Grèce : quand l’histoire bégaie

par Jacques Le Cacheux

La durée de la crise grecque et la dureté des plans d’austérité successifs qui lui ont été imposés pour tenter de redresser ses finances publiques et la remettre en position de faire face à ses obligations à l’égard de ses créanciers ont frappé les opinions publiques européennes et suscité de nombreux commentaires. L’accord obtenu à l’arraché le lundi 13 juillet au sein du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro comporte, en plus des exigences déjà formulées avant le référendum grec du 5 juillet, alors rejetées par une majorité des votants, des conditions si inhabituelles et si contraires à la souveraineté des Etats telle qu’on a l’habitude de la concevoir aujourd’hui qu’il a choqué bon nombre de citoyens européens et conforté les arguments des  eurosceptiques qui y voient la preuve que la gouvernance européenne s’exerce contre la démocratie.

En exigeant que les créanciers soient consultés sur tout projet de loi ayant une incidence sur les finances publiques et en imposant la gestion des privatisations, dont la longue liste a été dictée par les créanciers, par un fonds indépendant du gouvernement grec, les responsables de la zone euro ont effectivement mis les finances publiques grecques sous tutelle. En outre, les mesures contenues dans le nouveau plan d’austérité sont de nature à déprimer encore plus une demande intérieure déjà exsangue, aggravant ainsi la récession dans laquelle l’économie grecque a replongé en 2015, après une légère et brève rémission en 2014.

Appauvrissement sans ajustement

Déclencheur, en 2010, de la crise des dettes souveraines au sein de la zone euro, la crise grecque ressemble à une longue agonie, entrecoupée de psychodrames européens toujours conclus in extremis par un accord censé sauver la Grèce et la zone euro. Dès le début, il était clair que la méthode, fondée sur l’administration de doses massives d’austérité sans véritable soutien à la modernisation de l’économie grecque, était vouée à l’échec[1], pour des raisons désormais bien comprises[2] mais alors presque unanimement ignorées par les responsables, qu’il s’agisse des gouvernements européens, de la Commission européenne ou du FMI, principale caution et source d’inspiration des plans d’ajustement successifs.

Les résultats, à ce jour catastrophiques, sont bien connus : en dépit d’une longue cure d’austérité, faite de hausse d’impôts, de coupes dans les dépenses publiques, de baisse des salaires et des retraites, etc., l’économie grecque ne s’est pas redressée, au contraire, et la soutenabilité des finances publiques grecques n’a pas été rétablie, loin s’en faut ; malgré l’accord, en 2012, des gouvernements européens sur un défaut partiel, qui a allégé la dette envers les créanciers privés – allègement refusé par ces mêmes gouvernements deux ans auparavant –, la dette publique représente aujourd’hui une pourcentage plus important du PIB (près de 180%) qu’au début de la crise, et un nouvel allégement – cette fois sans doute par rééchelonnement – paraît incontournable. Le troisième plan d’aide – plus ou moins 85 milliards d’euros envisagés, après environ 250 milliards au cours des cinq dernières années – qui va être négocié dans les semaines qui viennent sera, pour une bonne part, consacré au seul paiement des échéances sur la dette.

Pendant ce temps, le niveau de vie moyen des citoyens grecs s’est littéralement effondré, et l’écart par rapport à la moyenne de la zone euro, qui avait eu tendance à se réduire au cours de la décennie précédant la crise, s’est creusé de façon dramatique (Graphique 1) : le PIB par tête grec  est aujourd’hui d’un peu moins de la moitié de celui de l’Allemagne. Encore le PIB par tête reflète-t-il très mal la réalité vécue dans une économie où les inégalités se sont creusées et les dépenses de protection sociale ont été drastiquement réduites.

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Le nouveau plan d’austérité ressemble aux précédents : combinant hausse de la fiscalité – notamment la TVA dont le taux normal, à 23%, est étendu aux îles et à de nombreux secteurs, dont le tourisme, jusqu’ici soumis au taux intermédiaire (13%) – et baisse des dépenses publiques, il aboutira à une économie budgétaire d’environ 6,5 milliards d’euros en année pleine,  ce qui amputera la demande intérieure grecque et accentuera la récession en cours.

Les plans d’ajustement précédents ont également comporté des réformes « structurelles », telles que la baisse du salaire minimum et des pensions de retraite, une déréglementation du marché du travail, etc. Mais force est de constater que le volet fiscal de ces plans n’a pas eu de résultats très visibles sur les recettes publiques : après avoir beaucoup baissé jusqu’en 2009, la pression fiscale grecque – mesurée par le ratio des recettes fiscales totales au PIB – s’est certes accrue, mais guère plus qu’en France (Graphique 2). Ce qui ne signifie pas, bien sûr, qu’une dose plus forte encore du même remède assurera mieux la guérison.

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L’histoire éclaire-t-elle l’avenir ?

