L’austérité maniaco-dépressive, parlons-en !

Par Christophe Blot, Jérôme Creel, Xavier Timbeau

A la suite d’échanges avec nos collègues de la Commission européenne[1], nous revenons sur les causes de la longue période de récession que traverse la zone euro depuis 2009. Nous persistons à penser que l’austérité budgétaire précoce a été une erreur majeure de politique économique et qu’une politique alternative aurait été possible. Les économistes de la Commission européenne continuent pour leur part de soutenir qu’il n’existait pas d’alternative à cette stratégie qu’ils ont préconisée. Ces avis divergents méritent qu’on s’y arrête.

Dans le rapport iAGS 2014 (mais aussi dans le rapport iAGS 2013 ou dans différentes publications de l’OFCE), nous avons développé l’analyse selon laquelle la forte austérité budgétaire entreprise depuis 2010 a prolongé la récession, contribué à la hausse du chômage dans les pays de la zone euro et  nous expose désormais au risque de déflation et à une augmentation de la pauvreté.

Amorcée en 2010 (principalement en Espagne, en Grèce, en Irlande ou au Portugal, l’impulsion budgétaire[2] a été pour la zone euro de -0,3 point de PIB cette année-là), puis accentuée et généralisée en 2011 (impulsion budgétaire de -1,2 point de PIB à l’échelle de la zone euro, voir tableau), renforcée en 2012 (-1,8 point de PIB) et poursuivie en 2013 (-0,9 point de PIB), l’austérité budgétaire devrait persister en 2014 (-0,4 point de PIB). A l’échelle de la zone euro, depuis le début de la crise financière internationale de 2008, et en comptabilisant les plans de relance de l’activité de 2008 et 2009, le cumul des impulsions budgétaires se résume à une politique restrictive de 2,6 points de PIB. Parce que les multiplicateurs budgétaires sont élevés, une telle politique explique en (grande) partie la prolongation de la récession en zone euro.

Les multiplicateurs budgétaires synthétisent l’impact d’une politique budgétaire sur l’activité[3]. Ils dépendent de la nature de la politique budgétaire (selon qu’elle porte sur des hausses d’impôts, des baisses de dépenses, en distinguant les dépenses de transfert, de fonctionnement ou d’investissement), des politiques d’accompagnement (principalement de la capacité de la politique monétaire à baisser ses taux directeurs pendant les cures d’austérité), et de l’environnement macroéconomique et financier (notamment du taux de chômage, des politiques budgétaires menées par les partenaires commerciaux, de l’évolution du taux de change et de l’état du système financier).  En temps de crise, les multiplicateurs budgétaires sont beaucoup plus élevés, au moins 1,5 pour le multiplicateur de dépenses de transfert, contre presque 0 à long terme en temps normal. La raison en est assez simple : en temps de crise, la paralysie du secteur bancaire et son incapacité à fournir le crédit nécessaire aux agents économiques pour faire face à la chute de leurs revenus ou à la dégradation de leurs bilans oblige ces derniers à respecter leur contrainte budgétaire, non plus intertemporelle, mais instantanée. L’impossibilité de généraliser des taux d’intérêt nominaux négatifs (la fameuse « Zero Lower Bound ») empêche les banques centrales de stimuler les économies par des baisses supplémentaires de taux d’intérêt, ce qui renforce l’effet multiplicateur pendant une cure d’austérité.
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Si les multiplicateurs budgétaires sont plus élevés en temps de crise, la réduction raisonnée de la dette publique implique le report des politiques budgétaires restrictives. Il faut d’abord sortir de la situation qui provoque la hausse du multiplicateur, et dès que l’on est à nouveau dans une situation « normale », réduire la dette publique par une politique budgétaire restrictive. Ceci est d’autant plus important que la réduction d’activité induite par la politique budgétaire restrictive peut l’emporter sur l’effort budgétaire. Pour une valeur du multiplicateur supérieure à 2, le déficit budgétaire et la dette publique, au lieu de baisser, peuvent continuer de croître malgré l’austérité. Le cas de la Grèce est à ce titre édifiant : malgré des hausses effectives d’impôts et des baisses effectives de dépenses, et malgré une restructuration partielle de sa dette publique, l’Etat grec est confronté à un endettement public qui ne décroît pas, loin de là, au rythme des restrictions budgétaires imposées. La « faute » en revient à la chute abyssale du PIB.

