Le faucon et la colombe : quel impact des décisions de la Fed et de la BCE sur le taux de change euro/dollar ?

par Christophe Blot, Paul Hubert et Rémi Odry

Après la décision de hausse des taux d’un quart de point décidé par la Réserve fédérale mercredi 13 juin, le Conseil des gouverneurs de la BCE se réunissait le lendemain pour décider de l’orientation de la politique monétaire dans la zone euro. A l’issue de cette réunion, Mario Draghi a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il a précisé à quelles échéances cesseraient les achats de titres et à quel horizon les taux seraient augmentés. Le canal du taux de change étant un canal majeur de la transmission de la politique monétaire, il est intéressant d’observer comment les marchés ont réagi à ces deux annonces et s’ils ont accordé une plus grande importance à la décision de la Fed ou à celle de la BCE.

La transmission de la politique monétaire dépend de son impact sur les prix d’actifs. Dans la mesure où le prix de ces variables est déterminé en continu sur les marchés, leur variation au moment de ces décisions permet de mesurer l’effet signal des annonces de politique monétaire. Dans un article récent, nous mesurons la réaction du taux de change euro/dollar le jour des réunions de politique monétaire de la Réserve fédérale et de la BCE. Pour des décisions de la même ampleur, nos résultats suggèrent que les marchés seraient généralement plus réactifs aux annonces de la Fed.

L’actualité de la semaine permet également d’illustrer ces différences de réaction. En effet, en l’espace de 24 heures, la banque centrale américaine s’est plutôt montrée « faucon » tandis que la sensibilité de la BCE apparaît plutôt « colombe »[1]. Même si la décision de la Réserve fédérale d’augmenter son taux directeur était anticipée, elle envoie néanmoins le signal que la normalisation de la politique monétaire américaine devrait être légèrement plus rapide que ce qu’anticipaient les marchés en fin d’année 2017[2]. Inversement, en donnant des éléments sur la fin du programme d’achat de titres, réduit en volume mais prolongé jusqu’en décembre 2018, et surtout en annonçant que les taux ne seraient pas remontés avant l’été 2019, la BCE indique clairement que la politique monétaire restera très expansionniste sur l’année à venir. Ces deux décisions ont pour conséquence une dépréciation de l’euro vis-à-vis du dollar. De fait, c’est bien ce qui a été observé à la suite de ces deux annonces (graphique).

Graphe_post18-06Cette fois-ci, les marchés ont accordé plus d’importance à la décision de la BCE qu’à celle de la Réserve fédérale. En effet, sur une fenêtre de 3 heures suivant la publication des décisions, l’euro n’a baissé que faiblement et temporairement après l’annonce de la Réserve fédérale, mais plus fortement et durablement après celle de la BCE. Cette différence s’explique largement par le contenu informationnel des annonces. D’une part, la décision de la Réserve fédérale était largement anticipée et déjà intégrée par les investisseurs sur le marché des changes. Il n’est donc guère surprenant que la réaction n’ait été qu’éphémère. D’autre part, le signal relatif à l’orientation de la politique monétaire était plus marqué pour la décision de la BCE : la Fed a juste annoncé une hausse d’un quart de point de son taux directeur, alors que la BCE a annoncé que son taux n’augmenterait pas dans les 12 prochains mois. Reste à savoir dans quelle mesure cet effet sera durable. Sur ce point, l’analyse développée dans notre article indique que les chocs de politique monétaire en zone euro auraient un effet plus important que ceux liés à la politique monétaire américaine.

 

[1] Cette terminologie (« hawkish » versus « dovish ») permet de qualifier l’attitude des banques centrales selon que leur politique monétaire est plutôt restrictive ou accommodante.

[2] Voir ici.




La Réserve fédérale hausse le ton

par Christophe Blot

Lors de sa réunion du 13 juin, la Réserve fédérale a annoncé une augmentation du taux directeur de la politique monétaire, qui se situe désormais dans une fourchette de 1,75 à 2 %. Jérôme Powell, le nouveau Président de l’institution depuis février justifie cette décision par la situation favorable sur le marché du travail et par l’évolution récente de l’inflation, proche de 2 % lorsqu’on l’on ne tient pas compte des prix alimentaires et de l’énergie[1]. Dans ces conditions, la banque centrale serait en passe de satisfaire ses objectifs, à savoir un emploi maximum et la stabilité des prix, ce qui justifie la poursuite de la normalisation de la politique monétaire américaine.

Alors qu’en fin d’année 2017, les observateurs de la Réserve fédérale pariaient plutôt sur trois hausses des taux en 2018, l’annonce du 13 juin plaide désormais pour une légère accélération du rythme de resserrement monétaire. En ligne avec nos prévisions d’avril, la Réserve fédérale augmenterait encore ses taux à deux reprises en 2018 pour les porter à 2,5 %. Ce changement résulte en grande partie de prévisions de croissance plus optimistes en 2018, soutenue par une politique budgétaire fortement expansionniste. Le PIB augmenterait alors de 2,9 % et le chômage poursuivrait sa baisse pour atteindre 3,6 % en fin d’année 2018, soit un niveau inférieur à celui observé lors des précédents creux observés en 2000 et 2006 où il avait atteint respectivement 3,9 % et 4,5 %. Néanmoins, l’évolution d’autres indicateurs sur le marché du travail – taux d’emploi et taux d’activité – conduisent à nuancer le diagnostic d’une situation économique qui aurait été définitivement rétablie dix ans après le début de la Grande Récession. Le taux d’emploi et le taux d’activité restent en effet inférieurs aux niveaux observés lors du pic de la fin des années 2000, ce qui pourrait contribuer à expliquer l’absence de tensions inflationnistes aux États-Unis malgré un taux de chômage aussi bas.

Pour autant, la politique monétaire américaine restera expansionniste cette année. De fait, le taux directeur en fin d’année 2018 resterait inférieur à celui atteint lors des deux précédents pics d’activité. En 2000 et 2006, la Réserve fédérale avait monté son taux jusqu’à 6,5 % et 5,25 % respectivement. C’est aussi ce que suggère le taux issu d’une règle de Taylor qui permet de déterminer une valeur de référence pour le taux d’intérêt si la banque centrale appliquait une règle systématique où le taux d’intérêt directeur dépend de l’écart de croissance[2] et de l’écart de l’inflation à une cible de 2 %. En fin d’année, le taux simulé issu de la règle de Taylor serait de 4,1 % suggérant que la Réserve fédérale se montre toujours aussi prudente dans sa phase de normalisation de la politique monétaire.

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[1] L’inflation totale s’élevait à 2,4 % en avril.

[2] L’écart de croissance en prévision est calculé à partir de l’évolution de la croissance potentielle du CBO (Congress Budget Office) et des prévisions OFCE du PIB américain.




Quel rôle pour le bilan des banques centrales dans la conduite de la politique monétaire ?

par Christophe Blot, Jérôme Creel et Paul Hubert

En ajustant la taille et la composition de leur bilan, les banques centrales ont profondément modifié leur stratégie de politique monétaire. Bien que la mise en œuvre de ces mesures ait été initialement envisagée pour une période de crise, la question se pose désormais de l’utilisation du bilan comme instrument de politique monétaire en dehors des périodes de crise.

La politique d’achats de titres effectués par les banques centrales s’est traduite par une augmentation considérable de la taille de leur bilan. En septembre 2017, les bilans de la Réserve fédérale et de la BCE s’élevaient respectivement à près de 4 500 Mds de dollars (soit 23,3 % du PIB des Etats-Unis) et 4 300 Mds d’euros pour la BCE (38,5 % du PIB de la zone euro), alors qu’ils étaient de 870 Mds de dollars (soit 6,0 % du PIB) et 1 190 Mds d’euros (soit 12,7 % du PIB) en juin 2007. La fin de la crise financière et de la crise économique plaide pour un resserrement progressif de la politique monétaire, déjà entamé aux Etats-Unis et à venir dans la zone euro. Ainsi, la Réserve fédérale a augmenté le taux d’intérêt directeur à cinq reprises depuis décembre 2015 et a commencé à réduire la taille de son bilan en octobre 2017. Toutefois, aucune indication précise n’a été donnée sur la taille du bilan des banques centrales une fois que le processus de normalisation aura été achevé. Au-delà de la taille se pose la question du rôle de ces politiques de bilan pour la conduite de la politique monétaire à venir.

Initialement, les mesures prises pendant la crise devaient être exceptionnelles et temporaires. L’objectif était de satisfaire un large besoin de liquidités et d’agir directement sur les prix de certains actifs ou sur la partie longue de la courbe des taux, lorsque l’instrument standard de politique monétaire – le taux d’intérêt de très court terme – était contraint par le plancher à 0% (ZLB pour Zero lower bound). L’utilisation de ces mesures pendant une période prolongée – depuis dix ans – suggère cependant que les banques centrales pourraient continuer à utiliser leur bilan comme instrument de politique monétaire et de stabilité financière, y compris en période dite « normale », c’est-à-dire lorsqu’il existe des marges de manœuvre pour baisser le taux directeur. Non seulement, ces mesures non conventionnelles ont démontré une certaine efficacité mais, en outre, leurs mécanismes de transmission ne semblent pas spécifiques aux périodes de crise. Leur utilisation pourrait donc à la fois renforcer l’efficacité de la politique monétaire et améliorer la capacité des banques centrales à atteindre leurs objectifs de stabilité macroéconomique et financière. Nous développons ces arguments dans une publication récente que nous résumons ici.