Les maux dont souffre l’économie grecque sont bien connus : faiblesse de l’industrie et des secteurs exportateurs – en dehors du tourisme, qui pourrait sans doute faire mieux, mais affiche des performances honorables –, nombreux secteurs réglementés et situations rentières, administration et services fiscaux pléthoriques et peu efficaces, poids des dépenses militaires, etc.

Tout cela n’est pas nouveau et sans doute était-il de la responsabilité des autorités européennes de tirer plus tôt la sonnette d’alarme et d’aider la Grèce à une mise à niveau, comme cela a été fait pour les PECO (pays d’Europe centrale et orientale) au début des années 2000, dans les années  précédant leur adhésion à l’Union européenne. La manière dont on décide à présent de le faire, à marche forcée et par la mise sous tutelle du gouvernement grec, sera-t-elle plus efficace ?

Si l’on pouvait se fier simplement à l’histoire, on serait tenté de répondre oui. L’épisode du défaut grec de 1893 présente en effet de nombreuses similitudes avec la crise actuelle. La Grèce était alors un Etat relativement neuf, n’ayant acquis son indépendance à l’égard de l’Empire ottoman qu’en 1830, au terme d’une longue lutte, et grâce au soutien des puissances européennes (Angleterre et France), qui lui imposèrent un roi bavarois. Elle était sensiblement plus pauvre que les pays d’Europe d’occidentale : malgré l’ébauche de modernisation entreprise, après l’indépendance, sous la conduite des fonctionnaires bavarois qui entouraient alors le roi de Grèce Othon 1er, son PIB par tête n’était, en 1890 selon les données assemblées par Angus Maddison[3], que d’environ 50% de celui de la France, et un peu moins d’un tiers de celui du Royaume-Uni. Et le diagnostic porté sur la Grèce alors n’était guère meilleur que celui d’aujourd’hui :

« … la Grèce se caractérise tout au long du XIXe siècle par des finances structurellement faibles, qui la conduisent à défaillir de façon récurrente sur sa dette publique. Selon le Statesman’s Yearbook, la Grèce ajoute à des dépenses militaires importantes, des frais élevés pour entretenir un nombre important de fonctionnaires, disproportionné pour un petit Etat peu développé. Par ailleurs, une partie des dettes grecques étant garantie par la France et la Grande-Bretagne, la Grèce pouvait suspendre le service sans que les créanciers aient à en subir les conséquences. Les budgets français et britannique se retrouvaient contraints de payer les coupons.

Dès 1890 cependant, la situation devient critique. A la fin de 1892, le gouvernement grec ne maintint le paiement des intérêts qu’avec l’aide de nouveaux emprunts. En 1893, il obtenait un vote du parlement lui permettant de négocier un rééchelonnement avec les créanciers internationaux (britanniques, allemands, français). Les discussions s’éternisèrent sans véritable solution jusqu’en 1898. Ce fut la défaite grecque dans sa guerre avec la Turquie qui servit de catalyseur à une résolution des problèmes de finances publiques. En effet, l’intervention des puissances étrangères ainsi que leur appui dans la collecte des fonds réclamés par la Turquie pour évacuer la Thessalie s’accompagna d’une mise sous tutelle des finances grecques. Une société privée sous contrôle international reçut la mission de collecter les impôts et de régler les dépenses grecques suivant une règle de séniorité aboutissant à assurer le versement d’un intérêt minimal. Les surplus budgétaires étaient alors affectés à raison de 60 % pour les créanciers et 40 % pour le gouvernement. »[4]

Entre 1890 et 1900, le revenu par tête grec a augmenté de 15%, et devait encore augmenter de 18% au cours de la décennie suivante, atteignant, en 1913, 46% du revenu par tête français et 30% du revenu par tête des Britanniques, alors au faîte de leur prospérité. Un succès, donc.

Bien entendu, le contexte était alors fort différent, et les conditions qui ont favorisé cette mise sous tutelle et ce redressement ne sont pas celles d’aujourd’hui : pas de véritable gouvernement démocratique en Grèce ; un régime monétaire (l’étalon-or) dans lequel les suspensions de convertibilité – l’équivalent d’un « Grexit temporaire » — étaient relativement courantes, et clairement perçues par les créanciers comme temporaires, et surtout un contexte de croissance économique forte dans toute l’Europe occidentale – la Belle époque –, grâce à la seconde révolution industrielle. On ne peut s’empêcher de penser, pourtant, que les conditions dictées alors à la Grèce ont inspiré les décisions actuelles des responsables européens[5].

Le nouveau plan produira-t-il enfin les effets escomptés ? Peut-être, s’il réunit d’autres conditions : allègement substantiel de la dette publique grecque, comme le réclame désormais le FMI, et soutien financier à la modernisation de l’économie grecque. Un plan Marshall pour la Grèce, un « green new deal » ? Tout cela ne pourra réussir que si le reste de la zone euro connaît également une croissance soutenue.

 


[1] Voir Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux, « Zone euro : no future ? », Lettre de l’OFCE, n°320, 14 juin 2010, http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/lettres/320.pdf .

