisée en avril de l’année N-1 pour la zone euro et la dernière prévision disponible pour l’année N, les trois instituts ont révisé très fortement à la baisse leur prévision de -2,3 points en moyenne pour 2012 et de -0,9 point en moyenne pour 2013.

Dans le même temps, les impulsions budgétaires ont aussi été révisées, de -0,6 point de PIB pour l’OCDE à -0,8 point de PIB pour le FMI pour l’année 2012, et de -0,8 point pour la Commission à +0,2 point pour l’OCDE en 2013, ce qui explique une partie des révisions de croissance pour ces deux années.

Comparativement, pour 2012 l’OFCE est l’institut qui a le moins révisé sa prévision de croissance, mais qui a le plus changé sa prévision d’impulsion budgétaire (-1,7 point de PIB prévu en octobre 2012 contre -0,5 point de PIB prévu en avril 2011, soit une révision de -1,2 point). Par contre pour 2013, la révision de prévision de croissance est similaire pour tous les instituts, mais les révisions d’impulsions sont très différentes. Ces divergences peuvent ainsi provenir pour partie de la révision des multiplicateurs.

Les révisions des prévisions de croissance ğ peuvent être décomposées en plusieurs termes :

  • Une révision de l’impulsion budgétaire IB, notée ΔIB ;
  • Une révision du multiplicateur k, notée Δk, k0 étant le multiplicateur initial et k1 le multiplicateur révisé ;
  • Une révision de la croissance spontanée en zone euro (hors effet de la politique budgétaire), des impulsions budgétaires hors de la zone euro… Δe

La révision de prévision de l’OFCE de -1,5 point pour l’année 2012 intervenue entre avril 2011 et octobre 2012 se décompose ainsi en -1,3 point de révision des impulsions budgétaires, et -0,3 point provenant de la révision à la hausse du multiplicateur (tableau). La somme des effets des autres sources de révision ajoute 0,1 point de croissance en 2012 par rapport à la prévision réalisée en avril 2011. Par contre, pour 2013 la révision s’explique principalement par la hausse de la taille du multiplicateur.

Concernant les institutions internationales, tous ces éléments (taille du multiplicateur, croissance spontanée, …) ne nous sont pas connus, mais les impulsions budgétaires le sont. Il y a alors plusieurs cas polaires permettant d’inférer un intervalle pour les multiplicateurs utilisés en prévision. De plus, si ce sont principalement les révisions d’impulsion budgétaire et les révisions de taille du multiplicateur qui sont la source de la révision des prévisions de croissance, on peut en première approximation faire l’hypothèse Δe = 0. On peut alors calculer le multiplicateur implicite tel que l’ensemble de la révision est attribué à la révision des impulsions budgétaires, et celui tel que la révision se partage entre révision du multiplicateur et révision de l’impulsion.

Attribuer l’ensemble des révisions de prévisions pour 2012 à la révision des impulsions impliquerait des multiplicateurs initiaux très élevés, de l’ordre de 2,5 pour le FMI à 4,3 pour l’OCDE (tableau), ce qui n’est pas cohérent avec l’analyse du FMI (qui évalue le multiplicateur actuel entre 0,9 et 1,7). Par contre l’ordre de grandeur des multiplicateurs inférés pour le FMI (1,4) et la Commission (1,1) pour l’année 2013 paraît plus proche du consensus actuel, si on regarde l’état actuel de la littérature sur la taille des multiplicateurs.

On peut aussi faire l’hypothèse que la Commission, l’OCDE et le FMI se basaient dans le passé récent sur les multiplicateurs issus de modèles DSGE, multiplicateurs qui sont généralement faibles, de l’ordre de 0,5[1]. En retenant cette valeur pour le premier exercice de prévision (avril 2011 pour l’année 2012 et avril 2012 pour l’année 2013), on peut calculer un multiplicateur implicite tel que l’ensemble des révisions se décompose entre la révision de l’impulsion et la révision du multiplicateur. Ce multiplicateur serait alors compris entre 2,8 (OCDE) et 3,6 (CE) pour l’année 2012, tandis qu’il serait compris entre 1,3 (OCDE et FMI) et 2,8 (CE) pour 2013.

 

Les révisions de prévision pour l’année 2012 ne sont pas principalement issues d’une révision conjointe des impulsions budgétaires et de la taille des multiplicateurs. Une part importante des révisions de croissance provient aussi d’une révision à la baisse de la croissance spontanée. Supposons maintenant que les multiplicateurs finaux valent 1,3 (soit la moyenne des bornes de l’intervalle estimé par le FMI) ; la révision de la croissance spontanée en zone euro compte alors pour plus de 50 % de la révision de prévision pour la zone euro en 2012, ce qui traduit un biais d’optimisme commun à la Commission, l’OCDE et le FMI. En comparaison, la révision de croissance spontanée compte pour moins de 10 % dans la révision de prévision de l’OFCE pour l’année 2012.

Par contre, la taille des multiplicateurs inférés à partir des révisions de prévision pour 2013 apparaît en rapport avec l’intervalle calculé par le FMI – de l’ordre de 1,1 pour la Commission, 1,3 pour l’OCDE et 1,3 à 1,4 pour le FMI. Les révisions des prévisions de croissance pour 2013 peuvent dès lors s’expliquer principalement par la révision des impulsions budgétaires prévues et la hausse des multiplicateurs utilisés. En ce sens, la controverse sur la taille des multiplicateurs s’est donc bien traduite par un relèvement de la taille des multiplicateurs utilisés en prévision par les grands instituts internationaux.


[1] Voir par exemple Commission européenne (2012) : « Report on public finances in EMU », European Economy n°2012-4. Plus précisément, le multiplicateur issu du modèle QUEST de la Commission européenne vaut 1 la première année pour un choc permanent portant sur les investissements publics ou les traitements des fonctionnaires, 0,5 pour les autres dépenses publiques, et moins de 0,4 pour les impôts et transferts.


[i] Voir par exemple, à la page 41 des Perspectives Economiques Mondiales du FMI d’octobre 2012 : « The main finding (…) is that the multipliers used in generating growth forecasts have been systematically too low since the start of the Great Recession, by 0.4 to 1.2, depending on the forecast source and the specifics of the estimation approach. Informal evidence suggests that the multipliers implicitly used to generate these forecasts are about 0.5. So actual multipliers may be higher, in the range of 0.9 to 1.7. »

[ii] Voir par exemple, à la page 115 du Rapport sur les Finances Publiques en UEM de la Commission Européenne : « In addition, there is a growing understanding that fiscal multipliers are non-linear and become larger in crisis periods because of the increase in aggregate uncertainty about aggregate demand and credit conditions, which therefore cannot be insured by any economic agent, of the presence of slack in the economy, of the larger share of consumers that are liquidity constrained, and of the more accommodative stance of monetary policy. Recent empirical works on US, Italy Germany and France confirm this finding. It is thus reasonable to assume that in the present juncture, with most of the developed economies undergoing consolidations, and in the presence of tensions in the financial markets and high uncertainty, the multipliers for composition-balanced permanent consolidations are higher than normal. »

[iii] Voir par exemple, à la page 20 des Perspectives Economiques de l’OCDE de novembre 2012 : « The size of the drag reflects the spillovers that arise from simultaneous consolidation in many countries, especially in the euro area, increasing standard fiscal multipliers by around a third according to model simulations, and the limited scope for monetary policy to react, possibly increasing the multipliers by an additional one-third. »