La crise de la zone euro est-elle terminée ?*

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Au début de 2013, deux bilans contrastés peuvent être tirés de la crise. D’un côté, l’euro a survécu. Certes, les réactions des institutions européennes et des pays membres ont été lentes et hésitantes ; leurs réticences ont souvent nourri la spéculation. Mais les institutions européennes ont progressivement réussi à mettre en place des mécanismes de solidarité, comme le Fonds européen de stabilité financière puis le Mécanisme européen de stabilité ; elles ont réussi à imposer aux États membres une forte discipline budgétaire (renforcement du Pacte de stabilité et de croissance, programmes d’ajustement, traité budgétaire).

Les États membres ont accepté de mettre en œuvre des politiques d’austérité et de réformes structurelles. Dès le début de la crise, la BCE a accepté de mettre en place des politiques non-conventionnelles ; elle a soutenu les dettes publiques des pays en difficulté en intervenant sur les marchés secondaires. Puis, elle a pu s’engager à venir en aide sans limite aux pays en difficulté qui mettaient en œuvre des politiques satisfaisantes, ce qui a permis de rassurer les marchés financiers et de faire  baisser les primes de risques.

De l’autre côté, la zone euro est incapable de retrouver une croissance satisfaisante comme de récupérer les neufs points d’activité perdus du fait de la crise. Les pays membres ont été contraints de mettre en œuvre des politiques d’austérité en période de récession. Selon les perspectives de la Commission elle-même, le taux de chômage devrait se maintenir à 11,8 % en 2013. Les déséquilibres entre pays persistent, même s’ils sont quelque peu atténués par la dépression profonde dans laquelle sont plongés les pays du Sud. Les normes rigides et sans fondements économiques imposées aux États membres ne remplacent pas une vraie coordination des politiques économiques. Les solidarités mises en place sont conditionnelles à la perte de toute autonomie et à l’instauration de politiques d’austérité drastiques. À l’avenir, les politiques nationales seront paralysées par les contraintes européennes et les menaces des marchés financiers. L’Europe sociale ne progresse pas ; pire, l’Europe impose aux pays en difficulté de mettre en cause l’universalité de l’assurance-maladie, de réduire les prestations de retraite, de chômage, de famille. La concurrence fiscale persiste ; la crise n’a pas été l’occasion de mettre en cause les paradis fiscaux et l’évasion fiscale. Certes, l’Europe est à la pointe du combat contre le changement climatique, mais elle peine à s’engager résolument dans la transition écologique. De nombreux pays de la zone souffrent d’une désindustrialisation persistante, sans qu’une stratégie européenne de politique industrielle ne soit mise en œuvre. L’Union bancaire va être mise en place, sans que son contenu soit démocratiquement décidé. Les instances européennes persistent dans une stratégie – paralyser les politiques nationales, imposer des réformes structurelles libérales – qui jusqu’à présent n’a pas réussi à impulser la croissance et qui a rendu l’Europe impopulaire. L’Europe manque cruellement d’un projet social fédérateur, d’une stratégie économique et d’un fonctionnement démocratique.

 

* Le lecteur trouvera dans le n° 127 de la collection « Débats et Politiques » de la Revue de l’OFCE, paru en janvier, des analyses apportant des éclairages contrastés sur les origines de la crise de la zone euro et les stratégies de sortie de crise. Ce numéro réunit douze articles faisant suite à la 9e Conférence EUROFRAME[1] sur les questions de politique économique de l’Union européenne de juin 2012.


[1] EUROFRAME est un réseau d’instituts économiques européens qui regroupe : DIW et IFW (Allemagne), WIFO (Autriche), ETLA (Finlande), OFCE (France), ESRI (Irlande), PROMETEIA (Italie), CPB (Pays-Bas), CASE (Pologne), NIESR (Royaume-Uni).




Espagne : une stratégie perdant-perdant

par Danielle Schweisguth

A l’heure où le FMI reconnaît publiquement avoir sous-estimé l’impact négatif des ajustements budgétaires sur la croissance économique européenne, l’Espagne s’apprête à publier le chiffre de son déficit public pour 2012. Il devrait se situer autour de 8% du PIB en première estimation – mais pourrait être revu à la hausse comme ce fut le cas en 2011 – alors que l’objectif négocié avec la Commission européenne est de 6,3%. Tandis que la détresse sociale est à son comble, seul un retour durable de la croissance permettrait à l’Espagne de résoudre ses difficultés budgétaires par la hausse des rentrées fiscales. Or la politique de rigueur imposée par l’Europe retarde le retour de la croissance économique. Et le niveau du multiplicateur budgétaire espagnol, compris entre 1,3 et 1,8 selon nos estimations, rend inefficace la politique de restriction budgétaire puisqu’elle ne permet pas de réduire sensiblement le déficit et maintient le pays en récession.

A l’heure où le FMI reconnaît publiquement avoir sous-estimé l’impact négatif des ajustements budgétaires sur la croissance économique européenne – le fameux multiplicateur budgétaire – l’Espagne s’apprête à publier son déficit public pour l’année 2012. Ce dernier devrait se situer autour de 8% du PIB en première estimation, mais pourrait être revu à la hausse comme ce fut le cas en 2011. Si l’on exclut les aides financières versées au secteur bancaire qui ne sont pas prises en compte dans la procédure de déficit excessif, le déficit est réduit à 7% du PIB. Ce chiffre reste au dessus de l’objectif officiel de 6,3%, âprement négocié avec la Commission européenne. Rappelons que jusqu’en septembre 2011, l’objectif initial de déficit pour l’année 2012 était de 4,4% du PIB. Ce n’est qu’après la mauvaise surprise liée à la publication d’un déficit pour l’année 2011 de 8,5% (qui sera plus tard révisé à 9,4%) – largement au-dessus de l’objectif officiel pour 2011 de 6% du PIB – que le gouvernement nouvellement élu de Mariano Rajoy a demandé à la Commission européenne un premier assouplissement. L’objectif bruxellois de déficit a alors été fixé à 5,3% du PIB pour 2012. Puis en juillet 2012, les fortes tensions sur les taux souverains espagnols – ils s’approchaient des 7% – ont conduit le gouvernement à négocier avec la Commission un report de l’objectif de 3% en 2014 et un objectif de déficit de 6,3% du PIB en 2012.

Mais chercher à réduire le déficit public de 2,6 points de PIB alors que le cycle économique est très dégradé s’est avéré une stratégie inefficace et contre-productive. Aussi le résultat n’est pas à la hauteur des efforts engagés, pourtant loués par les autorités européennes à maintes reprises. L’accumulation de plans d’austérité d’ampleur historique pendant trois années consécutives (2010, 2011 et 2012) n’a conduit qu’à une très faible amélioration du solde budgétaire (tableau). Le déficit a été réduit de 3,2 points en trois ans, quand deux années de crise ont suffi pour qu’il se creuse de 13,3 points (de 2007 à 2009). L’impulsion budgétaire a été de -2,2 points de PIB en 2010, de -0,9 point en 2011 et de -3,3 points en 2012, soit 6,4 points de PIB d’efforts budgétaires cumulés (68 milliards d’euros). Mais la crise a précipité l’effondrement du marché immobilier et considérablement fragilisé le système bancaire. Depuis, le pays est plongé dans une profonde récession : le PIB recule de 5,7% depuis le premier trimestre 2008, ce qui le place à un niveau inférieur de 12% par rapport à son niveau potentiel (sous l’hypothèse d’une croissance potentielle de 1,5% par an) et le chômage frappe 26% de la population active et 56% des jeunes.

La dégradation de la situation économique de l’Espagne a fortement pesé sur les rentrées fiscales. Entre 2007 et 2011, les recettes fiscales espagnoles ont connu la chute la plus importante de tous les pays de la zone euro. De 38% du PIB en 2007, elles sont tombées à 32,4% en 2011, malgré les hausses de TVA (2 points en 2010 et 3 points en 2012), l’augmentation des taux d’imposition sur le revenu et la hausse des taxes foncières en 2011. Les hausses d’impôts successives n’ont que faiblement atténué l’effet dépressif de l’effondrement des assiettes fiscales. Les recettes de TVA enregistrent une chute vertigineuse de 41% en termes nominaux entre 2007 et 2012, tout comme l’impôt sur le revenu et la fortune (-45%). En comparaison, la baisse de la pression fiscale en zone euro a été beaucoup plus modeste : de 41,2% du PIB en 2007 à 40,8% en 2011. Enfin, l’envolée du chômage a mis à mal les comptes de la sécurité sociale qui sera déficitaire à hauteur de 1 point de PIB en 2012 pour la première fois de son histoire.

Pour compenser la chute des recettes fiscales, le gouvernement espagnol a dû prendre des mesures drastiques de restriction des dépenses pour tenter de respecter ses engagements : baisse de 5% du salaire des fonctionnaires puis  suppression de leur prime de Noël, gel des embauches dans la fonction publique et passage de la semaine de travail de 35 à 37 heures et demi (sans compensation salariale), passage de 65 à 67 ans de l’âge légal de la retraite et gel des pensions (2010), réduction des indemnités chômage pour les chômeurs de plus de sept mois et baisse des indemnités de licenciement de 45 jours par année d’ancienneté à 33 jours (20 si l’entreprise est déficitaire). Tandis que leur revenu stagnait ou baissait, les ménages espagnols ont été confrontés à une hausse considérable du coût de la vie : hausse de 5 points de la TVA, augmentation des tarifs de l’électricité (28% en deux ans et demi), hausse des taxes sur le tabac et baisse du taux de remboursement des médicaments (les retraités paieront 10% du prix et les actifs entre 40% et 60% selon leur revenu).