Le débat sur la valeur des multiplicateurs est ancien et a été réactivé dès le début de la crise[4].  Il a connu à la fin de l’année 2012 et au début de l’année 2013 une grande publicité puisque le FMI (par la voix d’O. Blanchard et D. Leigh) a interpellé la Commission européenne en montrant que ces deux institutions avaient, depuis 2008, systématiquement sous-estimé l’impact des politiques d’austérité sur les pays de la zone euro. La Commission européenne a recommandé des remèdes qui n’ont pas fonctionné et a appelé à les renforcer à chaque échec. C’est la raison pour laquelle les politiques budgétaires poursuivies en zone euro ont été une erreur d’appréciation considérable et sont la cause principale de la récession prolongée que nous traversons. L’ampleur de cette erreur peut être estimée à presque 3 points de PIB d’activité pour l’année 2013 (ou presque 3 points de chômage) : si l’austérité avait été reportée à des temps plus favorables, on aurait atteint le même ratio de dette par rapport au PIB à l’horizon imposé par les traités (en 2032), mais en bénéficiant d’un surcroît d’activité. Le coût de l’austérité depuis 2011 est ainsi de presque 500 milliards d’euros (le cumul de ce qui a été perdu en 2011, 2012 et 2013). Les presque 3 points de chômage supplémentaires en zone euro sont aujourd’hui ce qui nous expose au risque d’une déflation dont il sera très difficile de sortir.

Bien qu’elle suive ces débats sur la valeur du multiplicateur, la Commission européenne (et dans une certaine mesure le FMI) a développé une autre analyse pour justifier le choix de politique économique de la zone euro. Cette analyse conclut que les multiplicateurs budgétaires sont pour la zone euro et pour la zone euro seulement, négatifs en temps de crise. Suivant cette analyse, l’austérité aurait réduit le chômage. Pour aboutir à ce qui nous semble être un paradoxe, il faut accepter un contrefactuel particulier (ce qui se serait passé si l’on n’avait pas mené des politiques d’austérité). Par exemple, dans le cas de l’Espagne, sans efforts budgétaires précoces, les marchés financiers auraient menacé de ne plus prêter pour financer la dette publique espagnole. La hausse des taux d’intérêt exigés par les marchés financiers à l’Espagne aurait alors obligé son gouvernement à une restriction budgétaire brutale ; le secteur bancaire n’aurait pas résisté à l’effondrement de la valeur des actifs obligataires de l’Etat espagnol et le renchérissement du coût du crédit, dû à une fragmentation des marchés financiers en Europe, aurait provoqué en Espagne une crise sans commune mesure avec celle qu’elle a connue. Dans ce schéma d’analyse, l’austérité préconisée n’est pas le fruit d’un aveuglement dogmatique mais l’aveu d’une absence de choix. Il n’y aurait pas d’autre solution, et dans tous les cas, le report de l’austérité n’était pas une option crédible.

Accepter ce contrefactuel de la Commission européenne revient à accepter l’idée selon laquelle les multiplicateurs budgétaires sont négatifs. Cela revient aussi à accepter l’idée d’une domination de la finance sur l’économie ou, du moins, que le jugement sur la soutenabilité de la dette publique doit être confié aux marchés financiers. Toujours selon ce contrefactuel, une austérité précoce et franche permettrait de regagner la confiance des marchés et, en conséquence, éviterait la dépression profonde. En comparaison d’une situation de report de l’austérité, la récession induite par la restriction budgétaire précoce et franche donnerait lieu à moins de chômage et à plus d’activité. Cette thèse du contrefactuel nous a été ainsi opposée dans un séminaire de discussion du rapport iAGS 2014 organisé par la Commission européenne (DGECFIN), le 23 janvier 2014. Des simulations présentées à cette occasion illustraient le propos et concluaient que la politique d’austérité menée avait été profitable pour la zone euro, justifiant a posteriori la politique suivie. L’effort accompli a permis de mettre un terme à la crise des dettes souveraines en zone euro, condition préalable pour espérer sortir un jour de la dépression amorcée en 2008.

