Espagne : une stratégie perdant-perdant

par Danielle Schweisguth

A l’heure où le FMI reconnaît publiquement avoir sous-estimé l’impact négatif des ajustements budgétaires sur la croissance économique européenne, l’Espagne s’apprête à publier le chiffre de son déficit public pour 2012. Il devrait se situer autour de 8% du PIB en première estimation – mais pourrait être revu à la hausse comme ce fut le cas en 2011 – alors que l’objectif négocié avec la Commission européenne est de 6,3%. Tandis que la détresse sociale est à son comble, seul un retour durable de la croissance permettrait à l’Espagne de résoudre ses difficultés budgétaires par la hausse des rentrées fiscales. Or la politique de rigueur imposée par l’Europe retarde le retour de la croissance économique. Et le niveau du multiplicateur budgétaire espagnol, compris entre 1,3 et 1,8 selon nos estimations, rend inefficace la politique de restriction budgétaire puisqu’elle ne permet pas de réduire sensiblement le déficit et maintient le pays en récession.

A l’heure où le FMI reconnaît publiquement avoir sous-estimé l’impact négatif des ajustements budgétaires sur la croissance économique européenne – le fameux multiplicateur budgétaire – l’Espagne s’apprête à publier son déficit public pour l’année 2012. Ce dernier devrait se situer autour de 8% du PIB en première estimation, mais pourrait être revu à la hausse comme ce fut le cas en 2011. Si l’on exclut les aides financières versées au secteur bancaire qui ne sont pas prises en compte dans la procédure de déficit excessif, le déficit est réduit à 7% du PIB. Ce chiffre reste au dessus de l’objectif officiel de 6,3%, âprement négocié avec la Commission européenne. Rappelons que jusqu’en septembre 2011, l’objectif initial de déficit pour l’année 2012 était de 4,4% du PIB. Ce n’est qu’après la mauvaise surprise liée à la publication d’un déficit pour l’année 2011 de 8,5% (qui sera plus tard révisé à 9,4%) – largement au-dessus de l’objectif officiel pour 2011 de 6% du PIB – que le gouvernement nouvellement élu de Mariano Rajoy a demandé à la Commission européenne un premier assouplissement. L’objectif bruxellois de déficit a alors été fixé à 5,3% du PIB pour 2012. Puis en juillet 2012, les fortes tensions sur les taux souverains espagnols – ils s’approchaient des 7% – ont conduit le gouvernement à négocier avec la Commission un report de l’objectif de 3% en 2014 et un objectif de déficit de 6,3% du PIB en 2012.

Mais chercher à réduire le déficit public de 2,6 points de PIB alors que le cycle économique est très dégradé s’est avéré une stratégie inefficace et contre-productive. Aussi le résultat n’est pas à la hauteur des efforts engagés, pourtant loués par les autorités européennes à maintes reprises. L’accumulation de plans d’austérité d’ampleur historique pendant trois années consécutives (2010, 2011 et 2012) n’a conduit qu’à une très faible amélioration du solde budgétaire (tableau). Le déficit a été réduit de 3,2 points en trois ans, quand deux années de crise ont suffi pour qu’il se creuse de 13,3 points (de 2007 à 2009). L’impulsion budgétaire a été de -2,2 points de PIB en 2010, de -0,9 point en 2011 et de -3,3 points en 2012, soit 6,4 points de PIB d’efforts budgétaires cumulés (68 milliards d’euros). Mais la crise a précipité l’effondrement du marché immobilier et considérablement fragilisé le système bancaire. Depuis, le pays est plongé dans une profonde récession : le PIB recule de 5,7% depuis le premier trimestre 2008, ce qui le place à un niveau inférieur de 12% par rapport à son niveau potentiel (sous l’hypothèse d’une croissance potentielle de 1,5% par an) et le chômage frappe 26% de la population active et 56% des jeunes.

La dégradation de la situation économique de l’Espagne a fortement pesé sur les rentrées fiscales. Entre 2007 et 2011, les recettes fiscales espagnoles ont connu la chute la plus importante de tous les pays de la zone euro. De 38% du PIB en 2007, elles sont tombées à 32,4% en 2011, malgré les hausses de TVA (2 points en 2010 et 3 points en 2012), l’augmentation des taux d’imposition sur le revenu et la hausse des taxes foncières en 2011. Les hausses d’impôts successives n’ont que faiblement atténué l’effet dépressif de l’effondrement des assiettes fiscales. Les recettes de TVA enregistrent une chute vertigineuse de 41% en termes nominaux entre 2007 et 2012, tout comme l’impôt sur le revenu et la fortune (-45%). En comparaison, la baisse de la pression fiscale en zone euro a été beaucoup plus modeste : de 41,2% du PIB en 2007 à 40,8% en 2011. Enfin, l’envolée du chômage a mis à mal les comptes de la sécurité sociale qui sera déficitaire à hauteur de 1 point de PIB en 2012 pour la première fois de son histoire.