La situation sociale en Espagne est très préoccupante. La pauvreté a augmenté (de 23% de la population en 2007 à 27% en 2011 selon Eurostat) ; les ménages ne parvenant pas à payer leurs traites se font expulser de leur logement ; le chômage de longue durée a explosé (9% de la population active) ; les jeunes chômeurs forment une génération sacrifiée et les plus diplômés s’expatrient. La hausse de la TVA en septembre resserre la contrainte budgétaire des ménages : les dépenses alimentaires ont baissé en septembre et en octobre 2012 de respectivement 2,3% et 1,8% en glissement annuel. Par ailleurs le système sanitaire espagnol souffre des coupes budgétaires (-10% en 2012), qui conduisent à la fermeture des services d’urgence la nuit dans des dizaines de municipalités et à l’allongement des listes d’attente pour une intervention chirurgicale (de 50 000 personnes en 2009 à 80 000 en 2012), avec un délai d’attente moyen de près de 5 mois.

La détresse sociale est ainsi à son comble. Le mouvement des indignés a conduit des millions d’Espagnols dans la rue au cours de l’année 2012, dans des manifestations souvent violemment réprimées par les forces anti-émeutes. La région de Catalogne, la plus riche mais aussi la plus endettée d’Espagne, menace de faire sécession, au grand dam du gouvernement espagnol. Le gouvernement catalan a voté le 24 janvier une motion sur la souveraineté de cette région, premier pas d’un processus d’autodétermination qui pourrait déboucher sur un référendum en 2014.

Seul un retour durable de la croissance permettra à l’Espagne de résoudre ses difficultés budgétaires par la hausse des rentrées fiscales. Mais le durcissement des conditions de financement de la dette souveraine espagnole depuis l’été 2012 contraint le gouvernement à renforcer la politique de rigueur, ce qui retarde le retour de la croissance économique. Et la Commission européenne n’accepte de fournir une aide financière à l’Espagne qu’à la condition que celle-ci renonce, au moins partiellement, à sa souveraineté en matière budgétaire, ce à quoi le gouvernement de Mariano Rajoy ne se résigne toujours pas. L’initiative de la Commission européenne, dont les détails seront publiés au printemps, concernant l’exclusion des dépenses d’investissement du calcul du solde public pour les pays proches de l’équilibre budgétaire va dans le bon sens (El Pais). Mais cette règle ne s’appliquerait qu’aux sept pays où le déficit budgétaire est inférieur à 3% du PIB (l’Allemagne, le Luxembourg, la Suède, la Finlande, l’Estonie, la Bulgarie et Malte), laissant de côté les pays où la situation économique est la plus dégradée. La prise de conscience des drames sociaux qui se jouent derrière les médiocres performances économiques devrait conduire à une réflexion plus respectueuse des droits fondamentaux des citoyens européens. Par ailleurs, l’OFCE a montré dans le rapport iAGS 2013 qu’une stratégie de rigueur mesurée (restrictions budgétaires limitées à 0,5 point de PIB chaque année) est plus efficace du double point de vue de la croissance et de la réduction des déficits, pour les pays comme l’Espagne où les multiplicateurs budgétaires sont très élevés (entre 1,3 et 1,8 selon nos estimations).




Superstars et équité : Let the sky fall

Par Guillaume Allègre

Les acteurs sont-ils trop payés ? La tribune de Vincent Maraval a lancé un débat par essence idéologique… dans le bon sens du terme. Il semble en effet sain que les hauts revenus doivent se justifier en s’appuyant sur une argumentation susceptible de convaincre le plus grand nombre. Les rémunérations ne peuvent être justes que si elles sont publiquement défendables. Dans cet esprit, en s’appuyant sur l’analyse de l’économie des superstars, cette tribune défend l’idée qu’une petite partie des acteurs, et en général des artistes, capte une rente construite collectivement, ce qui justifie une intervention ayant pour objet de réduire les écarts de revenus.

Comment expliquer les énormes revenus de quelques chanteurs ou acteurs tandis que la plupart des artistes ont du mal à vivre de leur activité ? L’effet superstar a été analysé par les économistes depuis un article fondateur de Rosen (The Economics of Superstars). Il est lié à la structure de la demande (de nature grégaire), à la technologie (qui permet la diffusion de la production à faible coût) et à l’environnement juridique (qui permet d’exclure les passagers clandestins). A cela, il faut ajouter que la position particulière des acteurs-vedettes leur permet de capter une grande part d’une rente construite collectivement. Ces aspects justifient une forte redistribution des revenus. La question ne semble pas pouvoir se régler de façon satisfaisante par la fiscalité : un taux d’imposition de 75 %, déjà considéré comme confiscatoire, n’est pas suffisant dans une économie de superstars où les écarts de revenus peuvent atteindre des ratios de 1 à 100, sans parler du risque d’exil fiscal. Intervenir directement sur l’environnement institutionnel et sur les rémunérations, pour les projets bénéficiant de financements ou d’aides publics, paraît donc légitime.

Est-il juste que les artistes ayant réussi soient soumis, par exemple, à une tranche d’imposition à 75 % pour les revenus supérieurs à 1 million d’euros, ou est-ce confiscatoire ? Si cette question se pose pour toutes les activités, le spectacle (artistique ou sportif) fait figure de cas d’école car le consentement à payer des spectateurs fait peu de doutes et ne découle pas d’une asymétrie d’information ou d’un problème principal-agent. La question de la rémunération des artistes ne se pose ainsi pas de la même manière que celle, par exemple, des dirigeants d’entreprise qui exercent des activités pour lesquelles il est difficile d’estimer la contribution (ou productivité marginale), et qui peuvent contrôler les comités qui fixent leur rémunération : les bons résultats de l’entreprise sont-ils dus à la chance, au travail du PDG, à toute l’équipe de direction ou à l’effort de tous les salariés ? Le salaire d’un PDG dépend-il de sa contribution ou de son habileté à convaincre le comité de rémunération de sa valeur ? Dans une tribune récente, Galbraith fait ainsi la différence entre le cas de Depardieu et celui des dirigeants d’entreprises[i]. La transparence du milieu du spectacle explique que dans son livre Anarchie, Etat et Utopie, Robert Nozick prenne l’exemple d’une superstar de l’époque, le joueur de basket Wilt Chamberlain (le livre est paru en 1974), pour justifier les très hauts revenus. L’argument est fameux : si un million de personnes sont prêtes à payer 25 centimes supplémentaires pour voir Wilt Chamberlain jouer, et qu’il signe un contrat avec une équipe de basketball lui proposant de lui verser 25 centimes par billet, alors le fait que le revenu de Wilt Chamberlain soit de 250 000 dollars, bien supérieur au revenu médian ou moyen de l’époque, est juste et légitime. Redistribuer ce revenu serait immoral ; il faut respecter les inégalités librement consenties.

Mais comment expliquer le fait que de nombreux individus soient prêts à payer tant pour tel ou tel artiste, et rien pour la plupart des autres ? Pourquoi est-il caractérisé par cet aspect winner-take-all ? Sur d’autres marchés, si un service rendu est perçu d’un peu moins bonne qualité, de nombreux acheteurs sont prêts à l’acheter pour un peu moins cher que le service de qualité et différents niveaux de gamme coexistent. Au contraire, dans le milieu du spectacle, relativement peu de personnes gagnent des sommes astronomiques. Dans un article fondateur, The Economics of Superstars (1981), Rosen explique ce phénomène par la structure de la demande et par la technologie de production. Il suffit que les talents plus faibles soient peu substituables aux talents élevés (les individus préfèrent assister à un très bon spectacle qu’à dix spectacles moyens) et que le coût de production n’augmente pas proportionnellement à la quantité fournie (l’effort est le même que 10 ou 1 000 personnes soient dans l’audience ou achètent le livre). De fait, d’après Rosen, c’est la technologie (notamment la télévision) qui explique la forte augmentation du revenu des superstars. Il conclut son article en ces termes : « quels changements à venir seront forgés par le développement du câble, de la cassette vidéo et de l’ordinateur personnel ? ».