Dans un article présenté en 2016 lors de la conférence de Jackson Hole, Greenwood, Hanson et Stein suggèrent que les banques centrales puissent utiliser leur bilan pour fournir des liquidités afin de satisfaire un besoin croissant du système financier pour des actifs liquides et sans risque. Les réserves excédentaires ainsi émises augmenteraient le stock d’actifs sûrs mobilisable par les banques commerciales, renforçant la stabilité financière. Les banques centrales pourraient également intervenir plus régulièrement sur les marchés afin de modifier le prix de certains actifs, les primes de risque ou les primes de terme. Ici, il ne s’agit pas forcément d’accroître ou de réduire la taille du bilan, mais de moduler sa composition afin de corriger d’éventuelles distorsions ou de renforcer la transmission de la politique monétaire en intervenant sur l’ensemble des segments de la courbe des taux. Pendant la crise des dettes souveraines, la BCE a lancé un programme d’achats de titres publics (SMP pour Securities Market Programme) qui avait pour but de réduire les primes de risques apparues sur les rendements de plusieurs pays (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne et Italie) et d’améliorer la transmission de la politique monétaire commune vers ces pays. En 2005, le Président de la Réserve fédérale s’étonnait d’une énigme sur les marchés obligataires, constatant que les taux longs ne semblaient pas réagir au resserrement en cours de la politique monétaire américaine. Le recours à des achats ciblés de titres sur des maturités plus longues aurait sans doute permis d’améliorer la transmission de l’orientation de la politique monétaire telle qu’elle était souhaitée à cette époque par la Réserve fédérale.

En pratique, la mise en œuvre d’une telle stratégie en période « normale » soulève plusieurs remarques. D’une part, si les politiques de bilan complètent la politique de taux, les banques centrales devront accompagner leurs décisions d’une communication adaptée précisant à la fois l’orientation globale de la politique monétaire ainsi que les raisons justifiant l’utilisation de tel ou tel instrument et à quelle fin. Il semble qu’elles aient su y parvenir pendant la crise alors qu’elles multipliaient les programmes ; il n’y a donc pas de raison d’imaginer que cette communication devienne subitement plus difficile à mettre en œuvre en période « normale ». Par ailleurs, l’utilisation plus fréquente du bilan comme instrument de politique monétaire se traduirait par une plus large détention d’actifs et potentiellement d’actifs risqués. Il y aurait dans ces conditions un arbitrage à réaliser entre l’efficacité à attendre de la politique monétaire et les risques pris par la banque centrale. Notons aussi que l’utilisation du bilan n’implique pas que la taille de celui-ci croisse en permanence. Les banques centrales pourraient tout aussi bien faire le choix de vendre certains actifs dont le prix serait jugé trop élevé. Cependant, pour être en capacité de moduler effectivement la composition des actifs de la banque centrale, encore faut-il que son bilan soit suffisamment élevé pour faciliter les opérations de portefeuille de la banque centrale.

Il faut reconnaître que les économistes n’ont pas encore complètement analysé les effets potentiels des politiques de bilan sur la stabilité macroéconomique et financière. Mais cette incertitude ne devrait pas empêcher les banques centrales de recourir à des politiques de bilan, car seule l’expérience peut fournir une évaluation complète du pouvoir des politiques de bilan. L’histoire des banques centrales nous rappelle que les objectifs et les instruments utilisés par les banques centrales ont régulièrement évolué[1]. Un nouveau changement de paradigme semble donc possible. Si les politiques de bilan permettent de renforcer l’efficacité de la politique monétaire et d’améliorer la stabilité financière, les banques centrales devraient sérieusement réfléchir à leur utilisation.

Pour en savoir plus : Christophe Blot, Jérôme Creel, Paul Hubert, « What should the ECB “new normal” look like? », OFCE policy brief 29, 20 décembre.

[1] Voir Goodhart (2010).




La BCE en terrain neutre ?

par Christophe Blot et Jérôme Creel

L’implication de la Banque centrale européenne (BCE) dans la gestion budgétaire des Etats membres de la zone euro est un sujet régulier de controverse. Depuis la mise en œuvre des programmes d’achats de titres de dette publique, la BCE est tout à la fois accusée de faire des profits sur les Etats en difficulté et de prendre le risque de socialiser les pertes. La naissance de ces controverses résulte de la difficulté à bien appréhender les relations entre la BCE, les banques centrales nationales (BCN), et les gouvernements.L’architecture monétaire européenne se résume à une séquence de délégation de pouvoir. Les décisions relatives à la conduite de la politique monétaire dans la zone euro sont déléguées à une institution indépendante, la Banque centrale européenne (BCE). Mais, en vertu du principe européen de subsidiarité, la mise en œuvre de la politique monétaire est ensuite déléguée aux banques centrales nationales (BCN) des Etats membres de la zone euro : l’ensemble BCE + BCN étant nommé Eurosystème. Alors que cette dimension de l’organisation de la politique monétaire dans la zone euro n’avait jusqu’ici pas vraiment retenue l’attention, un débat a récemment émergé dans le cadre de la mise en œuvre du programme d’assouplissement quantitatif. D’après commentateurs et journalistes, certaines banques centrales nationales profiteraient plus que d’autres de ladite politique pour acheter et soutenir leur dette publique nationale, plus risquée que celle d’autres pays plus « vertueux »[1]. Celles-ci pourraient donc échapper au contrôle de la BCE et ne pas appliquer strictement la politique décidée à Francfort.

Dans un document récent, préparé dans le cadre du dialogue monétaire du Parlement européen avec la BCE, nous montrons que ces inquiétudes ne sont pas fondées pour la simple et bonne raison qu’en moyenne depuis le début de mise en œuvre de cette politique, la clé de répartition théorique a été respectée (graphique). Cette clé de répartition stipule que les achats de titres obligataires par l’Eurosystème se font au prorata de la participation des Etats au capital de la BCE. Rappelons qu’une partie des achats – 10 sur les 60 milliards d’achats mensuels effectués dans le cadre du PSPP – est effectuée directement par la BCE[2]. Les autres achats sont effectués directement par les BCN. Comme chaque banque centrale achète les titres émis par son gouvernement, les acquisitions d’obligations publiques par les BCN ne conduisent pas à un partage des risques entre les Etats membres. Les profits ou les pertes sont conservées au bilan des BCN ou transférées aux gouvernements nationaux selon les accords en vigueur dans chaque pays.

Cette répartition des achats d’obligations publiques qui se veut neutre en termes de gestion de risque ne l’est cependant pas tout à fait, mais pas pour les raisons qui semblent avoir inquiété le Comité des affaires économiques et monétaires du Parlement européen. Cette répartition favorise le maintien de taux de rendement très bas sur les dettes de certains Etats membres. En effet, en ne se basant pas sur les besoins de financement des Etats membres ou sur la taille de leurs dettes publiques, elle peut produire des distorsions en raréfiant l’offre d’obligations publiques disponibles sur les marchés secondaires. Tel peut être le cas en Allemagne, en Espagne et aux Pays-Bas dont les parts dans les dettes publiques européennes sont moindres que leurs parts respectives dans le capital de la BCE (tableau). A l’inverse, les achats d’obligations italiennes sont moindres avec la clé de répartition actuelle qu’avec une clé de répartition qui tiendrait compte de la taille relative de la dette publique. La politique de la BCE a donc moins de répercussions sur le marché de la dette italienne qu’elle n’en a sur le marché allemand.

Ce choix pourrait par ailleurs contraindre les décisions de la BCE sur la poursuite de l’assouplissement quantitatif après décembre 2017. Admettons que la meilleure politique pour la BCE consiste à poursuivre au même rythme la politique actuelle au-delà de décembre 2017, mais à la stopper une bonne fois pour toutes en juillet 2018. En l’état des règles de répartition, cette politique reste conditionnée à la disponibilité d’obligations publiques échangeables jusqu’en juillet 2018 pour tous les pays, y compris ceux dont les émissions de dette sont rares car leurs besoins de financement sont faibles. Il se pourrait que la poursuite de cette politique en l’état des règles adoptées par la BCE soit impossible parce que les dettes disponibles sont en montants insuffisants dans certains pays. Il faudrait alors mettre en œuvre une politique différente en réduisant par exemple drastiquement les achats mensuels de titres à court terme (mettons en janvier 2018), tout en poursuivant éventuellement cette politique plus longtemps (au-delà du premier semestre 2018). Le choix de ne pas recourir à un partage des risques dans la gestion de la politique monétaire européenne est donc loin d’être neutre dans la mise en œuvre effective de cette politique.

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[1] Mario Draghi a en effet été interrogé sur la répartition de la politique d’achat de titres publics (PSPP pour Public sector purchase programme) lors de la conférence de presse qu’il a tenu le 8 septembre 2017.

[2] Sur cette somme, il y a un partage des risques : les gains ou les pertes sont partagés par l’ensemble des BCN au prorata de leur contribution au capital de la BCE.




Croissance et inégalités dans l’Union européenne

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

« Croissance et inégalités : défis pour les économies de l’Union européenne » : tel était le thème du 14e Colloque EUROFRAME sur les questions de politique économique dans l’Union européenne, qui s’est tenu le 9 juin 2017 à Berlin. EUROFRAME est un réseau d’instituts économiques européens qui regroupe : DIW et IFW (Allemagne), WIFO (Autriche), ETLA (Finlande), OFCE (France), ESRI (Irlande), PROMETEIA (Italie), CPB (Pays-Bas), CASE (Pologne) et NIESR (Royaume-Uni). Depuis 2004, EUROFRAME organise chaque année un colloque sur un sujet important pour les économies européennes.