Pour compenser la chute des recettes fiscales, le gouvernement espagnol a dû prendre des mesures drastiques de restriction des dépenses pour tenter de respecter ses engagements : baisse de 5% du salaire des fonctionnaires puis  suppression de leur prime de Noël, gel des embauches dans la fonction publique et passage de la semaine de travail de 35 à 37 heures et demi (sans compensation salariale), passage de 65 à 67 ans de l’âge légal de la retraite et gel des pensions (2010), réduction des indemnités chômage pour les chômeurs de plus de sept mois et baisse des indemnités de licenciement de 45 jours par année d’ancienneté à 33 jours (20 si l’entreprise est déficitaire). Tandis que leur revenu stagnait ou baissait, les ménages espagnols ont été confrontés à une hausse considérable du coût de la vie : hausse de 5 points de la TVA, augmentation des tarifs de l’électricité (28% en deux ans et demi), hausse des taxes sur le tabac et baisse du taux de remboursement des médicaments (les retraités paieront 10% du prix et les actifs entre 40% et 60% selon leur revenu).

La situation sociale en Espagne est très préoccupante. La pauvreté a augmenté (de 23% de la population en 2007 à 27% en 2011 selon Eurostat) ; les ménages ne parvenant pas à payer leurs traites se font expulser de leur logement ; le chômage de longue durée a explosé (9% de la population active) ; les jeunes chômeurs forment une génération sacrifiée et les plus diplômés s’expatrient. La hausse de la TVA en septembre resserre la contrainte budgétaire des ménages : les dépenses alimentaires ont baissé en septembre et en octobre 2012 de respectivement 2,3% et 1,8% en glissement annuel. Par ailleurs le système sanitaire espagnol souffre des coupes budgétaires (-10% en 2012), qui conduisent à la fermeture des services d’urgence la nuit dans des dizaines de municipalités et à l’allongement des listes d’attente pour une intervention chirurgicale (de 50 000 personnes en 2009 à 80 000 en 2012), avec un délai d’attente moyen de près de 5 mois.

La détresse sociale est ainsi à son comble. Le mouvement des indignés a conduit des millions d’Espagnols dans la rue au cours de l’année 2012, dans des manifestations souvent violemment réprimées par les forces anti-émeutes. La région de Catalogne, la plus riche mais aussi la plus endettée d’Espagne, menace de faire sécession, au grand dam du gouvernement espagnol. Le gouvernement catalan a voté le 24 janvier une motion sur la souveraineté de cette région, premier pas d’un processus d’autodétermination qui pourrait déboucher sur un référendum en 2014.

Seul un retour durable de la croissance permettra à l’Espagne de résoudre ses difficultés budgétaires par la hausse des rentrées fiscales. Mais le durcissement des conditions de financement de la dette souveraine espagnole depuis l’été 2012 contraint le gouvernement à renforcer la politique de rigueur, ce qui retarde le retour de la croissance économique. Et la Commission européenne n’accepte de fournir une aide financière à l’Espagne qu’à la condition que celle-ci renonce, au moins partiellement, à sa souveraineté en matière budgétaire, ce à quoi le gouvernement de Mariano Rajoy ne se résigne toujours pas. L’initiative de la Commission européenne, dont les détails seront publiés au printemps, concernant l’exclusion des dépenses d’investissement du calcul du solde public pour les pays proches de l’équilibre budgétaire va dans le bon sens (El Pais). Mais cette règle ne s’appliquerait qu’aux sept pays où le déficit budgétaire est inférieur à 3% du PIB (l’Allemagne, le Luxembourg, la Suède, la Finlande, l’Estonie, la Bulgarie et Malte), laissant de côté les pays où la situation économique est la plus dégradée. La prise de conscience des drames sociaux qui se jouent derrière les médiocres performances économiques devrait conduire à une réflexion plus respectueuse des droits fondamentaux des citoyens européens. Par ailleurs, l’OFCE a montré dans le rapport iAGS 2013 qu’une stratégie de rigueur mesurée (restrictions budgétaires limitées à 0,5 point de PIB chaque année) est plus efficace du double point de vue de la croissance et de la réduction des déficits, pour les pays comme l’Espagne où les multiplicateurs budgétaires sont très élevés (entre 1,3 et 1,8 selon nos estimations).