Les hauts revenus des superstars ne sont pas que la conséquence d’un talent légèrement supérieur (comme dans le modèle proposé par Rosen). Les studios ne payent pas que pour le talent inégalable des acteurs de Friends ou de Depardieu dans Astérix et Obélix aux jeux olympiques. Certains acteurs arrivent en fait à capter une rente, construite en partie par eux, mais également par le hasard et le travail hors des lumières des nombreux contributeurs à l’économie du spectacle. Les acteurs de Friends ont pu négocier d’importantes augmentations de salaire au fur et à mesure des renouvellements de la série. Si dans le contrat de la saison 1, chaque acteur était payé 22 500 dollars par épisode, ils ont reçu 75 000 dollars par épisode lors de la saison 3, 100 000 dollars lors de la cinquième, 125 000 dollars lors de la sixième, 750 000 dollars lors des saisons sept et huit et 1 000 000 de dollars pour les deux dernières saisons, soit plus de 40 fois plus que pour la première saison alors que l’audience n’a été multiplié que par 2 entre la première et la dernière saison (source : Wikipédia). Lors de la saison 2, les salaires ont été négociés individuellement mais les acteurs, y compris Jennifer Anniston et David Schwimmer qui avaient négocié des salaires bien supérieurs au reste du groupe, ont vite compris l’intérêt de la négociation collective : si les studios pouvaient éventuellement se passer d’un acteur (en le remplaçant ou en faisant mourir son personnage), ils ne pouvaient pas remplacer toute la troupe. Manifestement, la multiplication par 40 des salaires n’est pas liée à un accroissement exponentiel du talent des acteurs, mais par le fait qu’ils ont pu profiter de l’attachement des spectateurs à la série, attachement qui a été construit par les acteurs, mais également par le travail des scénaristes, des décorateurs, des metteurs en scène lors des premières saisons. Parce qu’ils incarnent la série et ont négocié collectivement, les acteurs de Friends ont réussi à capter à leur profit la rente construite collectivement. De même, si Depardieu a réussi à s’imposer comme figure nationale, c’est en partie par son talent mais également par celui des nombreux metteurs en scène qui ont fait appel à lui (et de leur scénariste, etc.). S’il est difficile d’expliquer le succès de tel ou tel produit culturel, il ne faut pas négliger la part de hasard ou de chance. Ceci est lié à une caractéristique des produits culturels : ils sont généralement plus appréciés lorsque l’expérience est partagée car, comme le souligne André Gunthert, la consommation culturelle n’a de sens que par sa socialisation (conversation, jugement, citation, réemploi). Par conséquent, le succès s’autoalimente, ce qui engendre des phénomènes du type Intouchables ou Bienvenue chez les Chtis dont l’explication dépasse les qualités intrinsèques des films. Si l’on remplace, dans le modèle de Rosen,  le talent par l’audience (les individus préfèrent assister à un spectacle à forte audience qu’à dix spectacles à faibles audiences), un petit avantage initial, qui peut être dû à la chance mais pas seulement, peut se transformer en phénomène par effet boule de neige (Adler, 1985). De plus, le fait que les télévisions demandent des vedettes pour accepter de co-financer les films, comme l’explique Maraval, explique que la célébrité s’auto-renforce et aboutisse à une concentration des revenus par quelques acteurs à forte notoriété. Le petit avantage initial en termes de notoriété n’est pas nécessairement du pur hasard comme on peut le constater en observant le nombre de fils et de fille de dans la profession, enfants de producteurs ou réalisateurs compris. Le vedettariat est aussi une activité où l’on peut profiter d’une notoriété « mal acquise » et où le « buzz négatif » donne de la visibilité.

Pour que l’effet superstar se transforme en hauts revenus, il faut que les artistes puissent exercer leur droit de propriété intellectuelle et exclure les passagers clandestins. Les artistes ont donc besoin d’un environnement juridique qui reconnaisse légalement et fasse respecter leur droit de propriété intellectuelle[ii]. Le fait que les acteurs puissent capter une part importante de la rente est en partie la conséquence de contrats incomplets et d’asymétries dans la législation sur la propriété intellectuelle. Par exemple, la loi californienne interdit les contrats de plus de 7 ans, ce qui explique les sauts de rémunérations des acteurs pour les séries au long cours. Les acteurs peuvent également toujours menacer d’arrêter, ce qui constitue une menace crédible s’ils ont acquis assez de notoriété. Or, les studios ne peuvent pas garder contractuellement les bénéfices anticipés de cette notoriété. Les acteurs bénéficient aussi du fait que d’autres individus ne peuvent pas ou plus faire valoir de droit à la propriété intellectuelle. Les brevets concernant les techniques de diffusions télévisuelles sont, depuis longtemps, dans le domaine public : les droits de propriété industrielle sont beaucoup plus courts (maximum 20 ans) que les droits d’auteur (70 ans après la mort de l’auteur en France et aux Etats-Unis). Un certain nombre d’idées qui contribuent au succès des produits culturels (film, série, etc.) ne sont pas protégeables: on ne dépose pas une blague, une anecdote, une façon de filmer ou de monter, ni un concept ou une idée de scénario. Le fait que certains acteurs de l’industrie culturelle puissent s’accaparer une rente n’est donc pas qu’une conséquence naturelle des différences de talent ou d’une façon objective de mesurer la contribution de chacun, mais découle en grande partie des règles spécifiques régissant le droit de propriété intellectuelle qui établit ce qui est protégeable ou non et la durée de protection. Il n’est pas du tout évident, par exemple, qu’il faille accorder aux célébrités le droit exclusif d’utiliser commercialement leur image (voir Madow, 1993).

Au-delà de la protection des droits de propriété intellectuelle, l’intervention publique dans le secteur cinématographique peut être considérée comme massive, que ce soit sous forme de subvention ou de réglementation) : quotas d’investissement dans la production et la diffusion d’œuvres cinématographique d’expression originale française pour les chaînes de télévision, régime de l’intermittence dont le déficit est financé par le régime général, incitations fiscales (SOFICA, crédits d’impôt), TVA réduite, aides des collectivités locales (région, département, communes) aux tournages, aux festivals et aux exploitants de salles, et financement du CNC (assis principalement sur les recettes du secteur et en partie redistributif). De plus, Coq et al., 2006 montrent que l’évolution de la réglementation, qui a privilégié l’objectif de défense des parts de marché des films nationaux, plutôt que celui de création pluraliste à l’intérieur du pays, a mené à une concentration plus importante des ressources au profit des films chers, tandis que les obligations qui pèsent sur les chaînes de télévision exacerbent l’effet superstar, les chaînes étant friandes de vedettes.

D’un point de vue économique, deux arguments justifient alors une forte redistribution des revenus des artistes à succès : la captation d’une rente construite par de nombreux individus et la part de hasard (auquel se rajoute le poids de l’intervention publique pour le cinéma). En présence de hasard ou de risque, la redistribution joue un rôle d’assurance, ce qui peut augmenter à la fois l’équité et l’efficacité du système. Du point de vue de l’équité, avant que les gagnants soient révélés, des individus adverses au risque seraient prêts à socialiser les gains risqués. Du point de vue de l’efficacité, un trop fort risque entraîne un sous-investissement de la part d’individus très talentueux mais qui ne veulent pas s’engager dans une activité où il y a trop peu d’élus (et où ils ont trop peu de connections). A la fois du point de vue de l’équité et de l’efficacité, la structure de l’économie du spectacle justifie ainsi une redistribution importante. Cette redistribution peut prendre plusieurs formes : (1) l’impôt universel couplé à des subventions sectorielles ; (2) l’assurance par exemple via le statut spécifique des intermittents du spectacle ; (3) les salaires minima et/ou maxima, notamment pour les projets bénéficiant de financements ou d’aides publics (France Télévision, Conseils Régionaux, etc.[iii]). Les économistes préfèrent en général la voie fiscale ou les assurances sociales aux interventions directes sur les salaires, laissant les marchés fonctionner librement avant de redistribuer les revenus. La voie fiscale permet en outre d’éviter les effets de seuil arbitraires qu’implique la fixation d’un salaire maximum. Toutefois, en pratique, la redistribution fiscale fait face à une limite majeure : une fois que les rémunérations brutes sont fixées par l’interaction entre les forces de marché et l’environnement institutionnel, elles sont généralement considérées comme légitimes ; un taux d’imposition élevé, par exemple 75 %, pourra alors être considéré comme confiscatoire, ou représentant une « charge excessive » pour reprendre les termes du Conseil constitutionnel dans une décision récente, alors même qu’un tel taux pourrait être nettement insuffisant pour réduire les inégalités dans une économie de superstars où les écarts de revenus peuvent atteindre des ratios de 1 à 100. Réduire les inégalités demande alors d’intervenir directement sur l’environnement institutionnel – par exemple en réduisant la durée de la propriété intellectuelle – et sur la fixation des rémunérations, ce qui est d’autant plus légitime dans un secteur subventionné et fortement régulé.

 


[i] « En vérité, le cas de Depardieu est très différent. Son enrichissement a été possible grâce à son talent. Ce n’est pas le cas des dirigeants d’entreprise ! Leurs revenus proviennent de sociétés qui ont gagné de l’argent grâce à un effort collectif ». De notre point de vue, il y a bien captation d’une rente construite collectivement dans les deux cas.

[ii] Dans ce sens, il faut comprendre le libertarisme de Nozick comme le respect absolu des droits de propriétés individuels (qui auraient un caractère naturel). On est loin du libéralisme libertaire qui tente de minimiser les contraintes extérieures, puisqu’une autorité faisant respecter les droits de propriété est ici nécessaire. Cela explique qu’un mélange contradictoire d’appel à la liberté et d’autoritarisme découle de cette doctrine.

[iii] Ainsi que des chaînes privées de télévision en ce qui concerne leurs obligations car elles bénéficient en contrepartie de la gratuité d’utilisation des fréquences hertziennes, ce qui s’apparente à une subvention publique.

 




Répéter

par Jérôme Creel

Dans un très bel ouvrage pour enfants, Claude Ponti dessinait, toutes les deux pages, deux poussins dont l’un disait à l’autre : « Pète et Répète sont dans un bateau. Pète tombe à l’eau. Qui reste-t-il ? » ; alors l’autre poussin de répondre : « Répète », et c’était reparti pour un tour. En fin d’ouvrage, le second poussin, les yeux exorbités, hurlait : « Répète ! » et cela n’en finissait pas. Un peu comme ces analyses sur la croissance économique et les contractions budgétaires où l’on redécouvre presque chaque mois que les contractions budgétaires réduisent la croissance économique ou que la sous-estimation des effets réels de la politique budgétaire engendre des erreurs de prévision.