Dans le rapport iAGS 2014, rendu public en novembre 2013, nous répondions (par anticipation) à cette objection à partir d’une analyse très différente : l’austérité massive n’a pas permis de sortir de la récession, contrairement à ce qui avait été anticipé par la Commission européenne à l’issue de ses différents exercices de prévision. L’annonce des plans d’austérité en 2009, leur mise en place en 2010 ou leur renforcement en 2011 n’ont jamais convaincu les marchés financiers et n’ont pas empêché l’Espagne ou l’Italie d’avoir à faire face à des taux souverains de plus en plus élevés. La Grèce, qui a effectué une restriction budgétaire sans précédent, a projeté son économie dans une dépression bien plus profonde que la Grande Dépression, sans rassurer qui que ce soit. Les acteurs des marchés financiers comme tous les autres observateurs avisés ont bien compris que le remède de cheval ne pouvait que tuer le malade avant de le guérir. La poursuite de déficits publics élevés est en grande partie due à un effondrement de l’activité. La panique des marchés financiers face à une dette incontrôlée accentue la spirale de l’effondrement en augmentant la charge d’intérêt.

La solution ne consiste pas à préconiser plus d’austérité, mais à briser le lien entre la dégradation de la situation budgétaire et la hausse des taux d’intérêt souverains. Il faut rassurer les épargnants sur le fait que le défaut de paiement n’aura pas lieu et que l’Etat est crédible quant au remboursement de sa dette. S’il faut pour cela reporter le remboursement de la dette à plus tard, et si l’Etat est crédible dans ce report, alors, le report est la meilleure solution.

Pour assurer cette crédibilité, l’intervention de la Banque centrale européenne durant l’été 2012, la mise en marche du projet d’union bancaire, l’annonce du dispositif d’intervention illimitée de la BCE sous l’appellation d’OMT (Creel et Timbeau (2012)), conditionnelle à un programme de stabilisation budgétaire, ont été cruciales. Ces éléments ont convaincu les marchés, presque immédiatement, malgré leur flou institutionnel (notamment sur l’union bancaire et la situation des banques espagnoles, ou sur le jugement de la Cour constitutionnelle allemande à propos du montage européen), et bien que l’OMT ne soit qu’une option n’ayant jamais été mise en œuvre (en particulier, on ne sait pas ce que serait un programme de stabilisation des finances publiques conditionnant l’intervention de la BCE). En outre, au cours de l’année 2013, la Commission européenne a négocié avec certains Etats membres (Cochard et Schweisguth (2013)) des reports de l’ajustement budgétaire. Ce premier pas timide vers les solutions proposées dans les deux rapports iAGS a rencontré l’assentiment des marchés financiers sous la forme d’une détente des écarts de taux souverains en zone euro.

Contrairement à notre analyse, le contrefactuel envisagé par la Commission européenne, qui nie la possibilité d’une alternative, s’inscrit dans un cadre institutionnel[5] inchangé. Pourquoi prétendre que la stratégie macroéconomique doit être strictement conditionnée aux contraintes institutionnelles ? S’il faut faire des compromis institutionnels pour permettre une meilleure orientation des politiques économiques et parvenir in fine à une meilleure solution en termes d’emploi et de croissance, alors il faut suivre cette stratégie. Parce qu’elle n’interroge pas les règles du jeu en termes politiques, la Commission ne peut que se soumettre aux impératifs de rigueur. Cette forme d’entêtement apolitique aura été une erreur et, sans le moment « politique » de la BCE, la Commission nous conduisait dans une impasse. La mutualisation implicite des dettes publiques, concrétisée par l’engagement de la BCE à prendre toutes les mesures nécessaires pour soutenir l’euro (le « Draghi put »), ont modifié le lien entre dette publique et taux d’intérêt souverains pour chaque pays de la zone euro. Il est toujours possible d’affirmer que la BCE n’aurait jamais pris cet engagement si les pays n’avaient pas engagé la consolidation à marche forcée. Mais un tel argument n’empêche pas de discuter du prix à payer pour que le compromis institutionnel soit mis en place. Les multiplicateurs budgétaires sont bien positifs (et largement) et la bonne politique était bien le report de l’austérité. Il y avait une alternative et la politique poursuivie a été une erreur. C’est peut-être l’ampleur de cette erreur qui la rend difficile à reconnaître.