[2] Voir notamment les travaux de l’OFCE sur les effets récessifs des politiques d’austérité : http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/si2014/si2014.pdf . Rappelons que le FMI lui-même a reconnu que les plans d’ajustement imposés aux économies européennes subissant des crises de dettes publiques avaient été excessifs et mal conçus, et que ceux imposés à la Grèce l’avaient été plus que les autres. Son mea culpa n’a, de toute évidence, pas ému les principaux responsables européens, plus que jamais enclins à persévérer dans l’erreur : Errare humanum est, perseverare diabolicum !

 [3] Voir les données sur le site du Maddison Project : http://www.ggdc.net/maddison/maddison-project/home.htm .

[4] Extrait de l’article de Marc Flandreau et Jacques Le Cacheux, « La convergence est-elle nécessaire à la création d’une zone monétaire ? Réflexions sur l’étalon-or 1880-1914 », Revue de l’OFCE, n°58, juillet 1996, http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/1-58.pdf .

[5] Un indice supplémentaire : le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, insistait pour que la Grèce suspende temporairement sa participation à la zone euro ; dans les années 1890, elle avait dû suspendre la convertibilité en or de sa monnaie et recourir à plusieurs dévaluations.

 




Crise de la dette : l’expérience argentine

Par Augusto Hasman and Maurizio Iacopetta

La crise grecque récente  n’est pas sans rappeler la situation de certains s pays d’Amérique latine,  également confrontés à une crise de la dette, pendant les années 1990 et au  début des années 2000. En particulier, le défaut de paiement de l’Argentine et  la fin de l’ancrage au dollar en 2001 pourraient aujourd’hui nous éclairer sur  les éventuelles conséquences d’un Grexit. Nous proposons (dans un post en anglais) une analyse de la situation économique de l’Argentine au cours de  cette crise.

 




La Grèce en procédure de divorce ?

par Jérôme Creel

Le feuilleton grec continue et ressemble de plus en plus à une vieille série télé américaine. JR Ewing retourne à la table familiale l’esprit chagrin car Sue Ellen n’a pas respecté ses engagements et a continué de boire. Dans les circonstances actuelles, le divorce semble inéluctable, surtout si Bobby prend fait et cause pour son frère en refusant toute assistance supplémentaire à sa belle-sœur.

Comme dans Dallas, l’addiction à une substance potentiellement toxique, la dette publique, tourmente les Etats et les institutions européens. Les analyses sur la Grèce se concentrent essentiellement sur les ratios de dette sur PIB. Présentée sous cette forme, entre 2011 et 2014, la dette publique sur PIB a augmenté : les opinions publiques européennes peuvent donc légitimement douter de la capacité des Grecs (en réalité l’Etat grec) à freiner les dépenses et à augmenter les impôts. Le divorce est inéluctable. Mais si l’on regarde les montants en jeu, la situation est un peu différente. Entre 2011 et 2014, la dette publique grecque a baissé de 39 milliards d’euros selon Eurostat. Vu sous cet angle, l’Etat grec fournit effectivement des efforts. Mais cela occulte l’aide des créanciers. En effet, l’Etat grec a bénéficié des restructurations de sa dette, dont un défaut partiel, mais conséquent, de la dette publique envers les créanciers privés. Selon Jeromin Zettelmeyer, Christoph Trebesch and Mitu Gulati, la baisse de dette consentie à l’Etat grec a été de l’ordre de 100 milliards d’euros. Du coup, sans cette aide, le montant de dette publique grecque aurait augmenté de 61 milliards d’euros entre 2011 et 2014 (100 milliards moins les 39 milliards susmentionnés). Ce n’est pas rien pour un pays comme la Grèce. Rappelons cependant que la dette grecque ne représente que 3,5% de la dette publique totale de la zone euro. D’ailleurs qu’ont fait les autres pays de l’UE dans le même temps ? Pas mieux ! L’addiction à la dette publique, si addiction il y a, est générale. La dette publique de l’UE et de la zone euro ont augmenté de 6 points de PIB, soit des hausses respectives de 1 400 milliards d’euros et 800 milliards. L’augmentation de la dette grecque est bien une goutte d’eau en comparaison. La dette publique allemande a augmenté de 68 milliards d’euros, la dette italienne de 227 milliards d’euros, les dettes espagnoles et françaises respectivement de 285 milliards d’euros, et la dette publique du Royaume-Uni de 277 milliards de livres sterling, soit 470 milliards d’euros toujours selon Eurostat. Ramenée à leur PIB respectif, la dette publique espagnole a augmenté de près de 30 points, celle de l’Italie de plus de 15 points, celle de la France de 10 points, celle du Royaume-Uni de près de 8 points. Seule l’Allemagne a vu son ratio de dette baisser, grâce à une croissance économique plus forte.

Paul de Grauwe insistait dernièrement sur le fait que la Grèce dispose d’une dette publique soutenable : compte tenu des différentes restructurations de dette déjà réalisées, le ratio de dette publique sur PIB de 180 % serait aujourd’hui de plus ou moins… 90 % en valeur actualisée, c’est-à-dire après avoir comptabilisé les paiements futurs d’intérêts et les remboursements prévus, dont certains à un horizon très éloigné[1].