Dernièrement, et après avoir signé en octobre 2012, un encadré dans les Perspectives économiques 2013, Olivier Blanchard et Daniel Leigh du FMI ont publié un document d’appui qui confirme que les erreurs récentes de prévision du FMI s’expliquent par des hypothèses erronées à propos de l’effet multiplicateur. Parce que cet effet a été sous-estimé, notamment en bas de cycle économique, les prévisionnistes du FMI, mais ils ne sont pas les seuls (voir notamment le billet de Bruno Ducoudré), ont sous-estimé les prévisions de croissance : ils n’avaient pas anticipé que les prescriptions de cure d’austérité et leur mise en œuvre auraient autant d’impact négatif sur la consommation des ménages et sur l’investissement des entreprises. La tentative de désendettement des Etats intervenant en pleine période de désendettement des ménages et des entreprises, le piège de la récession allait être difficile à éviter.

Puisqu’il faut répéter, répétons ! « Les-contractions-budgétaires-expansionnistes et Répète sont dans un bateau. Les-contractions-budgétaires-expansionnistes tombent à l’eau. Qui reste-t-il dans le bateau ? Répète ! ». Pour étayer cette courte histoire, on pourra utilement se reporter à la revue de littérature d’Eric Heyer : il y montre, en effet, l’étendue du consensus sur la valeur des multiplicateurs budgétaires, consensus ayant émergé dès 2009, soit en pleine récession et au moment même où des prescriptions de cure d’austérité commençaient à voir le jour. Le billet de Xavier Timbeau montre que l’analyse des restrictions budgétaires en cours étaye une évaluation de la valeur du multiplicateur budgétaire en temps de crise bien plus élevée qu’en temps normal … Quels paradoxes !

Que faire désormais ? Répéter, une fois de plus, que la récession ne peut être une fatalité : comme l’ont souligné Marion Cochard, Bruno Ducoudré et Danielle Schweisguth en complément du rapport iAGS 2013, il est urgent d’atténuer l’austérité budgétaire dans la zone euro : la croissance européenne mais aussi l’assainissement budgétaire effectif en seraient enfin améliorés.

 




La zone euro en crise

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le 8 juin 2012, s’est tenue à Kiel la 9e Conférence EUROFRAME[1] sur les questions de politique économique de l’Union européenne. Son sujet était : « La zone euro en crise : défis pour la politique monétaire et les politiques budgétaires ». Le numéro 127 de la collection « Débats et Politiques » de la Revue de l’OFCE publie des versions révisées de douze des communications présentées[2], rassemblées autour de cinq dossiers : déséquilibres de taux de change, indicateurs de la crise de la dette, règles budgétaires, questions bancaires et financières et stratégies de sortie de crise.

L’analyse des origines de la crise de la zone euro et les recommandations de politiques économiques à mener pour sortir la zone euro de la crise font l’objet de grands débats entre économistes dont la Conférence EUROFRAME a donné une illustration. Ainsi, le lecteur verra apparaître au fil des articles plusieurs lignes de fracture :

–         Pour les uns, ce sont les politiques irresponsables des pays du Sud qui sont la cause des déséquilibres : ceux-ci ont laissé se développer des bulles immobilières et salariales tandis que les pays du Nord pratiquaient des politiques vertueuses d’austérité salariale et de réformes structurelles. Les pays du Sud doivent donc adopter la stratégie des pays du Nord et accepter une longue cure d’austérité. Pour les autres, la monnaie unique a permis le développement de déséquilibres jumeaux et opposés : elle a conduit à la sous-évaluation des économies des pays du Nord, ce qui les a autorisés à compenser leurs politiques excessives d’austérité salariale et sociales par des excédents extérieurs excessifs ; elle a autorisé la persistance de déficits extérieurs au Sud ; il en résulte la nécessité d’une convergence contrôlée où la relance au Nord facilite la résorption des déséquilibres extérieurs du Sud.

–         Pour les uns, chaque pays doit mettre en œuvre des politiques alliant une forte réduction des dépenses publiques – afin de résorber les déficits budgétaires et réduire le poids de la dette publique – et des réformes structurelles (libéralisation des marchés des biens et des services, déréglementation du marché du travail) qui en compenseraient l’effet dépressif sur le marché du travail. Il faut laisser les marchés financiers imposer aux pays la discipline nécessaire. Pour les autres, il faut maintenir les déficits publics tant qu’ils seront nécessaires pour soutenir l’activité, faire garantir les dettes publiques par la Banque centrale européenne (BCE) afin de faire converger les taux d’intérêt nationaux vers le bas et mettre en œuvre une stratégie de croissance à l’échelle de l’UE (en particulier par le financement des investissements nécessaires à la transition écologique).

–         Certains estiment même qu’il faut éviter l’extension de la solidarité européenne qui permettrait à certains pays de retarder les réformes nécessaires, qui rendrait persistants les déséquilibres, qui induirait de la création monétaire et donc de l’inflation. D’autres jugent que des erreurs de politiques économiques ont été commises depuis la création de la zone euro, qu’elles ont abouti à de fortes disparités dans la zone, qu’il faut essayer de résorber aujourd’hui par une stratégie solidaire et cohérente. L’Europe est une grande famille ; il faut manifester de la solidarité et accepter des compromis pour continuer à vivre ensemble.

–         Pour les uns, la fin de la crise des dettes des pays de la zone euro suppose la mise en place d’une union budgétaire, ce qui signifie la mise en place de règles contraignantes inscrites dans le Pacte budgétaire et un certain fédéralisme budgétaire ; la Commission et le Conseil européen doivent avoir un droit de regard sur les politiques budgétaires des États membres. Pour les autres, il faut laisser aux États membres un degré d’autonomie nécessaire pour pratiquer la politique budgétaire de leur choix ; c’est à la fois une question de démocratie et d’efficacité économique : les situations économiques des pays sont trop diverses pour qu’une politique budgétaire uniforme soit possible ; il faut une coordination ouverte des politiques économiques, sans normes préétablies et rigides de finances publiques, ayant pour objectif une croissance satisfaisante et la résorption des déséquilibres extérieurs.


[1] EUROFRAME est un réseau d’instituts économiques européens qui regroupe : DIW et IFW (Allemagne), WIFO (Autriche), ETLA (Finlande), OFCE (France), ESRI (Irlande), PROMETEIA (Italie), CPB (Pays-Bas), CASE (Pologne), NIESR (Royaume-Uni).

[2] Dont 10 en langue anglaise et 2 en français.

 




Investissement locatif Scellier-Duflot, même combat ?

Par Pierre Madec

Depuis 20 ans, le marché immobilier neuf se trouve sous perfusion publique. La part des investisseurs privés dans les ventes de logements neufs des promoteurs n’a cessé d’augmenter pour atteindre en 2010 près de 70 %[1]. Cette évolution s’explique en grande partie par les augmentations régulières du montant consacré par l’Etat à l’investissement locatif qui est passé de 345 millions d’euros en 1989 à 1 347 millions d’euros en 2011[2].  Successeur du dispositif Scellier et des six autres dispositifs qui l’ont précédé,  le dispositif d’incitation à l’investissement locatif dit « Duflot » est entré en vigueur au 1er Janvier 2013 pour une durée de 4 ans.

Comme pour toutes les mesures ponctionnant le budget de l’Etat et visant à développer l’offre de logement neuf sur un marché immobilier à forte tendance inflationniste, tant à la vente qu’à la location, plusieurs questions doivent être posées : cette mesure va-t-elle encourager la modération des loyers ? Est-elle attractive pour les investisseurs ? Quel est son coût pour les finances publiques ? Enfin, les effets néfastes du Scellier[3] ont-ils été corrigés (zonage, coût trop élevé, …) ?

 

 

Un dispositif plus attractif pour les locataires que le Scellier classique …

 

Avec l’introduction de plafonds de loyers inférieurs aux plafonds en vigueur pour le Scellier intermédiaire, le Duflot apparaît plus avantageux pour les locataires[4]. De même, la prise en compte de plafonds de ressources équivalents à ceux en vigueur lors de l’attribution de logement sociaux de type PLI[5] témoigne d’une dynamique nouvelle en faveur de ménages plus modestes. L’investisseur privé se transformant alors partiellement en bailleur social de moyen terme.

En supposant un investissement de 240 000 euros dans une commune de la zone Abis destiné à la location, et compte tenu des plafonds de loyers et des prix au m2 pratiqués dans la zone, le loyer payé par le locataire d’un logement Duflot est inférieur à celui appliqué à un logement Scellier classique ou intermédiaire.

 

La faible différence entre les loyers Duflot et les loyers Scellier intermédiaire (-1,6%) s’explique par le choix du gouvernement de privilégier des plafonds relativement proches des loyers pratiqués dans les différentes zones (hors Paris), et cela malgré la promesse de loyers 20 % inférieurs aux loyers de marché. L’écart important qui existe entre Scellier classique et Duflot (-21 %) est quant à lui principalement dû au fait que les plafonds de loyers du dispositif Scellier étaient, pour la plupart d’entre eux, supérieurs aux loyers de marché.