 


[1] Nous tenons à remercier Marco Buti pour son invitation à présenter le rapport iAGS 2014, ainsi que pour ses suggestions, et Emmanuelle Maincent, Alessandro Turrini et Jan in’t Veld pour leurs commentaires.

[2] L’impulsion budgétaire mesure l’orientation restrictive ou expansionniste de la politique budgétaire. Elle est calculée comme la variation du solde structurel primaire.

[3] Ainsi, pour un multiplicateur de 1,5, une restriction budgétaire de 1 milliard d’euros réduit l’activité de 1,5 milliard d’euros.

[4] Voir Heyer (2012) pour une revue récente de la littérature.

[5] Le cadre institutionnel est ici entendu au sens-large. Il ne s’agit pas seulement des institutions en charge des décisions de politique économique mais également des règles adoptées par ces institutions. L’OMT est un exemple de changement de règle adopté par une institution. Le renforcement des règles budgétaires est un autre facteur de changement de cadre institutionnel.




Que valent les multiplicateurs budgétaires aujourd’hui ?

par Xavier Timbeau

Nous avons hérité de la crise des déficits publics plus élevés et des dettes publiques largement augmentées (tableau 1). Pour résorber ces déficits et dettes publics issus de la crise, un effort budgétaire important s’impose. Mais un effort trop brutal et trop rapide aura un effet dépressif sur l’activité et prolongera la crise, ce qui compromettra à la fois le redressement budgétaire mais également enfermera les économies dans une spirale récessive. La valeur du multiplicateur budgétaire (le lien entre la politique budgétaire et l’activité) tant dans le court terme que dans le long terme est un paramètre critique tant pour la stabilisation des finances publiques que pour le retour au plein emploi.

Déficits et dettes publics 2007-2012

 

Lorsque le multiplicateur (à court terme) est supérieur à approximativement 2 (en fait  1/a, a étant la sensibilité du solde public à la conjoncture et valant à peu près 0,5 dans les pays développés), alors une restriction produit une baisse de l’activité telle que le déficit public à court terme s’accroît avec la restriction budgétaire. Lorsque le multiplicateur est supérieur à approximativement 0,7 (en fait, 1/(a+d), d étant le ratio dette sur PIB), une restriction budgétaire augmente à court terme le ratio dette sur PIB.  A plus long terme, les choses se compliquent et seule une modélisation détaillée peut aider à comprendre dans quel cas une restriction budgétaire aujourd’hui conduit durablement à une réduction du ratio dette sur PIB. La valeur du multiplicateur à moyen terme est bien sûr décisive (elle est généralement supposée nulle, mais dans le cas d’investissement public profitable, cette hypothèse ne tient pas), mais les effets d’hystérèse tout comme les évolutions des anticipations d’inflation ou celles des taux d’intérêt souverains (et donc de l’écart critique) interagissent avec l’évolution de la dette et du PIB.