Les économistes, comme Paul de Grauwe ici, utilisent la contrainte budgétaire intertemporelle de l’Etat pour appréhender la soutenabilité de la dette publique. Plutôt que sous une forme rétrospective, la dette publique peut être analysée sous une forme prospective. Si la dette de l’année suivante dépend de la dette présente, par effet de symétrie, la dette présente dépend de la dette de l’année suivante. Or cette dette de l’année suivante va dépendre de la dette de l’année d’après, par itération. In fine, la dette présente dépend de la dette de l’année suivante, et ainsi de suite jusqu’à la fin des temps : elle dépend donc des dettes futures. Or, ces dettes futures dépendent des déficits publics eux aussi futurs. La contrainte budgétaire intertemporelle exprime donc le fait que la dette publique présente est égale à la séquence des déficits publics futurs et à la dette finale (celle de la fin des temps), le tout exprimé en valeurs actualisées. Contrairement aux entreprises et aux ménages, l’Etat est supposé disposer d’un horizon infini qui rend possible la mise à zéro de la valeur actualisée de la dette de « fin des temps ». On dira alors que la dette publique présente est soutenable si les gouvernements futurs prévoient des excédents publics suffisants pour rembourser cette dette. Cela est possible après des périodes de déficits publics élevés, pourvu que ces périodes soient suivies d’autres au cours desquelles les gouvernements accumulent des excédents budgétaires. Compte tenu de l’allongement de la maturité des dettes grecques et de la faiblesse des paiements futurs d’intérêts, l’excédent budgétaire requis pour rembourser la dette présente est faible. Paul de Grauwe en conclut que la Grèce est soumise à une crise de liquidité plutôt qu’à une crise de défaut souverain. Il conviendrait donc, toujours selon Paul de Grauwe, d’ajuster les plans d’austérité budgétaire et les réformes à entreprendre au niveau effectif de dette publique, sensiblement plus faible que celui qui sert de base aux négociations entre l’Etat grec et les « institutions » (BCE, Commission, FMI). Dit autrement, les « institutions » pourraient desserrer leur étreinte.

Le « cas grec » peut donc être relativisé et le divorce différé : l’addiction de Sue Ellen est moins exceptionnelle qu’il y paraît de prime abord.

 


[1] Après 2015 et 2019, qui impliqueront des remboursements substantiels de la part de l’Etat grec, les années « difficiles » se situeront ensuite au-delà de 2035 (voir le profil d’amortissement de la dette grecque dans Antonin et al. , 2015).




Les pères séparés supportent-ils un sacrifice de niveau de vie plus important que leur ex-conjointe ?

Hélène Périvier OFCE-PRESAGE

L’étude récente publiée par France Stratégie portant sur le partage des charges liées aux enfants après une séparation fait grand bruit (voir notamment Osez le féminisme, Abandon de famille, mais aussi SOS papa…). Ce travail analyse l’évolution du niveau de vie des deux ex-conjoints en tenant compte de l’interaction entre le barème indicatif de pensions alimentaires et le système fiscalo-social. Cette perspective est stimulante car il s’agit de voir si la redistribution opérée par l’Etat social intègre de façon juste et équitable les coûts de l’enfant supportés par chaque ex-conjoint.

On y lit qu’après une séparation, les niveaux de vie des deux ex-conjoints diminuent fortement. De plus, les simulations de cas-types réalisées « indiquent que l’application du barème [ barème indicatif  de référence fourni aux juges] aboutit en l’état actuel de la législation socio-fiscale à ce que la charge des enfants entraîne un sacrifice de niveau de vie sensiblement plus important pour le parent nongardien que pour le parent gardien ». Autrement dit, les pères séparés consentiraient à un  sacrifice de niveau de vie plus important que les mères, si le juge appliquait à la lettre le barème indicatif. Selon, le ministère de la Justice ce barème n’est pas appliqué par les juges, tant les situations sont à chaque fois spécifiques. Cette étude porte donc sur ce que serait le niveau de vie des parents séparés si le barème était appliqué, et non pas sur le niveau de vie effectif. Or, le tableau des résultats présenté dans la note en première page est titré  « Estimation de la perte de niveau de vie supportée par les parents de deux enfants (en pourcentage par rapport à une situation sans enfant, calcul net des aides publiques)». Qui lira vite, pensera qu’il s’agit de la situation réelle des parents séparés.

Bien que portant sur le barème de pensions alimentaires et non sur les décisions des juges elles-mêmes, cette étude soulève une question pertinente. Mais les résultats sont fragilisés par d’importants problèmes méthodologiques : la notion de sacrifice de niveau de vie ne tient pas compte de la division sexuée du travail et de son impact sur la carrière des mères ; les cas-types mis en avant ne sont pas nécessairement représentatifs (notamment en ce qui concerne le statut marital avant la séparation) ; l’utilisation faite des échelles d’équivalence[1] conduit à assimiler « niveau de moyen du ménage » et « niveau de vie individuel », enfin une approche par le maintien du niveau de vie de l’enfant aurait conduit à un tout autre résultat.  De fait, proposer le modèle de micro-simulation comme outil d’aide à la décision des juges semble quelque peu prématuré aux regards de ces critiques.