… plus rentable pour l’investisseur que le Scellier intermédiaire 2012

Avec une réduction d’impôt de 18 % du prix de revient du logement étalée sur 9 ans, contre 13 % pour un investissement identique en Scellier BBC ou en Scellier intermédiaire 2012[6], le dispositif Duflot semble bien plus avantageux pour l’investisseur que son prédécesseur. En reprenant l’exemple précédent, on obtient comme réduction d’impôts pour le propriétaire :

 

Cependant, compte tenu de l’existence de plafonds de loyers bien inférieurs, le gain annuel escompté, pour l’investisseur, par le dispositif Duflot reste inférieur à celui du Scellier classique (-11%)[7]. En effet, la réduction d’impôts plus avantageuse ne compense pas entièrement la perte induite par la diminution des plafonds de loyers.

A contrario, il apparaît clairement que le dispositif Duflot est bien plus avantageux que la dernière version du Scellier intermédiaire (+7%), l’Etat faisant plus que compenser la perte provoquée par la baisse des plafonds. Pour autant, ceci n’est vrai qu’en comparant le Duflot avec la dernière génération de Scellier intermédiaire. En effet, avec des taux de réduction d’impôts supérieurs à 20 % et des plafonds de loyers élevés, les Scellier intermédiaires de 2010 et 2011 étaient bien plus attractifs pour les investisseurs.

Le calcul des rendements bruts et nets des différents dispositifs fournit des résultats analogues avec un rendement net du Duflot de l’ordre de 4,7 % pour l’exemple considéré ici contre 4,3 % pour le Scellier intermédiaire[8].

Quel coût pour l’Etat ?

Toute hausse du taux de réduction d’impôts est synonyme pour l’Etat d’une augmentation du manque à gagner fiscal. A l’inverse, la baisse des taux observée pour le dispositif Scellier[9] a engendré chaque année une baisse significative du nombre d’investissements, ce dernier étant divisé par deux entre 2010 et 2012[10]. De prime abord, on peut donc penser que l’augmentation du taux de réduction fiscale aura pour effet une croissance des investissements et du coût fiscal pour l’Etat. Pour autant, la généralisation des plafonds de ressources et de loyers plus bas apparaît comme un frein important au bon fonctionnement du dispositif. En effet, le Scellier Intermédiaire, dispositif relativement proche du Duflot dans ses caractéristiques, bien qu’ayant des plafonds de loyers légèrement supérieurs, n’a jamais réellement pris son envol. Selon les données à notre disposition[11], le coût total du dispositif Scellier intermédiaire, pourtant plus coûteux que le Scellier classique au niveau individuel, n’a jamais dépassé la moitié du coût de ce dernier. Cela signifie que les investissements de type Scellier intermédiaire n’ont jamais représenté plus du tiers de l’ensemble des investissements locatifs[12]. Bien que l’on puisse penser que l’absence d’un dispositif de substitution moins contraignant (de type Scellier classique) reporte une partie des investissements sur le Duflot, la prévision gouvernementale de 40 000 « logements Duflot » construits en 2013 semble particulièrement optimiste. En supposant cet objectif soit réalisable, le coût de la génération Duflot 2013 serait alors de 1,7 milliard d’euros. Clairement, le problème, souvent soulevé, du coût fiscal supporté par l’Etat au temps du dispositif Scellier n’est donc pas réglé[13].

Conclusion

 

Avec la généralisation des plafonds de ressources, des plafonds de loyers inférieurs aux loyers de marché, ainsi que la suppression de la zone C et d’une partie de la zone B2, l’objectif d’orienter l’investissement locatif privé vers les publics prioritaires semble en partie rempli. De même, la hausse de la réduction fiscale accordée, la hauteur des plafonds de loyers, et l’absence de dispositif de substitution permettront sans doute de retenir un certain nombre d’investisseurs. Cependant, l’exemple du Scellier dit « Social » devrait freiner l’optimisme gouvernemental.

Bien que l’investissement locatif privé soit un moteur important d’un marché immobilier aujourd’hui souffrant, l’Etat devrait réfléchir à l’efficience des mécanismes de subvention en faveur des propriétaires-bailleurs, ces derniers étant à nouveau bénéficiaires de l’annonce d’une hausse de 500 millions d’euros des aides aux logements en 2013[14].

La volonté du gouvernement de confier au secteur libre la partie la plus aisée des ménages éligibles au logement intermédiaire subventionné ne peut être une solution de long terme viable. Malgré des délais de livraison plus élevés, le développement de l’offre locative sociale et de l’accession sociale à la propriété sont les leviers publics les plus puissants pour agir efficacement à moindre coût et dans la durée sur l’offre de logements et donc sur les prix.


[1] En 2012, compte tenu de la plus faible attractivité du dispositif Scellier, cette part était de 50 %.

[2] Source loi de finances de 1989 à 2011.

[3] voir S. Levasseur, novembre 2011

[4] Les plafonds de loyers du Duflot sont inférieurs aux plafonds des logements sociaux de type PLI.

[5] Ceci est vrai pour toutes les zones sauf la zone A bis. Pour cette zone, les plafonds de ressources sont inférieurs aux plafonds des logements de type PLI mais supérieurs aux plafonds des logements sociaux de type PLS.

[6] C’est-à-dire répondant aux normes BBC.

[7] Nous ne tenons pas compte ici de l’abattement forfaitaire de 30 % applicable au dispositif Scellier intermédiaire.

[8] Voir note de ce blog « Marché locatif privé : état des lieux et évaluations des dernières mesures gouvernementales », OFCE,  S. Le Bayon, P. Madec, C. Rifflart, à paraître

[9] Passage de 27 % à 13 % et de 25 % à 6 %.

[10] Le nombre d’investissement Scellier était supérieur à 70 000 en 2010 et ne devrait pas dépasser 30 000 en 2012.

[11] Les PLF de 2009, de 2010, de 2011, de 2012 et de 2013 sont les seules données officielles disponibles sur le sujet.

[12] On peut ainsi estimer la production de Scellier intermédiaire au plus à 17 000 logements en 2009, 24 000 en 2010, 20 000 en 2011 et 10 000 en 2012 pour des coûts respectifs de 782, 1 104, 640 et 310 millions d’euros.

[13] Rapport d’information sur l’application des mesures fiscales contenues dans les lois de fiances, n°3631, Commission des finances de l’Assemblée Nationale, 2011

[14] De nombreuses études théoriques et empiriques ont en effet montré que les propriétaires-bailleurs bénéficiaient dans une proportion comprise entre 50 et 80 % de toute hausse des aides au logement, et ce au détriment des ménages locataires (« Pourquoi les ménages à bas revenus paient-ils des loyers de plus en plus élevés ? », G. Fack, 2005)

 




A propos des décisions du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012

Dans deux billets complémentaires, Henri Sterdyniak et Guillaume Allègre montrent la fragilité des fondements économiques, juridiques et sociaux  des décisions du Conseil constitutionnel. Henri Sterdyniak regrette que celui-ci oublie le rôle désincitatif de la fiscalité et empêche de combattre certains types d’évasion fiscale tandis que Guillaume Allègre souligne, qu’en rappelant que tous les prélèvements progressifs doivent tenir compte de la situation familiale du foyer fiscal, la logique juridique du Conseil ne permet pas de réduire les inégalités salariales et peut conduire à une complexité inutile du système social et fiscal.




Réactions aux décisions du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012

par Henri Sterdyniak

Le 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la Constitution de la Loi de finances 2013 ainsi que sur celle de la troisième Loi de finances rectificative pour 2012. Il en a censuré plusieurs dispositions.

La Constitution française est pratiquement silencieuse en matière de fiscalité, de sorte que le seul texte auquel le Conseil peut se référer est l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui stipule : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cependant, depuis 1789, la fiscalité s’est vue attribuer d’autres rôles que celui de financer équitablement les dépenses publiques ; la fiscalité a des objectifs incitatifs (décourager certaines pratiques socialement néfastes, comme le tabac, l’alcool, la pollution ; encourager des pratiques socialement utiles comme la culture) ; elle a aussi des objectifs redistributifs : taxer fortement les gains injustifiés ainsi que les plus hauts revenus, dans la mesure où ceux-ci ne proviennent pas uniquement de l’effort de leurs bénéficiaires, mais de l’ensemble de l’organisation sociale et de l’héritage institutionnel et technologique de la société. Le Conseil constitutionnel doit donc largement interpréter l’article 13, qui ne correspond plus à la conception actuelle de la fiscalité. Il se réfère souvent à sa décision du 16 août 2007, selon laquelle : « l’exigence résultant de l’article 13 de la Déclaration de 1789 ne serait pas respectée si l’impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ».

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel invoque fréquemment l’article 34 de la Constitution, qui attribue au législateur le pouvoir de fixer le taux et l’assiette de chaque impôt. Il considère que lui-même « n’a pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement » ; il n’intervient qu’en cas de « rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ».

Avec ces limites en tête, les décisions du Conseil peuvent être critiquées du point de vue économique et fiscal ; c’est ce que nous nous proposons de faire ici.

La taxation doit elle être familiale ?

