L’emploi des femmes et des hommes pendant la période de confinement du 17 mars au 10 mai 2020

image_pdfimage_print

Bruno Ducoudré et Hélène Périvier

Les mesures prises pour lutter contre la diffusion du virus de la covid-19, fermetures administratives des commerces non essentiels, fermeture des écoles et des modes d’accueil des jeunes enfants notamment, confinement de la population du 17 mars au 10 mai 2020, ont limité les possibilités de travailler pour de nombreuses personnes. Selon le secteur d’activité et le poste occupé, certaines ont pu télétravailler, d’autres ont été prises en charge par le dispositif d’activité partielle, les fonctionnaires et assimilés étant couverts pas une autorisation spéciale d’absence. Le confinement a fortement affecté l’activité et conduit à des destructions d’emplois. L’OFCE a produit plusieurs évaluations portant sur les conséquences économiques et sociales de la période de confinement, en particulier sur l’emploi (voir Policy Brief, n°67). En mobilisant la même méthode, nous précisons ici l’effet différencié attendu sur l’emploi des femmes et des hommes. En effet, la ségrégation sexuée du marché du travail par secteur et selon les professions implique que les femmes et les hommes n’ont pas été dans des situations similaires durant la période de confinement. Les femmes sont légèrement sur-représentées parmi les personnes pouvant potentiellement télétravailler (55,7 %). Au total, 38 % des femmes actives occupées occupent un poste pour lequel le télétravail serait possible contre 28 % des hommes. Les femmes ont dans le même temps continué à assumer la plus grande partie des tâches familiales et domestiques accrues durant cette période (Lambert et al., 2020[1]), combinant télétravail et éducation des enfants.

Pour toutes celles et ceux qui n’ont pas pu télétravailler, trois situations sont possibles : soit ils ou elles ont perdu leur emploi durant la période de confinement, soit ils et elles ont été placés en chômage partiel, avec une indemnité compensatrice (100 % pour un salaire horaire au smic et de 84 % au-delà, versée par l’entreprise et compensée par l’Etat et l’Unedic jusqu’à 4,5 smic horaire via de dispositif d’activité partielle) ; soit ils et elles ont bénéficié de l’arrêt pour garde d’enfant. Afin de détailler l’effet de la période de confinement sur l’emploi des femmes et des hommes, certaines hypothèses sont nécessaires en particulier s’agissant du parent qui recourt à l’arrêt pour garde d’enfant. Ne disposant d’aucune donnée permettant d’identifier qui sont les parents qui ont bénéficié de ce dispositif, nous supposons que si la personne élève seule son enfant, elle est concernée par un arrêt pour garde d’enfant (sauf si elle peut télétravailler, ou si elle travaille dans une entreprise concernée par les fermetures obligatoires), si elle vit en couple et que son conjoint doit continuer son activité, alors cette personne est concernée par ce dispositif. Enfin si les deux peuvent prendre l’arrêt pour garde d’enfant, selon l’hypothèse 1 nous supposons que c’est la mère qui recourt au dispositif, selon l’hypothèse 2 nous supposons que c’est le père. La réalité se situe entre les deux, mais avec certainement un recours beaucoup plus élevé pour les mères que pour les pères, au regard de l’état du partage des tâches dans la famille. En effet, les femmes réalisent encore aujourd’hui 70 % du travail domestique et 65 % du travail familial (Champagne et al, 2015[2]). 

Au total les femmes et les hommes ont été affectés dans des proportions comparables par les mesures de confinement : sous l’hypothèse 1 (respectivement l’hypothèse 2), les femmes représentent 52 % (43%) des 7,95 millions (7,8 millions) de personnes affectées. La ventilation par sexe des emplois dans les trois situations indique des différences entre les femmes et les hommes. Sous l’hypothèse 1 (respectivement l’hypothèse 2), les femmes ont représenté 38 % (35 %) des emplois détruits pendant la période ; 45 % (50 %) de l’activité partielle et 90 % (17 %) des arrêts pour garde d’enfants. Ces chiffres ne prennent pas en compte les fonctionnaires et assimilés, qui comportent une part importante de femmes.

Les hommes ont été, au regard de nos hypothèses, plus affectés par les destructions d’emploi, les femmes ont été davantage concernées par les arrêts pour garde d’enfants, le chômage partiel ayant affecté les hommes légèrement plus que les femmes. La ségrégation sectorielle par sexe explique une partie des effets sexués des mesures de confinement, de même que la division sexuée du travail dans les couples. 