Cette année, 27 contributions de chercheurs, retenues par un comité scientifique, ont été présentées au colloque dont la plupart sont disponibles sur la page web de la conférence. Ce texte fournit un résumé des travaux présentés et discutés lors du colloque.

Ainsi que l’a souligné Marcel Fratzcher, Président du DIW, dans son allocution d’ouverture, la montée des inégalités depuis quelque 30 années, a fait que les inégalités qui étaient auparavant un sujet réservé aux chercheurs spécialisés en politique sociale sont maintenant devenus des sujets d’étude pour de nombreux économistes. Se posent plusieurs questions : pourquoi cette hausse des inégalités ? La hausse des inégalités dans chaque pays est-elle une conséquence obligée de la diminution des inégalités entre pays, que ce soit en Europe ou au niveau mondial ? Quelles sont les conséquences macroéconomiques de cette hausse ? Quelles politiques économiques pour l’éviter ?

Inégalités de revenus : les faits. Mark Dabrowski (CASE, Varsovie) : “Is there a trade-off between global and national inequality ?”, souligne que la croissance des inégalités à l’intérieur de chaque pays (en particulier aux Etats-Unis et en Chine) va de pair avec la diminution des inégalités entre pays, les deux étant favorisés par la mondialisation commerciale et financière. Toutefois, certains pays avancés ont réussi à stopper la croissance des inégalités internes, ce qui montre que les politiques nationales continuent à avoir de l’importance.

Oliver Denk (OCDE) : “Who are the Top 1 Percent Earners in Europe ?” analyse la structure de la couche des 1% de salariés ayant les plus hauts salaires dans les pays de l’UE. Ceux-ci représentent de 9% de la masse salariale au Royaume-Uni à 3,8% en Finlande (4,7% en France). Statistiquement, ils sont plus âgés que l’ensemble des salariés (ceci étant moins net dans les pays de l’Est), plus masculins (ceci étant moins net dans les pays nordiques), plus diplômés. Ils sont plus nombreux dans la finance, la communication, les services aux entreprises.

Tim Callan, Karina Doorley et Michael Savage (ESRI Dublin) : “Inequality in EU crisis countries: Identifying the impacts of automatic stabilisers and discretionary policy”, analysent la croissance des inégalités de revenus dans les pays qui ont le plus souffert de la crise (Espagne, Grèce, Irlande, Portugal, Chypre). Dans ces cinq pays, les inégalités de revenus primaires ont augmenté en raison de la crise, mais le jeu des transferts fiscaux et sociaux automatiques a fait que les inégalités de revenu disponible sont restées stables en Irlande et au Portugal et (à un moindre degré) en Grèce.

Carlos Vacas-Soriano et Enrique Fernández-Macías (Eurofound) : “Inequalities and employment patterns in Europe before and after the Great Recession”, montrent que les inégalités de revenus diminuaient globalement dans l’UE avant 2008 puisque les nouveaux entrants rattrapaient les anciens membres. Depuis 2008, la Grande Récession a creusé les inégalités entre pays et à l’intérieur de nombreux pays. La croissance des inégalités internes provient surtout de la hausse du chômage ; elle frappe des pays traditionnellement égalitaristes (Allemagne, Suède, Danemark) ; elle est atténuée par la solidarité familiale et la protection sociale, dont les rôles sont cependant remis en cause.

Modélisation de la relation croissance/inégalité. Alberto Cardaci (Universita Cattolica del Sacro Cuore Milan) et Francesco Saraceno (OFCE, Paris) : “Inequality and Imbalances: an open-economy agent-based model”, présentent un modèle à deux pays. Dans l’un, la recherche d’excédents extérieurs induit une pression sur les salaires et une dépression de la demande intérieure compensée par des gains à l’exportation. Dans l’autre, la croissance des inégalités induit une tendance à la baisse de la consommation compensée par le développement du crédit. Il en résulte une crise endogène de la dette quand la dette des ménages du deuxième pays atteint une valeur limite.

Alain Desdoigts (IEDES, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), et Fernando Jaramillo, (Universidad del Rosario, Bogota) “Learning by doing, inequality, and sustained growth: A middle-class perspective”, présentent un modèle où les innovations ne peuvent être appliquées dans la production que dans les secteurs d’une taille suffisante, et donc ceux qui produisent les biens achetés par la classe moyenne (et ni dans les secteurs de biens de luxe, ni dans les secteurs de biens de bas de gamme). La croissance est donc d’autant plus forte que la classe moyenne est développée. La redistribution est favorable à la croissance si elle se fait des riches vers la classe moyenne, défavorable si elle va de la classe moyenne aux pauvres.

Inégalité, financiarisation, politique monétaire. L’article de Dirk Bezemer et Anna Samarina (Université de Groningen) : “Debt shift, financial development and income inequality in Europe”, distingue deux types de crédit bancaire, celui qui finance les activités financières et l’immobilier et celui qui finance les entreprises non-financières et la consommation. Il explique la croissance des inégalités dans les pays développés par la place croissante du crédit finançant la finance au détriment de celui qui finance la production.

L’article de Mathias Klein (DIW Berlin) et Roland Winkler (TU Dortmund University) : “Austerity, inequality, and private debt overhang”, soutient que les politiques budgétaires restrictives ont peu d’impact sur l’activité et l’emploi quand les dettes privées sont faibles (car l’effet Barro joue à plein) ; elles ont un effet restrictif sur l’activité et augmentent les inégalités de revenus quand les dettes privées sont fortes. De sorte qu’il faudrait ne pratiquer l’austérité budgétaire qu’une fois que l’endettement privé a été réduit.

Davide Furceri, Prakash Loungani et Aleksandra Zdzienicka (FMI) : “The effect of monetary policy shocks on inequality,” rappellent que l’impact de la politique monétaire sur les inégalités de revenus est ambigu. Une politique expansionniste peut faire baisser le chômage et réduire les taux d’intérêt (ce qui réduit les inégalités) ; elle peut aussi induire de l’inflation et faire augmenter le prix des actifs (ce qui augmente les inégalités). Empiriquement, il apparaît qu’une politique restrictive augmente les inégalités de revenu, sauf si elle est provoquée par une croissance plus forte.

Inégalités et politique sociale. Alexei Kireyev et Jingyang Chen (FMI) « Inclusive growth framework », plaident pour des indicateurs de croissance incluant l’évolution de la pauvreté et des inégalités de revenu et de consommation.

Dorothee Ihle (University of Muenster) : « Treatment effects of Riester participation along the wealth distribution: An instrumental quantile regression analysis » ,analyse l’impact des plans de pensions Riester sur le patrimoine des ménages allemands. Ceux-ci augmentent significativement le patrimoine des ménages participants au bas de la distribution des revenus, mais ils sont relativement peu nombreux, tandis qu’ils ont surtout des effets de redistribution du patrimoine pour les ménages des classes moyennes.

Inégalité, pauvreté et mobilité. Katharina Weddige-Haaf (Utrecht University) et Clemens Kool (CPB and Utrecht University) : “ The impact of fiscal policy and internal migration on regional growth and convergence in Germany”, analysent les facteurs de convergence du revenu par habitant entre les anciens et nouveau Länder allemands. La convergence a été impulsée par les migrations internes, les subventions à l’investissement et les fonds structurels, mais les transferts fiscaux en général n’ont pas eu d’effet. La crise de 2008 a favorisé la convergence en affectant surtout les régions les plus riches.

Elizabeth Jane Casabianca et Elena Giarda (Prometeia, Bologne) “From rags to riches, from riches to rags: Intra-generational mobility in Europe before and after the Great Recession” analysent la mobilité des revenus individuels dans quatre pays européens : Espagne, France, Italie, Royaume-Uni. Avant la crise, elle était forte en Espagne et faible en Italie. Elle a nettement diminué après la crise, en particulier en Espagne ; elle est restée stable au Royaume-Uni.

Luigi Campiglio (Università Cattolica del S. Cuore di Milano) : “Absolute-poverty, food and housing”, analyse la pauvreté absolue en Italie à partir d’un indicateur basé sur la consommation alimentaire. Il montre que les familles pauvres supportent des coûts de logement particulièrement importants, ce qui pèse sur leur consommation alimentaire et leurs dépenses de santé. Les familles pauvres avec enfants, locataires de leur logement, ont été particulièrement touchés par la crise. La politique sociale devrait mieux les protéger par des transferts ciblés, en espèces ou en nature (santé, éducation).

Georgia Kaplanoglou et Vassilis T. Rapanos (National and Kapodistrian University of Athens and Academy of Athens) : “Evolutions in consumption inequality and poverty in Greece: The impact of the crisis and austerity policies”, rappellent que la crise et les politiques d’austérité ont réduit en Grèce le PIB et la consommation des ménages d’environ 30 %. Cela s’est accompagné d’une hausse des inégalités en matière de consommation que l’article documente avec précision. Il analyse en particulier l’effet des hausses de TVA. Les familles avec enfants ont été particulièrement affectées.

Marché du travail. Christian Hutter (IAB, German Federal Employment Agency) et Enzo Weber, (IAB et Universität Regensburg)  : “Labour market effects of wage inequality and skill-biased technical change in Germany”, estiment sur données allemandes un modèle structurel vectoriel pour analyser le lien entre les inégalités salariales, l’emploi, le progrès technique neutre et le progrès technique favorisant le travail qualifié. Ce dernier augmente la productivité du travail, les salaires, mais aussi les inégalités salariales et réduit l’emploi. Les inégalités salariales ont elles un effet négatif sur l’emploi et sur la productivité globale.