Répéter

par Jérôme Creel

Dans un très bel ouvrage pour enfants, Claude Ponti dessinait, toutes les deux pages, deux poussins dont l’un disait à l’autre : « Pète et Répète sont dans un bateau. Pète tombe à l’eau. Qui reste-t-il ? » ; alors l’autre poussin de répondre : « Répète », et c’était reparti pour un tour. En fin d’ouvrage, le second poussin, les yeux exorbités, hurlait : « Répète ! » et cela n’en finissait pas. Un peu comme ces analyses sur la croissance économique et les contractions budgétaires où l’on redécouvre presque chaque mois que les contractions budgétaires réduisent la croissance économique ou que la sous-estimation des effets réels de la politique budgétaire engendre des erreurs de prévision.

Dernièrement, et après avoir signé en octobre 2012, un encadré dans les Perspectives économiques 2013, Olivier Blanchard et Daniel Leigh du FMI ont publié un document d’appui qui confirme que les erreurs récentes de prévision du FMI s’expliquent par des hypothèses erronées à propos de l’effet multiplicateur. Parce que cet effet a été sous-estimé, notamment en bas de cycle économique, les prévisionnistes du FMI, mais ils ne sont pas les seuls (voir notamment le billet de Bruno Ducoudré), ont sous-estimé les prévisions de croissance : ils n’avaient pas anticipé que les prescriptions de cure d’austérité et leur mise en œuvre auraient autant d’impact négatif sur la consommation des ménages et sur l’investissement des entreprises. La tentative de désendettement des Etats intervenant en pleine période de désendettement des ménages et des entreprises, le piège de la récession allait être difficile à éviter.

Puisqu’il faut répéter, répétons ! « Les-contractions-budgétaires-expansionnistes et Répète sont dans un bateau. Les-contractions-budgétaires-expansionnistes tombent à l’eau. Qui reste-t-il dans le bateau ? Répète ! ». Pour étayer cette courte histoire, on pourra utilement se reporter à la revue de littérature d’Eric Heyer : il y montre, en effet, l’étendue du consensus sur la valeur des multiplicateurs budgétaires, consensus ayant émergé dès 2009, soit en pleine récession et au moment même où des prescriptions de cure d’austérité commençaient à voir le jour. Le billet de Xavier Timbeau montre que l’analyse des restrictions budgétaires en cours étaye une évaluation de la valeur du multiplicateur budgétaire en temps de crise bien plus élevée qu’en temps normal … Quels paradoxes !

Que faire désormais ? Répéter, une fois de plus, que la récession ne peut être une fatalité : comme l’ont souligné Marion Cochard, Bruno Ducoudré et Danielle Schweisguth en complément du rapport iAGS 2013, il est urgent d’atténuer l’austérité budgétaire dans la zone euro : la croissance européenne mais aussi l’assainissement budgétaire effectif en seraient enfin améliorés.

 