Conformément aux intentions annoncées par François Hollande durant sa campagne électorale, la loi de finances 2013 instaurait une contribution exceptionnelle de 18 % sur les revenus d’activité des années 2012 et 2013 supérieurs à 1 million d’euros, soit une tranche dite à 75 % (la tranche supérieure de l’IR à 45 plus 4 % de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus plus 8 % de CRDS-CSG plus ces 18 %).

Le Conseil a estimé que cette imposition n’était pas conforme à la Constitution car cette contribution était individuelle alors que l’impôt sur le revenu doit porter sur le foyer fiscal. On ne peut que se réjouir de voir ainsi réaffirmé le caractère familial de la fiscalité française, conforme au principe selon lequel les membres d’une famille doivent se partager équitablement les revenus du foyer. Pourtant, en même temps, le Conseil accepte la baisse de 2 336  à 2 000 euros du plafond du quotient familial par enfant ; il proclame certes que l’impôt sur le revenu doit tenir compte du nombre d’enfants du foyer, mais que cette prise en compte pourrait se faire autrement que par le quotient familial ; il accepte que l’ISF ne tienne plus compte de la taille du foyer. Ces décisions manquent de cohérence.

Selon le Conseil, l’imposition du foyer doit être globale, dépendre du total de ses revenus, et non du revenu de chacun de ses membres. Le quotient conjugal est ainsi sacralisé ; ce n’est pas le cas du quotient familial. On aboutit ainsi à un système où le plafond du quotient familial est de 2 000 euros par enfant (4 000 euros à partir du troisième enfant) tandis que le plafond conjugal n’a pas de plafond explicite. Toutefois, le barème de l’IR fait que le plafond implicite du plafond conjugal est aujourd’hui de 32 829 euros. Considérons un homme de 50 ans qui gagne 1 million d’euros par an ; son impôt sur le revenu est de 458 171 euros ; il épouse une jeune femme de 23 ans qui n’a pas de revenu propre ; leur impôt diminue à 426 342 euros (soit une réduction de 32 829 euros). Soit maintenant une veuve de 50 ans de même revenu ; son fils de 23 ans poursuit ses études ; leur impôt est de 456 171 euros ; soit 30 829 euros de plus que le couple précédent. Pourtant, leur capacité contributive est la même. On comprend mal pourquoi le Conseil ne défend pas le quotient familial et considère que le plafonnement du quotient conjugal à 32 829 euros (tel qu’il aurait été maintenu par la non-prise en compte des revenus du conjoint pour les très hauts revenus) est anticonstitutionnel. Il serait plus conforme à l’article 13 de réaffirmer le principe du quotient familial et de plafonner le quotient conjugal.

Son refus de l’individualisation de l’impôt a permis au Conseil de rejeter d’emblée la contribution exceptionnelle sans avoir à se prononcer sur la constitutionnalité d’une tranche marginale à 75 %. Le doute persiste donc sur le taux maximum que le Conseil autorise, tant en taux marginal qu’en taux moyen. Toutefois, le Conseil a accepté un taux de 75 % pour le plafonnement de l’ISF.

D’un côté, ce taux de 75 % avait clairement été annoncé par le candidat élu. Il ne s’appliquait que sur la tranche de revenu supérieur à 1 million d’euros. Une personne seule gagnant 2 millions (3 millions) de revenus d’activité n’aurait supporté, CRDS-CSG comprise, qu’un taux d’imposition moyen global de 63 % (67 %). Des taux marginaux plus élevés (supérieur à 80%) ont été mis en place aux Etats-Unis et au Royaume-Unis entre 1945 et 1980.

De l’autre, le système mis en place était extrêmement compliqué avec un IR portant sur le revenu imposable familialisé, des contributions exceptionnelles de 3 % (à partir de 250 000 euros par part) et 4 % (au-delà de 500 000 euros) portant sur le revenu fiscal de référence conjugalisé, et cette nouvelle contribution exceptionnelle de 18 % portant sur le revenu d’activité individuel. La marche de 18 % était trop grande. Un système plus simple, réunifié, supprimant les contributions exceptionnelles, introduisant une tranche à 50 % (à partir de 250 000 euros par part), puis un taux de 60 % (à partir de 750 000 euros par part) serait plus satisfaisant et n’aurait pas de raison de se heurter à la censure du Conseil.

Un taux maximum d’imposition ?

Ni la Déclaration des droits de l’homme de 1789, ni la Constitution de 1958 ne comportent de taux maximum d’imposition. Le Conseil constitutionnel a décidé en 2007 que l’impôt ne devait pas être confiscatoire, mais sans définir cette notion. En décembre 2012, le Conseil ne s’est pas prononcé sur la constitutionalité d’un taux à 75 %, mais il a censuré des dispositifs particuliers qui aboutissaient à des taux marginaux de 90,5 %, de 82 %, de 75,34 % ou même de 73,2 %. Il semble donc que le Conseil fixe un taux maximum de 70 % à ne pas dépasser. Ce taux est nettement plus élevé que les 50 % du bouclier fiscal, mais il reste arbitraire ; de plus il s’agit d’un taux marginal.

Cependant, les quatre cas censurés sont des cas particuliers où le législateur voulait faire jouer à la fiscalité un rôle désincitatif :

– Les retraites-chapeau sont soumises à la CSG-CRDS, à l’IR et à une taxation spécifique qui atteint 21 % au-delà de 24 000 euros par mois. Au-delà de ce niveau, leur taux marginal d’imposition était donc de 75,34 %. Le Conseil a jugé ce taux excessif, contraire au principe d’égalité devant les charges publiques. La taxation spécifique a été ramenée à 14 %, soit un taux d’imposition marginal de 68,34 %. Le problème est que cette taxation spécifique n’avait pas pour objet de financer les charges publiques, mais de décourager ce type de rémunération. D’ailleurs, l’entreprise paie une taxe de 32 % sur ces retraites qui demeurent donc très coûteuses. Sans doute, faudra-t-il que le législateur se décide à les encadrer strictement : l’entreprise pourrait aider ses cadres dirigeants à se constituer un supplément de retraite, mais cette aide devrait être considérée comme un salaire et supporter toutes les cotisations sociales.

– Le Conseil interdit à l’Etat de taxer à 75 % le produit des titres et des bons dont l’identité du bénéficiaire n’est pas communiquée à l’administration fiscale en arguant que l’imposition totale atteint 90,5 %, compte tenu des prélèvements sociaux. Mais une personne riche taxée à 45 % à l’IR et à 1,5 % à l’ISF subit un prélèvement marginal de 95,5 % sur ses revenus d’intérêts. Il n’était donc pas injuste de faire subir la taxation maximum à une personne qui veut rester anonyme. Sans doute, faudra-t-il interdire ces bons anonymes.

– L’Etat souhaitait taxer fortement les plus-values sur les terrains à bâtir. Aux taxes spécifiques déjà en place (de l’ordre de 20 %), aux prélèvements sociaux (15,5 %), s’ajoutait la taxation des plus-values au barème de l’IR (avec un taux maximum de 49 %), sans abattement pour l’inflation ou la durée de détention. Le Conseil a estimé que la taxation totale qu’il évalue à 82 % était excessive. Certes, la non-prise en compte de l’inflation était contestable. Mais le calcul du Conseil suppose que le vendeur jouit de revenus supérieurs à 500 000 euros par an. De plus, cette plus-value est un pur effet d’aubaine, qu’il n’est pas illégitime de surtaxer.

– Les gains tirés des stock-options et des actions gratuites sont dorénavant imposés à l’IR comme à la CSG-CRDS. Ils supportent de plus une contribution salariale, non déductible de l’IR, naguère de 10 %, qui devait passer à 17,5 % (pour les actions détenues pendant un certain temps), à 22,5 % pour les autres. Le total aboutissait pour une imposition à la tranche de 45 % à un taux d’imposition total de 68,2 % (ou 73,2 %) ; pour la tranche de 49 % à 72 % (ou 77 %). Le Conseil a jugé cette taxation excessive ; il a maintenu la contribution salariale à 10 %, ce qui limite la taxation globale à 60,7 % pour la tranche de 45 % (ou 64,5 % pour celle de 49 %). Là-aussi, les entreprises payent une taxe de 30% sur les avantages qu’elles accordent à leurs salariés ou mandataires sociaux sous cette forme.

Dans ces quatre cas, le Conseil interdit de faire jouer à la fiscalité directe un rôle incitatif (ou plutôt désincitatif). Il faudra donc que le législateur utilise d’autres instruments, soit la taxation au niveau des entreprises, soit la réglementation.

Notons que le Conseil a une version strictement juridique de la notion d’imposition et de revenu. Ainsi, écrit-il à propos de la contribution employeur : « c’est une imposition à la charge de l’employeur qui ne s’impute pas sur le montant de la rente versée », alors que du point de vue économique, la distinction entre contribution employeurs et salariés n’a pas de sens, il faut faire masse des deux. De même, ne juge-t-il pas abusive la taxation des intérêts. Mais une personne recevant 4 % de taux d’intérêt quand l’inflation est de 2 %, n’a un revenu réel que de 2 %. Le total des prélèvements sociaux et de la tranche à 45 % de l’IR aboutit à une imposition nominale de 58,2 %, qui est en réalité de 116 % si on rapporte l’impôt (4*58,2 % = 2,32 %) au revenu réel (2 %, soit 4 % moins les 2% d’inflation).