Eckhard Hein et Achim Truger (Berlin School of Economics and Law, Institute for International Political Economy Berlin) : “Opportunities and limits of rebalancing the Eurozone via wage policies: Theoretical considerations and empirical illustrations for the case of Germany”, analysent l’impact des hausses de salaires en Allemagne sur le rééquilibrage des soldes courants en Europe. Ils montrent que celles-ci ne jouent pas seulement par effet compétitivité, mais aussi par effet demande en modifiant la répartition salaire/profit et en impulsant la consommation. Aussi, doivent-ils être appuyés par une hausse des dépenses publiques.

Camille Logeay et Heike Joebges (HTW Berlin) : “Could a wage formula prevent excessive current account imbalances in euro area countries? A study on wage costs and profit developments in peripheral countries”, montrent que la règle « les salaires doivent croître comme la productivité du travail et l’objectif d’inflation », aurait eu des effets stabilisateurs en Europe tant sur les compétitivités des pays membres que sur leurs demandes intérieures. Toutefois, cela suppose que les entreprises n’en profitent pas pour augmenter leurs profits et qu’aucun pays ne recherche de gain de compétitivité.

Hassan Molana (University of Dundee), Catia Montagna, (University of Aberdeen) et George E. Onwordi, (University of Aberdeen) : “Reforming the Liberal Welfare State – International Shocks, unemployment and household income shares” construisent une maquette pour montrer qu’un pays libéral, comme le Royaume-Uni, pourrait améliorer le fonctionnement de son marché du travail en en réduisant la flexibilité pour aller vers un modèle de flexi-sécurité : hausse des prestations chômage, restrictions aux licenciements, hausse des dépenses de formation, aides à l’embauche. Cette stratégie, en augmentant la productivité du travail, réduirait le taux de chômage structurel et augmenterait la part des profits.

Guillaume Claveres, (Centre d’Economie de la Sorbonne, Paris) et Marius Clemens (DIW, Berlin) : ”Unemployment Insurance Union” proposent une modélisation d’une assurance-chômage européenne qui prendrait en charge une partie des dépenses de prestations chômage. Celle-ci pourrait réduire les fluctuations de la consommation et du chômage à la suite de chocs spécifiques. Cela suppose cependant qu’elle ne s’applique qu’au chômage conjoncturel, qu’il est difficile de définir.

Bruno Contini, (Università di Torino et Collegio Carlo Alberto), José Ignacio Garcia Perez, (Universidad Pablo de Olavide), Toralf Pusch, (Hans-Boeckler Stiftung, Düsseldorf) et Roberto Quaranta, (Collegio Carlo Alberto) : “New approaches to the study of long term non-employment duration via survival analysis: Italy, Germany and Spain”, analysent la non-activité involontaire (les personnes qui souhaiteraient travailler mais ont renoncé à chercher un emploi et ont perdu leurs droits aux prestations chômage) en Allemagne, Italie et Espagne,. Celle-ci est particulièrement importante et durable en Espagne et en Italie. Ils mettent en garde contre les mesures favorisant les licenciements et la précarisation du travail ou incitant au travail au noir.

Fiscalité. Markku Lehmus, (ETLA, Helsinski) : “Distributional and employment effects of labour tax changes: Finnish evidence over the period 1996-2008” utilise un modèle d’équilibre général avec agents hétérogènes pour évaluer l’impact de la baisse de la fiscalité du travail en Finlande de 1996 à 2008. Il montre que celle-ci explique une faible part de la hausse de l’emploi (1,4 point sur 16%) et de la hausse des inégalités de revenu.

Sarah Godar (Berlin School of Economics and Law) et Achim Truger ( IMK and Berlin School of Economics and Law) : “Shifting priorities in EU tax policies: A stock-taking exercise over three decades” analysent l’évolution de la fiscalité dans les Etats de l’UE : de 1980 à 2007, la fiscalité est devenue moins progressive avec la baisse des taux marginaux supérieurs de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés, et un traitement privilégié des revenus du capital. La crise de 2008 et les difficultés des finances publiques ont freiné temporairement ce mouvement ; la hausse des recettes a cependant été souvent recherchée par la hausse de la TVA.

Alexander Krenek et Margit Schratzenstaller (WIFO) : “Sustainability-oriented future EU funding: A European net wealth tax” plaident pour l’instauration d’un impôt européen sur la richesse des ménages, qui pourrait contribuer à financer le budget européen.

Les conséquences macroéconomiques des inégalités. Bjoern O. Meyer (University of Rome – Tor Vergata) : “Savings glut without saving: retirement saving and the interest rate decline in the United States between 1984 and 2013 », explique 60 % de la baisse du taux d’intérêt aux Etats-Unis entre 1983 et 2013, malgré la baisse du taux d’épargne global des ménages par des facteurs démographiques (la hausse différenciée de l’espérance de vie), le ralentissement des gains de productivité du travail et l’augmentation des inégalités de revenu.

Marius Clemens, Ferdinand Fichtner, Stefan Gebauer, Simon Junker et Konstantin A. Kholodilin (DIW Berlin) : “How does income inequality influence economic growth in Germany?” présentent un modèle macroéconométrique où, à court terme, les inégalités de revenu augmentent la productivité de chaque actif (effet d’incitation), mais réduisent la consommation globale (effet d’épargne) ; à long terme, elles ont un impact négatif sur la formation du capital humain des jeunes des classes populaires. Ainsi, une hausse exogène des inégalités de revenu a d’abord un effet négatif sur le PIB (effet demande), puis positif (effet incitation individuel), puis négatif à long terme (effet capital humain). L’effet est toujours négatif sur la consommation des ménages et positif sur la balance extérieure.

 

 

 




La politique monétaire de la BCE a-t-elle influencé les prix immobiliers ?

Par Paul Hubert et Pierre Madec

 

Quel a été l’impact de la politique monétaire résolument expansionniste de la BCE depuis le début de la crise sur les prix immobiliers ? Si certaines caractéristiques socio-démographiques restent prédominantes dans la décision d’achat, la solvabilité des ménages demeure l’un des principaux facteurs explicatifs de l’achat immobilier. En menant une politique de taux d’intérêts très bas, la politique monétaire a contribué à réduire les contraintes de financement, favorisant ainsi les décisions d’achats immobiliers. Pour répondre en partie à cette question, nous nous focalisons sur les prix de l’immobilier parisien, marché pour lequel nous disposons de données fines sur les prix ce qui n’est pas le cas pour l’ensemble des villes de France, échelle à laquelle il conviendrait idéalement de mener cette étude. La ville de Paris, avec ses arrondissements très marqués sociologiquement et économiquement fournit un cadre d’étude intéressant.

L’analyse des évolutions des prix immobiliers par arrondissement (Graphique 1) montre une dynamique commune sur le long terme, avec notamment un creux en 2008-2009, mais aussi l’existence d’hétérogénéités importantes, certains arrondissements ayant vu leurs prix être multipliés par 3 entre 1998 et 2016 (16ème arrondissement) contre 5 (10ème et 15ème arrondissements).

Gra_1_post_PH_PM

Il en est de même quant à la distribution des revenus des ménages par arrondissement (Graphique 2). On note une forte hétérogénéité entre les arrondissements. Les ménages du croissant est de Paris (10, 11, 12, 13, 18, 19 et 20ème) ont des revenus plus faibles que ceux des arrondissements du centre et de l’ouest.

Gra_2_post_PH_PM

Sous l’hypothèse, probable, qu’il existe un lien entre les revenus et la solvabilité des ménages, les arrondissements plus pauvres de l’est et du nord de Paris (18, 19 et 20ème) seraient les arrondissements pour lesquels la contrainte financière des ménages est la plus importante. L’intuition voudrait donc que l’effet de la politique monétaire, c’est-à-dire des variations de conditions de financement, y soit le plus fort.

Afin d’isoler cet effet différencié de la politique monétaire sur les prix immobiliers dans les 20 arrondissements de Paris, nous estimons un modèle[1], pour chaque arrondissement, comprenant les prix immobiliers au mètre carré, le PIB, le pouvoir d’achat du Revenu Disponible Brut (RDB) ajusté des ménages, l’inflation, la masse monétaire, le crédit aux ménages et SNF, les taux souverains à 10 ans et l’EURIBOR. A l’exception des prix, l’ensemble de ces données sont des données agrégées au niveau national puisqu’il n’existe à l’heure actuelle pas de données équivalentes à un niveau local fin, tout du moins permettant d’analyser les évolutions de ces grandeurs.

Le graphique 3 montre la réponse des prix immobiliers à une décision de politique monétaire restrictive (une hausse des taux de 22 points de base) au cours des 12 trimestres suivant la décision. Sur les 20 arrondissements parisiens, seuls les 12ème, 14ème, 15ème, 18ème, 19ème et 20ème arrondissements ont vu leurs prix réagir négativement et significativement à un choc restrictif de politique monétaire. Cette méthode d’estimation étant linéaire, ces résultats suggèrent qu’une partie de la hausse des prix immobiliers dans les arrondissements où les ménages sont les plus contraints financièrement est bien dû au caractère expansionniste de la politique de la BCE et au relâchement des conditions monétaires[2]. Dans les autres arrondissements, les décisions de la BCE n’ont semble-t-il pas eu d’effets significatifs sur l’évolution des prix immobiliers signe d’une relative déconnexion au sein de ces arrondissements entre conditions de financement et décision d’achat.