Les graphiques 1 et 2 montrent la part des femmes affectées par des destructions d’emploi et l’activité partielle selon le secteur sous l’hypothèse 1. Le secteur de la construction a été particulièrement affecté par les destructions d’emplois (21 % des destructions d’emploi ont eu lieu dans ce secteur), les femmes ont été moins concernées que les hommes : elles représentent 6 % des destructions d’emploi de ce secteur contre 11 % de l’emploi du secteur. La ségrégation sectorielle se double d’une ségrégation des professions. Ainsi les femmes occupent plus souvent des postes administratifs que des emplois impliquant une présence sur le terrain, ce qui explique en partie qu’elles soient moins affectées par les destructions d’emploi dans ce secteur.  Dans le secteur du commerce, les femmes ont été un peu plus affectées par les destructions d’emploi que les hommes (elles représentent 47 % de l’emploi dans ce secteur et 54 % des destructions d’emplois), et elles ont été sensiblement plus touchées par l’activité partielle (58 % des emplois en activité partielle étaient occupés par des femmes). Le secteur des administrations publiques et de l’éducation et santé humaine comprend des emplois qui ne sont pas du ressort de la fonction publique, notamment ceux dans les organisations à but non lucratif. Ce secteur a été affectés par des destructions d’emploi dans lesquels les femmes représentent 71 % de l’emploi, a fortement contribué à affecter l’emploi des femmes : elles y ont représenté 86 % des destructions d’emploi et 95 % de l’activité partielle.  Le sous-secteur des organisations à but non lucratif utilisent des contrats courts ont été détruits du fait des fermetures administratives pendant le confinement (en particulier le secteur associatif). Ces destructions d’emplois représentent moins de 0.5 % de l’emploi total du secteur. 

Les secteurs du transport ou de la fabrication d’autres produits industriels, les hommes ont été concernés par les destructions d’emploi et l’activité partielle au prorata de leur représentation dans ces secteurs soit environ 75 %.

S’agissant des emplois affectés par un arrêt pour garde d’enfant, les résultats dépendent de l’hypothèse retenue. Sous l’hypothèse 1, les femmes sont mécaniquement beaucoup plus affectées que les hommes par cette mesure alors que sous l’hypothèse 2 ce sont les hommes qui sont plus affectés (graphique 3). Néanmoins, l’écart entre les deux n’est pas symétrique car les parents isolés sont à 80 % des femmes. Il est probable au regard de l’inégal répartition des tâches familiales entre les deux conjoints de façon structurelle, que les femmes aient dû davantage recourir à ce dispositif que leur conjoint. 

Les graphiques 4 et 5 indiquent l’ensemble des emplois affectés durant cette période de confinement. Les secteurs du commerce (1,3 million d’emploi affectés) et de l’hébergement et de la restauration (910 000 emplois concernés), les femmes et les hommes ont été affectés dans des proportions comparables. En revanche les hommes ont été beaucoup plus touchés que les femmes dans le secteur de la construction (sur 1,2 million d’emplois concernés, les hommes en occupaient plus d’un million).   A l’opposé dans le secteur Administration publique, enseignement, santé humaine et action sociale, les femmes ont été particulièrement touchées : sur 1 million d’emplois touchés, elles en occupaient 960 000. La moitié de ces emplois sont des « Assistantes maternelles, gardiennes d’enfants, familles d’accueil » et des « Aides à domicile, aides ménagères, travailleuses familiales ». Durant le confinement, nous avons supposé que ces deux types de profession étaient soumis aux fermetures obligatoires.  

La ségrégation sexuée des emplois explique une grande partie le fait que la crise qui touche le marché du travail affecte différemment les femmes et les hommes. Mais contrairement à la crise de 2008 qui était concentrée sur des secteurs particulièrement masculins (construction et industrie) (Revue de l’OFCEn°133), celle que nous traversons aujourd’hui est répartie dans plusieurs secteurs dont certains sont dominés par les femmes. Les effets durables sur le marché du travail et leur dimension sexuée restent encore incertains à ce jour. 


[1] Lambert A., J. Cayouette-Remblière, E. Guéraut, Guillaume Leroux, C. Bonvalet, V. Girard et L. Langlois, « Le travail et ses aménagements : ce que la pandémie de covd19 a changé pour les français », Population et Sociétés, n°579. 

[2] Champagne C., A. Pailhé, A. Solaz, 2015, « 25 ans de participation des hommes et des femmes au travail domestique : quels facteurs d’évolution ? », Economie et Statistique, n°478-479-480.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*