Le Conseil affirme que « les prélèvements sociaux qui pèsent sur les revenus de dividendes et de produits de placement ont des taux plus élevés que ceux qui pèsent sur les revenus d’activité », mais il ne tient compte que des prélèvements sociaux et de la CRDS-CSG, et pas des cotisations sociales employeurs. En fait, il ne compare pas précisément l’imposition des uns et des autres, ce qui obligerait à distinguer les cotisations ouvrant des droits, à tenir compte de l’inflation, de l’impôt sur les sociétés, etc. Il se limite au cas de « rupture caractérisée » de l’égalité devant l’impôt. Il est permis de le regretter.

Vers la réduction des niches fiscales

Le Conseil constitutionnel a heureusement censuré l’article 14 de la Loi de finances qui reportait une nouvelle fois de cinq ans l’extinction des dispositifs fiscaux dérogatoires en matière de droits de successions sur les biens immobiliers en Corse.

L’article 73 de la loi de finances classe en fait les réductions et crédit d’impôts en trois catégories. Certaines ne sont pas soumises au plafonnement global ; d’autres sont soumises à un plafond global de 10 000 euros ; d’autres (les investissements outre-mer et les investissements dans le cinéma) étaient soumises à un plafond spécifique de 18 000 euros + 4 % du revenu imposable. Le Conseil a maintenu cette distinction mais a réduit le plafond spécifique des investissements favorisés en supprimant la prise en compte de 4 % du revenu imposable. Seul, parmi les dépenses d’investissement, l’investissement dans la restauration d’immeubles dans les secteurs sauvegardés échappe maintenant à un plafonnement global. C’est un pas dans la bonne direction de suppression progressive de niches fiscales profitant aux plus riches, réduisant la progressivité de l’impôt et peu efficaces pour aider tel territoire ou telle activité. Reste au gouvernement à mettre en place, comme il s’y est engagé, des subventions explicites et mieux ciblées pour les départements d’outre-mer.

En revanche certaines exonérations injustifiées demeurent comme celles des revenus des  placements en PEA et en assurance-vie, des majorations de retraites, de la participation et de l’intéressement. Il est dommage que le Conseil constitutionnel n’ait pas eu l’occasion de censurer ces dispositifs contraires au principe de soumission  de tous les revenus à l’impôt sur le revenu.

Faut-il permettre l’optimisation fiscale ?

En ce qui concerne l’ISF, la position du Conseil est difficile à comprendre. D’une part, il proclame avec pertinence que la détention d’un patrimoine procure en elle-même une capacité contributive ; que l’ISF peut donc frapper des biens qui ne procurent aucun revenu ; que cette capacité contributive peut donc être supérieure aux revenus des biens imposables. Ceci l’amène à déclarer conforme à la Constitution la nouvelle version de l’ISF, même si elle aboutit dans certains cas à des taux de taxation marginaux très élevés de certains revenus, en particulier les revenus d’intérêt, puisque la taxation ne prend pas en compte la dépréciation liée à l’inflation. D’autre part, le Conseil avait proclamé en août 2012 que la remise à niveau de l’ISF devait obligatoirement s’accompagner de la remise en place d’un mécanisme de plafonnement. Le Conseil a heureusement accepté, en décembre 2012, que le plafonnement du total des impôts payés (ISF + IR + CRDS-CSG + prélèvement sociaux) soit établi à 75 % du revenu, soit nettement au-dessus des 50 % de l’ancien bouclier fiscal.

Mais le diable se cache dans les détails. Le revenu doit être mesuré de façon adéquate. Prenons un exemple extrême. Considérons Monsieur A qui dispose d’un patrimoine de 3 millions d’euros, placé en actions, qui lui rapportent des dividendes au taux de 8 %, soit 240 000 euros par an. Monsieur A va payer 37 200 euros de prélèvements sociaux, 40 366 euros d’IR et 15 690 euros d’ISF, soit un total de 93 256 euros, un taux de prélèvement global de 38,8 % : il n’est pas concerné par le plafonnement. Monsieur B dispose d’un patrimoine du même montant de 3 millions. Il l’a investi pour 1 million dans sa résidence principale. Les deux autres millions sont investis dans un fonds qui accumule ses 160 000 euros de dividendes et lui prête 120 000 euros pour vivre. Monsieur B n’a ainsi pas de revenus déclarés. Il ne paye que l’ISF, soit 12 690 euros, compte tenu de l’abattement de 30 % sur la résidence principale. Il serait absurde que l’Etat rembourse ses 12 690 euros à Monsieur B, sous prétexte que son taux d’imposition apparent est infini, alors que Monsieur B paye déjà 80 566 euros d’impôts de moins que Monsieur A, qui a la même capacité contributive.

Les bénéficiaires du plafonnement risquent donc d’être les personnes qui réussissent à ne pas déclarer de revenus en capitalisant les revenus de leur capital financier et en étant propriétaire de leur logement. C’est pourquoi, la Loi de finances 2013 avait prévu que les revenus capitalisés, dans des bons ou contrats de capitalisation, dans des trusts, dans des sociétés contrôlées par le contribuable, même s’ils ne sont pas effectivement réalisés, seraient pris en compte pour le plafonnement de l’imposition totale. On peut même regretter qu’elle ne soit pas allée au bout de sa logique en y faisant figurer les loyers implicites (la valeur du loyer du logement habité par son propriétaire). Malheureusement, le Conseil constitutionnel a censuré la prise en compte des revenus capitalisés en prétendant que ces revenus ne sont pas disponibles, qu’ils ne doivent donc pas être pris en compte pour déterminer les facultés contributives. Mais la non-disponibilité de ces revenus provient d’un choix du contribuable, choix dont le but est précisément d’échapper à l’impôt. Fallait-il maintenir cet instrument d’optimisation fiscale, tant prôné par les officines de défiscalisation ?

Dorénavant les plus-values de cessions de valeurs mobilières sont imposables aux prélèvements sociaux et à l’IR (avec un abattement de 40 % après 6 ans de détention). Il est cependant possible d’échapper à la taxation en transmettant les titres à plus-values latentes à ses enfants soit par donation, soit par succession, puisque ces deux opérations purgent la plus-value. Les enfants bénéficiaires peuvent revendre les titres, plus ou moins rapidement, et ne paient que la plus-value entre la donation et la vente ; la plus-value entre l’achat et la donation échappe à toute taxation. Cette optimisation fiscale est très pratiquée par les familles au patrimoine élevé. Pour la combattre, l’article 19 de la troisième Loi de finances rectificative pour 2012 prévoyait qu’en cas de revente avant 18 mois, le bénéficiaire de la donation de titres mobiliers serait imposé sur la plus-value totale depuis l’acquisition par le donateur (moins les droits de mutation qu’il aurait acquittés). Cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel qui a jugé que le critère retenu (une revente avant 18 mois) n’était pas pertinent pour caractériser une opération d’optimisation fiscale et que le bénéficiaire ne pouvait payer un impôt sur les plus-values obtenues par le donateur. Certes, le dispositif adopté n’était pas satisfaisant : il maintenait la purge des plus-values par succession ; il ne frappait pas ceux qui pouvaient conserver plus de 18 mois les titres reçus. Mais la censure du Conseil constitutionnel laisse subsister la possibilité d’échapper à l’impôt. La situation ainsi maintenue n’est pas conforme à l’article 13, puisque les familles riches peuvent échapper à la taxation des plus-values. Il serait donc souhaitable que la loi aille jusqu’au bout de sa logique et impose les plus-values latentes au moment de la donation ou de la succession.

Dans ces deux cas, on ne peut que regretter que le Conseil constitutionnel désarme ainsi l’administration fiscale et l’empêche de lutter efficacement contre l’optimisation fiscale.

Conclusion

Le contrôle qu’exerce le Conseil constitutionnel sur la fiscalité repose sur une base fragile et archaïque, ce qui introduit une certaine incertitude dans la conduite des réformes fiscales.

Le système fiscal français apparaît aujourd’hui d’une complexité excessive, que les réformes successives ne font qu’augmenter. En même temps, il est fortement redistributif : en particulier, les plus hauts salaires supportent des cotisations sociales sans plafond ; les revenus du capital sont assujettis aux prélèvements sociaux, l’impôt sur le revenu et l’ISF. De nombreuses complications sont inévitables : il faut tenir compte des charges effectivement supportées (pensions alimentaires), encourager certaines pratiques (dons aux œuvres), en taxer d’autres (plus-values immobilières et mobilières). La grande réforme fiscale qui rendrait le système plus simple et plus redistributif est un mythe.

Reste que le système français a besoin d’être repensé. Il faudrait réaffirmer son caractère familial, redéfinir la notion de revenu, bien distinguer les impôts et les cotisations ouvrant des droits à prestations, supprimer certaines dépenses fiscales, remplacer les autres par des subventions explicites. Cette transformation ne peut se faire par l’accumulation de réformes ponctuelles.