Apporter une réponse définitive à la question du rôle des chocs de politique monétaire sur les prix immobiliers demanderait la mobilisation de données à un niveau territorial fin : celui des communes. Compte tenu du manque de données à disposition, cette analyse exhaustive est actuellement impossible. Les résultats obtenus à partir de l’analyse des prix immobiliers parisien nous laissent tout de même penser que la politique monétaire expansionniste de la BCE a joué un rôle significatif sur l’évolution des prix immobiliers dans les territoires où la contrainte budgétaire des ménages est la plus forte.Graphique3_post_PM_PH_juillet2017

[1] Le modèle utilisé est un modèle vectoriel autorégressif (VAR) structurel. Ce modèle est estimé avec 2 retards sur la période 1998T3-2017T1. Ces retards permettent en outre de capter la tendance de plus long-terme dans l’évolution des prix immobiliers.

[2] Notre modèle ne comprend pas de variable mesurant stricto sensu les contraintes financières dans chaque arrondissement car il n’existe pas de séries temporelles de cette sorte. Notre analyse attribue l’effet du choc monétaire sur les prix immobiliers à ces contraintes financières en l’absence d’une caractéristique alternative liée à la politique monétaire et qui expliquerait l’hétérogénéité des réponses des prix immobiliers.




Où en est-on du cycle de crédit dans la zone euro ?

par Christophe Blot et Paul Hubert

En décembre 2016, la BCE annonçait la poursuite de sa politique de Quantitative Easing (QE) jusqu’à décembre 2017. Alors que la reprise économique se confirme dans la zone euro et que l’inflation repart à la hausse, se pose la question des risques liés à cette politique. D’un côté, la poursuite d’une politique monétaire très expansionniste n’est-elle pas une source d’instabilité financière ? Inversement, une fin prématurée des mesures non conventionnelles pourrait remettre en cause la dynamique de croissance et la capacité de la BCE à atteindre ses objectifs. Nous étudions ici le dilemme auquel pourrait faire face la BCE au travers d’une analyse des cycles du crédit et de l’activité bancaire dans la zone euro.

L’annonce de la BCE envoie deux signaux sur l’orientation de la politique monétaire. D’une part, en retardant la date de fin du QE, la BCE annonce implicitement que la normalisation de la politique monétaire, en particulier la remontée de son taux directeur, ne se fera pas avant début 2018. La BCE continue donc de mener une politique expansionniste d’augmentation de la taille du bilan. D’autre part, la réduction des achats mensuels est aussi un signe d’une réduction de ce caractère expansionniste. L’annonce s’apparente ainsi au « tapering » amorcé en janvier 2014 par la Réserve fédérale aux États-Unis. La réduction des achats de titres s’était alors faite progressivement, jusqu’à un arrêt effectif des achats fin octobre 2016.

Le caractère indiscutablement expansionniste de la politique monétaire en zone euro suggère que la BCE juge toujours nécessaire de poursuivre le stimulus pour atteindre les objectifs finaux de la politique monétaire dont le premier est la stabilité des prix, définie par une inflation inférieure mais proche de 2 % par an. Ni l’inflation[1],  ni la croissance en zone euro ne donnent des signes d’emballement[2]. Le programme d’achat d’actifs doit alors permettre de consolider la croissance et d’accélérer l’inflation pour favoriser un retour vers la cible de 2 %. Dans le même temps, les liquidités émises par la banque centrale dans le cadre de ses programmes d’achat de titres et le faible niveau des taux d’intérêt (à court comme à long terme) alimentent les craintes d’effets indésirables de la politique monétaire en matière de stabilité financière[3].

Il en résulte un dilemme que doit arbitrer la BCE. Mettre un terme prématuré à l’assouplissement quantitatif pourrait maintenir la zone euro dans une situation de faible inflation et de basse croissance. Prolonger inutilement le QE, alors que la Réserve fédérale a amorcé la normalisation de sa politique monétaire, créerait un risque d’instabilité financière caractérisé par un emballement des prix d’actifs, du crédit ou plus largement du risque pris par le système financier.

Nous évaluons ce double risque au travers d’indicateurs sur l’activité du système bancaire de la zone euro dans son ensemble et des pays qui la composent. Les crédits, aussi bien ceux octroyés aux ménages que ceux octroyés aux entreprises non financières, sont un élément central de l’actif des banques, souvent au cœur du risque d’instabilité financière[4]. Nous proposons ici d’élargir l’analyse à la taille du bilan ou de l’ensemble des crédits accordés – incluant le crédit aux autres institutions monétaires et financières –, ce qui permet notamment de mesurer le risque associé à l’ensemble des activités du système bancaire[5].

Ces différentes variables sont soit rapportées au PIB, ce qui permet de capter la déconnexion entre l’activité bancaire et l’activité réelle, soit au capital et réserves du système bancaire, permettant alors de capter l’effet de levier, c’est-à-dire la capacité de ce système à absorber les éventuelles pertes. Ici, nous nous concentrons sur les quantités plutôt que les prix, via des indicateurs tels que le ratio de crédit octroyé sur les capitaux propres et le ratio de crédit reçu sur les revenus. Ceux-ci sont centraux pour refléter la transmission de la politique monétaire et évaluer le risque d’instabilité financière.

Graphe_post30-05

Le graphique montre l’évolution des cycles de crédit, rapporté au PIB (ligne bleue) et rapporté aux capitaux et réserves du système bancaire (ligne rouge)[6]. Les aires vertes signalent les périodes où le crédit s’éloigne significativement à la hausse ou la baisse de sa tendance de long terme. D’une manière générale, l’analyse du crédit ou de la taille du bilan du système bancaire témoigne d’un regain d’activité mais ne suggère ni boom de crédit ni contraction excessive sur la période récente dans la zone euro. Si la dynamique du crédit est orientée plus favorablement par rapport à sa tendance en France et en Allemagne, le cycle ne témoigne pas d’une hausse excessive. Les Pays-Bas et l’Espagne se distinguent par la faiblesse de leur crédit rapporté au PIB. Pour les Pays-Bas, cette évolution est confirmée par les indicateurs rapportés aux capitaux et réserves du système bancaire, alors qu’en Espagne, l’encours de crédit rapporté aux capitaux et réserves se situe à un niveau historiquement élevé suggérant une prise de risque excessive étant donné la situation économique.

 

[1] Malgré le rebond récent de l’inflation, largement lié à la remontée du prix du pétrole et des anticipations d’inflation, les pressions inflationnistes restent modérées et le retour de l’inflation vers la cible de 2 % n’est pas suffisamment établi pour modifier l’orientation de la politique monétaire.

[2] Le chômage reste élevé alimentant la désinflation.

[3] Une analyse récente de Borio et Zabaï (2016) sur l’efficacité des politiques monétaires non conventionnelles suggère que leur efficacité pourrait se réduire tandis que les risques qu’elles comportent s’accroîtraient. Le rôle des prix d’actifs a été étudié par Andrade et al. (2016) pour montrer que le prix des actifs avait réagi, comme anticipé, à la suite des mesures prises par la BCE, et par Blot et al. (2017) pour évaluer le risque de bulle.

[4] Voir Jorda et al., 2013 et 2015.

[5] La législation Bâle III repose sur des indicateurs de risque calculés au niveau des établissements bancaires alors que notre approche repose sur des indicateurs macroéconomiques.

[6] Ces cycles sont obtenus à partir d’une analyse en composante principale (ACP) de plusieurs types de décompositions tendance/cycle : filtre Hodrick-Prescott, filtre Christiano-Fitzgerald, et moyenne mobile.




Sortir de l’euro ?

par Christophe Blot, Jérôme Creel, Bruno Ducoudré, Paul Hubert, Xavier Ragot, Raul Sampognaro, Francesco Saraceno, et Xavier Timbeau

L’évaluation des effets de la sortie de la France de la zone euro (Frexit) est un exercice des plus délicats tant les voies en sont multiples et les effets incertains. Cependant, cette proposition étant avancée dans un débat plus général sur les coûts et bénéfices de l’appartenance à l’Union européenne et à l’euro, il est utile de discuter et estimer les mécanismes en jeu.

La question de l’appartenance à l’euro s’ancre sur plusieurs points de diagnostic peu consensuels. D’une part, les bénéfices liés à la monnaie unique 18 ans après sa création ne sont pas perçus comme flagrants ; d’autre part l’hétérogénéité de la zone monétaire ne s’est pas réduite de façon évidente et, ce qui peut être lié, les déséquilibres de balance courante qui se sont accumulés dans la première décennie de la zone euro et qui ont été amplifiés ensuite par les conséquences de la crise financière globale de 2008 contraignent les politiques économiques.

La dissolution de l’union monétaire européenne serait un événement inédit, non seulement pour les pays membres mais aussi du point de vue de l’histoire des unions monétaires. Non pas que des expériences de dissolution n’aient jamais eu lieu – Rose (2007) comptabilisait déjà 69 cas de sortie d’union monétaire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – mais, à de nombreux égards, ces expériences offrent peu d’éléments de comparaison (Blot & Saraceno, 2014) et ne permettent pas de mettre en évidence des régularités empiriques qui pourraient nous informer sur les possibles infortunes ou chances de succès d’un éclatement de la zone euro.

Pour autant, la référence aux épisodes passés n’est pas le seul outil par lequel l’économiste peut produire une analyse de l’éclatement de la zone euro. Il est en effet possible de mettre en lumière les mécanismes qui seraient à l’œuvre si l’on devait mettre un terme au projet d’union monétaire en Europe. Les chemins possibles en cas d’éclatement de la zone euro sont nombreux et toute analyse en termes de coûts et de bénéfices doit être interprétée avec la plus grande prudence dans la mesure où, à l’incertitude portant sur l’évaluation quantitative des mécanismes à l’œuvre, s’ajoute celle du scénario qui se dessinerait en cas de sortie. Dans ces conditions, la sortie de la zone euro ne peut pas forcément s’appréhender que du point de vue de son impact sur le taux de change ou de ses effets financiers. Il est en effet fort probable que la sortie s’accompagnerait de la mise en œuvre de politiques économiques alternatives. L’analyse effectuée ici n’engage pas ce débat et se borne à expliciter les mécanismes macroéconomiques à l’œuvre en cas d’éclatement de la zone euro sans détailler les réactions de politiques économiques et des effets de second tour.