Jusqu’à peu, la plupart des économistes considéraient que la valeur du multiplicateur dépendait de la composition de la stimulation budgétaire (impôts, dépenses, nature des impôts ou des dépenses), de la taille de l’économie et de son degré d’ouverture (plus l’économie est ouverte moins le multiplicateur y est grand) et du caractère anticipé ou non du choc budgétaire (anticipé, un choc aurait peu d’effet, dans le long terme, il n’en aurait aucun, seul un choc inattendu aurait un effet temporaire)[1]. Une littérature récente (depuis 2009) s’est intéressée à la valeur du multiplicateur budgétaire à court terme en temps de crise. Deux conclusions principales s’en dégagent :

  1. Le multiplicateur est plus élevé en « temps de crise » (à court terme ou tant que dure la crise…). En « temps de crise » signifie un chômage élevé ou un écart de production très creusé. Un autre symptôme peut être une situation où les taux d’intérêt long sûrs sont très bas (i.e. négatifs en termes réels), suggérant une fuite vers la sécurité (incertitude radicale) ou encore une trappe à liquidité (anticipation de déflation). Deux interprétations théoriques sont compatibles avec ces manifestations de la crise. Soit, les anticipations de prix s’orientent vers la déflation ou l’incertitude radicale rend impossible la formation d’anticipation ; ce qui est cohérent avec des taux sûrs très bas et induit la paralysie de la politique monétaire. Soit, de plus en plus d’agents économiques (ménages, entreprises) sont soumis à une contrainte de liquidité à très court terme ; ce qui entretient la spirale récessive et empêche la politique monétaire de fonctionner. Dans un cas comme dans l’autre, les multiplicateurs budgétaires sont plus élevés qu’en temps normal parce que la politique budgétaire expansionniste (resp. restrictive) force les agents économique à s’endetter (resp. se désendetter) collectivement au lieu d’individuellement. En « temps de crise » le multiplicateur joue y compris lorsqu’il est anticipé et son effet persiste jusqu’au retour au plein emploi.
  2. Le multiplicateur est plus élevé pour les dépenses qu’il ne l’est pour les prélèvements obligatoires. L’argument en temps normal est que la hausse des prélèvements obligatoires a des effets désincitatifs alors que la baisse des dépenses a des effets incitatifs sur l’offre de travail. Dans une petite économie ouverte, lorsque la politique monétaire induit de plus une dépréciation réelle de la monnaie, une restriction budgétaire peut accroître l’activité, résultat qui a longtemps permis de promettre aux tenants de la discipline budgétaire des merveilles. Mais en temps de crise, outre des multiplicateurs plus élevés, la logique de temps normal s’inverse. La désincitation par les impôts comme l’incitation à l’offre de travail par la baisse des dépenses ne jouent pas dans une économie dominée par le chômage involontaire ou les surcapacités. Ce sont en fait les anticipations de récession ou de déflation qui sont désincitatives et c’est une raison supplémentaire pour justifier des multiplicateurs élevés.

Les estimations économétriques (en se basant sur les expériences passées de « temps de crise ») conduisent à retenir un multiplicateur budgétaire de l’ordre de 1,5 (pour un mix moyen entre dépenses et prélèvements obligatoires).

Le cumul de l’année 2011 et 2012, pour lequel une très forte impulsion budgétaire a été réalisée, confirme cette évaluation économétrique. En mettant en rapport d’un côté l’évolution de l’écart de production de fin 2010 à 2012 (output gap ou gap) en abscisse et de l’autre l’impulsion budgétaire cumulée pour les années 2011 et 2012, on obtient l’impact à court terme de la restriction budgétaire. Le graphique 1 représente cette relation, en faisant apparaître un lien étroit entre restriction budgétaire et restriction budgétaire.

 

 

Pour la plupart des pays, le multiplicateur « apparent » est inférieur à 1 (les rayons reliant chacune des bulles sont en dessous de la bissectrice, le multiplicateur « apparent » est l’inverse de la pente de ces rayons). Le graphique 2 affine l’évaluation. Les variations de l’écart de production sont en effet corrigées de la dynamique « autonome » de fermeture de l’écart de production (s’il n’y avait pas eu d’impulsion, il y aurait eu une fermeture de l’écart de production, évaluée comme se produisant à la même vitesse que par le passé) et de l’impact des restrictions budgétaires de chacun des pays sur les autres par le canal du commerce extérieur. Les bulles en orange se substituent donc aux bulles bleues intégrant ces deux effets de sens contraire, évalués ici en cherchant à minorer la valeur des multiplicateurs. En particulier, parce que les écarts de production n’ont jamais été aussi creusés, il est envisageable que les écarts de production se referment plus vite que ce qui a été observé dans les trente ou quarante dernières années, ce qui justifierait un contrefactuel plus dynamique et donc des multiplicateurs budgétaires plus élevés.