De la notion de « sacrifice de niveau de vie » 

Dans tous les cas simulés, les parents séparés perdent en niveau de vie relativement à la situation en couple (à revenu inchangé). Ce résultat est conforme à ceux de travaux récents, comme par exemple Martin et Périvier, 2015, Bonnet, Garbinti, Solaz, 2015, ou le rapport du HCF. La séparation est coûteuse pour les deux parents du fait de la perte d’économies d’échelle (par exemple il faut deux logements au lieu d’un seul, …). Au-delà de la baisse de niveau de vie de chaque parent, les auteurs calculent le « sacrifice de niveau de vie » que subissent les parents avant et après la séparation.

Le « sacrifice  de niveau de vie » est censé être calculé en rapportant le coût de l’enfant au revenu disponible dont aurait disposé le parent s’il n’avait pas eu d’enfant. Or, le sacrifice de niveau de vie consenti par la mère ayant la garde de l’enfant (respectivement le père) est en fait calculé en rapportant le coût de l’enfant au niveau de vie d’une femme célibataire sans enfant ayant le même niveau de salaire que la mère séparée (idem pour le père).

Cette méthode ne permet pas d’estimer le « sacrifice de niveau de vie » car la mise en couple et la formation de la famille s’accompagne d’une division sexuée du travail largement documentée dans la littérature, et qui implique que cette femme séparée aurait eu un niveau de salaire, et plus globalement une carrière, différents si elle était restée célibataire sans enfant. Si une femme cadre supérieure vivant en couple s’arrête de travailler pour s’occuper des enfants et que le couple se sépare, la notion de « sacrifice de niveau de vie » impliquerait un gain important en niveau de vie pour cette femme, puisque le coût de l’enfant serait rapporté au RSA, alors qu’elle aurait perçu un salaire élevé si elle n’avait pas eu d’enfant, car elle aurait continué à travailler.

Autrement dit, le bon contrefactuel, c’est-à-dire la situation à laquelle on doit comparer le niveau du parent séparé pour évaluer le sacrifice de niveau de vie qu’elle (ou il) subit, devrait être le revenu qu’aurait eu la femme (ou l’homme) séparée (en tenant compte de ses caractéristiques personnelles) si elle (ou il) n’avait pas été en couple et si elle (il) n’avait pas eu d’enfant. Ce faisant, les calculs auraient conduit à un sacrifice de Madame nettement plus important que celui calculé dans l’étude. On voit ici la nécessité d’une approche économique qui intègre les comportements des agents par rapport à une approche comptable.

Des cas-types atypiques ?

En mobilisant le modèle de micro simulation Openfisca, les auteurs simulent différentes situations et évaluent la perte de niveau de vie de chaque ex- conjoint après la séparation.

Les cas-types permettent de comprendre les interactions complexes entre le système fiscal et social et, pour le sujet abordé ici, le barème indicatif de pensions alimentaires. La critique généralement faite aux études sur cas-type est qu’elles ne donnent pas la représentativité des situations simulées : de fait pour éviter de se focaliser sur des cas marginaux, on ajoute des données relatives à la fréquence des situations choisies comme étant « typiques ». S’agissant de la répartition des revenus, dans les trois quarts des cas les femmes gagnent moins que leur conjoint (Insee). Il conviendrait de regarder la répartition des revenus entre conjoints avant la rupture et de voir quels sont les cas les plus courants et d’affiner en ne retenant que les cas pour lesquels le juge fixe une pension,  soit dans seulement 2 cas sur 3 (Belmokhtar, 2014).

De même, faire un focus sur le cas d’un couple ayant deux enfants à charge n’est pas sans conséquence[2],  dans la mesure où avec un seul enfant à charge le montant des prestations familiales baisse, de fait les revenus sociaux perçus par la mère seraient plus faibles (notamment les allocations familiales ne sont pas versées pour un enfant mais à partir de deux enfants) et son niveau de vie également. Les statistiques fournies par le ministère de la Justice indiquent que le nombre moyen d’enfants est de 1,7 dans le cas de divorces et 1,4 dans les cas d’union libre (Belmokhtar, 2014).

Enfin, rien n’est dit explicitement sur la situation maritale d’avant la séparation : mariage ou union libre ?

– Soit les auteurs considèrent les couples mariés. Dans ce cas, si les salaires des ex-conjoints sont différents (cas n° 4 qualifié d’ « Asymétrie des revenus »), comment la perte du bénéfice du quotient conjugal est-elle répartie ? Après le divorce, le gain fiscal issu de l’imposition jointe est perdu : Monsieur paie alors le montant d’impôt au regard de son salaire et non plus de la moyenne des salaires du couple. Ce surcroît d’impôt pèse sur son niveau de vie et le « sacrifice de niveau de vie » calculé pour le père divorcé serait alors en partie le résultat de la perte du bénéfice du quotient conjugal et non pas du coût issu de la charge d’un enfant séparé.