Le dilemme de la compétitivité

Par Jean-Luc Gaffard

La compétitivité d’une nation est un sujet complexe. Certains s’insurgent contre le vocable lui-même qui ne saurait s’appliquer à une nation et n’aurait de sens que pour une entreprise. Il est vrai que si une entreprise gagne des parts de marché, elle le fait forcément au détriment de l’entreprise concurrente. Il est non moins vrai que lorsqu’un pays exporte davantage vers un autre, les revenus supplémentaires ainsi gagnés par le premier viendront, pour partie, alimenter une demande au bénéfice du second. Les bénéfices de l’un deviennent la condition des bénéfices de l’autre. Cet aller-retour justifie un commerce international dont la finalité est une meilleure utilisation des ressources de par le monde, dont les bénéfices sont partagés entre tous, voire équitablement partagés. Cette histoire a du sens. Elle signale effectivement que la compétitivité d’une nation n’est pas assimilable à celle d’une entreprise.
Pourtant, les déséquilibres globaux existent, qui se traduisent par des excédents ou des déficits commerciaux durables résultant d’écarts de compétitivité entre les entreprises des pays concernés. Ils exigent des réponses de politique économique appropriés dont l’enjeu est de rendre possible ce que d’aucuns ont appelé le voyage de retour, c’est-à-dire la mise en route de ce mécanisme qui veut que les revenus gagnés par l’un deviennent une demande pour l’autre.
C’est devant cette difficulté que la France se trouve aujourd’hui. Accumulant les déficits commerciaux depuis 2002, elle est bel et bien confrontée à un problème de compétitivité de ses entreprises sur des marchés mondiaux, sans plus avoir la possibilité de recourir à l’arme du taux de change. Clairement, le déficit commercial persistant est plus préoccupant que le déficit public et sa résorption devrait être une priorité. C’est bien pourquoi les appels se sont multipliés en faveur d’un choc de compétitivité, c’est-à-dire de mesures de politique économique susceptibles de rétablir la compétitivité des entreprises en diminuant leurs coûts de production.
Cela étant dit, un choc de compétitivité n’est pas simple à mettre en œuvre. Bien sûr, dans une économie développée, la compétitivité des entreprises est avant tout une compétitivité hors coût qui repose sur la capacité des entreprises à occuper des niches technologiques ou de marché. Mais retrouver cette forme de compétitivité exige des investissements et du temps. Aussi la compétitivité hors coût n’est elle pas indépendante de la compétitivité prix immédiate. Rétablir rapidement les taux de marge devient ainsi une condition nécessaire, sans doute non suffisante, d’un retour à la compétitivité hors coût. Une telle exigence est d’autant plus forte que l’obtention de marchés captifs par différenciation requiert des coûts de R&D et d’exploration de la clientèle souvent très importants.
La difficulté que doit affronter l’économie française vient de ce que le rétablissement nécessaire des taux de marge risque de se faire au détriment du pouvoir d’achat des ménages et donc de la demande intérieure. Les gains de compétitivité pourraient rester lettre morte si la demande finale devait s’effondrer. D’ailleurs, rien ne permet d’affirmer que le seul rétablissement des taux de marge se traduira par un regain d’investissement quand, précisément, les entreprises doivent faire face à un ralentissement sinon une chute de la demande.

Il semble bien, cependant, qu’il faille tenir les deux bouts de la chaîne : la compétitivité prix à court terme et la compétitivité hors prix à moyen terme. Rétablir rapidement les taux de marge requiert le transfert du financement de la protection sociale sur l’impôt payé par les ménages. Permettre aux entreprises de retrouver une compétitivité hors prix suppose d’améliorer encore le niveau des infrastructures et d’aider à la constitution d’écosystèmes de production alliant relations de proximité et internationalisation des processus de production. Dans l’un et l’autre cas, la question posée est celle de la stratégie fiscale et budgétaire à mettre en œuvre.
La difficulté vient de la hiérarchisation des objectifs. Si priorité est donnée à un rétablissement immédiat des comptes publics, ajouter aux ponctions fiscales déjà effectuées sur les ménages un alourdissement supplémentaire lié au transfert de charges fait effectivement courir le risque d’un effondrement de la demande. Dès lors, soit il faut admettre qu’un tel transfert n’est réellement possible qu’en situation de croissance relativement forte et le repousser à plus tard, soit il faut donner la priorité au redressement du déficit commercial sur celui des comptes publics et ne pas se lier les mains avec un objectif budgétaire trop abrupt.
Le gouvernement a décidé de maintenir le cap de la réduction du déficit public et a, de fait, reporté le choc de compétitivité en proposant, à terme d’un an ou plus, des crédits d’impôt aux entreprises notamment compensés par des hausses des taux de TVA. Le raisonnement sous-jacent est clair. La recherche de l’équilibre budgétaire est censée garantir le retour à la croissance, mais l’on se garde de peser un peu plus sur la demande en ajoutant à la ponction fiscale déjà effectuée pour tenir l’objectif des 3% de déficit public dès 2013. L’idée prévaut que, la sagesse budgétaire aidant, la reprise de l’activité sera au rendez-vous dans un délai de deux ans suivant un déroulement supposé classique du cycle conjoncturel qui aurait, en outre, l’avantage de coïncider avec le cycle électoral.
Le chemin choisi est étroit et, pour tout dire dangereux. La pression sur la demande intérieure du fait de l’austérité budgétaire reste forte. La restauration des taux de marge est retardée. N’aurait-il pas mieux fallu étaler davantage dans le temps le rétablissement des comptes publics et permettre des gains immédiats de compétitivité en choisissant les outils fiscaux adaptés ?
Bien sûr, le résultat que l’on peut attendre de l’une ou l’autre de ces stratégies est étroitement dépendant des choix effectués à l’échelle européenne. Que l’on persévère dans la voie d’une austérité généralisée et rien de bon ne pourra arriver pour personne.