L‘Autriche et l’Allemagne font figure d’exception. Bénéficiant d’une conjoncture plus favorable (chômage plus bas, meilleure situation des entreprises), il n’est pas surprenant que le multiplicateur soit plus faible dans ces deux pays. Cela étant, le multiplicateur « apparent corrigé » est négatif, Ce qui découle soit d’effets paradoxaux d’incitation, soit plus probablement du fait que la politique monétaire est plus efficace et que ces deux pays sont sortis de la trappe à liquidité. Or la correction apportée ici ne tient pas compte de la stimulation par la politique monétaire.

Aux Etats-Unis, le multiplicateur « apparent corrigé 2011-2012 » ressort à 1. Ce multiplicateur « apparent corrigé » est très élevé en Grèce (~2), en Espagne (~1,3) ou au Portugal (~1,2), ce qui est cohérent avec la hiérarchie énoncée au point 1. Cela suggère également que si la conjoncture se dégradait encore, la valeur des multiplicateurs pourrait augmenter, accentuant le cercle vicieux de l’austérité.

Pour la zone euro dans son ensemble, le multiplicateur « apparent corrigé » résulte de l’agrégation de « petites économies ouvertes ». Il est donc plus élevé que le multiplicateur de chaque pays, parce  qu’il rapporte l’impact de la politique budgétaire d’un pays sur l’ensemble de la zone et non plus seulement sur le pays concerné. Le multiplicateur agrégé de la zone euro dépend également de la composition de la restriction budgétaire mais surtout de l’endroit où cette restriction est conduite. Or, les plus grandes impulsions budgétaires sont effectuées là où les multiplicateurs sont les plus élevés ou encore dans les pays les plus en crise. Il en ressort que le multiplicateur agrégé de la zone euro est de 1,3, sensiblement plus important que celui qui ressort de l’expérience américaine.

La confrontation des plans budgétaires de 2011 et de 2012 à la conjoncture de ces mêmes années donne une estimation élevée des multiplicateurs budgétaires. Cela entérine la dépendance du multiplicateur au cycle et constitue un sérieux argument contre la politique d’austérité qui devrait se continuer en 2013. Tout indique que nous sommes dans le cas où l’austérité conduit au désastre.


[1] Un intense débat existait quant à la validité théorique et surtout quant à la validation empirique de ces assertions (voir Creel, Heyer et Plane 2011 et Creel, Ducoudré, Mathieu et Sterdyniak 2005). Les travaux empiriques récents menés par exemple au FMI ont contredit des analyses faites au début des années 2000 qui concluaient que les effets anti-keynésiens dominaient les effets keynésiens. Ainsi, au moins en ce qui concerne le court terme, avant la crise et en « temps normal », le diagnostic est aujourd’hui que les multiplicateurs budgétaires sont positifs. L’endogénéité de la mesure de l’impulsion budgétaire par la simple variation du déficit structurel parasitait les analyses empiriques. L’utilisation d’impulsions narratives résout cette question et modifie sensiblement les estimations des multiplicateurs. Dans la plupart des modèles macroéconomiques (y compris les DSGE), les multiplicateurs budgétaires sont également positifs à court terme (de l’ordre de 0,5 pour un choc pur budgétaire en « temps normal »).  Concernant le long terme, l’analyse empirique ne nous apprend pas grand-chose, le bruit noyant toute possibilité de mesure. Le long terme reflète donc principalement un a priori théorique qui reste largement dominé par l’idée que la politique budgétaire ne peut avoir d’effet à long terme. Cependant, dans le cas de l’investissement public ou lorsque de l’hystérèse peut se produire, l’hypothèse de non nullité à long terme paraît plus réaliste.