– Soit les auteurs ne considèrent que les couples en union libre, ce qui semble être le cas au regard du vocabulaire mobilisé « séparation, union, parents séparés etc… », mais alors cela nous ramène la critique concernant la représentativité des cas-types dans la mesure où plus de la moitié des décisions de justice relatives à la résidence des enfants sont liées à des divorces (Carrasco et  Dufour, 2015). Par ailleurs, les pensions fixées par le juge sont d’autant plus éloignées du barème qu’il s’agit d’une séparation et non d’un divorce, ce qui limite la portée de l’étude.

Du bon usage des échelles d’équivalence

Les échelles d’équivalence permettent de comparer les niveaux de vie des ménages de tailles différentes, en appliquant des unités de consommation (uc) pour établir un « équivalent adulte ». Ces échelles reposent sur des hypothèses fortes qui ne permettent pas une utilisation tous azimuts de cet outil :

– les individus appartenant à un même ménage mettent intégralement leurs ressources en commun ;

– les personnes appartenant à un même ménage disposent du même niveau de vie (niveau de vie moyen obtenu en divisant le revenu total du ménage par le nombre d’uc  du ménage). Cette hypothèse découle de la première ; le niveau de vie est assimilé au bien-être.

Les échelles d’équivalence donnent une estimation du surcoût lié à la présence d’une personne supplémentaire dans un ménage. Elles ne disent rien quant à la façon dont les ressources sont effectivement allouées dans le ménage. Ceci tient à l’hypothèse de mise en commun des ressources, hypothèse contestable (voir notamment  Ponthieux, 2012) et qui conduit à attribuer le niveau de vie moyen du ménage à chaque individu. Un couple dispose de 1,5 uc. De fait, un couple A dans lequel Monsieur gagne 3 SMIC et Madame 0 SMIC a le même niveau de vie qu’un couple B dans lequel les deux gagnent 1,5 SMIC. Cette méthode permet de comparer les niveaux de vie moyens de deux ménages, mais pas les niveaux de vie des individus qui les composent. Madame vivant dans le couple B a probablement un niveau de vie individuel supérieur à celui de Madame vivant dans le couple A, du fait de son pouvoir de négociation accru dans un contexte de salaire identique. Ainsi comparer les niveaux de vie moyens du couple avec les niveaux de vie individuels lorsque le couple se sépare est trompeur.

De même, pour évaluer la charge financière que représentent les enfants pour la mère séparée par exemple, les auteurs appliquent le ratio uc lié aux enfants sur le total des uc du ménage, au revenu disponible de la femme (salaire moins les impôts payés, plus les prestations reçues et la pension versée par son ex-conjoint au titre des deux enfants dont elle a la garde). Mais rien ne dit que la mère séparée n’alloue pas davantage de ressources à ses enfants que ce qui est estimé par ce ratio d’uc (en matière de logement, elle peut par exemple dormir dans le salon pour que les enfants aient chacun leur chambre).

Les critiques méthodologiques faites aux échelles d’équivalence en limitent l’utilisation (voir Martin et Périvier, 2015). Elles ne permettent pas de comparer les niveaux de vie des individus, mais seulement le niveau de vie de ménages de taille différente.

Quid du niveau de vie de l’enfant ?

Les travaux consacrés à l’estimation du niveau de vie des parents séparés sont rares. Pour fixer les uc par enfant au regard de la situation maritale de leur parents (en couple ou séparés), les auteurs s’appuient sur une étude australienne qui les conduit à majorer les uc attribuées aux enfants dès lors que les parents sont séparés. Le coût d’un enfant de parents séparés est supérieur à celui d’un enfant vivant avec ses deux parents. Ils optent pour la formule suivante :

– un enfant vivant avec ses deux parents correspond à 0,3 uc ;

– un enfant vivant avec sa mère en garde classique à 0,42 uc et 0,12 pour le père non gardien ; soit 0,54 au total pour les deux ménages.

Ainsi le coût d’un enfant de parent séparé est supérieur de 80 % à celui d’un enfant vivant avec ses deux parents. Il est probable que la plupart des parents séparés font tout leur possible pour que les conditions de vie de leurs enfants restent inchangées après une séparation. Une approche qui viserait au maintien du niveau de vie de l’enfant permet d’en tenir compte. En majorant de 80 % le coût des enfants lorsqu’ils vivent avec leurs deux parents, et en le redistribuant au prorata des uc attribuées pour enfants de parents séparés, le parent gardien a une perte de niveau de vie supérieure à celle du parent non gardien (voir le tableau). Cette méthode est elle aussi contestable car on applique le surcroît d’uc des enfants de parents séparés par rapport aux enfants vivant en couple au coût monétaire calculé dans le cas du couple élevant ses enfants. Mais, le choix de cette approche inverse le résultat.