La Très Grande Récession

Perspectives économiques mises à jour pour les grands pays développés en 2012

Département Analyse et Prévision, sous la direction de Xavier Timbeau

Les perspectives de croissance pour les pays développés et plus particulièrement européens se sont dégradées spectaculairement au cours des dernières semaines. La dépréciation « volontaire et négociée » des titres de dette souveraine grecque, qui n’est autre qu’un défaut souverain, la vague de plans de restriction budgétaire annoncés alors que les lois de finance sont encore en train d’être débattues, l’impuissance de l’Union européenne à mobiliser ses forces dans la crise sont autant de facteurs qui ont rendu les prévisions faites il y a deux mois obsolètes. L’année 2012 sera marquée par une récession dans plusieurs pays européens, dont la France.

Publiés en août 2011, les chiffres de croissance pour le deuxième trimestre 2011 dans les pays développés ont relativisé les signaux positifs du début de l’année 2011. Au troisième trimestre 2011, les comptes nationaux ont été meilleurs qu’attendu, mais le répit serait de courte durée. Les indicateurs conjoncturels pour la majorité des pays développés (cf. note associée) annoncent une réduction de l’activité au quatrième trimestre 2011 et au début de l’année 2012. La zone euro stagnerait en 2012 ; avec +0,4 % de croissance du PIB, l’Allemagne enregistrerait la « meilleure » performance de la zone euro (tableau 1).

La première phase de la Grande Récession, en 2008-2009, a induit le gonflement des dettes publiques (de l’ordre de 16 points dans la zone euro, de plus de 30 points aux Etats-Unis et au Royaume Uni, cf. tableau 2). La phase II sera conditionnée par la façon dont sont digérées ces dettes publiques induites par la crise : ou bien les taux d’intérêts bas permettent de reporter l’ajustement des déficits publics à plus tard et les économies peuvent rebondir, allégeant en conséquence l’ajustement nécessaire ; ou bien l’ajustement est fait immédiatement, amplifié par la hausse des taux publics et par la persistance du sous-emploi (tableau 3). Parce que l’Europe est soumise à la peur du défaut, elle transforme la Grande Récession amorcée en 2008 en Très Grande Récession.

Après le défaut « volontaire » grec, les pays de la zone euro se sont infligés non seulement un ajustement encore plus brutal que le Pacte de stabilité et de croissance ne l’exigeait, mais aussi la contagion et la débâcle générale des dettes souveraines. Les dispositifs, du FESF aux règles d’or, proposés par l’Union européenne n’ont pas convaincu quant à la capacité à résoudre dans le court comme dans le long terme le problème des finances publiques des Etats de la zone euro. D’autant que l’Europe semble oublier que la croissance et le retour au plein emploi sont des éléments fondamentaux de la soutenabilité des dettes publiques et, plus généralement, du projet européen.

Face au risque d’insolvabilité sur les titres souverains, les créanciers exigent des primes de risque plus élevées pour continuer à financer à la fois la dette nouvelle et le renouvellement de la fraction de dette ancienne arrivée à échéance. Ce durcissement des conditions de financement, alors même que les perspectives d’activité se dégradent sous l’effet des restrictions budgétaires, tue dans l’œuf les tentatives d’assainissement des finances publiques. S’engage alors une spirale infernale. Le renchérissement du coût de la dette alourdit les charges d’intérêt, ce qui hypothèque la réduction des déficits et appelle des mesures restrictives supplémentaires pour rassurer les bailleurs. La restriction pèse alors sur l’activité et, en bout de course, creuse les déficits conjoncturels. A quoi les gouvernements, affolés par la résistance des déficits et la perspective d’une dégradation de leur note souveraine, répondent par l’accentuation de la rigueur.