L’hypothèse centrale que nous retenons ici est celle d’un éclatement complet de l’union monétaire et non celle où la France seule en sortirait. En effet, si la France, deuxième économie de la zone euro venait à en sortir, l’existence même de cette zone monétaire serait remise en question. La dévaluation du franc par rapport aux pays du sud de l’Europe restés dans la zone euro déstabiliserait leur économie et les pousserait hors de la zone euro amputée. Nous ne traitons pas ici l’ensemble des éléments techniques en lien avec l’organisation de la dissolution[1] – mise en circulation des nouvelles monnaies, liquidation de la BCE et arrêt du système TARGET, etc. – mais nous nous concentrons sur l’analyse des effets macroéconomiques[2]. Deux types d’effets seraient alors à l’œuvre. D’une part, la dissolution de l’union monétaire européenne entraînerait de facto un retour aux monnaies nationales et donc à une dévaluation ou une réévaluation des monnaies des pays de la zone euro vis-à-vis des partenaires de la zone euro mais aussi vis-à-vis des pays hors zone euro. D’autre part, la redénomination des actifs et des passifs aujourd’hui libellés en euros et la perspective de mouvements de change auraient des effets financiers que nous analysons au prisme des crises financières passées. Nous retenons donc un scénario de crise contenue.

La sortie unilatérale de la France de la zone euro et l’éclatement de la zone euro qui s’en suivrait interdisent un scénario de type monnaie commune où une coopération forte entre les anciens Etats membres permettrait de maintenir une grande stabilité des changes et de préserver de fait un statu quo économique. Un tel scénario a une faible vraisemblance puisqu’il conduirait à ne pas utiliser les marges de manœuvre ouvertes par la sortie et à maintenir le carcan supposé et dénoncé. La crise est contenue dans le sens où les effets les plus violents seraient cependant réduits par des politiques coordonnées. Cela conduit donc à des mouvements de change rapides, importants, mais qui se stabilisent à un horizon de quelques trimestres[3]. Nous supposons en revanche que chaque pays poursuit son intérêt propre sans coopération particulière.

I  – Un résumé des  mécanismes économiques en jeu

Les gains attendus de la sortie de la zone euro

En premier lieu, la sortie de la zone euro conduirait à ce que les taux de change entre les monnaies des pays qui la composent puissent à nouveau varier les uns par rapport aux autres. Dans ces conditions, se pose la question de la valeur du taux de change vers laquelle ces monnaies vont converger. Les gains attendus seraient d’une part une amélioration de la compétitivité du fait de la dévaluation du franc. Une telle dévaluation génèrerait de l’inflation importée à court terme, avant d’accroître le pouvoir d’achat et la croissance. Le second gain concerne la possibilité de définir une politique monétaire et budgétaire différenciée par pays et donc plus appropriée à la conjoncture française.

La sortie de la zone euro permettrait par ailleurs de mettre des tarifs douaniers défavorables aux importations des autres pays et donc favorables aux producteurs sur le territoire national mais qui se répercuteraient aussi sur les prix à la consommation et donc sur le pouvoir d’achat des ménages[4].

Les coûts de la sortie de la zone euro

 Une sortie de la France de la zone euro entraînerait une sortie d’autre pays qui verraient leur monnaie se déprécier par rapport au franc, notamment les pays du sud de l’Europe. L’effet net sur la compétitivité peut s’avérer ambigu.

Un Frexit entraînerait des mouvements de change, ce qui se traduirait par un retour des coûts de transaction sur les échanges monétaires entre les pays de la zone euro. Par ailleurs, l’éclatement de la zone euro provoquerait également une redénomination des actifs et des dettes en monnaie nationale. Au-delà des aspects juridiques, ces effets de bilan appauvriront les agents qui détiennent des actifs re-dénominés en monnaie se dépréciant et des dettes re-dénominées en une monnaie s’appréciant (et inversement pour l’enrichissement). Les incertitudes sur les effets de bilan, notamment pour les intermédiaires financiers et les banques, devraient conduire à une période de fort ralentissement du crédit.

Le gain de l’autonomie de la politique monétaire est incertain dans la période actuelle. En effet, il est difficile de concevoir une politique monétaire beaucoup plus expansionniste que la politique de taux négatifs de la BCE et de rachat de titres[5]. La Banque de France pourrait certes racheter la dette publique nationale en créant de la monnaie, mais il n’est pas évident que le gain soit important face à la faiblesse des taux d’intérêt actuel sur la dette publique française[6]. Notons que la persistance d’une balance courante déficitaire nécessiterait de la financer par une épargne extérieure et que cette contrainte extérieure pourrait affecter la politique monétaire, obligeant par exemple à une hausse des taux d’intérêt courts et longs qui pourrait imposer un contrôle des capitaux par le gouvernement.

Enfin, la mise en place d’un protectionnisme commercial entraînerait de toute évidence des mesures de rétorsion des partenaires lésés qui nuiraient aux exportations françaises. L’effet net serait globalement négatif sur le commerce mondial, sans gain sur le plan national.

II – Les effets sur le change et la compétitivité

Un Frexit ne conduirait pas à de forts gains de compétitivité. En effet, nous avons simulé l’effet d’un Frexit de la manière suivante :

  1. Nous faisons l’hypothèse qu’un Frexit conduirait à un délitement rapide de la zone euro ;
  2. Dès lors nous utilisons nos estimations de taux de change d’équilibre de long terme, présentées dans le chapitre 4 du Rapport iAGS 2017. Il apparaît que la parité d’équilibre pour le nouveau franc correspondrait à une dévaluation effective réelle de 3,6 % par rapport au niveau actuel de l’euro. Il s’agit d’une variation réelle, c’est-à-dire une fois corrigée des effets de l’inflation et effective, c’est-à-dire qui tient compte des variations de change par rapport aux différents partenaires commerciaux, possiblement de sens contraire. Le nouveau franc serait dévalué par rapport à la monnaie allemande, mais s’apprécierait par rapport à la monnaie espagnole ;
  3. Utilisant les estimations empiriques des ajustements du taux de change (Cavallo et al., 2005), nous déterminons une trajectoire de court terme des taux de change. Notre estimation est une dépréciation du taux de change effectif de la France de 13,7% vis-à-vis des autres pays de la zone euro, et une appréciation de 8,6% vis-à-vis des pays qui n’appartiennent pas à la zone euro.

A partir de simulations du modèle emod.fr, nous évaluons un gain modeste de compétitivité. L’effet sur le PIB serait proche de 0 la première année et de 0,4% au bout de trois ans. Ces chiffres sont faibles et sont en référence à un scénario sans réajustement à l’intérieur de la zone euro. En ouvrant la possibilité d’un tel ajustement graduel à l’intérieur de la zone euro (selon des mécanismes par exemple évoqués dans l’iAGS 2016) le gain potentiel serait encore plus faible. Encore une fois, il est possible d’envisager que la politique monétaire conduite par la Banque de France cherche à dévaluer plus fortement la monnaie française par rapport à celle de ses concurrents. Mais, dans un tel schéma, il est fort probable que ces derniers souhaitent à leur tour préserver leur compétitivité et s’engager dans des politiques de dévaluations compétitives.

III – Les effets financiers : les effets des crises bancaires

La dissolution de la zone euro et le retour aux monnaies nationales auraient d’importantes répercussions sur les systèmes bancaires et financiers nationaux de par leur activité internationale et provoqueraient le retour de l’exposition au risque de change à l’intérieur de la zone euro. Nous évaluons dans un premier temps les risques que font peser l’éclatement de la zone euro sur le système bancaire. Les mécanismes à l’œuvre sont de nature à provoquer une crise bancaire dont les coûts en termes d’activité peuvent être élevés.

Le retour aux monnaies nationales dans un espace financièrement intégré engendrerait forcément un bouleversement important pour le système financier. Ces effets ne sont pas comparables à ceux qui ont été observés au moment de l’adoption de l’euro. En effet, comme l’ont montré Villemot et Durand (2017), les effets de bilan seraient potentiellement importants pour un scénario de faible coordination.

Les effets de bilan pourraient être réduits dans le cas d’une coordination internationale lors de la sortie de l’euro. Une telle coordination permettrait de répartir de manière cohérente les actifs et passifs de la BCE, notamment dans le cadre de Target 2. Une coordination importante lors de la sortie de la zone euro semble cependant une hypothèse difficile à retenir. Il est illusoire de croire que les difficultés de coordination se réduiraient. Elles devraient, au contraire, s’accroître dans un climat d’instabilité au lieu de celui d’un destin partagé. De ce fait, nous excluons dans le scenario de sortie de la zone euro la mise en place d’une architecture financière ou monétaire nouvelle.