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Toute analyse statistique repose sur des hypothèses permettant de « qualifier » ce que l’on souhaite « quantifier », c’est inévitable (soit parce qu’on ne dispose pas de l’information, soit par mesure de simplification et pour faciliter l’interprétation). Des hypothèses toujours trop fortes, des résultats toujours trop sensibles, des méthodologies perfectibles sont le lot quotidien des chercheur-e-s.  Apporter des éclairages, poser les bonnes questions, ouvrir des perspectives nouvelles, nourrir et se nourrir de la contradiction, voilà leur apport à la société.

L’étude publiée par France Stratégie a le mérite d’ouvrir un débat sur un sujet complexe qui met au défi notre système socio-fiscal. Mais les réponses qu’elle y apporte ne sont pas convaincantes. Si les auteurs conviennent que « L’intérêt de ce travail de simulation est avant tout illustratif», ils n’en souhaitent pas moins « a minima, proposer aux juges et aux parents un outil permettant de simuler la situation financière des deux ménages issus de la séparation, en intégrant l’impact du système socio-fiscal. » Cela semble prématuré au regard de la fragilité des résultats présentés.

 


[1] Pour comparer le niveau de vie de ménages de tailles différentes, des échelles d’équivalence sont estimées à partir d’enquêtes et selon plusieurs méthodes. Elles permettent de se rapporter à un niveau de vie en « équivalent adulte », ou encore en « unité de consommation » (uc). Dans cette perspective, le niveau de vie d’un ménage dépend de son revenu global, mais aussi de sa taille (nombre et âge de ses membres).

[2] Certes, le graphique 7 du document de travail résume les situations selon le nombre d’enfants, mais dans la note l’accent est mis sur le cas avec deux enfants.




Fiscalité des ménages et des entreprises : quels débats pour quels choix politiques ?

par Henri Sterdyniak et Vincent Touzé

La forte augmentation de la fiscalité entre 2010 et 2013 (hausse de 3 points du taux de prélèvements obligatoires) a fait que la France occupe aujourd’hui le deuxième rang mondial en termes de taux de prélèvements obligatoires derrière le Danemark, après avoir occupé la quatrième place. Un tel niveau d’imposition doit être économiquement soutenable et socialement accepté : les dépenses publiques doivent être efficaces ; la fiscalité doit être juste et transparente. Reste que ce niveau de prélèvements est difficile à maintenir dans  une économie ouverte où la tentation et les possibilités d’exil fiscal sont importantes pour les ménages les plus riches comme pour les grandes entreprises.

Cette hausse de la pression fiscale a rapproché la fiscalité des revenus du capital de celle des revenus du travail ; elle a permis la suppression de nombreuses niches fiscales ou sociales injustifiés. Elle n’en a pas moins provoqué de nombreux mouvements de protestation, tant pour réagir à la taxation des dirigeants d’entreprises (le mouvement « Les pigeons ») qu’à la mise en place d’une fiscalité plus verte (actions contre l’écotaxe).

Depuis juin 2012, de nombreuses mesures en matière de fiscalité ont été prises sans toutefois conduire à une réforme fiscale d’envergure, pourtant souvent évoquée et figurant dans le programme du candidat François Hollande. Dès novembre 2012, à la suite du rapport Gallois préconisant une politique de l’offre comportant en particulier un « choc de compétitivité », le gouvernement avait annoncé la mise en place du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). En Janvier 2014, s’y est ajouté le Pacte de responsabilité. Au total, les entreprises bénéficieront d’une baisse de 30 milliards d’euros du coût du travail et de 10 milliards de leur fiscalité (suppression de la C3S, diminution du taux de l’IS) ; cette baisse devrait être financée par une augmentation de la TVA, par une hausse de la fiscalité écologique malgré l’abandon de l’écotaxe et surtout par une baisse des dépenses publiques de l’ordre de 50 milliards d’euros (qui risque de peser sur la demande). Elle aboutit cependant à reporter les objectifs de diminution du déficit public (mais ceux-ci étaient-ils justifiés ?).

Au Conseil des ministres du 17 juin 2015, le gouvernement s’est engagé à rendre irréversible le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, ceci dès 2018. Bien que réclamée par des économistes comme Piketty, cette réforme s’annonce compliquée avec un gain très limité, d’autant qu’elle ne s’accompagne d’aucune réforme de l’impôt (Sterdyniak, 2015).

Dans quelles directions faire évoluer maintenant la fiscalité française ? Faut-il poursuivre la baisse des impôts sur les entreprises ? Comment faire monter en puissance la fiscalité écologique ? Faut-il toujours envisager une grande réforme de la fiscalité des ménages ? Faut-il augmenter la fiscalité des revenus du capital (dans un souci de redistribution) ou au contraire la réduire (pour encourager l’investissement) ?