 

 

 




Individualisation ou conjugalisation de l’impôt : que faire après la décision du Conseil constitutionnel ?

par Guillaume Allègre

Le Conseil constitutionnel a censuré la contribution exceptionnelle sur les très hauts revenus d’activité au motif qu’elle est prélevée auprès des personnes physiques et non du foyer fiscal ; ainsi elle méconnaîtrait les principes d’imposition selon la faculté contributive et d’égalité devant les charges publiques. En rappelant que tous les prélèvements progressifs sur le revenu doivent tenir compte de la situation familiale du foyer fiscal, la logique juridique du Conseil s’oppose à la logique économique et peut conduire à une complexité inutile du système social et fiscal. La jurisprudence du Conseil va à l’encontre d’une règle de politique économique qui veut qu’autant d’instruments soient utilisés que d’objectifs poursuivis. Or, l’objectif de réduction des inégalités de salaires est un objectif légitime de politique économique à côté de l’objectif de réduction des inégalités de revenus entre foyers. Il paraît donc légitime que des éléments de progressivité s’appuyant d’une part sur le revenu d’activité individuel et d’autre part sur le revenu familial coexistent. Ceci d’autant plus que les recherches empiriques montrent que la faculté contributive des citoyens dépend à la fois du revenu de leur foyer et de leur revenu propre.

Dans une décision datée du 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel, saisi par les députés de l’opposition sur plusieurs articles de la Loi de finances 2013, a déclaré la « Contribution exceptionnelle de solidarité sur les très hauts revenus d’activité professionnelle » contraire à la Constitution, considérant qu’en ne tenant pas compte « de l’existence du foyer fiscal, le législateur a méconnu l’exigence de prise en compte des facultés contributives ; qu’ainsi, il a méconnu le principe d’égalité devant les charges publiques ». Cette décision s’appuie sur les mêmes arguments que la censure de l’abattement de Cotisation sociale généralisée (CSG) sur les bas revenus contenue dans la Loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, au motif que « la disposition contestée ne tient compte ni des revenus du contribuable autres que ceux tirés d’une activité, ni des revenus des autres membres du foyer, ni des personnes à charge au sein de celui-ci ; que le choix ainsi effectué par le législateur de ne pas prendre en considération l’ensemble des facultés contributives crée, entre les contribuables concernés, une disparité manifeste contraire à l’article 13 de la Déclaration de 1789 ». Au regard de ces décisions, il semble que, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, toute imposition progressive sur les revenus doit tenir compte des charges familiales et des revenus des autres membres du foyer[i].

Or, d’un point de vue économique, la coexistence de plusieurs mécanismes de redistribution s’opérant sur des bases individuelles et familiales peut se justifier. Si les premiers modèles théoriques supposaient que le ménage agissait comme un individu et que le partage des ressources à l’intérieur du ménage était intégral (modèle unitaire du ménage), les approches plus récentes essayent d’ouvrir « la boîte noire » que constitue le ménage (Pollak, [1985]). Cette méthode reconnaît que les ressources peuvent être réparties de manière très inégalitaire entre les individus qui composent le ménage. Les développements ultérieurs (Chiappori, [1988]) modélisent la répartition des ressources par un processus de négociation, la règle du partage dépendant du pouvoir de négociation de chaque membre du ménage, fonction, entre autre, de son revenu salarial propre. Les travaux empiriques montrent que cette approche explique mieux les comportements des ménages et des individus qui les composent, en termes de demande de biens et d’offre de travail, que le modèle unitaire. Si l’on définit la faculté contributive d’un individu[ii] par la part de revenu qu’il contrôle, en propre pour les dépenses individuelles ou en commun pour les dépenses collectives (logement, équipement), on voit que, selon cette approche, elle dépend à la fois du revenu familial et du salaire propre. De ce point de vue, tenir compte à la fois du revenu familial et du salaire paraît nécessaire pour se rapprocher du principe d’imposition selon la faculté contributive.

Par construction, si la progressivité du système fiscal tient compte à la fois des revenus du foyer fiscal et de la répartition de ceux-ci entre les ménages, deux foyers fiscaux bénéficiant du même niveau de revenus issus de l’activité professionnelle pourraient se voir imposer différemment. Or, cette situation, qui découle logiquement des développements de la recherche économique, est exactement ce que le Conseil constitutionnel reproche dans sa décision : « par l’effet de cette contribution exceptionnelle assise sur les revenus d’activité professionnelle des personnes physiques excédant un million d’euros, deux foyers fiscaux bénéficiant du même niveau de revenu issu de l’activité professionnelle pourraient se voir assujettis à cette contribution ou au contraire en être exonérés, selon la répartition des revenus entre les contribuables composant ce foyer ». Cette phrase semble impliquer que la répartition des revenus au sein des foyers ne devrait pas avoir d’influence sur leur niveau d’imposition. Ainsi un foyer où les deux conjoints gagnent 600 000 euros aurait la même capacité contributive qu’un foyer où un des conjoints gagne 1 200 000 euros et l’autre ne travaille pas. Mais est-ce bien le cas ? Les deux situations sont-elles réellement équivalentes ? Outre le fait que le revenu n’est pas nécessairement partagé intégralement dans le second foyer, l’inactivité d’un des conjoints, si elle est volontaire, ne constitue-t-elle pas un luxe pour le foyer ? Si l’on compare maintenant un foyer où les deux conjoints gagnent 14 000 euros annuels et un foyer où un conjoint gagne 28 000 euros et l’autre ne travaille pas, ces deux situations sont-elles également équivalentes ? Le fait qu’un conjoint ne soit pas contraint à un travail marchand n’augmente-t-il pas la capacité contributive du second foyer lorsqu’il peut utiliser ce temps pour du travail domestique (garde et soin des enfants, aide aux parents âgés, entretien ménager), substituable à des services marchands ? De plus, si l’on prend maintenant une perspective dynamique, ce choix de spécialisation traditionnelle où l’un des conjoints se spécialise dans le travail marchand et l’autre dans le travail domestique augmente la dépendance du conjoint au foyer et réduit ses opportunités futures, ce qui peut être coûteux, pour lui (le plus souvent elle) et pour la société, en cas de séparation. N’est-il pas alors légitime de distordre le choix des agents et de privilégier, y compris fiscalement, les situations où les deux conjoints travaillent ?

Selon la logique du Conseil constitutionnel, tous les prélèvements progressifs sur le revenu devraient tenir compte (d’une manière ou d’une autre) de la situation familiale. S’il n’est pas impossible de contourner cet impératif, il conduit à la construction de véritables usines à gaz. Ainsi en a-t-il été de la Prime pour l’emploi (PPE), créée en 2001 pour répondre à la censure par le Conseil constitutionnel de l’abattement de CSG pour les bas revenus (voir Allègre, [2012]). La PPE a les mêmes propriétés que l’abattement de CSG, mais son calcul dépend, en très faible partie, de la situation familiale (plafond de ressources élevé au niveau du foyer, et majoration résiduelle par enfant). Mais contrairement à un abattement de CSG, l’effet de la PPE n’apparaît pas sur la fiche de paie : la prime est calculée à partir des déclarations d’impôt sur le revenu et réduit l’impôt dû par les foyers ; les foyers ne payant pas d’impôt reçoivent un chèque du Trésor. Le problème est que la Prime pour l’emploi est perçue avec un décalage d’un an. La censure du Conseil constitutionnel a donc conduit à complexifier inutilement l’administration de l’aide aux bas salaires et à la rendre moins transparente. En fait, la jurisprudence du Conseil constitutionnel va à l’encontre d’une règle de politique économique qui veut qu’autant d’instruments soient utilisés que d’objectifs poursuivis. Si l’on considère que la réduction des inégalités de salaire et celle des inégalités de revenus sont deux objectifs légitimes, alors il paraît légitime que des éléments de progressivité s’appuyant d’une part sur le revenu d’activité individuel et d’autre part sur le revenu familial coexistent.

Et maintenant que faire ?

Comme le soulignent les débats récurrents sur la prise en compte par l’impôt de la dimension familiale (voir la controverse entre Sterdyniak [2012] et Landais, Piketty et Saez [2012]), le sujet est sensible car il touche à la représentation de la famille. Une solution intermédiaire entre individualisation et conjugalisation serait de laisser le choix à tous les couples mariés ou pacsés (voire concubins) entre imposition conjointe avec 1,5 part[iii] (et non plus 2) et l’imposition séparée avec 1 part chacun (les parts attribuées au titre des enfants étant alors partagées entre les conjoints). Cette solution, qui paraît compatible avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel, permettrait d’adapter la fiscalité aux divers arrangements entre conjoints. Elle tiendrait compte du fait qu’il existe bien des solidarités de fait entre conjoints ayant des revenus inégaux mais ne donnerait pas un avantage excessif à ces couples et en particulier aux couples monoactifs. Enfin, elle ne serait pas incompatible avec la proposition du candidat Hollande de fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG dans le cadre d’un prélèvement simplifié sur le revenu, mais nécessiterait une régularisation annuelle (les couples ayant un bénéfice à l’imposition conjointe pourraient alors recevoir un remboursement partiel de l’impôt prélevé à la source).

______________________

 

[i] La censure de la ristourne de CSG ne fait cependant pas référence au foyer fiscal, il ne suffirait donc probablement pas au législateur de modifier la définition du foyer fiscal pour éviter la censure du Conseil constitutionnel.

[ii] Dans l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, à laquelle le Conseil constitutionnel se réfère, ce sont bien in fine les droits des individus qui comptent par rapport à ceux des groupes ou institutions intermédiaires (notamment la famille). L’article 13 fait ainsi référence à la faculté (contributive) des citoyens : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». La référence au ménage ou au foyer ne peut donc être justifiée que par un partage de fait des ressources, qu’il est difficile de nier mais qui n’est pas nécessairement intégral.

[iii] Cohérent avec le nombre d’unités de consommation donné aux couples dans la mesure du niveau de vie.