Des vertes et des pas mûres : quand les économistes sont pris pour des pommes

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Informations complémentaires au communiqué de presse de l’OFCE du 24 janvier 2012 relatif à l’évaluation des projets des candidats à l’élection présidentielle.

par Paul Malliet, Frédéric Reynès, Yasser Y. Tamsamani et Xavier Timbeau

Un « exercice inédit » : c’est ainsi que le site de campagne d’Eva Joly[1] présente un travail d’analyse fait à propos de son projet de budget 2012. Cet exercice est inédit en particulier en ce qu’il attribue à 3 économistes de l’OFCE un travail qu’ils n’ont pas réalisé !

Comme il en est de signer un travail qui n’est pas le sien, voir apposer sa signature sur un travail auquel on n’a pas participé constitue une violation de la déontologie scientifique la plus élémentaire. Paul Malliet, Frédéric Reynès et Yasser Y. Tamsamani déclarent qu’ils n’ont ni participé, ni signé, ni contribué directement ou indirectement au travail d’évaluation proposé par Europe Ecologie Les Verts. Ce travail est la responsabilité pleine et entière de Gaël Callonnec et n’engage que lui.

La présentation erronée et l’attribution indue de ce travail conduit à penser que l’OFCE, en tant qu’institution, apporte une quelconque validation à ce travail. Il n’en est rien, pour la simple et bonne raison que pour valider un travail, il faut en avoir eu connaissance (ce qui n’est pas le cas de cette évaluation), qu’il y ait eu matière à validation et qu’une discussion critique ait été conduite, ce qui n’est pas le cas non plus.

Cette étude indique avoir mobilisé un « modèle économique de l’OFCE » pour conduire son évaluation. Un tel modèle existe : l’OFCE a développé en collaboration avec l’ADEME un modèle macroéconométrique, Threeme, destiné aux évaluations de politique économique en particulier lorsqu’elles ont une dimension environnementale. Intégrer les contraintes environnementales est une préoccupation fondamentale, que nous partageons probablement avec bien des membres d’EELV, pour laquelle il nous a paru important de développer des outils et des méthodes. Le modèle est décrit dans un document de travail de l’OFCE, et a été utilisé pour des évaluations de politique économique (voir par exemple ici, dans le numéro 120 de la revue de l’OFCE consacré à la problématique du développement soutenable). Gaël Callonnec est un des auteurs de ce modèle, mais les autres auteurs de ce modèle (MM. Malliet, Reynès et Tamsamani) ne cautionnent pas nécessairement tous les travaux réalisés à partir de ce modèle, simplement parce qu’ils découlent de son utilisation.

La raison en est que l’utilisation d’un modèle ne garantit pas la justesse des évaluations. Evaluer une proposition de politique économique, c’est d’abord choisir comment intégrer telle mesure dans le cadre restrictif et quantifié d’un modèle. Ce choix est laborieux et, suivant que l’on insiste sur un mécanisme, que l’on omet un comportement, que l’on privilégie un scénario, le résultat final peut varier. Pour lever les indéterminations, pour traquer les erreurs, contourner les idées préconçues et débusquer les a priori du modélisateur, il est nécessaire de confronter l’analyse à d’autres, dans un long processus itératif. Il faut discuter et échanger sur les hypothèses hors modèle et dans le modèle. La validation passe par ces étapes. Rien ne nous indique que l’évaluation de l’étude en question ne soit passée à travers ces filtres et nous ne pouvons donc en rien apporter une caution à ce travail. Apposer le label « OFCE » sur cette étude supposerait que nous ayons pu participer à cette validation. Il n’en est rien.

Mais au-delà de la validation, il nous faut admettre que la méthode économique n’a pas la capacité aujourd’hui d’apporter des certitudes chiffrées sur des sujets pourtant importants pour notre avenir. A cela, on ne peut opposer que la transparence sur les éléments qui alimentent les modèles ou les hypothèses qui les sous tendent. On ne peut répondre à cette incertitude que par des demi-conclusions, des scénarios possibles. C’est une des raisons pour lesquelles l’OFCE a déjà exprimé des réticences à se poser en arbitre des programmes des candidats aux élections (voir ici). Nous croyons en revanche que la discussion des effets, leur quantification et des options de modélisation permettent de faire avancer les débats sur les choix de politiques économiques.

L’évaluation est donc peu propice aux coups médiatiques et aux effets d’annonce spectaculaires. Nous sommes pourtant attachés à ce lent processus scientifique.


[1] Le document indûment attribué peut être consulté ici. Il avait été mis en ligne sur le site de campagne de Eva Joly, et y figurait encore vendredi 27 janvier 2012, à 17h.  Ensuite, il  a été modifié.