Dans le cadre de sa mission d’animation du débat public en économie, l’OFCE vient de publier en juin 2015 un numéro spécial de la Revue de l’OFCE (n°139) sur la fiscalité des ménages et des entreprises. Ce numéro trouve son origine dans la Conférence de consensus  organisée le vendredi 20 mai 2014. L’objectif de cette conférence était de contribuer aux débats actuels sur le niveau, la structure et l’évolution de la fiscalité française.

Ce numéro débute par un compte rendu de la conférence rédigé par Henri Sterdyniak et Vincent Touzé. Huit contributions approfondissent les différents sujets de réforme fiscale en débat ; elles sont réparties en quatre thèmes : la compétitivité fiscale, la taxation écologique, la fiscalité des ménages et une mise en perspective générale.

Le débat sur la fiscalité des entreprises est crucial aujourd’hui car les entreprises françaises sont lourdement imposées et la France semble souffrir d’un déficit de compétitivité-prix. En sens inverse, une stratégie généralisée de concurrence fiscale en Europe (baisse des impôts des entreprises financées par la baisse des dépenses publiques) serait contreproductive. Sarah Guillou et Tania Treibich, (« Impôts, charges sociales et compétitivité. Le CICE : un instrument mixte »), fournissent la première évaluation microéconomique du CICE réalisée à partir de données d’entreprises. Elles constatent que le CICE devrait doublement bénéficier aux entreprises exportatrices grâce à une amélioration de leur marge (compétitivité-prix) ainsi que de leur aptitude à recruter de la main-d’œuvre qualifiée (compétitivité hors-prix). Eric Heyer (« Fiscalité des entreprises en France : un état des lieux et quatre propositions »,) procède à un examen macroéconomique de la fiscalité des entreprises françaises dans une perspective comparative internationale, analyse l’impact du CICE et du pacte de responsabilité (choc d’offre positif et choc de demande négatif) et énonce plusieurs propositions de réforme.

Les études sur les liens entre environnement, changement climatique, développement durable et bien-être montrent que la transition écologique est nécessaire pour l’Humanité. Dans ce cadre, l’usage d’une fiscalité écologique est indispensable. En même temps, le bas niveau actuel de cette fiscalité et les reculs politiques dans ce domaine montrent la difficulté à la mettre en œuvre. Cette question du rôle de la fiscalité verte dans la transition écologique est traitée dans deux articles. Mireille Chiroleu-Assouline (« La fiscalité environnementale en France peut-elle devenir réellement écologique ? État des lieux et conditions d’acceptabilité ») estime qu’en France, la fiscalité écologique n’a pas la place qui est la sienne, qu’il faut réaffirmer le principe « pollueur-payeur » et que les recettes fiscales de la taxe carbone devraient être employées pour financer la transition écologique. Jean-Charles Hourcade (« La taxe-carbone : une idée toujours d’avenir si… ») explique pourquoi la fiscalité écologique est en général vouée à l’échec car elle suscite une très forte hostilité des payeurs. Toutefois, il souligne que le double dividende (impact positif sur l’environnement et gain en emplois) est potentiellement élevé et qu’il devient urgent d’agir.

Si les impôts payés par les entreprises interrogent quant à leurs éventuels impacts préjudiciables sur la compétitivité, la croissance et la création d’emploi, la fiscalité des ménages est, elle, source de débats intenses pour déterminer le juste mode de calcul de l’impôt sur le revenu, voire de débats passionnés dès lors qu’il s’agit de taxer le patrimoine.

Guillaume Allègre (« Pourquoi les économistes sont-ils en désaccord ? Faits, valeurs et paradigmes : revue de littérature et exemple de la fiscalité ») montre, au travers d’une revue de la littérature, pourquoi les économistes peuvent ne pas être d’accord en matière fiscale (légitimité du quotient familial, pertinence de la théorie de l’impôt optimal, taxation des revenus du capital) : ils divergent sur les faits, les valeurs et surtout les paradigmes, c’est-à-dire la conception de l’économie. Céline Antonin et Vincent Touzé (« Fiscalité du capital : principes, propriétés et enjeux de taxation optimale ») s’intéressent à la fiscalité du capital et répondent à trois questions : Comment cette fiscalité opère-t-elle ? Quelle est son incidence dynamique ? Quels sont les enjeux de taxation optimale ? Enfin, André Masson (« Comment justifier une augmentation impopulaire des droits de succession ») discute de la fiscalité du patrimoine, en se concentrant sur la question des droits de succession. Son programme de réforme fiscale intitulé Taxfinh (Tax family inheritances) propose de taxer plus lourdement les héritages familiaux afin d’encourager les donations aux enfants ou aux œuvres.

Dans un article synthétique, Henri Sterdyniak (« La grande réforme fiscale, un mythe français ») dresse un bilan global de la fiscalité française. Lourde et complexe, elle donne naissance à des sentiments d’opacité et d’injustice. Toutefois, il rappelle que ce niveau de fiscalisation est aussi la conséquence d’un choix de société, comportant un haut niveau de redistribution comme de dépenses publiques et sociales. En conclusion, il analyse quatre stratégies de réforme fiscale.