Le risque de crise bancaire ou financière est central pour comprendre les impacts qu’aurait l’éclatement de la zone euro. Ils passeraient par trois canaux principaux. Le premier est la fuite des dépôts, de l’épargne et la liquidation de détresse d’actifs financiers. Le second tient aux effets de désalignement de change sur les bilans bancaires et des assureurs. Le troisième concerne le risque souverain qui porterait soit sur la dette publique et son financement, soit en cas de monétisation non contrôlée de cette dette, du retour d’une contrainte extérieure dure. La littérature économique nous offre des développements récents (notamment Rogoff et Reinhart, Borio, Schularik, le FMI) qui tentent d’évaluer des crises bancaires ou financières. Précisons d’emblée que cette littérature ne traite pas des dissolutions des unions monétaires. Dans les différentes crises bancaires répertoriées depuis les années 1970 par Laeven et Valencia (2010 et 2012), il n’est pas fait mention de crises liées à des dissolutions d’union monétaire. Néanmoins, les effets financiers à l’œuvre en cas d’éclatement de la zone euro sont, comme évoqué précédemment, des facteurs de risque de crise bancaire ou financière.

Par ailleurs, la littérature économique sur les crises de change a pointé le lien avec les crises bancaires (Kaminsky et Reinhart, 1999). L’éclatement d’une union monétaire traduit de fait une situation de crise du régime de change qui entraîne des réévaluations et des dévaluations avec sur-ajustement des taux de change, comme nous le soulignons dans la partie précédente. Dès lors, la référence au coût des crises bancaires permet d’illustrer les effets potentiellement négatifs d’une sortie de la zone euro. Il faut cependant bien rappeler que ces coûts correspondent à une évaluation globale des crises bancaires qui ne permettent pas d’identifier précisément les mécanismes par lesquels le choc financier se propage vers l’économie réelle. Une telle évaluation consistant à identifier l’impact qui serait lié à la hausse des différentes primes de risque, à des effets de rationnement du crédit ou à l’incertitude est bien plus délicate à réaliser. Une analyse menée par Bricongne et al. (2010) sur les différents canaux de transmission de la crise financière de 2007-2008 suggère que la part de l’inexpliqué est importante. Aussi à défaut d’une analyse plus fine, nous faisons l’hypothèse que les expériences historiques de crise bancaire sont le principal élément quantitatif permettant d’approcher l’éventuel impact négatif – via les effets financiers – d’un éclatement de la zone euro.

Laeven et Valencia (2012) ont analysé 147 crises bancaires dans les pays développés et émergents au cours des dernières décennies (1970-2011). Ils calculent les pertes de production comme le cumul sur trois ans de la perte relative de PIB réel par rapport à sa tendance[7]. Pour les pays développés, la perte cumulée de croissance est en moyenne de 33 points de PIB. Durant ces 3 ans de crise, la dette publique augmente en moyenne de 21 points de PIB (en partie à cause des recapitalisations bancaires), l’augmentation du bilan de la banque centrale est de 8 points de PIB, et le taux de prêts non-performants augmente de 4 points de pourcentage. Il faut noter qu’il y a une forte hétérogénéité du coût des crises selon les crises considérées et selon le pays considéré. Ainsi, l’évaluation que font les auteurs du coût de la crise bancaire de 2008 en termes de croissance à la suite de la faillite de Lehman Brothers se chiffre à 31 points de PIB pour les Etats-Unis et 23 points de PIB pour la zone euro dans son ensemble. Hoggarth, Reis et Saporta (2002) ont mené une étude similaire et cherchent à fournir des évaluations robustes à la mesure de la tendance du PIB. Ils constatent des pertes cumulatives de production pendant les périodes de crise allant de 13 à 20 points de PIB selon l’indicateur retenu. Ces estimations du coût des crises bancaires sont cependant à considérer avec prudence car elles reposent sur de nombreuses hypothèses et notamment sur la trajectoire qu’auraient suivie les pays en l’absence de crise.

IV – Les gains de l’autonomie monétaire

Les gains d’une politique monétaire alternative dépendront de l’orientation nouvelle de la politique monétaire qui reste à préciser, et qui déterminera les conditions de financement de l’économie. Une telle politique sera probablement ultra-accommodante du fait de l’instabilité financière et bancaire générée par les effets de bilan.

Les évaluations de la contribution des conditions financières en France de 2014 à 2018 suggèrent cependant que celles-ci ne sont pas le facteur le plus important pour expliquer la faiblesse de l’activité.  Sur cette période, les conditions financières et monétaires contribuent à la croissance du PIB entre -0,1 à 0,2 point[8]. Ainsi, il y a peu de gain à attendre d’une nouvelle politique monétaire ultra-accommodante (indépendamment des effets sur le change discutés en première partie ou de l’impact de la contrainte extérieure).

Conclusion

Ce texte a pour but de brosser les conséquences possibles d’un Frexit, sans entrer dans une quantification trop détaillée et donc périlleuse.

  1. Contrairement à ce qui est parfois avancé, il y a peu à attendre en termes de compétitivité ou en marges de manœuvre de la politique monétaire à court terme ;
  2. Le coût principal proviendrait de la crise bancaire ou financière induite par les effets de bilans, notamment dans le cadre d’une sortie non ordonnée.

A ce stade de l’analyse, il est difficile d’identifier les effets économiques positifs potentiels d’un Frexit alors que les risques d’un impact négatif en raison des effets financiers semblent très importants.

 

Références

 

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Bricongne J-C., Fournier J-M., Lapègue V., et Monso O., 2010, « De la crise financière à la crise économique. L’impact des perturbations financières de 2007 et 2008 sur la croissance de sept pays industrialisés », Economie et Statistique,  n° 438-440, 47-77.

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Kaminsky, G. L., Reinhart, C. M., 1999, « The twin crises: The cause of banking and balance of payment problems », American Economic Review, 89, 473-500.

Laeven, L., et Valencia F., 2010, « Resolution of banking crises: the good, the bad and the ugly »,  IMF Working Paper, n° 10/44.

Laeven, L., et F., Valencia., 2012, « Systemic Banking Crises Database: An Update », IMF Working Paper, n° 12/163.

Reinhart, C. M., & Rogoff. K. S., 2009, « The Aftermath of Financial Crises », American Economic Review, 99(2), 466-72.

Rose A., 2007, « Checking out: exits from currency unions », Journal of Financial Transformation, 19, 121-128.

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[1] Ces points sont en grande partie discutés dans Capital Economics (2012).

[2] Il est difficile de bâtir un scénario contrefactuel de long terme dans le cas de la sortie de l’euro. Nous nous concentrons donc sur les effets de court et de moyen terme des transitions éventuelles.

[3] Nous évacuons implicitement le scénario d’une guerre des monnaies où chaque pays tenterait de gagner en compétitivité par des dévaluations qui nous écarteraient durablement d’une convergence vers un taux de change d’équilibre réel.

[4] La mise en place de tels tarifs demande la sortie de l’Union européenne. Sans développer ces analyses ici, il est très probable que la sortie de la zone euro entraînerait une sortie de l’union européenne. Il existe des évaluations de la contribution de l’UE au commerce et à la croissance intra-européenne que nous n’utilisons pas ici dans notre approche de court terme.

[5] Par son programme d’assouplissement quantitatif, la BCE achète essentiellement des titres de dette publique incluant donc des titres de dette française. En février 2017 l’encours de titres détenus par la BCE dans le cadre de ce programme (PSPP) s’élevait à 1 457,6 milliards d’euros. La répartition des achats se faisant selon la part du capital de la BCE souscrit par les banques centrales des Etats-membres, la fraction de titres de dette française dépasserait 200 milliards d’euros.

[6] S’affranchir de la contrainte du Pacte de stabilité et de croissance peut permettre un gain en soi. Cela suppose que la contrainte du PSC va au-delà de ce que la soutenabilité de la dette publique demande.

[7] Ces évaluations montrent cependant qu’il y a une forte hétérogénéité dans les coûts évalués selon les pays considérés.

[8] https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/documents/prev/prev1016/france.pdf




La réduction du bilan de la Réserve fédérale : quand, à quel rythme et quel impact ?

par Paul Hubert

La politique monétaire américaine a commencé de se resserrer en décembre 2015, le taux directeur de la Fed passant d’une fourchette cible de 0 – 0,25% à 0,75 – 1% en 15 mois. Un élément complémentaire de sa politique monétaire concerne la gestion de la taille de son bilan, conséquence des programmes d’achat de titres financiers  (aussi appelés programmes d’assouplissement quantitatif ou QE). Le bilan de la Fed pèse aujourd’hui 4 400 milliards de dollars (soit 26% du PIB), contre 900 milliards de dollars en août 2008 (6% du PIB). L’amélioration de la situation conjoncturelle aux Etats-Unis  et les potentiels risques associés au QE posent les questions du calendrier, du rythme et des conséquences de la normalisation de cet outil non-conventionnel.

Les procès-verbaux de la réunion du comité de politique monétaire (FOMC) du 14 et 15 mars 2017 fournissent certains éléments de réponse : la procédure de réduction du bilan de la Fed devrait se faire par le non-réinvestissement du produit des titres arrivant à échéance. Aujourd’hui, alors que les programmes de QE ne sont plus actifs depuis octobre 2014 et que la Fed ne crée plus de monnaie pour acheter des titres, elle continue de maintenir la taille de son bilan constante en réinvestissant  les montants des titres arrivant à terme. Le FOMC devrait stopper cette politique de réinvestissement « plus tard cette année » [1] et par conséquent commencer la réduction de la taille de son bilan. Conformément aux principes de normalisation de ses politiques publiés en septembre 2014 et décembre 2015, la Fed ne vendra pas les titres qu’elle détient, ainsi elle ne modifiera pas sur les marchés financiers la situation d’équilibre sur les stocks mais uniquement sur les flux. L’incertitude demeure quant au rythme auquel le non-réinvestissement sera réalisé, en fonction des titres concernés par le non-réinvestissement, et quant à la taille finale souhaitée du bilan de la Fed.