Parce que les économies des pays européens sont étroitement interconnectées, la simultanéité de la mise en œuvre de politiques budgétaires restrictives conduit à amplifier le ralentissement économique global, via un affaiblissement du commerce extérieur (nous avions développé ce point dans notre précédent exercice de prévision). En effet, les politiques de restriction affectent la demande intérieure des pays qui les conduisent et donc réduisent leur production mais également leurs importations. Ce mécanisme réduit les exportations de leurs partenaires commerciaux et donc leur activité, indépendamment de leurs propres politiques budgétaires. Si ces pays conduisent eux aussi une politique restrictive, il faut ajouter à la restriction interne l’effet extérieur (indirect). L’ampleur de ces effets est fonction de plusieurs facteurs. Les effets directs sont essentiellement liés aux impulsions négatives propres à chaque pays. L’effet indirect est plus difficile à mesurer, puisqu’il dépend du degré d’ouverture de chaque pays, de la répartition géographique de ses exportations et de l’élasticité des importations au PIB des pays qui pratiquent la rigueur. Ainsi, un pays très ouvert et dont la majorité des exportations est dirigée vers un pays où la restriction budgétaire est intense subira un effet indirect fort. A cet égard, les pays de la zone euro, très intégrés, vont davantage subir la restriction de leurs partenaires que les Etats-Unis ou le Japon. Leur croissance va donc être largement amputée, repoussant la réduction des déficits conjoncturels. La récession qui s’annonce dans de nombreux pays est le résultat de mesures toujours plus restrictives prises pour tenter de stabiliser le plus rapidement possible leur ratio dette/PIB dans un contexte conjoncturel de plus en plus défavorable.

La course à la rigueur pour tenter de ramener les déficits publics sous la barre des 3 % du PIB et pour stabiliser les ratios de dette vise autant à répondre aux exigences des accords européens qu’à rassurer les agences de notation et les marchés financiers. Ces derniers, et parmi eux les banques européennes, détiennent en effet au moins 50 % des dettes publiques des pays développés, via les titres émis par les agences nationales de la dette publique. De 77 % de la dette publique détenue par les institutions financières en France, ce pourcentage monte à 97% pour l’Espagne.

Dans la zone euro, entre 9 et 23 points de PIB de dette publique selon les pays devront être renouvelés en 2012 (cf. tableau 2). En dehors du Japon, c’est en Italie, qui associe dette élevée et part importante de titres de court terme, que le besoin de financement sera le plus élevé. Si l’on ajoute à ces émissions les besoins liés au financement du déficit public de 2012, le potentiel d’émissions brutes dans la zone euro est compris entre 10 % du PIB en Allemagne et 24 % en Italie.

Ces montants élevés posent problème aux pays soumis à la défiance des marchés. Si le taux d’intérêt auquel ces pays se financent se maintenait en 2012 aux niveaux moyens observés au dernier trimestre 2011, l’Espagne emprunterait à 5 % et l’Italie à 4,3 %. La France et l’Allemagne continueraient en revanche de bénéficier de taux bas (respectivement 1,5 % et 0,9 %). Les taux des émissions de décembre 2011 pour ces deux pays ont, pour l’instant, été peu affectés par les menaces de dégradation des dettes souveraines des pays de la zone euro. Malgré des besoins de financement sur les marchés plus élevés que dans la zone euro en 2012, les taux restent bas au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et au Japon. Paradoxalement, la dégradation de la note souveraine américaine en août 2011 s’est accompagnée d’une baisse du taux à 10 ans et des taux à court terme aux Etats-Unis. Dans ce contexte de fuite vers la sécurité, les programmes massifs d’achats de titres publics sur le marché secondaire, mis en œuvre par la Réserve fédérale (FED), la Banque d’Angleterre (BoE) et la Banque du Japon, maintiennent les taux longs publics à un bas niveau. La politique monétaire joue ainsi à la fois sur les taux d’intérêts à court terme mais également sur les taux à long terme. Le rôle de prêteur en dernier ressort qu’adoptent ces banques centrales en procédant de la sorte rassure les marchés et évite la hausse des taux lors des adjudications. A contrario, le mandat de la BCE et son encadrement strict par l’échafaudage juridique européen limitent son action. La faiblesse relative (2,3% du PIB de la zone Euro contre 11% du PIB américain pour la FED et 13% du PIB britannique pour la BoE) des montants d’obligations publiques achetées depuis 2010 et les dissensions entre pays de la zone euro sur le rôle de la banque centrale alimentent les exigences de couverture des investisseurs par la hausse des primes de risque.

Pour mettre un terme à la débâcle des dettes souveraines européennes, il faut écarter toute possibilité de défaut souverain ; il faut ramener par tous les moyens possibles les taux d’intérêts publics au plus bas ; il faut mettre en place une stratégie européenne de stabilisation de la dette publique d’abord par la sortie du sous-emploi et donc par la croissance, ensuite par l’ajustement des finances publiques.