La lecture du procès-verbal de la réunion de mars indique aussi que « les membres préfèrent généralement l’option consistant à stopper les réinvestissements des titres du Trésor et des MBS ». Des économistes de la Fed ont publié en janvier 2017 dans une FEDS Notes une simulation de la taille du bilan de la Fed sur la base des hypothèses énoncées ci-dessus. En supposant que le non-réinvestissement commence en octobre 2017 et à l’aide de leurs données sur le portefeuille d’actifs détenus par la Fed, le graphique suivant a été élaboré.

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Source: Federal Reserve Board.

Ces projections montrent qu’une politique de non-réinvestissement implique que le bilan diminue d’environ 600 milliards de dollars par année jusqu’en octobre 2019, de 400 milliards de dollars la troisième année et de 300 milliards de dollars la quatrième année. Les avoirs du Trésor diminuent de 1 200 milliards de dollars tandis que les détentions de MBS diminuent de 600 milliards[2]. Selon ces hypothèses, le montant des réserves sera de 100 milliards de dollars en octobre 2021, soit leur niveau d’avant-crise, tandis que la Fed aura à cette date des quantités de dette du Trésor et de MBS d’un montant équivalent (environ 1 100 milliards chacune). Se pose la question de savoir à quelle taille de bilan la banque centrale souhaite revenir : le montant nominal d’avant-crise, le montant exprimé en part du PIB d’avant-crise ou un niveau plus élevé (la détention de titres pouvant servir ses objectifs de stabilisation macroéconomique et de stabilité financière [3]) ? En ne répondant pas explicitement à cette question, la Fed se laisse la possibilité d’ajuster son objectif en fonction de la réaction du marché et le temps de décider quelle taille viser si elle souhaite utiliser cet instrument de façon pérenne.

L’impact économique et sur les marchés financiers d’une telle baisse de la taille du bilan pourrait être limité. Alors que les anticipations privées de ces changements dans la taille et la composition du bilan de la Fed devraient jouer sur les conditions financières, en modifiant les équilibres d’offre ou de demande de titres financiers, les différentes annonces liées à cette normalisation de la politique monétaire n’ont pas eu d’effet pour le moment. Après la publication des procès-verbaux des dernières réunions du FOMC ou de la FEDS Notes décrivant cette politique de réduction, ni les taux d’intérêt, ni le taux de change du dollar, ni les marchés boursiers n’ont réagi. Soit les marchés financiers n’ont pas incorporé cette information (parce qu’elle est passée inaperçue ou qu’elle n’est pas crédible), soit elle était déjà incorporée dans les prix d’actifs et dans leurs anticipations futures.

Autrement dit, il ne semble pas que la réduction de la taille du bilan à venir, si elle se fait sur la base des modalités communiquées, vienne resserrer davantage les conditions monétaires et financières au-delà des hausses à venir des taux d’intérêt, l’instrument conventionnel de la politique monétaire[4]. Si tel était le cas, la normalisation porterait bien son nom. Appliquée à la zone euro, elle tendrait à montrer qu’une politique monétaire ultra-expansionniste n’est pas irréversible.

 

 

[1] Plus précisément : « À condition que l’économie continue de croître comme prévu, la plupart des membres (…) jugent qu’une modification de la politique de réinvestissement deviendra appropriée plus tard cette année ».

[2] Sous l’hypothèse que les besoins nets de financement du gouvernement américain seront d’environ 300 milliards de dollars par an sur ces 4 années, la diminution de la demande de titres publics par la Réserve fédérale sera d’un ordre de grandeur similaire.

[3] Cette question est abondamment débattue dans la littérature académique depuis la mise en place des programmes de QE, voir parmi d’autres Curdia et Woodford (2011), Bernanke (2016), Reis (2017).

[4] Alors que la réduction du bilan devrait en théorie jouer principalement sur les taux d’intérêt à long terme, l’absence de réponse couplée aux récentes hausses du taux d’intérêt à court terme pourrait avoir pour conséquence d’aplatir la courbe des taux aux Etats-Unis et ainsi réduire la marge d’intermédiation des banques.




Jusqu’où les taux d’intérêt peuvent-ils être négatifs ?

par Christophe Blot et Paul Hubert

Le 11 juin 2014, la Banque centrale européenne décidait de fixer un taux négatif sur les facilités de dépôts ainsi que sur les réserves excédentaires détenues par les établissements de crédit de la zone euro. Ce taux a été ensuite réduit à plusieurs reprises et s’élève à -0,40 % depuis mars 2016. On peut s’interroger sur le fait que des agents, ici les banques commerciales, acceptent de payer un intérêt pour des dépôts laissés auprès de la BCE. Dans un article sur les causes et conséquences des taux négatifs, nous expliquons comment la banque centrale parvient à imposer des taux négatifs, quel est leur limite à la baisse et discutons des coûts de cette politique pour les banques.

Pour conduire la politique monétaire, la BCE impose aux banques commerciales de la zone euro d’avoir un compte auprès de la BCE, utilisé pour satisfaire les exigences de réserves obligatoires[1] et pour participer aux opérations d’octroi de liquidités. Ce compte peut être aussi utilisé pour effectuer des transactions de compensation entre banques commerciales. Les réserves obligatoires sont rémunérées à un taux fixé par la BCE. Au-delà de ce montant, les banques ne reçoivent en temps normal aucune rémunération. Par ailleurs, la BCE propose également une facilité de dépôts permettant aux banques de placer des liquidités auprès de la BCE pour une durée de 24 heures et rémunérées au taux des facilités de dépôts.

Avant 2008, les banques commerciales détenaient uniquement les réserves dont elles avaient besoin pour satisfaire les exigences de réserves obligatoires (graphique). L’encours de réserves excédentaires[2] était très faible : moins de 1 milliard en moyenne avant 2008. Il en était de même pour l’encours des facilités de dépôts : 321 millions en moyenne. Depuis la crise, la BCE s’est substituée au marché interbancaire et est intervenue pour fournir des liquidités en quantité abondante. En participant aux différents programmes d’achat de titres de la BCE (QE, quantitative easing), les banques reçoivent également des liquidités qui sont placées sur ce compte de réserves si bien que l’encours cumulé des réserves excédentaires et des facilités de dépôts atteint 987 milliards d’euros en septembre 2016. Les taux négatifs ne s’appliquent donc pas à l’ensemble des opérations de politique monétaire mais uniquement sur cette fraction des liquidités laissées en dépôts par les banques (pour un actif total des banques de la zone euro de 31 000 milliards d’euros). Au taux actuel, le coût annuel  direct pour les banques est ainsi de 3,9 milliards d’euros.

Dans la mesure où les banques ne sont pas tenues de détenir ces réserves excédentaires, on peut se demander pourquoi elles acceptent de supporter ce coût. Pour répondre à cette question, il faut examiner les possibilités d’arbitrage avec d’autres actifs qui pourraient être utilisés comme substitut aux réserves excédentaires. Les réserves sont en fait une monnaie[3] émise par les banques centrales uniquement à l’intention des banques commerciales et sont de fait un actif très liquide. Or, sur le marché monétaire, les taux sont également négatifs si bien que les banques sont indifférentes entre avoir des réserves excédentaires et placer leurs liquidités sur le marché interbancaire à une semaine ou acheter des titres du Trésor émis par le gouvernement français ou allemand par exemple, dont le rendement est également négatif.

 

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En fait, le meilleur substitut aux réserves serait de détenir directement du cash. La substitution pourrait donc s’opérer au sein même de la base monétaire si les banques demandaient la conversion des réserves excédentaires et des facilités de dépôts en billets qui ont les mêmes propriétés en termes de liquidité et ont un intérêt nominal nul. Actuellement, il faudrait alors convertir 987 milliards de réserves sous forme de billets, ce qui en doublerait presque l’encours ; la quantité de billets en circulation était de 1 096 milliards d’euros en septembre 2016. Le fait que les agents puissent disposer d’un actif ne portant pas intérêt est l’argument justifiant que les taux nominaux ne puissent pas être négatifs. En pratique, cet arbitrage ne se fait pas dès que le seuil de taux négatif est franchi dans la mesure où il existe des coûts à la détention de monnaie sous forme de billets. Le taux nominal peut donc être négatif. On peut cependant considérer qu’il existe un seuil à partir duquel la détention de cash est préférée. Ce coût de détention de grandes quantités d’argent n’est pas précisément connu mais il semble non négligeable et en tout cas supérieur au 0,4 % chargé par la BCE aujourd’hui. De fait, aucune substitution ne semble avoir été opérée aujourd’hui puisque la croissance de l’encours de billets en circulation n’a pas particulièrement augmenté depuis la mise en place du taux négatif (graphique). Une évaluation faite par Jackson (2015) indique que les différents coûts liés à la détention de monnaie sous forme de pièces et de billets pourraient aller jusqu’à 2 %, valeur qui pourrait constituer une contrainte effective (ELB) pour la baisse des taux.

Au-delà du coût que représentent les taux négatifs pour les banques, il convient de considérer les bénéfices attendus d’une telle politique et le cadre global dans lequel ils s’inscrivent. Conjointement aux taux négatifs, la BCE permet aux banques, via le programme TLTRO II, de se financer elles-mêmes à des taux négatifs et les incite ainsi doublement (via le coût des réserves excédentaires et via le taux auquel elles se financent) à octroyer des crédits à l’économie réelle.

 

[1] Les établissements de crédit sont en effet tenus de laisser en réserves sur ce compte, une fraction des dépôts collectés auprès des agents non financiers. Voir ici pour plus de détails.

[2] Montant des réserves au-delà des réserves obligatoires.

[3] Avec les billets émis, elles forment ce qu’on appelle la base monétaire, également appelée M0.